CONTRIBUTIONS DES MEMBRES DE LA COMMISSION D'ENQUÊTE

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CONTRIBUTION DU GROUPE SOCIALISTE

Le Groupe Socialiste tient à saluer la qualité des auditions et à remercier les experts et les personnalités, tant françaises qu'européennes, qui ont éclairé le travail de la Commission d'enquête. Il tient également à remercier les fonctionnaires du Sénat pour leur disponibilité et leur grande compétence lors du déroulement de cette Commission.

Il convient de souligner que les initiateurs de la Commission d'enquête ont entendu traiter deux sujets différents ; sans lien véritablement direct : d'une part les chiffres du chômage en France et dans les pays de l'Union européenne, d'autre part les réformes mises en place dans ces pays pour résorber le chômage.

Ces deux sujets, lorsqu'ils ont été choisis, étaient en lien avec la conjoncture du moment. Dans le premier cas, il s'agissait de comprendre l'origine du « cafouillage » de mai 2015 et du bug informatique SFR d'août 2015. Dans le deuxième cas, la concomitance avec la préparation et la discussion au Parlement du projet de loi devenu la Loi du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels était évidente. On pouvait donc craindre une suspicion de manipulation à l'encontre des organismes - Pôle emploi et Insee - chargés de mesurer et de communiquer les chiffres du chômage, et un risque de déstabilisation de ceux-ci. On pouvait aussi redouter que la Commission d'enquête donne lieu à un débat parallèle à la discussion parlementaire sur le projet de loi dit « Travail ».

A l'issue de nos travaux, les membres de la Commission d'enquête ont acquis la certitude de l'absence de manipulation des chiffres. La complexité du dispositif de recueil des données et de l'établissement des chiffres conduit à demander des progrès en matière de transparence, indispensable à la crédibilité des statistiques portées à la connaissance du public.

La publication doit permettre d'aller au-delà de la médiatisation d'un chiffre mensuel, pour mieux comprendre l'évolution des chiffres du chômage, le parcours des demandeurs d'emploi, l'analyse et l'impact des mesures prises pour réduire le nombre de chômeurs, notamment en matière de formation professionnelle. Le sujet mérite autre choses que des controverses politico-médiatiques stériles.

En conséquence, le Groupe socialiste approuve les propositions suivantes, issues de nos auditions, et qui peuvent donner lieu à consensus :

- abandon à terme de la communication des statistiques de Pôle emploi au profit d'un document unique mensuel présentant les statistiques établies respectivement par l'INSEE selon le système de comptage du BIT, qui recouvre la catégorie A, et par Pôle emploi pour l'ensemble des demandeurs d'emploi inscrits.

Le document unique pourrait être enrichi par les études de la DARES, qui devrait être libérée de ses tâches statistiques pour des études plus approfondies : évolution des catégories A B et C, analyse de la catégorie C et mouvement entre les catégories, analyse de l'impact des mesures sur le nombre et le parcours de demandeurs d'emploi, évolution du halo du chômage, nombre des allocataires du RSA et des jeunes de moins de 25 ans qui n'apparaissent pas dans les DEFM.... La proposition de B. de Foucauld de réunir chaque année des Assises de l'emploi, avec l'administration, les chercheurs, des représentants des partenaires sociaux et des associations , mérite aussi d'être retenue.

S'agissant du deuxième sujet traité par la Commission d'enquête - l'impact des réformes mises en place dans les autres pays pour faire baisser le chômage - le Groupe socialiste relève qu'il ne peut donner lieu à polémique.

Une étude sérieuse et équitable a été menée par la Commission, relevant les convergences des politiques de réformes menées par les pays étudiés - Allemagne, Pologne, Grande-Bretagne, Italie - et mettant en évidence des paramètres spécifiques. Il apparaît que chacun affronte des difficultés analogues à celles que nous connaissons, liées essentiellement à la confrontation de nos appareils productifs aux mutations technologiques, à la financiarisation et à la globalisation de l'économie mondiale. Dans le même temps, des différences structurelles ne peuvent être ignorées, en matière de démographie, de politique familiale et de modes de garde, de politique sociale dans son ensemble.

Dans le monde, et notamment en Europe, de nombreux chômeurs ne sont pas indemnisés, la précarité du travail avec ses conséquences sur le destin des personnes se répand, la pauvreté se maintient à un niveau inquiétant, la protection sociale est menacée dans tous ses domaines. Quelles que soient les modalités d'établissement des statistiques, la baisse faciale des chiffres du chômage n'est pas le seul indicateur du bien-être de la population. Ainsi, elle ne reflète pas le déclassement professionnel qui engendre la baisse des revenus du travail. Tous ces éléments génèrent des réactions d'angoisse et de colère aux conséquences imprévisibles.

Le Groupe socialiste rappelle que le chômage et les nombreuses difficultés qu'il induit, pour ceux qui en sont directement victimes mais aussi pour l'ensemble de nos sociétés, est avant tout un désastre humain.

Il convient maintenant de dépasser les éléments conjoncturels qui ont conduit à la création de cette Commission d'enquête, afin que nos travaux trouvent leur utilité dans une lutte efficace contre le chômage et le sous-emploi en Europe.

Contribution du groupe
Communiste républicain et citoyen

A l'origine de la commission d'enquête, le groupe Les Républicains avait demandé un état des lieux des méthodes utilisées pour mesurer les chiffres du chômage en France ainsi qu'une étude des politiques publiques mises en oeuvre en Europe pour réduire le taux de chômage.

Concernant les conclusions du rapport sur les méthodes de calcul des chiffres du chômage

Le rapport de la commission d'enquête formule trois propositions principales pour améliorer la lisibilité des chiffres du chômage : la publication mensuelle dans un document unique du nombre de chômeurs établi au sens du BIT par l'INSEE et du nombre de demandeurs d'emploi établi par Pôle emploi, la tenue d'assises annuelles de l'emploi et la réalisation d'études qualitatives portant sur l'évolution des différentes catégories de demandeurs d'emploi.

En réalité, ces propositions ne vont pas vraiment améliorer la fiabilité des chiffres du chômage dès lors que l'on s'abstient de revenir sur les véritables faiblesses du système de comptabilisation comme :

- L'exclusion des départements d'outre-mer qui constituent pourtant 259 000 demandeurs d'emploi en catégorie A en mars 2016 et 335 000 dans l'ensemble des autres catégories (B, C, D et E)

- L'exclusion des catégories D et E considérées comme de « faux demandeurs d'emploi » alors que ces 700 000 personnes sont sans emploi et non immédiatement disponibles car en formation ou en arrêt maladie (catégorie D) ou déjà pourvues d'un emploi (catégorie E).

- La sortie mécanique des chômeurs des différentes listes suite aux réformes destinées à améliorer statistiquement la réalité de l'emploi de notre pays. Ainsi, le nombre de personnes non comptabilisées a explosé.

Les chiffres de Pôle Emploi excluent également certaines catégories de personnes comme les jeunes n'ayant pas droit au versement d'une indemnité chômage et qui ne s'inscrivent donc pas à Pôle Emploi, mais aussi de nombreux bénéficiaires du RSA, avec l'exemple du département du Nord où près de 40% des bénéficiaires ne sont pas enregistrés.

Actuellement l'Insee comptabilise à part le « halo » du chômage. En 2015, l'Insee évaluait le nombre de ces chômeurs découragés ou indisponibles à 2,86 millions. Il est urgent d'évaluer mais également d'intégrer dans les statistiques officielles les personnes qui ne travaillent pas, souhaiteraient travailler, mais ne sont pas disponibles immédiatement ou ne recherchent pas d'emploi car elles se sont découragées.

La progression du nombre de demandeurs d'emploi qui cessent de s'inscrire à Pôle emploi est aussi la conséquence de la fusion de l'ANPE et des ASSEDIC et de la diminution des moyens humains et financiers apportés par l'Etat à Pôle emploi.

Il est temps de réintroduire de l'humain dans les pôles emplois et d'améliorer les conditions d'accueil et d'orientation des demandeurs d'emploi. La question d'une profonde réforme de Pôle emploi n'a pas été abordée par la commission d'enquête.

Concernant la comparaison des politiques de flexibilisation de l'emploi en Europe

Le choix du périmètre de la commission d'enquête étendu aux réformes libérales de l'emploi menées en Europe oriente les conclusions du rapport en faveur de ces politiques qui convergent toutes vers une flexibilisation accrue du marché du travail, une explosion des contrats précaires, une réduction des droits des salariés et une augmentation des devoirs des chômeurs.

Le rapporteur se défend d'établir des conclusions pour la France, mais pourtant, le panorama des politiques de l'emploi menées en Europe est présenté de manière positive en estimant que l'accroissement de la flexibilisation du marché du travail et le développement de nouvelles formes de contrats précaires, ont permis de réduire le nombre de chômeurs (mini jobs en Allemagne, contrat zéro heure au Royaume-Uni, CDI à protection croissante en Italie).

Afin de réduire le chômage de haut niveau et indemnisé, ces pays européens ont opté pour le recours à des contrats précaires avec toutes les conséquences en termes d'inégalités salariales et de mise en concurrence avec les emplois stables. Ces politiques se sont accompagnées d'une décentralisation de la négociation collective au niveau de l'entreprise notamment en matière salariale et de durée du travail. Une mesure que nous retrouvons dans la matrice de la « Loi travail » que nous combattons vigoureusement tant elle porte gravement atteinte à la protection des droits des salariés.

Le rapport parlementaire présente ces politiques libérales comme le cadre unique d'une simple gestion du chômage et n'apporte pas de critiques sur les conséquences sociales pour les salariés.

Nous réfutons l'efficacité de ces politiques européennes menées en matière d'emploi qui ont considérablement réduit les droits des salariés et aggravé les inégalités sociales. Elles ont provoqué partout une facilitation des licenciements, le développement des CDD et de l'intérim.

Ces politiques convergentes participent d'une offensive ultra libérale de grande ampleur. Elles conduisent, dans tous les pays où elles sont mises en oeuvre, à l'explosion de la précarité et de la pauvreté.

Il existe pourtant des alternatives aux politiques libérales pour lutter contre le chômage. La mobilisation en France contre la loi « travail » a démontré le refus de la casse des droits sociaux et de la précarisation. Il est grand temps de changer radicalement de logique et de passer du moins disant social à la sécurité pour toutes et tous.

Derrière les chiffres du chômage, il y a des hommes et des femmes qui sont en souffrance et en grandes difficultés. La grande majorité d'entre eux aspirent à un emploi stable et suffisamment rémunéré.

La lutte pour l'emploi en France passe par trois nécessités : maintenir l'emploi existant en agissant contre les licenciements, créer des emplois nouveaux en développant l'activité et en réduisant le temps de travail et relancer une politique industrielle et durable.

Pour maintenir l'emploi et agir contre les licenciements nous portons un projet de Sécurité de l'emploi et de la formation qui vise à l'éradication progressive du chômage en s'appuyant sur une autre utilisation de l'argent au service de l'emploi et sur les pouvoirs nouveaux pour les salariés dans les entreprises et pour les citoyens dans les territoires. La création d'emplois nouveaux passe par la réduction du temps de travail et l'augmentation des salaires. Enfin, il est nécessaire d'engager une lutte fondée sur une stratégie de plein emploi qui ne relève pas de l'utopie mais d'un choix de société. Appuyée par une vigoureuse politique industrielle et durable, la lutte pour l'emploi est possible. Pour y parvenir l'argent ne doit pas être capté par la finance mais servir l'épanouissement humain.

C'est pour ces raisons que notre groupe a voté contre le rapport.

Commission d'enquête sur les chiffres du chômage en France et dans les pays de l'Union européenne ainsi que sur l'impact des réformes mises en place pour faire baisser le chômage

Contribution de Jean DESESSARD du groupe écologiste

Le Groupe écologiste tient à remercier toutes les personnalités qui ont contribué, par le partage de leur expertise, à enrichir les travaux de cette commission. Il salue également le travail réalisé par l'ensemble de la commission et, en particulier, par sa présidente et son rapporteur.

Cette commission, constituée à la demande du groupe Les Républicains , avait pour double objectif d'étudier la qualité de la mesure du chômage en France et dans d'autres pays et d'évaluer l'impact sur l'emploi de diverses politiques publiques mises en place chez nos voisins européens. Si l'on comprend bien qu'il est utile de s'assurer d'avoir un thermomètre efficace lorsque l'on souhaite s'en servir, le lien entre les deux objectifs de la mission ne nous apparait pas de manière plus claire à l'issue de nos travaux... S'il s'agissait de s'assurer que les chiffres du chômage n'étaient pas manipulés par le pouvoir exécutif, le groupe écologiste se félicite que les travaux de la commission permettent, autant que faire se peut, de lever les ultimes soupçons. Le sujet est trop important, trop grave pour être l'objet de polémiques politiciennes stériles comme nous en connaissons trop régulièrement.

Considérant l'importance capitale de l'évolution du taux de chômage du pays, véritable baromètre de la popularité de nos gouvernants, consacré par le rituel médiatique mensuel de la publication des chiffres, il est indispensable de se mettre d'accord sur une méthodologie unique et incontestable de mesure du chômage. En effet, ce rapport souligne, à nouveau, cette incongruité : deux méthodologies bien distinctes et imparfaites coexistent en France pour mesurer le chômage.

D'une part, le comptage mensuel des demandeurs d'emploi fourni par Pôle emploi et mesuré par la DARES, qui présente l'avantage d'englober à la fois les personnes sans emploi (catégorie A) mais également les travailleurs précaires (catégorie B). Toutefois, il ne recense pas pour autant l'ensemble des personnes en situation de chômage : quid des jeunes entre 18 et 24 ans ? Des bénéficiaires du RSA ? C'est pourquoi, le présent rapport préconise, à juste titre, de les prendre en considération dans le calcul des chiffres du chômage.

Le groupe écologiste partage un certain nombre des réserves émises par la commission d'enquête sur cette « méthode DEFM » (Demandeurs d'emplois en fin de mois) : en plus de l'impossibilité de comparaison internationale du taux de chômage, il est difficile d'étudier son évolution dans le temps en raison de la modification régulière des critères d'affiliation à Pôle emploi.

D'autre part, le chiffre trimestriel de l'INSEE, obtenu par une enquête statistique fondée sur la définition chômage établie par Bureau International du Travail (BIT), beaucoup plus répandue à l'échelle internationale et plus stable dans le temps. La commission d'enquête préconise une mensualisation de l'enquête INSEE, disposition à laquelle le groupe écologiste est favorable en émettant toutefois une réserve de taille : cette mesure ne prend pas en compte les travailleurs précaires (salariés à temps partiel - subi ou volontaire - et/ou titulaires de contrats courts) et il semblerait pertinent de lui associer la mesure du travail partiel (catégorie B de Pôle emploi), qui, à titre d'exemple, comptabilise, en août 2016, 725 000 travailleurs précaires non répertoriés par l'INSEE.

Dans un second temps, la commission d'enquête a souhaité étudier la corrélation existant entre la diminution des chiffres du chômage et les politiques publiques mises en place dans d'autres pays européens. Elle en dresse le constat suivant : tous les pays européens, dans la diversité de leurs situations économiques et sociales, ont dû faire face à augmentation importante du chômage sous l'effet conjoncturel de la « crise » financière de 2008 et celui plus structurel de la mutation de notre appareil productif de plus en plus automatisé. Dans ce contexte, nous ne pouvons que déplorer l'absence d'une politique européenne de lutte contre le chômage. Néanmoins, la commission a émis des recommandations : la mise en place, d'une part, de politiques actives et, d'autre part, de mesures contraignantes afin de favoriser le retour à l'emploi.

Les politiques actives sont, pour l'essentiel, un renforcement de l'accompagnement des chômeurs et de l'offre de formation. Le groupe écologiste est convaincu depuis longtemps de l'efficacité de ces dispositifs. Il a notamment proposé la mise en place d'un « guide de pilotage statistique (GPS) pour l'emploi » dans le cadre d'une proposition de résolution, adoptée le 2 avril 2015 par le Sénat. Cette résolution demande à l'État de mettre en place un outil statistique, national et local, pour justement identifier les raisons des postes non pourvus, afin de mieux guider les politiques publiques de l'emploi. Seulement, malgré le consensus politique, force est de constater que le Gouvernement n'a pas encore jugé opportun de le mettre en oeuvre.

A contrario, la commission envisage des mesures contraignantes visant à obliger les chômeurs, à accepter certains emplois sous peine de voir diminuer ou disparaitre leurs indemnités. Le groupe écologiste s'oppose catégoriquement à la mise en oeuvre de telles mesures reposant sur l'idée absurde - démentie par toutes les enquêtes sociologiques - que la cause principale du chômage résiderait dans la volonté des chômeurs de ne pas travailler... En effet, non seulement leur efficacité pour résorber le chômage n'est en rien démontrée - comme en témoigne le présent rapport -, mais elles constituent de surcroît un important facteur de précarisation et de paupérisation des travailleurs. Par crainte de perdre ou de voir diminuer leurs indemnités, les demandeurs d'emploi pourraient accepter un emploi qui ne correspond pas à leur qualification, faiblement rémunéré et/ou qui contraindrait leur vie familiale. Sur ce dernier point, l'exemple allemand est significatif : les chômeurs, par crainte de perdre leurs allocations, peuvent être contraints de déménager à l'autre bout du pays.

Pour conclure nous soulignerons que sous l'impact de l'automatisation, de la robotisation, de « l'ubérisation », de la nouvelle économie du partage et de la connaissance, le travail connait sa mutation la plus profonde depuis l'apparition du fordisme au début du XXe siècle. De ce fait, le groupe écologiste ne s'oppose pas à la légitime réflexion sur la fluidité du marché du travail : la recherche d'un réel compromis entre l'employeur et ses salariés est nécessaire pour peu que la démocratie d'entreprise fonctionne correctement. Seulement, compte-tenu du contexte social, nous nous inquiétons de la mise en place d'une flexibilité qui rimerait avec contrainte et précarité. En effet, il convient d'avoir à l'esprit que le nombre et la qualité des emplois vacants ne dépendent ni des chômeurs, ni de leur volonté de travailler. Il est essentiel de rappeler cette évidence alors que la moitié des emplois existants disparaitra dans les 20 prochaines années et qu'ils ne seront pas tous remplacés, loin de là. Notre conviction est la suivante : si on veut prendre à bras le corps le problème du chômage, c'est vers le partage du travail et le partage des richesses via un revenu universel, qu'il faut s'orienter.

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