E. SE DOTER D'UNE VÉRITABLE POLITIQUE MIGRATOIRE

De l'avis de nombreux observateurs, compte tenu des facteurs de migrations précédemment évoqués, les mouvements migratoires auxquels nous assistons aujourd'hui devraient perdurer . La France en particulier devrait être concernée par les flux en provenance d'Afrique subsaharienne via les diasporas .

Quelles que soient les mesures de sécurisation des frontières que l'Europe pourra prendre, de manière tout à fait légitime, elle demeurera une destination privilégiée pour les migrants . Les routes migratoires se recomposent sans cesse et trouvent toujours de nouveaux accès.

La principale raison est que l'Europe, continent stable et prospère au centre d'un arc de crises, attire et continuera d'attirer . Nous devrons vivre avec cette réalité de la migration, qui s'inscrit dans une tendance mondiale.

D'un point de vue démographique et économique, cela pourrait d'ailleurs être un avantage. Selon des projections d'Eurostat, l'UE pourrait en effet perdre 41 millions d'habitants à l'horizon 2050 , la tranche des 20-45 ans se contractant de plus de 30 millions entre 2015 et 2030, ce qui pourrait se traduire par des pénuries de main d'oeuvre dans certains secteurs.

Ceci étant posé, la véritable question est plutôt de savoir si nous préférons que cette migration soit irrégulière ou régulière.

La migration irrégulière expose les personnes qui la pratiquent à des voyages dangereux, les livre aux mains de trafiquants sans scrupule, les contraint au travail clandestin.

La question de la migration légale, notamment de travail, mériterait donc d'être soulevée, de manière objective, dans le débat public.

L'absence de discours politique fort et clair sur ces questions nourrit en effet la crainte des opinions publiques .

Aussi la France pourrait-elle se faire le promoteur, et pour ce qui la concerne l'initiatrice, d'une politique visant à définir le nombre, la nationalité et l'aptitude professionnelle des personnes qu'elle est prête à accueillir chaque année sur son sol . Il pourrait s'agir, par exemple, de pratiquer, comme au Canada, une immigration choisie en fonction des besoins exprimés par les employeurs potentiels.

Cette politique, qui serait définie dans le cadre d'une loi pour une durée de cinq ans et donnerait lieu à un débat annuel au Parlement , se déploierait à partir d'accords conclus avec les pays d'origine , en particulier l'Afrique occidentale.

Elle s'appuierait sur l'attribution de titres de moyen séjour (5 à 10 ans) autorisant une circulation régulière entre les deux pays signataires. Elle viserait certes à répondre à des besoins de main d'oeuvre en France mais aussi à des besoins de formation des migrants concernés afin de renforcer, à leur retour, l'économie de leur pays.

Cette politique pourrait, en organisant les flux, réduire les conséquences en pertes de vies humaines de l'immigration irrégulière et légitimer en retour les moyens de l'action aux frontières contre celle-ci.

Cette proposition rencontra naturellement des objections notamment parmi ceux qui cherchent à exploiter l'angoisse que peut susciter dans nos pays l'arrivée de nouveaux migrants. Mais la réalité du monde ne peut être ignorée , d'autant que cette ignorance nourrit non seulement des fantasmes mais encourage indirectement une immigration souterraine dont les conséquences, pour tous et y compris notre cohésion sociale, sont beaucoup plus redoutables.

Les responsables politiques sont donc placés devant leur responsabilité. Celle-ci est d'abord d'expliquer que le monde est en mouvement mais que ce mouvement peut être régulé et maîtrisé . Et que c'est cette régulation qui permettra de tarir l'immigration irrégulière contre laquelle la lutte serait par ailleurs renforcée

De fait, l'ouverture raisonnée de voies légales de migration en fonction des besoins du pays d'accueil pourrait être la contrepartie du respect par les pays d'origine de leurs engagements en matière de lutte contre les flux irréguliers et leur coopération en matière de réadmission.

La mise en oeuvre d'une telle politique devrait, à notre sens, avoir pour corollaires :

- d'une part, l'élaboration d'une capacité d'anticipation, de prévision et d'analyse des mouvements migratoires et de la mobilité qui, aux dires de certains experts, semble aujourd'hui être insuffisante ;

- d'autre part, la conduite d'une véritable politique d'intégration , permettant de transmettre les valeurs et principes de nos démocraties (égalité des sexes, laïcité et pluralisme). Une telle démarche, dont la nécessité commence à être prise en compte à l'échelle de l'UE, paraît en effet indispensable au maintien de la cohésion sociale et à l'acceptabilité sociale de l'immigration.

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