EXAMEN EN COMMISSION

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Réunie le mercredi 29 juin 2016, sous la présidence de M. Alain Milon, président, la commission entend une présentation de MM. Gilbert Barbier et Yves Daudigny de leur rapport d'information sur la politique du médicament.

M. Alain Milon, président . - Nous examinons maintenant le rapport de Gilbert Barbier et Yves Daudigny sur la politique du médicament.

M. Yves Daudigny, rapporteur . - Le médicament est un enjeu politique et un objet constant de polémique. Il est jugé tour à tour trop coûteux, trop dangereux, trop peu accessible, pas assez innovant, quand ce n'est pas tout simplement dépassé par les progrès dans les autres formes de prise en charge.

De trop nombreux dossiers, du Thalidomide au Mediator ou à la Dépakine jettent la suspicion sur les politiques d'encadrement, de contrôle et de suivi du médicament, peut-être plus dans notre pays que dans le reste de l'Europe !

Les polémiques se succèdent et se ressemblent sans paraître réellement permettre d'avancer. Industriels, ONG, médecins, pharmaciens, assurance maladie, lanceurs d'alerte expriment des points de vue tous légitimes, mais qui peinent à se croiser.

Dès lors, en quoi un nouveau rapport sur le médicament est-il nécessaire ? Comment peut-il faire autre chose qu'ajouter un point de vue, celui de la commission des affaires sociales du Sénat, à tous ceux qui s'expriment déjà largement dans la presse ?

Il nous est apparu que la diversité même des approches rend nécessaire la définition par les pouvoirs publics d'une position claire quant à la place du médicament dans notre système de santé - ceci d'autant plus que le cadre, déjà contraint, de nos finances sociales se trouve largement bousculé par le retour de l'innovation médicamenteuse.

Contrairement au Royaume-Uni par exemple, la France n'admet pas que certains ne puissent pas avoir accès à l'innovation ; elle a d'ailleurs mis en place des mécanismes d'accès précoce aux nouveaux traitements, comme les autorisations temporaires d'utilisation (ATU), largement saluées lors des auditions conduites. Le prix élevé des nouvelles molécules pose toutefois question. Après plusieurs années de baisse ayant permis une économie annuelle d'un milliard d'euros, l'enveloppe médicament a augmenté en 2014 du fait des seuls antiviraux d'action directe - traitement apparemment curatif contre l'hépatite C.

Le médicament ne peut donc plus uniquement apparaître comme un possible gisement d'économies pour l'assurance maladie. Il pose aussi de nouveaux problèmes de financement. Le retour de l'innovation thérapeutique, après un long plateau, pose ainsi une autre question essentielle pour l'avenir de notre système d'assurance maladie : celle de l'évaluation du médicament afin de déterminer son niveau de prise en charge et son prix.

Ces questions, qui sont au coeur de l'actualité, ont fait l'objet de propositions diverses, émanant de plusieurs acteurs, entre lesquelles le Gouvernement n'a pas tranché, voire même annoncé qu'il ne trancherait pas. Or, la continuité de la prise en charge du médicament par la sécurité sociale exige des décisions rapides pour mettre en place des réformes qui s'étaleront nécessairement sur plusieurs années.

Le rapport que nous vous présentons ne porte donc pas sur les enjeux de santé publique liés à l'usage du médicament, à la sécurité des produits ou à la pharmacovigilance, même s'il les mentionne nécessairement. La question qui nous a paru fondamentale est la suivante : quels sont les médicaments qui doivent être pris en charge par l'assurance maladie, et à quelles conditions ?

Cette question nous a tout d'abord conduits à tenter de distinguer entre les enjeux industriels et financiers, liés au processus productif du médicament, et les objectifs spécifiques à l'assurance maladie - payer au meilleur prix les médicaments les plus efficaces pour garantir l'accès de l'ensemble de la population aux meilleurs traitements. Nous avons ensuite étudié les différents types de médicament, selon qu'ils sont ou non pris en charge par l'assurance maladie. Nous avons enfin analysé le mécanisme de fixation du taux de remboursement et du prix du médicament afin d'apprécier son adaptation aux enjeux actuels.

M. Gilbert Barbier, rapporteur . - C'est donc tout d'abord dans sa dimension industrielle que nous avons étudié le médicament. Indéniablement, l'industrie du médicament constitue un secteur stratégique à la fois par la nature de sa production, qui constitue un outil indispensable au service de la santé des populations, mais aussi par son poids économique. Elle contribue en outre à la fois au rayonnement international de la recherche publique et privée et à celui de notre industrie.

En raison de la croissance continue de la demande et du caractère très innovant du secteur (que l'on pense au développement des biotechnologies, des thérapies ciblées, à l'immunothérapie ou encore à l'apparition de la médecine personnalisée), le médicament apparaît clairement comme un secteur économique d'avenir. Or, les entreprises françaises du secteur, qui constituent traditionnellement une part non négligeable de notre industrie nationale, affichent une érosion continue de leur compétitivité dans les dernières années.

Ainsi l'étude de Roland Berger cite : sur 130 molécules autorisées en Europe entre 2012 et 2014 : 8 étaient produites en France, 32 en Allemagne, 28 au Royaume Uni et 18 en Italie.

Dans ce contexte, le système d'administration des prix à la française est décrit comme illisible par de nombreux acteurs, qui y voient même une forme d'opacité, laissant place à toutes les suspicions. S'il s'avérait qu'il comprenne en effet traditionnellement une part de soutien à l'industrie nationale, cela sous-entendrait que les pouvoirs publics n'affirment pas suffisamment leurs exigences face aux laboratoires, en termes de prix comme en termes de santé publique. Nos travaux nous ont cependant permis de nuancer largement ce soupçon : l'enjeu majeur pour les administrations françaises de santé est aujourd'hui très clairement celui de la maîtrise du coût des médicaments. Cela n'interdit pas cependant la prise en compte des contraintes de l'industrie pharmaceutique, notamment dans le sens de la préservation des impératifs de santé publique : des hausses de prix peuvent ainsi être ponctuellement consenties pour des produits très anciens, dont le prix n'a pas été revalorisé depuis longtemps et dont l'exploitation devient de ce fait déficitaire, mais dont l'intérêt thérapeutique reste majeur.

Il est par ailleurs apparu que le modèle de production du médicament devra faire face, au cours des prochaines années, à de profonds bouleversements qui devront nécessairement être pris en compte par les pouvoirs publics dans leur dimension industrielle comme de santé publique.

On assiste en premier lieu à un phénomène de délocalisation et, dans une moindre mesure, de concentration des acteurs hors de France. Il pourrait s'intensifier au cours des prochaines années, dans la mesure notamment où les entreprises françaises n'auront pas pris le virage du médicament biologique. Cette évolution fait peser des risques importants sur le tissu productif français, mais aussi pour l'influence française dans le secteur des produits de santé. Dans ce contexte, il apparaît indispensable de préserver nos outils de compétitivité que constituent notamment notre exceptionnel environnement scientifique et médical, la qualité de nos structures industrielles, les avantages fiscaux tels que le crédit impôt-recherche (CIR) ou encore des mécanismes tels que celui des ATU.

En second lieu, on assiste à un phénomène de retour de l'innovation, qui remet en cause le modèle de fonctionnement des laboratoires fondé sur l'exploitation des blockbusters, pour lesquels de nombreux brevets sont désormais tombés. L'enjeu est ici d'accroître l'efficacité du système français, notamment en augmentant les moyens de la recherche publique fondamentale, en examinant les contraintes réglementaires qui pèsent sur elle, ou encore en encourageant le développement de partenariats de recherche publics-privés - ainsi que l'a d'ailleurs préconisé le conseil stratégique des industries de santé (CSIS) en avril dernier.

M. Yves Daudigny, rapporteur . - Revenons brièvement sur le parcours du médicament une fois la molécule élaborée par un laboratoire.

Contrairement à d'autres pays comme l'Italie, la France a réparti entre différents organismes les étapes permettant la distribution d'un médicament. Tout d'abord, la mise sur le marché d'un médicament, qui est régie par le droit européen, relève de l'Agence européenne du médicament (EMA, basée à Londres) et, en France, de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM). Un médicament est mis sur le marché si son bénéfice est jugé supérieur aux risques qu'il présente pour l'indication de traitement présentée par l'industriel. A l'appui de leur demande, les laboratoires soumettent à l'agence des études cliniques dont le niveau d'exigence et de transparence fait l'objet de débat. Nous y reviendrons.

Le seul critère admis pour mettre un médicament sur le marché est celui du rapport bénéfice/risque et, en France, le refus de mise sur le marché d'un médicament en France ou son interdiction doivent être justifiés au regard de ce critère sous peine d'une condamnation par le juge. L'ANSM est aussi chargée du suivi de l'usage des médicaments et de la pharmacovigilance, donc des décisions de restriction ou d'interdiction d'une molécule en fonction des risques qui peuvent être associés à son usage en vie réelle. Cette mission est particulièrement importante, comme l'a illustré récemment le scandale du Mediator. Mais elle a aussi en charge les recommandations temporaires d'utilisation (RTU) qui permettent l'usage remboursé d'un produit en dehors de son autorisation de mise sur le marché (AMM). Cette possibilité est importante pour la santé publique quand il s'avère qu'un médicament utilisé dans une certaine indication a aussi des effets thérapeutiques pour une autre maladie.

La deuxième étape est l'évaluation du médicament pour déterminer s'il doit ou non être pris en charge par la sécurité sociale. Depuis 1967, cette évaluation a été confiée à une commission, dite de la transparence, qui fait aujourd'hui partie de la Haute Autorité de santé (HAS). La commission de la transparence détermine le service médical rendu (SMR) du médicament et propose un taux de remboursement en fonction de celui-ci. Elle détermine aussi l'amélioration du service médical rendu (ASMR) qui sert de base à la fixation du prix.

En 2013, 85 % des médicaments vendus en France étaient remboursables. Cette proportion s'élevait à 97 % s'agissant des spécialités soumises à prescription médicale obligatoire.

Un médicament peut faire l'objet d'une prise en charge intégrale par la sécurité sociale soit en raison de l'intérêt qu'il présente, soit parce qu'il est prescrit à une personne pour traiter une pathologie correspondant aux critères de l'affection de longue durée (ALD) dite « exonérante », c'est-à-dire d'une affection « dont la gravité et/ou le caractère chronique nécessitent un traitement prolongé et une thérapeutique particulièrement coûteuse, et pour laquelle le ticket modérateur est supprimé ».

En 2011, d'après le syndicat des entreprises du médicament (Leem), les médicaments pris en charge à 100 % par l'assurance maladie représentent environ deux tiers des dépenses de remboursement par l'assurance maladie, le tiers restant se répartissant entre les médicaments remboursés aux autres taux.

En effet, certains ne sont remboursés que partiellement, soit en taux (15 %, 30 % ou 65 %), soit seulement pour certaines populations ou pour certaines indications.

Par ailleurs, certains médicaments ne sont pas remboursables, soit que le laboratoire n'ait pas fait la demande d'inscription sur la liste des médicaments remboursables, soit que le médicament ait été déremboursé.

Les médicaments pour lesquels une prescription médicale est obligatoire sont presque tous remboursés. Ceux pour lesquels une prescription médicale n'est pas obligatoire sont dits d'automédication en langage courant. L'ANSM qui en assure la régulation préfère, pour sa part, la notion de médicament sur conseil pharmaceutique pour bien montrer que si le patient peut décider d'avoir recours au médicament pour une pathologie bénigne, il doit pouvoir bénéficier du conseil du pharmacien. Ces médicaments ne sont pas pris en charge par la sécurité sociale et leur prix est libre. Il peut d'ailleurs varier d'une officine à l'autre.

Le fait qu'un médicament soit en accès direct dépend largement du choix que fait le laboratoire de demander ou non le remboursement, et non de l'efficacité intrinsèque du médicament. Ainsi, le paracétamol est incontestablement efficace mais ses dosages les plus courants sont en accès libre. Après plusieurs années de contestation de l'éventualité de dérembourser le Doliprane, Sanofi envisage aujourd'hui de le mettre entièrement en automédication. Cet exemple montre bien que cette question relève essentiellement de la stratégie commerciale des firmes. Est-il plus rémunérateur d'avoir un médicament remboursé par la sécurité sociale ? Oui, dans la grande majorité des cas, mais plus nécessairement quand le nom de marque est particulièrement connu du grand public, que le médicament risque de devenir substituable sachant que le prix des médicaments en automédication est libre.

D'autres médicaments ne sont plus admis au remboursement du fait de la réévaluation de leur service médical rendu. Cette réévaluation est conduite par la commission de la transparence de la HAS de manière continue. Chaque molécule inscrite au remboursement doit être réévaluée au plus tard tous les cinq ans. A la demande des ministres successifs depuis 2002, différents plans de réévaluation des médicaments ont pu être conduits avec un périmètre élargi aboutissant au déremboursement de nombreuses spécialités. Depuis 2012, aucun nouveau plan d'ensemble n'a été mis en oeuvre mais la commission de la transparence continue ses réévaluations systématiques, molécule par molécule. Dans la majorité des cas, le réexamen confirme le niveau de SMR déjà reconnu. Dans quelques rares cas, le réexamen peut conduire à la reconnaissance d'un service médical rendu plus élevé. Surtout, plusieurs dizaines de décisions tendent à la réduction du SMR ou à sa déclaration comme insuffisant. Ceci entraîne la recommandation d'une baisse du taux de remboursement, voire d'un déremboursement.

En 2015, seize arrêtés ont été pris par la ministre en charge de la sécurité sociale sur le fondement des réévaluations conduites par la commission de la transparence. Ils ont exclu du remboursement 351 spécialités (plusieurs spécialités pouvant correspondre aux différents conditionnements et dosages d'un même médicament).

La réévaluation et le déremboursement sont un élément structurel de la gestion de la prise en charge des médicaments par l'assurance maladie.

Ces déremboursements ne vont pas sans contestation, que ce soit récemment pour les anti-arthrosiques symptomatiques d'action lente, ou actuellement pour les médicaments anti-Alzheimer. Néanmoins, la réévaluation elle-même par la commission de la transparence n'est que rarement remise en cause. C'est l'effet du déremboursement sur la prescription -c'est-à-dire notamment le risque de report vers des molécules remboursées mais peut-être inadaptées- qui est invoqué pour contester les mesures de déremboursement, dans l'idée que l'économie serait au mieux incertaine et le risque d'effets secondaires renforcé.

Incontestablement, sur cette question comme sur celle, complexe, de la prescription d'un médicament hors des conditions d'autorisation de sa mise sur le marché, les mesures de gestion de la prise en charge doivent s'accompagner de mesures d'information à destination des professionnels de santé et tout particulièrement des prescripteurs.

La question fondamentale est en fait celle des critères d'évaluation du médicament par la commission de la transparence. En effet, le service médical rendu (SMR) est le critère utilisé pour déterminer le taux de prise en charge, tandis que l'amélioration du SMR l'est pour déterminer le prix. Cette distinction, cohérente a priori, est en fait devenue, au fil du temps, de plus en plus floue et les deux critères tendent à se confondre, du fait notamment de la plus grande exigence de la commission de la transparence en matière de comparaison avec les traitements existants. La détermination du SMR est, dès lors, devenue plus difficile et potentiellement porteuse d'inégalités puisque, de deux médicaments traitant une même pathologie, le deuxième arrivant sur le marché est moins remboursé que le premier. Or, dans certains cas, ce médicament est le seul qui puisse traiter une partie des patients dont la pathologie ne répond pas au médicament mieux remboursé. Selon les termes de Dominique Polton, qui a remis le rapport le plus complet sur la question de l'évaluation du médicament, ces patients subissent une double peine puisqu'ils ne peuvent tirer bénéfice du premier traitement et qu'ils sont moins remboursés pour celui qui leur est nécessaire.

A la suite de la position portée par Jean-Luc Harousseau lorsqu'il était président de la HAS, et en cohérence avec la position du Sénat sous deux majorités différentes, il nous semble donc aujourd'hui nécessaire de fusionner les critères d'évaluation du SMR et de l'ASMR et de passer à un critère d'évaluation unique. Le rapport Polton propose la mise en place d'un « indice de valeur thérapeutique relative » qui intègre pleinement la dimension comparative de l'évaluation du médicament. Celle-ci nous paraît plus que jamais nécessaire. En effet, nos critères d'évaluation actuels sont marqués par le long plateau qu'a connu l'innovation en matière de médicament : dans un contexte de faible innovation, la moindre avancée était fortement valorisée. Dès lors qu'arrivent sur le marché des médicaments ayant un apport thérapeutique important, voire majeur, il faut des critères d'évaluation adaptés.

Le choix d'un indice unique pour l'évaluation du médicament s'accompagne pour nous d'un autre choix que le rapport Polton décrit, parmi d'autres, et que le Gouvernement n'a pas retenu. Il s'agit de la fusion de l'ensemble des taux de remboursement autre que le taux de 100 %. En effet les taux de 15 %, 30 % et 65 % établissent une hiérarchie complexe dans la prise en charge sociale du médicament, hiérarchie illisible pour les patients comme pour les professionnels de santé dans la mesure où un médicament pris en charge à 30 % n'est pas nécessairement plus efficace qu'un médicament pris en charge à 15 % ni moins efficace qu'un médicament pris en charge à 65 %.

Par ailleurs, le taux réel de prise en charge des médicaments est en fait très différent du taux affiché. Ceci résulte de la prise en charge à 100 % des molécules prescrites pour le traitement d'une affection de longue durée. Comme le montre le rapport Polton, les médicaments pris en charge en théorie à 15 % le sont en moyenne à 38 %, ceux pour lesquels le taux est fixé à 30 % le sont en réalité à 40 % et ceux relevant du taux de 65 % le sont à 81 %. Une réorganisation des taux de remboursement serait d'abord une mesure de clarification avant, éventuellement, d'être une mesure d'économie. Elle devrait limiter les écarts de prise en charge pour une même molécule entre personnes prises en charge en ALD et les autres malades.

Cette restructuration des taux de remboursement devra être accompagnée d'une révision de la liste des affections de longue durée ALD qui n'a cessé de s'allonger depuis les 6 premières maladies admises pour atteindre aujourd'hui plus de 30 pathologies.

A l'évidence, certaines d'entre elles nécessitent des traitements peu coûteux et supporteraient un remboursement moindre.

Les effets d'une telle mesure, qui ne pourrait être mise en place que progressivement, doivent bien sûr être étudiés, notamment l'impact financier du basculement d'une partie des molécules vers un remboursement à 100 %, mais elle apparaît nécessaire pour la cohérence du système. Le niveau du taux de remboursement autre que 100 % devrait dans la même logique être étudié et débattu, mais il apparaît clairement qu'il ne saurait être inférieur à 50 %.

M. Gilbert Barbier, rapporteur . - Un indice unique d'évaluation du médicament sera également un moyen d'agir de manière plus efficace sur la fixation du prix du médicament. En effet, dès lors qu'un médicament est admis au remboursement, son prix n'est plus libre. Il est fixé par le Comité économique des produits de santé, dont la composition et les compétences sont fixées par la loi : sur la base de l'évaluation de l'ASMR faite par la commission de la transparence et de l'évaluation médico-économique que conduit également, dans certains cas, la HAS, le CEPS négocie avec les industriels le prix de chaque molécule.

Les critères de fixation de ce prix, s'agissant des médicaments princeps et génériques, sont définis par le code de la sécurité sociale, et subsidiairement par la convention qui lie le CEPS aux entreprises du médicament et par la lettre d'orientation adressée au président du comité par les ministres en charge de la santé, de la sécurité sociale, des finances et de l'industrie.

La baisse des prix du médicament, en dehors de l'année 2014, est attribuable à la capacité de négociation du CEPS qui négocie et renégocie le prix des molécules en faisant jouer la concurrence entre médicaments ayant une même indication et en appliquant des baisses de prix dès lors qu'un médicament est génériqué.

Ce système a été critiqué, car il repose sur une négociation avec les industriels dont les clauses sont secrètes. En effet, les industriels proposent un prix qui fait l'objet d'une négociation, mais ils proposent aussi des remises : le prix réel n'est donc pas le prix affiché. Le montant total de ces remises versées à l'assurance maladie est connu : 700 millions d'euros en 2014.

Si le montant total des remises est publié chaque année par le CEPS, le montant des remises consenti par les industriels sur chaque médicament est protégé par le secret des affaires, qui résulte tant du droit international que de la jurisprudence de la commission d'accès aux documents administratifs. Une directive européenne est en cours d'élaboration sur cette question.

Quel que soit l'organisme chargé de négocier avec les industriels, il sera donc soumis au secret des affaires. La question n'est donc pas de savoir s'il peut être levé mais s'il existe un autre moyen d'agir sur le prix du médicament.

Certains pays, comme les Etats-Unis ou le Royaume-Uni, acceptent le prix proposé par les industriels. Cette solution n'est possible que dans des systèmes qui admettent la possibilité de ne pas prendre en charge socialement les médicaments les plus chers. Au Royaume-Uni, l'évaluation médico-économique en termes de qualité des années de vie gagnées du fait d'un médicament conduit à écarter sa prise en charge par le National Health Service (NHS) dès lors qu'il est trop cher. Ceci a par exemple été le cas pour les médicaments contre le virus de l'hépatite C (VHC).

En France, l'action sur les prix est nécessaire et, malgré ses défauts, la négociation paraît le seul moyen d'y parvenir. En effet, les mécanismes d'appel d'offres sur le modèle des Pays-Bas ou sur celui préconisé par la Commission européenne créent une instabilité pour les patients, qui deviennent dépendants des contrats passés par les autorités publiques pour la continuité d'une molécule.

Par ailleurs, l'idée d'une fixation unilatérale du prix des médicaments par les pouvoirs publics, voire de la mise en place d'une licence d'office, se heurte aux règles régissant le commerce international et spécifiquement à la nécessité d'une indemnité en cas d'expropriation.

Il n'en demeure pas moins que la différence entre le prix affiché et le prix remisé permet aux laboratoires de faire jouer la concurrence entre les Etats. Cette situation n'est pas acceptable au regard de l'arrivée de traitements particulièrement onéreux sur le marché. Mais elle ne peut trouver de solution que dans une concertation internationale ou au moins européenne. Il est donc particulièrement regrettable que les efforts de la ministre de la santé pour établir avec nos partenaires européens, ou au moins avec l'Allemagne, une position commune sur le Sovaldi aient échoué, tout comme le projet du Président de la République d'établir une position commune du G7.

La France doit mener une action résolue au niveau européen et international et doit renforcer sa capacité de négociation avec les laboratoires. Ceci signifie que l'information sur le prix du médicament à l'hôpital, dans les officines, à l'international doit être mieux suivie par le CEPS qui ne dispose que de neuf personnes, aussi qualifiées soient-elles dont son président, pour mener l'ensemble des négociations sur le médicament face aux grandes entreprises internationales du médicament.

Ce renforcement des moyens mis au service de la négociation doit permettre également le développement des contrats de performance signés avec les laboratoires afin de rémunérer un médicament sur ses effets réels et non sur les promesses issues des premiers essais, portés par les laboratoires eux-mêmes. Pour l'heure, ces contrats s'avèrent décevants pour les finances sociales en raison du manque de données publiques permettant de suivre l'usage et les effets des molécules. De tels instruments doivent être développés afin de rémunérer l'innovation de manière adéquate. En l'absence de tels contrats, les laboratoires proposent pour leur part de se voir attribuer la part des dépenses sociales qui serait économisée du fait de leurs médicaments. Il s'agirait simplement de fermer les services hospitaliers devenus inutiles... A supposer même que de telles réorganisations soient possibles, il n'est pas envisageable de considérer les dépenses d'assurance maladie comme une enveloppe acquise que les fournisseurs de produits de santé pourraient se partager.

Notre réflexion commune nous a également conduits à préconiser une évolution de la composition du CEPS afin que les représentants de l'assurance maladie y aient une place renforcée. C'est en effet l'assurance maladie qui est le payeur en dernier ressort du médicament et son point de vue doit être au moins égal à celui de l'Etat.

A l'issue de nos travaux, nous formulons donc les préconisations suivantes sur l'ensemble des aspects de la politique du médicament, que nous avons abordés :

- Mieux valoriser les innovations liées à la recherche publique française en renforçant les moyens de la recherche fondamentale et en menant une politique plus active en matière de brevets.

- Agir au niveau européen pour renforcer les exigences relatives à l'évaluation du médicament pour l'autorisation de mise sur le marché.

- Associer aux avis de la commission de la transparence en cas de déremboursement des recommandations permettant d'assurer la meilleure prise en charge du patient tout en limitant le report de prescription.

- Définir une politique de santé publique relative au développement de l'automédication.

- Développer des partenariats entre le CEPS et la Cnam afin de favoriser le bon usage du médicament et d'agir sur les comportements de promotion, de prescription et d'usage.

- Mener une action intergouvernementale avec nos principaux partenaires européens afin de définir un cadre commun de négociation du prix des médicaments les plus onéreux.

- Clarifier la notion de secret des affaires en transposant rapidement la directive européenne.

- Proscrire la mise en place de mesures fiscales ponctuelles.

- Prévoir une audition publique annuelle du CEPS devant les commissions des affaires sociales des Assemblées présentant les résultats de la négociation avec les industriels et la comparaison entre les prix du médicament en France et dans les pays voisins.

- Renforcer la place de l'assurance maladie au sein du CEPS et donner à celui-ci des moyens plus importants de contrôle et de comparaison.

- Mettre en oeuvre les préconisations du rapport Polton pour établir un critère unique d'évaluation comparative des médicaments, la valeur thérapeutique relative (VTR).

- Fusionner en un seul taux les trois taux de prise en charge à 15 %, 30 % et 65 % en s'appuyant sur les évaluations conduites par ce rapport.

M. Georges Labazée . - J'aurais souhaité que le rapport aborde davantage la question du générique et traite notamment du problème récurrent de la réticence des prescripteurs, voire de la population, vis-à-vis de ces médicaments.

M. René-Paul Savary . - J'adhère pour ma part aux propositions concrètes de ce rapport. Peut-être faudrait-il se pencher sur la question du rôle des complémentaires et sur le fait qu'elles ne remboursent pas les médicaments qui ne sont pas pris en charge par la sécurité sociale. Par ailleurs disposez-vous d'éléments sur le coût pour l'assurance maladie du remboursement du paracétamol ? Il m'apparaît également qu'il y a des molécules, que l'on pourrait qualifier de confort, qui sont nécessaires mais ne relèvent pas forcement d'un remboursement par la sécurité sociale.

Mme Laurence Cohen . - Je voudrai insister sur le fait que l'industrie du médicament a fait 856 milliards de chiffre d'affaires en 2012 et que la France était le deuxième marché après l'Allemagne. Le poids des laboratoires est donc très important. Certains Etats résistent, des expériences ont été menées au Brésil ou en Inde sur la licence. Ceci est particulièrement intéressant face notamment au monopole que détient un laboratoire sur le traitement contre l'hépatite C. Comment peut-on avancer ? Il faut également penser à un pôle public de la recherche pour faire pièce aux laboratoires. Nous partageons beaucoup des propositions du rapport et je pense qu'on ne peut plus rembourser des médicaments à 15 % soit ils sont efficaces et il faut mieux les prendre en charge, soit ils ne le sont pas.

Mme Corinne Imbert . - Je comprends que les rapporteurs aient choisi de se concentrer sur la question de la prise en charge car la question de la politique du médicament est particulièrement vaste. On aurait pu notamment parler de l'impact du tiers payant généralisé en officine qui a transformé le médicament en bien de consommation et qui a eu un impact réel sur les dépenses sociales.

Le médicament peut être un fleuron de notre industrie nationale. Certains laboratoires peuvent avoir un comportement répréhensible mais d'autres ont un comportement éthique, notamment en matière de recherche.

Il faut avoir conscience que depuis de nombreuses années le médicament a servi de variable d'ajustement à court terme pour faire des économies.

Sur le paracétamol, le problème est que l'on n'a pas désigné de groupe générique. Aujourd'hui, plutôt qu'une telle désignation, les laboratoires préfèrent aller vers le déremboursement.

J'ai lu le dernier rapport annuel du Ceps. Il indique que les efforts de maîtrise de prix ont constitué en 2014-2015 un quart des économies programmées dans l'Ondam. Les négociations menées par le Ceps ont également permis l'accès à tous les médicaments innovants ou orphelins et on constate que sur 23 médicaments utilisés pour faire des comparaisons européennes nous avons pour 20 d'entre eux le prix facial le plus bas ou le deuxième plus bas. Je souscris donc à l'idée d'auditionner le Ceps chaque année lors de la présentation de son rapport annuel, comme je partage l'idée d'encourager la recherche fondamentale, même si l'innovation ne se décrète pas. Par contre je ne suis pas sûr que la Cnam soit la mieux placée pour promouvoir le bon usage n'est-ce pas plutôt le rôle de la HAS ou de Santé publique France ?

Sur le taux de prise en charge, je pense qu'il faut veiller à l'articulation avec la complémentaire car même si elle est aujourd'hui devenue obligatoire, il ne faudrait pas réduire l'accès par l'intermédiaire du taux unique qui, par ailleurs, est une mesure intéressante d'économie.

Mme Michelle Meunier . - Je salue le caractère pédagogique de ce rapport et je suis pour ma part particulièrement intéressée par l'idée d'auditionner le Ceps qui a une responsabilité énorme avec peu de moyens.

M. Olivier Cigolotti . - Comment expliquez-vous la différence entre le taux théorique et le taux effectif de prise en charge ? Y-a-t-il un rapport avec les remises consenties par les laboratoires ?

M. Gérard Roche . - Je n'ai pas de question mais je pense que ce rapport doit nous servir de base pour approfondir nos réflexions et je partage les recommandations qu'il contient.

M. Yves Daudigny, rapporteur . - Pour répondre à M. Labazée j'indique que la Mecss a déjà publié un rapport sur le générique et que nous avons choisi parmi les thèmes possibles de notre nouveau travail, celui de la prise en charge. C'est sous cet angle que les génériques et les biosimilaires sont traités dans le rapport.

M. Gilbert Barbier, rapporteur . - M. Savary a abordé la question des complémentaires qui est un sujet en soi. Elles peuvent déjà prendre en charge les médicaments non remboursés. Sur le paracétamol, l'enjeu est de l'ordre de 500 millions d'euros pour la sécurité sociale. Il faudra veiller, s'il n'est plus remboursé, à ne pas mettre une partie de la population dans une situation difficile.

M. Yves Daudigny, rapporteur . -Mme Cohen, les grandes entreprises pharmaceutiques et l'assurance maladie se font face avec l'enjeu de permettre l'accès de tous nos concitoyens au médicament. La ministre peut-elle intervenir de manière plus brutale ? N'oublions pas que le laboratoire a toujours l'arme de ne pas mettre un médicament sur le marché. C'est rare mais cela peut arriver. La licence d'office est-elle la solution ? A nos yeux non car il faut indemniser le laboratoire ce qui peut en fait entrainer des dépenses supérieures. Nous préconisons donc le recours à la négociation.

Sur la recherche, il existe de beaux exemples de partenariat public-privé, notamment à l'hôpital Necker. Néanmoins notre première préconisation est de favoriser la recherche fondamentale car c'est d'elle que peuvent venir les ruptures en matière d'innovation.

M. Gilbert Barbier, rapporteur . - Sur la question de l'accès, on a constaté que le Levotirox était plus difficile à obtenir en France car il était mieux rémunéré à l'étranger. Aujourd'hui, les laboratoires ont une dimension mondiale et cela peut poser un problème.

S'agissant du traitement contre l'hépatite C, il n'y plus de monopole. Les prix baissent mais pas suffisamment. Je pense qu'il y a là un problème éthique.

Je rejoins Yves Daudigny pour dire que notre pôle public de recherche est devenu très faible et qu'il faut le renforcer notamment par les partenariats publics-privés.

J'indique à Mme Imbert que nous avons été très surpris par le manque de moyens du Ceps comparé aux effectifs de la commission de la transparence de la HAS et de l'ANSM. Cela m'interpelle.

M. Yves Daudigny, rapporteur . - J'indique à M. Cigolotti que la différence entre le taux théorique et le taux réel de remboursement est uniquement lié aux ALD. S'agissant des remises elles s'élèvent pour l'année dernière à 700 millions à comparer au montant total de remboursement du médicament de 30 milliards d'euros.

M. Alain Milon, président . - Je vous remercie.

La commission autorise la publication du rapport d'information.

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