D. DEUX DIFFICULTÉS SPECIFIQUES MISES EN EXERGUE PAR LES RESPONSABLES DE L'ENSEIGNEMENT PRIVÉ MUSULMAN

En dépit de son apparition récente dans le paysage éducatif français, l'enseignement privé musulman fonctionne pour l'heure de manière normale , même si quelques lacunes peuvent être relevées çà ou là, notamment en ce qui concerne les méthodes pédagogiques ou la qualité intrinsèque des enseignements dispensés.

Les inspections menées au Lycée Averroès de Lille ont ainsi montré que l'enseignement dispensé y était plutôt de qualité (même si, comme partout, il est perfectible), la seule recommandation formulée par les inspecteurs étant de parvenir à une séparation plus nette dans l'emploi du temps entre ce qui relève de l'enseignement sous contrat et ce qui relève de l'enseignement religieux. Quoi qu'il en soit, cet établissement jouit d'une réputation d'excellence qui lui attire de nombreuses demandes d'inscription, y compris d'élèves non musulmans.

En outre, si des sortes « d'écoles clandestines » peuvent apparaître épisodiquement, il semble que ce phénomène demeure extrêmement marginal et momentané. Ainsi, en réponse à une question de notre collègue Mme Chantal Deseyne, qui leur faisait part des préoccupations du préfet d'Évry quant au nombre d'enfants volontairement non scolarisés ou sortis du système scolaires par leurs familles, les représentants du ministère ont reconnu que parfois, des familles se regroupent et créent une pseudo-école qui, de fait, n'a pas respecté l'obligation de déclaration ; ils ont cependant considéré que des situations de ce type demeuraient très rares, qu'elles ne pouvaient durablement échapper à l'attention des inspecteurs ni rester en l'état plusieurs années.

Sous le bénéfice de ces constatations, deux points posent néanmoins problème : le mode de financement de l'enseignement privé musulman et l'absence d'école de formation des maîtres de l'enseignement privé musulman . Il est symptomatique de retrouver là deux faiblesses structurelles déjà observées dans l'organisation du culte lui-même .

1. Le financement laborieux des établissements d'enseignement privé musulman

La question du financement des établissements d'enseignement privé musulman est revenue à plusieurs reprises lors des travaux de votre mission d'information.

Certes, elle n'est pas typique au réseau, mais elle s'y pose sans doute avec plus d'acuité que dans les autres filières privées - l'enseignement privé catholique, par exemple - car apparu très récemment dans le paysage scolaire, l'enseignement privé musulman est en sensible décalage (moins d'écoles, moins d'enseignants, moins de classes sous contrat) alors qu'il doit faire face à une demande croissante , la combinaison de ces facteurs ayant pour corollaire de faire supporter des coûts élevés aux familles.

a) Le rythme jugé trop lent des passages sous contrat

À ce jour, les établissements privés musulmans sous contrat sont encore très peu nombreux : le lycée Averroès de Lille (36 enseignants), le collège Al Kindi de Lyon (22 enseignants), le collège et lycée Ibn Khaldoun de Marseille (8 professeurs) et l'école La Medersa de La Réunion (8 enseignants). À eux cinq, ces établissements emploient 74 enseignants.

Lors de son audition, M. Michel Soussan, un des principaux promoteurs du Lycée Averroès, a déploré la lenteur du rythme de contractualisation qui, parfois, induit des différences de statut parfois surprenantes entre les classes d'un même établissement : « Le passage sous contrat classe par classe est excessivement lent. Il aurait fallu vingt ans pour Averroès et ses vingt classes. À l'époque, le préfet Daniel Canepa avait obtenu ce passage en une fois » (vos rapporteurs rappellent à ce propos que les préfets peuvent, sous certains conditions, accorder une dérogation au délai de cinq ans) ; M. Soussan a également fait observer que « ce système conduit [...] à des situations paradoxales. Ainsi, le groupe scolaire Al Kindi compte deux classes de troisième, dont une seule est sous contrat. Dans ce cas, pour le brevet, les élèves passent trois épreuves, outre le contrôle continu. Hors contrat, les élèves passent toutes les épreuves. Que fait-on, avec ces deux classes ? Comment répartir les élèves ? ».

De son côté, le Président de la FNEM a appelé de ses voeux « un geste politique fort du Gouvernement, du ministère de l'Éducation nationale, pour rattraper ce retard. Le contrat d'association est le meilleur moyen de contrôler non seulement les finances mais aussi la pédagogie. Un vrai dialogue doit s'installer pour voir où sont les problèmes ».

Ces points de vue sont à prendre en compte, sachant cependant que le passage sous contrat ne tient pas qu'à un critère de délais mais pose aussi un problème de moyens... Compte tenu du principe de parité, inscrit dans la loi Debré, l'État doit en effet satisfaire les demandes de tous les réseaux, sachant que le réseau catholique, du fait de sa situation numériquement prédominante, reçoit mécaniquement la plus grande part de l'enveloppe consacrée à l'enseignement privé. Les « nouveaux venus » se voient donc accorder les contrats au compte-goutte et non, comme ils le souhaiteraient, d'un seul coup.

En outre, les quelques établissements sous contrat se plaignent d'un manque de visibilité budgétaire qui contrarie la mise en place de projets pluriannuels, comme l'a souligné M. Soussan : « Le budget de l'État accorde aux établissements privés les moyens de fonctionner dès l'adoption de la loi de finances. L'enseignement catholique connaît sa dotation au mois de décembre. Les autres établissements qui dépendent de la réserve, c'est-à-dire de ce qui sera distribué ensuite - selon des critères inconnus -, ne connaissent leur dotation que tardivement. Cette année, la réserve comprend soixante-dix contrats. Alors que nous souhaitons être informés en temps utile, comme l'enseignement catholique, on ne nous informe pas ».

b) Le financement étranger des écoles privées musulmanes

Dans ce contexte, le coût de la scolarité dans un établissement hors contrat peut représenter un gros sacrifice pour des familles souvent peu aisées, et conduit les gestionnaires de projet à rechercher ailleurs - y compris à l'étranger - les financements qu'ils ne trouvent pas auprès de l'État, comme en est convenu M. Makhlouf Mamèche : « Le financement des établissements coûte cher. C'est un grand sacrifice. On organise des soirées caritatives pour financer tel ou tel projet, on organise des collectes dans les mosquées. Le financement provient aussi de l'étranger [...] Il existe des fondations, surtout dans les pays du Golfe, qui aident à financer la mise en place d'établissements privés musulmans - l'achat du bâtiment par exemple, mais pas le fonctionnement - tels que la Banque islamique de développement, basée à Djeddah, la fondation Qatar Charity, le Croissant rouge et d'autres organismes au Koweït, aux Émirats arabes unis. [...] Recevoir de l'argent de l'étranger n'est pas interdit. Par contre, si un don est conditionné, nous le refusons de la manière la plus claire ».

Même si l'absence de conditionnalité des aides financières étrangères est un principe clamé haut et fort, ce mécanisme n'est guère satisfaisant. À cet égard, le parallèle est frappant entre la démarche des gestionnaires d'établissements d'enseignement privé et celle des gestionnaires des lieux de culte, pour qui - faute de financement interne - les financements en provenance de l'étranger apparaissent comme un expédient inévitable.

Comme l'a suggéré notre collègue François Grosdidier, vos rapporteurs sont favorables à ce que l'ensemble des financements étrangers au profit d'établissements d'enseignement privés musulmans doivent transiter par la Fondation pour les oeuvres de l'Islam de France.

2. La question de la formation initiale et continue des professeurs de l'enseignement privé musulman

Si la formation des enseignants du secteur privé est un gros dossier se situant tout à fait hors du champ de réflexion de votre mission d'information - avec une multiplicité d'acteurs institutionnels ou privés - force est pourtant de constater qu'à la différence d'autres cultes (catholique, notamment), le culte musulman n'a pas encore mis en place d'organisme(s) spécifiquement dédié(s) à la formation initiale ou continue des personnels appelés à exercer dans les établissements privés musulmans .

Là encore, le Président de la Fédération nationale de l'enseignement privé musulman, M. Makhlouf Mamèche, en est convenu : « la formation du personnel représente également un grand chantier. Les autres branches de l'enseignement privé ont leurs centres de formation des maîtres - nous avons ce déficit ».

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page