TITRE 4 - DES RÉSULTATS TANGIBLES MAIS DIFFICILES À STABILISER DANS LA DURÉE

Le bilan d'une opération est toujours difficile à établir. D'abord parce qu'il est malaisé de définir par un seul mot son objectif. Ensuite, parce que selon le moment où le bilan est réalisé, le résultat peut être complètement inversé, pensons au retrait américain d'Irak en 2012 ou aux interventions récurrentes de la France en RCA. Enfin parce qu'il est impossible de comparer la situation de fait induite par l'intervention avec l'évolution supposée de la situation à défaut d'intervention.

Pour autant, des leçons doivent être tirées des interventions, c'est donc à un large retour d'expérience que le groupe de travail s'est livré et sur cette base à la formulation de quelques recommandations susceptibles, elles sont mises en oeuvre, d'obtenir de meilleurs résultats.

La plupart des opérations conduites par la France au cours des dernières années peuvent se ranger sous le vocable d'opérations de stabilisation visant le rétablissement « du contrôle d'un gouvernement légitime sur son territoire et l'aide aux forces de sécurité locales à restaurer la loi et l'ordre » 141 ( * ) (Côte d'Ivoire 2009, Mali 2013, RCA 2013, Sahel 2015, Irak 2015), parfois il s'agit de mettre un terme aux exactions d'un gouvernement en place sur sa population (Libye 2011, cela aurait pu être le cas en Syrie suite aux attaques chimiques en 2013), de s'interposer entre deux forces rivales (Liban Finul depuis 1976) ou d'assurer la sécurité dans le domaine maritime (Atalante-Océan Indien au large de la Somalie) ou enfin de lutter contre des groupes terroristes ayant agi ou susceptibles d'agir sur le territoire national (Syrie 2015). Souvent les objectifs s'entremêlent ou se combinent. La conduite de ces opérations est difficile en raison de leur complexité car elles associent des actions relevant du maintien de la paix, de la coercition, de la contre-insurrection et de la reconstruction de l'Etat.

Leurs amples objectifs qui impliquent souvent la reconstruction de la gouvernance politique et de l'appareil de sécurité mais aussi la résolution de tensions économiques, sociales ou identitaires ancrées dans l'histoire ne peuvent être réalisés que dans un temps long correspondant rarement à celui des décideurs politiques qui exigent souvent des militaires de présenter des résultats rapides.

De surcroît le contexte politique et juridique international, parfois même le contexte économique et budgétaire interne ou le format des armées, ne permet pas de mener ces opérations de façon unilatérale : elles prennent alors la forme d'opérations multinationales où nos forces agissent soit en coalition (Afghanistan 2002, Irak-Syrie 2015, Océan Indien), soit dans le cadre d'opérations de maintien de la paix des Nations unies (Finul), soit d'une articulation entre une opération nationale et une opération multinationale (Côte d'Ivoire, Mali, Centrafrique) ce qui complique considérablement les prises de décisions 142 ( * ) .

Enfin, l'intervention résulte d'un arbitrage politique fragile, susceptible d'être bouleversé dès que s'accroît le coût - humain, financier ou moral - de l'intervention.

Dès lors, les opérations de stabilisation présentent souvent des bilans mitigés. Il est d'ailleurs difficile de définir les critères d'évaluation pertinents d'opérations de nature politico-militaire. Comme le font remarquer Rémy Hemez et Aline Leboeuf dans l'introduction de leur étude sur l'opération Sangaris 143 ( * ) , « la stabilisation ne peut viser une victoire au sens classique - c'est à dire la destruction d'un adversaire. La question des critères du succès est donc éminemment délicate. Doit-on prendre en compte les moyens engagés, le nombre de vies sauvées, l'amélioration de la situation politique, ou ce qui se serait passé si rien n'avait été fait ? ».

Les résultats en demi-teinte, fragiles, jamais totalement atteints, ni définitivement acquis, malgré le prix très lourd parfois à payer (en termes de vies humaines et en termes financiers) suscitent une forme de lassitude des opinions publiques traduite sous le terme de « war fatigue ». C'est le cas en Europe et aux États-Unis, au sortir de presque 25 ans d'opérations de stabilisation ininterrompues - des Balkans à l'Afghanistan. La France constitue une exception à cet égard mais l'importance des engagements en cours ne lui permettront pas longtemps d'échapper à ces interrogations. D'ores et déjà le débat s'inscrit dans une perspective nouvelle, le succès militaire suffit-il pour « gagner la paix », la France doit-elle uniquement se concentrer sur cette composante pour obtenir l'effet recherché ?

I. UN CERTAIN SUCCÈS DES OPÉRATIONS MILITAIRES MENÉES PAR LES FORCES FRANÇAISES

A. UNE CAPACITÉ DE DÉCISION RECONNUE

La célérité avec laquelle les OPEX récentes ont pu être décidées par le Président de la République et la rapidité avec laquelle l'action a été engagée sur le théâtre d'opérations ont surpris nombre d'observateurs.

Cette boucle décisionnelle courte, voulue par la Constitution de la Vème République, est un atout précieux sur le plan politique mais aussi le plan opérationnel. Elle porte une part de dissuasion, l'ennemi sait désormais qu'à tout moment, sans le moindre avertissement, son seul comportement agressif à l'égard des intérêts majeurs de la France, y compris la violation du droit international et des droits humains, peut entraîner son engagement.

Elle repose sur une procédure simple, un intense travail de préparation et une chaîne de commandement efficace.

1. Une procédure simple

La décision par le Président de la République, chef des armées, est prise en conseil de défense et de sécurité nationale, instance peu nombreuse qui peut être réunie à tout moment sans formalisme particulier, sur la base d'options préparées par l'état-major des armées. Il n'y a ni consultation, ni autorisation préalable à solliciter d'une quelconque instance fut-elle parlementaire. L'information est délivrée a posteriori et l'autorisation de prolongation au-delà de quatre mois est la seule borne à la liberté d'action du Président.

2. Reposant sur un travail de planification

Cette décision ne pourrait être prise et surtout mise en oeuvre instantanément sans un travail intense de préparation, fondé d'une part sur des travaux permanents de veille et d'anticipation menés par l'état-major des armées avec d'autres composantes du ministère de la défense, notamment dans le domaine du renseignement ou de la stratégie et de son côté par le ministère des affaires étrangères, d'autre part sur des travaux de planification. Quand un projet de décision est soumis à l'appréciation du Président, il peut être exécuté sans délai ou sous préavis et les forces requises peuvent être mises en alerte dans l'attente de la décision.

Ce travail de préparation est également réalisé pour son volet diplomatique, par le ministère des affaires étrangères et notamment par le représentant permanent auprès des Nations unies lorsque la décision d'intervention est appuyée par une résolution du Conseil de sécurité.

3. Et une capacité autonome d'information

Pour arrêter sa décision, le Président dispose de capacités autonomes d'information qui lui sont fournies tant par l'EMA qui dispose en son sein d'une direction du renseignement militaire, que par la DGSE dont le directeur général assiste au conseil de défense, que par le ministre de affaires étrangères qui dispose de son réseau d'ambassades et de représentants permanents auprès des organisations internationales. Sa décision est éclairée par des sources nationales et ne saurait reposer sur les seules informations fournies par une puissance étrangère, fut-elle alliée.

4. Sauvegardant jusqu'au dernier moment la liberté d'appréciation du Président de la République

Ce système sauvegarde jusqu'au dernier moment la liberté d'appréciation du Président qui peut retenir ou différer sa décision, étant entendu que la chaîne de commandement lui offre la capacité de la mettre en oeuvre ou non, à l'instant qu'il aura choisi.

Cette chaîne de décision doit beaucoup, par sa concentration sur le chef du Président de la République et par sa rapidité de mise en oeuvre, à la culture française de la dissuasion nucléaire.


* 141 C.A. Snyder, Contemporary Security and Strategy ? Basingstroke, Palgrave 2008 p. 201-202.

* 142 O. Schmitt « L'union ou la force ? Les défis des opérations multinationales contemporaines » Focus stratégique, n° 55, mars 2015.

* 143 IFRI - Retours sur Sangaris » avril 2016.

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