C. L'UNION DE L'ÉNERGIE

Organisée autour de rappels des grands objectifs de l'Union de l'énergie, la table ronde a principalement permis de revenir sur trois éléments : la sécurité des approvisionnements, la décarbonisation, et les enjeux de l'énergie en termes de compétitivité économique.

Les cinq grands objectifs de l'Union de l'énergie

En mars 2015, le Conseil européen a énoncé les cinq piliers de l'Union de l'énergie en s'inscrivant dans la continuité d'une vingtaine d'années de politique européenne de l'énergie.

Il s'agit :

- de la pleine intégration du marché européen de l'énergie avec pour corolaire la construction de réseaux gaziers et électriques transfrontaliers ;

- de la décarbonisation de l'économie ;

- de l'efficacité énergétique comme moyen de monnayer la demande ;

- de la sécurité énergétique ;

- de la recherche de l'innovation et de la compétitivité.

1. La sécurité énergétique
a) Les préoccupations polonaises

Les premiers mots de nos interlocuteurs ont été pour nous rappeler que l'Union européenne importe 50 % de son énergie et qu'elle est le premier client sur le marché énergétique mondial (avec des achats s'élevant à 400 milliards d'euros d'achats extérieurs).

Ces considérations sur la situation de l'Europe en général ont été complétées par un discours sur la dépendance vis-à-vis de la Russie , celle-ci étant totale pour la fourniture en gaz de six États membres.

Nos interlocuteurs polonais ont exprimé à plusieurs reprises leur souci de diversification de leurs sources d'approvisionnement, évoquant la construction en 2010 d'un terminal maritime de livraison de gaz naturel liquéfié (GNL) à Swinujscie. Par ce port, transite déjà près d'un tiers des 15 milliards de mètres cubes de GNL consommés annuellement par la Pologne 26 ( * ) . Il provient de deux pays : le Qatar et la Norvège.

Cette volonté de diversification ne procède pas seulement du souhait de limiter l'influence exercée par la Russie à travers Gazprom. Elle vise aussi à ne plus se voir imposer par ce fournisseur des prix du gaz qui sont aujourd'hui les plus élevés en Europe.

Nous avons été frappés de constater à quel point les Polonais ne limitent pas cette préoccupation d'indépendance à eux seuls, mais l'appliquent aussi à leurs voisins , Baltes en particulier, dont ils rappellent qu'ils sont encore plus dépendants de la Russie. Nos interlocuteurs se sont ainsi félicités de la création d'un terminal gazier flottant de GNL en Lituanie 27 ( * ) et ont exprimé leur souhait de voir les réseaux électriques des pays Baltes désynchronisés des réseaux russes. Ils nous ont aussi rappelé qu'ils avaient financé des interconnections gazières avec la Lituanie au moyen des fonds de cohésion de l'Union européenne.

b) Retour sur deux dossiers d'actualité

La discussion sur les approvisionnements énergétiques a permis d'évoquer deux dossiers d'actualité.

Le premier concerne le soutien accordé par les Polonais à la proposition déposée par la Commission européenne, COM (2016) 53 final, prévoyant, au nom de la transparence, que des accords intergouvernementaux passés avec les pays tiers dans le domaine de l'énergie 28 ( * ) soient transmis ex ante aux services de la Commission. Or, nous estimons pour notre part que cette proposition contrevient au principe de subsidiarité, raison pour laquelle, à l'initiative de notre commission des affaires européennes, le Sénat a adopté un avis motivé le 11 avril dernier 29 ( * ) .

Le second dossier d'actualité concerne le projet de gazoduc North Stream-2 reliant directement la Russie à l'Allemagne en passant par la mer baltique.

Nord Stream-2

Le gazoduc Nord Stream-2 vise à doubler la capacité actuelle du gazoduc Nord Stream, pour la porter à 110 milliards de mètres cubes par an au maximum, à partir de 2019. Le tour de table de ce gazoduc est le suivant : Gazprom (50 %), BASF, E.ON, Shell, OMV (Autriche) et Engie (10% chacun) pour un projet évalué à 10 milliards de dollars.

La nouvelle infrastructure relierait par le nord la Russie et l'Allemagne, faisant de cette dernière un véritable hub gazier européen. Ce trajet direct ne traverserait ni l'Ukraine ni la Pologne.

Chacune des délégations a pu rappeler sa position mais le principal intérêt de cet échange a été de permettre d'aller au-delà de la posture d'opposition de la partie polonaise fondée sur plusieurs arguments déjà connus. Il nous apparaît au final que si North Stream-2 préoccupe la Pologne, y compris pour des raisons géopolitiques 30 ( * ) , le coeur de la difficulté semble être davantage d'ordre économique . La Pologne craint :

- d'une part, la perte de recette qui serait liée au contournement du pays par le nord ;

- et, d'autre part, un affaiblissement de la position des pays situés à l'Est de l'Allemagne, éloignant encore davantage la perspective d'une harmonisation des prix de vente du gaz en Europe.

L'enseignement principal que nous tirons de cet échange est qu'il n'existe pas nécessairement une aversion de principe des Polonais à North Stream-2, mais que leur opposition pourrait être surmontée en fonction des conditions qui pourraient être négociées, principalement avec l'Allemagne .

2. Vers une économie décarbonée

Les parlementaires polonais ont commencé par rappeler leur accord avec les objectifs de décarbonisation de l'économie situé au sein de l'Union européenne tout en admettant que ceux-ci seraient difficiles à atteindre pour eux comme pour d'autres États membres .

Les objectifs européens de décarbonisation de l'économie

Le 24 octobre 2014, le Conseil européen a adopté un cadre énergie-climat complétant celui de 2009 et fixant trois grands objectifs pour 2030 :

- réduire les émissions de gaz à effet de serre d'au moins 40 % (par rapport aux niveaux de 1990) ;

- porter la part des énergies renouvelables à au moins 27 % ;

- améliorer l'efficacité énergétique d'au moins 27 %.

Ce cadre est conforme à la perspective à long terme définie dans la feuille de route intitulée « Vers une économie compétitive à faible intensité de carbone à l'horizon 2050 » et le livre blanc sur les transports, bien que seul l'objectif de réduction de 40 % des gaz à effet de serre ait une valeur contraignante .

À ce titre, ils ont rappelé l'importance économique mais aussi sociale (avec des centaines de milliers d'emplois concernés) du charbon et du lignite pour la Pologne . Ils ont toutefois indiqué que les choses évoluaient, comme en témoigne le vote récent d'une loi visant à faire évoluer le bouquet énergétique notamment par le développent des éoliennes.

La délégation française n'a pas manqué de poser la question du recours à l'énergie nucléaire , à la fois facteur de décarbonisation de l'économie mais aussi de diminution de la dépendance énergétique.

L'échange avec les sénateurs polonais sur ce point a été particulièrement intéressant dans la mesure où il a permis de compléter les entretiens avec le secrétaire d'État aux affaires européennes.

Au final, nous comprenons que :

- la décision de principe de recourir à l'énergie nucléaire serait prise mais que l'on serait toujours en attente d'un début de mise en oeuvre concrète ;

- l'un des paramètres très important de cette mise en oeuvre est la réponse à la question du financement des centrales nucléaires ;

- il est aussi nécessaire que la société polonaise soit préparée à accueillir ce type d'énergie ;

- et, c'est une information importante, la France apparaît comme le partenaire naturel pour développer l'énergie nucléaire en Pologne compte tenu en particulier de la grande expérience de ses entreprises dans ce domaine.

3. L'énergie facteur de compétitivité

Le président Jean Bizet a fait part à ses interlocuteurs de sa conviction selon laquelle la compétitivité du prix de l'énergie européenne était d'autant plus un sujet crucial que l'on négocie actuellement un accord transatlantique avec un partenaire dont les coûts de l'énergie sont deux à trois fois inférieurs aux nôtres.

Revenant au point précédent, les Polonais ont estimé que l'Europe handicapait sa compétitivité en se fixant elle-même des objectifs climatiques très ambitieux par rapport à ceux des autres grandes économies.

Enfin, l'un des intérêts de cet échange avec les sénateurs polonais a aussi été de préciser l'état du dossier des gaz de schiste en Pologne. Le débat existe entre eux puisque, à l'argument traditionnel selon lequel les gisements polonais ne seraient pas suffisamment rentables, certains autres intervenants ont objecté que trop peu de forages avaient été effectués à ce jour pour l'affirmer véritablement.


* 26 Soit une capacité actuelle de 4,5 milliards de mètres cubes susceptible d'un doublement dans les prochaines années.

* 27 Le terminal de Klapeida importe depuis octobre 2014 du gaz norvégien.

* 28 Nos interlocuteurs y voient sans doute un moyen de limiter par exemple la politique de prix différenciés pratiqués par Gazprom.

* 29 Avis motivé sur la conformité au principe de subsidiarité de la proposition de décision du Parlement européen et du Conseil (COM (2016) 53 final) établissant un mécanisme d'échange d'informations en ce qui concerne les accords intergouvernementaux et les instruments non contraignants conclus entre des États membres et des pays tiers dans le domaine de l'énergie, et abrogeant la décision n° 994/2012/UE.

* 30 Risque d'isolement de l'Ukraine.

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