B. AUDITION DE M. CHRISTOPHE SIRUGUE, DÉPUTÉ, AUTEUR DU RAPPORT « REPENSER LES MINIMA SOCIAUX - VERS UNE COUVERTURE SOCLE COMMUNE », REMIS AU PREMIER MINISTRE

M. Jean-Marie Vanlerenberghe , président - Nous avons le plaisir d'accueillir notre collègue député Christophe Sirugue, au titre du travail qu'il a effectué, en qualité de parlementaire en mission, sur la réforme des minima sociaux.

Monsieur le député, votre travail a débouché sur la remise d'un rapport au Premier ministre le 18 avril dernier que vous avez intitulé : « Repenser les minima sociaux - Vers une couverture socle commune ».

Vous proposez dans votre rapport trois pistes d'actions, d'inégale ambition : des mesures de simplifications immédiatement susceptibles d'être mises en oeuvre, une réduction par deux des minima sociaux par regroupement de certaines des dix allocations existantes à ce jour, enfin une réforme très ambitieuse conduisant à l'instauration d'une couverture socle « unique » commune à tous, et qui serait le cas échéant assortie de prestations sociales complémentaires pour régler certaines situations.

Notre mission commune d'information a souhaité pouvoir vous entendre et échanger avec vous car, à l'occasion de cette réflexion menée sur la réforme des minima sociaux, vous vous êtes intéressé au revenu de base. Mais, si vous vous êtes penché sur le revenu de base, vous l'avez néanmoins écarté, en considérant qu'il ne constituait pas la solution la plus pertinente pour l'objectif que vous poursuiviez, à savoir la lutte contre les exclusions.

Nous souhaiterions donc tout particulièrement que vous puissiez nous éclairer sur les raisons qui vous ont conduit à cette solution.

Avant de vous laisser la parole, peut-être notre rapporteur, Daniel Percheron, souhaite-t-il compléter mon propos et vous poser quelques questions ?

M. Daniel Percheron , rapporteur - La France est la République la plus « sociale » : le financement de la protection sociale représente 34 % de son produit intérieur brut (PIB).

Dans son rapport, Christophe Sirugue passe de l'univers kafkaïen des aides sociales, dont seuls les conseils départementaux possèdent les clés au nom de la proximité, à l'esquisse d'une fable de La Fontaine dont la morale serait que la protection sociale est pour tous une exigence, une réalité et un succès amplement démontré. Je vais laisser le charme opérer depuis la Saône-et-Loire, terre de complexité...

M. Christophe Sirugue, député - Après une telle introduction, la barre est haute !

Vous l'avez rappelé dans votre propos introductif, la mission qui m'a été confiée ne portait pas sur la mise en place d'un revenu universel, mais sur l'évaluation des différents minimas sociaux existants. Le rapport que j'ai remis au Premier ministre a donc consisté à étudier les dix minimas sociaux existants en France, et à faire quelques constats qui sont relativement préoccupants : si nous avons une couverture sociale extrêmement développée dans notre pays, force est de constater qu'elle est parfois difficilement accessible, très souvent injuste si l'on considère le fait qu'à ressources identiques on peut relever de dispositifs différents, et d'une grande complexité pour les personnes qui en sont les allocataires mais aussi pour ceux qui instruisent les demandes d'aide.

Nos minimas sociaux sont le fruit de notre histoire et de la réponse apportée à certains problèmes à différentes périodes. Ce sont donc des dispositifs juxtaposés, sans que personne n'ait cherché à organiser un quelconque lien entre eux. Ceci explique le manque de cohérence entre ces dispositifs. Par principe, ces minimas correspondent à des statuts : tel statut ouvre droit à tel minimum social. Ceci est une source d'iniquité importante, puisque les ressources de référence prises en compte dans le calcul des minimas sont différentes : certains sont soumis à forfait - par exemple, un forfait logement est pris en compte dans le calcul du revenu de solidarité active (RSA) -, les critères d'âge sont variables - parfois légitimement, pour ce qui est notamment de l'allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA) -, certains donnent lieu à des exonérations fiscales, d'autres non, certains ont un montant est un différentiel, d'autres un montant fixe...

Par ailleurs, les droits connexes, qui représentent parfois un apport complémentaire de revenus important, sont variables d'un minimum social à l'autre. Ces aides ont outre une connotation différente : personne ne reprochera à un allocataire de percevoir l'ASPA ou l'allocation adulte handicapée (AAH), alors qu'il existe des débats récurrents autour de la légitimité du RSA.

La commande du Gouvernement fixait à la mission qui m'a été confiée trois objectifs relatifs à l'accès au droit, à la simplification et à l'équité, et formulait deux recommandations : être vigilant quant à l'impact des évolutions proposées sur les opérateurs et essayer de réaliser une évaluation financière des propositions.

À l'issue de nos travaux, nous avons proposé trois scénarios. Un premier scénario que je qualifie de « paramétrique », essaie de tenir compte des dix minimas sociaux existants, sans remettre en cause la philosophie des minimas par statut. Ce modèle propose d'harmoniser les « bases ressources » des aides, les périodes de référence - actuellement cela peut aller de l'année n-2 jusqu'aux trois derniers mois -, de clarifier la question de leur individualisation ou de leur familialisation, et d'avancer sur la question de l'âge d'éligibilité - il s'agit en l'occurrence pour moi d'une réflexion qui doit valoir pour tous les scénarios.

Maintenir les minimas sociaux existants tout en essayant d'harmoniser leurs paramètres n'est pas un exercice aisé à opérer, surtout au regard de l'écart des sommes qui sont versées entre l'aide la plus faible, qui s'élève à 340 euros, et l'aide la plus élevée qui est de 807 euros.

Le deuxième scénario s'inspire de ce que préconisait la Cour des comptes : regrouper les minimas sociaux par « pôles ». Je n'ai pas complètement suivi la classification de la Cour, et je propose pour ma part cinq pôles : un pôle relatif au handicap dans lequel on retrouve l'AAH et l'allocation supplémentaire d'invalidité (ASI), qui semblent devoir faire l'objet d'une harmonisation ; un pôle concernant les personnes âgées, qui comporte l'ASPA ; un pôle relatif à l'aide en direction des demandeurs d'asile, qu'il me paraissait difficile de regrouper avec d'autres aides ; un pôle relatif au revenu minimum qui comprendrait le RSA, l'allocation veuvage, le revenu de solidarité dans l'outre-mer (RSO), ainsi que les autres dispositifs relevant de la même logique ; enfin, un pôle constitué par l'allocation de solidarité spécifique (ASS) .

Au départ, la commande était de fusionner le RSA et l'ASS, mais l'étude que j'ai menée montre que cela risquerait de faire un nombre de perdants substantiels chez les bénéficiaires de l'ASS. Je plaide toutefois pour une réforme de l'ASS qui est censée accompagner les demandeurs d'emploi en fin de droit et où l'on retrouve des personnes bénéficiaires depuis plus de dix ans. C'est une forme d'hypocrisie que d'avoir un dispositif qui accompagne les personnes jusqu'à l'âge de la retraite sans le dire. Je suis donc favorable à ce que l'on réduise la durée de versement de l'ASS à deux ans, période à l'issue de laquelle les personnes basculeraient vers le RSA.

Le troisième scénario, qui a ma préférence, consiste sortir de la logique de statut pour revenir au droit commun. Il s'agit d'avoir un socle de couverture commun permettant un traitement équitable des différentes situations qui en relèvent. Ce socle, de 400 euros, serait assorti de deux compléments : un complément pour les personnes dans l'impossibilité de travailler, qu'elles soient âgées ou handicapées, pour arriver à un montant comparable à celui de l'AAH et de l'ASPA ; un complément de 100 euros pour les personnes inscrites dans un processus d'insertion, ce qui permettrait une légère amélioration par rapport au montant actuel - hors forfait logement, le montant du RSA est de 477 euros. Surtout, ce dispositif serait totalement individualisé, ce qui fait permettrait une amélioration substantielle de la situation des personnes en couple.

La question qui se pose est de savoir comment revaloriser l'idée qu'on a vocation à sortir des minimas sociaux. Je suis frappé par le fait qu'on apprécie la question des minimas sociaux indépendamment des politiques d'insertion. Or, si les minimas sociaux ont toute leur utilité pour les personnes qui n'ont pas d'autre possibilité que de relever de ces dispositifs, il en est tout autrement des personnes dont notre devoir est de les amener à en sortir.

Cela pose la question des politiques d'insertion. Le constat, c'est qu'il y a un effondrement des moyens consacrés aux politiques d'insertion dans notre pays. Alors qu'au moment du revenu minimum d'insertion (RMI) il existait une obligation de consacrer 20 % de l'enveloppe de l'aide aux politiques d'insertion, cette obligation a disparu depuis. Un peu plus de 7 % des montants des allocations versées sont actuellement consacrés aux politiques d'insertion, alors même que nous aurions besoin d'actions fortes dans ce domaine.

Les politiques d'insertion sont essentiellement menées par les conseils départementaux, qui sont dans une situation financière difficile compte tenu des politiques sociales qu'ils mènent par ailleurs au profit des personnes handicapées, des personnes âgées et des personnes en situation d'exclusion. Mais je ne suis pas sûr que cela soit la seule explication de la baisse des moyens consacrés à l'insertion.

Ayant été président de conseil départemental, je m'autorise à être sévère avec les départements. Aujourd'hui, dans beaucoup de départements, les politiques d'insertion ne comportent plus d'éléments innovants. La plupart du temps, on se contente de continuer à financer les chantiers et les structures d'insertion existants ; parfois les subventions diminuent. Mais il n'existe quasiment plus d'innovation sociale en matière d'insertion. J'ai d'ailleurs échangé sur ce point avec le président de l'Assemblée des départements de France. J'ai donc proposé que le paiement du RSA soit renationalisé ou recentralisé - mais pas intégralement afin qu'il reste une forme d'incitation en direction des départements - au risque de voir sinon cette politique publique nationale être déclinée très différemment d'un département à un autre. Les déclarations entendues ici ou là montrent que ce risque existe...

Une autre question importante et non réglée est celle du pilotage territorial du service public de l'emploi. Lorsque l'on regarde ce qu'il se passe sur nos territoires, je ne suis pas sûr que les difficultés résultent d'un manque de moyens. Si l'on considère les moyens de Pôle emploi, des missions locales, de Cap emploi, des maisons de l'emploi, etc., je suis même intimement convaincu que c'est moins une question de moyens que d'organisation de l'action du service public de l'emploi. Cet élément n'a pas été clarifié : nous avons donné des compétences économiques aux régions, des compétences d'insertion aux départements, nous laissons émerger des agglomérations qui interviennent dans ces domaines, mais l'État continue de vouloir jouer un rôle sur l'ensemble de ces politiques. Or, la révision générale des politiques publiques (RGPP) étant passée par là, il ne reste plus beaucoup de personnel suffisamment formé dans les préfectures et sous-préfectures pour pouvoir appuyer l'action menée. Cela ne se produit que lorsqu'un sous-préfet est mobilisé sur ces questions et décide d'animer les choses.

Il me semble que le troisième scenario, qui permet de créer un socle unique, est un point de départ pour la mise en place éventuelle d'une allocation universelle.

Ce débat ne peut toutefois pas avoir lieu sans que soit posée la question de la fiscalité, qui dépasse le champ qui était celui de mon rapport.

Au-delà des questions techniques, il faudrait également s'interroger sur la finalité d'une telle allocation : s'agit-il d'un complément de revenu, d'une substitution aux dispositifs et allocations existants à dépense constante ou d'une transformation de notre système d'aides sociales ?

Mettre en oeuvre un revenu universel dont le niveau serait suffisant pour vivre poserait la question du rapport de notre société au travail.

Même si des expérimentations ont pu être menées à l'étranger, nous ne disposons pas aujourd'hui de retours d'expérience suffisants pour nous appuyer sur un modèle. L'exemple de l'Alaska, basé sur la rente pétrolière, est difficilement transposable, et l'expérimentation finlandaise n'est que partielle et présente une certaine incertitude juridique.

Quoi qu'il en soit, il est nécessaire, avant d'avoir un débat plus approfondi sur la question, de mettre en oeuvre un socle unique comme le propose le troisième scenario de mon rapport.

M. Daniel Percheron , rapporteur . - Quel regard portez-vous sur l'expérimentation « territoires zéro chômeur de longue durée » d'une part, et sur la garantie jeunes d'autre part ?

M. Christophe Sirugue, député . - J'ai soutenu ces deux dispositifs en tant que député.

Concernant l'expérimentation « zéro chômeur », qui consiste à offrir un CDI à des personnes en situation d'exclusion, le dispositif ne résout pas la question de la sortie du dispositif. Si on n'envisage pas l'accompagnement en termes de parcours, on maintient les personnes dans l'exclusion et la stigmatisation, à l'image des limites de l'allocation de solidarité spécifique (ASS).

La garantie jeunes fonctionne bien. Elle s'adresse à un public choisi et volontaire et s'appuie sur la mobilisation d'entreprise. Sa généralisation ne doit pas la transformer en droit opposable, sous peine de remettre en cause son efficacité.

Plus largement, je pense qu'il faut distinguer la politique publique de l'outil utilisé, et ne pas réduire l'une à l'autre.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe , président . - Les dispositifs de lutte contre l'exclusion se caractérisent par une trop grande incohérence dans le pilotage des différents acteurs : Pôle emploi, les missions locales, les départements... Chacun a un point de vue qui est légitime du fait de ses missions propres, mais cette diversité ne permet pas une action efficace.

Je partage par ailleurs votre interrogation sur la place de la valeur travail.

M. Christophe Sirugue, député . - Il existe plusieurs approches de cette question. On sait que les évolutions technologiques auront un effet sur le nombre d'emplois offerts par l'économie. Le revenu universel doit-il traduire un changement de paradigme ?

Mme Anne-Catherine Loisier . - Quelle efficacité peut avoir le revenu de base dans la lutte contre la pauvreté, et quel regard portez-vous sur la réforme mise en oeuvre au Royaume-Uni ?

M. Christophe Sirugue, député . - Le revenu universel peut s'inscrire dans le cadre d'une politique de lutte contre la pauvreté en permettant un reformatage des dispositifs existants.

L'exemple anglais a des limites : il a fait beaucoup de « perdants » et a entraîné une explosion des coûts liés à la fusion des opérateurs plutôt que des économies de gestion.

Plus largement, je me méfie des modèles, qui ne tiennent pas compte des spécificités de chaque pays. Notre système de sécurité sociale est unique dans son champ. Il couvre de nombreux domaines qui relèvent ailleurs de la logique assurantielle.

Le scénario 3 de mon rapport nécessite d'approfondir les études avant de pouvoir être mis en pratique.

M. Yves Rome . - Seul le travail monétarisé est évoqué dans le rapport. Or il existe de multiples secteurs d'activité qui créent du bien-être et qui ne sont pas solvables au sens de l'économie de marché.

C'est une vieille lune de croire que la numérisation de la société va faire disparaître bon nombre de métiers traditionnels. On oublie de dire qu'elle en créé de nombreux autres. L'économie collaborative fait émerger de nouvelles activités qui finissent par être monétarisées. Je recevais ce matin le fondateur de Heetch, qui a déjà transporté plus de 3 millions de passagers en moins de trois ans, et qui fournit à des jeunes une activité et un complément de revenu d'en moyenne de 6000 euros par an. Ce type de changements que peut apporter l'économie collaborative n'est pas suffisamment pris en compte.

Il existe de nombreux secteurs de l'économie liés au bien vivre ensemble qui permettent l'émergence de nouvelles activités et qui redonnent aux personnes une apparence d'utilité sociale. Pour lutter contre l'isolement des personnes âgées maintenues à domicile, j'avais par exemple mis en place dans mon département des « visiteurs de convivialité », car ce dont souffrent le plus les personnes âgées, c'est de la solitude.

S'agissant du revenu universel, il n'y a pas de modèle, et les différentes pistes méritent d'être creusées. La vraie question qui se pose est de savoir quelle fiscalité adopter. Si l'on reste dans le système d'aujourd'hui, il ne sera pas possible d'avancer. En revanche, si l'on prend en compte les évolutions très fortes qui traversent l'organisation de la société et de la production, il y a peut-être d'autres leviers fiscaux qui pourraient être utilisés afin de solvabiliser un éventuel revenu de base.

M. Christophe Sirugue, député . - Je ne vais pas transposer ici les débats sur la « loi travail », mais il ne faudrait pas faire comme s'il y avait un vase communiquant entre les emplois qui disparaissent et ceux qui émergent. La réalité, c'est que les nouveaux emplois ne correspondent pas forcément à ceux que l'on connaît aujourd'hui.

Une des difficultés, lorsque l'on considère l'économie collaborative, c'est la qualification de la relation entre le donneur d'ordre et celui qui exécute la tâche. Sur ce point il faut être prudent, car requalifier en salariat les activités exercées pose un vrai problème, tout comme oublier qu'il s'agit quasiment de relations de gré à gré.

Le travail continue à être l'élément prédominant de la situation d'une personne dans la société, soit par la ressource qu'elle en retire, soit grâce à la place qu'elle occupe socialement. L'émergence de ces nouveaux emplois, qui ne sont pas comme ceux que l'on connaît aujourd'hui, pose une vraie difficulté et appelle à être vigilant.

Je ne sous-estime pas le fait que l'économie du numérique puisse créer des emplois. Mais malheureusement, on ne perd pas autant d'emplois qu'on en créé, et on ne crée pas le même type d'emplois.

Je ne comprends pas comment on peut aborder la question de la mise en place d'un revenu universel sans commencer par celle de la fiscalité. En soi, tout le monde peut être d'accord avec l'idée d'un revenu universel, mais le résultat peut être très différent selon le mode de financement choisi. Il s'agit d'un aspect essentiel ; si l'on élude la question de la fiscalité, on se trompe. Si j'avais dû faire un rapport sur le revenu universel, la moitié de mes travaux aurait porté sur la question du financement, et donc de la fiscalité.

En Finlande, les organisations syndicales défendent le revenu universel comme moyen de lutter contre la pauvreté, ce qui n'est pas tout à fait la vision du Gouvernement. Pourtant il y a un accord sur l'idée d'expérimenter un revenu universel.

Certains collègues parlementaires ont introduit et soutenu l'amendement Ayrault-Muet. Je regrette que ce débat ait pris la forme d'un amendement et qu'il n'ait pas été posé sur la table et davantage étayé. Lors de la remise de ce rapport, j'ai dit au Premier ministre que si la question était de savoir si ce que je proposais étaient les prémisses d'un revenu universel, il serait nécessaire de lancer une nouvelle mission de six mois pour creuser le sujet. Mon rapport ne pose pas les bases du revenu universel, bien que l'on puisse peut-être considérer que l'existence d'un socle commun constitue une première marche...

M. Pierre Camani . - Je partage totalement ce qui vient d'être dit : la question fiscale est essentielle. La mise en place d'un revenu de base est inséparable d'une réforme fiscale.

Une expérimentation locale, à l'échelle d'une intercommunalité ou d'un département, ne pourrait-elle pas nous permettre d'avancer sur le sujet ? Encore une fois, la problématique est tellement complexe qu'aucune solution n'est idéale.

M. Christophe Sirugue, député . - Il y a quelques jours, la Suisse a voté sur l'introduction d'un revenu de base. Suite à un débat agité, le référendum s'est traduit par un refus.

Quand on a un projet qui est aussi ambitieux que celui-là, qui vient chahuter de manière forte des piliers entiers de notre modèle social, deux options sont possibles: soit il convient de préparer la réforme quatre ou cinq ans à l'avance, en organisant de grands champs de concertation, d'analyse, de confrontations ainsi qu'un grand débat public ; soit on considère qu'il faut expérimenter - mais si l'expérimentation est réalisée sur un échantillon trop faible, il y aura toujours des personnes pour expliquer que les conclusions ne sont pas fiables.

Il faut par ailleurs se poser la question du financement existant de la redistribution, qui n'est pas que fiscal - je pense notamment aux aides sociales. La question est de savoir comment faire, en cas d'expérimentation d'un revenu de base, pour isoler correctement les différentes sources de financement de l'aide sociale.

L'intérêt d'une expérimentation, c'est qu'elle soit menée dans les conditions les plus proches possibles de ce que l'on veut faire. L'échantillon doit être suffisamment important, de même que la durée d'expérimentation.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe , président . - Je suis en convergence totale avec vous : il faut une réflexion en profondeur sur le financement du revenu de base par la fiscalité. Mais une telle réforme fiscale constituerait une révolution... Voulons-nous aller jusque-là ?

M. Daniel Percheron , rapporteur . - Notre collègue député a été lumineux. Il a présidé un conseil départemental et il est l'un de ces contremaîtres à la française, artisans d'un État-providence qui est, même si l'air du temps ne permet pas d'entendre, le plus complet en Europe. Face à la mondialisation, à la crise, aux nouvelles technologies, le malentendu est en train de s'installer.

À aucun moment, dans la réponse à la crise, il n'y a eu de vraie tentative de mise cohérence des minimas sociaux. Après les Trente Glorieuses, sous le septennat de Valérie Giscard d'Estaing, on est passé de 32 % à 39 % de prélèvements obligatoires pour répondre à la crise. En 2008, ce sont les amortisseurs sociaux qui ont permis que la crise épargne relativement les français.

Cette complexité et cette absence de cohérence des minimas sociaux nous privent d'une véritable « traçabilité » dans le domaine social. C'est dans ce contexte que renaît l'idée d'un revenu universel et ce besoin, face aux nouvelles technologies, face à la panne de l'ascenseur social, face au piétinement de la jeunesse devant l'emploi, de trouver une solution et de réinvestir dans l'État. Car c'est aussi de lui qu'on attend les solutions de demain.

Il y a un dans ce domaine un cadre de savoir-faire qui me semble s'imposer : le département, qui a failli disparaître, mais dans le cadre duquel le travail de proximité peut prendre toute sa place.

Il est des territoires, comme le Nord-Pas-de-Calais, où les mutations durent depuis 30, 40, 50 ans, où l'économie de marché ne parvient pas à ramener la prospérité et où le chômage des jeunes atteint parfois 40, 45 %, comme en Espagne. Ce sont des territoires où le revenu de base peut ouvrir des perspectives. Il nous faudra peut-être l'envisager. D'autant plus que dans ces territoires qui doutent, où la crise se prolonge, où les mutations à peine achevées voient arriver d'autres mutations, les forces de protestation deviennent petit à petit majoritaires. Nous ne sommes plus dans le cadre d'un débat politique classique. Les forces de négation et de protestation gagnent du terrain.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe , président . - Je pense qu'il faut éviter de tomber dans un débat où l'émotion et la subjectivité prennent trop de place. L'idée d'un revenu de base est un peu révolutionnaire, utopique...

M. Daniel Percheron , rapporteur . - C'est une utopie réaliste !

M. Jean-Marie Vanlerenberghe , président . - Ce que j'ai beaucoup apprécié dans le travail de Christophe Sirugue, c'est qu'il a apporté de la méthode dans un domaine qui en manque.

Je ne rêve pas de revenir à la planification, car c'est révolu. Mais faire une matrice de tout ce qui existe, comme vous l'avez fait, identifier le domaine du possible et expérimenter, avec méthode et gradualité, je pense que c'est la voie que nous devrions essayer de suivre.

M. Daniel Percheron , rapporteur . - Le rapport Sirugue est une première tentative de cohérence. C'est dans cette perspective que nous devons avancer.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe , président . - Absolument.

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