D. DES MODES DE COMBAT QUI ÉVOLUENT

1. Les caractéristiques nouvelles de l'ennemi
a) L'adversaire se présente sous des formes différentes : des modes de combat hybrides

Selon les théâtres d'opérations, l'adversaire présentera des visages différents. Il pourra s'agir de structures militaires étatiques ou de même niveau (forces armées libyennes en 2011, Daech après la conquête de Mossoul et d'une grande partie de l'Est de la Syrie et du Nord-Ouest de l'Irak). Il s'agira le plus souvent lors d'opérations de gestion de crise de forces organisées en milices ou forces supplétives ou de groupes combattants irréguliers (coalition de groupes armés au Mali au moment du déclenchement de Serval, forces de la Séléka et groupes anti-balaka en RCA), au sein desquels les terroristes (AQMI, Mujao, Al-Morabitoune au Mali), comme les réseaux de criminalité organisée sont présents.

Il pourra s'agir selon les moments de forces agissant successivement ou simultanément en utilisant des modes d'actions militaires ou terroristes (Daech au Levant, et dans une moindre mesure certains groupes armés au Mali agissant par petits groupes ou en rezzou). Les spécialistes estiment que ces modes de combats hybrides ont tendance à se développer, y compris dans des conflits plus traditionnels, de nature interétatiques (conquête de la Crimée par la Russie sur l'Ukraine).

b) Une occurrence croissante à faire face à des adversaires asymétriques et au durcissement des crises

Nos forces, notamment au sol, sont confrontées à des adversaires asymétriques mais qui sont déterminés 117 ( * ) , souvent portés par une idéologie, et qui cherchent à compenser l'avantage technologique de nos forces par l'utilisation de modes d'action particuliers voire hors norme, notamment terroristes, (EEI 118 ( * ) , voitures piégées ou véhicules suicides) parfois sur les arrières des dispositifs amis (attentats de Bamako, Ouagadougou, Grand Bassam pour AQMI ou Al-Morabitoune), voire sur le territoire national pour Daech.

c) Un adversaire qui refuse le contact et se fond dans la population

Les adversaires agissant individuellement ou en petits groupes bénéficient de la connaissance du terrain et sont souvent imbriqués dans la population civile, avec laquelle ils peuvent avoir des liens familiaux, tribaux, sociaux. Ils auront tendance dans les phases de stabilisation à éviter le combat frontal qui leur est défavorable et à conduire leurs actions militaires en dehors du droit de la guerre (avec une exacerbation de la violence comme le montre la propagande de Daech ou, pour des raisons plus complexes, les exactions commises par les groupes armées en RCA).

Ses imbrications dans la population, conduira davantage l'opération militaire à contenir ou à neutraliser l'action de l'adversaire qu'elle ne permet de le détruire en raison des risques de dommages collatéraux et de leurs conséquences sur l'acceptation de l'intervention.

2. L'utilisation massive des technologies de l'information et de la communication

Le recours aux technologies modernes confère à nos forces un avantage évident en opération, notamment en matière de renseignement, de communication et de « numérisation du champ de bataille ». Il en améliore l'efficacité et réduit leur vulnérabilité.

Il en accroît aussi la dépendance et peut conduire à un affaiblissement en cas d'indisponibilité des outils 119 ( * ) . Dans des conditions climatiques extrêmes, la robustesse de certains équipements peut être insuffisante. Leur trop grande utilisation peut saturer les réseaux ou ralentir les communications 120 ( * ) . La rusticité et la capacité des forces à contourner les défaillances technologiques, ou à agir en leur absence, restent des qualités à cultiver pour réduire leur vulnérabilité.

3. Une attention médiatique permanente

Les opérations se déroulent en milieu ouvert. Avec le développement des réseaux sociaux et de la médiatisation instantanée, il est impossible de contrôler la communication sur les théâtres d'opérations.

La rapidité de diffusion de l'information et notamment des images et la concurrence entre les médias qui font primer l'actualité en continu (et en boucle) ont un impact sur les opinions publiques et les décideurs politiques.

Lors de son déplacement auprès de la force Barkhane, le groupe de travail, s'étonnant de la présence de récepteurs de télévision allumés en permanence sans le son et connecté à une chaîne d'information continue nationale, y compris dans des enceintes de travail (centres de conduite d'opération notamment) a perçu le poids « de la dictature du bandeau d'information » qui peut amener le Chef de l'Etat ou le ministre de la défense à recevoir une information sur un évènement se déroulant sur un théâtre d'opérations impliquant des militaires français avant même que les comptes rendus soient parvenus au niveau d'un commandant de force ou d'un état-major intermédiaire.

En revanche, l'information transmise par les forces doit être juste, vérifiée et communiquée en temps utile.

Qu'il s'agisse de communiquer en direction des médias nationaux, étrangers ou locaux, ou directement en direction du public à travers les réseaux sociaux ou d'autres médias 121 ( * ) les forces armées sont amenées à consacrer des moyens en personnel et financier à ces actions.

4. Des modes d'action qui évoluent

L'adaptation au terrain et l'intelligence des situations ont amené sur des théâtres comme celui de la BSS à faire évoluer les modes d'action des forces armées, à innover et à expérimenter.

a) L'alternance de phase de haute et de basse intensité

Les opérations actuelles sont marquées par des bascules instantanées et permanentes entre des actions de faible intensité notamment de surveillance ou de présence ou de dissuasion (à l'aide de patrouilles militaires) ou de moyens aériens (drones) par exemple et des périodes de haute intensité avec des combats d'extrême violence, qui imposent de disposer d'un large spectre de moyens (armement, communication, transport, sanitaires).

b) Un rythme opérationnel élevé

Face à un ennemi qui évite le combat frontal, dont il faut chercher à neutraliser l'action et qui ne peut être détruit que lorsqu'il est isolé de la population, de nouveaux modes, qui reposent sur un tempo opérationnel élevé et qui créent incertitude et surprise, perturbent ou empêchent les réorganisations de son dispositif, ont été élaborés. Ils sont fondés sur des capacités de renseignement et de surveillance permanente et sur le déploiement rapide de forces et/ou la précision des appuis feux. Ces modes d'action compensent aussi la faiblesse des effectifs pouvant être déployés en permanence sur le terrain.

Les forces spéciales, parce qu'elles disposent d'un large spectre de moyens pour se déployer et agir en autonomie avec fulgurance, sont un outil indispensable dans leurs modes d'action, mais il peut s'agir d'opérations menées par des forces conventionnelles réactives ou la combinaison des deux forces 122 ( * ) . La fulgurance peut être apportée également par des moyens aériens ou de l'artillerie déployée à distance mais capable de conduire des tirs de précision.

Aux termes du rapport annexé à la loi de programmation militaire après actualisation, les Forces spéciales, capacité de premier plan dans toutes les opérations récentes, complémentaires des forces conventionnelles et particulièrement adaptées aux besoins accrus de réaction dans l'urgence, en souplesse et dans la profondeur contre un dispositif hostile ou complexe, les forces spéciales offrent au commandement militaire et aux autorités politiques des options diverses et adaptées, souvent fondées sur la surprise. Elles disposent d'une chaîne de commandement direct, dont les moyens continueront à être renforcés de façon progressive, adaptée à la spécificité de leurs actions, de leur recrutement et de leur formation. Leurs effectifs seront renforcés d'environ 1 000 hommes. Dans l'armée de terre, elles seront confortées par la création du groupement d'appui aux opérations spéciales (GAOS). Le retour d'expérience des engagements récents a montré à quel point la complémentarité des opérations spéciales et conventionnelles offrait une capacité d'action extrêmement efficace et une liberté d'action inégalée. Les synergies étroites entre les forces conventionnelles et les forces spéciales seront donc encore renforcées Leurs équipements feront l'objet d'un effort spécifique 123 ( * ) .

c) Des opérations conditionnées par la qualité du renseignement

Sur des théâtres étendus, en présence d'un ennemi fugace, imbriqué dans la population civile, la place du renseignement de théâtre, humain ou technique et de la permanence de la surveillance revêtent une importance particulière sans occasionner de dommages collatéraux, soit « une occurrence de 1 seconde par semaine sur 5 millions de km² » pour reprendre l'image du Général André Lanata entendu par le groupe de travail. De ce point de vue, le drone Reaper , compte tenu de ses caractéristiques (autonomie de vol et discrétion), permet à coût réduit d'assurer une surveillance des groupes terroristes. Mais souvent la base du renseignement est humaine et repose sur une collaboration étroite des services du ministère de la défense présents sur le théâtre et de recueil des données obtenues par leurs capteurs spécifiques. Elle suppose également la mise en oeuvre de moyens complémentaires comme les avions légers de surveillance et de renseignement (ALSR) qui ne sont pas suffisamment nombreux. Il y aurait tout intérêt à renforcer les capacités des Reaper sur le théâtre de la BSS en augmentant les réservations de bandes-passantes sur le satellite de communication utilisé, en les dotant de capteurs HD et surtout d'une capacité de renseignement électromagnétique, sans exclure de les armer.

d) Des opérations combinées interarmes et interarmées

Les opérations actuelles ont un caractère interarmées plus marqué que par le passé avec des actions combinées d'infanterie et de forces aériennes ou aéroterrestres. C'est évidemment le cas des forces spéciales qui ont été conçues avec un commandement spécifique relevant directement du CEMA et non du commandant de théâtre et de moyens rassemblant les trois dimensions et opèrent sans difficultés avec les forces terrestres ou conventionnelles en tant que de besoin. Mais cela est aussi le cas au niveau le plus fin : le groupe de travail a pu observer, sur la base de Gao, la présence au sein d'un « élément d'intervention rapide » composé de quelques VAB, d'une équipe constituée de 5 militaires, dont un contrôleur aérien avancé, destinée à faciliter l'emploi de l'arme aérienne dans le cadre de l'appui feu rapproché.

Il en va de même au sein de l'armée de terre au niveau opératif, où l'unité d'engagement est depuis l'Afghanistan le GTIA (Groupement tactique interarmes), mais qui a expérimenté en RCA sur des territoires étendus et avec des distances importantes, le travail en sous-groupements interarmes 124 ( * ) .

e) Le travail en coalition

Les forces armées sont amenées de plus en plus à travailler au sein de coalitions ou en coopération avec des forces multinationales. Cette situation peut conférer un avantage en termes de légitimité et offrir des complémentarités, mais il suppose pour être efficace que des exigences fortes en termes d'interopérabilité soient satisfaites, parfois au-delà de la seule présence d'officiers de liaison, notamment dans les phases de combat.

f) Des opérations qui doivent préserver les populations civiles

Ce cadre opérationnel nouveau montre aussi l'importance, pour la protection des populations civiles, de la maîtrise des feux qui est une qualité des militaires français, comparée à d'autres forces et qui fait l'objet d'un apprentissage sérieux. Mais aussi celui du ciblage qui permet de délivrer un tir de précision sur un ennemi reconnu et actif, dans des conditions écartant des dommages collatéraux à la population civile (présence de conseiller juridique dans les centres de conduite d'opérations) et celui du concept de zone d'opérations puisque la fugacité de l'ennemi et sa présence dans la population n'établit aucune délimitation d'un front ou de frontières.

Il implique également un travail d'influence auprès des populations, de communication et d'opérations civilo-militaires pour permettre aux populations locales de percevoir directement le bénéfice de la présence de forces françaises protectrices et non prédatrices. Ces aspects sont tout particulièrement importants dans le contexte d'intervention dans des États fragiles, en proie à des difficultés économiques et sociales, à des fractures ethniques ou religieuses et ne disposant pas de structures suffisantes sur lesquelles s'appuyer.

g) Des opérations qui doivent protéger les combattants

Les qualités de rusticité et d'endurance des soldats français sont reconnues. Elles reposent sur leur entraînement, sur leur engagement régulier sur des théâtres éprouvants mais aussi sur les valeurs morales et la solidarité qui lient les combattants et leurs chefs et fondent une culture militaire forte.

Pour autant, cette aptitude au combat repose aussi sur l'attention portée à la protection du soldat dans la conception même des opérations et dans les limites posées aux décisions d'engagement.

La protection contre les engins explosifs improvisés (EEI) 125 ( * ) est notamment une préoccupation permanente qui suppose des progrès dans la détection et la protection. Si la RCA est épargnée par ce mode d'action, et si le niveau atteint en BSS n'est pas celui subi en Afghanistan, il reste que l'utilisation de ces engins facilement installables et peu détectables sur les pistes sablonneuses progresse, ce qui requiert l'envoi de moyens adaptés du génie pour ouvrir les convois.

Elles reposent aussi sur l'assurance qu'à tout moment les soldats pourront être soutenus médicalement. Aucune opération de combat n'est engagée sans la disponibilité des différents éléments de la chaîne de soutien santé du VAB sanitaire qui accompagne patrouilles et convois, de l'hélicoptère de transport et du Casa Nurse qui évacueront le blessé vers un hôpital de rôle 2 dans des délais rapides, jusqu'à l'« Evasan » vers la métropole qui sera requise pour évacuer les blessés les plus gravement atteints.

En outre, devant le durcissement des combats et des modes d'action ennemis, il a été observé un développement de syndromes post-traumatiques, avec notamment un taux particulièrement élevé chez les militaires de retour de RCA 126 ( * ) , ce qui a justifié la remise en place du sas de fin de mission actuellement en Crète et un suivi de cette affection.


* 117 Voir les retours d'expérience de la conquête de l'Adrar des Ifoghas en 2013 (Serval).

* 118 Engin explosif improvisé (en anglais IED : improvised explosive device). En BSS, 7 véhicules de l'armée de terre ont été victimes d'IED en 8 mois dont, notamment le 12 avril dernier un VAB : attentat au cours duquel ont perdu la vie : le Maréchal-des-logis Damien Noblet, le Brigadier Michaël Chauwin, et le soldat de 1 ère classe Mickaël Poo-Sing du 511 ème RT.

* 119 La cyberguerre peut conduire, à partir de technologies bon marché et largement répandues, à contourner la supériorité des armes dans les combats asymétriques.

* 120 Le groupe de travail a relevé la remarque d'un officier lors d'un point de situation appelant à une certaine ascèse dans l'utilisation de certains logiciels et dans le volume des fichiers de données associées à la transmission des ordres ou des comptes rendus de mission.

* 121 Lors de son déplacement en RCA, le groupe de travail a pris connaissance de la campagne publicitaire (panneaux 4x3) réalisée à Bangui par la force Sangaris avec un cofinancement local pour appuyer le processus de réconciliation nationale : « La Centrafrique, c'est vous, c'est nous ».

* 122 Ces actions sont extrêmement consommatrices de potentiel, notamment pour les hélicoptères.

* 123 Programme de transmissions sécurisées, livraisons des premiers véhicules adaptés aux opérations spéciales. Les moyens aériens et aéromobiles feront l'objet d'un effort particulier : adjonction d'un armement offensif sur certains C 130-H . regroupement à terme de la flotte de CARACAL du ministère de la défense au profit du commandement des opérations spéciales (COS).

* 124 « Sangaris : efficace malgré la faiblesse des effectifs ? » in IFRI - Retours sur Sangaris » avril 2016.

* 125 Plus connu dans le langage militaire sous l'acronyme anglais IED (Improvised Explosive Device).

* 126 Dans leur rapport sur la prise en charge des blessés, les députés Emilienne Poumirol et Olivier Audibert-Troin avancent la proportion de 12 % chez les militaires du 1 er mandat Sangaris qui ont eu à intervenir pour faire cesser les exactions des groupes armés. Assemblée nationale n° 2470 du 16 décembre 2014.

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