TITRE 7 - UN CONTRÔLE PARLEMENTAIRE À APPROFONDIR

La conduite des relations internationales, et tout autant l'engagement des forces armées, sont des prérogatives essentielles de l'exécutif. La Constitution de la V e République confère un rôle imminent au Président de la République, chef des armées, garant de l'indépendance nationale et de l'intégrité du territoire, le Gouvernement disposant de la force armée et le Premier ministre étant responsable de la défense nationale. Dans ce cadre constitutionnel, le rôle du Parlement est plus limité, mais non négligeable.

Jusqu'en 2008, ce pouvoir était cantonné au principe d'autorisation de déclarer la guerre , héritage de la Révolution française, mais la pratique qui s'était déjà éloignée de ce formalisme sous les III e et IV e République 303 ( * ) .

Depuis le début de la V e République, l'article 35, dans sa forme initiale, n'avait reçu aucune application. Deux explications pouvaient être avancées :

- l'obsolescence de la déclaration de guerre, eu égard à la profonde transformation des modes d'intervention des forces armées et à l'évolution du droit international 304 ( * ) ;

- en pratique, surtout, l'engagement des forces françaises s'inscrit aujourd'hui, pour l'essentiel, dans le cadre d'actions de sécurité collective prévues par la Charte des Nations unies sous la forme d'opérations extérieures qui ne font pas l'objet de déclaration de guerre dans les termes de l'article 35 car elles ne s'inscrivent pas dans le cadre de conflits entre États.

Ces évolutions ont eu pour conséquence de multiplier les engagements sur des théâtres extérieurs, dans des cadres juridiques variés (missions d'observation, de maintien ou d'imposition de la paix, sous l'égide de l'ONU, dans le cadre de coalitions multinationales...) sans permettre de vote du Parlement, la guerre n'étant pas déclarée puisqu'il ne s'agit pas d'une guerre d'État à État 305 ( * ) .

Une certaine réticence de l'exécutif à soumettre ses décisions en matière militaire à un vote des assemblées parlementaires, ce qui a souvent donné lieu à de vifs débats sémantiques pour déterminer si telle ou telle intervention devait être qualifiée de guerre ou non et, en conséquence, faire l'objet d'une autorisation du Parlement. Ces échanges ont eu lieu à l'occasion des opérations en Irak, au Kosovo ou, plus récemment, en Afghanistan.

Néanmoins, malgré la mise à l'écart des dispositions de l'article 35, le Parlement a pu être informé des différentes opérations militaires conduites par la France par le biais d'informations délivrées par le Gouvernement et par les moyens habituels du contrôle parlementaire 306 ( * ) . Ces moyens d'information ne permettaient cependant ni une information complète ni l'expression de la position de la représentation nationale par un vote spécifique pour chaque intervention 307 ( * ) .

Le contrôle s'exerçait largement a posteriori et sa portée s'avérait relativement restreinte au regard des pratiques observées dans les autres pays.

Trois raisons principales militaient en 2008 en faveur d'une meilleure implication du Parlement français concernant les opérations extérieures :

- tout d'abord, les opérations extérieures constituaient l'une des principales missions des forces armées ;

- ensuite le coût des opérations extérieures n'avait cessé d'augmenter au cours des dernières années ;

- enfin, une meilleure implication du Parlement permettra de renforcer la légitimité des opérations.

La réforme constitutionnelle de 2008 a permis la mise en oeuvre d'une information rapide, obligatoire, formalisée et systématique du Parlement sur l'engagement d'opérations extérieures, complétée par une procédure formelle d'autorisation de la prolongation de l'opération si celle-ci dure plus de quatre mois. Le dispositif adopté marque une rupture avec la tradition de la V e République et constitue une augmentation significative des pouvoirs de contrôle du Parlement pour autant l'initiative de l'exécutif dans le choix des modalités peut en restreindre la portée. Il repose donc encore largement sur le volontarisme des institutions parlementaires.

I. UN CONTRÔLE INTERMITTENT CAR À L'INITIATIVE DE L'EXÉCUTIF, Y COMPRIS DANS LE CHOIX DES MODALITÉS

A. LES INTERVENTIONS CONCERNÉES ; UNE UTILISATION DU DISPOSITIF DE L'ARTICLE 35 À LA DISCRÉTION DU GOUVERNEMENT

L'utilisation de l'article 35, alinéa 2, reste une initiative gouvernementale. Elle est faiblement encadrée par la Constitution.

1. Quelles opérations ?
a) Ce que disent les débats et ce qu'ils ne disent pas

Concernant, tout d'abord, le champ d'application , le texte du projet de loi retient l'expression d' « intervention des forces armées à l'étranger ».

(1) La notion d'« interventions des forces armées » est ainsi préférée à celle d' « opérations extérieures »

Les « opérations extérieures » ou OPEX s'apparentent à des engagements occasionnels ou temporaires qui nécessitent la projection d'hommes en dehors du territoire national, sur un théâtre de crise, et qui ont pour objectif de contribuer à sa gestion. Il peut s'agir d'opérations dans le cadre national, multinational (comme l'OTAN ou l'Union européenne) ou international (l'ONU). L'engagement peut revêtir la forme de missions de combat, de maintien ou de rétablissement de la paix, de sauvegarde des intérêts nationaux, mais aussi de missions humanitaires, de missions de police, d'actions civilo-militaires et d'actions d'assistance militaire.

Le statut juridique de ces « opérations extérieures » n'est pas expressément défini (voir supra p. 21). Il convient toutefois de relever le caractère exclusivement interne au ministère de la défense de la qualification d'« opérations extérieures » 308 ( * ) .

Ainsi, l'expression d'« interventions des forces armées » retenue par le projet de loi ne rend pas l'information du Parlement dépendante de la qualification juridique d'une opération.

(2) La Constitution retient également le terme « à l'étranger »,

Ce terme a été préféré à l'expression « à l'extérieur du territoire de la République », qui avait été proposée par le comité « Balladur ».

Mais le terme « à l'étranger » est plus restrictif, car il exclut les interventions menées dans les eaux et l'espace aérien internationaux. Les déplacements des bâtiments de la marine nationale dans les eaux internationales, ou ceux des aéronefs dans l'espace aérien international, seraient ainsi exclus du champ de l'obligation d'information.

(3) Pour autant, toutes les interventions des forces armées à l'étranger ne donnent pas lieu à information du Parlement au titre de l'article 35, alinéa 2

Lors de l'examen du projet de loi de modernisation des institutions de la V e République, le ministre de la défense, M. Hervé Morin, a donné des précisions sur les interventions des forces armées à l'étranger qui seraient, selon lui, susceptibles d'être soumises au Parlement au titre des nouvelles dispositions de l'article 35 alinéas 2 et 3 (voir supra p. 21).

Cette interprétation laisse une large marge d'appréciation à l'exécutif dont le président de votre commission, M. Josselin de Rohan, s'était inquiété 309 ( * ) .

b) Une pratique variable, quelle que soit la majorité politique au pouvoir

Dans la pratique, seules les opérations les plus importantes en termes de forces armées engagées, ou en termes symboliques, ont jusqu'à présent été soumises au nouveau dispositif prévu par l'article 35, alinéas 2 et 3, (débat et autorisation en séance publique) et cela, quelle que soit la majorité politique au pouvoir.

(1) Les opérations soumises au nouveau dispositif

- les interventions en Afghanistan (22 septembre 2008), en Côte d'Ivoire, au Kosovo, au Liban, au Tchad et en RCA (Epervier, Boali, EUFOR Tchad/RCA - le 28 janvier 2009), lesquelles n'ont cependant fait l'objet que d'un vote de prolongation au titre de l'article 35 alinéa 3, l'article 35 alinéa 2 ne trouvant pas à s'appliquer dès lors qu'il s'agissait d'interventions anciennes et que ces votes de prolongation constituaient en quelque sorte un votre de rattrapage 310 ( * ) ;

- les interventions menées en Libye (Harmattan - 2011), au Mali (Serval janvier 2013- janvier 2014), en République centrafricaine (Sangaris, décembre 2013), en Irak (Chammal, septembre 2014) et son extension au territoire syrien.

(2) Les opérations qui n'ont pas été soumises

- le renforcement et l'intervention directe de la force Licorne en Côte d'Ivoire au printemps 2011,

- la participation aux opérations de l'Union européenne Atalante de lutte contre la piraterie au large des côtes somaliennes (alors que dans son deuxième mandat, elle est autorisée à conduire des actions dans les eaux territoriales et sur les côtes somaliennes) et Sophia de lutte contre les passeurs de migrants en Méditerranée ;

- la participation à des opérations multilatérales accompagnant des opérations françaises ayant déjà été soumises au dispositif de l'article 35, telles que la mission d'entraînement par l'Union européenne des forces armées maliennes (EUTM Mali) lancée après l'opération Serval ou la force de l'Union européenne EUFOR RCA lancée en République Centrafricaine après l'engagement des forces françaises Sangaris ;

- l'opération Barkhane de contre-terrorisme dans la bande sahélo-saharienne et de coopération aux forces des pays du G5 Sahel dans le prolongement des opérations Serval et Épervier, mais avec un cadre élargi et une approche stratégique différente ;

- l'opération Tamour d'assistance humanitaire en Jordanie aux réfugiés syriens d'août 2012 à septembre 2013 ;

- l'envoi de détachements du Service de santé des armées pour assister la Guinée dans sa lutte contre l'épidémie du virus Ebola en 2015 et 2016 (Opération Tamarin) ;

- ou encore les opérations des forces spéciales à l'étranger, en dehors de celles menées dans le cadre des opérations qui ont été soumises au nouveau dispositif.

Cela ne signifie pas qu'une information n'ait pas été fournie aux parlementaires pour ces opérations 311 ( * ) , mais simplement que cette information n'a pas été présentée comme ayant été donnée au titre de l'article 35 alinéa 2 et, qu'en conséquence, l'exécutif s'est dispensé d'organiser un vote d'autorisation de prolongation ultérieure au titre de l'article 35 alinéa 3 pour celles de ces interventions qui comme le renforcement de Licorne en 2011, Barkhane ou Atalante ont dépassé une durée de quatre mois.

(3) Le cas particulier du débat sur la Syrie de septembre 2013

A l'inverse, le Président de la République a convoqué le Parlement en session extraordinaire, le 4 septembre 2013, pour qu'y soit organisé un débat sur la situation en Syrie précédé d'une déclaration du Gouvernement dans laquelle celui-ci avait exposé les raisons qui justifiaient, à ses yeux, et suite aux attaques chimiques du mois d'août 2013, une intervention militaire française contre le régime syrien. L'organisation de ce débat préalable à une intervention que l'exécutif espérait alors imminente, mais qui a été annulée in extremis en raison du changement de posture des États-Unis, se situe en dehors des exigences de l'article 35 qui n'a d'ailleurs pas été invoqué. L'opération n'a pas été réitérée à l'occasion d'autres interventions. Plusieurs explications ont été avancées. Il est possible qu'au moment (le 28 août) où le Président de la République a signé le décret de convocation du Parlement en session extraordinaire, il pensait que les opérations militaires seraient déjà engagées. La convocation elle-même pouvait aussi être un signal fort pour l'adversaire de la détermination alliée. Il semble aussi que l'organisation concomitante de débats parlementaires au Royaume-Uni et aux États-Unis a pu constituer une forte incitation à la fois pour assurer une forme d'équivalence dans la transparence, préparer l'opinion publique intérieure, et montrer à l'extérieur la détermination de la France sur le dossier syrien. En cas d'intervention, ce débat aurait peut-être pu dispenser le Gouvernement de l'organisation d'un nouveau débat sur la base d'une nouvelle déclaration, il aurait pu, le cas échéant, se contenter d'une information des commissions chargées de la défense, sur les opérations mises en oeuvre.

2. Quelles modalités ?

Inspiré des propositions du « comité Balladur », le mécanisme est simple et compatible avec la réactivité que le Gouvernement est en droit d'attendre des armées lorsqu'il a décidé d'engager des opérations militaires, puisque la décision initiale d'engagement appartient toujours à l'exécutif. En prévoyant que l'information du Parlement est postérieure à l'engagement, mais qu'elle devra intervenir « sitôt l'intervention engagée », l'article 35 alinéa 2 vise à concilier la nécessaire souplesse permettant à l'exécutif de réagir avec toute la rapidité requise à des circonstances exceptionnelles, telles que l'évacuation de ressortissants menacés dans un pays en crise, avec le droit d'information du Parlement.

a) La détermination des modalités d'information du Parlement reste à l'appréciation du Gouvernement
(1) Les modalités d'information du Parlement ne sont pas précisées dans la Constitution

Il appartiendra au Gouvernement, qui seul dispose des informations nécessaires, d'apprécier, selon les circonstances, quelles sont les modalités d'information les plus adaptées. Comme l'indiquait Hervé Morin, ministre de la défense au cours des débats à l'Assemblée nationale 312 ( * ) , cette information « peut prendre toutes les formes : simple courrier adressé aux parlementaires, au président de la commission de la défense, réunion des commissions compétentes ou séance plénière. Il faut conserver cette souplesse pour le cas où une intervention devrait en urgence avoir lieu hors session parlementaire ou bien encore commencer un vendredi. Il faut trouver des formules adaptées, étant entendu que rien n'interdit au Président de la République de convoquer le Parlement en session extraordinaire. »

En fonction de la nature de l'opération (intervention militaire, humanitaire, opération de police), de son cadre juridique (opération dans le cadre de l'ONU ou d'une coalition, application d'un accord de défense) et de son ampleur, les assemblées peuvent être informées par une déclaration du Gouvernement en séance publique, suivie d'un débat ou non, par l'intermédiaire de leurs commissions permanentes compétentes, des Présidents des assemblées ou des présidents desdites commissions permanentes.

La souplesse de ce dispositif permet d'assurer une information permanente du Parlement, y compris hors session, sans exiger la réunion d'une session extraordinaire, que toutes les interventions ne justifient pas, dès lors que l'information du Parlement n'est pas limitée aux opérations les plus importantes.

En laissant le soin au Gouvernement d'adapter les modalités de l'information au contexte de l'intervention, le dispositif proposé permet également de mieux concilier information et confidentialité, et de s'adapter à la discrétion qui doit entourer certaines opérations. Le Parlement étant par nature un lieu de débat public, le problème de la confidentialité des informations qui lui sont transmises se pose 313 ( * ) . La nature de l'information fournie est généralement liée aux modalités d'information retenues : assez générale dans le cadre d'une séance publique, mais plus précise dans le cadre d'une réunion de la commission chargée de la défense, par exemple.

(2) Les seules obligations posées par l'article 35

L'article 35, alinéa 2, ne pose que quelques obligations.

Cette information doit être réalisée, au plus tard, trois jours après le début de l'intervention. L'information est donc postérieure à l'engagement, mais la notion de rapidité, sinon d'immédiateté dans l'information est déterminante. A cet égard, le Parlement a souhaité, lors de la discussion du projet de loi, encadrer la notion « de brefs délais » qui figurait dans le texte initial par un délai maximum de trois jours 314 ( * ) .

On peut toutefois relever que le texte ne précise pas le point de départ de l'intervention. Est-ce la date de la décision prise par le pouvoir politique d'intervenir militairement sur un théâtre d'opérations ou bien le jour à partir duquel les troupes sont réellement déployées sur le terrain ?

Compte tenu de l'important décalage temporel souvent constaté entre la date de la décision politique et l'engagement effectif de nos forces, cette question n'est pas sans importance.

Lors de la séance du 19 juin 2008, au Sénat, le ministre a indiqué que, selon lui, les délais courent à partir du « lancement effectif de l'opération, et non des discussions internationales ou des résolutions des Nations unies. Le point de déclenchement est donc, pour nous, l'envoi des forces constituées, et non pas les premières forces prépositionnées, telles que les forces spéciales qui viennent d'abord baliser le terrain ».

Une dernière obligation est de préciser les objectifs poursuivis.

(3) L'information du Parlement peut faire l'objet d'un débat. Ce débat n'est suivi d'aucun vote

Le projet de loi précise que l'information peut donner lieu à un débat qui n'est suivi d'aucun vote 315 ( * ) . La décision d'organiser ce débat obéit aux nouvelles règles de fixation de l'ordre du jour instaurées depuis 2008. Son inscription à l'ordre du jour est décidée en Conférence des présidents, soit à l'initiative du Gouvernement, qui dispose de deux semaines de séance sur quatre réservées par priorité à ses projets, soit à l'initiative de la majorité soit à l'initiative des groupes parlementaires qui ne déclarent pas soutenir le Gouvernement.

Depuis 2008, les cinq opérations soumises au nouveau dispositif ont toujours donné lieu à une déclaration du gouvernement en séance publique suivie d'un débat devant les assemblées parlementaires 316 ( * ) et non point à une information des seules commissions parlementaires compétentes :

• le 22 mars 2011 sur l'intervention des forces armées en Libye,

• le 16 janvier 2013 sur l'engagement des forces françaises au Mali,

• le 10 décembre 2013 sur l'engagement des forces armées en République centrafricaine,

• le 24 septembre 2014 sur l'intervention des forces armées en Irak,

• le 15 septembre 2015 sur l'engagement des forces aériennes au-dessus du territoire syrien.

On relèvera qu'en ces deux dernières occasions, le Parlement a été convoqué en session extraordinaire.

b) Lieu de débat plus qu'un canal privilégié d'information

La pratique, en privilégiant le débat en séance publique, va au-delà des exigences constitutionnelles et il faut s'en féliciter. Toutefois, le débat revêt un caractère assez formel : déclaration liminaire du Premier ministre, suivie de déclarations des représentants des groupes politiques et d'une intervention du président de la commission chargée de la défense. Il se conclut par une intervention du Premier ministre ou de son représentant (ministre de la défense et/ou des affaires étrangères) qui apportent des éléments de réponses aux questions des parlementaires.

Dans la mesure où ces questions sont assez consensuelles au sein des groupes politiques, les échanges sont contenus et formalisés, il y a peu d'interactivité. Comparé avec la tonalité du débat de la Chambre des Communes sur la perspective d'une intervention de la Grande-Bretagne en Syrie en septembre 2013, marqué par des interventions nombreuses mais courtes, souvent sans notes, des questions incisives, de véritables échanges entre les orateurs et le Premier ministre, les débats au Parlement français ont plus été l'occasion, à quelques réserves près, d'une affirmation solennelle du soutien de la représentation nationale au moment où nos forces armées s'engagent dans des opérations périlleuses 317 ( * ) .

Les informations recueillies sont en outre d'un niveau relativement sommaire et souvent déjà connues par la communication de l'exécutif dans les médias. Le Président de la République s'adresse souvent à la Nation par une déclaration télévisée dans les premières heures qui suivent l'intervention.

De fait, le débat en séance publique n'est pas le canal privilégié de l'information des parlementaires en matière d'intervention militaire. La déclaration du Gouvernement en séance plénière est généralement précédée d'une communication plus informelle à destination du Parlement par téléphone ou par lettre dès le tout début des opérations et de la réunion à Matignon des présidents des deux assemblées, des présidents des commissions parlementaires compétentes et des présidents des groupes parlementaires qui permet probablement la transmission d'informations plus précises, au besoin d'informations nécessaires à la compréhension de participants sur lesquelles, pour des raisons évidentes de protection des opérations en cours, le Gouvernement souhaite une grande discrétion 318 ( * ) et des échanges plus nourris.


* 303 Assemblée nationale, Rapport n° 892 de M. Jean-Luc Warsmann, au nom de la Commission des lois, sur le projet de loi constitutionnelle de modernisation des institutions de la V e République .

* 304 La subordination de l'ouverture des hostilités à « un avertissement préalable et non équivoque », sous la forme d'une déclaration de guerre, conformément au principe posé par la deuxième Conférence de la Haye en 1904 , se conçoit dans le cadre des relations interétatiques. Depuis la deuxième guerre mondiale, il n'a cessé d'être battu en brèche :

- en fait : les conflits modernes dans la diversité de leurs formes -invasions, guerres civiles, attaques terroristes- échappent aux cadres classiques forgés au XIX e siècle ;

- en droit : l'utilisation des forces armées à titre offensif est prohibée par la Charte des Nations unies ; elle n'est possible qu'à titre défensif en vertu du droit de légitime défense individuel ou collectif, reconnu par l'article 51 de la Charte des Nations unies, contre une agression armée mais il n'est pas certain que l'État agissant en légitime défense soit tenu au préalable de « déclarer la guerre ».

* 305 C'est le raisonnement qui avait été tenu lors de la première guerre du Golfe par le Premier ministre, M. Michel Rocard, devant l'Assemblée nationale le 12 décembre 1990 : « Au sens du droit international, comme du droit interne, c'est-à-dire tout simplement en droit, il ne s'agirait pas alors d'une guerre déclarée par un État à un autre État mais d'une action de sécurité collective au sens du chapitre VII de la Charte ». Ce fut également le cas pour l'intervention au Kosovo en 1999, le Premier ministre considérant que « la portée pratique de l'article 35, dans la Constitution telle qu'elle est, se limite donc à l'hypothèse d'une guerre classique entre États, situation dans laquelle, à l'évidence, nous ne nous trouvons pas ».

* 306 Hormis les débats organisés à l'initiative du Gouvernement, le Parlement exerce un contrôle sur les opérations extérieures par le biais de leur financement, dans le cadre de l'examen des projets de loi de finances initiale et rectificative. L'article 164 de l'ordonnance du 30 décembre 1958  encadre toutefois strictement les pouvoirs de contrôle des rapporteurs spéciaux, en excluant des documents qu'ils sont habilités à se faire communiquer ceux qui portent sur des sujets de caractère secret concernant la défense nationale.

Les commissions compétentes ont également conduit des missions d'information sur certaines opérations extérieures tandis que des délégations de membres des commissions de la défense et des affaires étrangères se sont rendues régulièrement sur des théâtres d'opérations extérieures. Les rapporteurs des commissions d'enquête et des missions d'information se heurtaient cependant aux mêmes restrictions.

* 307 Assemblée nationale, Rapport n° 892 de M. Jean-Luc Warsmann, au nom de la Commission des lois, sur le projet de loi constitutionnelle de modernisation des institutions de la V e République : « Le Parlement n'a pu s'exprimer par un vote qu'à une seule reprise, à l'occasion de l'intervention des forces françaises en Irak en 1991. L'exécutif avait écarté le recours à la déclaration de guerre prévue par l'article 35, mais souhaitait légitimer son action et, comme l'a expliqué le Président de la République dans son message au Parlement du 16 janvier 1991, « exprimer l'unité profonde de la Nation dans cette épreuve ». Le Parlement a donc été convoqué en session extraordinaire le 16 janvier 1991 et, après lecture du message du Président de la République, l'Assemblée s'est prononcée sur une déclaration de politique générale sur la politique française au Moyen-Orient, en application du premier alinéa de l'article 49 de la Constitution, le Sénat faisant de même dans le cadre du quatrième alinéa du même article. Dans l'optique de l'exécutif, le vote des assemblées n'était ni indispensable, ni même suspensif de la décision du Président de la République. » Cette méthode qui n'a été expérimentée qu'une seule fois était loin d'être satisfaisante : « En engageant la responsabilité du Gouvernement sur une déclaration de politique générale et en faisant planer la menace d'un renversement du Gouvernement, elle peut mêler des considérations de politique intérieure à un sujet qui rassemble souvent au-delà des partis. Elle rend inconfortable la position des parlementaires qui approuvent l'intervention mais s'opposent à la politique du Gouvernement, comme de ceux qui soutiennent le Gouvernement mais s'opposent à l'intervention militaire. Les positions des parlementaires sur les questions de politique étrangère ne recoupant que rarement les clivages politiques traditionnels, un vote ayant un fondement constitutionnel spécifique aux interventions des forces armées aurait plus de clarté. »

* 308 C'est l'État-major des armées qui, dans une directive administrative et logistique associée à ordres d'opération, issue de la décision du Président de la République en Conseil de défense et de sécurité nationale, propose au ministre de la défense de qualifier comme telle une opération extérieure. Cette qualification est ensuite décidée par voie réglementaire en précisant la zone géographique concernée ainsi que la période considérée par des arrêtés ministériels étendant, pour le premier, publié au Journal officiel, le bénéfice des dispositions de l'article L 4123-4 du code de la défense aux militaires engagés dans une opération extérieure et délimitant, pour le second, non publié, la zone géographique de l'opération. Ces textes sont souvent publiés tardivement. Ainsi, les arrêtés relatifs à l'opération Barkhane déclenchée le 31 juillet 2014 ont été publiés le 25 septembre 2015, ceux concernant l'opération Chammal déclenchée le 19 septembre 2014 n'ont pas encore été publiés, ceux concernant l'opération Harmattan déclenchée le 19 mars 2011, le 10 novembre 2012, l'opération Sangaris déclenchée le 5 décembre 2013 (arrêté du 3 février 2014) et Serval déclenchée le 11 janvier 2013 (arrêté du 2 avril 2013), échappent à cette critique.

* 309 Avis n° 388 (2007-2008) de M. Josselin de Rohan fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, déposé le 11 juin 2008.

* 310 Amandine Blandin - Article 35 de la Constitution : état de l'information du parlement sur les interventions militaires à l'étranger - Revue française de Droit constitutionnel, 105, 2016.

* 311 Amandine Blandin, dans l'article précité (pages 8 à 10), dresse un inventaire exhaustif des modalités retenues et des informations fournies par l'exécutif à son initiative ou sur requête parlementaire.

* 312 Assemblée nationale - mardi 27 mai 2008 - 3 ème séance

* 313 Le Parlement européen a mis en place des procédures spéciales pour l'examen des documents confidentiels. La voie choisie en France jusqu'alors reposait sur le pragmatisme et la confiance. Depuis la guerre du Golfe, l'information des parlementaires sur les opérations extérieures s'est développée, le pouvoir exécutif permettant l'accès de certains parlementaires à des informations classifiées. Ainsi, lors de la guerre du Golfe, le Gouvernement avait mis en place des modalités particulières d'information des parlementaires. Chaque semaine, le Premier ministre réunissait, pour les informer du déroulement, des opérations les présidents de groupe et les parlementaires spécialisés dans les questions internationales et de défense. Cette vingtaine de parlementaires avait, au total, participé à vingt-sept réunions d'information à Matignon pendant la durée des opérations. Sur les mêmes bases, les engagements en Bosnie et au Kosovo, par exemple, ont pu donner lieu à une information privilégiée.

* 314 L'instauration de ce délai a été controversée : lors du débat à l'Assemblée nationale en 2008, le député Guy Teissier, rapporteur pour avis, mettait en garde contre les dérives vers une forme de vote préalable au déclenchement des interventions militaires : « la mise en place d'un système de contrôle parlementaire trop contraignant conduirait nécessairement à affaiblir nos capacités opérationnelles et ne prendrait pas en considération les spécificités des responsabilités militaires et internationales de la France ».

* 315 Le rapporteur de la commission des lois de l'Assemblée nationale a regretté que l'on prive ainsi le Gouvernement de la possibilité de solliciter l'approbation des élus de la Nation au début d'une intervention, par exemple pour témoigner du soutien de la Nation à nos forces armées. La Constitution ne l'exclut cependant pas puisque le nouvel article 50-1 permet au Gouvernement de faire une déclaration thématique suivie d'un débat et, éventuellement, d'un vote. Ce nouvel article permettrait au Gouvernement de demander un vote du Parlement sur une intervention des forces armées sans engager sa responsabilité.

Dans l'hypothèse où un débat sans vote, souhaité par les parlementaires, n'est pas spontanément organisé par le Gouvernement, le partage de l'ordre du jour désormais mis en oeuvre depuis la réforme constitutionnelle de 2008 permettra à la Conférence des Présidents - et à l'opposition dans le cadre du jour de séance mensuel qui lui est réservé - de l'organiser.

* 316 Dans deux cas, en septembre 2014 (Irak) et en septembre 2015 (Syrie), cette déclaration suivie d'un débat s'est déroulée alors que le Parlement était réuni en session extraordinaire ; dans le premier cas, la session extraordinaire a été spécialement convoquée et ne comportait que ce point à son ordre du jour.

* 317 De ce point de vue, la forme du débat retenue par les députés, à l'occasion du débat sur le Mali, à l'initiative du groupe socialiste le 27 février 2015, entre la déclaration initiale et l'autorisation de prolongation, avec un système de questions/réponses en deuxième partie de débat répondrait sans doute mieux aux besoins et aux attentes de l'opinion publique.

* 318 Le recours à une séance plénière des assemblées parlementaires en comité secret n'a jamais été utilisé dans ce cadre.

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