B. DÉVELOPPER L'USAGE DE LA BIOMÉTRIE AUX FRONTIÈRES

La gestion des frontières constitue la sphère administrative dans laquelle les techniques biométriques sont le plus communément utilisées.

L'interopérabilité des systèmes des États membres de l'espace Schengen reste toutefois insuffisante et le projet « frontières intelligentes » devra gagner en ambition pour renforcer notre capacité à garantir une gestion rationnelle des frontières.

1. Un usage réel mais perfectible
a) La biométrie, un outil de base pour les gardes-frontières

De nombreux outils biométriques sont d'ores et déjà utilisés par les gardes-frontières pour s'assurer de l'identité des individus souhaitant entrer ou sortir de l'espace Schengen et pour fluidifier les files d'attente : le système PARAFE, les passeports et visas biométriques, le dispositif EURODAC, etc .

Le contrôle à la frontière est organisé en deux étapes comme vos rapporteurs ont pu le constater lors de leur déplacement à la gare du Nord le 24 mars dernier.

• Le contrôle de première ligne

Ce contrôle est réalisé par un garde-frontière posté dans une aubette. Sa durée moyenne est estimée à 25 secondes .

Son principal objectif est l'authentification du voyageur , le garde-frontière vérifiant la régularité du document d'identité ainsi que la correspondance entre la photographie de ce dernier et le voyageur qui s'est présenté au poste frontière.

L'interrogation des fichiers reliés aux outils biométriques (VISABIO, EURODAC, etc .) est possible mais n'est pas systématique .

Une aubette à la frontière franco-britannique de la garde du Nord 81 ( * )

Source : commission des lois du Sénat

• Le contrôle de seconde ligne

Ce contrôle est réalisé en cas de doutes sur l'identité de la personne . Les garde-frontières procèdent à l'identification du voyageur : ses empreintes digitales sont prélevées pour être comparées aux données enregistrées dans les fichiers reliés aux outils biométriques.

Effectué dans un local séparé et spécialement prévu à cet effet, ce contrôle dure en moyenne 4 minutes.

b) Une interopérabilité encore limitée

Lors de leurs auditions, vos rapporteurs ont constaté avec étonnement le faible niveau d'interopérabilité des dispositifs biométriques utilisés à l'échelle de l'espace Schengen .

À titre d'exemple, les autorités françaises ne peuvent pas accéder aux empreintes digitales des passeports et des documents de voyage délivrés par les autres États de cet espace, ce qui réduit considérablement la qualité des contrôles.

Concrètement, les puces de ces titres comprennent plusieurs « couches » :

- une première lisible à partir d'une combinaison de chiffres présente sur le passeport ( code bande MRZ ) ;

- une seconde qualifiée de « BAC » (« basic access control ») contenant les informations relatives à l'identité du voyageur (nom, prénoms, date de naissance notamment) et sa photographie. Ces données sont accessibles à l'ensemble des États membres ;

- une troisième désignée sous le terme de « EAC » (« extended access control ») qui comprend les empreintes digitales du voyageur. Son accès est beaucoup plus restreint dans la mesure où il est protégé par un haut niveau de cryptographie.

Le règlement (CE) n° 2252/2004 du conseil du 13 décembre 2004 82 ( * ) organise les conditions dans lesquelles les États peuvent s'échanger les informations contenues dans cette troisième couche. Il s'agit, concrètement, de communiquer aux autres pays des certificats de sécurité.

La Commission européenne a développé, pour ce faire, le programme d'échange « SPOC » (« single point of contact ») . Toutefois, à ce stade, ce dispositif n'est toujours pas effectif et ce pour plusieurs raisons.

Les États ont d'abord tardé à s'y investir. Constatant que la date limite de mise en oeuvre du SPOC - 20 mai 2012 - n'avait pas été respectée, la Commission européenne a, par exemple, saisi la France le 13 mars 2013 avant de la mettre officiellement en demeure en janvier 2014.

Le déploiement du SPOC soulève également des difficultés techniques importantes .

Des problèmes d'interopérabilité ont ainsi été constatés lors des phases d'expérimentation, la phase de test de janvier 2015 menée par l'ANTS avec la République tchèque, la Hongrie, l'Irlande, l'Italie et la Roumanie n'ayant pas donné satisfaction. Cette interopérabilité est d'autant plus compliquée à assurer que les États membres modifient leurs certificats de sécurité plusieurs fois par an dans une logique de sécurisation des titres 83 ( * ) .

En dépit de ces difficultés d'ordre technique, vos rapporteurs considèrent qu'il est urgent de rendre effectif l'échange de ces certificats de sécurité afin d'accroître l'efficacité des outils à la disposition des gardes-frontières.

Proposition n° 5 : Relancer la procédure d'échange de certificats de sécurité entre les États membres de l'espace Schengen pour permettre à chacun d'eux d'accéder aux empreintes digitales enregistrées dans les passeports et les titres de voyage biométriques émis par des pays de l'espace Schengen.

D'une manière générale, il peut s'avérer opportun d' harmoniser les dispositifs de recueil de données à l'échelle de l'Union européenne , voire de croiser certains fichiers nationaux pour des besoins strictement définis.

Les garanties apportées aux citoyens devraient être renforcées dans cette hypothèse . Il conviendrait notamment de veiller à une bonne articulation entre la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) et les autres autorités européennes de protection des données personnelles.

Proposition n° 6 : Offrir au niveau européen des garanties au moins identiques à celle données par la CNIL en France dès lors qu'il apparait indispensable d'harmoniser nos dispositifs de recueil de données dans les fichiers européens et de croiser certains de nos fichiers nationaux.

Veiller à ce que chaque développement et croisement de fichiers envisagé s'effectue dans un environnement respectant strictement la finalité des fichiers utilisés et le principe de proportionnalité.

2. Le projet « frontières intelligentes »

La Commission européenne a proposé, dès février 2008, de moderniser les méthodes de gestion des frontières extérieures de l'espace Schengen dans le cadre du projet intitulé « frontières intelligentes » 84 ( * ) . Elle a également présenté des propositions législatives début 2016 85 ( * ) avec un objectif de mise en oeuvre concrète de ce dispositif à compter de 2020.

Les techniques biométriques jouent un rôle central dans ce programme , la Commission considérant qu'elles constituent un « moyen fiable d'identifier les ressortissants de pays tiers qui se trouvent sur le territoire des États membres sans document de voyage ni aucun autre moyen d'identification » et qu'elles permettent « un recoupement plus fiable des données relatives aux entrées et aux sorties des voyageurs en règle » 86 ( * ) .

Les dispositifs utilisés mobiliseraient plusieurs types de biométrie avec une priorité donnée à la reconnaissance faciale et, en cas de doutes, aux contrôles des empreintes digitales 87 ( * ) .

Le projet « frontières intelligentes » comprend, concrètement, deux dispositifs : le programme d'enregistrement des voyageurs (RTP), d'une part, et le système d'entrée/sortie (EES), d'autre part.

a) Le programme d'enregistrement des voyageurs (RTP)

Le RTP que propose la Commission européenne est un dispositif facultatif à l'attention des États membres souhaitant fluidifier le trafic des voyageurs . Il s'inscrit ainsi dans la même logique que le système français PARAFE tout en ajoutant une technique biométrique complémentaire : la reconnaissance faciale.

Il s'agit de mettre à la disposition des voyageurs des systèmes d'identification en libre-service ( bornes ) et des portes électroniques ( sas ). Ces systèmes pourraient être :

- entièrement automatisés (une porte électronique s'ouvre après utilisation de la borne) 88 ( * ) ;

- ou semi-automatisés (le voyageur s'identifie auprès de la borne mais est autorisé à franchir la frontière par un garde-frontière).

Un tel dispositif est en cours d'expérimentation à la gare de Saint-Pancras à Londres.

Prototypes du programme d'enregistrement des voyageurs
(gare de Saint-Pancras)

Source : Eurostar

La direction centrale de la police aux frontières (DCPAF) participe également aux expérimentations relatives au programme d'enregistrement des voyageurs (RTP) , tests que vos rapporteurs encouragent fortement dans l'optique de généraliser ces dispositifs à compter de 2020.

« Frontières intelligentes » : les expérimentations françaises

La DCPAF a procédé en 2015 à deux expérimentations de sas à reconnaissance faciale installés à la gare du Nord et à l'aéroport Roissy-Charles de Gaulle . Dans ce dernier cas, l'expérimentation comportait également l'inscription fictive des voyageurs dans une base de données type « système d'entrée/sortie (EES) » (Cf. infra) .

Les taux d'échec de la reconnaissance faciale demeurent non négligeables pour une prise de photographie « statique » du voyageur 89 ( * ) . En cas d'échec, l'intervention d'un garde-frontière est nécessaire pour permettre, ou non, le franchissement de la frontière.

La France a également testé une solution de reconnaissance par l'iris à la gare maritime de Cherbourg . Longue de treize semaines, cette expérimentation consistait à reconnaître à distance l'iris des passagers d'automobiles sans qu'ils ne quittent leur véhicule.

Cette technique a fonctionné pour 81 % des 3 400 participants à l'expérimentation. La durée de capture des iris (3,9 secondes) n'a pas rendu le trafic automobile plus difficile. Le taux de satisfaction des participants a atteint 91 % mais, d'après la DCPAF, « la capture de l'iris a été considérée comme l'option (biométrique) la plus intrusive de toute » .

Alors que le programme d'enregistrement des voyageurs (RTP) ne concernait initialement que les ressortissants de pays tiers à l'espace Schengen, la Commission l'a étendu aux citoyens européens à l'occasion des propositions de règlement publiées le 6 avril 2016.

Les personnes entendues en audition par vos rapporteurs ont insisté sur le caractère positif de cette décision, le RTP devant être accessible à un nombre maximal de personnes pour répondre à l'objectif de fluidification du trafic.

b) Le système d'entrée/sortie (EES)

Second dispositif du programme « frontière intelligente » , le système d'entrée/sortie (EES) serait une base de données biométriques permettant d' enregistrer les passages à la frontière extérieure de l'espace Schengen des ressortissants de pays tiers 90 ( * ) . Son principal objectif est « d'identifier tout migrant sans papiers en situation irrégulière, repéré sur le territoire après avoir légalement franchi les frontières extérieures » 91 ( * ) .

Un dossier individuel serait créé pour chacun de ces ressortissants lorsqu'ils franchissent pour la première fois la frontière de l'espace Schengen. Ce dossier contiendrait des données relatives à leur état civil mais également leur image faciale et leurs empreintes digitales. Il serait complété par des « fiches » à chaque entrée et sortie indiquant la date et le lieu de ces mobilités. L'ensemble de ces données serait conservé pendant cinq ans dans une base de données créée à l'échelle européenne.

Le système d'entrée/sortie comporterait également une « calculatrice automatique » déterminant automatiquement le nombre de jours passés dans l'espace Schengen et alertant les États dans l'hypothèse où la période de séjour autorisée (90 jours par exemple pour un visa de court séjour) aurait expiré. L'EES indiquerait également les cas où l'entrée sur le territoire d'un pays de l'espace Schengen a été refusée ainsi que les motifs de ce refus.

La base correspondant au système EES serait consultable à des fins répressives dans des conditions comparables à celles applicables au système EURODAC. Il s'agit, d'après la Commission 92 ( * ) , « d'aider à l'identification fiable des terroristes, des criminels ainsi que des suspects et des victimes », notamment en fournissant « un historique des déplacements des ressortissants de pays tiers, y compris ceux qui sont soupçonnés d'infractions graves » 93 ( * ) .

Vos rapporteurs approuvent le déploiement du système d'entrée/sortie (EES) dans la mesure où il permettra une gestion plus rationnelle des frontières extérieures de l'espace Schengen .

Ils rejoignent toutefois la commission des affaires européennes du Sénat 94 ( * ) pour solliciter l'extension de certaines dispositions du système EES aux citoyens européens ainsi qu'aux personnes vivant dans la zone Schengen et pas uniquement aux ressortissants d'États tiers. Il ne serait toutefois pas nécessaire, dans cette hypothèse, de prévoir un historique systématique de leur mobilité, les contrôles devant être concentrés sur des cas spécifiques.

Un tel dispositif faciliterait par exemple la mise en oeuvre des interdictions de sortie du territoire prononcées lorsqu'il existe des raisons sérieuses de penser que la personne projette des déplacements à l'étranger ayant pour objet la participation à des activités terroristes 95 ( * ) .

Proposition n° 7 : Étendre le système d'entrée/sortie (EES) aux frontières de l'espace Schengen aux ressortissants communautaires, sans constitution, sauf situation spécifique, motivée et encadrée, d'historique des mouvements constatés.


* 81 Photographie prise lors du déplacement de vos rapporteurs le 24 mars 2016.

* 82 Règlement établissant des normes pour les éléments de sécurité et les éléments biométriques intégrés dans les passeports et les documents de voyage délivrés par les États membres.

* 83 Le certificat de sécurité des passeports français est par exemple modifié tous les trois mois.

* 84 « Préparer les prochaines évolutions de la gestion des frontières dans l'Union européenne » , communication COM (2008) 69 du 13 février 2008
(http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=COM:2008:0069:FIN:FR:HTML).

* 85 Propositions de règlements européen COM (2016) 194 et COM (2016) 196 du 6 avril 2016 (http://ec.europa.eu/).

* 86 Proposition de règlement européen COM (2016) 194 précitée, p. 18-19.

* 87 La commission propose le prélèvement des quatre empreintes digitales de l'index, du majeur, de l'annulaire et de l'auriculaire de la main droite.

* 88 Ce dispositif ne serait pas accessible aux ressortissants de pays tiers de l'Union s'ils ne sont pas encore enregistrés dans le système d'entrée/sortie (EES), des recueils de données complémentaires étant nécessaires pour figurer dans ce dernier.

* 89 Les taux d'échecs seraient, en outre, plus importants en cas de prise mobile (personne marchant dans une foule par exemple.

* 90 Ce dispositif serait toutefois allégé pour les étrangers possédant un visa biométrique, leurs données étant conservées dans le système d'information sur les visas (VIS) et ce dernier étant, selon le projet de la Commission, relié au futur système d'entrée/sortie (EES).

* 91 Proposition de règlement européen COM(2016) 194 précitée, p. 4.

* 92 Proposition de règlement européen COM(2016) 194 précitée, p. 5.

* 93 La reconstitution de cet historique à des fins répressives ne serait possible que pour les crimes les plus graves ( Cf. la première partie du rapport concernant l'interrogation du système EURODAC). Elle nécessiterait d'avoir déjà interrogé, sans succès, les bases de données nationales et d'avoir des « motifs raisonnables de penser » que la consultation de l'EES contribuera « de manière significative » à la résolution de l'affaire.

* 94 « L'Europe de Schengen face à la crise des réfugiés » , rapport d'information n° 499 (2015-2016) de MM. Jean-Yves Leconte et André Reichardt, fait au nom de la commission des affaires européennes, p. 23 ( https://www.senat.fr/rap/r15-499/r15-4991.pdf ).

* 95 Article L. 224-1 du code de la sécurité intérieure.

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