AVANT-PROPOS

Après avoir connu, pendant plus d'une décennie, un développement économique rapide, accompagné d'une stabilité politique, d'une ouverture diplomatique et d'un accroissement de son pouvoir d'influence dans le monde, la Turquie est aujourd'hui confrontée à de multiples défis. Elle connaît une spirale de violences induite par le conflit syrien. La guerre contre le PKK a repris en juillet 2015, dans les régions de l'est du pays, contribuant à radicaliser cette organisation, à l'origine de plusieurs attentats sur le territoire turc. Daech à qui plusieurs attaques ont été attribuées en 2015 et 2016, notamment à Ankara et à Istanbul, y est également actif. La Turquie est, par ailleurs, confrontée à une crise migratoire majeure, puisqu'elle accueille 2,7 millions de réfugiés, pour une population de 74 millions d'habitants.

Confrontée à ces évolutions, la Turquie a fait des choix qui ont contribué à la fragiliser diplomatiquement et économiquement.

Depuis 2002, la Turquie semblait en bonne voie pour réaliser l'ambition qui est la sienne, de constituer un modèle et de devenir un leader au Moyen-Orient. L'arrivée au pouvoir du parti conservateur musulman pro-européen AKP a constitué un tournant politique et une transformation sociale, sans doute la plus importante depuis la fondation de la République turque par Mustafa Kemal en 1923. Ce parti, réaffirmant des valeurs traditionnelles, tout en prônant le développement économique et l'ancrage à l'Europe, a semblé incarner, pendant un temps au moins, une synthèse des différentes composantes et aspirations de la société turque.

Les clivages ethniques, religieux et culturels de cette société, ainsi que les conflits de valeurs, qu'illustrent la littérature (par exemple Neige d'Orhan Pamuk) ou le cinéma ( Mustang de Deniz Ergüven), réapparaissent toutefois avec force aujourd'hui. Tandis qu'une majorité d'électeurs a reconduit l'AKP aux élections législatives du 1 er novembre 2015, un climat passionnel semble s'être installé, marqué par des peurs réciproques.

La levée d'immunités, récemment votée par le Parlement turc, qui pourrait concerner 50 députés du parti pro-kurde d'opposition HDP poursuivis par la justice, est particulièrement préoccupante, car elle pourrait mener, à terme, à un basculement difficilement réversible du régime, que certains qualifient d'ores et déjà de « démocrature ».

La Turquie est-elle passée à côté des opportunités majeures qui semblaient s'ouvrir au début des années 2000 : l'opportunité d'un apaisement de la société turque d'une part, et celle d'un renforcement du dialogue entre les puissances occidentales et celles du Proche et Moyen-Orient, par l'entremise de la Turquie, d'autre part ? Souhaitant orienter sa diplomatie « à 360° », la Turquie semblait avoir vocation à constituer un trait d'union d'importance capitale entre l'Union européenne et les pays de son environnement proche.

Dans ce contexte, quelle est l'attitude à adopter, à l'avenir, vis-à-vis de la Turquie ?

Le dialogue avec l'Union européenne a été relancé par la crise migratoire, qui a conduit à promettre à la Turquie une accélération des négociations d'adhésion et de la libéralisation des visas, en échange de sa coopération à la résolution de ce drame humanitaire, auquel l'Union européenne échoue à répondre.

Les accords conclus, qui relèvent d'une forme de marchandage, ont permis de gagner du temps. Ils ne paraissent toutefois devoir résoudre, à long terme, aucune des questions qu'ils abordent (réfugiés, adhésion, visas).

La France doit faire entendre de façon plus audible ses positions à ce sujet, tandis que la négociation entre l'Union européenne et la Turquie est apparue de fait, aux yeux de beaucoup, comme une négociation entre l'Allemagne et la Turquie.

S'agissant des relations bilatérales franco-turques, la dernière décennie a été marquée par plusieurs sources de tensions. D'une part, le gel, un temps, par la France de plusieurs chapitres du processus d'adhésion de la Turquie à l'Union européenne, a refroidi ces relations. D'autre part, l'examen au Parlement français de plusieurs propositions de loi tendant à pénaliser la négation du génocide des Arméniens de 1915, reconnu publiquement par la France depuis 2001, a suscité plusieurs crises, dont la plus importante s'est terminée en 2012 par l'annulation du texte voté au Parlement par le Conseil constitutionnel. Ces difficultés ont aujourd'hui été surmontées. Un rapprochement s'est opéré à compter de 2012, et en 2014 par l'élaboration d'un plan d'action conjoint de coopération.

La Turquie est aujourd'hui un partenaire indispensable, mais fragilisé, dans la lutte contre Daech et la gestion des flux migratoires.

Dans ce contexte, le présent rapport vise à analyser les ressorts de l'évolution de la Turquie et de ses relations avec l'Union européenne, ainsi qu'avec la France. Il vise également à formuler des propositions, dans le but de clarifier les ambiguïtés existant dans les relations avec la Turquie et de renouer avec ce pays en mettant en oeuvre, de façon prioritaire, une feuille de route visant à relancer la coopération à tous les niveaux.

I. UNE PUISSANCE ALLIÉE, PIVOT ENTRE ORIENT ET OCCIDENT

A. UNE PUISSANCE ALLIÉE, PARTENAIRE STRATÉGIQUE POUR L'EUROPE

1. Un pivot stratégique
a) Une position géostratégique clef

Dans Le Grand échiquier, L'Amérique et le reste du monde , Zbignew Brzezinski qualifie la Turquie de « pivot géopolitique de premier ordre », désignant ainsi « des États dont l'importance tient à leur situation géographique sensible et à leur vulnérabilité potentielle ». D'autres États, tels que l'Iran ou l'Ukraine, constituent des États pivots : « Le plus souvent, leur localisation leur confère un rôle clé pour accéder à certaines régions ou leur permet de couper un acteur de premier plan des ressources qui lui sont nécessaires » 1 ( * ) .

La Turquie est au carrefour de l'Europe et de l'Asie et à l'intersection de plusieurs régions dont les évolutions la concernent : Moyen-Orient, Asie centrale, Balkans notamment. « Elle surveille le Nord, empêchant que la mer Noire devienne russe, elle contrôle l'accès à la mer Égée ainsi que la défense de la Grèce (...), elle est la première puissance régionale et stabilisatrice dans les Balkans, elle contrôle la Méditerranée orientale. Elle est le prolongement et le contrefort de l'Occident . » 2 ( * )

Sur le plan historique, la Turquie est l'héritière de la dislocation de l'Empire ottoman. À l'issue de la première guerre mondiale, le traité de Sèvres (10 août 1920) a notamment acté :

- l'existence d'un État arménien et d'un territoire autonome kurde ;

- la cession de territoires au profit de la France, de la Grande-Bretagne et de la Grèce ;

- l'existence de zones d'influence de la France, de l'Italie et de la Grande-Bretagne ;

- l'internationalisation des détroits.

À la suite de la guerre d'indépendance, menée par Mustapha Kemal, le traité de Sèvres devient inapplicable et un nouveau traité, signé à Lausanne (24 juillet 1923) trace les frontières actuelles de la Turquie. Les alliés renoncent à l'indépendance de l'Arménie et à l'autonomie du Kurdistan. La Turquie reconnaît la perte de certains territoires ottomans, dont des territoires appartenant à la Syrie et à l'Irak actuels. Le traité institue également des échanges de population, notamment entre la Grèce et la Turquie. En 1939, le territoire de la Turquie s'agrandit, parvenant à ses frontières actuelles, par l'adjonction de la province du Hatay (Iskenderun), jusqu'alors sous mandat français (Alexandrette). Il résulte de cette période une proximité particulière de la Turquie avec les régions voisines de Mossoul (Irak), dont la Turquie n'a reconnu la perte qu'en 1926, et d'Alep (Syrie).

D'après de nombreux observateurs, il en résulte également un syndrome obsidional de la Turquie, dit « syndrome de Sèvres », recouvrant l'idée que les puissances occidentales auraient l'objectif dissimulé de diviser la Turquie, à leur profit et en faveur des minorités kurde et arménienne. De ce point de vue, « la Première guerre mondiale a séparé l'Europe de la Turquie » 3 ( * ) . Ce « syndrome de Sèvres », qui perdure aujourd'hui, est alimenté tant par les programmes scolaires que par les discours des hommes politiques. Il traduit une méfiance vis-à-vis des pays occidentaux, qui transparaît dans les échanges avec la Turquie sur la question kurde ou les demandes de reconnaissance du génocide arménien. Les débats en Turquie sur l'adhésion à l'Union européenne, et les réactions aux critiques émises concernant les atteintes aux libertés publiques, illustrent également cette méfiance de la Turquie vis-à-vis de l'Occident : « Le souvenir de la catastrophe de 1919 nourrit la peur d'autres pertes et l'obsession primordiale de la défense des frontières nouvelles. La crainte de voir le territoire turc à nouveau disloqué pour satisfaire aux visées impérialistes occidentales devient l'obsession collective. Le syndrome consolide ainsi le sentiment d'appartenance des Turcs, en les appelant constamment à défendre la patrie en danger contre l'envahisseur » 4 ( * ) .

La Turquie n'a pas le monopole des peurs engendrées par l'histoire. Les pays de l'Union européenne peuvent aussi en être victimes : « l'encerclement de Vienne à deux reprises a laissé des traces des deux côtés », générant une « angoisse de Vienne » 5 ( * ) . « Le siège de Vienne est un symbole qui relie les deux pôles de la tension identitaire des Turcs face à l'Occident. Elle exprime à la fois la potentialité d'être aux portes de l'Europe, d'entrer dans l'Europe, de faire partie de l'Occident et, dans le même temps, d'avoir été refoulé du coeur de l'Europe d'abord, de ses marchés ensuite, lors d'un déclin qui s'est achevé par la perte de l'Empire » 6 ( * ) . La représentation symbolique de ce siège de l'une des capitales du monde chrétien n'est pas moins forte côté européen.

b) Un partenaire de l'OTAN

Après 1945, la Turquie a recherché la protection des puissances occidentales par nécessité, au regard des revendications de l'URSS sur les détroits de la mer Noire et certaines parties du territoire turc. La Turquie est le premier État musulman à avoir reconnu l'État d'Israël en 1948. Elle est entrée au Conseil de l'Europe, quelques mois après sa création en 1949. En 1950, des soldats turcs ont participé aux côtés des Américains à la guerre de Corée, puis, en 1952, la Turquie est entrée dans l'OTAN, au même moment que la Grèce. Ce tropisme occidental de la Turquie a été confirmé par son adhésion à l'OCDE en 1960 puis par l'accord d'association conclu avec la Communauté économique européenne le 12 septembre 1963 (accord d'Ankara).

La Turquie a toutefois aussi connu des désaccords avec ses alliés occidentaux, en raison des conflits persistants avec la Grèce. L'invasion turque de la partie nord de Chypre (20 juillet 1974) a créé un différend durable, illustrant l'autonomie de la politique étrangère turque. Dès les années 1970, elle a tenté de développer ses relations avec les pays musulmans, en adhérant à l'Organisation de la conférence islamique (OCI), mais sans que cela ne remette en cause son positionnement stratégique.

L'armée turque est la deuxième de l'OTAN en termes d'effectifs, après les États-Unis. Les dépenses militaires de la Turquie s'élèvent à 22,6 milliards de dollars, ce qui la situe au quinzième rang mondial. Ces dépenses ont progressé de 15 % entre 2005 et 2014. Elles représentent 2,5 % du PIB. Dans le cadre de l'OTAN, les États-Unis déploient en Turquie, comme dans quatre autres pays d'Europe, des armes nucléaires tactiques (B61), sur la base d'Incirlik 7 ( * ) .

Après la fin de la guerre froide, la Turquie conserve une position clef dans la région, au regard des conflits du Moyen-Orient.

2. Un partenaire politique
a) Un dialogue constant avec l'Union européenne

La Turquie se considère, par son histoire et sa géographie, comme « membre de la famille européenne » 8 ( * ) . Elle a formulé son souhait d'être associée à la Communauté économique européenne (CEE), qui ne comptait alors que ses six membres fondateurs, dès 1959, quelques jours après une demande analogue de la Grèce. L'accord d'Ankara, signé le 12 septembre 1963 et entré en vigueur le 1 er décembre 1964, prévoit le renforcement progressif des relations économiques et commerciales entre la Turquie et la CEE, en vue de l'instauration d'une union douanière. L'association, qui a comporté d'abord une phase préparatoire, puis une phase transitoire et une phase définitive, a débouché sur cette union douanière, entrée en vigueur le 31 décembre 1995. La Turquie fut alors le premier pays à réaliser une union douanière sans accéder au statut de pays membre. Cette union douanière porte sur les produits industriels. Elle ne concerne ni les services, ni les marchés publics, ni les produits agricoles non transformés.

Dès 1963, l'accord d'Ankara laissait entrevoir la perspective, à terme, d'une adhésion de la Turquie à la CEE, en stipulant que « l'appui apporté par la Communauté économique européenne aux efforts du peuple turc pour améliorer son niveau de vie facilitera ultérieurement l'adhésion de la Turquie à la Communauté » . L'article 28 de l'accord d'Ankara ajoute que « lorsque le fonctionnement de l'accord aura permis d'envisager l'acceptation intégrale de la part de la Turquie des obligations découlant du traité instituant la Communauté, les Parties contractantes examineront la possibilité d'une adhésion de la Turquie à la Communauté ».

Ayant présenté officiellement sa candidature en 1987, la Turquie a obtenu le statut de pays candidat à l'Union européenne à la suite de la réunion du Conseil européen d'Helsinki en décembre 1999. En 2004, le Conseil européen a décidé l'ouverture des négociations d'adhésion. Après que la Turquie a déclaré unilatéralement ne pas reconnaître la République de Chypre, l'UE a adopté une déclaration rappelant que la Turquie doit reconnaître tous les Etats membres et normaliser ses relations avec eux.

Les négociations d'adhésion ont démarré lors d'une conférence intergouvernementale tenue le 3 octobre 2005. Le cadre de négociations alors adopté précise que « ces négociations sont un processus ouvert dont l'issue ne peut être garantie à l'avance » et qu'elles « dépendent de la capacité d'assimilation de l'Union, ainsi que de la capacité de la Turquie à assumer ses obligations ». Si ces conditions n'étaient pas remplies, la Turquie devrait être « ancrée dans les structures européennes par le lien le plus fort possible ».

b) Un partenaire important pour la France

Les relations politiques franco-turques s'inscrivent dans une longue histoire, que l'on fait généralement remonter au traité d'alliance entre François Ier et Soliman le Magnifique (1536), considéré historiquement comme la première alliance entre un État chrétien et un empire non chrétien, et ayant suscité, à l'époque, un certain émoi en Europe. Les relations franco-turques ont également été marquées par la visite d'État en Turquie du général de Gaulle en 1968, au cours de laquelle il a rendu hommage à Mustafa Kemal (« De toutes les gloires, Atatürk a atteint la plus grande : celle du renouveau national »).

Au cours des années récentes, la relation franco-turque a été marquée par des divergences sur les questions de l'adhésion de la Turquie à l'UE et du génocide arménien. Depuis 2012 toutefois, un rapprochement s'est opéré et le dialogue bilatéral s'est intensifié. La lutte contre Daech et la question migratoire ont rendu le partenaire turc incontournable.

Le président de la République François Hollande s'est rendu en janvier 2014 en Turquie, pour une visite d'État qui était la première depuis 1992. Cette visite a donné lieu à l'établissement d'un cadre stratégique de coopération afin, d'une part, d'institutionnaliser la relation franco-turque, et, d'autre part, de prévoir une rencontre annuelle au niveau des ministres des affaires étrangères. En octobre 2014, la première réunion du cadre stratégique a permis l'adoption d'un plan d'action conjoint pour la coopération entre la France et la Turquie pour la période 2014-2016.

Cette feuille de route réaffirme l'objectif d'une coopération étroite afin de poursuivre le processus d'adhésion de la Turquie à l'UE, en vertu du cadre de négociation arrêté en 2004, et de mettre en oeuvre l'accord de réadmission signé par la Turquie et l'UE en 2013, en vue de conclure le dialogue sur la libéralisation des visas. Cette volonté de coopérer plus étroitement est, en outre, déclinée à tous les niveaux et dans plusieurs instances (OTAN, OSCE, G20, COP21, ONU...). Cette feuille de route prévoit une coopération renforcée dans le domaine de la sécurité, de la lutte contre toutes les formes de terrorisme, contre la criminalité organisée, et en matière d'immigration clandestine, de traite des êtres humains et de fraude documentaire. Le plan d'action conjoint comporte, par ailleurs, des dispositions relatives à la coopération dans le domaine de la défense, y compris entre industries de défense, dans les domaines de la justice et des affaires intérieures, ainsi que dans les secteurs de la culture, de l'éducation et de la science.

De fait, les relations entre la France et la Turquie se sont apaisées et densifiées. En 2015 et 2016, les contacts de haut niveau se sont multipliés.

2015-2016 : un dialogue politique ministériel dense

En 2015, les autorités turques et françaises ont noué des contacts fréquents et réguliers. Ce rythme est resté soutenu en 2016 : le Premier ministre s'est entretenu avec son homologue turc, Ahmet Davutoðlu, le 21 janvier 2016 en marge du forum économique de Davos. Le Président de la République a rencontré le Président turc le 31 mars 2016 à Washington.

Le dialogue avec la Turquie sur les questions de défense et de sécurité est conséquent, notamment en matière de lutte contre les filières de combattants radicaux. Le ministre de la défense et le ministre de l'intérieur se sont rendus en Turquie, respectivement les 5 et 6 janvier et les 5 et 6 février 2016. Par ailleurs, le ministre turc en charge des Affaires européennes Volkan Bozkýr a été reçu en France en février 2016. Il s'est rendu, à cette occasion, au Sénat, où il a rencontré conjointement des membres du bureau de la commission des affaires européennes et du bureau de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.

3. Un partenaire économique
a) Une économie émergente

La Turquie a présidé le G20 en 2015, consacrant son statut d'économie émergente dynamique, qui résulte d'une politique de développement économique menée depuis plus de trente ans. La Turquie a l'ambition légitime de devenir l'un des leaders du monde émergent.

La mise en oeuvre de l'accord d'association avec l'Union européenne de 1963 a soulevé des difficultés qui ont incité la Turquie à procéder à des réformes économiques structurelles. Cet accord a en effet engendré un important déficit dans les échanges avec la CEE, en raison d'un potentiel de développement des exportations turques bien inférieur au potentiel d'importations, généré par le développement de l'économie turque. En particulier, la forte dépendance énergétique de la Turquie l'a contrainte à consolider ses débouchés à l'exportation ainsi que les flux de capitaux nécessaires au financement son déficit extérieur. Après avoir mis en oeuvre une stratégie de développement volontariste et introvertie, la Turquie a donc opéré, dans les années 1980, un premier tournant libéral, marqué par une ouverture vers l'extérieur.

Impulsée par Turgut Özal, Premier ministre puis Président de la République de 1983 à 1993, cette ouverture a abouti à la suppression du contrôle des changes et à l'institution de la convertibilité de la livre turque.

Les années 1990 apparaissent, en revanche, comme une décennie « perdue », marquée par trois crises économiques importantes (1994, 1999, 2001). Le programme de stabilisation mis en oeuvre à partir de 2001, sous l'impulsion du ministre de l'économie Kemal Derviþ, ancien vice-président de la Banque mondiale, a permis à la Turquie de retrouver une croissance rapide. Ce programme s'inscrivait dans le cadre de l'intervention du FMI et dans la perspective de la demande de candidature de la Turquie à l'Union européenne.

La politique de stabilisation de l'économie et d'harmonisation européenne a été poursuivie par l'AKP après 2002. Des mesures ont été prises pour faciliter les investissements directs étrangers, diminuer les impôts et procéder à des privatisations. Le produit intérieur brut (PIB) turc a augmenté de 6,7 % par an en moyenne sur la période 2002-2007. L'économie turque s'est hissée au quinzième rang mondial.

La crédibilité politique de l'AKP et sa longévité au pouvoir reposent en partie sur ses succès dans le domaine économique, qui ont permis de réduire la pauvreté, et de consolider le soutien des classes moyennes et populaire, ainsi que d'une nouvelle classe d'entrepreneurs conservateurs, les « tigres anatoliens ».

PIB par habitant (en dollars constants de 2011)

Source : Banque mondiale

b) Un partenaire économique pour la France

En 2014, la France est le septième fournisseur de la Turquie avec 5,9 milliards d'euros d'exportations et son cinquième client avec 6,1 milliards d'euros d'importations. La Turquie est notre quatorzième débouché dans le monde et sixième client hors UE et Suisse, derrière les États-Unis, la Chine, le Japon la Russie et l'Algérie. Elle absorbe 1,4 % de nos exportations.

Plus de 300 entreprises françaises sont présentes en Turquie, employant plus de 50 000 personnes, par exemple BNP Paribas (9 300 employés) ou Renault (6 200 salariés), qui est la troisième entreprise exportatrice de Turquie et assure 52 % de la production locale de véhicules passagers. PSA Peugeot-Citroën a noué des partenariats avec des producteurs locaux pour la production de véhicules utilitaires. Par ailleurs, dix-sept équipementiers français, tels Faurecia et Valeo, sont implantés. Thalès, Nexans, Airbus group, Air Liquide sont également présents. La Turquie a signé en 2003 un contrat portant sur l'acquisition de 10 exemplaires de l'A400M. Cette commande devait être honorée d'ici à 2018.

Le gestionnaire aéroportuaire turc TAV, dont le groupe Aéroports de Paris (ADP) détient 38 %, est l'un des principaux gestionnaires d'aéroports dans le monde, présent dans de nombreux pays (Tunisie, Arabie saoudite...).

Dans le domaine de l'énergie, les investissements d'Engie ont dépassé 1 milliard d'euros (production d'électricité et rachat de la société de distribution du gaz dans la région d'Izmir). EDF est surtout présente sur la filière renouvelable, et dans deux développeurs éoliens Eole-RES et Akuo Energy. En revanche, Total a annoncé la cession de sa filiale de distribution de produits pétroliers au groupe turc Demirören.

Sont également présentes en Turquie des entreprises françaises des secteurs de la pharmacie, de l'agro-alimentaire, de l'assurance ainsi que dans ceux du commerce, du tourisme et de l'hôtellerie.


* 1 Philippe Marchesin, « Géopolitique de la Turquie à partir du Grand Echiquier de Zbignew Brzezinski », Etudes internationales, 2002.

* 2 Pierre Béhar, Le rôle géostratégique de la Turquie, Assemblée nationale (29 novembre 1994).

* 3 «Turquie : le syndrome de Sèvres ou la guerre qui n'en finit pas», Dorothée Schmid, Politique étrangère 1/2014.

* 4 Même source.

* 5 M. Ahmet Insel (audition en annexe au présent rapport), faisant référence aux sièges de Vienne par l'Empire ottoman en 1529 et 1683.

* 6 « La Turquie, l'Europe et le complexe de Vienne », Ahmet Insel (Le Monde du 13 octobre 2011).

* 7 SIPRI Yearbook, Oxford University press, 2015.

* 8 http://www.mfa.gov.tr/les-relations-turquie-ue.fr.mfa

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