C. AUDITION DE M. GEORGES TISSIÉ, DIRECTEUR DES AFFAIRES SOCIALES DE LA CONFÉDÉRATION GÉNÉRALE DU PATRONAT DES PETITES ET MOYENNES ENTREPRISES (CGPME)

M. Dominique de Legge , vice-président . - Nous recevons maintenant la Confédération générale du patronat des petites et moyennes entreprises (CGPME), afin de connaître son point de vue sur la question du revenu universel.

M. Georges Tissié, directeur des affaires sociales de la Confédération générale du patronat des petites et moyennes entreprises . - L'idée de revenue de base, ou d'allocation universelle est portée par des acteurs très différents et s'inscrit dès lors dans des perspectives qui le sont tout autant. De ce point de vue, la crise économique et sociale que nous traversons depuis une dizaine d'années remet à la mode des idées qui paraissaient utopiques.

Avant de pouvoir se positionner sur le sujet, il convient de répondre à une série de questions. Une telle allocation universelle viendrait-elle s'ajouter aux dispositifs existants ou s'y substituer ? Quel serait le public concerné en termes d'âge : les personnes en âge de travailler, c'est-à-dire les 16-64 ans, ou les individus de 25 ans et plus, comme c'est le cas du revenu de solidarité active (RSA) aujourd'hui ? Ce revenu serait-il versé sans limitation de durée, sur le modèle du RSA, ou pour une durée donnée, comme l'allocation spécifique de solidarité (ASS) actuelle ? Serait-il conditionné à des démarches de recherche d'emploi ? Quel serait son montant ? Il est important, si une vraie réflexion doit s'engager, de sortir de l'ambiguïté sur ces questions.

A priori , et en l'absence de propositions concrètes, la CGPME n'est pas favorable à un tel dispositif. Surtout, notre scepticisme et notre grande prudence face à ce concept découlent de ce que nous considérons que l'instauration d'un revenu de base n'est pas un chantier prioritaire et que d'autres mesures plus simples peuvent être prises. Nous soutenons notamment la mise en place de vraies contreparties au RSA - ces contreparties devant avoir un caractère obligatoire et favoriser des projets d'intérêt général - et le durcissement de la condition de résidence. Ces deux modifications peuvent intervenir immédiatement.

M. Dominique de Legge , président . - On évalue à plus d'une quarantaine les allocations à caractère social existant aujourd'hui. La mise en place d'une allocation universelle ou d'un revenu de base ne pourrait-elle pas permettre une simplification des dispositifs existants ?

M. Georges Tissié . - Nous sommes bien entendu favorables à une rationalisation des dispositifs existants, notamment en distinguant les prestations de solidarité de celles qui relèvent d'autres logiques. M. Sirugue a fait des propositions intéressantes à ce sujet dans le rapport qu'il a récemment commis. Toutefois, l'expérience montre qu'en France, il est très compliqué de simplifier et qu'il ne faut pas avoir des ambitions trop fortes.

Quoi qu'il en soit, dans une éventuelle réforme, il faut bien distinguer ce qui relève de la pure solidarité et ce qui relève d'autres types de prestations sociales.

M. Alain Vasselle . - Vous avez énuméré un certain nombre de questions auxquelles il faudrait répondre au préalable. En faisant l'hypothèse d'une allocation versées à tous de 16 à 65 ans, qui se substituerait aux dispositifs existants, sans contrepartie ni limitation de durée, et pour un volume financier constant, voyez-vous une pertinence à un tel dispositif ?

Ma deuxième question porte sur les conditions de résidence sur le territoire français : quelle est, selon vous, la durée qui devrait être exigée afin de pouvoir bénéficier des allocations de solidarité ?

M. Georges Tissié . - On raisonnerait alors sur le fait que cette allocation universelle se substituerait à plusieurs minimas sociaux existants, mais lesquels exactement ?

M. Alain Vasselle . - Le revenu de base se substituerait à tous les minimas sociaux.

M. Georges Tissié . - Comme je l'ai dit précédemment, nous ne sommes pas favorables à la proposition d'instaurer un revenu de base en France.

M. Alain Vasselle . - Quelles sont vos craintes ?

M. Georges Tissié . - Nous craignons deux choses. D'une part, la complexité de la loi. Il n'est qu'à voir la taille du code du travail, qui a fortement augmenté en l'espace de trente ans, pour s'en rendre compte. On a tendance, en France, à considérer que l'on résout les problèmes en adoptant des lois. On ajoute donc en permanence de nouvelles strates législatives sans jamais élaguer.

Le risque est qu'en voulant simplifier, on complexifie davantage. Cette crainte générale est basée sur l'expérience.

D'autre part, nous estimons qu'instaurer un revenu de base n'est pas du tout une priorité. Ce que nos petites et moyennes entreprises (PME) veulent avant tout, c'est disposer d'un cadre législatif qui leur soit plus favorable et surtout qui soit stable, voire allégé ; c'est disposer d'un environnement favorable à la croissance tout en étant compatible avec le système de protection sociale actuel.

S'agissant des conditions de résidence pour être éligible aux aides, celles-ci peuvent varier actuellement de trois ans à six mois en fonction des prestations concernées. Nous n'avons pas de position sur ce point, mais l'idée d'une généralisation de la durée de trois ans pourrait être étudiée.

M. Alain Vasselle . - Si je comprends bien, vous ne disposez pas de tous les éléments d'appréciation s'agissant de la mise en place d'un revenu de base en France, mais vous estimez qu'il y a d'autres priorités sur lesquelles le personnel politique devrait s'investir.

En tout état de cause, je rejoins votre remarque concernant la diversité des positions qui s'expriment sur le revenu de base. Les auditions que nous avons mené tout à l'heure de l'IFRAP et « Génération Libre » en sont une démonstration claire.

M. Georges Tissié . - Et encore, il s'agit de deux think tank qui partagent un certain nombre d'idées doctrinales. Si vous aviez entendu également les défenseurs de gauche du revenu de base, vous auriez encore eu une autre position.

Nous avons beaucoup de mal à croire que l'on puisse créer une allocation unique qui se substituera aux dispositifs existants. Et, permettez-moi d'être direct, nous sommes surpris que les parlementaires s'emparent d'un sujet qui selon nous créera plus de problèmes que de solutions.

M. Jean Desessard . - J'ai cru comprendre que Monsieur Tissié considérait qu'il serait difficile de mettre en place un revenu de base...

M. Georges Tissié . - Comme je l'ai dit précédemment, nous ne croyons pas qu'il soit possible de simplifier le système existant sans le complexifier davantage. Nous n'y croyons pas, tout simplement !

M. Alain Vasselle . - La mise en place d'un revenu de base est justifiée par certains par les mutations que connaît le marché du travail. L'existence d'un « socle » de revenus permettrait d'accompagner cette évolution et la fiscalisation des revenus dès le premier euro perçu permettrait de garantir une incitation suffisante à retrouver du travail. Que pensez-vous de cette présentation des choses ?

M. Georges Tissié . - Il faut absolument tordre le cou au mythe de la fin du salariat et de l'ubérisation générale de l'économie ! Malgré les évolutions que vous décrivez, il y aura toujours à moyen terme une majorité de personnes qui seront salariées. Penser que le salariat va devenir minoritaire, c'est une vue de l'esprit !

Nous ne pensons pas qu'il soit envisageable de mettre en place un dispositif tel que vous le décrivez.

M. Alain Vasselle . - Mais dont vous seriez vous-même également bénéficiaire !

M. Georges Tissié . - Il ne sera jamais accepté que tout le monde bénéficie d'un revenu universel quel que soit son niveau de vie. Dès les premières années, vous aurez nécessairement des personnes qui contesteront le fait de percevoir le même montant de revenu de base que Mme Bettencourt, pour ne prendre qu'elle en exemple.

Par ailleurs, un tel revenu ne favorisera pas la reprise d'emploi. Au contraire, verser un revenu de manière inconditionnelle sera nécessairement désincitatif.

Lorsque nous avons mis en oeuvre les droits rechargeables à l'assurance chômage, à l'initiative notamment de la CFDT, nous nous sommes aperçu que cela n'a eu aucun effet sur la reprise d'activité, bien au contraire. On voit bien la limite des dispositifs complexes que l'on veut mettre en oeuvre pour inciter les demandeurs d'emploi à reprendre une activité.

M. Jean Desessard . - Justement, le revenu de base doit permettre de rendre le système plus simple et plus lisible.

M. Alain Vasselle . - La fusion et la fiscalisation des minimas sociaux pourrait avoir un effet incitatif à la reprise d'emploi, puisqu'un euro gagné par le travail serait imposé de la même manière qu'un euro issu de la solidarité nationale.

M. Jean Desessard . - Je vois deux avantages pour l'entreprise. En permettant à chacun de disposer d'un revenu indépendamment de son emploi, le revenu de base permettrait de fluidifier les entrées et les sorties de l'emploi, c'est donc une forme de flexi-sécurité. Par ailleurs, le revenu de base supprime les effets de seuil que nous constatons avec le RSA, et donc les trappes à inactivité.

M. Georges Tissié . - La mise en place d'une allocation universelle relève d'une logique tout à fait différente de la fusion des minima sociaux. Nous pensons qu'une allocation universelle couterait beaucoup trop cher. Par ailleurs, regrouper les minima sociaux sans créer d'effet pervers et sans complexifier le système nous semble impossible.

Les petites et moyennes entreprises demandent une certaine flexibilité, mais pas une flexibilité absolue. Lorsqu'un chef d'entreprise, même dans ce qu'on appelle l'économie connectée, a trouvé un salarié qui lui donne satisfaction, il s'attache à le garder !

Nous réfutons donc aussi bien la vision libérale d'une économie dans laquelle les travailleurs iraient d'un emploi à l'autre et alterneraient à leur guise les périodes de travail et d'inactivité qu'une conception de l'économie selon laquelle il faudrait absolument protéger les salariés contre un monde trop libéral.

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