EXPOSÉ GÉNÉRAL

I. DE FORTES DIFFÉRENCES ENTRE LES SYSTÈMES FRANÇAIS ET ALLEMAND DE RÉGULATION DES DÉPENSES DE MÉDECINE DE VILLE

Vos rapporteurs souhaitent insister sur deux des principaux traits de la gestion allemande des dépenses d'assurance maladie, qui expliquent son profil particulier par rapport au mode de régulation français : une autogestion par les professionnels de santé, historiquement construite et unanimement acceptée ; en contrepartie, une régulation financière stricte, qui comporte cependant plusieurs éléments de souplesse.

A. FACE AUX DIFFICULTÉS DU SYSTÈME CONVENTIONNEL FRANÇAIS, UN SYSTÈME D'AUTOGESTION ANCIENNEMENT MIS EN PLACE EN ALLEMAGNE

Le mode de gestion de l'assurance maladie, et spécialement des dépenses de la médecine de ville, fait l'objet d' un consensus fort et ancien en Allemagne 2 ( * ) . Le syndicalisme médical allemand s'est en effet formalisé très tôt, dans le but de créer les conditions d'une négociation à armes égales avec les caisses gérant le régime obligatoire d'assurance maladie -mis en place pour les ouvriers par une loi de 1884.

En France, à l'inverse, le syndicalisme s'est constitué contre la mise en place d'un tel régime, et, tout particulièrement après la Première Guerre mondiale, contre la mise en place d'une médecine de caisse à l'allemande.

1. En Allemagne, un équilibre original entre les acteurs défini dès le début du XXe siècle


• En Allemagne, les bases posées en 1931 continuent de guider l'action des partenaires de la négociation.

En effet, après la crise de 1929, les médecins allemands ont proposé de mettre en place un système faisant dépendre le montant de leurs honoraires de la situation financière des caisses , au nom de la préservation de l'assurance maladie. Ils ont obtenu, en échange , une représentation institutionnelle augmentant considérablement leurs pouvoirs.

Depuis cette date, ce sont les médecins eux-mêmes, et non plus les caisses, qui assurent la surveillance de l'activité de leurs collègues et le reversement des honoraires.

Les médecins de ville ont également obtenu dès cette époque le monopole de l'activité ambulatoire, à l'exclusion des hôpitaux.

Le système de négociation entre médecins et caisses repose sur ainsi sur plusieurs équilibres fondamentaux : la fixation des honoraires par la négociation, la soumission des sommes perçues par les médecins au respect du principe d'équilibre du système d'assurance maladie, et la représentation institutionnelle des médecins au travers d'un système d'élection à deux niveaux (celui du Land et le niveau fédéral).


• En France, il a fallu attendre les réformes de 1958 et de 1960 pour qu'un régime conventionnel efficace soit mis en place. Ce système n'empêche cependant pas la dispersion dans les négociations des syndicats médicaux, qui n'endossent par ailleurs pas de rôle direct de gestion .

Surtout, la négociation conventionnelle ne repose pas directement sur le principe de la préservation financière de l'assurance maladie .

2. Un système consensuel reposant sur l'intervention d'un arbitre


• Le système de représentation des partenaires à la négociation favorise le consensus.

Tout d'abord, comme le souligne la Cour des comptes, les parties sont légalement autonomes par rapport au Gouvernement : « Le principe d'auto-administration (Selbstverwaltung) régit presque toutes les institutions du domaine de l'assurance maladie. Leur caractère de collectivités de droit public est garanti par la Constitution, dans son article 87 (2) pour nombre d'entre elles. Sont ainsi notamment concernées, les caisses d'assurance maladie légale (gesetzlichen Krankenkassen, KK) et, dans chaque Land, les Unions de médecins de caisse (kassenärztlichen Vereinigungen, KV). » Cette autonomie se traduit par une forte cohérence institutionnelle qui facilite la signature des accords .

Les caisses sont « paritaires entre les employeurs et les assurés, voient leurs administrateurs élus tous les six ans. Elles sont regroupées en fonction de leur statut en trois groupements régionaux au niveau de chaque Land, qui discutent avec les professions concernées les (hôpitaux, médecins, pharmaciens, etc.) les tarifs et des honoraires ».

Les représentants des médecins, quant à eux, sont élus selon un système à deux niveaux, au niveau des Land puis au niveau fédéral. « Les Unions de médecins de caisse (KV) sont en effet contrôlées par des assemblées de représentants choisis pour six ans par les médecins du Land, au cours d'élections auxquelles concourent leurs syndicats. Mais ces assemblées de représentants élisent à leur tour un président et un vice-président qui participent seuls aux négociations tarifaires et ont la capacité à signer les accords et contrats. Au niveau fédéral, la même organisation prévaut, l'assemblée des représentants étant élue par celles des KV régionaux. Pour chaque partie participant aux négociations, la signature d'une seule personne suffit donc pour faire entrer en application un contrat collectif ».

La présentation des candidats est libre, et les élus disposent d'une forte autonomie par rapport à leur base électorale . Ils ont en effet la forte conscience de leur devoir de représenter tous les médecins, et ne veulent pas être accusés de favoritisme par rapport à leur syndicat ou à leur spécialité d'origine. Ainsi, l'opposition entre médecins généralistes et spécialistes, qui a un temps fait craindre pour l'avenir du système de représentation des médecins, est-elle aujourd'hui dépassée.

Dès lors, les syndicats allemands font campagne pour les élections aux unions de médecins, mais négocient d'une seule voix face aux caisses, tandis que les syndicats français sont dispersés . Les médecins allemands acceptent que leurs honoraires soient établis de manière à préserver l'équilibre de l'assurance maladie, mais également d'être payés et contrôlés par ceux qu'ils ont élus au sein des unions.


• Le mode de déroulement de la négociation est également conçu pour favoriser l'émergence d'un accord sur la base d'un constat partagé de la situation. Il existe ainsi des organismes d'expertise qui assistent les deux parties dans leurs négociations.


• En cas de désaccord, un arbitre intervient. Celui-ci est un professeur d'université choisi par les deux parties, et qui exerce cette fonction à titre bénévole (au profit cependant d'une décharge partielle de ses obligations universitaires).


* 2 Voir sur ce point Patrick Hassenteufel, Les médecins face à l'Etat. Une comparaison européenne, Presses de Sciences po, 1997.

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