N° 656

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2015-2016

Enregistré à la Présidence du Sénat le 1 er juin 2016

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des finances (1) sur les conséquences économiques et budgétaires d'une éventuelle sortie du Royaume-Uni de l' Union européenne « Brexit »,

Par M. Albéric de MONTGOLFIER,

rapporteur général,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : Mme Michèle André , présidente ; M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général ; Mme Marie-France Beaufils, MM. Yvon Collin, Vincent Delahaye, Mmes Fabienne Keller, Marie-Hélène Des Esgaulx, MM. André Gattolin, Charles Guené, Francis Delattre, Georges Patient, Richard Yung , vice-présidents ; MM. Michel Berson, Philippe Dallier, Dominique de Legge, François Marc , secrétaires ; MM. Philippe Adnot, François Baroin, Éric Bocquet, Yannick Botrel, Jean-Claude Boulard, Michel Bouvard, Michel Canevet, Vincent Capo-Canellas, Thierry Carcenac, Jacques Chiron, Serge Dassault, Bernard Delcros, Éric Doligé, Philippe Dominati, Vincent Eblé, Thierry Foucaud, Jacques Genest, Didier Guillaume, Alain Houpert, Jean-François Husson, Roger Karoutchi, Bernard Lalande, Marc Laménie, Nuihau Laurey, Antoine Lefèvre, Gérard Longuet, Hervé Marseille, François Patriat, Daniel Raoul, Claude Raynal, Jean-Claude Requier, Maurice Vincent, Jean Pierre Vogel .

Mesdames, Messieurs,

Quitter ou ne pas quitter l'Union européenne, telle est la question à laquelle les citoyens britanniques auront à répondre lors du référendum qui se tiendra le 23 juin prochain 1 ( * ) . Dès avant son adhésion à la Communauté économique européenne (CEE), en 1973, le Royaume-Uni a entretenu une relation ambiguë avec le projet d'une union des États européens. En 1951, il avait exclu de rejoindre la Communauté européenne du charbon et de l'acier (CECA) puis, en 1957, refusé de signer le traité de Rome qui a donné naissance au Marché commun - suscitant même la création d'une organisation concurrente, l'Association européenne de libre-échange (AELE).

Par ailleurs, une année seulement après que le pays a rallié la Communauté économique européenne, les Britanniques ont reconduit, au cours des élections générales d'octobre 1974, une majorité travailliste s'étant engagée à ce que les électeurs puissent, « par le biais des urnes » 2 ( * ) , se prononcer sur la place du Royaume-Uni dans le Marché commun. Une large partie des électeurs - 67,2 % des suffrages - s'étaient exprimés, à l'occasion du référendum du 5 juin 1975, en faveur d'un maintien dans la CEE. Pour autant, loin de s'éteindre, le débat sur l'inscription du Royaume-Uni dans le projet européen a perduré jusqu'à aujourd'hui, voire a gagné en intensité.

Si l'intégration du Royaume-Uni au système institutionnel européen paraît acquise, ce que tend à montrer, entre autres, le taux de transposition des directives communautaires 3 ( * ) , une large part de la population britannique semble nourrir une relative défiance à l'égard de l'Union européenne. Ainsi, dans le sondage Eurobaromètre du printemps 2015, seuls 32 % des personnes interrogées déclaraient avoir une image positive de l'Union 4 ( * ) .

La distance entretenue par le Royaume-Uni à l'égard du projet européen trouverait notamment sa source, selon certains commentateurs 5 ( * ) , dans des facteurs de nature géographique, historique et économique. Tout d'abord, le caractère insulaire du Royaume-Uni et sa tradition maritime seraient de forts éléments identitaires 6 ( * ) , exerçant une influence déterminante sur les perceptions britanniques. Ceci avait été parfaitement résumé par Winston Churchill lorsqu'il déclarait, en juin 1944, à Charles de Gaulle : « Sachez-le ! Chaque fois qu'il nous faudra choisir entre l'Europe et le grand large, nous serons toujours pour le grand large ». Ensuite, l'issue de la Seconde Guerre mondiale a joué un rôle central dans l'histoire britannique ; ayant tenu en échec l'armée allemande tout au long du conflit, le Royaume-Uni n'a pas ressenti l'« urgence » de la construction européenne, contrairement aux pays d'Europe continentale. Même, l'intégration européenne serait perçue comme un « rappel du statut amoindri et déclinant de la Grande-Bretagne, plutôt que comme un levier de restauration de sa grandeur passée » 7 ( * ) - cette dernière étant davantage associée au Commonwealth qu'à l'Union européenne. Enfin, le Royaume-Uni est un pays résolument tourné vers le commerce extra-européen, ses échanges avec l'Europe étant significativement inférieurs à ceux avec le reste du monde avant son adhésion à la Communauté économique européenne (CEE) 8 ( * ) .

Il en ressort une conception de la construction européenne propre au Royaume-Uni. À ce titre, le député européen Alain Lamassoure a parlé d'un « malentendu originel » 9 ( * ) entre celui-ci et les autres pays européens. Alors que pour les continentaux, l'Europe constitue une « union sans cesse plus étroite » disposant d'une existence propre, qui transcende les États qui la composent, pour les Britanniques, « l'Union européenne (UE) est une organisation internationale [...] dans laquelle le Royaume-Uni a pour seul objectif de défendre ses intérêts nationaux » 10 ( * ) . Aussi les Britanniques auraient-ils une appréhension contractuelle de leur adhésion à l'Union européenne 11 ( * ) , qui n'a de pertinence que si elle demeure pleinement bénéfique.

Dans ces conditions, il n'est aucunement surprenant que ces derniers soient enclins à vouloir renégocier les termes de ce contrat. Telle était la démarche engagée par le gouvernement conduit par le travailliste Harold Wilson en 1975 ; celle entreprise par le Premier ministre David Cameron ne paraît guère différente. Seulement, le contexte a évolué et l'euroscepticisme s'est plus profondément ancré dans le paysage politique britannique. Ceci est mis en évidence par l'émergence du United Kingdom Independance Party (UKIP), qui a remporté le plus grand nombre de sièges lors des élections européennes de 2014, mais aussi par le renforcement de la frange la plus anti-européenne du parti conservateur qui est parvenue, à la fin de l'année 2011, à déposer et faire débattre à la Chambre des communes une motion demandant au gouvernement d'organiser un référendum sur le maintien du Royaume-Uni dans l'Union européenne. Initialement défavorable à cette initiative, David Cameron a annoncé en janvier 2013 l'organisation d'un tel référendum - devenue, par la suite, un engagement de campagne du parti conservateur lors des élections générales de 2015 12 ( * ) . De même, si de récents sondages semblent indiquer que les sympathisants travaillistes sont majoritairement favorables au maintien du Royaume-Uni dans l'Union européenne, tous les candidats à la tête du Labour s'étaient prononcés, en 2015, en faveur de la tenue d'un référendum. De surcroît, l'opinion et le débat politique sont soumis aux influences de médias dont l'euroscepticisme s'est progressivement accru depuis l'adhésion britannique à la Communauté économique européenne en 1973 13 ( * ) .

Dès lors, la perspective d'une sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne est loin d'être théorique. Or, les incertitudes sont nombreuses quant à ce qui pourrait ressortir d'un éventuel « Brexit ». Compte tenu de l'ampleur d'un tel évènement, la situation politique extérieure et intérieure du Royaume-Uni pourrait s'en trouver affectée, en particulier pour ce qui est de ses relations avec les pays membres du Commonwealth, susceptibles de voir l'appartenance à cette organisation comme un moyen d'accéder plus aisément au marché européen grâce à l'intermédiaire britannique, voire avec certaines de ses nations constitutives, comme l'Écosse, aux velléités indépendantistes prononcées, ou l'Irlande du Nord, qui figure parmi les premières régions bénéficiaires des fonds européens et reste marquée par un conflit politique dont la violence ne s'est atténuée que récemment.

Par ailleurs, un « Brexit » aurait d'importantes conséquences économiques et budgétaires, et ce aussi bien pour le Royaume-Uni lui-même que pour les autres États européens. Aussi, ce sont spécifiquement ces conséquences que le présent rapport cherche à appréhender, en dépit des contraintes qui pèsent sur un tel exercice. En cela, il vient poursuivre et compléter les travaux récemment menés par notre collègue Fabienne Keller au nom de la commission des affaires européennes du Sénat 14 ( * ) .

De nombreux éléments tendent à indiquer qu'une sortie du Royaume-Uni aurait des incidences économiques négatives. Par suite, il convient de les anticiper et, s'agissant des autres pays européens, comme la France, de déterminer la conduite à tenir afin d'atténuer, pour eux-mêmes, les effets défavorables d'un « Brexit » d'un point de vue aussi bien économique que budgétaire.

Il ne paraît pas illégitime, en effet, que face à l'éventualité d'une séparation entre le Royaume-Uni et l'Union européenne, que l'on pourrait, non sans facétie, également appeler « Brivorce », que les autres États membres s'interrogent sur la répartition des « acquêts », soit des bénéfices nés de l'appartenance britannique à l'Union européenne, notamment en termes d'activité économique.

En tout état de cause, quand bien même les citoyens britanniques feraient le choix de demeurer au sein de l'Union européenne, les effets de l'organisation du référendum continueraient à se faire sentir au cours des années à venir. Au-delà du fait que les débats sur la place du pays dans l'Union devraient perdurer, l'initiative britannique a possiblement contribué au réveil de forces centrifuges qui pourraient venir menacer la cohésion européenne.

Par conséquent, la tenue prochaine du référendum britannique et, plus généralement, les épreuves auxquelles l'Europe doit aujourd'hui faire face, nous invitent à nous rappeler les bienfaits - notamment économiques - de notre appartenance à l'Union européenne et à nous interroger sur les améliorations à apporter à cette dernière, de manière à maintenir vivant le projet européen.

I. LE « BREXIT » : QUELS ENJEUX ÉCONOMIQUES ?

Les conséquences économiques d'un éventuel « Brexit » sont pour le moins difficiles à anticiper tant les incertitudes quant aux modalités d'une sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne sont grandes . Le cadre juridique applicable à un retrait de l'Union, bien que désormais prévu par les traités, n'a encore jamais été éprouvé ; de même, la nature des relations qui prévaudraient entre les États membres et le Royaume-Uni en cas de sortie de ce dernier, notamment en matière d'échanges commerciaux, reste indéterminée.

Dès lors que les facteurs à prendre en compte afin d'appréhender les effets macroéconomiques d'un « Brexit » sont innombrables, les estimations avancées de ceux-ci doivent être accueillies avec la prudence qui s'impose. Pour autant, les travaux s'appliquant à évaluer de tels effets ont le mérite de nous permettre d'approcher les incidences économiques d'une sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne, à défaut de pouvoir les connaître de manière certaine .

Aussi les développements qui suivent s'attachent-ils à présenter les principales études disponibles à ce jour - issues de groupes de réflexion, de la littérature économique, ou encore d'administrations nationales et d'organisations internationales ; à ce titre, il convient de relever que le rapprochement d'un nombre significatif d'études distinctes est de nature à permettre d'atténuer le « biais » politique susceptible de les affecter - que cela soit en faveur ou contre un départ du Royaume-Uni de l'Union.

A. DES MODALITÉS DE SORTIE DE L'UNION ENCORE INDETERMINÉES

Les modalités d'une éventuelle sortie de l'Union européenne du Royaume-Uni demeurent, à ce jour, largement indéterminées . Tout exercice d'évaluation des conséquences économiques d'un éventuel « Brexit » implique, par suite, préalablement de s'interroger sur le cadre juridique qui trouverait à s'appliquer, ainsi que sur les « options » possibles quant aux relations qu'entretiendraient le Royaume-Uni et les États membres.

1. Un cadre juridique pour un éventuel « Brexit » inéprouvé

Dans l'éventualité où les Britanniques feraient le choix de se retirer de l'Union européenne, le cadre juridique susceptible de s'appliquer pourrait être celui posé par l'article 50 du traité sur l'Union européenne (TUE) , qui a été introduit par le traité de Lisbonne entré en vigueur en 2009. Toutefois, les conditions concrètes de cette nouvelle procédure restent encore inconnues, faute d'avoir été jamais éprouvées.

Article 50 du traité sur l'Union européenne

1. Tout État membre peut décider, conformément à ses règles constitutionnelles, de se retirer de l'Union.

2. L'État membre qui décide de se retirer notifie son intention au Conseil européen. À la lumière des orientations du Conseil européen, l'Union négocie et conclut avec cet État un accord fixant les modalités de son retrait, en tenant compte du cadre de ses relations futures avec l'Union. Cet accord est négocié conformément à l'article 218, paragraphe 3, du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne. Il est conclu au nom de l'Union par le Conseil, statuant à la majorité qualifiée, après approbation du Parlement européen.

3. Les traités cessent d'être applicables à l'État concerné à partir de la date d'entrée en vigueur de l'accord de retrait ou, à défaut, deux ans après la notification visée au paragraphe 2, sauf si le Conseil européen, en accord avec l'État membre concerné, décide à l'unanimité de proroger ce délai.

4. Aux fins des paragraphes 2 et 3, le membre du Conseil européen et du Conseil représentant l'État membre qui se retire ne participe ni aux délibérations ni aux décisions du Conseil européen et du Conseil qui le concernent.

La majorité qualifiée se définit conformément à l'article 238, paragraphe 3, point b), du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.

5. Si l'État qui s'est retiré de l'Union demande à adhérer à nouveau, sa demande est soumise à la procédure visée à l'article 49.

Ainsi, le deuxième paragraphe de l'article 50 susmentionné prévoit une procédure, facultative, permettant au Royaume-Uni, après avoir notifié son intention au Conseil européen, de négocier un accord fixant les modalités de son retrait avec l'Union européenne . Si une telle négociation aboutissait, le retrait du pays de l'Union serait effectif à la date d'entrée en vigueur de l'accord - les traités européens cessant de lui être applicables ; dans le cas contraire, le retrait interviendrait de manière automatique deux ans après la notification de l'intention de se retirer - « sauf si le Conseil européen, en accord avec l'État membre concerné, décid[ait] à l'unanimité de proroger ce délai ».

Dès lors, en principe, la décision du Royaume-Uni de quitter l'Union enclencherait un compte à rebours de deux années à l'issue duquel, à défaut de la conclusion d'un accord de retrait, le pays se trouverait dans la situation d'un simple « tiers » à l'égard des autres États membres. Toutefois, une telle hypothèse reste, à bien des égards, théorique ; en effet, compte tenu du degré d'imbrication des économies du Royaume-Uni et du reste de l'Union, il est plus que probable que des mesures transitoires seraient adoptées, et ce quel que soit l'aboutissement de la procédure prévue par l'article 50 du traité sur l'Union européenne. Tout laisse à croire que cette dernière procédure ferait, en cas de « Brexit », l'objet d'une application « constructive » afin de préserver les intérêts de l'ensemble des parties .

Quoi qu'il en soit, au cours de la période consacrée aux négociations, le Royaume-Uni demeurerait un membre à part entière de l'Union européenne - avec les conséquences qui s'y rattachent. L'article 50 prévoit cependant une exception ; les représentants britanniques au sein du Conseil européen et du Conseil de l'Union européenne ne seraient pas en droit de participer aux délibérations et aux décisions concernant leur pays dans le cadre des discussions relatives au retrait.

Par ailleurs, la négociation et la conclusion d'un accord de retrait devraient s'accompagner d' une révision des traités, en vertu de l'article 48 du traité sur l'Union européenne, afin de tirer toutes les conséquences de la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne .

2. Quelles alternatives à l'Union pour le Royaume-Uni ?

Outre le fait que les conditions juridiques concrètes d'un retrait de l'Union européenne restent peu définies, une grande incertitude demeure quant à la nature des relations qu'entretiendraient l'Union et le Royaume-Uni en cas de « Brexit » . À ce jour, de nombreuses options peuvent être envisagées. Parmi les trois principales d'entre elles figurent :

- le rattachement du Royaume-Uni à l'Espace économique européen (EEE) , à l'instar de la Norvège, de l'Islande ou du Liechtenstein ;

- la négociation d'un accord bilatéral entre le Royaume-Uni et l'Union européenne , sur le modèle des accords liant la Suisse, la Turquie, ou encore le Canada à cette dernière ;

- l'absence d'accord spécifique entre le Royaume-Uni et l'Union européenne , les relations commerciales étant, par conséquent, encadrées par les règles de l'Organisation mondiale du commerce (OMC).

L'analyse qui suit s'attache à considérer plus particulièrement, pour chacune de ces alternatives, le degré d'accès au marché unique , donc aux avantages économiques qui s'y rattachent, les obligations qui y sont associées , notamment en termes de contribution au budget de l'Union et d'application de la législation européenne, et le niveau d'influence sur l'environnement juridico-commercial .

a) Un rattachement à l'Espace économique européen

L'Espace économique européen (EEE) rassemble les 28 États de l'Union européenne et trois des quatre pays membres de l'Association européenne de libre-échange (AELE) - à savoir la Suède, l'Islande et le Liechtenstein qui ont, ainsi, accès à de larges pans du marché unique .

Dans l'hypothèse où, à la suite d'un « Brexit », le Royaume-Uni souhaitait rejoindre l'EEE, celui-ci devrait préalablement adhérer à l'AELE et recueillir, à cet effet, l'unanimité des membres de l'Association ; de même, sa candidature devrait, ensuite, être unanimement validée par les membres de l'EEE. Toutefois, il convient de relever, à cet égard, que « les autorités norvégiennes se sont opposées à une possible extension de l'AELE/EEE aux pays d'Europe centrale et orientale durant les années 1990, et ont récemment rejeté les signes d'intérêt des micro-États européens » 15 ( * ) ; si la Norvège paraît plus ouverte à une adhésion des Îles Féroé à l'AELE et à une intégration plus poussée de la Suisse, celle-ci s'est jusqu'à présent montrée inquiète quant à une éventuelle modification de la « dynamique » de l'Association, qui pourrait affecter ses relations avec l'Union européenne .

En tout état de cause, un rattachement à l'EEE offrirait au Royaume-Uni un accès étendu au marché unique . En effet, dans ce cadre, resteraient applicables les libertés de circulation des biens, des services, des capitaux et des personnes - sachant, néanmoins, que les autorités britanniques semblent vouloir davantage contrôler l'entrée des personnes sur leur territoire, comme le montrent les revendications portées au cours des négociations ayant abouti au compromis de février dernier, dont les termes sont examinés infra .

En outre, pour reprendre l'exemple de la Norvège, qui constitue le principal État membre de l'Espace économique européen, l'appartenance à ce dernier permet d' échanger des biens - qu'il s'agisse d'importations ou d'exportations - avec les États membres de l'Union et de l'EEE sans acquitter de droits de douane , à l'exception de certains produits agricoles et de la pêche. De même, elle donne accès au « passeport européen » pour les acteurs financiers , ce qui présente un intérêt tout particulier pour un pays comme le Royaume-Uni, où les services financiers occupent une place prépondérante dans l'activité économique.

Le « passeport européen » pour les services financiers

Le « passeport européen » - aussi appelé « agrément unique » - permet aux établissements de crédit, de paiement, de monnaie électronique, ainsi qu'aux entreprises d'investissement ou d'assurance, d' exercer leurs activités dans tout État membre de l'Union européenne (UE) ou partie à l'accord sur l'Espace économique européen (EEE), dès lors qu'ils ont obtenu un agrément de l'autorité compétente dans leur pays d'origine .

L'usage du « passeport européen » peut se faire par le biais de la libre prestation de service - consistant, pour une entité, à pouvoir offrir des services sur le territoire d'un autre État membre sans y être établie -, ou par celui de la liberté d'établissement - qui correspond à la faculté pour une entreprise d'offrir ses services dans un autre pays à partir d'un établissement permanent.

Source : commission des finances du Sénat

Toutefois, dans la mesure où l'EEE ne constitue pas une union douanière , elle ne permet pas d'éviter les coûts administratifs inhérents aux contrôles douaniers ou encore à l'obtention de certificats attestant de l'origine des produits, qui peuvent, parfois, se révéler supérieurs aux droits de douane eux-mêmes 16 ( * ) . Les États parties à l'EEE sont également exclus des accords commerciaux négociés par l'Union européenne avec des pays tiers - alors que, selon le Trésor britannique 17 ( * ) , après prise en compte des accords en cours de négociation, 80 % des exportations du Royaume-Uni seraient destinées aux États membres ou aux pays avec lesquels l'Union a négocié un accord de libre-échange.

Par ailleurs, l'adhésion à l'Espace économique européen comporte des obligations, comme celle d'apporter une contribution au budget de l'Union européenne , d'un montant de 447 millions d'euros pour la période 2014-2020 dans le cas de la Norvège au titre de sa participation à certains programmes européens (Horizon 2020, Erasmus +, Galileo et Copernic)
- à laquelle s'ajoutent des contributions annuelles de 6 millions d'euros pour la coopération entre le pays et l'Union européenne en matière de justice et d'affaires intérieures et de 25 millions d'euros dans le cadre du programme de coopération territoriale européenne (Interreg). La Norvège contribue aussi aux efforts visant à réduire les disparités économiques et sociales au sein de l'EEE , à hauteur de 388 millions d'euros par an, et ce tout au long de la période 2014-2021.

Enfin, en dépit d'une plus grande souplesse en matière agricole ou encore de pêche, les pays de l'EEE sont tenus d'appliquer l'essentiel des règles de l'Union européenne présentant directement un lien avec le marché unique, ou moins directement, comme dans les domaines environnementaux ou de la politique sociale 18 ( * ) . À titre indicatif, le groupe de réflexion Open Europe a estimé que « 93 des 100 normes les plus coûteuses découlant de la législation de l'Union européenne demeureraient » 19 ( * ) si le Royaume-Uni venait à substituer un rattachement à l'EEE à une pleine appartenance à l'Union.

Or, si l'indépendance « normative » découlant du rattachement à l'EEE est limitée, l'influence exercée par les États concernés sur l'élaboration de la législation de l'Union l'est tout autant , dès lors qu'elle se limite à de simples consultations.

Tableau n° 1 : Aspects économiques des relations possibles entre le Royaume-Uni et l'Union européenne à l'issue d'un « Brexit »

Alternatives à l'Union européenne

Caractéristiques

Espace économique européen (EEE)

(exemple de la Norvège)

Accès au marché unique :

• absence de droits de douane sur les biens, à l'exception de certains produits de l'agriculture et de la pêche

• couverture seulement partielle des activités agricoles et de pêche

• accès au « passeport européen » au titre des services financiers

• absence d'union douanière avec l'UE (coûts administratifs liés aux contrôles douaniers, etc.)

• absence d'accès aux accords commerciaux négociés par l'UE

Obligations :

• application de l'essentiel des règles de l'UE, dont celles relatives aux produits, à la liberté de circulation des personnes, à l'environnement, à l'énergie, au climat et à la politique sociale

• contribution au budget de l'UE/contribution financière à l'atténuation des disparités économiques et sociales au sein de l'EEE

Influence :

• influence limitée sur l'élaboration des règles de l'UE (simples consultations)

Accord bilatéral

Suisse

Accès au marché unique :

• absence de droits de douane sur les biens, à l'exception de certains produits de l'agriculture

• réduction des barrières non tarifaires dans les secteurs couverts par les accords liant la Suisse à l'UE

• couverture limitée des services ; absence d'accès au « passeport européen » au titre des services financiers

• absence d'union douanière avec l'UE (coûts administratifs liés aux contrôles douaniers, etc.)

• absence d'accès aux accords commerciaux négociés par l'UE

Obligations :

• application des règles européennes dans les secteurs couverts par les accords liant la Suisse à l'UE et celles inhérentes à la libre circulation des personnes

• contribution au budget de l'UE/contribution financière à l'atténuation des disparités économiques et sociales avec les nouveaux États membres de l'UE

Influence :

• aucune influence sur l'élaboration des règles de l'UE

Turquie (union douanière)

Accès au marché unique :

• absence de droits de douane sur les biens et les produits agricoles transformés

• barrières non tarifaires limitées sur les biens et les produits agricoles transformés

• absence d'accord spécifique relatif aux services, notamment financiers

• droits de douane communs avec l'UE applicables aux importations de pays tiers

• absence de coûts administratifs liés, notamment, aux contrôles douaniers pour les importations de biens manufacturés

• absence d'accès aux accords commerciaux négociés par l'UE

Obligations :

• obligation d'appliquer des normes équivalentes à celles en vigueur dans l'UE dans les domaines où il existe un accès au marché unique

• absence de contribution au budget de l'UE

Influence :

• aucune influence sur l'élaboration des règles de l'UE

Canada

Accès au marché unique :

• absence de droits de douane sur les biens, à l'exclusion de certains produits de l'agriculture et suppression progressive des droits de douane dans certains secteurs clefs, comme celui de l'automobile

• libéralisation partielle des services ; absence d'accès au « passeport européen » au titre des services financiers

• absence d'union douanière avec l'UE (coûts administratifs liés aux contrôles douaniers, etc.)

• absence d'accès aux accords commerciaux négociés par l'UE

Obligations :

• obligation de respecter les normes européennes pour les produits importés

• absence de contribution au budget de l'UE

Influence :

• aucune influence sur l'élaboration des règles de l'UE

Organisation mondiale du commerce

Accès au marché unique :

• application de droits de douane sur les importations

• absence d'accès au « passeport européen » au titre des services financiers

• absence d'union douanière avec l'UE (coûts administratifs liés aux contrôles douaniers, etc.)

• absence d'accès aux accords commerciaux négociés par l'UE

Obligations :

• obligation de respecter les standards européens pour les produits importés

• absence de contribution au budget de l'UE

Influence :

• aucune influence sur l'élaboration des règles de l'UE

Source : commission des finances du Sénat

b) La négociation d'un accord entre le Royaume-Uni et l'Union européenne

Les contours et le contenu possibles d'un accord bilatéral entre le Royaume-Uni et l'Union européenne sont particulièrement difficiles à appréhender dans la mesure où il n'est pas possible de préjuger de l'issue d'éventuelles négociations. Toutefois, à titre indicatif, il est possible de se référer aux accords liant actuellement l'Union à la Suisse, à la Turquie, ou encore au Canada .

(1) La Suisse : un dense réseau d'accords avec l'Union européenne

La Suisse constitue, sans doute, le pays tiers avec lequel l'Union entretient la relation bilatérale la plus complète et complexe 20 ( * ) , dès lors qu'en sus de l'accord de libre-échange (ALE) signé en 1972 existent près de 120 accords bilatéraux d'ouverture des marchés. Ainsi, à l'exception de certains produits agricoles, les biens circulent entre la Suisse et les États membres en franchise de douane. De même, les accords applicables tendent à réduire les barrières non tarifaires dans les secteurs couverts.

Les services ne sont, quant à eux, que partiellement couverts par les accords commerciaux helvético-européens , en particulier dans le domaine financier où seul existe un accord relatif à l'assurance non-vie. Aussi les établissements financiers suisses n'ont-ils pas accès au « passeport européen ».

Pas plus que l'EEE, le réseau d'accords liant la Suisse à l'Union européenne ne constitue une union douanière , ce qui implique que les échanges commerciaux soient également soumis aux coûts administratifs précités (contrôles douaniers, démarches administratives, etc.). En outre, la Suisse ne bénéficie pas des accords commerciaux négociés par l'Union européenne avec des pays tiers .

Il convient de souligner qu'en vertu des accords entre l'Union européenne et la Suisse, cette dernière doit appliquer la libre circulation des personnes . Par ailleurs, la Suisse est tenue de se conformer aux règles européennes applicables dans les secteurs couverts par les accords - sans pour autant avoir aucune influence sur l'élaboration des règles européennes. En contrepartie de son accès au marché unique, la République helvétique contribue au budget de l'Union européenne et apporte une contribution financière à l'atténuation des disparités économiques et sociales avec les nouveaux États membres .

(2) La Turquie : une union douanière avec l'Union européenne

Depuis 1995, la Turquie forme avec l'Union européenne une union douanière . Dans ce cadre, les échanges portant sur les biens et les produits agricoles transformés ne font pas l'objet de droits de douane ; par ailleurs, du fait de l'existence de l'union douanière, ceux-ci donnent lieu à des coûts administratifs limités lors du passage des frontières. Les services ne sont pas couverts par l'accord turco-européen.

En outre, la Turquie se doit d' aligner ses droits de douane vis-à-vis des pays tiers sur ceux appliqués par l'Union européenne ; ainsi, tout accord commercial conclu par l'Union avec ces pays prévoyant une réduction des droits douane s'impose à la Turquie. Pour autant, cette dernière ne bénéficie pas des accords commerciaux négociés par l'Union européenne avec des États tiers .

Dans les secteurs où la Turquie bénéficie d'un accès au marché unique, celle-ci doit appliquer des normes équivalentes à celles en vigueur dans l'Union européenne sans pouvoir influer sur leur élaboration . De même, les entreprises souhaitant exporter leurs produits dans l'Union doivent se conformer aux standards européens. Toutefois, à la différence des pays membres de l'EEE et de la Suisse, la Turquie n'est pas tenue de contribuer au budget de l'Union européenne , mais reçoit des aides financières de cette dernière, notamment au titre de l'Instrument d'aide de préadhésion (IAP).

(3) Le Canada : un accord de libre-échange

Le Canada a conclu, en septembre 2014, un accord de libre-échange avec l'Union européenne - dit accord économique et commercial global (AECG) ; celui-ci devrait être ratifié au cours de l'année 2017 et prévoit une entrée en vigueur progressive. Selon les termes de cet accord, les produits canadiens pourront accéder à l'Union européenne sans droits de douane. Toutefois, sont prévues des exclusions permanentes, pour certains produits agricoles ; en outre, les droits de douane ne seront supprimés que progressivement, sur une période de sept années, dans certains secteurs clefs comme celui de l'automobile.

S'il couvre les services, l'AECG n'ouvrira pas l'accès au « passeport européen » aux sociétés financières canadiennes . Par ailleurs, ne prévoyant pas d'union douanière, celui-ci ne fera pas disparaître les coûts administratifs susmentionnés liés au passage des frontières. De même, il n'étendra pas au Canada le bénéfice des accords commerciaux négociés par l'Union européenne avec des pays tiers.

L'AECG ne prévoit pas de contribution au budget de l'Union et les entreprises canadiennes seront seulement tenues de respecter les standards européens pour les produits exportés dans les États membres. Bien évidemment, le Canada n'aura aucune influence sur l'élaboration de la législation de l'Union européenne.

(4) Quel accord bilatéral pour le Royaume-Uni ?

Il paraît peu probable qu'aucune des relations bilatérales existantes - pas plus, d'ailleurs, qu'un rattachement à l'EEE - convienne véritablement au Royaume-Uni , en raison de l'insuffisance de l'accès au marché unique ou de l'influence exercée sur le cadre juridico-commercial, en particulier lorsque celle-ci est mise en regard des obligations inhérentes à chaque option (contribution au budget de l'Union européenne, application de la législation européenne, etc.). Dans ces conditions, tout porte à croire que le Royaume-Uni, en cas de sortie de l'Union européenne, serait davantage enclin à négocier un accord bilatéral plus avantageux avec cette dernière .

Toutefois, comme cela était indiqué précédemment, il est impossible de prévoir les termes d'un tel accord. Pour autant, il n'est pas sans intérêt de s'interroger sur des questions aussi importantes que celle du périmètre possible de cet accord ; à cet égard, le groupe de réflexion Open Europe 21 ( * ) a proposé une analyse reposant sur la logique du « déficit commercial » , selon laquelle les secteurs dans lesquels le Royaume-Uni affiche un déficit commercial feront plus probablement l'objet d'un accord permettant un accès au marché unique dans des conditions similaires à celles applicables actuellement.

Tableau n° 2 : Probabilité d'un accord entre le Royaume-Uni et l'Union européenne selon les secteurs à l'aune de la logique du « déficit commercial »

Secteurs

% exportés dans l'UE

Balance commerciale avec l'UE
(en Md de livres)

Risques de perturbations

Probabilité d'un accès similaire à l'UE

Biens

Automobiles

35,0

- 13,95

Élevé

Élevé

Chimie

56,6

- 7,82

Élevé

Moyen/Élevé

Aéronautique

44,6

2,56

Élevé

Élevé

Machines-outils

30,7

- 5,47

Moyen

Élevé

Aliments, boissons et tabac

60,5

- 16,56

Élevé

Moyen/Élevé

Services

Services financiers

41,4

16,06

Élevé

Faible

Assurances

18,4

3,85

Moyen

Moyen

Services professionnels

29,8

- 1,92

Moyen

Moyen

Source : Open Europe (2015)

Suivant la logique proposée par Open Europe, la quasi-totalité des secteurs économiques seraient perturbés par un éventuel « Brexit » ; pour autant, la majorité d'entre eux seraient susceptibles de bénéficier d'un accès au marché unique similaire à celui existant actuellement , dès lors qu'ils présentent un large déficit commercial, comme celui de l'automobile, ou parce qu'ils s'inscrivent dans un système d'interdépendances au niveau européen, à l'instar du secteur aéronautique.

À l'inverse, la probabilité d'un accord préservant les conditions d'accès du secteur financier à l'Union semble faible , compte tenu de l'excédent affiché par le Royaume-Uni. Ceci est à mettre en perspective avec le fait que le « passeport européen » n'a été ouvert à aucun pays tiers dans le cadre d'accords bilatéraux. En outre, Open Europe juge « moyenne » la probabilité d'un accord dans les secteurs des assurances et des services professionnels.

S'agissant d'une éventuelle contribution au budget de l'Union ou de l'application de la législation européenne, il est difficile d'aller au-delà des simples conjectures . Malgré tout, il paraît difficilement envisageable que le maintien d'une intégration élevée du Royaume-Uni au marché unique puisse se faire sans qu'une contribution financière ne soit demandée à ce dernier, à l'exemple de la Suisse ou de la Norvège. De même, la cohérence d'un espace économique formé par l'Union européenne et le Royaume-Uni semble impliquer une certaine uniformité des règles applicables , donc la transposition par les autorités britanniques d'une part importante des règles relatives au marché unique ; cependant, la participation d'un État extérieur à l'Union à l'élaboration de la législation européenne constituerait une situation tout à fait inédite qui interrogerait d'un point de vue institutionnel.

Tableau n° 3 : Durée de négociation d'un accord de libre-échange (exemples)

Négociation

Durée

UE - Corée du Sud

4 années

UE - Mexique

4 années

UE - Australie

3 années

UE - Canada

5 années (non encore entré en vigueur)

UE - Suisse

10 années

Source : OCDE (2016)

Quoi qu'il en soit, il convient de relever que la durée de négociation d'un accord bilatéral entre le Royaume-Uni et l'Union européenne serait nécessairement longue - ce qui signifie que l'incertitude entourant la nature des relations britannico-européennes aurait vocation à perdurer bien après le référendum sur le « Brexit ». En effet, si l'on s'en réfère à la durée constatée de négociation des accords de libre-échange auxquels l'Union est partie, la durée minimale est de trois années - comme pour l'accord entre l'Union et l'Australie -, même si les autres exemples rappelés par l'OCDE et repris dans le tableau ci-avant montrent que cette durée pourrait être plus longue encore, en particulier eu égard à la complexité de la négociation d'un accord entre le Royaume-Uni et l'Union européenne.

c) L'application des seules règles de l'Organisation mondiale du commerce

Pour finir, la dernière option, qui représenterait, à bien des égards, l'alternative « par défaut », consisterait à ce que les relations commerciales entre le Royaume-Uni et l'Union européenne soient régies par les seules règles de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) .

Dans ce cadre , les exportations britanniques vers les États membres feraient l'objet de droits de douane , la seule condition étant que ceux-ci soient aussi « avantageux » que ceux pratiqués par l'Union vis-à-vis du pays tiers ayant la situation la plus favorable, conformément à la clause dite de « la nation la plus favorisée » (« clause NPF »). Par ailleurs, les échanges seraient soumis à des coûts administratifs douaniers inhérents au franchissement des frontières . Pas plus qu'en vertu des accords bilatéraux les sociétés financières britanniques ne pourraient bénéficier du « passeport européen ». Toutefois, le Royaume-Uni ne serait pas tenu d'appliquer la législation européenne, la seule exigence étant que les produits exportés vers le marché unique respectent les standards européens.

3. Quelle place pour le Royaume-Uni en cas de maintien ?

Il convient également de se demander quelle serait la place du Royaume-Uni dans l'Union européenne si les Britanniques décidaient le maintien de leur pays au sein de cette dernière . En effet, en février dernier, les autorités britanniques sont parvenues à un « compromis » avec les autres États membres relativement à la situation du Royaume-Uni dans l'Union. Cependant, avant de rappeler les termes de cet accord, il convient de revenir sur la spécificité de l'appartenance du Royaume-Uni à l'Union, faite de nombreuses exceptions et exemptions .

En effet, si le Royaume-Uni participe pleinement au marché unique, il n'appartient pas à la zone euro ; d'ailleurs, alors qu'a été négociée une clause d'exemption concernant l'obligation d'adopter la monnaie unique dans le traité de Maastricht, le « European Act » de 2011 impose l'adoption d'une loi par le Parlement ainsi que la tenue d'un référendum avant que le pays puisse rejoindre la zone euro. En outre, étant hors de la zone euro, le Royaume-Uni a refusé de participer à des initiatives telles que le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG) - aussi appelé « Pacte budgétaire européen » -, l'Union bancaire, ou encore le « pacte pour l'euro plus ».

Par ailleurs, le Royaume-Uni n'est pas partie à la convention de Schengen établissant un espace de libre-circulation et, en vertu des traités, n'est pas tenu de participer aux politiques menées en matière de justice et d'affaires intérieures. De même, lors de la négociation du traité de Lisbonne, signé en 2007, le Royaume-Uni est parvenu à obtenir de nombreuses dérogations , qui avaient été examinées en détail par la commission des affaires étrangères du Sénat 22 ( * ) ; en particulier, il est exonéré des obligations liées à l'espace de liberté, de sécurité et de justice et la Charte des droits fondamentaux ne peut lui être opposée.

Graphique n° 4 : Les différents espaces de coopération et d'intégration européens

Source : commission des finances du Sénat (à partir des travaux du Trésor britannique, 2016)

Ainsi le Royaume-Uni occupe-t-il une place « à part » au sein de l'Union européenne , comme que le fait apparaître le graphique ci-avant. Or, les négociations intervenues au cours des derniers mois à l'initiative des autorités britanniques révèlent une volonté d'aller plus avant dans cette logique. À la suite d'une « revue de partage des compétences », qui a fait l'objet d'une analyse approfondie de notre collègue Fabienne Keller au nom de la commission des affaires européennes 23 ( * ) , le gouvernement britannique a adressé au président du Conseil européen, Donald Tusk, le 9 novembre 2015, « une lettre faisant état des réformes que le Royaume-Uni appelait de ses voeux et voulait voir se réaliser avant de confirmer son appartenance à l'Union » 24 ( * ) . Ces exigences ont constitué la base des discussions entre le Royaume-Uni et les autres États membres ayant abouti au compromis du mois de février dernier. Aussi, lors du Conseil européen des 18 et 19 février 2016 ont notamment été convenus les éléments suivants, qui doivent servir de lignes directrices à une réforme de long terme de l'Union européenne :

- en matière de gouvernance économique , des garanties ont été obtenues afin d'éviter que les États membres de la zone euro puissent établir des obstacles discriminatoires à l'égard des pays non-membres, toute différence de traitement devant être fondée sur des « raisons objectives » ; de même, ces derniers ne peuvent être appelés à participer aux mesures visant à sauvegarder la stabilité financière de la zone euro et demeurent compétents en matière de supervision, de régulation et de résolution de leur secteur financier ;

- concernant la compétitivité , les autorités britanniques ont obtenu l'engagement que serait engagé un « ambitieux » programme de réformes économiques, afin de « laisser s'exprimer pleinement le potentiel du marché unique et créer de la croissance et des emplois » 25 ( * ) , comprenant notamment une simplification normative, une réduction des charges administratives, en particulier pour les PME, et la poursuite d'une politique commerciale active ;

- s'agissant de la souveraineté , le Royaume-Uni a reçu l'assurance que les traités européens seraient modifiés afin d'être tenu à l'écart du principe selon lequel l'Europe constitue une « union sans cesse plus étroite » et obtenu l'établissement d'un mécanisme de « carton rouge » permettant à des parlements nationaux représentant une majorité qualifiée de 55 % des voix de s'opposer, dans certaines conditions, à un projet de règle européenne, ainsi qu'un renforcement du principe de subsidiarité ;

- pour ce qui est de l'immigration , les autorités britanniques ont acquis la création d'un « mécanisme de sauvegarde » permettant de limiter, de manière « graduée », les prestations sociales liées à l'emploi non contributives accordées aux travailleurs de l'Union nouvellement arrivés, et ce pendant quatre années au plus après le début de leur emploi.


* 1 Selon les termes du « European Union Referendum Act » du 17 décembre 2015, les citoyens britanniques seront amenés à se prononcer sur la question suivante : « Le Royaume-Uni doit-il rester membre de l'Union européenne ou quitter l'Union européenne ? » (« Should the United Kingdom remain a member of the European Union or leave the European Union? »).

* 2 Labour Party, Britain will win with the Labour: Labour Party manifesto , octobre 1974 [traduction de la commission des finances du Sénat].

* 3 Selon les données publiées par la Commission européenne, le déficit de transposition des directives relatives au marché unique au cours de la période 2013-2014 n'était que de 0,3 % au Royaume-Uni, contre une moyenne de 0,7 % au sein de l'Union européenne (cf. Commission européenne, Le tableau d'affichage du marché unique. Transposition , 2014).

* 4 Commission européenne, Eurobaromètre Standard 83 - Printemps 2015. L'opinion publique dans l'Union européenne , juillet 2015.

* 5 C. Grant, « Why is Britain eurosceptic? », Centre for European Reform Essays, 2008.

* 6 V. Pertusot, « Brexit : les risques du référendum », Politique étrangère , 2016/1, p. 135-147.

* 7 B. Wellings, « European Integration and the End of an Imperial Consciousness in Britain », Australian Journal of Politics and History , vol. 60, n° 1, 2014, p. 95 [traduction de la commission des finances du Sénat].

* 8 V. Pertusot, op. cit.

* 9 A. Lamassoure, « Europe : le cas du patient anglais », Politique étrangère , 2015/1, p. 63.

* 10 Ibid. , p. 65.

* 11 V. Pertusot, op. cit.

* 12 Conservative Party, The Conservative Party Manifesto 2015 , avril 2015, p. 72-73.

* 13 O. Daddow, « The UK media and `Europe': from permissive consensus to destructive dissent », International Affairs , vol. 88, n° 6, 2012, p. 1219-1236.

* 14 Rapport d'information n° 347 (2015-2016) sur les demandes de réforme de l'Union européenne présentées par le Royaume-Uni fait par Fabienne Keller au nom de la commission des affaires européennes du Sénat, janvier 2016.

* 15 Comité norvégien de l'EEE, « Chapter 13 - Other parties' views on Norway's agreements with the EU ». In Outside and Inside. Norway's agreements with the European Union , 2012 [traduction de la commission des finances du Sénat].

* 16 Ainsi que le relève ultérieurement le présent rapport, les coûts administratifs inhérents au franchissement des frontières, notamment en raison de l'application des « règles du pays d'origine », peuvent représenter jusqu'à 24 % de la valeur des biens échangés (cf. E. Moïsé et F. Le Bris, « Trade Costs - What Have We Learned ? », OECD Trade Policy Papers, n° 150, 2013).

* 17 HM Government, HM Treasury analysis: the long-term economic impact of the EU membership and the alternatives , Londres, avril 2016.

* 18 L'accord relatif à l'Espace économique européen (EEE) présente la particularité d'être mis à jour, et ce continuellement, par l'incorporation des nouveaux actes de l'Union européenne.

* 19 Open Europe, What would a `Norway-style' relationship with the EU entail? , 28 octobre 2015 [traduction de la commission des finances du Sénat].

* 20 La Suisse est également membre de l'Association européenne de libre-échange (AELE) sans, toutefois, appartenir à l'Espace économique européen (EEE), à la différence de la Norvège, de l'Islande et du Liechtenstein.

* 21 Open Europe, « What if...? The Consequences, challenges & opportunities facing Britain outside EU », Report 03/2015, mars 2015.

* 22 Rapport d'information n° 188 (2007-2008) sur le traité de Lisbonne fait par Jean François-Poncet au nom de la commission des affaires étrangères du Sénat, janvier 2008.

* 23 Rapport d'information n° 420 (2014-2015) sur la place du Royaume-Uni dans l'Union européenne fait par Fabienne Keller au nom de la commission des affaires européennes du Sénat, avril 2015.

* 24 Rapport d'information n° 347 (2015-2016), op. cit. , p. 9.

* 25 HM Government, op. cit. , p. 22 [traduction de la commission des finances du Sénat].

Page mise à jour le

Partager cette page