C. POUR UNE VÉRITABLE STRATÉGIE DE DÉVELOPPEMEN T AU SAHEL

Les propositions de vos rapporteurs s'articulent autour de trois axes : l'établissement d'une stratégie unifiée et d'axes d'intervention clairs pour notre politique d'aide au développement ; une réforme de la gouvernance du secteur de l'aide publique au développement dans notre pays ; enfin une clarification et une mise en oeuvre plus efficace de l' « approche globale ».

1. Remettre le Sahel au coeur de notre stratégie d'aide au développement

Afin de ne plus avoir à réagir au coup par coup aux crises sécuritaires et humanitaires, il semble tout d'abord nécessaire de se projeter à long terme pour envisager ce que pourrait être le Sahel de l'avenir s'il parvenait à se développer.

Tout d'abord, le développement du Sahel ne doit pas être pensé sans celui de l'ensemble de l'Afrique de l'Ouest et du Maghreb . Les migrations vers les pays du Golfe de Guinée et vers l'Afrique du Nord, la croissance des grandes métropoles ouest-africaines, le commerce transsaharien constituent le cadre naturel de ce développement. Les flux de trafics deviendraient ainsi des flux commerciaux, participant à l'enrichissement de toute la région.

La coopération avec les pays européens pour mieux encadrer les phénomènes migratoires et les faire participer davantage au développement est également un impératif. La révision pour 2016 de la stratégie saharo-sahélienne de la France prend désormais en compte ces aspects puisqu'elle prévoit « le renforcement de l'intégration des flux économiques et humains entre nord et sud du Sahara pour tirer celui-ci de sa marginalisation », préconise une connexion entre Maghreb et Sahel et estime que « sur de nombreux sujets, la verticale Afrique/Maghreb/Europe est le seul cadre cohérent ».

Parallèlement, les pays du Sahel pourraient s'intégrer dans l'économie mondiale en s'appuyant sur des points forts enfin mis en valeur : secteur minier exploité de manière durable au bénéfice des populations ; agriculture à la productivité améliorée fournissant un coton d'excellente qualité à l'export ainsi que des textiles transformés au sein même des pays producteurs ; percée dans le domaine des énergies renouvelables, en particulier dans le secteur de l'énergie solaire ; intégration progressive du secteur informel à l'économie légale et création de multiples PME capables d'employer une partie significative de la jeunesse, etc.

Il est également indispensable de tenir un discours cohérent sur les relations de notre pays avec les pays du Sahel .

La réforme de l'aide au développement de 1998, qui était pensée pour mettre fin à la « Françafrique », était indispensable. Cependant, le contexte a changé. Aujourd'hui les États-Unis sont le premier bailleur de la région et la Chine et les grands émergents multiplient les partenariats avec les pays africains. Pendant ce temps, la France consacre plus d'un demi-milliard d'euros par an en opérations militaires indispensables mais sans aucune retombée immédiate en matière de développement et qui risquent même parfois, après l'euphorie des premiers temps qui ont suivi l'intervention au Mali, de rendre notre pays impopulaire.

Par ailleurs, cette question ne diffère pas de celle plus générale des relations de la France avec l'Afrique, à laquelle nos collègues Jeanny Lorgeoux et Jean-Marie Bockel ont tenté de répondre dans leur rapport l' « Afrique est notre avenir », et dont nous reprendrons ici quelques conclusions.

Nos collègues proposent ainsi de définir cette relation non comme un héritage du passé colonial, mais en fonction des paramètres qui la façonnent aujourd'hui en insistant sur le fait que la France est liée à l'Afrique :

- parce que des millions de Français sont d'origine africaine, ou vivent ou ont vécu en Afrique ;

- parce que la France a des intérêts économiques et stratégiques en Afrique et qu'elle regarde ce continent en essor comme un réservoir de croissance ;

- parce que l'Afrique, notamment le Sahel, représente un enjeu pour la sécurité nationale de la France (trafic de personnes, trafic de drogue, terrorisme...) ;

- parce que la France est garante de la stabilité monétaire des quinze Etats africains appartenant à la zone franc ;

- parce que nous avons un intérêt partagé à un développement durable et harmonieux de l'Afrique.

Et de conclure : « Notre discours sur l'Afrique doit faire sa part à l'Afrique qui décolle. Nous en avons décrit ici les nombreux enjeux politiques, économiques, commerciaux, environnementaux et culturels. (...) Assumer nos intérêts, s'orienter vers l'avenir, miser sur notre expertise de l'Afrique : voilà les orientations que nous proposons pour structurer un nouveau récit sur notre relation à l'Afrique ».

Pour concrétiser ces orientations et mobiliser les énergies autour de leur mise en oeuvre, il serait judicieux d'élaborer une stratégie Sahel unique , là où il en existe plus d'une quinzaine actuellement. Comment justifier qu'il y ait une stratégie de la France, une stratégie (appelée « plan d'action pour un engagement renouvelé ») de l'AFD, une stratégie de l'Union européenne, une stratégie du l'ONU, etc ? La stratégie de l'Union européenne, fortement influencée par la stratégie saharo-sahélienne française qui a le privilège de l'ancienneté (2008), pourrait servir de base pour l'établissement d'une stratégie unique entre les principaux acteurs de la politique étrangère, de l'aide au développement et plus généralement de l'approche globale au Sahel. Cette stratégie serait ensuite déclinée au niveau national avec une répartition des actions à mener entre les bailleurs, sur le modèle des programmations conjointes de l'Union européenne.

Ensuite, cette stratégie devrait être discutée avec chacun des pays partenaires de notre aide. Ce n'est que si nous rencontrons en face de nous une forte volonté politique, une véritable vision du développement, garante de la bonne appropriation de notre aide, que nous pourrons décliner notre stratégie en programmes et projets.

Proposition n°1 : Remettre le Sahel au coeur de notre stratégie d'aide au développement et de notre politique étrangère.

Proposition n°2 : Élaborer une stratégie Sahel unique et partagée.

Afin de manifester cette priorité accordée au Sahel, il est ensuite nécessaire de doubler l'enveloppe des subventions à destination des pays pauvres prioritaires, dont tous les pays du Sahel font partie, en passant de 230 à 460 millions d'euros de subventions .

Sans une telle augmentation, nos interventions se réduisent à un « saupoudrage » de quelques millions d'euros par pays. Cette dispersion des moyens ne nous permet ni d'orienter le développement de ceux-ci dans un sens conforme à nos valeurs et à nos objectifs, ni de peser dans les instances multilatérales. Il nous place dans une position de faiblesse par rapport à nos partenaires et concurrents (Royaume-Uni, Allemagne, États-Unis...), quels que puisse être par ailleurs l'importance de notre volume de nos prêts. Ce constat est unanime ; il a été fait maintes fois par des parlementaires des deux assemblées.

Afin de dégager les fonds nécessaires à cet objectif de doublement des subventions bilatérales, il serait judicieux de revoir à la baisse certaines de nos contributions multilatérales.

Proposition n°3 : Doubler l'enveloppe des subventions à destination des pays pauvres prioritaires, en passant d'environ 228 millions d'euros à environ 460 millions d'euros.

En outre, il nous faut impérativement revoir les priorités sectorielles de notre aide publique au développement .

Malheureusement, au Sahel, quasiment tout est prioritaire ! Tout doit progresser de concert s'il on veut espérer un progrès global. Néanmoins, les observateurs les plus qualifiés font observer que certains secteurs-clés sont délaissés , et pas toujours pour de bonnes raisons.

Il en est ainsi en premier lieu des interventions visant à obtenir une maîtrise de la croissance démographique . Si l'AFD a désormais placé ce sujet au coeur de ses préoccupations, le plan d'action de l'agence pour le Sahel ne prévoit pourtant que des interventions indirectes, par exemple, outre les interventions sur la santé maternelle et infantile, des travaux anthropologiques sur les représentations qui font qu'il existe toujours une préférence pour les familles très nombreuses, ou encore des interventions sur la scolarisation des adolescentes. En effet, deux obstacles principaux empêchent l'agence d'aller plus loin dans ce domaine :

- le manque de ressources en subventions déjà évoqué, subventions que vos rapporteurs proposent donc de doubler ;

- l'absence de volonté des autorités nationales des pays partenaires. C'est là le point le plus problématique. Interrogé sur ce point lors du déplacement de vos rapporteurs à Bamako, le Premier ministre du Mali, a été très clair : selon lui, il n'y a de richesses que d'hommes. L'obstacle est donc considérable.

Notons que le plan d'action de l'Union européenne pour 2015-2020 prévoit qu'« Une réflexion spécifique pourrait également être lancée sur l'enjeu démographique, le but étant de savoir comment mieux y faire face. La question de la démographie devrait être intégrée progressivement, et de manière plus systématique, dans le dialogue politique avec les pays bénéficiaires ».

En tout état de cause, si cette opposition au plus haut niveau est regrettable, il est délicat de heurter de front les conceptions qui la sous-tendent. En revanche, il serait pertinent de soutenir au maximum les initiatives de certains éléments de la société civile, qui parviennent à faire évoluer très progressivement les mentalités, y compris chez certaines autorités religieuses. Il est également impératif de poursuivre le dialogue institutionnel ouest-africain sur ce sujet, notamment à travers le partenariat de Ouagadougou.

En outre, la contribution française au Fonds des Nations unies pour la population (FNUAP), qui intervient principalement sur ce sujet, apparaît extrêmement faible : environ 550 000 euros par an pour les ressources ordinaires, soit 1 % de celle des Pays-Bas ! Il faut donc impérativement revoir cette contribution à la hausse si nous voulons crédibiliser notre action dans ce domaine.

La question de l'éducation est également centrale . Au Mali en particulier, la situation est décourageante, malgré une dépense budgétaire aujourd'hui massive (31 % du budget de l'Etat). Il est vrai que les partenaires techniques et financiers ont ici une responsabilité non négligeable, les programmes d'ajustement structurel des années 80-90 ayant engendré le départ massif d'enseignants qualifiés à la retraite par anticipation, provoquant une rupture des équilibres.

Il est donc nécessaire de fournir des efforts considérables pour l'éducation, en particulier pour renforcer l'éducation de base , confrontée à l'arrivée de classes d'âge de plus en plus nombreuses du fait de la croissance démographique rapide.

Malheureusement, en particulier au Mali, les bailleurs n'ont pour l'instant aucune assurance que leurs apports financiers dans l'éducation seront utilisés de manière pertinente et efficace, c'est pourquoi, malgré le caractère prioritaire de ce secteur, il convient d'agir avec une grande prudence en ciblant les pays et les régions où l'aide est susceptible d'avoir un véritable impact.

Troisième secteur délaissé par les bailleurs depuis plusieurs années, l'agriculture est passée de 15 % à 7 % environ des financements de l'aide au développement au cours des quinze dernières années . Outre les possibilités inexploitées de l'agriculture irriguée, le pastoralisme sahélien est quasiment en friche, alors que le potentiel est très important. Dans son ouvrage « Africanistan », Serge Michaïlof appelle ainsi à un véritable « plan Marshall » pour l'agriculture sahélienne. Dans ce domaine, nos financements nationaux seront insuffisants. Il est donc nécessaire de plaider, au sein des organisations internationales, pour remettre en tête des priorités la construction d'une agriculture solide, et au-delà d'une économie agricole rentable et productive, capable d'employer une partie significative de la jeunesse.

En outre, l'absence d'effet d'entraînement de notre aide sur le secteur productif et sur les petites entreprises doit être corrigée . Cette question est étroitement liée à celle de l'emploi des jeunes. L'AFD l'a heureusement placée parmi ses priorités, avec le renforcement des institutions de micro et méso-finances, des crédits bonifiés aux banques locales, la promotion de la garantie ARIZ auprès des PME.

Enfin, il convient de noter qu'après trois années actives en la matière, la France, via l'AFD, ne dispose plus d'outil d'aide budgétaire « vivant » au Mali. Il serait pourtant utile que la France puisse apporter un appui budgétaire même limité (de l'ordre de 5 millions d'euros de subvention par an) au Mali afin de mieux participer aux discussions en matière d'élaboration du budget de l'Etat et de gestion des finances publiques.

Proposition n°4 : revoir les priorités sectorielles de notre aide : placer la démographie, l'éducation, l'agriculture et le développement économique au centre de nos préoccupations et plaider pour leur remise au premier plan au sein des institutions multilatérales. Augmenter la contribution française au fonds des Nations unies pour la population (FNUAP) ainsi qu'au partenariat mondial de l'éducation et allouer un soutien financier en faveur de projets qui visent spécifiquement à l'autonomisation des femmes. Préserver un outil d'aide budgétaire pour renforcer le dialogue sur les finances publiques.

Par ailleurs, deux évolutions plus transversales nous semblent indispensables.

Premièrement, notre aide au développement doit davantage s'appuyer sur la société civile, dans notre pays aussi bien que dans les pays partenaires, et se connecter davantage à la jeunesse . La participation accrue des organisations de la société civile (OSC) est une recommandation déjà ancienne mais qui peine à être mise en oeuvre, comme l'a montrée la récente évaluation par le ministre des affaires étrangères des Contrats de désendettement et de développement (C2D).

En la matière, la responsabilité est partagée : la participation des OSC est certes encore insuffisamment ancrée dans les habitudes des bailleurs, mais il est également difficile d'identifier les OSC capables de participer aux projets de développement dans les pays partenaires. Il est également nécessaire d'élaborer une doctrine vis-à-vis des OSC confessionnelles , dont le rôle de plus en plus important dans la société des pays du Sahel ne peut être simplement ignoré.

Enfin, le « réengagement » des jeunes dans la société constitue une autre orientation transversale pour répondre à un sentiment de déclassement et d'exclusion, facteur de radicalisation politique ou religieuse.

Proposition n°5 : « connecter » davantage notre aide au développement et notre diplomatie à la société civile et à la jeunesse, en travaillant notamment davantage à l'identification des ONG relais capables de mettre les projets en oeuvre, en coopérant avec les autres organisations de la société civile (OSC) et en fixant un objectif transversal de « réengagement » des jeunes dans la société.

Il apparait en outre indispensable de tenir un discours clair sur la mauvaise gouvernance et de soutenir toutes les initiatives dans ce domaine .

La montée en puissance des mouvements citoyens dans la région et l'immédiateté de la communication permise par les nouvelles technologies, ainsi que l'urbanisation croissante, rendent les contestations citoyennes beaucoup plus fortes et plus efficaces que par le passé. Les sondages d'opinion montrent que la demande de davantage de justice est extrêmement pressante parmi les populations, notamment dans les zones du nord du Sahel où l'Etat a été peu présent jusqu'à aujourd'hui. Il est dès lors impératif de prendre des positions aussi claires que possible contre la corruption et la mauvaise gouvernance, et en faveur d'une justice indépendante et efficace .

Ce constat vaut particulièrement pour le Mali, où l'Etat doit repartir de zéro pour construire sa légitimité dans le nord du pays. Comment pourrait-il y réussir s'il reste considéré par certains habitants, comme vos rapporteurs ont pu le constater sur place, comme adoptant parfois des comportements de « prédation » ? Notre pays doit, plus que jamais, faire très attention à ne pas être associé aux mauvaises pratiques qui perdurent dans ce domaine, car c'est notre image, et, pour l'heure, celle de notre armée, qui risquent d'en souffrir rapidement.

Proposition n°6 : soutenir énergiquement la lutte contre la corruption, contre l'arbitraire et pour l'efficacité de la justice.

Parallèlement à ces orientations de la politique de développement française au Sahel, il est nécessaire de plaider pour que l'engagement de l'Union européenne dans cette région se poursuive . L'UE est déjà l'un des principaux bailleurs de l'aide au développement au Sahel. Elle s'est également dotée d'un nouvel instrument permettant des interventions plus rapides, le Fonds fiduciaire d'urgence en faveur de la stabilité et de la lutte contre les causes profondes de la migration irrégulière et du phénomène des personnes déplacées en Afrique, doté d'1,8 milliard d'euros. Les acteurs français de l'aide au développement ont déjà commencé à proposer des projets au soutien du fonds dans son volet « région du Sahel et bassin du lac Tchad ». Il est souhaitable de continuer les efforts en ce sens.

Par ailleurs, la renégociation de l'accord de Cotonou entre l'Union européenne et les pays « ACP » (Afrique, Caraïbe, Pacifique), qui arrive à échéance en 2020, va débuter. Il apparaît notamment souhaitable, malgré des résultats mitigés, de conserver et de renforcer l'aspect « dialogue politique » entre l'UE et les pays ACP lors du renouvellement cet accord, afin de ne pas perdre un instrument de dialogue sur la question des droits de l'homme, de l'égalité hommes/femmes et de la bonne gouvernance qui pourrait être davantage utilisé dans nos relations avec les pays du Sahel.

Proposition n°7 : mobiliser le fonds fiduciaire européen d'urgence sécurité-migrations pour financer des projets de développement au Sahel. Dans la renégociation de l'accord de Cotonou entre UE et ACP, conserver la dimension de dialogue politique.

Enfin, on ne peut manquer d'être frappé par la réduction constante des moyens consacrés à la défense de la langue française en Afrique occidentale et dans les instances internationales.

La langue française reste pourtant un excellent véhicule d'influence, non seulement culturelle mais aussi politique, dans la mesure où elle s'identifie aux valeurs démocratiques portées par notre pays, comme le traduit la déclaration de Bamako de 2000. En outre, au-delà du débat sur les chiffres exacts, le nombre de locuteurs francophones est nécessairement appelé à progresser considérablement dans les prochaines décennies, du simple fait de la croissance démographique. Par conséquent, il importe de ne pas relâcher les efforts dans ce domaine. Outre les mesures proposées par le rapport « L'Afrique est notre avenir » 29 ( * ) , toujours d'actualité, il convient d'insister sur la nécessité de réviser la politique de bourses en faveur d'étudiants en provenance de pays d'Afrique subsaharienne francophone, afin d'enrayer leur diminution, qui conduit les étudiants talentueux à privilégier de plus en plus des destinations d'Amérique du Nord pour leurs études supérieures.

Proposition n°8 : réactiver le vecteur de la francophonie : développer les partenariats avec les universités francophones, encourager le développement de thèses en cotutelle franco-africaine. Augmenter notre contribution au partenariat mondial de l'éducation, qui soutient massivement l'éducation dans les pays africains francophones. Réviser la politique de bourses en faveur d'étudiants en provenance de pays d'Afrique subsaharienne francophone.

2. Réformer la gouvernance de l'aide au développement française

Après la stratégie, le deuxième axe de nos recommandations porte sur le pilotage et la gouvernance de l'aide au développement française .

Premier aspect, à la suite de Jeanny Lorgeoux et Jean-Marie Bockel dans leur rapport « L'Afrique est notre avenir », nous préconisons la création d'un ministère du développement international de plein exercice rassemblant les services compétents actuellement rattachés aux ministères des affaires étrangères et des finances.

La complexité du pilotage de la politique de coopération française, la concurrence nocive entre les deux ministères, l'impossibilité de porter la politique de développement de manière globale et cohérente pour un secrétaire d'Etat ou ministre délégué placé auprès du ministre des affaires étrangères, le fait significatif que depuis 1998, le ministère des affaires étrangères a démontré une grande difficulté à défendre les moyens de l'APD : tout plaide pour la création d'un tel ministère de plein exercice.

Proposition n°9 : créer un ministère du développement international de plein exercice pour simplifier la gouvernance de la politique française d'aide au développement, faciliter la gestion budgétaire et améliorer le pilotage politique de l'AFD. Ce ministère regrouperait les services suivants : DGM, services du Trésor chargés de l'APD, services stratégiques de l'AFD, agents des ministères techniques concernés.

D'autre part, malgré la réforme de 1998, le dispositif d'aide au développement sur le terrain est encore composé de deux structures, les agences de l'AFD et les Services de coopération et d'action culturelle (SCAC).

Les (SCAC) sont dirigés par un conseiller de coopération et d'action culturelle (COCAC) à la fois conseiller de l'ambassadeur sur le pilotage du dispositif de l'aide française au plan local et chef de service. Ils sont les interlocuteurs privilégiés de la Direction générale de la mondialisation, mais ne géraient plus que 20 % des crédits de financement de projets, ceci avant le transfert de la gouvernance à l'AFD  début 2016 ! De manière peu lisible, les SCAC peuvent intervenir dans presque tous les domaines de compétences de l'AFD, mais avec des moyens d'intervention très limités.

Dans son évaluation en 2011 de la politique d'aide au développement, la Cour des comptes préconisait la poursuite des transferts des compétences opérationnelles du ministère des affaires étrangères à l'AFD, la DGM se recentrant sur les missions de pilotage stratégique de l'aide, ainsi que sur la rationalisation du réseau.

C'est désormais en partie chose faite avec le transfert, début 2016, de la compétence « gouvernance » (hors sécurité) à l'AFD ainsi que des experts techniques et des fonds FSP correspondants.

Il convient d'aller plus loin en confiant le rôle de conseiller de l'ambassadeur pour les questions de développement et de chef de coopération 30 ( * ) au directeur d'agence de l'AFD , qui devra ainsi sortir de son rôle de banquier pour assumer un positionnement plus politique, comme c'est déjà le cas dans de nombreux pays. Un tel positionnement est nécessaire pour que l'aide publique au développement de l'AFD soit vraiment perçue par le pays partenaire comme l'aide française, porteuse des priorités de notre pays, et ainsi rendre beaucoup plus efficace et productif le dialogue avec ce partenaire au niveau gouvernemental et administratif.

En contrepartie de ce nouveau positionnement et de cette montée en puissance du directeur d'agence de l'AFD, les projets de l'agence devraient être transmis au siège sous couvert de l'ambassadeur et non plus avec son avis simple, de manière à assurer la pleine compatibilité de ces projets avec la politique étrangère française.

Parallèlement, le SCAC serait recentré sur la dimension culturelle et la diplomatie administrative, notamment les bourses pour les écoles françaises du secteur public, ou encore la diplomatie des normes pour la promotion des approches ou des politiques publiques françaises.

Proposition n°10 : compte tenu de l'accroissement considérable des compétences de l'AFD avec le transfert de la compétence « gouvernance », achever la réforme de la coopération en confiant au directeur d'agence de l'AFD locale le rôle de conseiller de l'ambassadeur pour les questions de développement et de chef de coopération, représentant de la France aux réunions des « chefs de coopération ». Prévoir que les projets AFD locaux sont transmis au siège de l'AFD sous couvert de l'ambassadeur.

Enfin, troisième point de cette réforme de l'architecture de notre aide au développement, il nous semble nécessaire de consacrer institutionnellement l'importance de l'évaluation .

En effet, cette fonction n'est pas mise en oeuvre de manière satisfaisante. Dispersée entre trois ministères, elle ne dispose pas de l'indépendance requise. Or il suffirait pour y remédier de mettre en oeuvre une disposition que notre commission, à l'initiative de MM. Cambon et Peyronnet, avait insérée dans la loi du 7 juillet 2014 d'orientation et de programmation relative à la politique de développement, et qui prévoyait la fusion des trois services d'évaluation des ministères des affaires étrangères, des finances et de l'AFD en un organisme indépendant, l'Observatoire de la politique de développement et de solidarité internationale .

Cette création permettra à la fois une mutualisation et une rationalisation des moyens ainsi qu'une évaluation neutre des programmes menés par la France. L'observatoire comprendra onze membres, désignés pour un mandat de trois ans par les huit collèges du CNDSI et sera présidé alternativement par un député et un sénateur. Notons que les Britanniques disposent déjà d'une telle structure indépendante d'évaluation de l'aide au développement, qui rend compte directement au Parlement.

Une telle organisation permettrait par exemple de mener des évaluations « cinq ans après », afin de savoir si les projets mis en oeuvre par notre coopération sont durables. Des évaluations fiables et indépendantes nous permettraient également de mettre fin aux projets et programmes qui ne fonctionnent pas.

Proposition n°11 : pour revitaliser l'évaluation et lui donner un rôle d'amélioration permanente de notre APD, créer un observatoire de l'évaluation indépendant, conformément au rapport annexé de la loi du 7 juillet 2014, et remettre ainsi au centre de la stratégie les principes de la déclaration de Paris sur l'efficacité de l'aide, au premier rang desquels le principe d'appropriation de l'aide par le pays partenaire.

3. Clarifier et mettre ne oeuvre plus efficacement l'« approche globale »

Troisième orientation, vos rapporteurs préconisent de faire de l' « approche globale » un concept plus opérationnel .

En premier lieu, compte tenu des coûts et des inconvénients à long terme des interventions militaires, il est nécessaire de faire de l'anticipation et de la prévention des crises une priorité absolue, afin de réduire le risque de devoir intervenir militairement. Il est vrai que le discours sur l'importance de la prévention et du développement à la fois pour éviter les crises et pour en sortir de manière durable est devenu un lieu commun. Notre pays s'est en outre doté depuis quelques années d'un ensemble d'instruments d'anticipation, d'analyse et de proposition dans ce domaine. Pour autant, cette priorité doit davantage se traduire dans les faits.

Proposition n°12 : privilégier la prévention des crises pour réduire le risque de devoir intervenir militairement.

Or, la France ne dispose plus de moyens suffisants pour mener des actions massives, rapides et efficaces de développement afin d'inverser la tendance dans des situations de fragilité ou de post-crise.

Lors de l'audition préalable à sa nomination comme directeur général de l'AFD, Rémi Rioux a évoqué le projet de création d'une « facilité dédiée pour la lutte contre les vulnérabilités et la réponse aux crises ».

Un tel outil répondrait effectivement à l'enjeu. Cette facilité devrait être dotée d'au moins 100 millions d'euros par an prélevés sur l'enveloppe de 370 millions d'euros supplémentaires annoncés par le Président de la République. Elle pourrait être gérée par l'AFD et permettrait d'importants effets de levier sur des ressources de nos partenaires multilatéraux.

Les points d'application potentiels de cette facilité seraient nombreux : Sahel mais aussi lac Tchad dans une région profondément déstabilisée par Boko Haram, ainsi que la Syrie. On peut également imaginer une mise en oeuvre dans le cas d'une épidémie semblable à celle du virus Ebola dans le golfe de Guinée en 2014, dès lors qu'elle déstabilise un pays ou une région.

Avec un tel instrument, la France rejoindrait d'autres pays, comparables au nôtre par leur volume global d'aide au développement, qui ont récemment renforcé leurs moyens d'intervention en subventions (Grande-Bretagne et Allemagne). En effet, le type d'interventions que requiert une situation de déstabilisation ou de post-crise ne peut être financé, pour l'essentiel, que par des subventions, et non par des prêts.

Proposition n°13 : créer une facilité de lutte contre les vulnérabilités et de sortie de crise gérée par l'AFD de 100 millions d'euros de subventions dans le cadre des +370 millions de subventions annoncées à la fin de 2015.

Par ailleurs, il existe toujours un hiatus entre les projets à impact rapide des militaires (dits aussi « quick impact projects » ou QIP) et les projets à élaboration plus longue des agences de développement. Tandis que les premiers visent en principe à obtenir une meilleure « acceptation de la force » et doivent être mis en place en quelques semaines, les seconds ont des délais d'évaluation préalable et d'instruction plus longs du fait du respect de procédures visant à en garantir la qualité.

S'il existe d'ores et déjà des projets « hybrides » tels le projet sécurité et développement dans le nord Mali (SDNM), ayant pour objectif la construction rapide de petites infrastructures utiles à la population dans la région de Kidal, il est nécessaire de capitaliser sur cette expérience pour que ce type de projets entre dans la « panoplie » permanente de la sortie de crise.

Proposition n°14 : trouver le bon équilibre sécurité/développement dans les projets à impact rapide en poursuivant l'élaboration de projets hybrides : projets à impact rapide/projets de développement, et capitaliser rapidement sur ces expériences.

Par ailleurs, nous proposons de revaloriser les crédits de la coopération militaire structurelle, qui ont été drastiquement réduits au cours des dernières années . Avec un montant de 87 millions d'euros en 2016, les crédits de sécurité et de défense sont en diminution de plus de 6 % par rapport à 2015, alors même que ces crédits sont consacrés au premier chef à la prévention et à la consolidation des capacités de sortie de crise de nos partenaires africains.

Pour réduire les incidences de cette forte diminution, l'action du MAEDI est recentrée sur certains axes prioritaires : le renforcement de l'architecture de paix et de sécurité en Afrique ; les grands enjeux de sécurité (terrorisme, trafics, criminalité organisée, piraterie, formation et conseil de haut niveau au détriment des niveaux intermédiaires). Ces actions prioritaires elles-mêmes souffrent toutefois nécessairement de la baisse continue du nombre de coopérants engendrée par celle des crédits.

Une telle attrition des moyens s'oppose directement à la volonté par ailleurs affichée de faire émerger en Afrique des forces de sécurité locales tant militaires que civiles qui puissent prendre en charge la sécurité du continent, les trois quarts de la coopération de sécurité et de défense concernant l'Afrique subsaharienne. En témoigne, par exemple, la fermeture à l'été 2014 du centre de perfectionnement de la police judiciaire au Bénin.

Il y a là en outre un déséquilibre flagrant avec les crédits engagés pour financer l'engagement de nos forces armées en opérations extérieures (OPEX), soit un coût de plus de 560 millions d'euros en 2016 dans la bande sahélo-saharienne.

Proposition n°15 : dans le cadre de l'approche globale, renforcer les moyens de la coopération structurelle (DCSD) afin de réduire la déséquilibre financements de la sécurité/financements du développement.

Il importe par ailleurs d'améliorer la coordination stratégique de l'approche globale au Sahel. En effet, actuellement, la coordination effectuée par le SGDSN est entravée par un positionnement auprès du Premier ministre alors qu'en raison de l'esprit de nos institutions, la présidence de la République joue toujours un rôle essentiel en matière de politique étrangère. Cette situation ne semble pas permettre d'aboutir à un échange d'informations efficace, de sorte que les différents acteurs du processus d'approche globale sont finalement conduits à nouer des relations ad hoc , ce qui constitue une perte d'énergie et d'efficacité.

Par conséquent, il semble nécessaire d'expérimenter une autre organisation. La coordination stratégique pourrait être effectuée au niveau de la présidence de la République, ou par une structure dédiée de type « task force » positionnée auprès du ministère des affaires étrangères. Cette question fera également l'objet de préconisations au sein du rapport de votre Commission consacrée aux OPEX.

Proposition n°16 : instaurer une nouvelle coordination stratégique de l'approche globale, permettant un véritable échange d'information et une planification efficace .


* 29 Renforcer la participation au Partenariat Mondial pour l'Education ; promouvoir des partenariats public-privé en faveur du développement de système de formation professionnelle en Afrique ; créer une université francophone pilote à l'image de l'université Paris-Sorbonne-Abou Dhabi ; encourager le développement de thèses en cotutelle franco-africaine ; développer des universités numériques en coordination avec les partenaires francophones.

* 30 Représentant la France dans les réunions des chefs de coopération des pays bailleurs de l'APD.

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