Compte rendu du déplacement à Rome

(Lundi 12 septembre 2016)

I. Rencontre avec M. Riccardo Sanna, chef du département « Europe » du syndicat CGIL

Le chômage italien est la résultante d'une situation macro-économique liée à la crise de l'Union européenne et de la zone euro, ainsi qu'à un problème d'offre et de productivité, qui a provoqué le déclin de l'économie italienne avant même la crise de 2008. Face à cette situation, une politique anti-chômage n'est pas suffisante.

Avant la crise, le marché du travail italien se caractérisait par une multitude de formes de contrats, essentiellement précaires (45 formes juridiques de contrats de travail, selon la CGIL). Le Jobs Act n'aurait supprimé qu'une seule forme de contrat, le contrat de collaboration mais, en parallèle, il aurait favorisé le développement du système des chèques-emploi ou vouchers. Au total, la loi aurait permis la libéralisation et le développement des CDD alors que le Jobs Act avait pour objectif de favoriser les CDI.

Selon la CGIL, l'avantage fiscal offert pour le nouveau contrat CDI à protection croissante s'est accompagné d'une réduction des protections des travailleurs (suppression de l'art 18 du statut des travailleurs relatif au licenciement). Les effets reconnus de ces aides fiscales, par la réduction des cotisations sociales à l'embauche, ont été une diminution des emplois indépendants et une augmentation du nombre d'emplois salariés, qui serait négligeable selon la CGIL au regard du coût de la réforme. A cet égard, une « guerre des chiffres » opposerait le Gouvernement et l'opposition. Pour la CGIL, ils s'établiraient à 100 000 voire 150 000 créations d'emplois pour un coût jugé très excessif de 6 Mds d'euros. Ces incitations fiscales ont été financées par une réduction des dépenses publiques (il n'y a pas eu d'augmentation de la TVA, jugée impopulaire par le gouvernement).

Pour la CGIL, la situation de l'économie italienne reste très difficile : les investissements ont diminué de 30% par rapport à 2007, le taux de chômage est le double de celui d'avant la crise (12% contre 6%) et le taux de chômage des 16-24 ans atteint 40 %. L'Italie est aussi le pays européen qui compte le taux le plus élevé de travailleurs partiels involontaires.

La CGIL, se qualifiant de « keynésienne », a proposé un plan de relance de l'emploi par les investissements publics et la hausse de l'emploi public dont la part a diminué depuis 2009 du fait du blocage des salaires de la fonction publique et de l'arrêt des recrutements. Les nouvelles embauches viseraient des secteurs hors concurrence internationale comme la prévention antisismique, la préservation du patrimoine artistique, les infrastructures, etc. Ce plan représenterait un effort financier de 10 Mds par an (soit l'équivalent du coût budgétaire annuel du Jobs Act déjà approuvé pour 2016 et 2017). Une discussion serait ouverte sur le sujet de l'emploi public entre les syndicats et le gouvernement.

La CGIL indique qu'il n'y a eu aucune consultation des syndicats par le gouvernement à l'occasion de la préparation du Jobs Act, sans que cela n'ait d'ailleurs entrainé de réaction négative particulière de la CGIL. Restant opposée sur le fond à ce texte, la CGIL a organisé une pétition qui a recueilli 3 millions de signatures, lui permettant d'engager une procédure de proposition de referendum visant à l'abrogation de certaines de ses mesures (le référendum pourrait avoir lieu en mars 2017). Les seuls sujets en cours de négociation « officielle » entre gouvernement et partenaires sociaux sont actuellement la reconstruction post séisme et les retraites.

Pour la CGIL, le Jobs Act est un « cadeau » fait au patronat sans que celui-ci ne le demande (comme l'aurait confirmé le Président précédent de la Confindustria, Giorgio Squinzi). Le patronat demanderait plutôt un allègement de charges sur la part de salaires lié à la productivité et négociable au niveau décentralisé. La CGIL soutient l'objectif de hausse de la productivité, mais pas en diminuant les coûts salariaux unitaires par une hausse de la charge de travail mais plutôt en promouvant l'effort d'innovation et d'investissement, soulignant que selon l'Institut statistique italien, le problème de productivité viendrait plutôt du capital que du travail. Elle note d'ailleurs que le coût du travail en Italie n'est pas plus élevé que dans les autres pays de l'UE en valeur absolue et que la différence provient uniquement de l'écart de productivité. La CGIL ne revendique pas d'augmentation des salaires, compte tenu de la situation de l'emploi.

En ce qui concerne l'indemnisation du chômage, les mesures principales sont la suppression (prévue pour 2017 par le Jobs Act) des caisses de chômage dites « dérogatoires » non financées par les cotisations sociales mais par l'impôt, la réduction des indemnisations (estimée entre 10 et 20%) et l'extension de la couverture de l'indemnisation chômage aux travailleurs indépendants. Ces mesures sont très récentes et leur effet est donc difficilement appréciable.

S'agissant de l'inactivité des jeunes, la CGIL précise que le taux de chômage est de 40% pour les 16-24 ans mais passe à 20% pour les 16-34 ans avec la répartition suivante sur 10 jeunes (jusqu`à 34 ans) : 4 étudiants, 3 actifs (2 en CDI, 1 en contrat précaire), 3 inactifs (1 chômeur inscrit, 1 « découragé » non inscrit au chômage, 1 en travail irrégulier). La CGIL estime que le travail non déclaré représente 20% du PIB.

II. Rencontre avec M. Paolo Sestito et Mme Eliana Viviano, économistes au département « structure économique » de la Banque d'Italie

L'Italie a introduit des mesures de flexibilité du marché du travail depuis environ 20 ans. Elles portaient sur l'extension des possibilités de recours au travail temporaire et sur la création de contrats de travail non standard. Il en est résulté une forte dualité du marché de l'emploi.

Depuis 5 ans, le gouvernement est revenu en arrière avec d'abord en 2012 la réforme Fornero portant sur la restriction du recours au travail temporaire, puis en 2014 la baisse des coûts du licenciement pour les nouveaux CDI créés par le Jobs Act. Mais cette réforme ne s'applique qu'aux nouveaux contrats afin d'éviter une incitation à licencier.

Pour les entreprises, elle se traduit par une réduction du degré d'incertitude, antérieurement, le juge étant libre de statuer sur la juste cause et le montant de la compensation de même qu'il pouvait décider de l'obligation de réintégration. Celle-ci est désormais réservée aux cas de licenciements discriminatoires et l'indemnisation est plafonnée.

Les réformes ont tenu compte des demandes des partenaires sociaux, toutefois l'actuel gouvernement a joué un rôle plus actif dans la réforme du droit du travail que les gouvernements précédents (qui déléguaient la négociation aux partenaires sociaux).

L'objectif principal de la réforme est la réduction de la dualité du marché du travail en Italie, ce que recommandaient la Commission européenne et la BCE.

En ce qui concerne les exonérations fiscales prévues pour favoriser les nouveaux CDI, les résultats de l'étude réalisée par la Banque d'Italie confirment un effet positif sur la demande de travail des entreprises. Dès l'annonce des grandes lignes de la réforme en 2014, une augmentation de l'emploi a été enregistrée par effet d'anticipation, comme cela avait été observé en France en 2008 lors de la mise en place de la prime à l'embauche. Au total, l'impact du Jobs Act sur la hausse des embauches aurait été plus important que prévus dans les estimations économétriques réalisées par la Banque d'Italie. Selon la Banque d'Italie, les aides fiscales sont des outils très performants pour donner un choc à l'économie et au marché du travail. Mais à long terme, il faut des changements réglementaires plus structurels, d'où la réforme du licenciement et les réponses à apporter au problème de la réduction du coût du travail.

S'agissant de la méthode, il est certain que le dialogue social a diminué depuis 2011 mais l'Italie était alors dans une situation d'incapacité à se réformer. Compte tenu de l'urgence de la situation, le gouvernement a décidé d'intervenir plus directement. A plus longue échéance, la négociation reprendra sa place et le gouvernement a déjà incité les partenaires sociaux à se saisir d'autres sujets. L'autre défi à relever est celui des politiques actives de l'emploi. Une Agence nationale a été créée mais elle mettra du temps pour être totalement opérationnelle.

Un des handicaps de l'Italie est la faiblesse des investissements en recherche et développement (R&D). Depuis 2 ans un dispositif de même type que le crédit impôt recherche français a été mis en place. Il n'existe pas d'étude de bilan mais le retard italien dans ce domaine est certain. L'Italie consacre entre 1,2 et 1,3% de son PIB à la R&D publique et privée contre 2% pour la France. Il y aurait besoin d'un soutien de la croissance au niveau européen et, à l'échelle nationale, de poursuivre les réformes structurelles notamment sur l'indemnisation du chômage dont il est important de souligner que la nouvelle réglementation ne s'applique pas à tous les travailleurs. Elle constitue cependant un progrès du fait de l'extension aux travailleurs indépendants.

S'agissant de la proposition du ministère de l'économie et des finances italien de créer un fonds européen d'indemnisation qui interviendrait en soutien temporaire des politiques nationales en cas de crise exceptionnelle ou de choc asymétrique dans un Etat-membre, la Banque d'Italie précise qu'elle s'apparente à celle faite par le Trésor français il y a quelques années.

La proposition italienne ne prévoit pas d'harmonisation des règles d'indemnisation à l'échelle de l'UE, la Banque d'Italie estimant irréaliste d'envisager à court et moyen terme une telle harmonisation, mais un objectif de plus court terme pourrait être de renforcer la conditionnalité des politiques actives. Il est relevé qu'aux Etats-Unis, il y a des politiques différentes entre Etats mais il existe un fonds fédéral.

III. Rencontre avec M. Maurizio Del Conte, professeur de droit du travail, président de l'ANPAL ( Agenzia nazionale per le politiche del lavoro ) et conseiller à la Présidence du conseil des ministres

Les principaux points abordés sont les suivants :

- Sur le droit du travail italien, il est faux d'affirmer qu'il existerait une quarantaine de types de contrats de travail. Il en existe au plus une dizaine, qui se déclinent sous plusieurs formes. La seule distinction pérenne et incontestable dans les statuts des travailleurs oppose le travail subordonné au travail indépendant.

- La réforme du travail se poursuit au-delà du Jobs Act. Début 2016, le gouvernement italien a approuvé un nouveau projet de loi sur le «smart working». L'objectif est de favoriser la diffusion des formes de travail flexibles. Ceci dans le but d'accroître la productivité tout en facilitant la conciliation entre temps de vie et de travail. Ce type de travail entre dans la catégorie des contrats de travail incluant un rapport de subordination entre le salarié et l'employeur. Il répond à une demande de nombreux salariés.

- L'Italie rencontre des difficultés particulières avec la fraude ou les effets d'aubaine concernant les aides fiscales et les dispositifs simplifiés de type vouchers. Ouverts à tous (particuliers, associations, entreprises) ce nouveau dispositif qui vise à réduire la part du travail souterrain est limité à 7000 euros/an pour le bénéficiaire et 2000 euros pour l'employeur. De nouvelles dispositions pour assurer sa traçabilité ont été décidées.

- La création d'une agence nationale pour les politiques actives du travail [dirigée par M. Del Conte] vise à accompagner la recentralisation de ces politiques, confiées aujourd'hui constitutionnellement aux Régions, et à garantir un niveau minimal de prestations à destination des demandeurs d'emploi et des entreprises de manière homogène sur l'ensemble du territoire national. La recentralisation de cette compétence est prévue dans le projet de loi constitutionnelle (référendum attendu pour novembre 2016) mais l'agence est en capacité de fonctionner et de produire des effets même en cas de rejet de cette réforme.

IV. Rencontre avec M. Giulio De Caprariis, directeur adjoint du département « Politiques sociales » à la Confindustria

La réforme du Jobs Act s'inscrit dans un plan de réforme qui a débuté il y a 15 ans. C'est une réforme qui vise à plus de souplesse et de flexibilité à l'entrée et à la sortie du marché du travail en utilisant 3 instruments : la réforme du licenciement, les amortisseurs sociaux et, dans une certaine mesure, la simplification des règles juridiques. La question du dialogue social n'est en revanche pas traitée dans la loi (à la différence de la loi travail française).

Certains éléments sont similaires aux modifications portées en France par la loi « travail » mais la procédure d'adoption n'a pas donné lieu, comme en France à une négociation avec les partenaires sociaux.

Un point positif pour la Confindustria est l'aboutissement de la réforme du licenciement, sous réserve de l'application concrète que fera la justice des nouvelles règles. Les licenciements individuels non justifiés donneront lieu désormais seulement à une indemnisation économique. Toutefois il faut noter que cette règle ne s'applique qu'aux nouveaux contrats, ce qui est regrettable pour Confindustria. C'est une limite importante mais elle résulte d'un compromis politique. En outre les indemnités sont plafonnées ce qui diminue l'incertitude des entreprises.

Un des volets les plus importants de la réforme est le choix de privilégier les politiques actives de l'emploi par rapport aux politiques passives. Les sommes engagées dans les politiques passives s'élèvent à 25 Mds d'euros contre 5 Mds d'euros pour les politiques actives. Ce déséquilibre a pour origine notamment que les entreprises licenciaient en priorité les salariés de plus de 50 ans en raison d'un système de préretraite très intéressant. Un salarié pouvait bénéficier de 7 à 8 années d'accompagnement avec un système complexe comportant une caisse de chômage technique, des caisses de chômage dite « dérogatoires », une allocation de mobilité, une prolongation d'indemnisation d'une année en cas de crise exceptionnelle ... ces modalités n'étant pas les mêmes pour tous les secteurs d'activité.

Le Jobs Act a eu des effets positifs sur l'emploi, particulièrement en 2015. L'emploi a augmenté, et surtout en CDI, même si le cycle économique n'est pas favorable : la progression du PIB est de 0,7% contre 1,2 attendus et l'année 2016 enregistrera un ralentissement de l'économie italienne.

S'agissant des incitations fiscales, la demande du patronat porte sur la détaxation de la part de rémunération négociée au niveau de l'entreprise afin d'obtenir une évolution des rémunérations en fonction de la productivité.

Les exonérations fiscales prévues dans le Jobs Act n'ont porté que sur les nouveaux contrats. En 2015 cela a représenté un coup de pouce important, et en 2016 malgré la diminution de moitié des exonérations, l'emploi est resté stable. La Confindustria espère beaucoup de l'introduction de la détaxation de la part du salaire liée à la productivité qui doit intervenir en 2017. Elle demande un doublement des plafonds des salaires concernés (aujourd'hui limité aux salariés dont le salaire est inférieur à 50.000 euros/an). Toutefois comme ces mesures fiscales ne sont pas pérennes, elle demande d'autres mesures de soutien et notamment :

- Une réforme du système de retraite

- La suppression totale de l'IRAP (taxe professionnelle locale)

- Une aide fiscale aux investissements en particulier pour compenser la faiblesse de l'investissement en R&D qui est lié à la petite taille des entreprises italiennes et à la faible qualification de la main d'oeuvre

- Lissage des seuils portant sur la taille des entreprises.

L'industrie italienne a perdu depuis 15 ans 30% de sa compétitivité du travail par rapport à l'Allemagne. C'est dû au coût du travail malgré un coût unitaire dans la moyenne.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page