EXAMEN EN COMMISSION

La commission des affaires européennes s'est réunie le jeudi 30 juin 2016 pour l'examen du présent rapport. À l'issue de la présentation faite par MM. Jean Bizet, Pascal Allizard et François Marc, le débat suivant s'est engagé :

M. Jean-Yves Leconte . - Il est essentiel, pour un dialogue utile avec les pays d'Europe centrale, de bien distinguer migration et droit d'asile. Les Ukrainiens présents en Pologne ne sont pas des demandeurs d'asile mais des travailleurs. Quels que soient les qualités politiques ou les talents en communication d'un parti, l'usure du pouvoir conduit fatalement à l'alternance, dont profite l'autre parti. C'est valable pour tous les pays !

M. Jean Bizet , président . - En effet.

M. Jean-Yves Leconte . - Nous savions donc que cela arriverait. Puis, la corruption de la Plateforme avait atteint un niveau qui méritait d'être dénoncé. Enfin, la politique familiale faisait défaut, et le PIS la met en place : à partir du troisième enfant, une famille touchera 120 euros par mois et par enfant. Voilà qui assurera une popularité durable à ce Gouvernement !

Pour autant, il y a de très profondes atteintes à l'État de droit, avec une violation complète de la séparation des pouvoirs. C'est comme si, chez nous, une loi fixait les méthodes de travail du Conseil constitutionnel, et que le Président s'octroyait un droit de véto sur ses décisions ! Le procureur général polonais, qui n'est autre que le ministre de la Justice, peut décider à lui seul de mesures de privation de liberté ou d'intrusion dans le domaine privé, ce qui est sans commune mesure avec les lois que nous avons votées depuis deux ans... Il peut même utiliser des moyens de provocation pour piéger des suspects par des propositions malhonnêtes. Le responsable des services secrets, qui avait été condamné il y a une dizaine d'années, a été gracié par le Président qui l'a réinstallé dans ses fonctions. Tous les quinze jours, les personnes qui ont combattu pour la liberté en 1989 descendent dans la rue, dans toutes les grandes villes de Pologne. Il y a un vrai problème. Qu'un parti élu démocratiquement considère que le droit l'empêche de mener sa politique est dangereux. Nous ne pouvons pas absoudre la Pologne aussi rapidement. Il faut y accompagner les démocrates.

M. Simon Sutour . - Ce déplacement était très positif. L'invitation polonaise correspondait à la décision de notre Bureau de nous concentrer, en 2016, sur deux pays de taille intermédiaire de l'Union, la Pologne et l'Espagne. Même lorsqu'on a des divergences profondes, il faut dialoguer. On voit bien que la Pologne pèse de plus en plus en Europe, notamment grâce à la galaxie de pays qu'elle entraîne derrière elle. Il est vrai que la sortie du Royaume-Uni lui ôte un allié de poids. Par exemple, la Pologne a été chef de file pour opposer un carton jaune à la position de la Commission sur les travailleurs détachés. Je suis très favorable au système du carton jaune, même quand il est utilisé contre nos positions !

C'est une bonne idée d'inviter en retour nos homologues polonais. J'espère que nous pourrons effectuer un déplacement similaire en Espagne, si possible à l'automne, du moins si un Gouvernement est constitué. Les contacts pris récemment à La Haye montrent une volonté renouvelée de dialogue, surtout depuis le Brexit : l'Espagne a immédiatement déclaré qu'il ne fallait pas discuter avec l'Écosse, afin d'éviter un précédent pour la Catalogne. Merci pour ce compte rendu d'un déplacement auquel j'aurais bien aimé pouvoir participer !

M. Éric Bocquet . - La Pologne est l'un des principaux pays d'envoi de travailleurs détachés en Europe. On voit bien l'écart entre les positions au sein de l'Union. La seule solution est l'harmonisation interne. Le cas des Ukrainiens en Pologne montre bien que c'est une logique sans fin : on est toujours plus cher que quelqu'un d'autre. La présence de travailleurs détachés en Angleterre et la xénophobie qui en résulte est d'ailleurs l'une des raisons du Brexit. J'espère que l'Europe a un autre projet, humaniste et de progrès social, que la mise en concurrence indéfinie des travailleurs entre eux. Sinon, nous allons au devant des pires difficultés.

M. Pascal Allizard . - Nous avons été reçus par des personnalités de la majorité mais des membres de l'opposition ont participé à chaque réunion, et ils s'y sont exprimés avec une entière liberté - notamment sur la question du Tribunal constitutionnel. Nous avons d'ailleurs constaté chez les deux parties une réelle volonté de trouver une solution sur ce problème en rendant à cette institution son rôle au lieu de l'utiliser pour entraver la politique de ses adversaires.

M. Jean Bizet , président . - De fait, le président de la commission des affaires étrangères et européennes - elles ne font qu'une là-bas - du Sénat polonais, M. Marek Roci, était membre de l'ancienne majorité.

La distinction entre migrants et demandeurs d'asile est faite au sujet des Ukrainiens, mais ce sujet a été abordé avec un certain flou, notamment sur les chiffres.

M. Jean-Yves Leconte . - L'arrivée de ces travailleurs est bien antérieure à la crise des migrants : ils sont venus remplacer les Polonais partis en Angleterre.

M. Pascal Allizard . - Exact.

M. Jean Bizet , président . - Nous n'avons pas entendu le mot « corruption », mais nous avons senti que la majorité précédente avait peut-être suscité quelques crispations. Quant à la politique familiale, avec un taux de fécondité de 1,3, elle ne peut qu'être populaire ! Reconnaissons l'apport important de l'Union européenne par ses fonds structurels ou ceux de la PAC, ce qui explique peut-être une part de l'engouement pour l'Europe. Sur l'État de droit, la page 19 du rapport est claire : elle pointe les vulnérabilités du système actuel. Des améliorations sont possibles.

M. Jean-Yves Leconte . - C'est comme si nous décidions par une loi des méthodes de travail du Conseil constitutionnel...

M. Jean Bizet , président . - Il est souhaitable que l'indépendance des juges, comme celle du Tribunal constitutionnel, soit garantie. Pour le président du Sénat polonais, toutefois, ce sujet vient en dixième ou douzième position parmi les préoccupations de ses concitoyens.

M. Jean-Yves Leconte . - C'est la politique familiale qui compte.

M. Jean Bizet , président . - Oui, les Polonais sont très europhiles. L'importance des lignes budgétaires européennes qui leur ont été consacrées n'y est peut-être pas pour rien. Lors du dernier déjeuner, j'ai testé auprès d'un parlementaire spécialiste des questions agricoles l'idée de glisser du premier vers le deuxième pilier, c'est-à-dire de faire moins de fonctionnement et plus d'investissement - ce qui est nécessaire à la pérennité de la PAC. Nous n'avons pas senti d'aversion fondamentale, pourvu que leur ligne budgétaire ne diminue pas. Quant aux problématiques climatiques, leur analyse est que point trop n'en faut !

En effet, nous avons senti un décalage entre certaines analyses sur la Pologne et nos impressions. Nous devons avoir de bonnes relations avec ce pays qui compte autant que nous au Parlement européen, puisque nos 25 députés europhobes n'y font rien d'autre qu'émarger.

Oui, il est bon de rappeler l'existence du carton jaune, y compris ici même : 50 % de nos résolutions européennes ont un écho à Bruxelles. Il est bon que la Commission européenne n'ait plus le monopole du droit d'initiative. Pour faire aimer l'Europe, montrons qu'elle passe par les parlements nationaux.

Les Espagnols parviendront-ils à former un Gouvernement ? Je suis partisan d'un noyau dur pour relancer l'Union, qui ne doit pas se limiter par principe aux pays fondateurs. Quand nous étions à quinze, l'écart de salaires en Europe était de un à trois. Aujourd'hui, à vingt-huit, il va de un à dix. Les Polonais entendent bien profiter pleinement de leur attractivité.

M. Jean-Yves Leconte . - Il peut y avoir des différences d'analyse, mais il faut parler avec le PIS, qui a un vrai soutien, en dénonçant les dérives actuelles.

M. Jean Bizet , président . - Avec un tel taux de fécondité, il fallait réagir. Nous enverrons une invitation officielle, la Pologne est un partenaire qui compte. L'énergie devrait être l'un des leviers pour relancer l'Union européenne. Si, avec le North Stream 2 , l'Allemagne devient le hub gazier européen, elle devra s'assurer qu'un équilibre est trouvé avec la Pologne.

À l'issue de ce débat, la commission autorise, à l'unanimité, la publication du rapport d'information.

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