B. QUELLE PRISE EN CHARGE DE L'INNOVATION ?

L'accès des patients à l'innovation se fait sur des critères médicaux, le principe étant celui de l'accès le plus rapide aux traitements innovants au travers du mécanisme des autorisations temporaires d'utilisation (ATU) dont on a vu qu'elles sont considérées comme un vrai gain de chance par les autorités sanitaires et les patients mais qu'elles peuvent être, parfois, critiquées comme favorisant le recours à des médicaments mal évalués ou peu efficaces, sinon dangereux, en vie réelle.

La prise en charge des ATU est, par nature, spécifique puisqu'elle intervient avant tout le processus d'examen d'un médicament par les agences sanitaires. Le choix des pouvoirs publics a donc été de mettre en place une prise en charge à 100 % au prix demandé par le laboratoire. Cette dérogation aux règles de la prise en charge et de la fixation du prix est cependant temporaire. A l'issue de la négociation avec le Ceps, le laboratoire commercialisant le médicament est tenu de restituer, éventuellement sous la forme de ristournes, la différence entre le prix initial et le prix négocié pour l'ensemble des médicaments pris en charge dans le cadre de l'ATU.

S'agissant des médicaments particulièrement onéreux, comme le Sovaldi, la question peut toutefois se poser de l'acceptabilité du prix fixé par le laboratoire. Lors de son audition, Frédéric Van Roekeghem a formulé la proposition suivante : « Sur le fond, le mécanisme de l'ATU est très favorable au patient, puisqu'il favorise l'introduction rapide du médicament. L'expérience de cette année nous conduit toutefois à nous demander si ses modalités ne devraient pas évoluer, notamment par l'attribution au Gouvernement d'un droit d'opposition au prix proposé par le laboratoire . »

Vos rapporteurs estiment que cette proposition bien que fondée risque de retarder l'accès des patients aux médicaments les plus innovants alors que le coût pour l'assurance maladie doit être relativisé. En effet, une fois le prix du médicament fixé par le Ceps, l'industriel doit rembourser la différence entre le prix demandé pendant la phase d'ATU et de post ATU. Il ne paraît donc pas nécessaire de risquer de remettre en cause un mécanisme qui a fait ses preuves en matière de santé publique.

En dehors du mécanisme de l'ATU, la question de la rémunération de l'innovation est posée de manière récurrente par les laboratoires. La mise sur le marché des antiviraux à action directe (AAD) a mis en relief la nécessité de revoir les modalités d'évaluation du médicament par la HAS. Des solutions de remplacement du système français actuel ont également été proposées.

1. Une réforme de l'évaluation nécessaire, une gestation contrariée

Les critères de service médical rendu (SMR) permettant de fixer le taux de remboursement d'un médicament et d'amélioration du service médical rendu (ASMR) ont fait l'objet de critiques récurrentes fondées essentiellement sur la difficulté à distinguer véritablement les deux notions dès lors qu'il s'agit d'évaluer un médicament.

Afin de moderniser les techniques d'évaluation, la Haute Autorité de santé a donc construit en 2012 un projet d'indicateur unique , baptisé « Index Thérapeutique Relatif » (ITR). La HAS souhaitait l'inscription de ce dispositif dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2013.

Le ministère de la santé a jugé cette réforme prématurée et, « afin d'envisager l'opportunité et les conditions d'un éventuel changement de critère, la ministre des affaires sociales et de la santé a demandé au chef de l'Igas de mandater une courte mission d'appui à la Direction de la sécurité sociale ». Muriel Dahan, désignée pour cette mission, a conduit en 2013 un important travail de consultation et de débat. 68 ( * )

A l'issue de ses travaux, la mission de l'Igas a proposé une « trajectoire de réforme », selon un schéma largement inspiré de la méthode élaborée par la HAS, tout en y apportant les corrections suggérées par les tests réalisés pour mesurer l'impact de la réforme et les remarques des experts et membres des instances sanitaires et sociales concernées.

Au Sénat, deux rapporteurs généraux successifs ont souhaité la mise en place de l'ITR lors de la discussion du PLFSS pour 2014 et du PLFSS pour 2015. Le Gouvernement s'y est montré pour sa part défavorable.

« Mme Marisol Touraine, ministre69 ( * ). Je vais vous expliquer en détail pourquoi le Gouvernement émet un avis défavorable sur cet amendement.

La question du mode d'évaluation des produits de santé est, bien entendu, importante. Nous touchons là à l'évidence aux limites du système actuel.

C'est ce qui explique le regain d'attention en faveur du nouveau mode d'évaluation dit « intérêt thérapeutique relatif », ou ITR, pour la décision d'admission au remboursement des produits de santé.

(...)

D'aucuns disent parfois, et c'est ce que vous laissez entendre, monsieur le rapporteur général, qu'une telle solution serait « prête à l'emploi ».

Pourtant, il y a aujourd'hui un consensus, y compris au sein de la Haute Autorité de santé, pour considérer qu'un tel mécanisme n'est pas adapté.

D'abord, l'ITR ne s'applique pas à tous les produits de santé ; en particulier, il ne s'applique pas aux dispositifs médicaux. Or il ne paraît pas opportun de changer de mode d'évaluation seulement pour une partie des produits de santé, en utilisant un nouvel outil pour les médicaments tout en en gardant un autre pour les dispositifs médicaux.

En outre, l'ITR ne permet ni de fixer un taux de remboursement ni de prendre en compte l'évaluation médico-économique.

Ces problèmes expliquent que la phase de test menée par la Haute Autorité de santé ait été jugée non conclusive par cette dernière.

Toutefois, nous sommes convaincus de la nécessité de repenser nos critères d'admission au remboursement des produits de santé.

C'est pourquoi un rapport complémentaire a été commandé à l'Inspection générale des affaires sociales. Sa remise est prévue pour la fin de l'année. À cette date, je demanderai à toutes les institutions publiques compétentes sur le médicament - je pense à la Haute Autorité de santé, à l'ANSM, au CEPS, dont nous venons de parler, ainsi qu'à l'assurance maladie - de faire des propositions concrètes pour rénover les critères d'évaluation des produits de santé.

Une concertation approfondie doit par ailleurs avoir lieu avec l'ensemble des acteurs. Elle sera menée avec les représentants de l'industrie pharmaceutique, qui est concernée au premier chef par cette évolution. Nous devrons à nouveau mettre en place une phase de test, car nous ne pouvons pas nous permettre de ne pas avoir d'évaluation assurée à cet égard.

Les premières modifications qui pourraient en découler seront alors intégrées dans le futur projet de loi sur la santé, le cas échéant à l'Assemblée nationale ou au Sénat, selon le parcours législatif du texte.

Sur un sujet aussi important, qui entraînera des changements profonds, nous devons être certains des mesures que nous adoptons.

Or, aujourd'hui, compte tenu des évaluations qui ont été menées, il ne nous semble pas possible de considérer, indépendamment de toute considération quant à la date, que l'index thérapeutique relatif pourrait être mis en oeuvre. Je ne parle pas seulement de son entrée en vigueur anticipée en 2015. Nous avons abouti à la conclusion que, même en 2016, il ne faudrait pas s'engager sur cette voie.

Je vous prie donc de bien vouloir retirer votre amendement sous le bénéfice de ces explications, monsieur le rapporteur général.

J'indique également aux auteurs d'amendements allant dans le même sens que la réflexion n'est pas écartée ; elle est même accélérée et approfondie.

Je déplore d'ailleurs la situation ; nous placions beaucoup d'espoir dans l'ITR. Malheureusement, les tests menés ne nous permettent pas de franchir l'obstacle auquel nous nous heurtons. »

Le Sénat avait adopté l'amendement présenté par le rapporteur général et inscrit la mise en place de l'ITR dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2015. Cette mesure n'a pas été retenue par l'Assemblée nationale, appelée à se prononcer en lecture définitive.

A l'issue de ces débats, le Gouvernement a demandé à Mme Dominique Polton de conduire une nouvelle réflexion sur l'évaluation du médicament. Ce rapport, remis à la ministre en novembre 2015 reprend l'ensemble des données relatives à l'évaluation et formule de nombreuses propositions. Cependant le Gouvernement n'a pas inclus de dispositions spécifiques relatives à l'évaluation du médicament dans la loi relative à la modernisation de notre système de santé et n'a à ce jour annoncé aucun calendrier de réforme.

PROPOSITIONS DE LA MISSION CONFIEE A MME DOMINIQUE POLTON - RECAPITULATIF
Evaluation en vue de l'admission au remboursement et de la fixation du prix

OE Donner une place plus importante à l'évaluation comparative au travers d'une ASMR rénovée, la VTR (valeur thérapeutique relative) , utilisée en primo-inscription et en réévaluation, cotée selon un score à quatre niveaux et prenant en compte :

ü la quantité d'effet par rapport au comparateur : efficacité, tolérance,

ü la pertinence clinique de ces effets,

ü la qualité de la démonstration (critères de jugement, utilisation d'un comparateur pertinent dans les essais),

ü les avantages non cliniques (praticabilité), qu'il convient d'expliciter plus précisément,

ü la couverture du besoin.

Missionner la HAS pour élaborer dans un délai de six mois une grille explicitant la relation entre la VTR et l'évaluation du médicament sur ces différentes composantes.

ç Clarifier et simplifier les critères du SMR, voire le supprimer , en fonction du scénario qui sera retenu pour les modalités de fixation des taux de remboursement :

ü Si le SMR est maintenu,

§ ré-expliciter les critères qui le fondent : l'efficacité et la tolérance du produit : quantité d'effet (efficacité thérapeutique / effets indésirables), la pertinence clinique du résultat obtenu en termes d'efficacité, la qualité de la démonstration de ces résultats, la transposabilité attendue en vie réelle, ces éléments devant être appréciés en prenant en compte la couverture du besoin (autres thérapies disponibles) et la place du produit dans la stratégie thérapeutique, ainsi que la gravité de la maladie ;

§ ne plus inclure la visée du médicament (thérapeutique, symptomatique,...) qui n'a pas de caractère discriminant ;

§ documenter l'impact de santé publique uniquement pour un nombre limité de produits, sur demande de la Direction Générale de la santé ;

ü Supprimer le SMR si un scénario d'évolution des modalités de remboursement est retenu :

§ soit l'évolution vers un taux unique de prise en charge, comme c'est le cas pour les dispositifs médicaux, mais cette option introduit une rupture radicale avec le système actuel et par conséquent un coût de transition élevé ;

§ soit la fixation des taux en fonction de la gravité de la pathologie ou en fonction du taux du comparateur, cette deuxième option apparaissant en première approche la plus praticable, mais devant être validée tant du point de vue de sa faisabilité que de ses impacts économiques et juridiques.

é Consolider la place de l'évaluation médico-économique dans la décision de prix , avec les évolutions suivantes :

ü aller au-delà de la seule critique méthodologique dans les avis de la CEESP pour émettre un véritable jugement (qualitatif) sur l'efficience ;

ü systématiser l'analyse de l'impact budgétaire, qui est un complément d'information utile pour les négociations en CEPS ;

ü publier les avis, dans un souci de transparence et de pédagogie ;

ü mettre en oeuvre des évaluations médico-économiques également dans les cas des réinscriptions, de manière à éclairer le CEPS dans ses décisions de baisses de prix ;

ü améliorer l'articulation entre la commission de la transparence (CT) et la CEESP.

Suivi et évaluation en vie réelle / réévaluation

è Aller vers des réévaluations de la valeur thérapeutique relative (VTR) par groupe de produits , plutôt que des réévaluations quinquennales produit par produit, afin que la HAS puisse redéfinir globalement, pour une situation clinique donnée, la place de chacun dans la stratégie thérapeutique.

ê Pour des médicaments traitant des pathologies graves pour lesquelles il n'existe pas d'alternative disponible, mais dont l'effet est faible, mal démontré, et demande à être confirmé, envisager un mécanisme de remboursement temporaire conditionné à la mise en place d'études cliniques et médico-économiques en vie réelle .

z Pour des médicaments aux multiples indications, dont certaines présentent un intérêt faible au regard d'alternatives existantes, mettre en oeuvre dès l'inscription au remboursement une procédure de suivi et d'encadrement de la prescription permettant de vérifier que la prescription respecte les restrictions (en termes d'indications ou de sous-populations) prévues lors de l'évaluation en primo-inscription (cette vérification pouvant intervenir a priori ou a posteriori).

{ Engager de manière prioritaire un projet de développement d'un outil de surveillance post-inscription pour un certain nombre de produits ou de domaines clés, en s'appuyant sur les données médico-administratives existantes (système national de données de santé, SNDS) et en les appariant avec des données cliniques complémentaires recueillies en continu par les prescripteurs. Les registres ainsi constitués pourront servir le double objectif de suivre le respect des recommandations et des indications d'une part, et de pouvoir compiler des données épidémiologiques utiles pour l'évaluation en vie réelle d'autre part. Ils permettront à moyen terme d'apporter une réponse plus structurelle aux deux difficultés évoquées ci-dessus (l'incertitude sur les effets de produits arrivant sur le marché et les indications multiples) qui représentent des situations de plus en plus fréquentes.

Processus d'évaluation

| Alléger les tâches de la HAS et renforcer le CEPS pour permettre une réduction des délais d'instruction des dossiers ; fixer des objectifs de raccourcissement de ces délais et mettre en place un dispositif de suivi

} Mener dans les six prochains mois un travail commun CEPS - HAS pour améliorer encore l'utilisation des avis de la CT et de la CEESP, en élaborant conjointement des modèles d'avis présentant de manière standardisée l'ensemble des éléments techniques nécessaires au travail du CEPS.

La réflexion est à poursuivre afin d'élaborer des propositions opérationnelles sur trois autres aspects concernant le processus de travail de la CT :

- la valorisation de l'activité d'expertise,

- l'utilisation des évaluations réalisées dans d'autres pays,

- les modalités de vote.

Au regard de travaux déjà conduits vos rapporteurs estiment nécessaire de mettre en oeuvre un indicateur unique d'évaluation comparative du médicament . Cet indicateur n'a pas nécessairement vocation à être étendu aux dispositifs médicaux si la HAS estime que leurs spécificités s'y opposent. Etant donnée l'étude approfondie des limites du la dualité des critères actuels de SMR et d'ASMR menés par la mission Polton il paraît aujourd'hui plus efficace de retenir sa proposition de mettre en place un indice de valeur thérapeutique relative (VTR). En conséquence, ainsi que le préconise le rapport Polton, il convient de donner mission à la HAS d'élaborer dans un délai de six mois une grille explicitant la relation entre la VTR et l'évaluation du médicament sur ces différentes composantes. Le prochain PLFSS pourrait être l'occasion d'inscrire cette mission dans la loi si le Gouvernement n'a pas d'ici là pris d'initiative en ce sens.

Par ailleurs vos rapporteurs estiment nécessaire de simplifier la multiplicité actuelle des taux de remboursement, qui est une spécificité française . En dehors du taux de remboursement à 100 % qui doit être maintenu et de la prise en charge intégrale des ALD, les taux de 65 %, 30 % et 15 % sont facteurs de confusion pour les patients voire d'inégalités. En effet, ainsi qu'on a pu le constater à l'occasion de l'analyse des déremboursements ou des stratégies des firmes en matière d'automédication, le lien entre l'efficacité du médicament et son taux de remboursement n'est pas facile à appréhender par la population. Ceci créé l'illusion dangereuse en terme de santé publique et couteuse pour l'assurance maladie que l'on est nécessairement mieux soigné par un médicament mieux remboursé.

Cette approche est renforcée par la pratique des assurances complémentaires qui tendent à dérembourser elles-mêmes les médicaments qui ne sont plus pris en charge par l'assurance de base. Il convient de rappeler qu'aucune obligation ne leur est faite en la matière et qu'une complémentaire peut prendre en charge intégralement ou partiellement des médicaments non pris en charge par l'assurance maladie. De fait de nombreuses couvertures complémentaires incluent de tels produits comme l'homéopathie par exemple.

En plus d'être difficile d'appréhension la multiplication des taux autres que le 100 % est d'application limitée du fait des ALD et source d'inégalités. Comme le démontre le rapport de la mission Polton, certains médicaments qui ont sont considérés comme supplémentaires se voient attribués un SMR et donc un taux de remboursement faible. Or ils peuvent être des traitements nécessaires pour les patients qui ne régissent pas aux traitements de première intention. Or « on ne voit pas pourquoi, pour les patients ayant une intolérance aux autres traitements, ce traitement supplémentaire, s'il est effectivement prescrit avec discernement, serait moins bien remboursé. Ceci revient à dire qu'un médicament de 2 eme intention aurait par construction un taux de remboursement plus bas qu'un médicament de 1ère intention (« double peine » pour le patient intolérant aux traitements jugés les plus efficaces) ».

Au regard de ces différents arguments vos rapporteurs considèrent que les taux de 15 %, 30 % et 65 % doivent être fusionnés en un taux unique après la mise en oeuvre de la VTR selon les étapes définies par le scénario 2 du rapport Polton. Le niveau de ce taux unique doit faire l'objet de concertations entre les différentes parties prenantes de la couverture maladie et les pouvoirs publics afin de limiter les restes à charge pour la population. Il ne pourrait être inférieur à 50 %.

Ces évolutions devraient notamment permettre de rémunérer de manière adéquate l'innovation en matière de médicament. D'autres propositions ont néanmoins été formulées.

2. Faut-il remplacer le système actuel de fixation des prix pour les médicaments innovants ?

Le rapport Polton comporte une analyse poussé des enjeux en matière de rémunération de l'innovation mais ne conclus pas à la mise en place de mesures spécifiques pour les médicaments innovants. Il est essentiellement préconisé de conduire de nouvelles études sur les différents propositions qui ont pu être formulée.

Préconisation du rapport Polton sur le prix et le financement de l'innovation

La réflexion doit être approfondie par des travaux complémentaires, différentes pistes pouvant être explorées : les modalités pratiques et conditions de succès des accords de performance, et leur place dans la palette des « contrats d'accès au marché » ( managed entry agreements ) ; la faisabilité de modes de rémunération alternatifs (rémunération au parcours) pour certaines pathologies ; la prise en compte des coûts de recherche et développement ; les possibilités de rapprochement avec d'autres pays.

A l'occasion de leurs auditions, plusieurs de ces propositions ont été soumises à vos rapporteurs, certaines ayant été proposée déjà depuis plusieurs années.

La contribution du Leem au thésaurus argumentaire sur le prix et le financement des médicaments innovants en recense plusieurs, susceptibles, aux yeux du syndicat d'être combinées. Les perspectives proposées sont notamment d'intégrer le coût de l'innovation à l'Ondam (ce qui revient à l'augmenter), d'ajuster dans le temps les remises consenties par les laboratoires pour faire baisser effectivement le prix payé lors de la montée en charge d'une nouvelle molécule, de créer un fonds d'amortissement et de financement de l'innovation thérapeutique et d'expérimentation d'un forfait parcours de soins fixant le prix de la prise en charge d'une pathologie de manière transversale entre la ville et l'hôpital.

Vos rapporteurs considèrent qu'il n'est pas réaliste de proposer une prise en charge segmentée du médicament selon qu'il soit ou non considéré comme une innovation de rupture, permettant la chronicisation d'une maladie mortelle ou améliorant le service médical.

Lors d'une conférence de presse organisée à Paris par le groupe suisse Roche le 23 octobre 2013, son directeur général, Severin Schwan, a plaidé pour un nouveau système de fixation des prix des médicaments qui prendrait en compte le bénéfice réel apporté au patient. La proposition de Roche a été maintes fois réitérée depuis.

Alors que dans la situation actuelle, le prix d'un produit est fixé, de façon indifférenciée, en fonction du volume (par flacon ou par milligramme de molécule), le laboratoire Roche estime qu'il est temps de s'orienter vers « des modèles de fixation de prix plus sophistiqués », pour créer un environnement tarifaire à la fois durable pour la société et incitatif pour les industriels engagés dans l'innovation.

Il s'agit de mettre en place un système de prix ou de remboursement correspondant à chaque indication du médicament, ce qui permettrait de valoriser exactement l'apport du médicament pour chaque patient.

Cette approche, outre une grande difficulté technique de mise en oeuvre, pose la question de l'aune à laquelle s'effectue l'évaluation en vie réelle. S'agit-il de mesurer les années de vie ajustées par leur qualité auxquelles serait attribuée une valeur sur la modèle britannique des Qaly (quality adjusted life years), ou d'évaluer l'économie réalisée par le système de santé du fait de l'amélioration de l'état du patient voir de sa guérison ?

Si c'est l'approche en termes de Qaly qui est retenue, le prix du médicament, ou en tout cas sa prise en charge, seront limités. Si c'est l'approche en termes d'économies générées pour le système de santé, le risque est plutôt celui d'une sur-rémunération.

a) La rémunération du médicament en fonction de l'apport en années de vie et en qualité de vie

Le conseil d'analyse économique a défini 70 ( * ) ainsi le Qaly : « L'approche coût-efficacité utilise le concept de Qaly pour fonder des arbitrages entre différents traitements permettant d'améliorer la santé. Les gains de santé sont quantifiés en termes d'années de vie gagnées, pondérées par leur qualité : chaque année de vie est pondérée par un coefficient compris entre 0 et 1 exprimant, depuis l'état de parfaite santé correspondant au coefficient 1, toutes les gradations de mal-être croissant jusqu'à la mort correspondant au 0 ».

La note préconise l'adoption en France d'une démarche de type britannique sur le fondement suivant : « de facto, définir un seuil par Qaly ou un budget total sont deux manières alternatives d'améliorer le plus efficacement possible la santé d'une population. Dans tous les cas, il faut définir les traitements à délivrer en priorité . » Constatant cependant que le débat sur la méthodologie du Qaly a empêché son développement en France, les auteurs de la note ajoutent : « Afin d'assurer sa légitimité, la définition d'un seuil acceptable en termes de coût par année de vie gagnée doit s'appuyer sur un processus transparent, associant de nombreux acteurs de la société ; enfin, il ne doit pas être appliqué mécaniquement, mais constituer une référence permettant d'indiquer les niveaux de coût acceptables, et les coûts manifestement déraisonnables ».

Par sa nature même, le mécanisme des Qaly tend à limiter le prix auquel un médicament innovant peut être pris en charge. En effet, seules les innovations susceptibles d'apporter des gains majeurs en termes de nombre d'années de vie et de qualité sont susceptibles d'obtenir un niveau de prise en charge élevé par l'assurance maladie.

Ainsi vos rapporteurs ont pu constater qu'en matière d'accès aux traitements innovants, l'approche britannique des Qaly s'est avérée plutôt source de restrictions pour les malades, que ce soit pour l'accès aux antiviraux à action directe (AAD) ou plus généralement aux traitements innovants en matière de cancer. Ecartés de la prise en charge par l'assurance maladie dans le cadre de l'application stricte de l'évaluation par Qaly, ces traitements font d'ailleurs l'objet d'un financement spécifique par les Cancer Drug Funds depuis avril 2011.

L'expérience des Qaly en termes d'accès aux traitements innovants va donc à l'encontre des pratiques et des débats actuels en France. Il ne faut cependant pas en conclure que l'approche médico-économique doive être proscrite. Incontestablement, le développement d'une telle compétence par la HAS doit servir d'appui aux négociations sur le prix du médicament et le Ceps est demandeur de telles études. Mais le critère médico-économique ne saurait devenir le critère unique ou déterminant de la prise en charge du médicament.

b) Rémunérer les médicaments en fonction des « économies » réalisées par l'assurance maladie

Dans le même but de mieux rémunérer les médicaments innovants, tant les laboratoires ayant mis sur le marché des AAD que le laboratoire Roche entendent, pour leur part, fonder leurs prix sur les sommes qui seraient économisées par l'assurance maladie en terme de fermeture de lits, de coûts de prise en charge, voire de transplantations.

Ainsi, une étude sur l'impact budgétaire et organisationnel des innovations thérapeutiques conduites par le cabinet Jalma pour le Leem, mais encore à paraître, tend à établir que « les économies attendues dans l'organisation des soins sur les dix prochaines années pour un seul cancer (celui de la prostate au stade métastatique) s'élèvent à 350 millions d'euros ».

Or, ces économies, qui supposeraient des adaptations rapide de notre système de soins et des structures hospitalières, sont généralement virtuelles à court ou moyen terme. Surtout, elles constituent une appropriation par les laboratoires de sommes qui ne sont disponibles que du fait de la socialisation des dépenses de santé. Poussée à son terme, la logique de fixation d'un prix en fonction des économies réalisées par un système de santé conduirait à faire payer plus cher les pays qui ont la meilleure prise en charge, et peu ou pas ce qui n'en ont aucune.

Auditionné par la commission des affaires sociales, le directeur général de la Cnam, Nicolas Revel 71 ( * ) a fait l'analyse suivante que partagent vos rapporteurs : « Il existe différentes propositions des laboratoires sur la différenciation du prix du médicament en fonction de l'efficacité évaluée en vie réelle. Nous la pratiquons déjà pour quelques médicaments ou en fonction des indications thérapeutiques, nous la pratiquons également pour un produit dont la prise varie dans une proportion de un à quinze. Pouvons-nous généraliser ces modèles ? La première piste est très exigeante : elle implique la fixation d'indicateurs d'efficacité et de suivi, partagés, sécurisés et incontestables. Cela n'est pas simple et nécessiterait de doter le Comité économique des produits de santé (CEPS) de plus de moyens. La seconde est envisageable uniquement si le service médical rendu (SMR) est très différent d'une indication à l'autre. Il serait difficile de justifier que l'on paie la même molécule à des prix différents selon les cancers. Cela ne signifie pas que le calcul des remises ne puisse intégrer la prise en compte des différentes indications thérapeutiques. Pour donner un exemple, des produits d'immuno-oncologie arrivent sur le marché, ils peuvent être utilisés pour soigner différents cancers. Nous devons fixer des indicateurs de résultats différents selon les pathologies. Pour autant, la fixation de prix faciaux différents ne s'impose pas.

Vous m'interrogez sur la prise en compte des économies réalisées par l'assurance maladie dans la fixation du prix des médicaments. L'idée a été soulevée à propos de traitements qui permettraient de diminuer les dépenses d'hospitalisation. Je ne suis pas certain que la question puisse être posée ainsi. Lorsqu'une innovation thérapeutique est « réelle », nous en tenons compte dans la détermination du prix afin d'encourager la recherche mais je suis sceptique sur l'idée d'introduire des clauses d'intéressement en fonction du nombre de lits ou de services fermés dans un horizon de temps donné, en lien avec l'utilisation d'un médicament.

M. Yves Daudigny. - Certains laboratoires revendiquent ce type de résultats...

M. Nicolas Revel.- Je le sais. C'est un argument de négociation... Jusqu'à présent, les prix consentis, même nets de remise, n'ont jamais freiné le déploiement de l'innovation. »

c) Adapter la rémunération à l'efficacité en vie réelle du médicament

Les contrats de performance qui soumettent le prix du médicament à son efficacité en vie réelle sont actuellement développés par le Ceps avec le soutien des industriels. Ils ont le mérite de mesurer les gains exacts d'une nouvelle molécule en matière de santé publique et d'ajuster sa rémunération en conséquence.

Elle n'est possible qu'à une condition particulièrement exigeante, que les pouvoirs publics mobilisent les données pharmacoépidémiologiques aujourd'hui trop éparses et insuffisamment développées pour suivre l'impact réel d'un médicament sur plusieurs années. A défaut d'une capacité d'expertise publique forte un tel système ne pourrait reposer en effet que sur les données fournies par les laboratoires eux-mêmes.

Sous réserve du développement de la capacité des agences sanitaires et du Ceps de développer l'évaluation en vie réelle du médicament, vos rapporteurs sont favorables au développement de ce type de rémunération des médicaments.

d) Quel bilan pour le système actuel de rémunération et d'accès des patients à l'innovation ?

Le système actuel de rémunération de l'innovation en France est complexe du fait de la mise en oeuvre d'un système d'évaluation et de fixation du prix lui-même divisé en plusieurs étapes d'une part, d'un mécanisme de fiscalité qui favorise l'innovation (le crédit impôt recherche) tout en plafonnant le chiffre d'affaire susceptible d'être réalisé par les laboratoires.

Force est néanmoins de constater, comme le directeur général de la Cnam, que le système actuel permet l'accès des patients au médicament, même si cela est fonction du stade de développement de leur pathologie, et que cette prise en charge a été possible sans dérapage majeur des dépenses de santé.

Il est intéressant de ce point de vue de comparer les dépenses liées aux AAD à celles réellement effectuées en 2014. Lors de son audition du 24 mars 2015 par la commission des affaires sociales, M. Christian Eckert, secrétaire d'Etat au budget, avait estimé le montant des dépenses liées à l'hépatite C à 1,2 milliard d'euros. Les données contenues dans le point de repère publié par la Cnam en février 2016 72 ( * ) tendent à établir un chiffre légèrement inférieur, entre 1 et 1,1 milliard. Ce montant est le montant net des remboursements, sans prise en compte des remises négociées par le Ceps, que le ministre a évaluées à 300 millions d'euros, et du mécanisme fiscal spécifique réduisant de moitié les dépenses au-delà de 450 millions d'euros. Le montant réellement dépensé pour les AAD a donc été 600 millions d'euros pendant la plus forte période de montée de prise en charge des patients. Parallèlement, le remboursement des traitements de l'hépatite C préexistants aux AAD a chuté, entraînant une économie de 90 millions d'euros par rapport à 2013. Le montant des dépenses supplémentaires est donc de l'ordre de 500 millions d'euros. Montant incontestablement significatif (un peu plus de 43 000 euros par patient traité) mais inférieur aux projections initiales.

Au total, les mécanismes français d'action sur les prix du médicament permettent aux patients d'accéder aux médicaments innovants dans des conditions plus favorables que dans les autres pays européens et d'une manière relativement soutenable pour l'équilibre des comptes de l'assurance maladie.

La vigilance est bien sûr nécessaire comme le rappel l'avis du 27 mai 2016 du comité d'alerte sur l'évolution des dépenses d'assurance maladie 73 ( * ) . Celui-ci relève que : « Les dépenses au titre des médicaments en ATU et en post-ATU (essentiellement les nouveaux médicaments anti-cancéreux) restent particulièrement dynamiques en 2016, et, dans l'attente de la conclusion des négociations de prix en cours, font peser un risque significatif sur le respect de l'ONDAM hospitalier en 2016 ».

Si le retour de l'innovation doit être salué et encouragé par des mécanismes en amont de la mise sur le marché, il convient de ne pas surestimer son importance et son coût. Face aux demandes des laboratoires, qui se nourrissent des attentes des patients et des soignants, une évaluation rénovée devrait permettre aux acteurs actuels de gérer l'arrivée des nouvelles molécules.


* 68 Révision des critères d'évaluation des produits de santé en vue de leur prise en charge par l'assurance maladie Analyse de l'Index thérapeutique relatif (ITR) proposé par la HAS Mission d'appui à la Direction de la sécurité sociale, rapport établi par Muriel DAHAN Conseillère générale des établissements de santé, octobre 2013.

* 69 Séance du 14 novembre 2014.

* 70 Philippe Askenazy, Brigitte Dormont, Pierre-Yves Geoffard et Valérie Paris, « Pour un système de santé plus efficace », Les notes du conseil d'analyse économique, n° 8, juillet 2013.

* 71 Comptes rendus de la commission des affaires sociales mercredi 8 avril 2015.

* 72 Point de repère n° 44, Les antiviraux à action directe (AAD) dans le traitement de l'hépatite C : retour sur 18 mois de prise en charge par l'assurance maladie.

* 73 Avis du Comité d'alerte n° 2016-2 sur le respect de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie.

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