D. LUTTER CONTRE LES CAUSES PROFONDES DE LA MIGRATION IRRÉGULIÈRE

La lutte contre les migrations clandestines ne peut reposer seulement sur un renforcement de la protection des frontières extérieures de l'UE. Il faut travailler à la résolution des crises et des conflits, favoriser le développement, prévenir les conséquences du changement climatique...Il est aussi indispensable de resserrer, en amont, la coopération avec les pays d'origine et de transit .

1. Aider les Etats d'origine et de transit à mieux contrôler les flux irréguliers de migrants

La coopération avec les pays tiers doit favoriser le renforcement des capacités de ces pays à contrôler leurs frontières et à gérer la migration irrégulière. Elle doit concerner aussi bien les pays de transit , comme les pays des Balkans occidentaux ou ceux du pourtour méditerranéen, qui, comme l'Egypte, connaissent une recrudescence des flux, que les pays d'origine , en Afrique, au Moyen-Orient et en Asie. À cet égard, il faudrait ne pas négliger le dialogue avec un pays comme l'Iran , qui abrite un très grand nombre de réfugiés afghans (officiellement un million mais en réalité bien davantage) qui sont de plus en plus nombreux à emprunter la route de la migration vers l'Europe, du fait d'une dégradation de leur situation.

Il faut en revanche prendre garde, dans le cadre de cette action, à ne pas entraver les circulations régionales traditionnelles qui contribuent à réguler les migrations notamment africaines et à limiter les flux vers l'Europe. Par ailleurs, une politique de coopération ne doit pas être menée avec des pays dictatoriaux ou commettant des atteintes aux droits de l'homme et ne doit pas conduire à fermer les yeux sur ces questions.

La coopération opérationnelle dans le domaine migratoire peut recouvrir des actions très diverses : aider à l'amélioration de la collecte de données sur les réseaux de passeurs, à la conduite de procédures d'enquêtes dans les affaires de traite des êtres humains et de trafic des migrants, apporter de l'aide matérielle aux postes frontières et au déploiement de systèmes d'information...

Il faut souligner, à cet égard, le rôle des quelque quarante officiers de liaison migration (OLI) français déployés notamment en Afrique, qui contribuent activement au démantèlement des filières.

La coopération technique peut également donner lieu au déploiement d'experts dans le cadre de missions ponctuelles . Lors de son audition, M. David Skuli, directeur de la police aux frontières du ministère de l'intérieur a cité l'exemple d'un projet opérationnel franco-espagnol, financé par l'UE, qui consistera à installer une équipe au Niger en vue d'aider ce pays à mieux contrôler ses frontières, à identifier les filières et à fournir des informations aux services occidentaux participant au suivi de celles-ci.

La coopération efficace menée depuis plusieurs années entre l'Espagne, le Maroc , la Mauritanie et le Sénégal dans le cadre du projet Seahorse Atlantico , qui a permis de réduire les flux irréguliers par la route atlantique et la partie ouest de la Méditerranée, constitue un exemple à suivre.

L'UE devrait, de son côté, déployer bientôt des officiers de liaison migration européens dans ses délégations situées dans les pays d'origine et de transit.

Les efforts doivent également tendre à améliorer l'efficacité de la politique de réadmission , domaine dans lequel une coopération plus poussée est nécessaire avec de nombreux pays africains, mais aussi avec d'autres comme le Pakistan, l'Afghanistan et le Bangladesh qui, malgré l'existence d'accords de réadmission, refusent souvent de réadmettre leurs ressortissants. Il s'agit notamment de faciliter la délivrance de documents de voyage ou laisser-passer consulaires . Il importe, à cet égard aussi de conforter les capacités de réadmission, en aidant ces pays à se doter de registres d'état civil automatisés et de documents d'identité biométriques , la difficulté à établir l'identité des personnes étant un frein considérable à la conduite des réadmissions.

L'amélioration de la politique de retour passe aussi par un soutien accru aux retours volontaires . Ceux-ci relèvent de programmes nationaux financés par l'UE. En 2013, les retours volontaires ont représenté 40 % des retours financés par l'UE.

2. Contribuer au renforcement de l'information et de la protection des migrants, des demandeurs d'asile et des réfugiés

La coopération avec les pays tiers doit également avoir comme objectif de contribuer au renforcement de la protection des migrants, des demandeurs d'asile et des réfugiés dans les pays tiers.

Il s'agit notamment d'assurer une meilleure information des migrants candidats au départ ou déjà en transit et les sensibiliser aux dangers qu'ils encourent en s'adressant aux passeurs et en empruntant les routes de la migration clandestine. Cela passe par la création de centres d'accueil et d'information à l'instar de celui récemment mis en place à Agadez 62 ( * ) ou de ceux qui sont en train d'être renforcés par Expertise France, en partenariat avec l'OIM, dans le cadre du processus de Khartoum (route migratoire UE-Corne de l'Afrique), au Soudan, en Somalie, à Djibouti et au Soudan du Sud.

Il faut aussi de développer les capacités de ces pays en matière d'asile et d'accueil sur leur territoire de populations réfugiées en provenance de pays voisins.

3. Soutenir le développement économique des pays d'origine

Répondre au défi des migrations suppose aussi de soutenir le développement économique des pays d'origine , même s'il faut avoir conscience que dans un premier temps, le développement ne réduit pas la migration, mais au contraire la favorise.

Il faut pour cela s'attacher à réduire les écarts de richesses à l'échelle mondiale , notamment par une juste rémunération des matières premières et des ressources naturelles, la mise en place des transferts exigés par les dérèglements climatiques et prévus par la COP 21, une réforme système monétaire international permettant de mieux orienter les financements vers les pays dits du sud, ainsi que, bien sûr, par l'aide au développement.

Or, malgré les sommes importantes dépensées depuis des années, celle-ci ne semble pas produire les résultats escomptés. Il paraît aujourd'hui nécessaire de redéfinir les priorités de l'aide au développement , particulièrement en ce qui concerne l'Afrique.

Comme l'a souligné le récent rapport de nos collègues Henri de Raincourt et Hélène Conway-Mouret 63 ( * ) et comme l'a aussi suggéré M. Serge Michaïlof lors de son audition, celle-ci devrait être davantage orientée vers la maîtrise de la croissance démographique, le soutien à l'éducation et l'agriculture .

Il importe également de mettre à profit le F ond fiduciaire d'urgence de l'UE en faveur de la mobilité et de la lutte contre les causes profondes de la migration irrégulière et du phénomène des personnes déplacées en Afrique, créé dans le cadre du processus de la Valette initié en novembre 2015 et doté de 1,8 milliard d'euros, qui constitue un cadre innovant pour mettre en oeuvre des projets à impact rapide. Il faut pour cela que celui-ci reçoive les financements annoncés, notamment de la part des Etats membres.

Par ailleurs, il importe de tirer davantage parti des diasporas . Les migrations sont en effet un levier pour le développement à travers l'argent que les migrants renvoient au pays ou par les compétences qu'ils peuvent lui apporter, soit à distance (pas le biais des nouvelles technologies) soit dans le cadre d'un retour. Il faut mettre à profit davantage ces leviers en accompagnant ces dynamiques.

Enfin, cette politique doit s'accompagner d'une action destinée à lutter contre la corruption et à développer la bonne gouvernance, sans lesquelles il est illusoire de penser qu'une croissance équitable et bénéfique aux populations de ces pays puisse se développer.

4. Un nouveau cadre de partenariat européen avec les pays tiers

Dans une communication du 7 juin dernier, dont le Conseil européen a pris acte le 28 juin dernier, la Commission européenne a proposé un nouveau cadre de partenariat avec les pays tiers tendant à une meilleure articulation des politiques migratoire, commerciale et d'aide au développement de l'UE.

Il s'agit de mobiliser différents instruments et sources de financement en vue de renforcer le caractère incitatif de l'aide apportée aux pays d'origine et de transit afin qu'ils coopèrent davantage avec l'UE en matière de contrôle de leurs frontières et de réadmission de leurs ressortissants.

Ce partenariat prendrait la forme de « pactes » sur mesure , élaborés en fonction de la situation et des besoins des pays concernés, un premier groupe de pays cibles étant constitué - outre de la Jordanie et du Liban comme pays d'accueil de réfugiés - du Niger, du Nigeria, du Sénégal, du Mali et de l'Ethiopie . La coopération avec la Tunisie et le gouvernement d'entente nationale libyen est également envisagée à court terme.

Il est intéressant de noter que dans ce cadre, la Commission juge souhaitable d'exploiter les « relations spéciales » que les Etats membres entretiennent avec les pays tiers et qui sont le « reflet de liens politiques, historiques et culturels tissés au fil de décennies de contacts ». Incontestablement, un pays comme le nôtre peut jouer un rôle moteur dans ce dispositif .

S'agissant du financement, le plan prévoit, dans un premier temps, d'allouer 1 milliard d'euros supplémentaire au Fonds fiduciaire d'urgence pour l'Afrique, dont 500 millions proviendraient du Fond européen de développement et 500 millions seraient apportés par les Etats membres.

À plus long terme, il envisage un « plan d'investissement extérieur » - inspiré du plan Juncker d'investissement pour l'UE - pour la mise en oeuvre duquel serait créé un nouveau Fonds, doté de 3,1 milliards d'euros et susceptible de susciter des investissements publics et privés d'un montant total de 31 milliards d'euros, voire 62 milliards d'euros si les Etats membres et d'autres partenaires apportaient une contribution équivalente.

Selon la Commission, ces fonds doivent permettre de lutter contre les causes profondes de la migration irrégulière en donnant des perspectives d'avenir chez elles ou près de chez elles à des personnes qui seraient prêtes à risquer leur vie pour venir en Europe.

Parmi les outils susceptibles d'avoir un effet de levier, la communication évoque aussi l'attribution de préférences commerciales et l'ouverture de voies légales d'accès à l'UE , non seulement à travers la réinstallation de personnes ayant besoin d'une protection internationale, mais également par d'autres canaux de migration légale.

Force est toutefois de souligner que, dans ce domaine, les compétences de l'UE sont réduites (une directive portant sur le système de la « carte bleue européenne », dont une réforme est envisagée, définit par exemple les conditions d'entrée des ressortissants des pays tiers en vue d'occuper des emplois hautement qualifiés), les avancées ne pouvant relever que des Etats membres.


* 62 Il s'agit d'un centre géré par l'OIM, qui avait été créé en 2011 pour répondre à la problématique des migrants de retour au Niger après la crise libyenne et qui voit donc sa mission élargie à l'information des migrants en route vers le nord.

* 63 Sahel : repenser l'aide publique au développement, rapport d'information de M. Henri de Raincourt et de Mme Hélène Conway-Mouret au nom de la Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées n° 78 (2015-2016).

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