B. AUDITION DE M. LIONEL STOLERU, ANCIEN MINISTRE

M. Jean-Marie Vanlerenberghe , président . - Monsieur Stoleru, vous avez été ministre. Vous avez surtout milité pour l'institution d'un revenu minimum en France. Cela s'est concrétisé en 1988, avec la création de ce que l'on pourrait considérer comme l'allocation généralisée de l'époque, le RMI ou revenu minimum d'insertion. Cela fait plus de vingt-cinq ans que vous avez eu l'intuition de ce qui est aujourd'hui devenu le RSA, qui reste un outil important pour lutter contre la précarité et permettre à certains de bénéficier d'un revenu.

Vous êtes un ardent partisan du revenu universel. Vous l'avez récemment rappelé dans une tribune du Figaro . Le revenu de base recouvre une grande diversité de projets, de visions de la société. Ce débat traverse l'ensemble des formations politiques. Vous vous êtes prononcé à titre personnel pour un revenu fixé à 500 euros par mois, qui prendrait la forme d'un crédit d'impôt.

Le problème principal qui ressort de nos premières auditions, c'est le financement de ce revenu. Sur le principe même, des discussions perdurent. Ainsi, la question se pose en termes philosophiques et éthiques par rapport au travail : comment financer ce revenu, si le travail n'est plus premier ? À notre sens, c'est une difficulté. Si ce financement se fait par l'impôt, il faut des revenus, qu'il s'agisse de revenus sur le capital ou de revenus salariaux.

Nous attendons donc vos idées en la matière ; mais je laisse au préalable la parole au rapporteur.

M. Daniel Percheron , rapporteur. - Je commencerai par un souvenir, celui des jours heureux ! En 1988, vous préconisiez le RMI - c'était la seule grande proposition de François Mitterrand -, financé par le rétablissement de l'impôt sur les grandes fortunes. Tout le monde comprenait cette corrélation.

Avez-vous la même simplicité à nous proposer aujourd'hui pour le revenu universel ?

M. Lionel Stoleru. - Madame, messieurs les sénateurs, je vous remercie de votre invitation.

Nous allons nous évader de l'actualité et parler de la condition humaine. Monsieur le président, vous avez vous-même parlé de la dimension philosophique de cette question.

Les philosophes qui nous expliquent que la condition humaine est différente de la condition animale ont de quoi manger en se levant. Ce n'est pas le cas pour une grande partie de la planète, c'est-à-dire pour les 2 ou 3 milliards d'habitants, en Asie ou en Afrique Noire, qui ont pour seul souci en se levant le matin de se demander ce qu'ils mangeront dans la journée -comme les animaux.

Selon certains, la France et plus généralement les pays développés n'auraient pas ce souci. Grave erreur ! Plus d'un million de repas sont servis par les Restos du coeur. Coluche mérite un prix Nobel : il a réalisé une oeuvre admirable. Vous voyez comme moi des images de détresse de femmes, d'enfants qui font les poubelles, les déchets des supermarchés, qui se rendent sur les marchés vers quatorze heures. Tout cela est intolérable !

Il faut d'abord discuter du revenu universel en termes non pas techniques, mais philosophiques. Quelle idée se fait-on d'une société développée dans laquelle les citoyens ne peuvent pas satisfaire leurs besoins fondamentaux ? Ceux-ci sont au nombre de trois : manger, se soigner, se loger.

Je commencerai par ce dernier besoin, se loger. Il n'est pas dans notre sujet et, de l'abbé Pierre à aujourd'hui, personne ne sait comment le traiter. Les lois économiques du marché sont celles de l'offre et de la demande : quand on donne une aide personnalité au logement (APL) de 200 euros à un étudiant, le prix de sa chambre de bonne augmente d'autant ; le prêt à taux zéro a pour seule conséquence de faire augmenter le prix de l'immobilier.

À mon avis, le problème du logement est le plus difficile des trois besoins à régler. C'est le plus coûteux - 15 à 20 milliards d'euros d'allocations logement - pour des résultats très mauvais. Le revenu universel ne résout pas ce problème pour l'instant, mais il faudra bien l'intégrer un jour ou l'autre.

Le deuxième besoin, c'est se soigner. En France, le problème est résolu : le système de couverture sanitaire permet à peu près à tout citoyen d'avoir un accès aux soins quels que soient ses revenus.

J'en viens au premier besoin, manger. Sur ce sujet, l'histoire nous invite à pas mal de modestie. En Angleterre, on emprisonnait les pauvres ; aux Pays-Bas, ce n'était pas mieux. En France, la tradition catholique a été très ambiguë, en affirmant« heureux les pauvres d'ici-bas, puisqu'ils seront les riches dans l'au-delà ». C'est commode, cela permet de patienter, mais ce n'est pas une réponse au problème.

Certes, on peut avoir recours à des allocations en nature, mais ce n'est pas satisfaisant. Les tickets, comme cela se pratique aux États-Unis, n'ont jamais bien résolu le problème. Confucius disait : « Donne un poisson à un pauvre, tu le nourriras un jour ; apprends-lui à pêcher, tu le nourriras toujours. » Il faut compléter la formule : tu le nourriras toujours... de poissons ! Mais l'économie de marché permet d'échanger le poisson contre d'autres aliments. La solution au problème fondamental de manger, c'est de donner de l'argent.

Ce sujet me préoccupe depuis longtemps. Je suis un enfant de la guerre, issu d'une famille juive immigrée qui a vécu dans le dénuement total pendant la période nazie. Voir que le problème de l'alimentation n'est pas résolu aujourd'hui est pour moi intolérable.

Lorsque j'étais au cabinet de Valéry Giscard d'Estaing, alors ministre des finances, je lui ai demandé d'aller à Washington étudier pendant trois mois l'impôt négatif de Milton Friedman. Des tentatives avaient été lancées, après Kennedy, pour mettre en place l'impôt négatif, c'est-à-dire donner de l'argent à ceux qui n'en avaient pas. Une expérience a été menée à échelle réelle dans le New Jersey : on a distribué de l'argent à un groupe test et à un groupe neutre pour voir si cela suscitait des motivations différentes pour le travail.

Devant le Congrès américain, l'idée ne passait pas trop mal, jusqu'à ce que le président de la commission des affaires sociales du Sénat, opposé au système, réussisse à trouver un cas particulier : quelqu'un touchant la prestation du nouveau système gagnait plus en ne faisant rien qu'en travaillant. Le projet a été retoqué de peu.

Je suis rentré des États-Unis avec une forte connaissance économique, technique et politique du sujet et ai écrit un livre ; Vaincre la pauvreté dans les pays riches .

Je suis devenu le conseiller économique de Valéry Giscard d'Estaing, une fois celui-ci élu Président de la République. Son opinion était celle du Sénat américain : il estimait qu'il n'avait pas de majorité pour faire accepter que l'on paie des gens à ne rien faire, que l'incitation à la paresse ne passerait pas, etc. Or, sans que j'y sois pour rien, il a créé le minimum vieillesse. Cette décision ne posait pas de problème politique, puisque l'on ne pouvait accuser les retraités d'être des fainéants. Cela faisait partie du programme social. En outre, à l'époque, la France était un pays d'inflation, et l'inflation avait ruiné les rentiers. Le minimum vieillesse permettait de donner à manger aux retraités qui avaient tout perdu.

En 1981 a eu lieu le bouleversement politique que l'on sait. J'ai recommencé à donner des cours et continué à faire la promotion d'un revenu minimum, sans grand succès.

En 1988, François Mitterrand s'est présenté pour un second mandat. Il a écrit sa Lettre à tous les Français , que l'on trouvait dans tous les journaux et les magazines. On y lisait notamment : « Si je suis élu, je mettrai en oeuvre le RMI proposé par M. Stoleru. » Or je ne l'avais jamais rencontré ! Il a été élu, a nommé M. Rocard Premier ministre, lequel a constitué un gouvernement d'ouverture qu'il m'a demandé d'intégrer, afin de créer le RMI.

Pendant quinze ans, entre 1974 et 1988, ce dispositif était impossible. Tout à coup, cela devenait possible ! Il a fallu seulement trois semaines pour élaborer la loi sur le RMI, qui a été votée à l'unanimité. Quand on a une volonté, on fait les choses : c'est cela, la politique !

Nous avons créé le RMI, ce dont j'étais satisfait aux trois quarts seulement. En effet, le RMI est extrêmement simpliste : il s'agit de donner 460 euros à quelqu'un qui n'a rien du tout et, quand celui-ci gagne 100 euros, il perd 100 euros de RMI, de sorte qu'il n'a rien gagné du tout. Ce n'est pas du tout incitatif au travail.

J'ai conseillé à M. Rocard de rendre le dispositif dégressif, pour inciter les gens à travailler et à gagner de l'argent. Il n'a pas voulu, objectant que tout le monde comprenait le dispositif en l'état. En effet, cela concernait une tranche de la population qui n'était pas considérable et la somme versée n'était pas énorme. En outre, le RMI ne coûtait rien - 3 ou 4 milliards d'euros par an. Sur le plan politique, l'impôt sur les grandes fortunes rapportait autant, ce qui équilibrait les choses, même de façon hypocrite.

Une mesure simple votée à l'unanimité et qui ne coûtait rien : que demander de plus ? Or l'économie a ses lois : un système qui n'incite pas au travail n'est pas bon, surtout lorsque l'on entre dans des périodes de chômage de masse.

Le « I » de RMI signifie « insertion », mais ce n'était qu'un mot : personne ne pensait qu'il aurait un contenu, car on ne savait pas comment faire. Reste que, politiquement, cela faisait bien.

On s'est ensuite rendu compte des insuffisances du RMI. Martin Hirsch, qui venait de la gauche et travaillait pour Nicolas Sarkozy, comme je venais de la droite et avais travaillé pour François Mitterrand, a dynamisé le système avec le RSA. En effet, le revenu de solidarité active est un RMI dynamique : celui qui commence à gagner de l'argent ne se voit pas retirer du montant de son allocation la totalité de ce qu'il a gagné.

Un taux de dégressivité du RSA a été fixé. À ma grande surprise, Bercy a accepté celui de 62 %. Ainsi, celui qui gagne 100 euros voit son RSA diminuer seulement de 38 euros, il garde 62 euros. C'est beaucoup. Pourquoi Bercy a-t-il fait preuve d'une telle générosité ? J'en reste tout à la fois émerveillé et mécontent.

Le résultat mathématique de ce choix, c'est que cela coûte beaucoup plus cher, 10 milliards d'euros. En effet, cela concerne de plus en plus de personnes. En outre - c'est le reproche que je fais au système -, cela va trop loin. Si l'on retire 38 euros chaque fois que l'on gagne 100 euros, pour atteindre un RSA de zéro euro, il faut gagner un peu plus que le SMIC.

De fait, le RSA donne de l'argent non seulement à ceux qui n'ont rien, mais aussi aux travailleurs pauvres. Or ce n'est pas le sujet. C'est un mélange des genres très malsain. Les salaires, c'est une chose, la protection sociale contre la pauvreté et la misère, c'en est une autre.

Avec ce taux très généreux de 62 %, le RSA crée une confusion des genres dont on voit les conséquences aujourd'hui, notamment dans ce débat politique insupportable entre assistanat et assistance, surtout à droite. On a donc créé un débat sur un sujet qui n'en est pas un. Je continue à me demander pourquoi ce taux a été retenu. D'ailleurs, aucun citoyen concerné n'y comprend rien. Pour ma part, si j'avais été en charge de ce dossier, j'aurais proposé un système à 50-50, qui a le mérite de la simplicité : quand on gagne 1 000 euros, donc en dessous du SMIC, le RSA n'est plus versé.

La répartition 38-62 est tombée du ciel. Elle fausse les discussions actuelles et soulève un débat où l'on repose des questions que je pensais révolues sur l'assistanat et l'assistance.

Dans le RSA, le « A » d'« activité » n'a pas plus de contenu que le « I » de RMI. Là encore, cela fait bien dans le débat politique.

Martin Hirsch aurait pu faire voter le RSA à l'unanimité. Je n'ai toujours pas compris pourquoi la majorité de droite a tout fait pour que la gauche ne le vote pas, alors que celle-ci n'était pas du tout hostile à la transformation du RMI en RSA. On ne peut pas dire que l'on ait encouragé un vote consensuel sur ce sujet.

Je ne m'attarde pas sur la prime d'activité, qui regroupe le RSA et la prime pour l'emploi. C'est une bonne chose d'avoir supprimé la prime pour l'emploi, qui était totalement incompréhensible. La prime d'activité est le système actuel.

Le dernier rapport de Christophe Sirugue, dont j'apprécie beaucoup les travaux, a constitué une nouvelle péripétie. Voilà un député qui connaît à fond son sujet et qui accomplit un travail très approfondi et documenté. Son deuxième rapport est tout aussi remarquable que le premier : il fait un pas de plus et propose de fusionner la dizaine de minima sociaux dans le scénario n° 3, scénario qui me paraît très bien. La presse n'a parlé que de l'intégration des jeunes. Certes, cela fait partie du rapport et c'est un vrai sujet, mais ce n'est pas l'essentiel. Pourquoi, en laissant de côté le problème des jeunes, faudrait-il attendre deux ans pour mettre en oeuvre ce qu'il préconise ?

L'étape suivante, c'est le revenu de base ou revenu universel. De Milton Friedman au RMI, il s'est passé une quinzaine d'années ; du RMI ou RSA, vingt ans se sont écoulés ; du RSA au revenu universel, comptons de quinze à vingt ans. L'histoire est en marche ; elle ne s'arrêtera pas. En effet, le revenu universel est le débouché final normal dans les sociétés développées.

Le RMI a apporté une innovation importante en donnant de l'argent à n'importe qui, quel que soit son statut. Il n'y a pas de critères, contrairement aux prestations sociales. On perçoit le RMI quand on n'a pas de revenu. Le RMI est déjà universel, tout comme le RSA.

Le revenu universel va plus loin dans plusieurs domaines.

D'abord, le revenu universel est individualisé. C'est important. Alors que le RMI et le RSA sont familiaux, le revenu universel est individuel : on ne tient pas compte du fait que son bénéficiaire est marié ou pas. Chaque individu reçoit par exemple 500 euros. C'est plus généreux que le RSA, puisque, dans ce dernier cas, un couple ne perçoit pas deux fois 500 euros.

Ensuite - c'est une différence majeure -, on ne demande pas si l'on a des revenus. Il suffit d'être un citoyen français d'un certain âge - disons de vingt ans à la mort -, quels que soient ses revenus.

Ce débat a fait naître deux controverses fondamentales.

La première m'étonne toujours : on va donner de l'argent à ceux qui ne font rien ? Moi, contribuable, je vais travailler pour que les gens ne fassent rien ? On le fait pourtant déjà depuis 1988 avec le RMI, c'est-à-dire depuis vingt-huit ans. Je croyais le débat terminé et exorcisé depuis cette date ! À cette époque, on a accepté que les gens qui n'avaient rien aient de quoi manger : avec 500 euros, soit 15 euros par jour, on ne meurt pas de faim. Cette polémique resurgit. C'est assez déprimant.

Derrière ce débat, il y a une réflexion intéressante sur deux aspects de la condition humaine. D'une part, il s'agit de satisfaire un besoin fondamental : manger. D'autre part se pose la question du libre arbitre, et l'on peut raisonner ainsi : « Avec 500 euros par mois, j'ai de quoi manger. Pour ma part, ce qui m'intéresse, c'est de peindre des paysages. Si je n'ai pas de quoi me loger, tant pis. Je me contenterai d'une cabane. Cela me suffit. » Ou alors : « Moi, ce qui m'intéresse, c'est d'écrire de la poésie et des livres, peu importe qu'ils se vendent. » Pour ma part, je n'ai rien contre ces choix, d'autant que ceux qui ont une passion telle qu'ils acceptent de vivre ainsi ne forment pas foule. Peut-être que Van Gogh ne se serait pas suicidé s'il avait perçu le RMI. Misère et génie ne font pas forcément bon ménage. Quoi qu'il en soit, on peut supprimer la misère.

La seconde controverse, c'est le chèque à Mme Bettencourt : on donnerait 500 euros par mois à Mme Bettencourt ? Eh oui ! Mais personne ne voterait pour un candidat qui le proposerait ! À cette question, la réponse rationnelle, pour autant que l'on soit dans le pays de Descartes, serait : que voulez-vous que cela me fasse ? Mme Bettencourt paie X euros d'impôt sur le revenu. Elle en paiera X moins 500 euros par mois. Si cela vous choque tant que cela, on peut même créer une dernière tranche augmentée de 500 euros pour récupérer les 500 euros de Mme Bettencourt !

La réponse technique est facile ; la réponse politique l'est moins. Moi qui ai vécu la réponse politique pour des gens qui se trouvaient au bas de l'échelle, c'est-à-dire donner de l'argent à des gens qui ne font rien et encourager la paresse, je me rends compte que le débat sur le revenu universel attribué à des personnes appartenant à des classes socialement supérieures promet d'être intéressant ! C'est un débat 100 % politicien, puisque les solutions fiscales sont très faciles.

Pour vous, madame, messieurs les sénateurs, l'important, c'est ce qui se passe entre zéro - c'est-à-dire celui qui n'a rien et est dans la misère - et l'infini, c'est-à-dire Mme Bettencourt et les hauts revenus.

Pour ma part, cela ne me choque pas que M. Carlos Ghosn gagne un million d'euros par mois. S'il veut bien payer ses impôts en France, c'est très bien. J'ai professé l'économie de marché et écrit de nombreux livres sur le sujet : l'économie de marché s'accommode très bien d'un plancher de revenus ; en revanche, elle ne s'accommode pas du tout d'un plafond de revenus. Cela revient à la tuer, car elle est fondée sur l'enrichissement, notamment en économie ouverte.

Laissons Mme Bettencourt à sa fortune et Carlos Ghosn à son million d'euros mensuel et regardons ce qui se passe pour l'ensemble des Français.

Par rapport au RMI, au RSA et à la prime d'activité, le revenu universel a pour autre caractéristique majeure d'être fiscal. On sort du système social, composé en France des partenaires sociaux, des collectivités territoriales, des associations, de la gestion paritaire, etc. - vous le savez mieux que moi, c'est très compliqué et très cher en gestion. On balaie tout cela et il y a uniquement un système fiscal. En France, celui-ci fonctionne plutôt bien, comme dans la plupart des pays développés.

J'ai évoqué le système de soins. En France, il suffit d'aller sur internet pour consulter l'état de son compte santé.

Pour les impôts, on a maintenant un compte fiscal : la déclaration se fait en principe obligatoirement en ligne. Les revenus sont enregistrés, tout comme le montant des impôts. Chacun connaît donc l'état de ses comptes et ce qu'il doit, sous la forme soit d'une mensualisation soit du tiers provisionnel selon le système choisi. Le compte fiscal est donné en temps réel.

Pour le revenu universel, ce serait la même chose.

Chaque mois, on aurait + 500, comme si on percevait une rente sur son compte bancaire. À celui qui ne perçoit aucun revenu, le Trésor public enverrait un chèque de 500 euros à la fin du mois - c'est déjà ce qui se passe en cas de remboursement d'impôt. Pour celui qui perçoit des revenus, le montant du revenu universel varierait en fonction du taux de dégressivité du barème fiscal. Une fois atteint un certain niveau de revenus, par exemple 1 000 euros, le revenu universel de 500 euros deviendrait zéro. Ensuite, on paierait des impôts.

Il s'agit donc d'un barème continu d'impôt avec un crédit d'impôt qui est versé par chèque quand le solde net est négatif. Quand on a des revenus, le crédit d'impôt diminue et disparaît. Reste alors à payer aux impôts la contribution fiscale. C'est donc d'une parfaite simplicité.

Certes, ce n'est pas aussi simple que je le décris. Le revenu à la source est du même acabit et s'inscrit dans le même schéma : même si, chaque mois, on ne connaît pas le montant exact des recettes et des dépenses, on prélève en fonction du taux de l'année précédente et on régularise en fin d'année. Des solutions existent déjà pour que le compte fiscal soit adapté à la réalité à peu près chaque mois.

Et c'est la fin des allocations de toute nature, par exemple des allocations familiales. C'est la fin des disputes entre les départements, les régions et l'État pour savoir qui paye le RSA, etc. Il y a uniquement un barème fiscal négatif au début, qui devient zéro, puis qui devient positif.

Je termine en répondant à la question : combien cela coûte-t-il ?

M. Jean-Marie Vanlerenberghe , président. - Le suspens commençait à être pesant !

M. Lionel Stoleru. - Monsieur le président, ce n'est pas la question essentielle ! Il n'est qu'à voir le référendum suisse. Les Suisses se sont prononcés sur la question humaine et sur le principe philosophique - on aide ou on n'aide pas. Vous devriez d'ailleurs inviter un responsable suisse : il vous expliquera que le chiffrage n'a pas été un élément déterminant du vote.

Je suis convaincu que ce serait pareil en France. Le chèque à Mme Bettencourt occuperait beaucoup plus de place dans le débat que le coût budgétaire. Il n'y a pas de problème de coût budgétaire. C'est une question de curseur : il faut établir un barème fiscal avec un point zéro de sorte que l'impact budgétaire soit nul. On paye suffisamment d'impôts en France : en 2017, il faudra plutôt baisser le taux d'imposition que l'augmenter.

Qui gagne ? Qui perd ? Sur la totalité du barème fiscal, de zéro à l'infini, sauf à faire une usine à gaz, avec un barème fiscal progressif raisonnable à deux ou trois taux et tranches, il est sûr que certains individus, des ménages et des familles gagneront et que d'autres perdront. D'après les chiffrages, cela n'a pas l'air dramatique : il n'y a pas un point où une catastrophe se produirait pour tel ou tel niveau de classe moyenne.

Pour résumer, monsieur le président, le coût du revenu universel est ce que l'on voudra en faire.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe , président. - Monsieur Stoleru, je vous remercie de cet exposé passionnant et limpide dans ses conclusions. Pour autant, on ne peut pas dire que tout est résolu ! Vous avez apporté un éclairage complémentaire, notamment au regard des auditions précédentes, car vous avez replacé cette question dans son contexte essentiel, c'est-à-dire existentiel. C'est ce que j'attendais.

En revanche, sur la conclusion - comment on paie ? -, des interrogations demeurent.

M. Daniel Percheron , rapporteur. - C'était une fable de La Fontaine ! La simplicité, la limpidité et la morale apparemment inéluctable et abordable rappelaient ces textes incomparables qui ont enchanté notre jeunesse.

La fiscalité est en France d'une complexité redoutable ; vous l'avez simplifiée à l'extrême. Les débats promettent d'être intenses.

M. Dominique de Legge . - Cet exposé très clair tranche quelque peu avec l'exposé précédent.

Ma question est technique : quelle différence existe-t-il entre votre dispositif et le crédit d'impôt ou l'impôt négatif ?

M. Lionel Stoleru. - Il n'y en a pas vraiment. On retrouve l'idée simple de Milton Friedman cinquante ans après. Ce système est d'abord un impôt négatif, c'est-à-dire un crédit d'impôt : quand vous n'avez pas de revenu, le Trésor vous envoie un chèque chaque mois. Son montant diminue au fur et à mesure que vous percevez des revenus. Quand la tendance s'inverse, c'est vous qui envoyez le chèque. C'est un continuum de barème fiscal qui commence par un crédit d'impôt et qui se termine par des perceptions d'impôt.

C'est intéressant de sortir du système social pour entrer dans le système fiscal. Sur le plan sociologique, être dans un système fiscal pour tous est très différent et c'est mieux que d'être dans un système social où l'on veut bien vous verser de l'argent. Le système social crée des humiliations, notamment parce qu'il faut faire des démarches. Pour le revenu universel en revanche, aucune démarche n'est nécessaire, c'est un droit. Recevoir une allocation est aussi un droit, mais d'une manière différente : on vous le fait sentir...

M. Yves Rome . - Votre démonstration est presque parfaite ! On arrive à une simplicité extrême : cela ne coûte pas plus que les sommes que l'on consacre aujourd'hui à la gestion des affaires sociales.

Le dispositif que vous proposez exclut-il l'ensemble des autres aides qui accompagnent nos concitoyens, aides au logement, protection sociale, allocations familiales, etc. ? Se confondent-elles dans le modèle que vous nous avez présenté ?

M. Lionel Stoleru. - Santé, chômage, retraite sont en dehors.

Le logement est une épine dans le système : les aides sociales actuelles coûtent très cher, ne sont pas efficaces et on ne sait pas comment les intégrer. Le débat n'est pas terminé pour ceux qui réfléchissent au système du revenu universel.

Le rapport Sirugue fait le tour de toutes les formes d'assistance. Reste ce qui est donné ici et là, le transport gratuit dans certaines villes, le cinéma ou le théâtre, le chèque de rentrée scolaire, les entrées dans les musées... ; bref, tous les petits avantages qui ne sont pas toujours négligeables. Ce n'est pas dans le revenu universel.

M. Dominique de Legge . - Que devient le quotient familial dans ce dispositif ?

M. Lionel Stoleru. - C'est à débattre !

M. Daniel Percheron , rapporteur. - Le supprimez-vous ? Au regard de la simplicité du système que vous prônez, il ne peut être que supprimé...

M. Lionel Stoleru. - En principe, oui. À partir du moment où le revenu universel est individuel, rien ne justifie qu'il y ait un avantage pour un couple...

M. Jean-Marie Vanlerenberghe , président. - ... ou les familles nombreuses.

M. Lionel Stoleru. - Je n'ai pas caché que certains gagneraient et que d'autres perdraient.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe , président. - Ce revenu est-il versé dès la naissance ? Vous ne l'avez pas évoqué. Or c'est une question importante.

M. Lionel Stoleru. - Je n'ai pas parlé des jeunes ni pour le rapport Sirugue ni pour le revenu universel. Cela fait partie du débat politique qui pourrait avoir lieu.

Que n'entend-on pas déjà sur la proposition du rapport Sirugue d'étendre la prime d'activité aux jeunes ! Que n'entendrait-on pas si l'on versait le revenu universel dès la naissance ! Cela se négocie. On peut verser le revenu universel à dix ans, quinze ans, dix-huit ans, vingt ans...

M. Yves Rome . - Vous proposez de passer du « tout social » au « tout fiscal ». Est-ce à dire que le « tout social » doit disparaître une fois le revenu universel instauré ? Ou est-il toujours nécessaire d'accompagner les publics les plus éloignés de l'emploi ou qui sont dans la plus grande difficulté ? Le revenu universel ne va pas sortir cette catégorie de public de ses difficultés et de cet enfermement que certains appellent l'assistanat.

M. Lionel Stoleru. - Le système santé est en dehors, tout comme le système retraite et le système chômage.

Avec le revenu universel, on donne aux gens de quoi manger. Il faut regarder la réalité en face : un million de personnes vont aux Restos du coeur. Est-ce normal dans un pays comme la France ? Non ! Après, il faut leur donner les moyens de se réinsérer dans la société. Le « I » du RMI ne l'a pas fait, le « A » du RSA ne le fait pas plus. Dans ce domaine, certains pays font mieux que la France.

Depuis toujours, je m'occupe du problème des prisons. J'ai créé il y a quarante ans le GENEPI, groupement étudiant national d'enseignement aux personnes incarcérées : 1 300 étudiants se rendent chaque semaine dans toutes les prisons de France à la rencontre des jeunes détenus. Pour participer à l'action expérimentale « Justice deuxième chance », le retour à l'emploi à la sortie de prison, je sais que ce n'est pas le revenu universel qui réglera le problème ; cela demande un accompagnement spécifique. Il y a place pour un système social qui ne soit pas un système financier.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe , président. - Il faut dissocier l'aspect financier et budgétaire du problème de l'activité. En voulant résoudre cette équation, Martin Hirsch a compliqué le système. Au Sénat, nous avions étudié cette question sans parvenir aux mêmes conclusions ; un rapport d'information avait été rendu par notre collègue Valérie Létard.

Pour beaucoup, il n'est pas normal de pouvoir gagner plus avec toutes les aides et les prestations que celui qui travaille. Il est vrai que de tels cas existent. De ce constat de départ, nous sommes arrivés au RSA, qui ne résolvait rien, qui était un RMI amélioré, avec une dégressivité qui n'était pas simple. Nous n'avons pas résolu le problème : est-il seulement soluble ?

M. Lionel Stoleru. Une dégressivité de 50 % éviterait le télescopage avec les travailleurs pauvres. Suggérez-la : vous auriez le soutien de Bercy !

M. Jean-Marie Vanlerenberghe , président. - R este qu'il faut remettre les gens dans le circuit du travail. Et là, la cause première, c'est l'éducatif. Cela ne se résume pas à l'apprentissage, il faut les fondamentaux : lire, écrire, compter, etc. Autrement, comment espérer trouver un travail durablement ?

M. Lionel Stoleru. - Si vous voulez élargir le débat...

M. Jean-Marie Vanlerenberghe , président. - Nous n'allons pas le faire aujourd'hui, mais, pour moi, c'est la vraie question. C'est un autre problème politique, qui n'est pas de subsistance, mais d'existence.

Monsieur Stoleru, nous vous remercions de cet exposé particulièrement riche et de cet échange.

M. Daniel Percheron , rapporteur. - C'était une intervention très politique.

M. Lionel Stoleru. - Oui et non. Je n'imagine pas un quelconque candidat à la présidence de la République en 2017 déclarer, à l'instar de François Mitterrand en 1988, qu'il mettra en oeuvre le revenu universel s'il est élu.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe , président. - Il pourra peut-être proposer de l'expérimenter, sur la base du volontariat.

M. Lionel Stoleru. - Comme en Finlande ! Oui, ce serait très bien.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe , président. - Le crédit d'impôt est plus simple à expérimenter que d'autres systèmes.

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