B. A MAYOTTE, DES ENJEUX QUI DÉPASSENT LE CADRE SANITAIRE

L'offre médicale mahoraise apparaît très nettement sous-dimensionnée par rapport aux besoins de la population , à tel point qu'il a pu être affirmé devant vos rapporteurs que le premier hôpital mahorais serait en réalité... l'avion ! Selon les éléments transmis par l'agence de santé, on ne peut parler d'une dynamique de rattrapage du système de santé à Mayotte, les infrastructures fonctionnant sur place ayant avant tout pour fonction de pallier l'urgence . Au total, le système mahorais repose principalement sur l'hôpital, qui se trouve cependant en grande difficulté du fait de l'afflux massif de Comoriens en situation irrégulière.

1. Une offre libérale quasiment inexistante


• L'offre de ville mahoraise apparaît extrêmement faible , quelle que soit la catégorie de professionnels concernés, avec des densités très inférieures à celles constatées en métropole.

Nombre de professionnels de santé libéraux à Mayotte,
hors remplaçants, au 1 er janvier 2015

Professionnels de santé

Exercice libéral

Tous modes d'exercice

Densité

(pour 100 000 hbts)

Médecins généralistes

19

123

9

Médecins spécialistes

10

85

5

Total médecins

29

208

14

Chirurgiens-dentistes

10

13

5

Infirmiers

175

763

82

Masseurs-kinésithérapeutes

54

67

25

Orthophonistes

7

10

3

Orthoptistes

0

1

0

Pédicures-podologues

1

2

0

Ergothérapeutes

0

3

0

Psychomotriciens

0

3

0

Pharmaciens

18

58

8

Source : Agence de santé pour l'Océan Indien

Dans son rapport de 2014 sur la situation sanitaire dans les outre-mer, la Cour des comptes relevait que « sont constatées dans certaines zones des surdensités médicales, rares mais numériquement significatives : l'écart est du simple au centuple entre Mayotte et la côte ouest de La Réunion ».

Elle relevait également que « les médecins libéraux sont moins de 15 par 100 000 habitants ; en 2012 et 2013, 16 d'entre eux sont partis, et 6 seulement sont arrivés. Un généraliste libéral fait fonction d'ophtalmologue, le seul pour plus de 220 000 patients très exposés. Dix des 17 communes n'ont pas de généraliste. Les rares médecins libéraux se sont mis en grève en 2013 en raison de l'insuffisante densité en professionnels de santé par habitant, d'une charge de travail écrasante (jusqu'à 50 consultations/jour, accélérées en raison des files d'attente), de l'insuffisance de prestataires pour l'entretien du matériel médical et d'une insécurité perçue comme croissante. »


• Selon les informations transmises par l'agence de santé, cette situation s'explique en grande partie par l'organisation de la couverture d'assurance maladie à Mayotte, où ni la couverture maladie universelle complémentaire (CMU-c), ni l'aide médicale d'Etat (AME) n'ont encore été mises en place . Dans ces conditions, alors que les soins hospitaliers sont entièrement gratuits, le recours à un praticien libéral suppose l'acquittement par les assurés sociaux du ticket modérateur, dont le montant apparaît trop lourd pour la plupart des Mahorais. S'agissant des non affiliés à la sécurité sociale, pour la plupart originaires des Comores, l'absence d'AME rend en pratique quasiment impossible l'accès à la médecine de ville. C'est donc en large part à l'absence de solvabilisation de l'offre libérale par la couverture maladie que tient son faible développement.

La couverture maladie à Mayotte :
un régime spécial d'assurance maladie n'incluant ni la CMU, ni l'AME

La population mahoraise est couverte depuis 2003 par un régime spécial de sécurité sociale, financé par la caisse nationale d'assurance maladie (Cnam) sur la base de la solidarité nationale . L'affiliation à ce régime se fait sur des conditions de résidence régulière, et n'est pas subordonnée au versement de cotisations par les bénéficiaires.

En l'absence d'aide médicale d'Etat (AME) , les patients pris en charge qui se trouvent en situation de séjour irrégulier sur le territoire doivent acquitter une quote-part pour la prise en charge de leurs soins.

Les assurés mahorais bénéficient d'une prise en charge hospitalière à 100 %, y compris pour les consultations . En revanche, les soins de ville ne sont couverts ni par la CMU, ni par la CMU-c , qui n'existent pas dans le département.

Lors d'un déplacement à Mayotte en août 2014, le Président de la République avait demandé que les droits à la santé puissent y être reconnus au même titre que sur le reste du territoire national, et notamment que la couverture maladie universelle (CMU) puisse y être étendue. Par une question écrite n° 22613 en date du 7 juillet 2016, adressée au ministère des affaires sociales, notre collègue Thani Mohamed Soilihi a récemment demandé des précisions sur le calendrier de l'extension de la CMU, sans toutefois qu'une réponse y ait encore été apportée à la date de publication du présent rapport.

Les différents interlocuteurs entendus par votre délégation ont fait état d'un possible « appel d'air » qui serait suscité par la mise en oeuvre de l'AME à Mayotte, dans un contexte d'accroissement de l'immigration illégale déjà difficile. Vos rapporteurs soulignent cependant que la charge sanitaire de l'immigration illégale est pour l'heure et en tout état de cause déjà supportée par le centre hospitalier de Mayotte (CHM), pour lequel le coût de la prise en charge des non assurés sociaux est évalué à 35 millions d'euros annuels.

Une deuxième explication tient au manque criant et croissant d'attractivité du territoire mahorais pour les praticiens de ville. En raison notamment de la montée continue de l'insécurité depuis le début des années 2010, de l'absence de dispositifs exceptionnels tels que les zones franches, ou encore du coût très élevé de la vie sur place, Mayotte souffre d'une désaffection certaine de la part des professionnels de santé libéraux. Or, les médecins exerçant actuellement à Mayotte approchant pour un certain nombre d'entre eux de l'âge de la retraite, il est probable qu'ils ne pourront pas être remplacés par de nouvelles installations, tandis que le recours à des remplaçants temporaires est trop coûteux pour le territoire.

S'il est bien sûr indispensable d'agir sur ces deux plans pour permettre un véritable développement de l'offre de ville, le premier de ces problèmes semble pouvoir trouver une solution plus immédiate et plus aisée dans l'extension de la couverture maladie dont bénéficient les Mahorais, et qui constitue de toute façon l'un des objectifs de l'achèvement de la départementalisation du territoire. Selon l'agence de santé, le coût estimé de la seule exonération du ticket modérateur à Mayotte serait de 10 millions d'euros annuels, contre 40 millions d'euros par an pour la mise en place de la CMU-c sur ce territoire .

Préconisation n° 6 : Assurer l'extension rapide de la CMU-c à Mayotte pour solvabiliser la demande de médecine de ville.

2. Un système hospitalier encore très loin des critères nationaux
a) Un hôpital assurant les trois niveaux de recours aux soins

Face à la faiblesse de l'offre libérale, le centre hospitalier de Mayotte (CHM), implanté à Mamoudzou, constitue de très loin le premier offreur de soins du territoire, et se trouve contraint d'exercer des missions bien plus larges que celles habituellement assurées par les établissements hospitaliers, s'agissant notamment de la prise en charge de soins non programmés dans le cadre du premier recours.


• Pivot central du système de soins mahorais, l'établissement assure ainsi l'ensemble des niveaux de recours aux soins, assumant à la fois les fonctions de dispensaire et de plateau technique perfectionné . L'organisation territoriale du CHM reproduit cette gradation des soins dans le cadre hospitalier, et comprend trois types de structures : 12 dispensaires et 4 centres de référence existent autour du centre principal de Mamoudzou.

Répartition des établissements sanitaires à Mayotte au 1 er janvier 2016

Source : Agence de santé pour l'Océan Indien

Les dispensaires , ouverts du lundi au vendredi de 7 heures à 14 heures et répartis dans toute l'île, constituent le niveau de premier recours. Y sont assurés, outre des consultations de médecine générale et des consultations infirmières, le suivi des sorties d'hospitalisation, le suivi des patients atteints de maladies chroniques, ainsi que la dispensation gratuite de médicaments pour les traitements aigus.

Les centres de référence , installés dans le nord de l'île à Dzoumougné, en son centre à Kahani, au sud à M'ramadoudou et en Petite-Terre à Dzaoudzi, assurent les mêmes missions que les dispensaires, sur des horaires toutefois élargis. Y sont par ailleurs pratiqués des accouchements physiologiques (7 374 en 2014) sous la responsabilité des sages-femmes, les centres disposant à cet effet de 119 lits d'hospitalisation de gynécologie-obstétrique.

Enfin, sur le site principal de Mamoudzou se trouvent l'essentiel des capacités d'hospitalisation du CHM ainsi qu' un plateau technique complet , comprenant une structure d'urgences, un centre dit « 15 » de régulation des appels urgents, un service de réanimation, un bloc opératoire, un service d'imagerie, un laboratoire de biologie médicale, un service de soins intensifs néonatal ainsi qu'un caisson hyperbare.


• Comme à La Réunion, l'isolement, l'insularité et la pénurie de praticiens obligent à un travail en coopération entre structures publiques et privées . Il a ainsi été indiqué à votre délégation que le service d'imagerie de l'hôpital bénéficie d'un accès à un scanner et à un IRM gérés par un groupement d'intérêt économique (GIE) constitué entre le CHM et le cabinet d'imagerie médicale privé. Le CHM travaille en outre en étroite collaboration avec la société Maydia, établissement de santé privé à but lucratif gérant plusieurs unités de dialyse à Mamoudzou et à M'ramadoudou.

Le secteur sanitaire privé à Mayotte comprend par ailleurs 17 pharmacies, un laboratoire d'analyses médicales et 9 opticiens.


• Les acteurs entendus par vos rapporteurs ont indiqué que si ce fonctionnement pouvait paraître anachronique, il s'agit cependant de la meilleure des solutions en l'état actuel de la situation de l'île .

b) Face à l'augmentation continue de l'activité, de fortes difficultés de fonctionnement


• Dans ce contexte, le CHM fait cependant face à un triple problème financier, de capacité et d'attractivité pour les praticiens .

En premier lieu, en dépit du doublement de son budget depuis 2010, le budget du CHM souffre d'un déficit structurel , du fait du rythme extrêmement rapide d'augmentation de son activité. Compte tenu du profil des patients reçus et de la part qu'y prennent les non assurés sociaux 29 ( * ) , il n'est pas financé par la tarification à l'activité (T2A), mais bénéficie d'une dotation annuelle de fonctionnement (DAF) .

C'est dans ce cadre que des demandes de crédits complémentaires doivent ainsi régulièrement être transmises à la direction générale de l'offre de soins (DGOS), qui ne parviennent cependant pas à couvrir l'augmentation structurelle de l'activité de l'établissement , sous l'effet notamment du poids de l'immigration.

Le problème de l'offre sanitaire mahoraise ne se résume pas à une question de moyens : se pose également le problème de l'attractivité du territoire pour les praticiens médicaux . Selon les données transmises par la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees) du ministère des affaires sociales et de la santé, seulement 40 à 50 % des postes de praticiens hospitaliers du CHM seraient pourvus, le plus souvent pour des durées courtes - le reste des postes étant pourvu par des remplaçants, ce qui représente bien évidemment un coût conséquent pour l'établissement. Selon le rapport de la Cour des comptes de 2014, « cette instabilité est due en grande partie au manque d'attractivité de Mayotte : coût de la vie jugé élevé, insécurité en ce qui concerne les atteintes aux biens et, depuis peu, aux personnes ».

Il semble que les surrémunérations dont bénéficient les praticiens hospitaliers exerçant à Mayotte ne suffisent plus à compenser ces contraintes - le constat valant également pour les autres catégories de fonctionnaires : selon les informations fournies à votre délégation, il manquerait aussi, par exemple, un millier d'enseignants du secondaire pour satisfaire aux besoins. La mise en place d'une indemnité particulière d'exercice (IPE) en 2014 a permis de stabiliser les effectifs, sans toutefois inverser la situation - la Cour des comptes relevait à cet égard que le revenu imposable des praticiens hospitaliers a augmenté de 40 % par rapport à 2012. Selon les interlocuteurs rencontrés par votre délégation, les condition d'attribution de cette nouvelle indemnité - qui représente une année de salaire supplémentaire pour quatre ans d'exercice, soit une majoration de salaire de 25 % assortie d'une condition d'exercice pendant quatre ans - ne sont pas satisfaisantes et nuisent même au recrutement , dans la mesure où les praticiens ne souhaitent pas nécessairement s'implanter pour quatre ans à Mayotte.

Préconisation n° 7 : Revoir les conditions relatives au versement de l'indemnité particulière d'exercice, et notamment celle relative à la durée d'exercice, pour les praticiens hospitaliers exerçant à Mayotte.

Dans le but de faciliter les recrutements, il apparaît également nécessaire d'assouplir les conditions de recrutement des praticiens, dans le cadre d'échanges organisés avec des établissements métropolitains notamment. L'on pourrait ainsi imaginer que des praticiens hospitaliers exerçant dans l'hexagone puissent avoir la possibilité de passer deux années à Mayotte ou à La Réunion, sans pour autant perdre leur poste .

Préconisation n° 8 : Offrir la possibilité aux praticiens hospitaliers de l'hexagone d'exercer dans l'Océan Indien pour une durée limitée, dans le cadre de protocoles d'échange passés avec les établissements hospitaliers.

D'une manière plus générale, la formation des professionnels médicaux dans l'Océan Indien constitue un enjeu majeur pour l'amélioration de la démographie médicale . Depuis la création d'une UFR santé au sein de l'université de La Réunion en 2010, le premier cycle des études médicales est désormais accessible dans l'Océan Indien. Votre délégation estime cependant nécessaire de permettre l'accès à l'ensemble des études médicales dans la zone - ce qui nécessite corollairement d'y augmenter le nombre de praticiens hospitaliers ayant une valence universitaire. Elle souligne le caractère d'urgence de cette préconisation, dans la mesure où, en cette matière, les décisions prises aujourd'hui ne produiront leurs effets qu'au terme de la formation des praticiens, soit dans une dizaine d'années.

Préconisation n° 9 : Rendre accessible l'intégralité de la formation médicale aux étudiants de l'Océan Indien.


• Dans ces conditions, la procédure de certification des établissements hospitaliers mise en oeuvre par la HAS a été adaptée à la situation mahoraise . La question s'est en effet posée à la HAS de la pertinence d'une évaluation du CHM, compte tenu de l'écart aux standards hexagonaux : fallait-il attendre un nouveau cycle de certification, ce qui aurait repoussé de quatre ans l'engagement d'une démarche qualité, ou adapter les critères de la certification afin d'accompagner les équipes ? La deuxième solution a été retenue afin de ne pas décourager les initiatives mises en place, selon une logique de feuille de route. Ce travail est cependant chronophage pour la HAS, et demande un fort investissement de ses équipes.

c) Une maternité débordée

Les difficultés du CHM se concentrent sur la maternité, qui doit faire face à un accroissement de son activité extrêmement rapide : une augmentation du nombre de naissances de 25 % serait ainsi à prévoir pour l'année 2016, après déjà + 20 % en 2015. Aujourd'hui, avec 9 500 naissances annuelles, il s'agit de la première maternité de France, et même d'Europe . Selon les divers interlocuteurs rencontrés par votre délégation, 60 à 80 % de ces naissances sont étrangères - ce qui est d'autant plus problématique que les campagnes de prévention, et notamment celles qui sont centrées sur la sensibilisation à la régulation des naissances, ne peuvent toucher cette part de la population accueillie.

Face à cette situation, le manque d'effectifs est criant . Dans les maternités périphériques, qui affichent de très bons standards en matière d'équipement et d'infrastructures, ce sont cependant les sages-femmes qui assurent seules la prise en charge des parturientes. Dans les services de PMI, le suivi des naissances ne peut être assuré en raison du manque de personnels.

Lorsque les structures mahoraises ne peuvent assurer la prise en charge des cas les plus difficiles, ce sont les services périnataux réunionnais qui doivent prendre le relais, ce qui contribue à leur saturation . Selon l'agence de santé -qui souligne toutefois le caractère fortement sujet à caution de ces chiffres, qui proviennent de sources disparates-, les évacuations sanitaires (Evasan) vers La Réunion en provenance de Mayotte auraient concerné, en 2015, 52 transferts in utero et 34 transferts néonataux. Selon les praticiens du CHU, cette situation entraînerait un engorgement des services d'aval de la maternité.

3. Une offre médico-sociale très restreinte

Selon les informations fournies par l'agence de santé, l'offre médico-sociale mahoraise se composait en tout et pour tout, au 1 er janvier 2014 :

- d'une maison d'accueil spécialisée (MAS) pour les adultes handicapés, comportant 6 places ;

- d'un centre pour enfants et adolescents polyhandicapés (CEAP), avec 12 places ;

- d'un institut médico-éducatif (IME) comprenant 71 places ;

- de deux services d'éducation spéciale et de soins à domicile (SESSAD), offrant 180 places ;

- de 79 places en service d'aide et de soutien à l'autonomie et à l'intégration scolaire (SASAIS) ;

- de 24 places en institut thérapeutique, éducatif et pédagogique (ITEP), et enfin de 8 places en SESSAD-ITEP.


* 29 Selon les éléments communiqués par l'agence de santé pour l'Océan Indien, 60 % de l'activité de l'hôpital concerne des non assurés sociaux.

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