B. L'ARTICLE 35, ALINÉA 3, SOUMET LA PROLONGATION DES INTERVENTIONS AU-DELÀ DE QUATRE MOIS À UN VOTE DES ASSEMBLÉES PARLEMENTAIRES

L'article 35, alinéa 3, permet de garantir que le Parlement se prononcera par un vote sur les opérations de grande ampleur qui se traduisent par un engagement des forces à moyen ou long terme. Si la durée d'une intervention excède quatre mois, le Gouvernement doit soumettre sa prolongation à l'autorisation du Parlement. Il s'agit d'une demande d'autorisation, qui engage le Gouvernement, et non d'une simple consultation.

1. Les modalités

Ce délai de quatre mois permet de concilier la souplesse nécessaire d'action pour le Gouvernement, tout en laissant au Parlement le soin d'intervenir au moment même où il s'agit de savoir si l'intervention de nos forces va s'inscrire dans la durée. Le durée de quatre mois est, au demeurant, le plus souvent celle de la relève des troupes initialement engagées sur un théâtre d'opérations.

Si l'on s'en réfère à la déclaration de M. Hervé Morin, lors du débat sur le projet de loi de révision constitutionnelle 319 ( * ) , l'acte à partir duquel commence de courir le délai est « l'envoi de corps constitués pour le lancement réel de l'opération ».

L'inscription à l'ordre du jour de ces demandes d'autorisation est prévue à l'article 48 de la Constitution qui dispose que les demandes d'autorisation visées à l'article 35 de la Constitution sont inscrites à l'ordre du jour par priorité. Si le Parlement n'est pas en session à l'expiration du délai de quatre mois, le vote a lieu à l'ouverture de la session suivante, qui peut être une session extraordinaire, s'il en est décidé ainsi en application de l'article 29 de la Constitution.

Néanmoins, le gouvernement a renoncé à le faire pour la prolongation de Sangaris, préférant avancer d'un mois et demi la date de demande d'autorisation (25 février 2014), la session ordinaire étant suspendue en raison des élections municipales et européennes.

Les modalités du vote sont fixées par les règlements des assemblées. S'agissant d'une demande d'autorisation de prolongation d'une intervention militaire, elle ne peut faire l'objet d'amendements. Le Parlement autorise ou non la prolongation, mais il ne peut pas la soumettre à des conditions 320 ( * ) .

Dans l'hypothèse d'un désaccord entre les deux assemblées, il revient à l'Assemblée nationale, élue au suffrage universel direct, de statuer définitivement, éclairée par les débats du Sénat.

En cas de refus de l'autorisation, les armées devraient tout de même matériellement disposer d'un délai pour organiser leur retrait dans les meilleures conditions possibles, sans qu'il soit nécessaire de le préciser dans la Constitution.

2. Le Parlement a été appelé à se prononcer sur les interventions ayant débuté depuis plus de quatre mois à la date de promulgation de la loi constitutionnelle

Il en fut ainsi :

- le 22 septembre 2008, pour prolonger l'intervention des forces armées en Afghanistan qui avaient été engagées en 2001 ;

- le 28 janvier 2009, pour prolonger l'intervention des forces armées françaises en République de Côte d'Ivoire, au Kosovo, dans le cadre de l'opération EUFOR au Tchad et en RCA, au Tchad et en RCA, dans le cadre des opérations Boali et Epervier. A la suite d'une déclaration et d'un débat portant sur l'ensemble, le Parlement a été saisi de cinq demandes d'autorisation sur lesquelles il s'est prononcé par cinq scrutins différents.

3. Toutes les interventions dont le Parlement a été informé au titre de l'article 35, alinéa 2, ont été soumises à autorisation de prolongation

Mise en oeuvre des dispositions de l'art. 35 al. 2 et al. 3 de la Constitution

Engagement

Déclaration du gouvernement

35.2

Débats

Autorisation de prolongation

35.3

Harmattan

19/03/2011

22/03/2011

12/07/2011

Serval

11/01/2013

16/01/2013

27/02/2013 AN

22/04/2013

Sangaris

05/12/2013

10/12/2013

25/02/2013 321 ( * )

Chammal

24/09/2014

19/09/2014 322 ( * )

13/01/2015

Extension Syrie

08/09/2015 323 ( * )

27/09/2015 324 ( * )

15/09/2015 325 ( * )

25/11/2015 326 ( * )

Le vote d'autorisation de prolongation a toujours été (dès sa première application en septembre 2008 - Afghanistan) précédé d'une nouvelle déclaration du Gouvernement en séance plénière et d'un débat lors duquel les parlementaires ont coutume d'interroger le Gouvernement 327 ( * ) .

Opération

Dates

Assemblée nationale

Sénat

Pour

Contre

Pour

Contre

Afghanistan

22/09/2008

343

210

209

119

Côte d'Ivoire

28/10/2009

Pour

0

225

0

Kosovo

28/10/2009

Pour

198

25

Liban

28/10/2009

Pour

0

226

0

EUFOR

28/10/2009

Pour

0

200

24

Boali et Epervier

28/10/2009

Pour

201

24

Harmattan

12/11/2011

482

27

311

24

Serval

22/04/2013

342

0

326

0

Sangaris

25/02/2014

428

14

328

3

Chammal

13/01/2015

488

1

327

0

Extension Syrie

25/11/2015

515

4

325

0

Les résultats des scrutins ont jusqu'à maintenant autorisé la prolongation des interventions , ce qui confirme le caractère consensuel de ces sujets, mais aussi la difficulté d'évaluer de façon approfondie les résultats d'une opération, quatre mois après son déclenchement . C'est souvent de la durée que surgissent les épreuves les plus difficiles et qu'une « relégitimisation » serait nécessaire, mais ce serait aussi l'occasion de révéler de façon ostensible des fractures au sein de la représentation parlementaire -fractures néanmoins déjà perceptibles à travers les prises de position dans la presse et dans l'opinion publique, et de prendre le risque d'un vote négatif aux conséquences hasardeuses sur le plan opérationnel, le retrait insuffisamment préparé est une source de vulnérabilité pour les forces engagées sur le terrain.

La prolongation de certaines opérations a été anticipée. Ce fut le cas de Sangaris en raison du calendrier électoral, mais aussi de l'extension de l'opération Chammal au territoire syrien à la suite des attentats de Paris le 13 novembre, soit deux mois avant la date requise. Le vote de la prolongation de l'opération pouvait apparaître comme l'affirmation d'une volonté du Parlement de ne pas laisser sans réponse de tels attentats, affirmation destinée autant à l'opinion publique nationale qu'aux terroristes qui avaient déjà fait l'objet d'attaques aériennes dès le 27 septembre.

Dans ce court délai entre le début d'une intervention et la demande d'autorisation de prolongation , le suivi est plus ou moins approfondi selon les opérations d'autant que les aléas de sécurité sur le terrain ne permettent pas toujours aux commissions compétentes de conduire les travaux d'investigation qui leur permettraient d'apprécier complètement et parfaitement l'opportunité de poursuivre une opération. L'information repose essentiellement sur les éléments fournis par le ministre de la défense, les réactions internationales et la relation des opérations dans la presse.

4. La durée de l'autorisation n'est pas bornée dans le temps

La poursuite de l'intervention n'est plus soumise à une nouvelle autorisation. L'autorisation donnée après quatre mois n'est pas bornée dans le temps, elle n'est pas enserrée dans de quelconques limites, ni quant au volume des forces engagées, ni quant à l'évolution des objectifs poursuivis, ni quant au territoire d'intervention.

Lors de l'examen du projet de loi de révision constitutionnelle de 2008, la question a été tranchée à l'occasion de l'examen d'amendements parlementaires tendant à prévoir une procédure de renouvellement de l'autorisation à rythme régulier. Certains parlementaires estimaient que les modifications importantes de formatage, ou la non-réalisation de scénario, ou l'apparition de situations nouvelles, le justifiait.

Le Gouvernement et la majorité parlementaire à l'époque estimaient que le Parlement dispose des moyens d'information et de contrôle traditionnels pour suivre les opérations extérieures, au cours de débats en séance publique ou par des rapports de ses commissions permanentes, des missions d'information ou des commissions d'enquête ad hoc . Il peut exprimer son désaccord, en réduisant de façon motivée les crédits de la mission défense lors de l'examen du projet de loi de finances, par le vote d'une résolution (article 39-1) dont on imagine mal le Gouvernement ne pas tenir compte 328 ( * ) , ou par le vote d'une motion de censure (article 49-2).

En outre, le Gouvernement, pour sa part, informe régulièrement les assemblées parlementaires sur le déroulement des opérations : nombreuses auditions par les commissions permanentes chargées de la défense, débat en séance publique.

Lors de l'examen en séance publique le 19 juin 2008, le ministre de la défense a proposé que « le Gouvernement fasse une présentation très claire des missions de toutes les opérations extérieures et de leur coût lors de l'examen du projet de loi portant règlement définitif ou du projet de loi de finances, pour que le Parlement puisse exercer son contrôle légitime et normal, sur chaque opération . »

Mais, il faut bien l'admettre, ces modalités ne permettent pas d'organiser des votes réguliers sur la prolongation à long terme des OPEX, alors que certaines peuvent durer plusieurs dizaines d'années, elles ne feront de fait l'objet que d'une seule autorisation initiale de prolongation. Il s'agit d'une forme de clause d'éternité . L'arrêt d'une opération n'est d'ailleurs soumis à aucune obligation d'information du Parlement par le gouvernement.

C'est ainsi que le gouvernement a pu se dispenser de soumettre l'opération Barkhane à une autorisation parlementaire, celle-ci étant considérée comme une prolongation des opérations Epervier (autorisée en 2009) et Serval (autorisée en 2014), sans susciter une protestation des députés et des sénateurs, alors qu'il s'agit d'une opération inscrite dans la durée et particulièrement importante par son étendue géographique, son importance géostratégique, le volume des forces engagées et son coût.

Il est pourtant important, parce que nos armées agissent pour défendre nos valeurs et notre politique étrangère, qu'elles puissent bénéficier régulièrement du soutien explicite de la souveraineté nationale par l'intermédiaire de ses représentants. Ce qui vaut pour la prolongation d'une intervention quelques mois après son engagement, vaut tout autant lorsque ces interventions perdurent. Au-delà du contrôle, c'est aussi un soutien pour le Président de la République et pour nos forces armées elles-mêmes.

Peut-être faudrait-il lancer la réflexion sur l'opportunité d'une nouvelle validation parlementaire des interventions militaires à l'étranger au-delà de celle des quatre mois. Pour affermir auprès de la Représentation nationale, la légitimité d'opérations qui peuvent durer plusieurs années, voire plusieurs dizaines d'années ou connaître une évolution sensible de leur objet de leur zone d'intervention.


* 319 Assemblée nationale - mardi 27 mai 2008 - 3 ème séance. Enfin, quel est l'acte précis à partir duquel commence de courir le délai, notamment pour l'autorisation de prolongation ? L'action diplomatique, la résolution des Nations unies, l'envoi d'éléments précurseurs pour baliser le terrain ou, comme nous le pensons, l'envoi de corps constitués pour le lancement réel de l'opération ?

* 320 On rappellera que pour les demandes d'autorisation prévues aux articles 35 (déclaration de guerre) et 36 (prolongation de l'état de siège) de la Constitution, l'article 73 du Règlement du Sénat prévoit que l'autorisation est donnée dans la forme prévue au quatrième alinéa de l'article 49 de la Constitution, c'est-à-dire une déclaration du Gouvernement suivie d'un vote. L'article 131 du Règlement de l'Assemblée nationale prévoit pour sa part un vote sur un texte exprès d'initiative gouvernementale, dont la forme est laissée à l'appréciation du Gouvernement.

* 321 Avancée en raison du calendrier électoral

* 322 Convocation en session extraordinaire

* 323 Premier vol de reconnaissance

* 324 Premier raid aérien contre Daech en Syrie

* 325 Convocation en session extraordinaire

* 326 Avancée contexte des attentats du 13 novembre 2015

* 327 Au Sénat, l'organisation de ce débat semble exigée par l'article 73-1 alinéa 2 de son règlement.

* 328 Encore qu'il puisse opposer l'irrecevabilité s'il estime que l'adoption ou le rejet de la résolution serait de nature à mettre en cause sa responsabilité ou qu'elle contient des injonctions à son égard (article 34-1 alinéa 2).

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