B. LE PARTENARIAT ORIENTAL

1. La Pologne, un acteur majeur du partenariat oriental depuis les origines

C'est à l'initiative conjointe de la Pologne et de la Suède qu'a été instituée, en 2009, la politique de « partenariat oriental » destinée à six pays, anciennement parties à l'URSS : l'Arménie, l'Azerbaïdjan, la Biélorussie, la Géorgie, la Moldavie et l'Ukraine. Le partenariat oriental visait à soutenir les évolutions des pays concernés en matière de réformes politiques, sociales et économiques, en vue de renforcer la démocratisation et la bonne gouvernance, la sécurité énergétique, la protection de l'environnement et le développement économique et social, selon une logique d'efforts réciproques des pays concernés et de l'Union européenne à leur endroit (principe du « more for more » ). Il constitue aujourd'hui l'un des deux volets de la politique européenne de voisinage (PEV), l'autre étant le partenariat euro-méditerranéen.

C'est dans ce cadre que la Géorgie, la Moldavie et l'Ukraine ont conclu avec l'Union européenne des accords d'association, comprenant notamment la mise en place de zones de libre-échange.

Il convient de noter que nos interlocuteurs polonais ont confirmé qu'ils se sentaient comme responsables des politiques menées en direction de l'ensemble des États situés dans la sphère d'influence de la Russie et ce, alors même que l'heure est à la différenciation du partenariat. Cette orientation, qui semble faire consensus pour nos deux délégations, a été récemment formalisée dans une communication du Service européen pour l'action extérieure et de la Commission du 18 novembre 2015 intitulée « Réexamen de la politique européenne de voisinage ». Il s'agit de tenir compte en fait de réalités nationales très hétérogènes.

En Ukraine , c'est précisément une manifestation pro-européenne en réaction à l'incapacité du gouvernement à faire progresser l'accord d'association avec l'Union européenne, paraphé en juillet 2012, qui fut au commencement des événements qui affectent le pays depuis novembre 2013. Dans le cadre du conflit qui s'en est suivi, l'Union européenne a lié les sanctions économiques qu'elle a imposées à la Russie au respect intégral par Moscou des accords de Minsk.

En plein conflit, l'Union européenne a adopté des mesures de soutien au pays et, le 27 juin 2014, l'Union et l'Ukraine ont signé l'accord d'association. Les chapitres portant sur le dialogue politique, la justice, la liberté et la sécurité ainsi que la coopération économique, financière et sectorielle sont entrés en vigueur à titre provisoire le 1 er novembre 2014, tandis que l'entrée en vigueur du volet commercial et économique 23 ( * ) a été suspendue jusqu'au 31 décembre 2015.

Le 18 décembre 2015, La Commission a adopté le sixième rapport d'étape sur le plan d'action sur la libéralisation des visas pour l'Ukraine qui indique que l'Ukraine remplit tous les critères. Une proposition de libéralisation du régime des visas était attendue en février 2016, mais l'absence de système effectif de déclaration des revenus et du patrimoine des fonctionnaires a amené la Commission à reporter cette proposition. Le secrétaire d' État polonais a estimé que nous étions « à un pas » d'un accord sur cette question des visas .

Les pourparlers trilatéraux sur le commerce ont été rompus en décembre 2015 et la Russie a suspendu, à dater du 1 er janvier 2016, les préférences commerciales accordées à l'Ukraine au titre de l'accord de libre-échange de la Communauté d'États indépendants. La partie commerciale de l'accord d'association est entrée en vigueur à titre provisoire à cette date, dans l'attente de la ratification de tous les États membres .

Avec la Moldavie , l'Union européenne a signé, le 27 juin 2014, un accord d'association prévoyant une zone de libre-échange , qui est appliqué à titre provisoire depuis septembre 2014. En avril 2014, la Moldavie est en outre devenue le premier partenaire de l'Union à bénéficier d'un régime d'exemption de visa.

Dès la ratification par l'Assemblée nationale moldave de l'accord d'association avec l'Union, la Russie a adopté une série de mesures à l'encontre des importations en provenance de Moldavie et a supprimé les préférences commerciales accordées au pays au titre de l'accord de libre-échange de la Communauté d'États indépendants.

De graves scandales de corruption ont provoqué des manifestations, qui se poursuivent encore, rassemblant des milliers de personnes dans les rues de Chisinau. Depuis les élections de novembre 2014, quatre gouvernements se sont succédé, démontrant l'instabilité politique qui règne dans le pays.

Le 4 mars 2016, la Cour constitutionnelle de Moldavie a rétabli l'élection du Président de la République au suffrage universel, abrogeant la loi de juillet 2000 qui prévoyait son élection par le Parlement. L'élection présidentielle, initialement fixée au 16 mars, a été reportée à l'automne 2016. Dans cette attente, il convient de préciser que la signature d'un protocole bilatéral, la zone de libre-échange a été étendue à la région séparatiste Transnistrie à dater du 1 er janvier 2016.

Vis-à-vis de la Biélorussie , l'Union européenne a adopté une attitude de « dialogue critique » depuis le début du Partenariat oriental. Le 25 février 2016, un récent rapprochement entre la Biélorussie et l'Union a incité cette dernière à assouplir les sanctions (gel des avoirs, interdiction de voyage, restrictions commerciales et financières) qu'elle impose au pays. Le Conseil a ainsi décidé de ne pas proroger les mesures restrictives pour 170 personnes et trois entreprises dont l'inscription sur la liste avait déjà été suspendue. Il a en revanche prolongé d'un an les mesures existantes, notamment l'embargo sur les armes, ainsi que le gel des avoirs et l'interdiction de voyager institués à l'encontre de quatre personnes impliquées dans les disparitions non élucidées de deux personnalités politiques de l'opposition, d'un homme d'affaires et d'un journaliste.

L'Union a cependant envoyé des signes d'encouragement à la Biélorussie. Ainsi, les conclusions récemment adoptées à l'issue du sommet du Partenariat oriental, qui s'est tenu à Riga en mai 2015, font état des progrès accomplis en matière de réadmission et d'assouplissement du régime de visas et indiquent que ces avancées ouvrent la voie à la reprise du dialogue sur les droits de l'homme entre l'Union européenne et la Biélorussie. Ce dialogue, qui s'est déroulé en 2012 et 2013, consistait en un échange de vues entre l'Union et les représentants de la société civile biélorusse. En 2014, le dialogue a été remplacé par un projet axé sur la mise en oeuvre des réformes proposées.

Un partenariat pour la mobilité a été mis en place en juin 2015 et la coopération en matière de migration sera étendue au cours des prochaines années. En revanche, la Biélorussie ne négocie pas actuellement d'accord d'association avec l'Union.

En Géorgie , les élections législatives de 2012 et les élections présidentielles de 2013 ont vu la victoire de la nouvelle coalition « Rêve géorgien » et la confirmation de l'orientation euro-atlantique du pays. Sur la base de l'accord d'association, la zone de libre-échange est entrée en vigueur à titre provisoire en septembre 2014. La Géorgie a consenti de grands efforts pour aligner sa législation sur les normes de l'Union, par exemple en ce qui concerne la libéralisation du régime des visas.

La Commission a présenté une proposition sur cette libéralisation au Conseil de l'Union et au Parlement européen le 9 mars 2016. Le secrétaire d'État polonais s'est montré plutôt optimiste sur l'aboutissement de cette démarche.

Notons toutefois que la démocratie géorgienne souffre toujours des tensions persistantes entre la coalition au pouvoir et le Mouvement national uni de l'ancien Président Mikheil Saakachvili. Dans ce contexte, le climat politique ne devrait pas s'améliorer à la veille des élections législatives d'octobre 2016.

Les relations avec la Russie restent problématiques en dépit d'une embellie des échanges commerciaux. Les actions répétées de délimitation des frontières avec les deux régions séparatistes (l'Abkhazie et l'Ossétie du Sud), ainsi que la ratification des deux «traités» entre la Russie et comme avec l'Ossétie du Sud alimentent ces tensions.

L'Arménie entretient pour sa part des relations ambivalentes avec l'Union.

D'une part, en septembre 2013, le Président arménien a déclaré que le pays adhérerait à l'Union économique eurasiatique (UEE) avec la Russie, la Biélorussie et le Kazakhstan. L'Arménie a signé le traité d'adhésion à l'UEE le 10 octobre 2014, peu avant l'entrée en vigueur de cette union le 1 er janvier 2015.

D'autre part, des négociations sur un nouvel accord UE-Arménie ont été ouvertes en décembre 2015. L'attitude pragmatique dont ont fait preuve les deux parties ne devrait pas être remise en cause et ceci devrait déboucher sur la conclusion rapide d'un accord-cadre fondé sur les valeurs de l'Union mais compatible avec les nouvelles obligations d'Erevan vis-à-vis de l'UEE.

Parallèlement au constat d'un certain nombre d'améliorations dans le domaine des droits de l'homme et de l'État de droit, il convient de rappeler qu'un conflit oppose depuis plus de vingt ans l'Arménie à l'Azerbaïdjan au sujet du statut de la région du Haut-Karabakh, et les tensions sont actuellement au plus haut depuis 1994.

2. Les échanges avec les sénateurs polonais
a) Le Partenariat oriental vu par chacune des délégations

La séance de travail sur le Partenariat oriental a tout d'abord permis à chacune des deux délégations d'exprimer sa vision d'ensemble.

D'entrée, nos interlocuteurs ont toutefois rappelé que dans leur esprit de co-fondateurs du Partenariat oriental, celui-ci n'a jamais été conçu comme une forme d'opposition à la Russie mais plutôt, bien que la Russie ait refusé d'y participer, comme une façon d'établir une zone de stabilité et de bien-être à l'Est de l'Union européenne.

S'agissant du contenu de ce partenariat, nos interlocuteurs ont pris pour référence l'Ostpolitik menée par l'Allemagne vis-à-vis de l'Europe centrale et orientale à partir des années 70. Il s'agit, en fait, de multiplier des coopérations dans le domaine économique et social qui soient profitables aux deux parties. L'objectif poursuivi est que ceci débouche sur des interdépendances propices à un rapprochement politique. Ils ont enfin considéré que ce partenariat avait permis d'obtenir des résultats concrets, en particulier en Ukraine, en Géorgie et en Moldavie.

La délégation française s'exprimant en particulier par la voix de notre collègue Pascal Allizard, a indiqué qu'elle partageait cette philosophie tout en rappelant la nécessité d'avoir vis-à-vis de la Russie une attitude de fermeté mais aussi de dialogue . Nous considérons en effet la Russie comme un partenaire incontournable à la relance du processus, comme en témoigne le poids de la crise ukrainienne sur l'ensemble des relations entre l'Union européenne et la région et comme l'atteste aussi l'influence russe dans de très nombreux domaines. À titre d'exemple, M. Pascal Allizard a rappelé que les troupes russes n'étaient jamais à moins de quelques kilomètres des zones les plus stratégiques telles que les « nouvelles routes de la soie », axes commerciaux majeurs dans les relations entre l'Europe et la Chine.

À ce titre, le président Jean Bizet a fait état de la résolution récemment adoptée par le Sénat à l'initiative de la commission des affaires européennes, proposant une évolution du régime de sanctions aujourd'hui imposées à la Russie 24 ( * ) : d'une part, en supprimant des sanctions personnelles et, d'autre part, en engageant une levée progressive des sanctions économiques au vu des progrès dans le respect des accords de Minsk. Il n'est pas surprenant que cette proposition n'ait pas emporté sur le champ l'accord des sénateurs polonais 25 ( * ) . En revanche, elle a suscité leur intérêt, comme en témoignent les précisions qu'ils ont demandées quant aux conditions posées à la levée des sanctions économiques.

Au-delà de leurs position vis-à-vis de ces sanctions, il est aussi notable d'observer que Français et Polonais envisagent la poursuite du Partenariat oriental en préconisant souplesse et ouverture.

b) Une attitude commune d'ouverture

Les deux délégations se sont montrées convaincues de la nécessité de maintenir le dialogue avec l'ensemble des pays concernés par le Partenariat oriental . Plus précisément, il s'agit d'adapter l'offre de partenariat à la situation de chaque pays de façon à ce qu'elle soit à la fois réaliste mais aussi toujours attrayante. Les deux délégations s'accordent en effet sur le constat que l'on incitera les différents pays à des réformes que si on leur offre, en contrepartie, des perspectives .

Nos interlocuteurs ont ainsi insisté sur la nécessité à la fois d'aider l'Ukraine de toutes les façons, en particulier par des investissements, mais aussi de continuer le dialogue et de développer des coopérations avec des États tels que la Biélorussie ou la Moldavie. Avec ces pays et singulièrement avec l'Ukraine, la Pologne invite à faire preuve de patience, expliquant à quel point il est difficile de se défaire de l'emprise du puissant voisin. Ils estiment aussi qu'une évolution de l'Ukraine vers une plus forte indépendance pourrait conduire Biélorusses et Moldaves à prendre conscience de la possibilité de se forger un destin propre, et ainsi les ancrer plus fortement dans le Partenariat oriental .

L'un des enseignements notables de ces échanges a aussi été la communauté de vue des deux délégations quant à la façon de répondre aux souhaits de l'Arménie de s'inscrire à la fois dans le Partenariat oriental proposé par l'Europe et dans le Partenariat asiatique lancé par la Russie . Leur attitude semble être, là encore, marquée par un souci de souplesse et d'ouverture.

Enfin, les sénateurs polonais ont plaidé pour la suppression dès aujourd'hui de l'obligation de visa pour les Géorgiens , par symétrie avec l'accord passé avec la Turquie.


* 23 La création d'une « zone de libre-échange approfondi et complet ».

* 24 Résolution européenne n° 154 (2015-2016) relative au régime de sanctions de l'Union européenne à l'encontre de la Fédération de Russie.

* 25 Les sanctions imposées à la Russie font l'objet d'un certain consensus en Pologne à l'exception du parti agrarien (situé dans l'opposition) qui déplore les effets de ces sanctions sur les exportations agricoles.

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