EXAMEN EN COMMISSION

Mercredi 29 juin 2016, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sous la présidence de M. Jean-Pierre Raffarin, président, a procédé à l'examen du rapport de M. Henri de Raincourt et Mme Hélène Conway-Mouret, co-présidents du groupe de travail sur « Quelle approche globale au Sahel ? »

M. Jean-Pierre Raffarin, président. - Mes chers collègues, nous examinerons d'abord le rapport d'information de nos collègues Henri de Raincourt et Hélène Conway-Mouret sur l'aide publique au développement au Sahel ; nous nous pencherons ensuite sur le rapport d'information de nos collègues Claude Malhuret et Claude Haut sur la Turquie comme puissance émergente et pivot géopolitique.

M. Henri de Raincourt, co-rapporteur . - Le 16 décembre dernier, notre commission a demandé à Hélène Conway-Mouret et moi-même de préparer un rapport d'information sur le thème de l'aide au développement au Sahel, en particulier à travers l'exemple du Mali.

Pendant cinq mois, Mme Conway-Mouret et moi-même avons rencontré de très nombreux responsables et spécialistes du sujet. En mars, nous nous sommes rendus à Bamako, où nous avons visité des chantiers financés par l'Agence française de développement, l'AFD, et nous sommes entretenus avec les chefs de coopération des autres principaux bailleurs, ainsi qu'avec les militaires de l'opération Barkhane et ceux de la mission de formation de l'Union européenne au Mali, l'EUTM Mali ; nous avons également rencontré le Premier ministre malien, ainsi que d'autres ministres et responsables de ce pays.

Nous nous sommes surtout appuyés sur les travaux antérieurs menés au nom de notre commission par Gérard Larcher, Jean-Pierre Chevènement, Jeanny Lorgeoux, Jean-Marie Bockel, Christian Cambon et Josette Durrieu. Venant après d'aussi prestigieuses personnalités, Mme Conway-Mouret et moi-même avons abordé notre travail avec une très grande humilité !

Je commencerai pas vous expliquer quels sont, pour nous, les traits saillants de la situation des pays du Sahel, ainsi que les principaux enjeux qui se posent dans cette région.

Avant tout, les pays du Sahel sont marqués par une très grande pauvreté et un très faible développement. Tous en effet figurent à la fin du classement des pays selon l'indice de développement humain : sur un total de 188 pays, le Niger est à la 188e place, le Tchad à la 185e, le Burkina Faso à la 183e et le Mali à la 179e.

Ces pays n'ont pas entamé la deuxième phase de leur transition démographique, celle de la diminution de la natalité. La population du Mali et celle du Niger doublent ainsi tous les quinze ans, et 250 000 jeunes arrivent chaque année sur le marché du travail dans chacun de ces pays, alors que le nombre de postes à pourvoir n'est que de quelques milliers ; il faut mesurer l'ampleur du décalage qui en résulte à la longue. Aucun pays au monde n'a réussi à se développer vraiment avec une croissance démographique aussi forte !

Par ailleurs, la croissance économique, quoiqu'elle s'élève régulièrement à plus de 5 %, est insuffisante pour permettre un réel décollage, d'autant qu'il s'agit d'une croissance sans profondeur, comme disent les spécialistes, c'est-à-dire limitée à quelques points forts, surtout miniers et agricoles.

Les pays du Sahel souffrent en outre de nombreux conflits et d'une forte insécurité, qui entravent les efforts de développement. Les conflits ethniques sont anciens, de même que les conflits identitaires, à l'instar des rebellions des Touaregs. D'autres conflits naissent de la rareté des ressources et s'exacerbent avec le changement climatique, opposant notamment les populations pastorales aux populations agricoles. Sans compter les conflits religieux, en particulier l'opposition entre l'islam malékite et le salafisme, bien installé dans la région depuis des décennies. Enfin, l'intrusion d'Al-Qaïda au Maghreb islamique, ou AQMI, ainsi que d'autres groupes radicalisés dans le nord et le centre du Sahel a entraîné une violence considérable à partir de 2010, le point culminant ayant été atteint en 2013, obligeant la France à intervenir.

Une autre cause d'insécurité et de déstabilisation réside dans les trafics, lesquels ont pris une ampleur inédite dans la zone saharo-sahélienne. En particulier, le trafic de cocaïne se développe très rapidement depuis 2005, comme l'a révélé, en 2009, l'affaire fameuse du Boeing retrouvé carbonisé à Gao. Affectant le noyau des États en alimentant la corruption et la mauvaise gouvernance, ces trafics ont accéléré la décomposition du Nord-Mali, où l'État doit désormais quasiment négocier sa présence avec les populations.

Si, après l'intervention réussie de la France au Mali, l'élection d'un président et l'accord d'Alger signé en 2015 devaient marquer le retour à la gouvernance saine indispensable à la relance du développement, la mise en oeuvre de cet accord ne progresse, hélas, pas bien vite. Les autorités locales intérimaires ne sont toujours pas en place et leur installation est désormais annoncée pour l'automne, alors que les groupes armés en font une condition préalable à leur entrée dans le processus « désarmement, démobilisation, réintégration », ou DDR. La décentralisation marque le pas, tandis que les populations attendent toujours des résultats concrets en termes de services publics et d'opportunités de développement.

Parallèlement, la situation sécuritaire s'aggrave, avec la multiplication des attaques contre la mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali, la MINUSMA, comme contre Barkhane, la reprise des accrochages entre groupes armés rivaux et l'extension des troubles vers le centre, voire le sud du Mali.

Devant ces constats un peu décourageants, reconnaissons-le, que penser des efforts considérables accomplis pendant des années en matière d'aide au développement ?

La France est, depuis plusieurs années, le deuxième bailleur bilatéral au Sahel, après les États-Unis. Les engagements de l'AFD dans la région ont atteint 1,5 milliard d'euros sur la période 2008-2012. Au Mali, après une interruption liée aux événements, nos engagements ont repris à partir de 2014 de manière importante, puisqu'ils se montent actuellement à environ 85 millions d'euros par an.

En outre, les moyens consacrés aux six pays sahéliens dans le cadre du dixième fonds européen de développement (FED) se sont élevés à plus de 2,7 milliards d'euros entre 2008 et 2013.

Enfin, en ce qui concerne plus particulièrement le Nord-Mali, on estime à 2,9 milliards d'euros les dépenses engagées entre 1992 et 2011, ce qui va à l'encontre de la thèse selon laquelle cette partie du pays aurait été totalement délaissée. Elle ne l'a pas été, en tout cas, par l'aide au développement. En revanche, elle l'a davantage été par les autorités maliennes elles-mêmes.

Or, si ces montants non négligeables ont permis de construire des écoles, des dispensaires et des infrastructures de toute nature, les objectifs finaux de réduction de la pauvreté et de développement économique n'ont jamais été atteints. D'une certaine manière, on peut dire que les bailleurs ont pratiqué, pendant des années, l'aide sans le développement...

Cet échec résulte de plusieurs causes.

D'abord, certains principes de la Déclaration de Paris de 2005 sur l'efficacité de l'aide ne sont toujours pas vraiment respectés, comme celui d'appropriation par le pays partenaire. De fait, il n'y a toujours pas de dialogue stratégique de haut niveau avec les gouvernements aidés sur les besoins et sur les priorités, ni de vision partagée du développement. En d'autres termes, si nos partenaires ne refusent jamais les projets que nous leur proposons, ils ne se les approprient que rarement.

Ensuite, les bailleurs ont parfois fermé les yeux sur la mauvaise gouvernance, trop heureux de disposer de bons élèves de l'aide, comme le Mali, souvent cité en exemple de démocratisation et de décentralisation. Partant, ils ont parfois contribué à la déconsidération, aux yeux des populations, du développement, voire de la démocratie.

Par ailleurs, la coordination des bailleurs est encore insuffisante, au point que, pour les dirigeants des pays aidés, les bailleurs sont comme un « troupeau de chats », selon la formule d'une des personnes que nous avons entendues, M. Serge Michaïlof.

Enfin, l'insécurité croissante depuis la seconde moitié des années 2000 empêche la réalisation de nombreux projets ou oblige à les laisser inachevés, comme c'est le cas pour certaines routes, commencées mais non terminées.

En ce qui concerne plus spécifiquement la France, deux facteurs principaux contribuent selon nous à réduire l'efficacité de notre aide.

En premier lieu, contrairement à ce qu'on pourrait imaginer, nous manquons d'une stratégie globale du développement de l'Afrique francophone. Si l'on compare les résultats obtenus en Afrique francophone et en Afrique anglophone, les conséquences de ce manque de stratégie se voient !

Vous n'ignorez pas que la gouvernance de l'aide française est éclatée entre plusieurs ministères et une agence de développement que nous apprécions beaucoup, mais qui est assez autonome. En outre, la réforme de 1998 fut en grande partie dirigée contre le tropisme africain de la France, si bien que les grands axes de notre politique actuelle - développement durable et biens publics mondiaux, notamment - concernent autant et même davantage les pays émergents d'Amérique latine ou d'Asie que les pays du Sahel.

En second lieu, nos financements en dons sont devenus bien trop faibles pour avoir un impact réel : 228 millions d'euros de subventions font moins de 15 millions d'euros par pays pauvre prioritaire... Une misère !

Ces subventions ne nous permettent pas non plus de mobiliser les financements des organisations multilatérales. Je pense qu'il nous faudra sans doute dégager des moyens supplémentaires, y compris - il faudra regarder cela de près - en diminuant certaines contributions multilatérales trop élevées qui, peut-être, déséquilibrent une partie de notre aide.

M. Jeanny Lorgeoux. - Très bien !

M. Henri de Raincourt, co-rapporteur . - En outre, l'approche globale, qui tente de combiner développement et sécurité, pourrait encore être améliorée.

Certes, de nombreux acteurs ont pris conscience qu'une telle approche était indispensable. Notre pays s'est ainsi engagé dans une stratégie interministérielle dès 2008, sous l'égide du secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale, le SGDSN. Cette stratégie a permis de mobiliser les partenaires de la France, au premier rang desquels l'Union européenne, qui a créé trois missions dans le cadre de la politique de défense et de sécurité commune (PSDC) au Niger et au Mali. Toutefois, les initiatives des différents acteurs pèchent par un manque de coordination et un manque de moyens.

Ainsi, la coordination manque lorsque la direction de la coopération, de la sécurité et de la défense du Quai d'Orsay, la DCSD, lance un projet combinant sécurité et développement dans la région des trois frontières du Mali, du Niger et du Burkina Faso, sans parvenir à obtenir le soutien de l'AFD, qui considère, d'une part, que la sécurité ne fait pas partie de son mandat et, d'autre part, qu'elle est plus qualifiée que la DCSD pour mener des projets de développement.

La coordination et la cohérence manquent encore lorsque le ministère des affaires étrangères et du développement international confie des missions très proches à la cellule « Crises et conflits » de l'AFD et à la mission pour la stabilisation du centre de crise et de soutien.

La coordination manque enfin lorsque le SGDSN, du fait de son positionnement, n'a pas une autorité suffisante face aux ministères des affaires étrangères et de la défense pour imposer un véritable échange d'informations, ce qui contraint les acteurs à se coordonner par le bas, en concluant entre eux de multiples accords ad hoc qui peinent à déboucher sur une cohérence globale.

Quant au manque de moyens, il est flagrant lorsque la DCSD, dont les compétences en matière de renforcement des capacités sécuritaires des États sont au coeur de la politique dont le Sahel a aujourd'hui besoin, voit son budget fondre année après année.

Le constat des insuffisances passées de l'aide au développement et des errements de l'approche globale ayant été dressé, allons-nous tirer comme il convient les leçons du passé ? Comment pouvons-nous améliorer les choses ? À cet égard, votre attente est grande, et Hélène Conway-Mouret va maintenant la combler...

Mme Hélène Conway-Mouret, co-rapporteur. - Comme vous l'avez compris en écoutant Henri de Raincourt, nous avons décidé de tenir un langage de vérité, sans complaisance, sur l'aide publique au développement, une aide dont nous pouvons être fiers, mais qui doit être appréciée à l'aune de ses résultats. Les interlocuteurs que nous avons rencontrés au Mali, très honnêtes, nous ont dit : demandez-nous des résultats ! C'est dans cet esprit que M. de Raincourt et moi-même avons élaboré nos propositions.

À l'issue des conférences des bailleurs du Mali tenues en 2013 et 2015, un montant d'engagements d'environ 6,5 milliards d'euros a été annoncé. En outre, le sommet de La Valette de novembre 2015 a permis le lancement du fonds fiduciaire d'urgence de l'Union européenne, dans le cadre duquel la Commission européenne a annoncé, le 14 juin dernier, de nouvelles actions ciblées sur le Sahel et le lac Tchad. Cette mobilisation est positive, mais risque, selon nous, d'échouer à nouveau, si certaines réformes ne sont pas appliquées.

La première grande orientation que nous recommandons consiste à réaffirmer la priorité de l'Afrique francophone pour notre aide au développement. Je pense que ce n'est pas M. Legendre qui dira le contraire...

En effet, le contexte a changé depuis la réforme de 1998, conçue pour mettre fin à la « Françafrique ». Les États-Unis sont le premier bailleur de la région et la Chine y construit de nombreuses infrastructures. Pendant ce temps, la France consacre plus de 1,5 milliard d'euros par an à des opérations militaires certes indispensables, mais sans retombées immédiates en matière de développement.

Parce que notre développement économique futur passe par l'Afrique de l'Ouest et que le Sahel est aujourd'hui un enjeu de sécurité nationale pour nous, nous devons à nouveau considérer la stabilité et le développement de cette région comme des priorités. Il nous faut donc une véritable stratégie pour le Sahel, et une seule, alors qu'il y en a actuellement une quinzaine ! Comment justifier qu'il y ait une stratégie de la France, une stratégie de l'AFD, une stratégie de l'Union européenne, une stratégie du l'ONU et d'autres encore ? Il faut que tous les acteurs se coordonnent pour établir une stratégie unique.

Dans un second temps, cette stratégie devra être discutée avec chacun des pays destinataires de notre aide. Ce n'est que si nous avons en face de nous, émanant des autorités locales, une volonté politique suffisante et une véritable vision du développement, garantes de la bonne appropriation de notre aide, que nous pourrons décliner notre stratégie en programmes et en projets.

En outre, il nous faut impérativement revoir les priorités sectorielles de notre aide.

La première des priorités doit être la maîtrise de la croissance démographique. Nous avons évoqué le sujet avec le Premier ministre du Mali, M. Keita, qui nous a dit, en substance, qu'il n'y avait de richesses que d'hommes... Dans ce domaine, il faut nous efforcer de tenir un langage de vérité à nos partenaires. Nous devons aussi soutenir davantage les initiatives de la société civile, qui parviennent très progressivement à faire évoluer les mentalités.

Notre contribution au Fonds des Nations unies pour la population est très faible : environ 550 000 euros par an, soit 1 % de la contribution des Pays-Bas ! Nous devrions revoir ce montant à la hausse pour crédibiliser notre action. Notre apport au partenariat mondial pour l'éducation, trop modeste, doit également être réévalué, car celui-ci vise notamment à encourager l'éducation des filles, qui est l'une des clefs de la maîtrise démographique.

Plus largement, la question de l'éducation est centrale. Or la situation n'est pas bonne dans ce domaine, notamment au Mali, malgré une dépense budgétaire aujourd'hui importante. N'ayant pour l'instant aucune assurance que nos financements seront utilisés de manière pertinente et efficace dans ce domaine, nous devons cependant agir avec prudence. Il est d'ailleurs possible d'avoir un impact important avec un investissement modéré ; je pense à un projet de création de manuels scolaires que j'ai personnellement soutenu.

M. Henri de Raincourt, co-rapporteur. - Avec succès !

Mme Hélène Conway-Mouret, co-rapporteur . - Enfin, il faut réinvestir dans l'agriculture, qui est passée de 15 à 7 % des financements versés au titre de l'aide au développement au cours des quinze dernières années, et concentrer davantage notre aide sur le secteur productif et sur les petites entreprises, afin de créer des emplois pour les jeunes.

Par ailleurs, deux évolutions transversales nous semblent indispensables.

Premièrement, notre aide au développement doit s'appuyer davantage sur la société civile et sur la jeunesse. C'est une recommandation déjà ancienne, mais que nous peinons à mettre en oeuvre.

Deuxièmement, il est indispensable d'avoir un discours clair sur la corruption et la mauvaise gouvernance et de soutenir les initiatives dans ce domaine. En effet, dans certains des pays du Sahel, la montée en puissance des mouvements citoyens et l'immédiateté de la communication due aux nouvelles technologies et à l'urbanisation rendent les contestations beaucoup plus fortes que par le passé. Nous devons donc prendre garde à ne pas être associés aux mauvaises pratiques qui perdurent.

Le deuxième grand axe de nos recommandations se rapporte au pilotage de l'aide française au développement.

À la suite de nos collègues Jeanny Lorgeoux et Jean-Marie Bockel, auteurs du rapport « L'Afrique est notre avenir », nous préconisons d'abord la création d'un ministère du développement de plein exercice, regroupant les services compétents actuellement rattachés aux ministères des affaires étrangères et des finances, afin de remédier à la complexité et à la déperdition considérable d'énergie qu'entraîne l'organisation actuelle.

Ensuite, vu que le transfert récent à l'AFD de la coopération en matière de gouvernance a accru encore le poids de cette agence, désormais responsable de la quasi-totalité de l'aide française au développement, et que le service de coopération et d'action culturelle a été recentré presque exclusivement sur la dimension culturelle, l'AFD ne peut plus se cantonner dans un rôle technique de banquier : comme l'a expliqué devant notre commission M. Rioux, son nouveau directeur général, elle doit développer une vision sur les objectifs globaux de l'aide française, ainsi qu'une capacité à influer sur l'impact final de cette aide.

Pour parachever cette réforme qui fait vraiment de l'AFD le visage de l'aide française, nous proposons que les directeurs des agences locales deviennent les chefs de coopération auprès des ambassadeurs, chargés de représenter la France dans les réunions des représentants de coopération des grands bailleurs ; nous suggérons aussi que les projets des agences locales soient transmis au siège sous couvert des ambassadeurs, et non plus avec leur seul avis, de manière à assurer la compatibilité de ces projets avec notre politique étrangère.

Enfin, il nous semble nécessaire de consacrer l'importance de l'évaluation, actuellement éclatée entre trois ministères. Il suffirait pour cela de mettre en oeuvre une disposition insérée par notre commission dans la loi du 7 juillet 2014 d'orientation et de programmation relative à la politique de développement et de solidarité internationale et qui prévoit la fusion des trois services d'évaluation des ministères chargés des affaires étrangères et des finances, ainsi que de l'AFD en un unique organisme indépendant, l'Observatoire de la politique de développement et de solidarité internationale.

Une telle réforme permettrait par exemple de rendre plus systématiques les évaluations cinq ans après la fin de la mise en oeuvre des projets, afin de déterminer si leur impact est durable. Des évaluations fiables et indépendantes nous permettraient également d'arrêter les projets qui ne fonctionnent pas, ce que nous faisons très peu aujourd'hui.

La troisième de nos orientations est l'amélioration de l'approche combinée sécurité-développement.

Si le discours sur l'importance de l'approche globale est devenu un lieu commun, les instruments ne suivent pas.

Nous avons pu observer au Mali un exemple très représentatif de cette problématique. Un projet avait été lancé visant à mettre en place de petites infrastructures à impact immédiat dans la région de Kidal. L'ambassadeur a demandé aux soldats de Barkhane d'identifier les besoins des communautés, puis de surveiller autant que possible les chantiers dans une zone marquée par l'insécurité. On se plaçait donc dans une optique post-intervention militaire de « projet à impact rapide ». Toutefois, pour avoir un impact plus significatif et durable, il fallait aller plus loin, vers un vrai projet de développement.

Or l'AFD était réticente : d'une part, parce que ses procédures sont longues, ce qui est la contrepartie d'un haut niveau de qualité, et, d'autre part, parce que pour préserver son capital de neutralité, l'agence ne doit pas être associée à la force militaire. Finalement, l'AFD a trouvé des modalités d'intervention acceptables pour elle et réussi à agir en un temps record. Une deuxième phase est désormais prévue, avec un financement du fonds fiduciaire d'urgence de l'Union européenne.

Cette réussite ne pourra toutefois faire école que si l'AFD dispose de moyens plus élevés en subventions, car ce type d'interventions post-crise fonctionne rarement avec des prêts.

À cet égard, lors de l'audition préalable à sa nomination à la direction générale de l'AFD, Rémi Rioux a évoqué un projet de création d'une « facilité dédiée pour la lutte contre les vulnérabilités et la réponse aux crises » ; dotée d'au moins 100 millions d'euros par an prélevés sur l'enveloppe de 370 millions d'euros supplémentaires annoncée par le Président de la République, cette facilité serait logée à l'AFD. Je crois que cet outil répondrait tout à fait à l'enjeu. C'est pourquoi nous proposons que le principe en soit acté au plus tard lors du prochain comité interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID), qui se tiendra à l'automne, afin que cette facilité soit inscrite dans la prochaine loi de finances.

Enfin, nous proposons de revaloriser les crédits de la coopération militaire structurelle, qui ont été drastiquement réduits au cours des dernières années. Cet effort nous paraît indispensable pour réduire le déséquilibre entre les financements disponibles pour l'aide au développement et ceux destinés au renforcement des administrations régaliennes des États fragiles, clef de la stabilisation de ceux-ci.

Mes chers collègues, ces préconisations visent à améliorer nos politiques de développement, mais aussi à éviter que nous perdions notre lien particulier avec cette région du monde, où d'autres puissances s'investissent désormais davantage. Il y a là un grand risque qu'il nous faut conjurer, car notre effacement dans la région ferait à coup sûr de la France une puissance de deuxième ou de troisième rang, dont l'influence sur la marche du monde deviendrait de plus en plus faible.

M. Jean-Marie Bockel. - Je félicite nos deux collègues pour la qualité de leur travail, qui présente le double avantage de dresser un diagnostic juste et d'avancer des propositions assez concrètes.

Puisque, comme l'on sait, qui trop embrasse mal étreint, donner la priorité à l'espace francophone peut tout à fait faire sens. Faisons attention aussi, à une époque où nos moyens sont limités, aux fonds multilatéraux. Non qu'ils soient inutiles - notre engagement très fort en faveur du fonds mondial de lutte contre le sida, par exemple, a fait sens à une certaine époque -, mais ils finissent par absorber une part importante de nos capacités financières. Dans notre rapport, M. Lorgeoux et moi-même avions déjà souligné que la France devait davantage sur le plan bilatéral. Le renforcement de notre action dans l'Afrique francophone suppose cette montée en puissance de notre aide bilatérale.

Cette évolution nous permettra de mener une action visible, susceptible d'être évaluée et propre à enclencher des dynamiques, alors que, aujourd'hui, trop souvent, nos moyens n'atteignent pas la masse suffisante pour que notre action soit vraiment efficace.

Par ailleurs, il faut bien mesurer que, au Mali comme dans d'autres pays africains, il y a les mots et il y a la réalité. Nos amis africains sont aussi intelligents que nous ; ils ont une vision assez lucide et la volonté que les choses aillent mieux. Après, il y a la vie, qui est compliquée. Le discours qu'on peut nous tenir sur la corruption et la bonne gouvernance, nous avons plaisir à l'entendre et, du reste, il est bon qu'il soit tenu, car cela n'a pas toujours été le cas ; mais, ensuite, il y a la réalité, qui est complexe.

Il y a, bien sûr, la grande corruption, et des pratiques dans le fonctionnement des États qui doivent absolument changer. Il y a aussi la vie de chacun au quotidien, dans sa famille, dans son clan, qui rend très difficile le passage de l'intention à la mise en oeuvre. Le résultat n'est pas non plus tout à fait le même selon que l'argent de la corruption est ou non réinvesti sur place, même si cela n'excuse rien.

Nous avons tous à l'esprit des expériences qui montrent que les mots et la réalité sont deux choses distinctes. Pour ma part, je songe aux projets que j'ai menés dans le cadre de la coopération décentralisée, l'une des actions dont nous pouvons légitimement être fiers. Le Mali était champion dans ce domaine, les partenariats conclus avec ce pays se comptant par centaines. J'en ai mené pendant vingt ans, ce qui m'a permis de sillonner, notamment, le nord du pays, où, en maints endroits, on ne peut plus aujourd'hui ni coopérer ni même se rendre.

Nous avons expérimenté à nos dépens que l'enfer est pavé de bonnes intentions, au point de conclure, dans le contexte de l'époque - mais a-t-il aujourd'hui fondamentalement changé ? -, que, pour mener à bien un projet qui profite réellement aux populations, il ne fallait confier aucune somme aux acteurs locaux, fussent à des intermédiaires de la société civile, mais contrôler directement l'intégralité des dépenses. Souvent, nos interlocuteurs nous disaient eux-mêmes : surtout ne nous donnez pas d'argent, car vous mettriez sur nous une pression ! Moyennant quoi, il s'agit d'agir dans un esprit de partenariat fraternel en associant les familles, en particulier les femmes.

Cette histoire, nombre d'entre nous peuvent la raconter à partir de leurs exemples vécus, tant il est vrai que changer peu à peu les choses dans le cadre d'une démarche de coopération et de codéveloppement est un exercice difficile.

Une opportunité de faire bouger les lignes se présente aujourd'hui au Mali. Du sommet à la base, toutes les personnes de bonne volonté aspirent à ce changement. Nous sommes donc à un bon moment pour lancer de nouvelles dynamiques, mais il nous faudra être extrêmement attentifs, car le diable est dans les détails...

M. Alain Joyandet. - Comme M. Bockel, je félicite les auteurs du rapport d'information pour l'excellente qualité de leur travail et pour la pertinence de leurs orientations.

L'idée de créer un nouvel organisme d'évaluation a été avancée. Nous avons déjà pléthore d'organismes et je crois qu'il faudrait plutôt réfléchir aux moyens d'en supprimer...

Par ailleurs, je considère que l'AFD devrait devenir beaucoup plus qu'aujourd'hui le bras séculier du Gouvernement pour la mise en oeuvre des politiques de coopération. Mme Conway-Mouret a dit que cette agence avait su préserver un peu d'indépendance. Pour moi, celle-ci n'a pas d'indépendance à rechercher ; elle doit disposer de compétences plus larges, mais au service de l'application des orientations définies par le Gouvernement.

Les auteurs du rapport proposent également la création d'un ministère de la coopération de plein exercice. De façon complémentaire, je me demande si le ministre de plein exercice ne devrait pas être aussi le directeur général de l'AFD. Dans certains pays, comme le Canada, le patron de l'agence du développement est, en clair, le ministre de la coopération ; il est nommé par le pouvoir exécutif pour mettre en oeuvre la politique du Gouvernement et remplacé en cas d'alternance. En d'autres termes, il n'y a pas une administration qui travaille parallèlement au Gouvernement, mais une organisation conçue pour assurer l'exécution des orientations de l'exécutif. Je me demande si nous ne devrions pas nous aussi emprunter cette direction.

Mme Nathalie Goulet. - Coordonner et évaluer sont deux mots que nous entendons depuis un certain temps dans le domaine du développement.

Il ne faut pas oublier le rôle des fondations, notamment internationales, comme la fondation Bill et Melinda Gates, très active en Afrique. Pensons aussi aux banques de développement, qui se sont multipliées, ainsi qu'à la coopération décentralisée, avec laquelle l'action nationale doit être coordonnée. La coopération décentralisée est de la compétence d'un service situé au ministère des affaires étrangères.

Par ailleurs, Mme Conway-Mouret a parlé d'un système d'évaluations à cinq ans. Ne pourrait-on pas inclure dans les accords de développement une clause rendant possible une interruption assez rapide des programmes ? Un délai de cinq ans me paraît très long et je me demande si un processus plus rapide ne pourrait pas être imaginé pour le cas où un programme ne fonctionnerait pas. Je pense par exemple à une évaluation aléatoire sur les projets mais continue sur la durée. Quand un programme ne fonctionne pas, ce n'est pas la peine d'attendre cinq ans pour l'interrompre ! En outre, ces évaluations devraient donner lieu à un rapport au moins tous les ans.

L'évaluation des programmes est une question récurrente. Des mesures ont déjà été adoptées dans le cadre de la loi d'orientation et de programmation relative à la politique de développement et de solidarité internationale, mais nous ne disposons d'aucune évaluation de leur mise en oeuvre !

M. Jacques Gautier. - Je crois que nous sommes tous d'accord pour saluer le travail approfondi, intelligent et constructif de nos deux collègues.

On décrit les mêmes problèmes depuis des années, mais, nous le voyons bien, tout reste à faire.

Plusieurs d'entre nous, dont je suis, travaillent sur l'approche globale des OPEX ; nous rendrons notre rapport le 13 juillet. Nos conclusions sont identiques à celles des auteurs du présent rapport d'information et, en ce qui concerne le Mali, qui est un des deux exemples que nous étudions, nous mettons au jour les mêmes dysfonctionnements. Je pense au projet des trois frontières défendu par l'amiral Marin Gillier, pour lequel il a fallu aller chercher de l'argent japonais parce que l'AFD n'a pas permis de répondre aux problématiques locales...

Dès qu'il y a une intervention militaire, il faut prévoir un accompagnement par des fonds, sous la forme de micro-crédits ou de subventions fortes, selon, notamment, le degré de corruption de l'État central et l'ampleur des problèmes ethniques ; il s'agit d'éviter que les fonds ne se diluent dans les sables.

Par ailleurs, comme l'a souligné M. Joyandet, un coordinateur est nécessaire. Doit-il être ministre ou pas ? Il doit, en tout cas, disposer d'une reconnaissance absolue aux niveaux national et international ; il doit commander à l'AFD et assurer une liaison permanente avec les services de la diplomatie, les militaires et les organismes internationaux.

Nous n'avons pas parlé ce matin des faiblesses de la MINUSMA et des autres missions des Nations unies ; nous serons forcés d'en traiter dans notre rapport sur les OPEX.

Nous voyons bien qu'il y a un problème de fond : nous réussissons le volet militaire, mais nous échouons sur le plan de l'approche globale, parce que nous n'avons toujours pas un patron en la matière.

M. Jeanny Lorgeoux. - Lorsqu'on examine l'intérêt de la France en Afrique, on doit se poser cette question : faut-il suivre une vision stratégique et géopolitique à très long terme ou caboter en réagissant uniquement sur le moment ? On peut aussi essayer de concilier ces deux approches.

Je me souviens d'avoir, jeune député, prononcé après la chute du mur de Berlin un discours complètement à contre-courant : si tout le monde regarde à l'est, disais-je, l'intérêt supérieur de la France est probablement, à long terme, en Afrique. Comme vous pensez, j'ai été taxé de ringardise et de néocolonialisme... Aujourd'hui, il m'apparaît toujours que, du point de vue de l'intérêt de la France à long terme, le choix stratégique doit être celui de l'Afrique. C'est la position que M. Bockel et moi-même avions défendu dans notre rapport.

Reste à savoir comment agir à court terme sur un continent où la situation est très disparate : on y voit des rémanences de pouvoirs autoritaires liés à ce qu'on appelle la « Françafrique » et des phénomènes de corruption qui, comme M. Bockel a essayé de l'expliquer, ont aussi une fonction redistributive au niveau local compte tenu de la structuration sociologique des villages, des lignages et des tribus, toutes réalités qu'il ne faut pas évacuer, mais aussi des interventions de différents pays destinées à soulager les misères, à régler des problèmes et à encourager le développement, sans oublier le rétablissement de l'ordre international, vu que l'ONU reste un machin splendide, qui coûte très cher, mais qui s'avère beaucoup moins efficace que l'intervention de nos armées.

Cette situation très complexe nécessite absolument, selon moi, la restauration d'un ministère de la coopération de plein exercice, dirigé par un patron politique qui fasse entendre la voix de la France et réunisse sous son autorité des structures aujourd'hui dispersées.

Pour le court terme, je souscris tout à fait aux propositions avancées par les deux auteurs du rapport d'information.

Nous voyons par ailleurs que la montée en puissance actuelle de l'AFD pose un certain nombre de problèmes, puisque, sans le dire, cette agence s'érige en quelque sorte sur un plan égal à celui du pouvoir politique, mais je pense que ces problèmes peuvent être réglés. L'essentiel est que, politiquement, nous ayons conscience que, d'un point de vue historique et géopolitique, le choix de l'Afrique est pour notre pays le bon choix à terme.

M. Philippe Esnol. - Je me permets de poser une question un peu annexe.

J'entends bien que notre pays doit conserver une certaine place sur la scène géopolitique, mais notre situation économique et financière ne laisse pas de m'inquiéter. N'oublions pas que notre dette dépasse aujourd'hui 2 000 milliards d'euros ! J'aimerais donc savoir si Thierry Breton, qui s'est livré devant nous voilà quelques semaines à un exposé très intéressant sur la perspective de création d'un fonds européen de défense, a pu avancer dans son projet.

Il est bon d'intervenir par la coopération décentralisée, et je l'ai moi-même beaucoup fait en tant que maire. Je vois seulement que ma commune a beaucoup dépensé dans un pays où, aujourd'hui, on ne peut plus mettre les pieds... Je crains donc que tout notre effort n'ait pas servi à grand-chose. C'est pourquoi j'aimerais savoir si les autres pays européens sont prêts eux aussi à participer aux financements.

M. Jean-Pierre Raffarin, président. - Depuis dimanche, le projet a pris de l'ampleur, puisque Thierry Breton a rencontré Wolfang Schaüble, Angela Merkel et s'est rendu à la Banque centrale européenne. Il a réalisé une étude qui a été communiquée à tous les membres de notre commission. Je pense que ce projet de fonds avance bien.

M. Henri de Raincourt, co-rapporteur. - Je remercie nos collègues pour leurs observations et leurs questions, ainsi que pour l'extrême amabilité dont ils ont fait preuve à l'égard de Mme Conway-Mouret et de moi-même.

Il est parfaitement clair dans mon esprit que toute la politique d'aide publique au développement doit correspondre à la vision stratégique qui inspire la politique que mène la France, en liaison avec l'Europe, à l'égard du continent africain. C'est sur le fondement de cette stratégie à long terme que nous devons définir nos actions à court terme, qui toutes doivent tendre vers le même objectif.

De ce point de vue, l'Afrique est, à l'évidence, une grande part de l'avenir du monde ! Elle l'est à la fois par les capacités qu'elle recèle et par les défis qu'elle nous pose, liés en particulier à sa croissance démographique et à sa proximité géographique avec les côtes françaises et européennes.

Fort de cette conviction que l'Afrique jouera un rôle déterminant dans les décennies qui viennent, on peut essayer de reprendre un certain nombre d'idées que vous avez émises, les uns et les autres, pour nous permettre de mener une politique d'aide publique au développement claire et qui ne soit pas bousculée en permanence par des réminiscences de la « Françafrique », un passé qui doit être révolu bien qu'il continue de nous mettre du plomb dans les chaussures. Notre politique doit être transparente et crédible, mais aussi constante par-delà les alternances démocratiques ; à cet égard, je me réjouis que, ces dix dernières années, aucune rupture majeure ne soit intervenue dans la politique de la France. C'est une politique d'intérêt général dont nous avons besoin, qui dépasse nos idées et nos engagements particuliers !

D'un point de vue plus concret, le débat soulevé par M. Bockel sur les parts respectives de la composante multilatérale et de la part bilatérale est ancien au Parlement. Nous sommes tous persuadés qu'il faut mettre l'accent sur la composante bilatérale, mais cela suppose une reconfiguration de la structure de notre aide financière.

Depuis des années, notre politique d'aide au développement consiste à diminuer les dons et à augmenter les prêts. Or nous savons très bien que ce système à une limite : la capacité de remboursement des pays bénéficiaires. Il est donc absolument fondamental de trouver des ressources financières à hauteur de l'effort annoncé par le Président de la République visant à augmenter les dons à 400 millions d'euros d'ici à 2020.

C'est pourquoi je suis favorable à la taxe sur les transactions financières, même si je suis peut-être minoritaire à ce sujet. Tout le monde s'est battu pour obtenir cette taxe ; il faut maintenant se battre pour qu'elle soit généralisée au niveau européen et pour que, en interne, son produit ne soit pas capté au service d'autres objectifs que l'aide au développement... C'est d'ailleurs une raison supplémentaire de recréer un ministère de la coopération de plein exercice.

Il est normal que cette taxe sur les transactions financières soit appliquée, car, aujourd'hui, les opérations financières profitent de la mondialisation sans participer à la politique de développement. Ce dispositif est donc à la fois financièrement indispensable et moralement justifié. Les ressources qui en résulteront doivent servir à renforcer notre action bilatérale.

Par ailleurs, je signale à M. Joyandet que l'Observatoire de la politique de développement et de solidarité internationale a vocation à fondre en un seul organe trois services dépendant aujourd'hui de trois ministères. Notre proposition est donc parfaitement cohérente avec l'objectif de coordination qui a été l'un des fils conducteurs de notre travail.

En ce qui concerne l'AFD, je tiens à souligner qu'il s'agit d'une pépite pour la France, au même titre que la Caisse des dépôts et consignations - je dresse ce parallèle à dessein, car il ne faut pas rayer d'un trait de plume l'idée avancée par le Président de la République à la fin de l'année 2015, mais la retravailler, ce qui, du reste, va être fait.

Outil déterminant du rayonnement de la France, l'AFD est, du point de vue de son fonctionnement, une institution soumise à des contraintes bancaires. Elle doit donc aussi fonctionner comme une banque.

Le bon équilibre reste encore à trouver pour concilier sa capacité d'intervention sur le plan bancaire, une direction plus politique à laquelle je suis moi aussi favorable et une crédibilité fondée sur l'objectivité ; ce n'est pas que les responsables politiques ne soient pas objectifs, puisque c'est l'intérêt général qui les guide, mais il faut être réaliste quant au regard extérieur.

Le conseil d'administration de l'AFD, dont je suis membre, a décidé la semaine dernière, sur la proposition de Rémi Rioux, directeur général, de réfléchir aux moyens de mieux prendre en compte la dimension politique de l'action de l'agence, avec une présence accentuée du Parlement et du Gouvernement. À cet égard, je suis d'accord avec M. Joyandet : le ministre du développement ou de la coopération doit être le patron politique de la maison, étant entendu qu'un patron fonctionnel est également nécessaire.

Si j'insiste beaucoup pour que le Parlement, en particulier, soit plus présent dans toutes les instances de l'AFD, c'est pour que son organisation corresponde à celle de la Caisse des dépôts et consignations, dans la mesure où, je crois, des coopérations très importantes vont s'établir entre les deux institutions. Or, comme vous le savez, la Caisse des dépôts et consignations est placée sous le contrôle du Parlement. Une sorte de parallélisme doit s'établir de ce point de vue ; il contribuera à l'équilibre dont j'ai parlé il y a quelques instants, ainsi qu'au renforcement réciproque des deux établissements.

Mes chers collègues, nous devons avoir à l'esprit trois priorités : l'approche globale, les réalisations concrètes à court terme et la bonne utilisation des fonds publics. Quant à la corruption, les acteurs de terrain eux-mêmes nous demandent de la combattre plus fermement, au besoin en stoppant certaines opérations.

Mme Hélène Conway-Mouret, co-rapporteur. - M. de Raincourt vient de balayer très largement les questions soulevées par nos collègues ; je me contenterai de compléter son propos sur quelques points de détail.

Notre réflexion a été guidée par la volonté de nous inspirer de ce qui marche aujourd'hui. De ce point de vue, il est certain que la tendance française à la dispersion des acteurs et au saupoudrage des quelques moyens que nous pouvons avoir a entraîné, à la longue, une rétrogradation de notre pays. C'est pourquoi nous proposons la fusion des trois services d'évaluation. Il s'agit de faire l'analyse des structures existantes en vue de les rassembler. Quand il y a un décideur, le travail est bien meilleur et la visibilité à l'étranger beaucoup plus forte !

Il convient d'analyser aussi la manière dont nous distribuons notre aide. Quelque volonté que nous ayons de bien faire, nous avons tendance à expliquer aux Africains ce qui est bon pour eux et ce qu'ils devraient faire. Or les Maliens, par exemple, sont tout à fait responsables et savent exactement ce dont ils ont besoin. Il faut donc commencer par les interroger, puis seulement leur proposer notre aide, au lieu de leur expliquer de l'extérieur ce que nous allons faire pour eux. Dans un partenariat, il faut d'abord écouter son partenaire pour comprendre ses besoins et ses attentes !

M. Bockel a parlé de l'espace francophone. Même s'il ne faut pas négliger les parties lusophone et anglophone de l'Afrique, il est certain que nous ne tirons pas suffisamment parti de la place privilégiée que nous occupons dans cet espace. Je pense qu'il faut revendiquer cette place, l'histoire qui nous lie aux pays francophones et la langue que nous avons en partage avec eux, laquelle peut nous aider à nous imposer face à nos concurrents, qui n'opèrent pas forcément selon les mêmes normes que nous.

Quant au renforcement de l'aide bilatérale, il est en effet souhaitable. C'est pourquoi nous proposons de mettre l'accent sur les dons, qui sont le meilleur moyen de travailler directement avec un pays.

S'agissant de la corruption, nous suggérons d'accompagner les autorités locales pour aider les pays à gagner en stabilité juridique et financière. Il ne s'agit pas de proclamer de l'extérieur que la corruption doit cesser. Pour être efficace, ce travail de fond doit être mené de l'intérieur.

Enfin, si nous n'avons pas traité de la coopération décentralisée dans nos exposés, madame Goulet, c'est simplement que nous voulions privilégier une présentation orale concentrée. Notre rapport écrit est beaucoup plus fourni ; vous y trouverez, je l'espère, des réponses plus détaillées à vos questions.

M. Jean-Pierre Raffarin, président. - Ce rapport d'information est très important, d'autant que notre commission partage cette vision d'un destin euro-africain.

M. Henri de Raincourt, co-rapporteur. - Absolument.

M. Jean-Pierre Raffarin, président. - La question du partage entre le national et le multilatéral est essentielle et parfaitement cohérente avec nos débats sur l'Europe.

Il y a des causes importantes, comme la lutte contre le sida. Reculer dans un domaine comme celui-ci est très difficile, même si certains estiment qu'on devient un peu l'otage du système dans lequel on est entré.

M. Daniel Reiner. - C'est bien le cas !

M. Jeanny Lorgeoux. - La contribution de la France au fonds sida s'élève à 360 millions d'euros !

M. Jean-Pierre Raffarin, président. - De tels sujets engagent toutefois l'image de la France. Il faut donc fixer des règles, pour ne pas s'exposer au reproche qui peut parfois nous être adressé de faire des choix d'opportunité.

Pour finir et en conclusion, mes chers collègues, j'attire votre attention sur la nécessité de bien surveiller les débats à venir sur le projet de loi relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, au cas où des amendements reprendraient l'idée, refusée par notre commission, d'intégrer l'AFD dans la Caisse des dépôts et consignations. Nous comptons sur votre vigilance à ce sujet !

M. Henri de Raincourt, co-rapporteur. - Un amendement risque en effet d'être présenté. Pour ma part, j'inciterai nos collègues à ne pas le voter, car cette idée est tout à fait prématurée et risque de provoquer des désordres !

M. Christian Cambon. - Bien sûr !

M. Jean-Pierre Raffarin, président. - Une réforme de ce type ne doit pas se faire par un amendement.

Je mets aux voix le rapport d'information sur l'aide publique au développement au Sahel.

Le rapport d'information est adopté à l'unanimité.

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