Rapport d'information n° 122 (2016-2017) de Mme Fabienne KELLER et M. François MARC , fait au nom de la commission des affaires européennes, déposé le 14 novembre 2016

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N° 122

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2016-2017

Enregistré à la Présidence du Sénat le 14 novembre 2016

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des affaires européennes (1) sur la phase I de l' approfondissement de l' Union économique et monétaire ,

Par Mme Fabienne KELLER et M. François MARC,

Sénateurs.

(1) Cette commission est composée de : M. Jean Bizet, président ; MM. Michel Billout, Michel Delebarre, Jean-Paul Émorine, André Gattolin, Mme Fabienne Keller, MM Yves Pozzo di Borgo, André Reichardt, Jean-Claude Requier, Simon Sutour, Richard Yung, vice-présidents ; Mme Colette Mélot, M Louis Nègre, Mme Patricia Schillinger, secrétaires , MM. Pascal Allizard, Éric Bocquet, Philippe Bonnecarrère, Gérard César, René Danesi, Mme Nicole Duranton, M. Christophe-André Frassa, Mmes Joëlle Garriaud-Maylam, Pascale Gruny, M. Claude Haut, Mmes Sophie Joissains, Gisèle Jourda, MM. Claude Kern, Jean-Yves Leconte, François Marc, Didier Marie, Robert Navarro, Georges Patient, Michel Raison, Daniel Raoul, Alain Richard et Alain Vasselle.

Voir le numéro :

Sénat :

123 (2016-2017)

AVANT-PROPOS

La Commission européenne a présenté, le 21 octobre 2015, une communication sur la première étape de l'approfondissement de l'Union économique et monétaire. Ce document s'inspire des pistes de travail avancées par les présidents de la Commission européenne, du Conseil européen, du Parlement européen, de l'Eurogroupe et de la Banque centrale européenne dans un rapport publié en juin 2015. Ce document prévoit deux phases pour le renforcement des structures et des moyens de la zone euro. La première, censée se terminer le 30 juin 2017, doit permettre un approfondissement par la pratique, utilisant les instruments existants, alors que la seconde, prévue pour durer jusqu'en 2025, devrait entraîner des modifications institutionnelles plus ambitieuses.

Dans la lignée des recommandations du rapport des cinq présidents, les propositions de la Commission européenne se concentrent sur la modernisation du semestre européen, la mise en place de nouveaux organes consultatifs - autorités nationales de la productivité et Comité budgétaire européen - et la représentation de la zone euro au sein des institutions financières internationales.

Favorables à un approfondissement de l'Union économique et monétaire, vos rapporteurs estiment que celui-ci doit notamment permettre de clarifier les procédures associées à la gouvernance de la zone euro, afin qu'elles soient mieux comprises par le citoyen. Au-delà, il s'agit de permettre à la zone euro de se doter de structures renforçant tout à la fois sa visibilité et sa légitimité démocratique, tout en la dotant de moyens adaptés pour faire face à un nouveau choc économique. C'est dans ce cadre qu'ils ont analysé les propositions de la Commission européenne. Un travail sur la phase II de l'approfondissement sera mené ultérieurement en commun avec la commission des finances.

I. UN CADRE DE RÉFLEXION : LE RAPPORT DES CINQ PRÉSIDENTS

Le président de la Commission européenne et ses homologues du Conseil européen, de l'Eurogroupe, de la Banque centrale européenne et du Parlement européen ont présenté, le 22 juin 2015, un rapport sur l'avenir de la gouvernance de la zone euro « Compléter l'Union économique et monétaire ». Ce document répond aux conclusions du sommet de la zone euro, organisé en octobre 2014, qui invitait à une coordination plus étroite des politiques économiques afin d'assurer le bon fonctionnement de la zone euro. Le rapport dit des cinq présidents s'appuie, en outre, sur trois autres documents :

- le rapport dit des quatre présidents « Vers une véritable Union économique et monétaire » présenté le 26 juin 2012 ;

- la communication de la Commission européenne présentée le 28 novembre 2012 « Projet détaillé pour une union économique et monétaire, véritable et approfondie » ;

- la note d'analyse du 12 février 2015 sur la préparation des prochaines étapes de l'amélioration de la gouvernance de la zone euro.

Il prend également en compte les discussions approfondies avec les États membres et la société civile.

A. PRINCIPES ET CALENDRIER

Le rapport des cinq présidents reprend le constat d'une construction inachevée, la crise ayant permis à l'Union économique et monétaire de se doter de nouveaux mécanismes sans pour autant que soient totalement consolidées ses fondations. Le principal enjeu tient en effet toujours à la capacité de la zone à pouvoir absorber des chocs économiques, ce qui passe par un partage des risques entre États. Une première étape a été franchie avec le lancement de l'Union bancaire, partage des risques privé, qui doit prévenir le risque d'une déstabilisation des établissements financiers, à l'image de ce qu'ont connu récemment Chypre, l'Espagne ou l'Irlande. Il s'agit désormais d'aller plus loin et de viser à moyen terme un renforcement du partage des risques public, par l'intermédiaire d'un mécanisme de stabilisation budgétaire couvrant l'ensemble de la zone euro. La nécessité d'un tel dispositif est d'autant plus aiguë que la possibilité d'utiliser la politique budgétaire à des fins contracycliques diverge d'un État membre à un autre, ce qui ne participe pas de l'objectif initial poursuivi par la monnaie unique : la convergence économique.

Le rapport décline quatre pistes de travail pour parvenir tout à la fois à une plus grande solidarité entre États membres de la zone euro et à la convergence des économies de celle-ci :

- l'Union économique ;

- l'Union financière, fondée à la fois sur l'Union bancaire et l'Union des marchés de capitaux ;

- l'Union budgétaire, conçue comme un instrument de stabilisation et de viabilité budgétaires ;

- l'Union politique, envisagée comme une assise aux trois autres et reposant sur le principe de responsabilité démocratique.

Ces quatre Unions sont interdépendantes. Elles impliquent inévitablement un partage de souveraineté accru. Il importe, pour les cinq présidents, de dépasser le stade de la coopération ou de la coordination, ce qu'est, pour l'heure, le Pacte de stabilité et de croissance. Les États doivent accepter qu'un certain nombre d'éléments de leurs budgets nationaux et de leurs politiques économiques fassent de plus en plus l'objet d'une prise de décision conjointe. Il s'agit, de la sorte, de parvenir à un certain degré de partage des risques public. Celui-ci ne peut néanmoins exister que s'il est accompagné d'un renforcement de la participation et de responsabilités démocratiques, tant au niveau national qu'au niveau européen.

Pour aboutir à la mise en place de ces quatre Unions, le rapport des cinq présidents distingue deux phases :

- La première, qui a débuté le 1 er juillet 2015, devrait se terminer le 30 juin 2017. Elle devrait constituer un « approfondissement [de l'Union économique et monétaire] par la pratique ». Il s'agit, pour les États membres, d'utiliser les instruments existants et d'exploiter au mieux les traités afin de stimuler la compétitivité et la convergence structurelle. L'Union financière doit, au cours de cette période, être complétée. Les États et la zone euro doivent se doter, dans le même temps, de politiques budgétaires responsables. La première phase est également dédiée au volet démocratique.

- La seconde phase vise à l'achèvement de l'Union européenne, avec la mise en oeuvre de mesures de « grande ampleur » entre le 1 er juillet 2017 et 2025. Des critères de convergence, contraignants et revêtant un caractère juridique, devraient être adoptés au cours de cette période. Le respect de ces critères doit constituer une des conditions pour qu'un État membre puisse participer au mécanisme d'absorption des chocs qui serait institué au cours de cette période. Les étapes de cette phase devraient être détaillées dans un livre blanc de la Commission européenne, préparé par un groupe d'experts et qui sera rendu public au printemps 2017.

B. LES QUATRE UNIONS

1. L'Union économique

Les cinq présidents insistent sur la nécessité pour les États de mettre en oeuvre des politiques économiques leur permettant de répondre rapidement à un choc conjoncturel. Celles-ci devraient s'appuyer sur le marché intérieur, qu'il convient d'approfondir et d'achever, des secteurs-clés comme l'énergie, le numérique ou les marchés de capitaux ne faisant pas encore l'objet d'une véritable dimension européenne. Il s'agit aux yeux des cinq présidents de lever les obstacles politiques bloquant l'évolution vers une plus grande intégration économique. Il conviendra, dans le même temps, de mener à bien des réformes dites structurelles au sein des États membres afin de moderniser leurs économies.

La première phase doit permettre, à ce titre, un alignement sur les meilleures pratiques et les meilleures performances. La deuxième phase doit, quant à elle, aboutir à une formalisation du processus de convergence. Il s'agira d'établir de façon conjointe des critères ayant un caractère juridique. Leur respect conditionnera l'accès aux instruments financiers mis en place dans le cadre de l'Union budgétaire.

L'Union économique pourrait prendre pour fondement le Pacte pour l'euro plus, adopté en mars 2011 à l'initiative du couple franco-allemand, qui vise à renforcer la coordination des politiques économiques 1 ( * ) . Il est axé sur quatre priorités : la compétitivité, l'emploi, la viabilité des finances publiques et le renforcement de la stabilité financière 2 ( * ) . Le caractère non contraignant du dispositif et la logique intergouvernementale qui le sous-tend ont, pour l'heure, limité son application.

Le rapport des cinq présidents insiste, de fait, sur la nécessité de passer d'une logique de pacte à celle d'un processus concret et contraignant. Il établit, dans cette optique, quatre axes de travail qui devraient être poursuivis au cours de la première phase :

- Comme envisagé dans le Pacte pour l'euro plus , chaque État membre de la zone euro devrait ainsi mettre en place une autorité de la compétitivité . Cette autorité indépendante serait en charge du suivi des politiques et des performances en matière de compétitivité et d'évaluer, notamment, l'alignement du niveau des salaires sur la productivité globale. Un système européen d'autorités de la compétitivité rassemblerait les organes nationaux et la Commission européenne en vue de coordonner leurs actions sur une base annuelle. Il contribuerait également au semestre européen, tant en ce qui concerne l'examen annuel de croissance que la procédure visant les déséquilibres macroéconomiques. Le rapport des cinq présidents insiste, par ailleurs, sur le fait que l'objectif poursuivi n'est pas l'harmonisation des pratiques en matière de formation des salaires. Il invite à s'inspirer des organismes existants en Belgique ou aux Pays-Bas ;

- Le rapport insiste également sur le renforcement de la procédure visant les déséquilibres macro-économiques, afin de détecter lesdits déséquilibres mais aussi encourager les réformes structurelles. Le volet correctif devrait, à cet effet, être mis en oeuvre de manière « résolue » et concerner également les pays disposant d'excédents de la balance courante, imputables à un faible potentiel de croissance ou à une demande intérieure faible. La procédure doit disposer d'une portée globale en visant les déséquilibres concernant l'ensemble de la zone, notamment en matière commerciale ;

- Les cinq présidents entendent mettre en oeuvre une surveillance accrue de l'emploi et des indicateurs sociaux. Les questions sociales sont, en effet, considérées comme une des priorités du semestre européen. Si le document insiste sur l'absence de modèle unique en la matière, il liste les défis communs : contrats de travail flexibles et sûrs, allègement de la fiscalité du travail, apprentissage, formation professionnelle et aide au retour à l'emploi, alignement de l'âge de départ en retraite sur l'espérance de vie. Deux objectifs doivent être poursuivis : le premier concerne l'établissement d'un socle de protection sociale, et le second l'intégration plus poussée des marchés du travail. Celle-ci passe par un accroissement de la mobilité géographique via une meilleure reconnaissance des qualifications professionnelles, l'optimisation de la coordination des régimes de sécurité sociale, et un accès plus ouvert pour les non nationaux aux emplois du secteur public ;

- Le semestre européen doit, parallèlement, être rénové afin de renforcer la coordination des politiques économiques. Il s'agit de poursuivre la réforme de cette procédure en vue de la simplifier, de la recentrer sur quelques priorités et de laisser du temps au débat. Les recommandations devront à la fois être ambitieuses, concrètes et politiques, et contenir des objectifs précis et un calendrier de mise en oeuvre. L'Eurogroupe doit jouer un rôle de coordinateur dans la procédure afin de responsabiliser les États membres. Un accent devra être mis parallèlement en place sur l'étalonnage et les meilleures pratiques. Le semestre européen devra par ailleurs porter plus nettement sur un examen de la situation globale de la zone euro, puis une étude pays par pays. Une optique pluriannuelle devra également être mise en avant.

La seconde phase devrait porter sur la consolidation des acquis obtenus dans ces quatre chantiers. Le rapport des cinq présidents envisage ainsi l'adoption d'un ensemble de normes de haut-niveau, communes aux États membres de la zone euro. Elles porteraient sur la compétitivité, le marché du travail, l'environnement des entreprises, certains aspects de la politique fiscale, à l'image de l'assiette de l'impôt sur les sociétés.

2. L'Union financière

L'ambition affichée est de parvenir à la mise en place d'un système bancaire unifié permettant à la fois une transmission optimale des décisions de politique monétaire et une sécurisation des dépôts en cas de crise. Il s'agit dans le même temps de rompre le lien entre dégradation de la situation des banques et aggravation de la dette souveraine. Le rapport insiste en conséquence sur la diversification du risque entre les pays, la réduction de son coût et la mutualisation de celui-ci . L'Union financière doit être effective au cours de la première phase. Elle reposera sur deux piliers :

- L'Union bancaire, dont le rapport des cinq présidents attend la finalisation via la transposition complète de la directive relative au redressement des banques et à la résolution de leurs défaillances, la mise en place du Fonds de résolution unique au 1 er janvier 2016, et l'institution d'un système européen de garantie des dépôts. Le rapport souligne que ce dispositif sera le plus long à mettre en oeuvre. Il devrait reposer sur des contributions versées par les banques participantes. Il conviendra, au-delà, de réfléchir à la participation du mécanisme européen de stabilité à la recapitalisation des banques, les critères d'éligibilité apparaissant pour l'heure trop restrictifs. Au-delà de ces instruments, le rapport insiste sur la nécessité de prévenir les risques bancaires et de limiter l'exposition des établissements financiers aux titres souverains, en s'appuyant, notamment, sur les travaux du Comité européen des risques systémiques (CERS) et sur la Banque centrale européenne ;

- L'Union des marchés de capitaux répond, de son côté, à plusieurs objectifs : diversification des sources de financement, meilleur partage des risques entre les secteurs privés des États membres, et plus grande intégration des marchés des obligations et des actions. L'ambition affichée est de parvenir à ce que les établissements financiers disposent de structures adaptées pour la gestion des risques. Dans le même temps, le rapport insiste sur la nécessité d'adopter de nouvelles mesures législatives visant le droit de la faillite, l'harmonisation des pratiques comptables, le marché européen de la titrisation ou la simplification des prospectus.

3. L'Union budgétaire

L'Union budgétaire est censée répondre à deux objectifs : garantir la viabilité de la dette publique et permettre le bon fonctionnement des stabilisateurs économiques. La crise de la dette souveraine a, selon les cinq présidents, souligné l'insuffisance des stabilisateurs budgétaires. Dans ces conditions, le rapport insiste sur la mise en place d'un tel dispositif à l'échelle européenne. Celle-ci aura néanmoins pour préalable le renforcement de la convergence économique, de l'intégration financière et de la coordination des budgets nationaux.

La première phase doit, à ce titre, être consacrée au renforcement du cadre établi par le Six Pack , le Two Pack et le Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance.

Le Six Pack, le Two Pack et le Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance

Le Six Pack est un "paquet législatif" de cinq règlements et d'une directive, adopté en décembre 2011. Il concerne les volets préventif et correctif du pacte de stabilité et de croissance, entré en vigueur en 1997. La procédure de déficit excessif vise désormais un État dont l'endettement dépasse 60 % du PIB d'un État, même si son déficit se situe en dessous des 3 %. L'écart entre son niveau de dette et le seuil de 60 % doit par ailleurs être réduit de 1/20ème chaque année.

Le Two pack est un "paquet législatif" comprenant deux règlements destinés à renforcer le contrôle des budgets nationaux et renforcer la surveillance des États rencontrant des difficultés. Il est entré en vigueur le 30 mai 2013. Il permet à la Commission européenne d'avoir accès, dès le 15 octobre, au projet de budget de l'année suivante de chaque État membre, avant qu'il ne soit soumis au Parlement. Elle vérifiera alors si les États respectent les recommandations adoptées dans le cadre du semestre européen, sous peine de sanction. La Commission peut, en outre, proposer de placer sous surveillance renforcée un pays exposé à de sérieuses difficultés financières ou bénéficiant déjà d'un programme d'assistance financière de l'Union européenne. Cette décision est alors prise par le Conseil à la majorité qualifiée. Un État placé dans cette situation devra adopter, en concertation avec la Commission et la Banque centrale européenne, des mesures visant à remédier aux causes de ses difficultés, et remettre un rapport trimestriel. La Commission aura accès, en outre, aux comptes et informations du secteur bancaire.

Les États membres placés en procédure de déficit excessif sont désormais tenus de se conformer aux recommandations spécifiques que leur adressera le Conseil. Des sanctions financières sont prévues pour les États membres de la zone euro. Celles-ci sont graduées allant du dépôt d'une somme équivalent à 0,2 % du PIB de l'État concerné à une amende. Pour déroger à cette sanction, un État doit désormais réunir une majorité qualifiée (principe de la majorité qualifiée inversée).

Le volet préventif du pacte de stabilité et de croissance fixe désormais pour les États membres des objectifs budgétaires spécifiques à moyen terme (OMT) visant à assurer la soutenabilité des finances publiques. Là encore un système d'amende est mis en place en cas de d'écart majeur avec l'OMT.

Le paquet introduit également une procédure de déséquilibre macro-économique excessif, destiné à identifier un certain nombre de risques pesant sur l'économie d'un État membre.

Signé par 26 États membres de l'Union européenne - le Royaume-Uni et la République tchèque n'ayant pas souhaité l'adopter -, le Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance, ou Pacte budgétaire européen, est entré en vigueur le 1 er janvier 2013. Il vise à renforcer la coordination des politiques budgétaires des États parties et d'améliorer la gouvernance de la zone euro. La principale innovation du Traité tient à l'introduction en droit national d'une "règle d'or" budgétaire de valeur constitutionnelle, aux termes de laquelle le déficit structurel des États membres ne peut dépasser 0,5 % de leur PIB. Le seuil de 0,5 % ne s'impose pas immédiatement. La règle est en effet considérée comme respectée si le déficit structurel annuel correspond aux prévisions du gouvernement transmises à la Commission via le programme de stabilité quadriennal. Ce programme fixe un objectif à moyen terme (OMT), défini en termes de solde structurel. Le contrôle de la mise en oeuvre de la règle d'équilibre budgétaire doit être assuré par un organe national indépendant, dont l'existence est déjà évoquée dans le Two pack . Le TSCG reprend également une disposition du six pack selon laquelle les États membres de la zone euro dont la dette publique dépasse 60 % du PIB doivent réduire celle-ci de 1/20 e par an. Le Traité institutionnalise enfin la gouvernance de la zone euro, en créant des sommets de la zone euro qui se tiendront deux fois par an, en prévoyant l'élection d'un président desdits sommets. L'article 13 évoque un contrôle parlementaire de l'application du traité, au travers d'une conférence réunissant députés européens et parlementaires nationaux, dite « conférence de l'article 13 ».

Les cinq présidents souhaitent la mise en place d'un Comité budgétaire européen consultatif, chargé de coordonner et d'épauler les conseils budgétaires nationaux déjà mis en place, à l'instar du Haut conseil pour les finances publiques en France. Composé d'experts, il fournirait au niveau européen, une évaluation publique et indépendante des budgets nationaux à l'aune des recommandations adressées par le Conseil. Cet avis alimenterait le semestre européen.

La deuxième phase est considérée par les cinq présidents comme l'aboutissement du processus de convergence avec la mise en place d'un mécanisme de stabilisation budgétaire pour la zone euro. Il reviendra à un groupe d'experts de présenter les contours de ce dispositif. Si le format du futur mécanisme n'est pas définitivement arrêté, les cinq présidents souhaitent :

- qu'il soit ouvert et transparent pour tous les États membres ;

- qu'il ne se résume pas à un instrument de gestion de crise, le Mécanisme européen de stabilité n'ayant pas vocation à disparaître, mais bien qu'il contribue à prévenir les crises ;

- que son utilisation soit conditionnée au respect des règles de coordination budgétaire établies durant la première phase ;

- qu'il ne conduise pas à des transferts permanents entre pays ni à des transferts à sens unique ;

- qu'il contribue à des projets d'investissement au sein de la zone euro, s'appuyant dans un premier temps sur le Fonds européen d'investissement stratégique mis en place dans le cadre du plan Juncker.

4. L'Union politique

L'approfondissement de l'Union économique et monétaire va de pair, selon les cinq présidents, avec un renforcement de sa légitimité démocratique. Un certain nombre de mesures sont ainsi à prendre dès la première phase en exploitant, notamment, les dispositions contenues dans le Traité sur la stabilisation, la coordination et la gouvernance ou le Two Pack : intensification du dialogue avec les parlements nationaux dans le cadre de la semaine parlementaire européenne, ou audition par les parlements nationaux des commissaires au moment de la présentation de l'avis de la Commission sur le budget d'un État ou de la publication d'une recommandation dans le cadre de la procédure pour déficit excessif.

Le rapport propose, dans le cadre d'un semestre européen rénové, que la Commission européenne soit auditionnée au Parlement européen avant et après l'examen annuel de croissance et la publication des recommandations pays. La Commission comme le Conseil sont par ailleurs invités à participer aux réunions interparlementaires sur ces sujets, notamment dans le cadre de la semaine parlementaire.

Les cinq présidents souhaitent enfin que la zone euro soit représentée à l'extérieur, au sein du Fonds monétaire international par exemple.

À terme, c'est-à-dire au cours de la seconde phase, les cinq présidents souhaitent que les textes de nature intergouvernementale - pacte euro plus, traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance, Mécanisme européen de stabilité, accord sur le Fonds de résolution unique - soient intégrés dans le cadre juridique européen. Dans le même temps, l'Eurogroupe devra disposer de moyens supplémentaires, sa présidence, dotée d'un mandat clair, passant à temps plein. Enfin, le mécanisme de stabilisation budgétaire, envisagé comme un trésor de la zone euro, impliquera des décisions collectives, à rebours de toute tentation centralisatrice. Il s'agira de garantir sa dimension politique, notamment en ce qui concerne la détermination des recettes et des dépenses.

II. LA MISE EN OEUVRE DE LA PHASE I PAR LA COMMISSION EUROPÉENNE

Prenant acte des propositions contenues dans le rapport des cinq présidents, la Commission européenne a présenté, le 21 octobre 2015, une communication sur les mesures destinées à compléter l'Union économique et monétaire au cours de la phase I 3 ( * ) . Elles concernent l'Union économique (autorités nationales de la productivité), l'Union budgétaire (comité budgétaire européen et semestre européen rénové), l'Union politique (représentation unifiée de la zone euro au sein du FMI) et l'Union financière.

S'agissant de cette dernière, la communication rappelle comme le rapport la nécessité de compléter l'Union bancaire via la transposition complète dans le droit national de la directive relative au redressement des banques de mai 2014 4 ( * ) et de la directive sur la garantie des dépôts d'avril 2014 5 ( * ) et la mise en place d'un mécanisme de financement-relais et d'un dispositif de soutien commun dans le cadre du Fonds de résolution unique. La Commission a, en outre, présenté, le 24 novembre 2015, un projet de règlement visant à établir un système européen d'assurance des dépôts 6 ( * ) . La Commission européenne souhaite, par ailleurs, que l'ensemble des dispositions contenues dans sa communication soient mises en oeuvre en 2016, en particulier les conseils nationaux de la compétitivité et le comité budgétaire européen devant être opérationnels.

La phase II devrait, quant à elle, faire l'objet d'un livre blanc, qui sera présenté en mars 2017. Il s'appuiera notamment sur les travaux d'un groupe d'experts, chargé d'examiner les conditions juridiques, économiques et politiques préalables devant inspirer des propositions à long terme.

A. VERS UNE UNION ÉCONOMIQUE ET SOCIALE ?

1. Les autorités nationales de la productivité : nouvel outil ou renforcement de la complexité ?
a) La proposition de la Commission européenne

Envisagées par le rapport des cinq présidents dans le cadre de l'Union économique, les autorités de la compétitivité seraient en charge de suivre les performances et le rythme des réformes au niveau national. De telles structures existent déjà pour partie en Allemagne (Conseil des experts économiques), en Belgique (Conseil central de l'économie sur la question des salaires, Bureau d'analyse de la politique économique - CPB), au Danemark, en France (Conseil d'analyse économique, la Commission européenne citant même le Conseil économique, social et environnemental, France Stratégie et le Commissariat général à la stratégie et à la prospective, comme pouvant à l'avenir également se muer en conseil national de la compétitivité), en Irlande (Conseil national de la compétitivité - NCC) et aux Pays-Bas.

Dans le projet de recommandation qu'elle a présenté le 21 octobre 2015, conjointement à sa communication sur l'approfondissement de la zone euro, la Commission européenne a insisté sur l'impact de la compétitivité sur la croissance, la correction des déséquilibres macroéconomiques, l'ampleur des mesures d'ajustement aux chocs à mettre en oeuvre et, in fine , les conditions de remboursement de la dette 7 ( * ) . Le semestre européen fournit déjà un cadre pour une meilleure coordination des politiques économiques et inciter, en conséquence, les États membres à adopter des réformes en la matière. Il s'agit désormais d'aboutir à une appropriation plus large de ces recommandations au plan national, et celle-ci passe, selon la Commission européenne, par le biais d'une expertise indépendante. Elle reprend, en cela, le principe retenu pour les structures indépendantes en charge de l'évaluation des budgets nationaux prévues par le Two Pack et le Traité sur la stabilisation, la coordination et la gouvernance. La Commission européenne n'envisage pas de modèle unique pour ces organes, seule l'indépendance devant être garantie par les États membres : ils devront ainsi être indépendants des ministères ou des entités publiques en charge de ces questions (article 6). Si un organisme unique doit être mis en place, il peut s'appuyer sur plusieurs dispositifs déjà existants (article 4).

Ces autorités nationales devront évaluer les réformes mises en oeuvre et fournir des conseils stratégiques en la matière, en tenant compte des particularités nationales et des pratiques établies.

Leur champ de compétences devrait être vaste (article 3) et leur permettre d'aborder :

- les questions de productivité et d'investissement ;

- les facteurs « hors coûts » de la compétitivité qui déterminent grandement les écarts observés au sein de la zone euro, à l'instar de l'innovation ou l'attractivité du modèle économique (qualité des infrastructures, etc.) ;

- les aspects sociaux et l'épineuse question des salaires. Le projet de la Commission prévoit en effet que le Conseil national de la compétitivité contribue au processus de fixation des salaires. L'objectif n'est pas, pour autant, de parvenir à une harmonisation des systèmes nationaux de fixation des salaires.

Le projet de recommandation insiste sur le fait que ces conseils de compétitivité ne pourront affecter le droit de négocier ou conclure des conventions collectives ou de recourir à des actions collectives.

La Commission européenne entend, par ailleurs, coordonner les activités desdits conseils, qui devront recenser leurs travaux dans un rapport annuel (article 9). Cette expertise indépendante devrait éclairer l'analyse de la Commission dans le cadre du semestre européen mais aussi dans le cadre de la procédure concernant les déséquilibres macro-économiques (article 10).

b) Les autorités de la productivité

Le projet de recommandation du Conseil a été adopté le 20 septembre dernier. Le Conseil Ecofin a cependant requalifié ces autorités de la compétitivité en autorités de la productivité, prenant ainsi en compte les réserves exprimées par les partenaires sociaux. La recommandation ainsi amendée souligne que les pratiques nationales et les organes compétents en matière de formation des salaires devront être respectés.

Les autorités, qui disposeront d'une autonomie de fonctionnement et d'analyse, seront principalement concentrées sur les facteurs à long terme favorisant les gains de productivité, à l'instar de l'innovation, de l'attractivité et du capital humain. Elles devront également s'attarder sur les rigidités visant le marché du travail et des produits et intègreront dans leur analyse une dimension européenne. Ces autorités pourront faire des propositions ou évaluer des propositions de politiques publiques si leur mandat, fixé au niveau national, le prévoit explicitement.

Il existe aujourd'hui un consensus sur le déficit de compétitivité et de productivité au sein d'une partie de la zone euro et la nécessité d'une plus grande convergence dans ce domaine, qu'il s'agisse des facteurs prix, coûts et hors coûts. Cette question est d'ailleurs au coeur de la procédure pour déséquilibre macro-économique mise en place depuis 2011. Reste à connaître la valeur ajoutée, dans ce domaine, d'une nouvelle instance dont le positionnement, en dépit des précautions de la Commission et du Conseil, peut apparaître flou. La Commission présente le dispositif comme l'équivalent, en matière macro-économique, des organes nationaux indépendants chargés de vérifier la sincérité des projets de budget. Ces autorités émettraient donc un avis régulier sur la situation économique du pays et évalueraient, notamment, la qualité des réformes structurelles mises en oeuvre. On peut, en premier lieu, s'interroger sur la grille de lecture qui sera utilisée pour une telle évaluation. Sera-t-elle homogène pour l'ensemble des autorités de la zone euro, reprenant en cela les indicateurs déjà mis en oeuvre dans le cadre de la procédure pour déséquilibre macro-économique ? Dans ce cas, l'analyse peut-elle différer de celle proposée par la Commission européenne dans le cadre de ladite procédure ? Ce faisant, les autorités nationales de la productivité ne seraient que les porte-voix de la Commission européenne, afin de faciliter l'appropriation par les Etats des réformes recommandées par la Commission européenne. La force de proposition de ces autorités serait, de la sorte, réduite à la portion congrue.

À l'inverse, si ces autorités émettent un diagnostic sur la foi d'indicateurs non harmonisés, comment peut-on envisager, de la sorte, participer d'une forme de convergence entre les économies de la zone ? Quelle sera, par ailleurs, la position de ces autorités, potentiellement en contradiction avec la Commission européenne ? N'y a-t-il pas là un risque de remise en cause du rôle de la Commission dans la conduite de la coordination des politiques économiques et un renforcement de l'illisibilité du semestre européen ? La mise en place de ces autorités ne répond pas, par ailleurs, à la question-clé de l'incitation et du soutien à la mise en oeuvre de réformes structurelles.

Enfin, les autorités de la productivité semblent différer d'un pays à l'autre. Une telle hétérogénéité n'affaiblira-telle pas l'ambition initiale du projet, à savoir la mise en place d'une véritable Union économique ?

Vos rapporteurs s'interrogent sur l'ajout de nouvelles structures qui complexifie un processus qui souffre déjà d'un déficit de clarté (cf supra ). Ils jugent en outre que le contrôle de la qualité des réformes mises en oeuvre et les questions de compétitivité et de productivité relèvent du rôle des parlements nationaux. La coordination des politiques économiques passe, par essence, par un investissement politique à haut niveau. Les autorités de la productivité répondent plus à une logique de diffusion nationale des messages transmis par la Commission qu'au renforcement pourtant indispensable de la convergence des économies. Il s'agit moins d'un processus politique promouvant une véritable Union économique que de la mise en place d'expertises supplémentaires.

2. La procédure pour déséquilibre macro-économique
a) L'extension du nombre d'indicateurs

La Commission européenne a procédé à une révision en deux temps du dispositif visant les déséquilibres macro-économiques. Celui-ci repose sur un mécanisme d'alerte destiné à identifier un certain nombre de risques pesant sur l'économie d'un État membre : déficit de compétitivité, bulle spéculative, endettement privé, etc. 11 indicateurs et 29 indicateurs complémentaires sont retenus à cet effet au sein d'un tableau de bord. Cinq catégories précèdent par ailleurs celle où doit être adoptée une recommandation.

L'une des difficultés de la procédure tient à la multiplicité des indicateurs qui appellent autant de réformes, là où le Pacte de stabilité et de croissance repose sur un instrument unique : le solde budgétaire.

Dans sa communication du 21 octobre 2015, la Commission européenne a annoncé vouloir réformer la procédure. Elle souhaitait clarifier catégories et critères et mieux prendre en compte les aspects liés à la zone euro. Elle ouvre désormais la procédure pour déséquilibres excessifs en cas d'engagement insuffisant à mener des réformes et d'absence de progrès dans leur mise en oeuvre si de graves déséquilibres macroéconomiques venaient à être détectés pouvant mettre en péril le bon fonctionnement de l'Union économique et monétaire, tels que ceux ayant conduit à la crise. Une attention particulière sera toujours portée aux déficits extérieurs, mais aussi sur les pays qui accumulent durablement des excédents élevés de la balance courante.

La communication de la Commission prévoit, en outre, d'ajouter trois nouveaux indicateurs au tableau de bord de la procédure concernant les déséquilibres macro-économiques : taux d'activité, chômage des jeunes et chômage de longue durée. Une plus grande attention doit également être portée à la dimension sociale au sein des programmes d'ajustement macroéconomiques signés avec les pays placés sous assistance financière. Le Conseil a exprimé ses doutes, le 15 janvier 2016, sur l'intérêt d'introduire ces indicateurs. Comme l'a reconnu la Commission elle-même dans son rapport sur le mécanisme d'alerte 2016, l'obtention de résultats défavorables pour ces nouveaux indicateurs n'implique pas une aggravation des risques macrofinanciers et ne peut être prise en compte pour déclencher une procédure de déséquilibre macro-économique.

On peut dès lors s'interroger sur l'extension de cette grille d'analyse. Ce tableau de bord de l'économie ne tient déjà pas forcément compte des interdépendances entre les pays membres et des arbitrages qui doivent être faits entres différents objectifs. Ainsi, la poursuite d'un objectif de réduction de la dette n'est pas forcément compatible avec une politique visant à réduire les coûts pour regagner en compétitivité. Là encore, vos rapporteurs estiment que l'analyse des politiques économiques menées au sein des États membres doit s'appuyer sur une implication plus forte des acteurs politiques plutôt que sur le respect de seuils chiffrés, qui peuvent, en outre, s'avérer contradictoires.

La Commission européenne a, par ailleurs, réduit, le 24 février 2016, le nombre de catégories prévues par la procédure, passant de 6 à 4. Elles sont désormais les suivantes : absence de déséquilibres, déséquilibres, déséquilibres excessifs et déséquilibres excessifs avec mesures correctives.

La procédure pour déséquilibre macro-économique

Sur proposition de la Commission européenne, le Conseil peut adopter une recommandation constatant l'existence d'un déséquilibre excessif et demandant à l'État membre concerné de présenter, dans un délai imparti, un plan de mesures correctives :

- si les mesures et le calendrier présenté par l'État membre sont jugés satisfaisants, ils sont avalisés par une recommandation du Conseil qui établit alors un calendrier de surveillance ;

- si le plan présenté est jugé insuffisant, le Conseil adopte une recommandation afin que l'État membre présente dans les deux mois un nouveau plan de mesures correctives. Une amende annuelle équivalente à 0,1 % du produit intérieur brut du pays pourra être infligée aux États membres de la zone euro qui échouent par deux fois à présenter un plan satisfaisant.

Une recommandation est réputée adoptée par le Conseil sauf si celui-ci s'y oppose à la majorité qualifiée dans les dix jours suivants son adoption.

La mise en oeuvre des mesures est ensuite évaluée par le Conseil. Si l'État membre n'a pas pris les mesures correctives recommandées, une recommandation constatant l'absence d'adoption de mesures correctives est adoptée, fixant de nouveaux délais. S'il s'agit d'un État membre de la zone euro, il est sanctionné et doit effectuer un dépôt portant intérêt, équivalent à 0,1 % de son PIB. Le dépôt sera transformé en amende annuelle si le pays échoue une deuxième fois à prendre les mesures correctives recommandée. À l'inverse, si l'État concerné a pris les mesures correctives recommandées et que la situation économique du pays est en bonne voie, la procédure est suspendue. Le suivi perdure néanmoins jusqu'à ce que le Conseil constate que le pays ne présente plus de déficit excessif et abroge ses recommandations

b) Comment rendre effectives les recommandations du Conseil ?

L'appropriation par les États des réformes structurelles à mener reste sujette à caution. La Commission européenne estime aujourd'hui que les recommandations du Conseil sont suivies d'effets, insistant sur l'exemple de l'Allemagne qui tend à réviser sa politique salariale et sa stratégie d'investissement. L'examen des messages adressés à la France démontre une réalité plus contrastée, la Commission relevant certaines avancées - marché du travail, réforme des retraites complémentaires - sans pour autant gommer l'absence de progrès dans d'autres domaines : fiscalité, politique salariale, faiblesse du commerce extérieur etc . L'institut Bruegel estime, de son côté, que le taux visant les recommandations adoptées dans le cadre de la procédure pour déséquilibre macro-économiques atteint à peine 32 % 8 ( * ) .

À l'instar de ce qui se pratique dans le cadre du pacte de stabilité et de croissance pour le volet budgétaire, il est peu probable que la Commission applique les sanctions prévues en cas de non-respect. La Commission table sur les autorités de la productivité pour une meilleure appropriation. Compte-tenu du flou entourant son positionnement, vos rapporteurs estiment qu'une telle solution est, en l'état, insuffisante.

La Commission européenne a parallèlement présenté, en novembre 2015, un projet de programme d'appui à la réforme structurelle pour la période 2017-2020 9 ( * ) . Elle souhaite ainsi que les États membres puissent bénéficier d'une aide dans la mise en oeuvre des réformes institutionnelles, structurelles et administratives qu'ils ont adoptées. Elle entend, de fait, développer le modèle de task force , déjà utilisé à Chypre et en Grèce, pour l'étendre à tous les membres de l'Union européenne.

Il s'agit de soutenir les initiatives des États membres et renforcer leur capacité à formuler, élaborer et appliquer politique et stratégies en matière de gestion des finances publiques, de fonctionnement des institutions et des administrations, de justice, d'éducation et de formation, d'agriculture, d'environnement des affaires et de gestion des flux migratoires.

Un État membre souhaitant bénéficier d'un tel type d'appui devrait introduire une demande en ce sens, notamment dans le cadre du semestre européen. Elle pourrait permettre de :

- satisfaire aux préconisations d'une recommandation du Conseil dans le cadre du semestre européen ;

- répondre aux objectifs d'un mémorandum d'accord en cas d'assistance financière de l'Union européenne ;

- consolider toute démarche réformatrice nationale.

La proposition de règlement prévoit différents types d'action - séminaires, ateliers, analyses d'impact, visites de travail, appui opérationnel sur le terrain, apport d'expertise - en fonction du degré d'avancement du processus de réforme. Le montant des crédits alloués à ce programme s'élève à près de 143 millions d'euros sur la période.

Le recours à ce programme s'effectue sur une base volontaire et reste donc optionnel. Il vient appuyer des initiatives nationales et non se substituer aux États membres.

Si vos rapporteurs saluent ce type d'initiative, ils en relèvent également la modestie. Il convient de faire émerger des réponses plus ambitieuses en utilisant les instruments déjà existants. Il est ainsi possible de réfléchir à une meilleure allocation des fonds structurels. Seuls 4,3 milliards d'euros sur la période 2014-2020 sont affectés au renforcement des capacités institutionnelles et à la promotion des réformes administratives, soit autant de facteurs hors coûts en matière de compétitivité, soit moins de 1 % de l'enveloppe totale.

De façon plus générale, il apparaît clair que l'appropriation des recommandations du Conseil passe par un meilleur soutien de l'Union européenne à destination d'États membres, qui, pour la plupart, ne disposent plus de marges de manoeuvres budgétaires. Dans ces conditions, il y a lieu de s'interroger sur l'émergence à terme d'un mécanisme de stabilisation budgétaire, appelé de ses voeux par le rapport des cinq présidents, dans le cadre de la phase II. Faute d'un tel mécanisme, les mesures préconisées aujourd'hui par la Commission en vue de renforcer la procédure apparaissent vaines et tendent plus à complexifier le dispositif qu'à le rendre véritablement efficace.

3. Quelle valeur pour le socle européen des droits sociaux ?
a) Principes du socle

La Commission européenne a lancé, le 8 mars 2016, une consultation publique sur un socle européen des droits sociaux 10 ( * ) . Annoncé dans le discours de l'Union prononcé par le président de la Commission européenne le 19 septembre 2015, ce socle doit participer d'une action en faveur d'un marché du travail équitable et véritablement paneuropéen.

La communication du 21 octobre 2015 insistait déjà sur la nécessaire promotion de la convergence sociale dans le cadre de l'Union économique et monétaire, insistant plus particulièrement sur la flexisécurité et indiquant son souhait de mettre au point une « boussole » sociale, fondée sur l'acquis européen en la matière 11 ( * ) . Le rapport des cinq présidents insistait de son côté sur la nécessité pour l'Europe d'obtenir un « triple A social », tout en rappelant qu'il n'existe pas de modèle à taille unique en la matière. Dans ces conditions, le socle doit permettre à la zone euro de surmonter la crise et d'évoluer vers une Union économique et monétaire plus approfondie et plus équitable.

Le socle n'est pas envisagé comme une simple reproduction de l'acquis de l'Union européenne en la matière. La réflexion doit, au contraire, permettre de vérifier la pertinence de l'acquis et de déterminer d'éventuels domaines d'action. Le socle ne modifie pas, pour autant, les droits existants, qui restent intacts 12 ( * ) . Il devra, par ailleurs, respecter les limites juridiques imposées par les traités ; l'article 153 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne prévoit ainsi qu'elle ne peut légiférer sur les questions relatives aux rémunérations, au droit d'association ou au droit de grève.

La Commission européenne rappelle également qu'à ses yeux, les marchés du travail doivent combiner flexibilité et sécurité - la flexisécurité - et permettre de concilier vie personnelle et vie professionnelle, adaptation tout au long de la carrière, et formation continue. Il s'agit aussi de rendre les systèmes de protection sociale plus performants dans un contexte marqué par une réduction des dépenses publiques. L'objectif du socle européen des droits sociaux est donc de garantir le bon fonctionnement et l'équité des marchés du travail et des systèmes sociaux. Il doit permettre d'évaluer les performances des États en la matière, d'accomplir les réformes structurelles à l'échelon national et de faciliter la convergence.

b) Quel contenu ?

Également présentée le 8 mars, la première ébauche du socle prévoit une articulation autour de trois chapitres :


• L'égalité des chances et l'accès au marché du travail, la formation tout au long de la vie étant rattachée à ce thème ;


• Les conditions de travail équitables ;


• La protection sociale, censée être adéquate et viable, permettant un accès à des services essentiels de qualité.

L'ensemble couvre in fine 34 droits, en partie inspirés par la Charte des droits fondamentaux.

(1) L'égalité des chances et l'accès au marché du travail

Aux yeux de la Commission européenne, s'appuyant sur l'article 14 de la Charte des droits fondamentaux et la politique européenne de formation continue prévue aux articles 165 et 166 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), toute personne doit avoir accès à une formation de qualité tout au long de sa vie pour développer son niveau de compétences et ainsi accéder au marché de l'emploi.

Soulignant la différence de conditions de travail en fonction de la nature du contrat, la Commission rappelle la nécessité d'empêcher le recours abusif aux relations de travail précaires et non permanentes. Elle appelle de ses voeux des conditions d'emploi flexibles permettant d'ouvrir l'accès au marché du travail. Elle estime par ailleurs indispensable la transition vers des contrats à durée indéterminée.

Une aide personnalisée à la recherche d'emploi, la préservation et la portabilité des droits sociaux et des droits de formation sont aussi considérées comme des droits. Reprenant les objectifs de l'Initiative pour l'emploi des jeunes, lancée en 2013, la Commission insiste sur le fait que tous les jeunes de moins de vingt-cinq ans doivent se voir proposer un emploi de qualité, une formation continue, un apprentissage ou un stage dans les quatre mois qui suivent la perte de leur emploi ou leur sortie de l'enseignement. Des évaluations individuelles approfondies, des conseils personnalisés et un accord d'intégration professionnel (offre de service individualisée et désignation d'un point de contact unique) doivent être proposés au chômeur de longue durée.

Le socle devrait également rappeler le principe d'égalité entre les hommes et les femmes, notamment en matière de rémunération, inscrit à l'article 24 de la Charte des droits fondamentaux. La Commission insiste sur la nécessité pour les parents de pouvoir avoir accès à des conditions de travail flexibles dans la mesure du possible, à des formules de congés adaptés ou à des services de garde. L'article 33 de la Charte des droits fondamentaux met en place, pour l'heure, un droit à être protégé contre tout licenciement pour un motif lié à la maternité et un droit au congé parental.

Le socle mettrait enfin en avant le principe d'une participation accrue des « groupes sous-représentés » au marché du travail, en insistant sur la lutte contre les discriminations (article 21 de la Charte des droits fondamentaux).

(2) L'équité des conditions de travail

La Commission envisage d'étendre la protection contre les licenciements injustifiés, prévue à l'article 30 de la Charte des droits fondamentaux. La période probatoire doit ainsi être d'une durée raisonnable. Le licenciement doit être précédé d'un préavis, lui aussi raisonnable, et assorti d'une compensation adéquate.

Tout emploi doit, par ailleurs, être justement rémunéré et assurer un niveau de vie décent. Dans ces conditions, le salaire minimum doit être fixé au moyen d'un mécanisme transparent et prévisible, préservant à la fois l'accès à l'emploi et la motivation à en chercher un. Les salaires doivent, de façon générale, être corrélés à la productivité, dans le cadre d'une consultation des partenaires sociaux et en accord avec les pratiques nationales.

Au-delà de la rémunération et de la protection contre le licenciement, la Commission s'appuie sur l'article 31 de la Charte des droits fondamentaux pour insister sur le droit à la sécurité sur le lieu de travail, en particulier dans les micro et petites entreprises.

L'ébauche de socle rappelle par ailleurs la nécessaire consultation des partenaires sociaux sur l'élaboration des politiques sociales et de l'emploi (articles 12, 27 et 28 de la Charte des droits fondamentaux) et le droit à l'information des salariés, quelles que soient leurs conditions de travail (télétravail, travail transfrontalier) et en particulier dans le cas de fusion d'entreprises, de restructuration, de transfert ou de licenciement.

(3) Une protection sociale adéquate et viable

Prenant appui sur le droit d'accès aux prestations de sécurité sociale et aux services sociaux (article 34 de la Charte des droits fondamentaux), la Commission préconise un droit à l'intégration des prestations sociales, censé permettre d'en accroître la cohérence et l'accès.

L'article 35 de la Charte des droits fondamentaux sur l'accès aux soins de santé sert de référence pour mettre en avant un droit d'accès aux soins de santé préventifs et curatifs, sans qu'ils n'entraînent de difficultés financières. L'ébauche prévoit également un droit à l'accès aux services de soins de longue durée, y compris à domicile, la fourniture et le financement de ceux-ci devant être améliorés. Le texte table également sur un droit d'accès aux services d'accueil à l'enfance, et déclinant l'article 24 de la Charte des droits fondamentaux, insiste sur la protection des enfants contre la pauvreté.

Les systèmes de soins de santé doivent par ailleurs encourager la fourniture de soins de santé d'un bon rapport coût/efficacité. Tout travailleur, quel que soit le type de contrat (y compris les non-salariés), doit se voir garantir des congés maladie convenablement rémunérés et une réadaptation en vue d'un retour rapide au travail. Les handicapés ont, de leur côté, un droit à un revenu minimum garanti, les conditions d'accès à cette prestation ne pouvant constituer un obstacle à l'emploi.

La question des retraites est abordée via le droit à une pension offrant un niveau de vie décent, l'écart entre hommes et femme devant être réduit en tenant compte des périodes de garde d'enfant ou de prise en charge de tiers. Garantir la viabilité financière des régimes de retraite apparaît également comme une obligation et implique de prévoir une large assiette de cotisations, de relier l'âge légal de la retraite à l'espérance de vie et d'éviter les sorties prématurées du marché du travail.

Le droit aux prestations-chômage est également garanti dans le projet de la Commission, mais doit être assorti d'une obligation de recherche active d'emploi. Les incitations nécessaires à un retour à l'emploi doivent également être maintenues. Le revenu minimum est également abordé, cette prestation devant être assortie d'exigences de participation au soutien actif pour les personnes en âge de travailler afin de favoriser leur (ré)intégration au marché du travail.

L'ébauche de socle met en avant un droit d'accès au logement social et à l'aide au logement, assorti d'une protection contre les expulsions pour les personnes vulnérables et une aide à l'accession à la propriété pour les ménages à faibles et moyens revenus. Le texte insiste, en outre, sur l'hébergement des sans-abri. Ces droits vont de pair avec une garantie d'accès aux services essentiels : énergie, communications électroniques, transports et services financiers.

c) Quelle portée pour ce socle ?

Le projet de la Commission, déjà largement étayé avant même le lancement de la consultation publique, apparaît ambitieux et par moments novateur, puisque s'affranchissant des limites de l'article 153 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, à l'instar de la question de la rémunération. Les termes demeurent cependant suffisamment généraux et respectent dans la plupart des cas le principe de subsidiarité. Il serait difficile d'aller au-delà compte tenu notamment des difficultés rencontrées au Conseil pour faire progresser l'acquis social auquel la Commission fait référence dans son exposé des motifs : la révision de la directive sur le temps de travail, lancée en 2010, n'a ainsi toujours pas abouti. La Commission a également annoncé, en juillet 2015, l'abandon du projet de directive sur le congé maternité qui harmonisait, à l'échelle européenne, le dispositif.

L'article 153 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne

L'article 153 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne prévoit que celle-ci soutient et complète l'action des États membres uniquement dans les domaines suivants: la santé et la sécurité des travailleurs; les conditions de travail ; la sécurité sociale et la protection sociale des travailleurs; la protection des travailleurs en cas de résiliation du contrat de travail; l'information et la consultation des travailleurs; la représentation et la défense collective des intérêts des travailleurs et des employeurs, y compris la cogestion, les conditions d'emploi des ressortissants des pays tiers se trouvant en séjour régulier sur le territoire de l'Union; l'intégration des personnes exclues du marché du travail, ; l'égalité entre hommes et femmes en ce qui concerne leurs chances sur le marché du travail et le traitement dans le travail; la lutte contre l'exclusion sociale et la modernisation des systèmes de protection sociale, sans préjudice du point. Les rémunérations, le droit d'association, le droit de grève ou le droit de lock-out ne peuvent faire l'objet d'une intervention de l'Union européenne. Dans les domaines visés l'Union européenne peut, par voie de directives, des prescriptions minimales applicables progressivement, compte tenu des conditions et des réglementations techniques existant dans chacun des États membres. Ces directives évitent d'imposer des contraintes administratives, financières et juridiques telles qu'elles contrarieraient la création et le développement de petites et moyennes entreprises. Elle ne peut porter pas atteinte à la faculté reconnue aux États membres de définir les principes fondamentaux de leur système de sécurité sociale et ne doivent pas en affecter sensiblement l'équilibre financier. Elle ne peut empêcher un État membre de maintenir ou d'établir des mesures de protection plus strictes compatibles avec les traités.

Un certain nombre de dispositions visant le marché du travail ou la viabilité des régimes de protection sociale découlent, quant à elles, des recommandations adressées aux pays dans le cadre du semestre européen. Elles sont donc déjà intégrées dans la grille de lecture de la Commission européenne sur la situation économique et financière des États membres.

On peut de fait s'interroger sur la valeur juridique de ce socle, une fois établi. Disposera-t-il d'une valeur contraignante, comme peut l'avoir aujourd'hui la Charte des droits fondamentaux dont il décline un certain nombre de principes ? Une révision des traités devra alors s'imposer. À défaut, il resterait une grille de lecture supplémentaire, sans réelle valeur ajoutée. Elle viendrait ainsi compléter la liste des indicateurs dont dispose déjà la Commission européenne et dont vos rapporteurs estiment qu'elle prête déjà le flanc aux critiques visant son illisibilité. Il semble pourtant que cette solution soit celle retenue, à l'heure actuelle, par la Commission européenne.

B. UNE UNION BUDGÉTAIRE EN QUÊTE DE CLARTÉ

La communication de la Commission du 21 octobre 2015 insiste sur deux points en ce qui concerne l'Union budgétaire : la rénovation du semestre européen et la mise en place, dans la lignée des recommandations du rapport des cinq présidents, d'un comité budgétaire européen indépendant.

1. Le semestre européen rénové

Introduit en 2011 et consolidé en 2013, le semestre européen commence en novembre de l'année n-1 avec la publication de l'avis de la Commission européenne sur les plans budgétaires nationaux. Il continue en février avec la publication de l'examen annuel de croissance et de rapport pays au titre de la procédure pour déséquilibre macro-économique. Il se conclut en mai-juin par l'examen des programmes nationaux de réforme et des programmes de stabilité et de croissance transmis par les gouvernements visant les quatre exercices à venir.

La Commission Juncker a déjà apporté certaines modifications au semestre européen depuis son entrée en fonctions en novembre 2014. La publication des rapports pays dès le mois de février a permis de donner plus de temps au dialogue avec les États membres et d'enrichir notamment les programmes nationaux de réformes adressés ensuite à la Commission européenne. Ces documents intègrent désormais les observations de la Commission européenne. La publication des recommandations pays a été avancée en mai. Ces recommandations ont été concentrées sur quelques priorités afin de permettre un meilleur échange avec les États et optimiser le suivi.

La Commission européenne entend désormais aller plus loin en :

- intégrant davantage les observations concernant l'ensemble de la zone euro ;

- portant une attention accrue aux performances dans le domaine social et en matière d'emploi ;

- promouvant la convergence, via la mise en place de critères et l'échange de bonnes pratiques ;

- soutenir de façon plus ciblée les réformes par l'intermédiaire des fonds de l'Union européenne.

a) L'examen de la situation de la zone euro comme préalable

Le semestre européen intégrait déjà des aspects liés à la zone euro, qu'il s'agisse de l'évaluation annuelle de l'orientation budgétaire de la zone euro ou des recommandations pour l'ensemble de la zone. Ces prises de position restaient conditionnées aux approches nationales. La Commission européenne a souhaité, dans ces conditions, bouleverser la structure du semestre pour que soit mis l'accent sur l'évolution générale de la zone euro avant la situation pays par pays. L'examen annuel de croissance, publié en novembre, met ainsi l'accent sur les priorités budgétaires, économiques, sociales et financières de la zone euro . La Commission présente surtout, depuis novembre dernier, un projet de recommandation sur l'ensemble de la zone euro, définissant ainsi une stratégie d'ensemble. Si ce document n'est pas une nouveauté, sa parution au début du semestre constitue un changement.

Une telle approche va incontestablement dans le bon sens tant il n'existait pas, jusqu'alors, de véritable revue globale de la situation de l'ensemble de la zone pouvant permettre un ajustement plus précis des recommandations. Le semestre européen semblait se concentrer sur une revue de la situation individuelle des États membres et notamment sur leur capacité à mettre en oeuvre les réformes structurelles recommandées. Or, le Two pack , entré en vigueur le 30 mai 2013, insistait pourtant sur le fait que l'Eurogroupe délibère sur la situation et les perspectives budgétaires pour la zone euro dans son ensemble.

La Commission invite, par ailleurs, l'Eurogroupe à débattre de l'orientation budgétaire de la zone. Des discussions devront également être menées au sein du Conseil et du Parlement européen en ce qui concerne les priorités de la zone euro afin de dégager une vision commune, appelée à déterminer pour partie le contenu des programmes nationaux de réforme et les programmes de stabilité des États membres et les recommandations pays qui en découlent.

b) Aller plus loin ?

La réforme du semestre européen gagnerait de fait à être encore plus approfondie. Comme le relevait en mars 2015 une note du Conseil d'analyse économique, le semestre européen devrait être divisé en deux périodes afin de mieux mettre en avant l'évaluation de la situation de la zone euro 13 ( * ) .

Le premier trimestre (novembre de l'année n-1 à février de l'année n) serait ainsi dédié à l'analyse de la situation macro-économique de la zone euro. Celle-ci ciblerait les déséquilibres, en se fondant sur l'analyse des situations budgétaire et macro-prudentielle et des performances en matière de compétitivité. L'hétérogénéité par pays pourrait également être mise en avant si nécessaire. Ce double examen permettrait de définir, après avis du Parlement européen, l'orientation de la politique économique au niveau de la zone et de dresser, le cas échéant, une liste de pays devant être soumis à un bilan approfondi au titre de la procédure pour déséquilibre macro-économique.

Le deuxième trimestre (mars à juillet n) serait consacré à l'examen des pays, en se fondant, là encore, sur l'analyse des situations budgétaire et macro-prudentielle et des performances en matière de compétitivité. Ces trois catégories devraient être mises en avant au sein des programmes de stabilité et des programmes nationaux de réforme transmis par les gouvernements.

2. Le Comité budgétaire européen

La Commission a annoncé, le 21 octobre 2015, la création du Comité budgétaire européen consultatif indépendant, esquissé dans le rapport des cinq présidents 14 ( * ) . Il doit contribuer, à titre consultatif, à l'exercice des fonctions dévolues à la Commission européenne en matière de coordination des politiques budgétaires nationales. Il devrait notamment évaluer la mise en oeuvre des décisions adoptées dans le cadre du pacte de stabilité et de croissance, relevant les éventuels manquements. Il doit permettre à la zone euro de définir une orientation budgétaire appropriée (article 2). Il agit en concertation avec les organes nationaux dédiés, à l'image du Haut conseil des finances publiques français.

Le Comité est composé d'un président et de quatre membres, experts internationaux, nommés par la Commission européenne pour une période de trois ans sur la base de leurs qualifications et de leurs compétences (article 3). Les nominations sont intervenues le 19 octobre dernier. Le Comité sera présidé par le Danois Niels Thygesen. Les quatre autres membres sont les suivants : la française Sandrine Duchêne, l'italien Massimo Bordignon, le néerlandais Roel Beetsma, et le polonais Mateusz Szczureck. Le secrétariat du comité devrait être rattaché administrativement au secrétariat général de la Commission, le comité devant s'acquitter de ses tâches en toute indépendance et élaborer ses avis de manière autonome par rapport à toute institution européenne (article 4).

Comme dans le cas des autorités nationales de la productivité, se pose la question du rôle du nouveau comité et notamment de sa place par rapport à la Commission européenne. Vos rapporteurs s'inquiètent d'un risque de mille-feuilles administratif dans le domaine de la gouvernance de la zone euro. Ils s'interrogent donc sur la valeur ajoutée d'un nouvel organisme, de surcroît consultatif. Ils rappellent qu'il existe déjà un réseau des comités budgétaires indépendants (EUNIFI) qui se réunit au moins une fois par an à l'invitation de la Commission européenne depuis novembre 2013. Le rôle de celui-ci aurait pu être renforcé et les avis rendus par ce réseau consolidés au niveau de la zone euro avant d'être transmis à la Commission européenne et au Conseil.

3. Réformer le Pacte de stabilité et de croissance ?

Comme dans le cadre de la procédure pour déséquilibre macro-économique, la question de l'application des recommandations adoptées au titre du Pacte de stabilité et de croissance reste entière. Les cas espagnol et portugais ont souligné la faiblesse du volet correctif du pacte. Les deux pays auraient dû être sanctionnés pour déficit excessif au regard de leur situation budgétaire. La Commission européenne a finalement proposé, le 27 juillet 2016, des amendes à zéro euro, les deux pays devant néanmoins s'engager à adopter des mesures correctives (réduction des dépenses et augmentation des recettes) représentant 0,25 % du PIB portugais et 0,5 % du PIB espagnol. Une telle décision, validée par le Conseil le 9 août, revêt un caractère politique : il apparaissait délicat de sanctionner des États qui ont déjà accompli des réformes d'envergure ces dernières années. Plus largement, l'Institut Bruegel a relevé que le taux de mise en oeuvre des recommandations visant la situation budgétaire des États membres s'est élevé à 44 % en moyenne sur la période 2012-2014 15 ( * ) .

Cette absence de sanction effective pose la question d'une réforme du Pacte de stabilité et de croissance. Celle-ci est pour l'heure appelée de leurs voeux par la France et l'Italie. L'Allemagne a rappelé, de son côté, que le dispositif contenait déjà une marge importante de flexibilité, qui devait être utilisée avec « sagesse ». La question des clauses de flexibilité n'est pas anodine tant le Conseil est divisé sur cette question.

a) Le principe des clauses de flexibilité
(1) La communication du 13 janvier 2015
(a) La clause « réformes structurelles »

La Commission européenne a publié, le 13 janvier 2015, une communication dans laquelle elle indique qu'elle tiendra désormais compte des réformes structurelles dans l'évaluation des projets de budgets nationaux dans le cadre du Pacte de stabilité et de croissance.

S'appuyant sur l'article 5 du règlement n° 1466/97 du 7 juillet 1997 visant à accélérer et à clarifier la mise en oeuvre de la procédure concernant les déficits excessifs, la Commission européenne a souhaité rappeler l'existence d'une clause « réformes structurelles », applicable aux volets préventif et correctif du pacte. Ledit article dispose en effet que le Conseil et la Commission européenne tiennent compte, dans leurs recommandations, de la mise en oeuvre de réformes structurelles majeures qui auraient des effets budgétaires positifs à long terme et une incidence vérifiable sur la soutenabilité des finances publiques. Une attention particulière doit être accordée aux réformes des retraites dès lors qu'elles introduisent un système à plusieurs piliers, dont un pilier obligatoire financé par capitalisation.

La communication de la Commission européenne vient donc rappeler que l'incidence budgétaire positive des réformes structurelles doit être intégrée dans l'examen de la situation de chaque État membre. Ces réformes doivent répondre à trois conditions :

- être importantes ;

- comporter des effets budgétaires positifs à long terme démontrables. Une attention particulière sera portée à leurs incidences en matière de croissance durable potentielle ;

- être effectivement mises en oeuvre.

La Commission européenne définit deux cas de figure pour la mise en oeuvre de cette clause « réformes structurelles ».

Le premier concerne les pays couverts par le volet préventif du Pacte de stabilité et de croissance. La Commission européenne évaluera les réformes menées dans ces pays avant de recommander d'éventuels écarts temporaires par rapport à la trajectoire d'ajustement budgétaire ou à l'objectif budgétaire à moyen terme (OMT), introduit par le règlement n° 1055/2005 du 27 juin 2005. Ces écarts ne sauraient dépasser 0,5 % du PIB. L'OMT devra néanmoins être atteint dans les quatre ans qui suivent cet assouplissement. Le déficit public devra dans le même temps rester inférieur à 3 % du PIB. Si les réformes annoncées ne sont pas mises en oeuvre et ne justifient pas ainsi un écart avec l'OMT initialement défini, une procédure d'avertissement peut être lancée.

Les États membres qui se trouvent, quant à eux, visés par une procédure concernant les déficits excessifs pourraient se voir proposer une prolongation du délai envisagé pour la correction desdits déficits. Cette prorogation n'interviendrait qu'après évaluation du programme de réformes structurelles envisagées par le pays concerné. L'évaluation du programme peut se faire ex ante , c'est-à-dire après adoption par le Gouvernement et/ou le parlement de l'État concerné, mais avant sa mise en oeuvre. La Commission européenne doit néanmoins disposer d'informations détaillées et vérifiables. Des délais crédibles en matière d'application et de réalisation doivent parallèlement être mis en avant. Une absence d'action conduirait au renforcement de la procédure et à une suspension éventuelle de l'octroi des fonds structurels et des investissements européens. Les pays placés sous procédure visant les déficits excessifs sont tenus de respecter la règle d'un effort structurel annuel de 0,5 % de PIB.

La Commission européenne rappelle, en outre, que l'absence de réformes structurelles est considérée comme un « facteur pertinent aggravant ». L'article 2 du règlement de 1997 dispose en effet que la Commission tient compte, dans l'optique du lancement d'une procédure visant les déficits excessifs, de tous les facteurs pertinents dans la mesure où ils affectent l'évaluation du respect des critères de déficit et de dette. Cette disposition avait été introduite en 2005, via le règlement n° 1056/2005 du 27 juin 2005. En mettant en avant la notion de facteur pertinent aggravant, elle rappelle que la notion de facteur pertinent ne saurait être analysée que dans un sens favorable aux États membres.

En ce qui concerne les retraites, la Commission européenne ajoute que la procédure concernant les déficits excessifs peut être close dès lors que l'écart entre le déficit budgétaire constaté et le seuil de 3 % du PIB est imputable à la réforme des retraites et que, dans le même temps, le déficit sera diminué de manière substantielle et constante.

(b) La clause « investissements »

Le volet « investissements » de la communication vise deux cas : les contributions nationales au Fonds européen pour les investissements stratégiques (FEIS) créé dans le cadre du Plan Juncker pour la relance et la clause « investissements » déjà mise en avant en 2013.

La Commission européenne préconise, en premier lieu, de ne pas tenir compte des contributions nationales au FEIS lorsqu'elle analysera la situation budgétaire des États membres. Les montants versés ne seront pas comptabilisés pour évaluer le respect par les pays des critères du Pacte de stabilité et de croissance ou de l'objectif à moyen terme. Une procédure pour déficit excessif ne sera pas engagée si, en raison de cette contribution au Fonds, le déficit public d'un État membre dépasse 3 %. Les participations au FEIS sont également exclues de l'évaluation du critère de la dette. Le raisonnement de la Commission européenne correspond à une interprétation logique du pacte qui prévoit que l'OMT, comme l'effort d'ajustement budgétaire mis en oeuvre dans le cadre d'une procédure visant les déficits excessifs, sont définis en termes structurels (articles 3 et 5 du règlement n° 1467/97. Or, cette méthode de calcul exclut les mesures ponctuelles et temporaires, ce que sont les contributions au FEIS.

La Commission européenne a également souhaité préciser le principe de la clause d'investissement, déjà incorporé, au sein de lignes directrices présentées le 3 juillet 2013, par l'exécutif précédent au sein d'une lettre adressée aux ministres des finances des États membres. Cette approche avait déjà été retenue pour examiner la situation de la Bulgarie en 2013 et celles de la Roumanie et de la Slovaquie un an plus tard.

La clause d'investissement ne concerne pas les États membres visés par une procédure pour déficit excessif, à l'instar de la France, mais ceux qui s'intègrent dans le volet préventif du pacte. Ces pays pourront s'écarter de la trajectoire budgétaire ou de l'objectif budgétaire à moyen terme (OMT) définis préalablement s'ils réalisent des investissements structurels, sans forcément passer par l'EFSI. Plusieurs conditions devront néanmoins être retenues :

- ces pays devront être en récession ou disposer d'un produit intérieur brut inférieur d'au moins 1,5 % au potentiel ;

- la dérive des comptes publics induite par ces investissements ne pourra conduire à un déficit supérieur à 3 % du PIB, une marge de sécurité devrait ainsi être préalablement définie. L'écart devrait être comblé dans des délais fixés au sein d'un plan budgétaire à moyen terme, transmis dans le cadre des programmes de stabilité ;

- les investissements concernés correspondent à des dépenses effectives, cofinancées par l'EFSI ou par l'Union européenne via la politique de cohésion, les fonds structurels, les réseaux transeuropéens et le mécanisme pour l'interconnexion en Europe ou l'Initiative pour l'emploi des jeunes.

L'Italie avait, en 2013 et 2014, formulé deux demandes pour que soit prise en compte cette clause d'investissements. Elles avaient été repoussées au motif que l'Italie ne respectait pas la règle des 1/20 ème . Le respect de cette règle avait été réaffirmé au sein des lignes directrices de 2013. Elle n'est pas retenue dans la communication de la Commission européenne.

(c) La question des cycles économiques

La Commission européenne rappelle également la possibilité de prendre en compte la conjoncture économique dans l'élaboration des mesures d'ajustement budgétaire élaborées avec les États membres. Ainsi, les États concernés par le volet préventif du pacte sont tenus, aux termes de l'article 5 du règlement de 1997, d'intensifier leurs efforts budgétaires au cours des périodes de croissance. La Commission entend souligner de la sorte le caractère contra-cyclique du pacte. Il s'agit de moduler l'ajustement budgétaire en fonction de la croissance. Un État dont l'économie est en récession sur l'ensemble de l'année pourrait ainsi être exempté de consolidation budgétaire. À l'inverse, un pays dont les performances économiques dépassent clairement le potentiel et dont la dette publique est supérieur à 60 % du PIB pourrait être conduit à fournir un effort structurel supérieur à 1 % du PIB. L'Italie, dont la procédure pour déficit excessif a été close en 2013, aurait, aux termes de cette interprétation, pu être exemptée de l'effort de consolidation budgétaire inscrit dans la loi de finances pour 2014, à savoir 0,25 point du PIB.

Pour les pays visés par le volet correctif, la Commission entend appliquer l'approche élaborée en 2014 et validée par le Conseil Ecofin du 20 juin 2014. Celle-ci vise à distinguer les évolutions budgétaires liées à l'action des gouvernements de celles induites par une dimension inattendue de l'activité économique. Elle conduit à étaler dans le temps la réalisation de l'OMT.

Cette approche ne saurait constituer totalement une nouveauté puisque la rédaction originelle du règlement de 1997 prévoyait déjà la prise en compte d'une grave récession économique au sein de la zone euro ou dans l'ensemble de l'Union. Le règlement n° 1177/2011, qui vient modifier celui de 1997, insiste sur le fait que cette dégradation peut conduire à une adaptation du rythme de l'assainissement budgétaire sans que ne soit compromis le principe de viabilité du budget des États concernés à moyen terme. Il convient de relever que cette disposition n'a jamais été appliquée depuis son introduction.

(2) Une lecture plus politique ?

Une lecture plus politique du pacte a, par ailleurs, été mise en oeuvre par la Commission européenne, à l'aune de la crise migratoire et de la lutte contre le terrorisme.

Le règlement (CE) n° 1467/97 du Conseil du 7 juillet 1997 visant à accélérer et à clarifier la mise en oeuvre de la procédure concernant les déficits excessifs prévoit, à l'article 2, que le dépassement de la valeur de référence fixée pour le déficit public est considéré comme exceptionnel et temporaire s'il résulte d'une circonstance inhabituelle indépendante de la volonté de l'État membre concerné et ayant des effets sensibles sur la situation financière des administrations publiques. Le dépassement de la valeur de référence est considéré comme temporaire si les prévisions budgétaires établies par la Commission indiquent que le déficit tombera au-dessous de la valeur de référence lorsque la circonstance inhabituelle ou la grave récession auront disparu. L'article 126, alinéa 3, du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne prévoit que, pour apprécier le respect des critères du Pacte de stabilité et de croissance, la Commission européenne doit examiner si le déficit public excède les dépenses publiques d'investissement et tenir compte de tous les autres facteurs pertinents. Les conclusions du Conseil européen des 22 et 23 mars 2005 intègrent une interprétation de ces « facteurs pertinents ». Elles demandent ainsi que la Commission européenne porte une attention particulière aux efforts budgétaires visant à accroître ou à maintenir à un niveau élevé les contributions financières destinées à encourager la solidarité internationale et à réaliser des objectifs de la politique européenne. Ces deux objectifs peuvent recouper ceux visant la relocalisation des migrants, voire les moyens mis en oeuvre dans la lutte contre le terrorisme.

Aux termes de l'examen des plans des budgets nationaux pour 2016, la Commission européenne a jugé, le 17 novembre 2015, que les dépenses publiques liées à l'accueil des réfugiés répondent aux circonstances exceptionnelles définies par le Pacte de stabilité et de croissance. Leur montant ne devrait donc pas être intégré à l'évaluation des soldes budgétaires pour les années 2015 et 2016 dans le cadre de la procédure du semestre européen. Si l'écart constaté entre le déficit public et l'objectif budgétaire à moyen terme assigné dans la recommandation du Conseil est inférieur ou égal à ce montant, l'État membre concerné ne sera pas visé par une éventuelle procédure.

Le président de la Commission européenne a estimé, de son côté, le 18 novembre 2015 que « les dépenses de sécurité de la France devraient être exclues des calculs entrant dans le champ des règles de l'Union européenne sur les déficits ». Le commissaire aux affaires économiques et monétaires avait, cependant, indiqué la veille que l'impact financier de ces nouvelles mesures serait appréhendé de manière constructive et en temps voulu. Il estimait que ces nouvelles dépenses ne devraient pas infléchir considérablement la trajectoire des finances publiques françaises.

b) Comment apprécier les clauses de flexibilité ?

Le Conseil s'est montré divisé sur l'application de la communication de janvier 2015 : l'Allemagne étant réservée sur l'absence de concertation préalable entre la Commission européenne et les États au moment de la parution de la communication, la France ou l'Italie étant très favorables à ce nouveau dispositif. Des interrogations subsistent également quant à la façon d'évaluer les réformes structurelles ou sur les limites à apporter à l'application répétée des clauses de flexibilité. Pour l'heure, dans le cadre du volet préventif, l'Italie a été autorisée pour 2016 à s'écarter de la trajectoire d'ajustement vers son objectif budgétaire à moyen terme à hauteur de 0,4 % du PIB, en raison du programme de réformes structurelles que le gouvernement Renzi a présenté.

Le Conseil économique et financier du Conseil (CEF) a remis un rapport sur cette question fin 2015. Le service juridique du Conseil a jugé de son côté, en avril 2015, que la clause « réformes structurelles » n'était pas assez précise. Une simple annonce des réformes à venir ne saurait ainsi être suffisante. La Banque centrale européenne estime, de son côté, que seul un petit nombre de réformes structurelles a des conséquences budgétaires à court terme. C'est particulièrement le cas pour les réformes des marchés des biens et du travail. Les effets budgétaires à court terme des réformes des retraites et des services de santé sont, quant à eux, jugés positifs. Les réformes structurelles s'avèrent, de surcroît, délicates à évaluer. L'utilisation de cette clause peut donc apparaître contreproductive. Son application doit, en tout cas, être claire, transparente, prudente et destinée à éviter tout abus 16 ( * ) .

Sur la base d'un rapport du Conseil économique et financier du Conseil (CEF), le Conseil Ecofin a émis une première position commune sur cette question le 8 décembre 2015 17 ( * ) . Les États ont ainsi décidé d'imposer des limites claires aux clauses de flexibilité intégrées au « volet préventif » du pacte, c'est-à-dire applicables aux États dont le déficit public est en deçà de 3 % du PIB. Aux yeux du Conseil, l'écart temporaire et cumulatif des objectifs ne doit pas dépasser 0,75 % du PIB. Les clauses de flexibilité ne peuvent être, par ailleurs, utilisées qu'une fois durant la période d'ajustement destinée à équilibrer les comptes publics. L'application de la clause d'investissement est, en outre, plus encadrée : les gouvernements doivent désormais soumettre des informations détaillées sur les projets d'investissements au service de réformes structurelles. Ils doivent fournir, dans le même temps, une évaluation indépendante de ces investissements, en mettant notamment en avant l'impact estimé à long terme sur la situation budgétaire.

Comme le note le Conseil d'analyse économique, le Comité budgétaire européen consultatif trouverait une utilité à apprécier la situation budgétaire et économique de la zone afin de juger de l'opportunité d'une application flexible du pacte, en excluant temporairement certaines dépenses du calcul des déficits 18 ( * ) . Cet avis pourrait être transmis au Conseil qui déciderait alors de suivre ou non cet avis. Cette expertise serait d'autant plus utile que plusieurs observateurs jugent que les clauses sont, en l'état, trop nombreuses, inefficaces et opaques 19 ( * ) , voire insuffisantes puisque principalement dédiées aux pays concernés par le volet préventif du pacte 20 ( * ) . Le comité s'appuierait sur les données transmises par la Commission européenne et les autorités budgétaires nationales indépendantes.

C. QUELLE REPRÉSENTATION EXTÉRIEURE POUR LA ZONE EURO ?

Le rapport des cinq présidents insistait sur la nécessité de renforcer la légitimité démocratique de l'Union économique et monétaire dès la phase I. La communication de la Commission du 21 octobre 2015 reste peu précise sur ce point. Elle invite les États membres à être plus attentifs aux partenaires sociaux en les associant davantage à l'élaboration des programmes nationaux de réforme. Dans le même temps, les représentations de la Commission dans les États membres seront tenues de consulter lesdits partenaires à plusieurs moments du semestre. Un sommet social tripartite et un dialogue macroéconomique sont également annoncés afin de valoriser leur contribution au semestre européen.

La Commission s'intéresse essentiellement à la question de la représentation unifiée de la zone euro au sein des institutions financières internationales. L'idée d'un siège unique n'est pas nouvelle. Le Conseil Ecofin l'avait déjà envisagé en septembre 2006. Une proposition de décision avait même été déposée par la Commission européenne dès 1998 21 ( * ) . Le texte qu'elle a présenté le 23 octobre 2015 vise désormais à établir progressivement une représentation unifiée de la zone euro au sein du Fonds monétaire international 22 ( * ) . Il vient compléter une feuille de route publiée deux jours plus tôt sur la représentation extérieure de la zone euro 23 ( * ) . La Commission européenne relève que si l'approfondissement de l'intégration de la zone euro, ces dernières années, avec l'adoption du mécanisme européen de stabilité, la réforme du semestre européen ou le lancement de l'Union bancaire, a contribué à renforcer l'influence internationale de la zone euro, sa représentation extérieure n'a pas suivi cette évolution. Elle ne dispose pas, en effet, d'un représentant officiel, mandaté pour la représenter. La Commission européenne note à cet égard que l'Union européenne dispose d'une compétence exclusive ou partagée avec les États membres dans de nombreux domaines couverts par les statuts du Fonds monétaire international (FMI). Elle souhaite que la zone euro puisse ainsi y parler d'une seule voix sur les questions telles que les programmes, la politique économique et budgétaire, la surveillance macroéconomique, les politiques de change et la stabilité financière. Le nouveau dispositif prévoit une évolution progressive vers une représentation unifiée de la zone euro au sein du FMI, qui serait, à terme, incarnée par le président de l'Eurogroupe. Plusieurs étapes seraient envisagées, visant la représentation au sein du Conseil d'administration du FMI et du Comité monétaire et financier international (CMFI).

Le Conseil d'administration du FMI et le Comité monétaire et financier international (CMFI)

Le Conseil d'administration du FMI est composé de vingt-quatre membres. Il gère les affaires courantes de l'institution et exerce les pouvoirs qui lui sont délégués par le Conseil des gouverneurs. Cinq administrateurs sont nommés par les pays qui détiennent les cinq quotes-parts les plus élevées (l'Allemagne, États-Unis, France, Japon et Royaume-Uni), trois sont désignés par l'Arabie Saoudite, la Chine et la Russie et les seize restants sont désignés par le reste des pays membres, eux -mêmes répartis au sein de seize groupes (ou circonscriptions). Le Conseil d'administration examine tous les aspects du travail du FMI, des bilans de santé économique établis chaque année par les services de l'institution pour tous les pays membres aux questions de politique économique qui concernent l'ensemble de l'économie mondiale. Le Conseil prend habituellement ses décisions par consensus, mais il procède parfois à des votes formels. Le nombre de voix attribuées à chaque pays membre est la somme de ses voix de base (réparties entre tous les pays membres de manière égale) et de ses voix fondées sur la quote-part. Ainsi, la quote-part d'un pays membre détermine son pourcentage de vote.

Le CMFI donne des avis et fait rapport au Conseil des gouverneurs du FMI concernant la surveillance et la gestion du système monétaire et financier international, notamment la manière de réagir aux événements qui risqueraient de perturber le système. Il examine aussi des propositions du Conseil d'administration visant à modifier les Statuts et présente des avis sur toute autre question dont peut le saisir le Conseil des Gouverneurs. S'il ne dispose pas de pouvoir de décision officiel, le CMFI contribue largement à l'orientation stratégique des travaux et des politiques du FMI. Il se réunit en général deux fois par an, en septembre ou en octobre lors de l'Assemblée annuelle de la Banque mondiale et du FMI, et en mars ou en avril avant les réunions de printemps. La taille et la composition du CMFI sont calquées sur celles du Conseil d'administration. Le Comité compte 24 membres - gouverneurs de banque centrale, ministres ou autres responsables de rang comparable -, choisis parmi les gouverneurs des 188 pays membres du FMI. Chaque État membre du Conseil d'administration et chaque groupe d'États représenté au Conseil d'administration désignent un membre du CMFI. Le CMFI opère par consensus, y compris pour la désignation de son président. Plusieurs institutions internationales participent aux réunions du CMFI en qualité d'observateurs.

Deux membres de la zone euro disposent, à l'heure actuelle, au sein du Conseil d'administration, d'un poste d'administrateur permanent (Allemagne et France), les dix-sept restants se répartissant dans six groupes, les associant à d'autres États, pas forcément européens, en fonction de leur proximité géographique ou linguistique 24 ( * ) . Une telle répartition induit une représentation fragmentée de la zone euro. Chacun de ces groupes dispose d'un pourcentage de votes. De fait, les États membres appartiennent à des groupes pas toujours en mesure de soutenir les mêmes positions, rendant difficile l'expression d'un avis commun à la zone euro.

La Commission européenne et la Banque centrale européenne disposent déjà, par ailleurs, d'un statut d'observateur au sein du CMFI.

Au-delà du FMI, la feuille de route de la Commission prévoit que la zone euro soit, à terme, mieux représentée au sein d'autres enceintes internationales sur les questions liées à l'Union bancaire, à l'image du Conseil de stabilité financière, responsable devant le G20 et qui coordonne les travaux internationaux en matière de réglementation financière. La Commission européenne et la Banque centrale européenne y représentent déjà l'Union européenne. La Commission est membre du groupe de pilotage sur la résolution bancaire.

1. Vers un siège unique au FMI ?
a) L'amélioration de la coordination comme première étape

La Commission souhaite, dans un premier temps, officialiser la pratique actuelle aux termes de laquelle, au sein du Conseil d'administration, l'un des administrateurs des États membres de la zone euro représente les intérêts de la zone euro. Ce représentant serait désigné pour deux ans et demi (article 6). La zone euro doit également bénéficier du statut d'observateur accordé à la Banque centrale européenne pour les questions relevant de ses compétences 25 ( * ) . La Commission européenne souhaite de fait avoir un statut d'observateur unique, destiné à couvrir tous les domaines d'action du FMI.

Il s'agira, dans le même temps, de parvenir à une plus grande cohérence en matière de prise de position. Le renforcement de la représentation extérieure de la zone passe également par une amélioration de la coordination des positions entre États membres. Les positions de l'Union européenne au FMI sont actuellement coordonnées au sein du Comité économique et financier (CEF) 26 ( * ) qui dispose d'un sous-comité dédié aux questions relatives au FMI : le SCIMF 27 ( * ) . Le SCIMF est composé de représentants de tous les États membres de l'Union européenne. La Commission européenne souhaite désormais que des sous-comités spéciaux de la zone euro soient institués au sein du CEF afin de mieux coordonner la position de la zone euro (article 8). Les positions du SCIMF sont actuellement transmises à l'EURIMF, qui réunit depuis 2000 les représentants des États membres au sein du Fonds, à Washington 28 ( * ) . Ce groupe peut décider de l'adoption de la publication d'une déclaration commune. Un accord de 2007 a permis à l'EURIMF de structurer ses travaux, de se doter d'un président et de préparer des déclarations communes de la zone euro sur des questions qui la concernent directement. Reste que la coordination SCIMF-EURIMF demeure imparfaite et limitée. La Commission européenne envisage aujourd'hui de consolider l'accord de 2007, en incluant, pour l'EURIMF, une obligation de déclaration commune sur toutes les questions traitées par le FMI présentant un intérêt pour la zone euro, touchant aux politiques, aux pays et à la surveillance (article 9).

Toutes les questions ayant une importance particulière pour l'Union européenne dans son ensemble devraient, quant à elles, être coordonnées au sein du CEF ou du Conseil avec les États non membres de la zone (article 11).

La Commission européenne entend, dans le même temps, actualiser un accord de 1972 signé avec le FMI concernant l'échange systématique d'informations, afin de disposer, en même temps que les autres administrateurs, des documents concernant la zone euro, à l'image des rapports sur la situation de la zone ou des pays qui la composent, des programmes d'évaluation du secteur financier (PESF) 29 ( * ) .

La Commission se soumettra par ailleurs à une obligation de rapports au Parlement et au Conseil sur la coordination des positions sur les questions relatives à la zone euro (article 12).

En ce qui concerne le CFMI, les déclarations faites lors des réunions de printemps du FMI et aux assemblées annuelles du FMI pourraient, dans un premier temps, être remplacées, après accord du FMI, par une déclaration du président de l'Eurogroupe au nom de la zone euro (article 7) .

b) Le siège unique

L'objectif de la proposition de décision est de parvenir au plus tard en 2025 à une représentation unifiée de la zone au sein du FMI (article 3), soit au moment de la phase II . Le président de l'Eurogroupe représenterait ainsi la zone au sein du Conseil des gouverneurs et du CMFI

Le Conseil des gouverneurs

Le Conseil des gouverneurs est l'organe de décision suprême du FMI. Il est composé d'un gouverneur par État membre, soit 188 au total. Le gouverneur est nommé par le pays membre. Il s'agit le plus souvent du ministre des finances ou du dirigeant de la banque centrale. Bien que le Conseil des gouverneurs ait délégué la plupart de ses pouvoirs au Conseil d'administration du FMI, il conserve le droit d'approuver les augmentations de quotes-parts, les allocations de droits de tirages spéciaux (DTS) , l'admission de nouveaux membres, le retrait obligatoire de membres et les amendements aux Statuts et à la Réglementation générale de l'institution. Le Conseil des gouverneurs élit ou nomme aussi les administrateurs et il est l'arbitre suprême pour les questions touchant à l'interprétation des Statuts. Les conseils des gouverneurs du FMI et du Groupe de la Banque mondiale se réunissent d'ordinaire une fois par an, lors de l'Assemblée annuelle du FMI et de la Banque mondiale, pour examiner le travail de leurs institutions respectives.

En ce qui concerne le Conseil d'administration, la zone serait représentée par un administrateur du groupe « zone euro ». Cet administrateur serait élu sur proposition du président de l'Eurogroupe. Toutes les positions à prendre seraient, de leur côté, coordonnées à l'avance au sein du Conseil, de l'Eurogroupe, du CEF ou du groupe de travail eurogroupe (EWG) désigné en son sein (article 4).

2. Ce projet peut-il s'inscrire dans la phase I ?

Le projet de la Commission européenne peut apparaître ambitieux à ce stade de l'avancement de la réflexion sur l'approfondissement de la gouvernance de la zone euro. Il s'agit d'un nouveau partage de souveraineté, légitime au regard du projet commun qu'est la monnaie unique. La feuille de route de la Commission sur la représentation extérieure, publiée le 21 octobre 2015, prévoit d'ailleurs que l'Allemagne et la France, qui disposent d'un siège au Conseil d'administration, associent de manière appropriée les pays européens à l'exercice de leurs responsabilités.

Reste que compte tenu des différences d'approches nationales sur le FMI et des renoncements qu'il implique pour certains pays, à l'instar de l'Allemagne et de la France, ce projet doit être subordonné à l'avancement de la réflexion sur les structures de gouvernance dont pourrait se doter la zone, à l'amélioration de la coordination des politiques économiques et au renforcement de la légitimité démocratique de l' Union économique et monétaire. Des propositions tangibles doivent être portées en la matière. Ce qui pourrait être le cas dans le cadre de la phase II 30 ( * ) .

L'approche du FMI peut, par ailleurs, diverger d'un État membre à l'autre. La France a une approche économique du fonds, y déléguant des représentants du ministère des finances là où l'Allemagne privilégie une acception monétaire, se faisant représenter par des membres de la Bundesbank .

Le choix de confier la représentation à la présidence de l'Eurogroupe permet en tout cas à la Commission européenne de se prémunir de toute critique sur un accaparement par elle du pouvoir. Elle n'élude pas cependant la question de la place de la Banque centrale européenne (BCE) dans ce nouveau dispositif. Les statuts de celle-ci lui permettent de participer aux réunions des organisations internationales concernant son champ de compétence. Le statut d'observateur unique envisagé dans un premier temps et confié à la présidence de l'Eurogroupe pourrait remettre en cause sa participation. Ce qui n'est pas sans poser de difficultés, la BCE et le FMI travaillant, par ailleurs, de concert dans un certain nombre de pays de la zone euro placés sous assistance financière. Reste à savoir, en outre, dans quelle mesure le projet serait encore adapté si la phase II permettait d'aboutir à la nomination d'un véritable ministre des finances de la zone euro.

Il convient, par ailleurs, de ne pas négliger les difficultés techniques posées au sein même du FMI par cette évolution. La réforme de sa gouvernance, adoptée en 2010, n'a pu entrer en vigueur que le 1 er janvier dernier, en raison de retards pris dans la ratification par les États membres, et en premier lieu les États-Unis. La représentation unifiée implique à terme que les quotes-parts des pays membres soient remplacées par une quote-part de la zone euro et les droits de tirage adaptés en conséquence. Elle pose surtout la question des groupes ou circonscriptions, qu'il conviendra de réduire ou recomposer. Plusieurs États non membres de la zone euro ou de l'Union européenne relèvent, d'ailleurs, qu'avant d'envisager une recomposition de la représentation européenne, il y aurait lieu de le faire dans des enceintes plus importantes, à l'instar du Conseil de sécurité des Nations unies.

*

Vos rapporteurs partagent l'ambition d'un approfondissement de l'Union économique et monétaire. Celui-ci doit répondre à un double objectif : clarifier l'architecture de la zone euro afin de la rendre à la fois plus lisible et plus visible, et améliorer sa capacité à résister aux chocs économiques via des instruments contra-cycliques. La phase I de l'approfondissement, telle que présentée par la Commission européenne, tend à se concentrer sur le premier objectif. Elle ne parvient pas, pour autant, à simplifier totalement les dispositifs existants et court le risque de complexifier un peu plus l'ensemble. Les projets de la Commission européenne gagneraient en fait à être associés à des propositions concrètes visant les marges de manoeuvre dont pourrait disposer la zone - soit la question de la capacité budgétaire -, la mise en place d'une gouvernance politique de l'Union économique et monétaire et le renforcement de sa légitimité démocratique. Ces questions devraient être abordées au cours de la phase II. Dans ces conditions, vos rapporteurs s'interrogent sur la pertinence de la plupart des propositions présentées par la Commission européenne. Leurs réserves sont présentées au sein de la proposition de résolution européenne qui suit. Un avis politique qui en reprendra les termes sera transmis à la Commission européenne.

EXAMEN PAR LA COMMISSION

La commission des affaires européennes s'est réunie le jeudi 10 novembre 2016 pour l'examen du présent rapport. À l'issue de la présentation faite par Mme Fabienne Keller et M. François Marc, le débat suivant s'est engagé :

M. André Gattolin . - Le projet de la Commission européenne est révélateur, à nouveau, de sa volonté de multiplier les organes administratifs. Mais ceux-ci ne sont pas dépourvus de portée politique ! Il faut replacer ce débat dans le cadre de la réflexion sur l'avenir de l'Europe après le Brexit. L'Europe à 28 ne peut plus fonctionner comme au temps où la Communauté européenne ne comprenait que les six États fondateurs. Nous ne pouvons tous avancer au même rythme. La Commission s'érige en juge, en arbitre, en garant de l'exécution des décisions européennes. Ce n'est plus du fédéralisme mais de l'« unionisme » ! On critique beaucoup, depuis mardi, le système électoral des États-Unis, car un candidat peut obtenir la majorité des suffrages et ne pas obtenir la majorité des grands électeurs. Pourtant le fédéralisme américain garantit à chaque État une représentation proportionnelle à sa population. En Europe, un petit État peut bloquer seul le processus de décision. Une décision peut être adoptée par une majorité de pays, ne représentant qu'un quart de la population. Il est vrai qu'au Parlement européen la représentation est proportionnelle à la population. Après l'élargissement de l'Union européenne se pose la question de son approfondissement. Certains veulent faire de la zone euro le pivot de cette relance. Mais la zone euro, avec ses dix-neuf membres, a les mêmes difficultés de fonctionnement. La France, l'Espagne, l'Italie et l'Allemagne représentent 57 % de la population de l'Union européenne, hors Royaume-Uni. Il importe que la représentation politique soit proportionnelle à la population. Comme Emmanuel Macron l'a déclaré lors d'un discours au collège de Bruges, en avril dernier, la zone euro n'est sans doute pas le socle pertinent pour avancer vers un approfondissement de l'Europe. Surtout, l'Europe politique est quasiment oubliée dans les projets présentés. Ils sont insuffisants pour fonder une défense ou une diplomatie communes. Face à la Chine, qui est un régime dictatorial, à la Russie, qui est loin d'être une démocratie, et alors que l'élection de M. Trump laisse planer une incertitude sur l'évolution des États-Unis, le défi est immense. Il importe désormais de poser la question de l'avenir de l'Europe sous l'angle politique et non plus seulement par la petite porte technique ou administrative. Je soutiens la position des rapporteurs.

M. Éric Bocquet . - Je me réjouis que le rapport pose enfin la question de l'association des mots « économique » et « social ». On a trop tendance à les opposer, comme si la croissance économique était source d'inégalités et que trop de social, inversement, était nuisible à la croissance. Au contraire, si le progrès économique ne s'accompagne pas de progrès social, il nourrit la désespérance et fait le lit des Berlusconi, ou des Trump, ainsi que des Brexit futurs. Si on avait commencé par là il y a 60 ans, nous n'en serions pas là ; le projet européen apparaîtrait comme porteur d'espoir et serait soutenu par les peuples. Au contraire, notre Europe est celle du dumping social...Un socle européen des droits sociaux, très bien ! Mais quelle est la référence du triple A social : la Bulgarie ou le Luxembourg ? Les salaires y varient de un à neuf... Toutefois, comme vous l'expliquez dans votre rapport, l'objectif n'est pas de parvenir à une harmonisation des systèmes nationaux de fixation des salaires ; l'article 153 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne lui interdit de légiférer sur les questions relatives à la rémunération. En fait, on pose la bonne question, mais pour affirmer aussitôt que l'on ne peut répondre ! Je suis content toutefois que votre rapport aborde ce sujet, qui est au coeur du malaise que traversent actuellement nos démocraties. Enfin, on ne peut construire l'Europe sans prendre en compte les aspirations des peuples et il est indispensable d'associer les Parlements nationaux.

M. Alain Vasselle . - Quel est l'objectif de la création d'un socle des droits sociaux ? Parvenir à une harmonisation effective des droits sociaux ou fournir un nouveau critère à la Commission, qui lui permettrait de faire preuve de souplesse dans l'appréciation des objectifs que les États doivent respecter en matière budgétaire ? Est-il aussi question d'un socle fiscal ?

M. François Marc . - Il est légitime de s'interroger sur l'approfondissement de l'Europe et sur le rôle moteur de la zone euro. L'enjeu immédiat de ces textes est la première phase de l'approfondissement de l'Union économique et monétaire, tel qu'imaginé par la Commission européenne. Nous nous interrogeons sur les solutions proposées et notamment sur le rôle des parlements nationaux. Nous souhaitons des structures moins complexes, plus visibles et à la légitimité démocratique renforcée. En phase II, il conviendra de faciliter l'harmonisation, car une monnaie unique efficace suppose une certaine convergence économique. C'est en ce sens que doit être orientée la réflexion sur le socle européen. Le sujet est épineux. Lors de la réunion parlementaire de Bratislava dans le cadre du semestre européen, cette question était au coeur des discussions et un atelier lui était consacré. On a évoqué le cas des travailleurs détachés. Certains de nos collègues, de droite, considérant que l'écart des salaires était de un à dix entre les pays, ont indiqué qu'il était normal, pour parvenir à une harmonisation, que certains baissent et d'autres montent... L'ambition du socle commun est légitime, mais il sera difficile de bâtir un dispositif acceptable par les uns et les autres !

M. Bocquet aurait sans doute voté pour Bernie Sanders, qui voulait rééquilibrer l'économique et le social, mais ce candidat a été battu aux primaires. Enfin, le triple A social reste encore une perspective bien lointaine...

M. André Gattolin . - Pourtant, il existe des agences de notation sociale !

M. François Marc . - Il importe déjà de coordonner nos politiques. Nous nous efforçons encore de définir les domaines où une coordination est souhaitable et possible.

Mme Fabienne Keller . - La fiscalité, Monsieur Vasselle, relève de l'unanimité. Aucune avancée n'aura lieu sans une forte volonté politique. Pourtant, on sent une forte attente des populations. Comme l'ont montré les élections américaines, les peuples attendent des résultats. L'enjeu est de parvenir à articuler une gouvernance globale et la démocratie.

M. Jean Bizet, président . - Un élément important de votre proposition de résolution est la demande d'une meilleure association des Parlements nationaux.

Mme Fabienne Keller . - Leur association n'est aujourd'hui pas opérationnelle. Assister à des réunions formelles ne suffit pas. Les Parlements doivent pouvoir émettre des avis à visée opérationnelle, afin que l'interaction entre les institutions soit effective. La Commission est réticente, de même que le Parlement européen qui souhaite garder son pouvoir de codécision.

M. Jean Bizet, président . - Nous mettrons l'accent sur ce sujet dans le groupe de travail sur le Brexit et la refondation européenne. Comme l'a dit M. Bocquet avec clarté, et mesure, il faut aussi revoir le curseur. Il faut écouter les peuples qui grondent.

M. André Gattolin . - Un trimestre serait consacré à l'analyse de la situation macro-économique de la zone euro, un autre à l'examen des pays. La procédure du semestre européen est déjà lourde...Cela revient-il à superposer des procédures ?

Mme Fabienne Keller . - Jusqu'ici, le semestre européen consistait essentiellement en un examen de la situation de chaque pays. L'idée est de procéder en premier lieu à une analyse de la situation de la zone euro dans son ensemble. Ainsi on pourrait peut-être dégager des axes d'action communs avant d'aborder, dans un second temps, la situation des pays.

À l'issue du débat, la commission des affaires européennes a autorisé la publication du rapport d'information et adopté, à l'unanimité, la proposition de résolution européenne suivante, ainsi que l'avis politique qui en reprend les termes et qui sera adressé à la Commission européenne.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE

Le Sénat,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu le rapport du président de la Commission européenne et de ses homologues du Conseil européen, de l'eurogroupe, de la Banque centrale européenne et du Parlement européen du 22 juin 2015 « Compléter l'Union économique et monétaire »,

Vu la communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil européen et à la Banque centrale européenne relative aux mesures à prendre pour compléter l'Union économique et monétaire (COM (2015) 600 final),

Vu la recommandation de Recommandation du Conseil sur la création de conseils nationaux de la compétitivité dans la zone euro (COM (2015) 601 final),

Vu la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil établissant le programme d'appui à la réforme structurelle pour la période 2017-2020 et modifiant les règlements (UE) n°1303/2013 et (UE) n°1305/2013 (COM (2015) 701 final),

Vu la communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au comité des régions, Lancement d'une consultation sur un socle européen des droits sociaux (COM (2016) 127 final),

Vu la décision de la Commission du 21 octobre 2015 créant un comité budgétaire européen consultatif indépendant (C (2015) 8000 final),

Vu la communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au comité des régions, Utiliser au mieux la flexibilité offerte par les règles existantes du Pacte de stabilité et de croissance (COM (2015) 12 final) ;

Vu la communication au Parlement européen, au Conseil et à la Banque centrale européenne, Feuille de route en vue d'une représentation extérieure plus cohérente de la zone euro dans les instances internationales (COM (2015) 602 final),

Vu la proposition de décision arrêtant des mesures en vue d'établir progressivement une représentation unifiée de la zone euro au sein du Fonds monétaire international (COM (2015) 603 final),

Partage la volonté d'approfondir l'Union économique et monétaire afin d'en clarifier l'architecture, de la rendre à la fois plus lisible et plus visible et d'améliorer sa capacité à résister aux chocs économiques, via des instruments contra-cycliques ;

S'interroge toutefois sur la place des autorités nationales de la productivité et du Comité budgétaire européen consultatif indépendant dans le processus décisionnel de la zone euro et craint un renforcement de la complexité de celui-ci ;

Considère que les autorités nationales de la productivité seront appelées à exercer des missions qui relèvent des parlements nationaux et regrette la faible association de ceux-ci à l'approfondissement de l'Union économique et monétaire ;

Relève la multiplication, depuis 2015, des clauses de flexibilité au Pacte de stabilité et de croissance, qui contribue, indirectement, à renforcer l'opacité autour de ce dispositif sans pour autant que ces clauses apparaissent toujours efficaces ; appelle à une clarification politique dans ce domaine ;

Estime que les missions du Comité budgétaire européen consultatif indépendant devraient être précisées afin qu'il puisse avoir toute latitude pour apprécier la situation de la zone euro et de ses membres afin d'émettre un avis sur des dérogations possibles au Pacte de stabilité et de croissance ; le comité s'appuierait sur les données transmises par la Commission européenne et les autorités budgétaires nationales indépendantes ; cet avis serait transmis par la suite au Conseil pour décision ;

Souhaite une réforme plus poussée du semestre européen qui serait découpé en deux trimestres, l'un spécifiquement consacré à la zone euro et l'autre dédié à la situation des Etats membres ;

Exprime ses doutes sur l'appropriation par les Etats membres des recommandations du Conseil et souhaite que les moyens du service d'appui à la réforme structurelle soient renforcés ;

S'interroge sur la finalité de la consultation sur le socle européen des droits sociaux et redoute que ledit socle ne soit qu'une liste d'indicateurs supplémentaire, sans valeur juridique, complexifiant davantage la procédure pour déséquilibre macro-économique ;

Souligne que la question de la représentation extérieure de la zone euro au sein d'organisations internationales est un nouveau partage de souveraineté et qu'il doit être subordonné à l'avancement de la réflexion sur sur les structures de gouvernance dont pourrait se doter l'Union économique et monétaire, au renforcement de sa légitimité démocratique et à l'amélioration de la coordination des politiques économiques ;

Juge que la représentation unique au sein des instances financières internationales doit également prendre en compte la question de la place de la Banque centrale européenne au sein de celles-ci ;

Estime, qu'en l'état, les propositions de la Commission européenne concernant la phase I de l'approfondissement de la zone euro ne peuvent avoir de sens que si elles sont associées à des mesures concrètes visant les marges de manoeuvre dont pourrait disposer la zone euro, la mise en place d'une gouvernance politique de l'Union économique et monétaire et le renforcement de sa légitimité démocratique ;

Invite le gouvernement à soutenir ces orientations et à les faire valoir dans les négociations en cours.

LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES

- Mme Agnès Thibault, attachée économique, Représentation en France de la Commission européenne.

- MM. Jérôme Creel, directeur des études de l'Office français des conjonctures économiques et Christophe Blot, directeur adjoint.

Le Secrétariat général aux affaires européennes a également adressé une contribution écrite aux rapporteurs.


* 1 Conclusions du Conseil européen des 24 et 25 mars 2011.

* 2 23 pays sont signataires du Pacte, 4 n'appartenant pas à la zone euro : Bulgarie, Danemark, Pologne, Roumanie.

* 3 Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil européen et à la Banque centrale européenne relative aux mesures à prendre pour compléter l'Union économique et monétaire (COM (2015) 600 final).

* 4 Directive 2014/59/UE du 15 mai 2014 établissant un cadre pour le redressement et la résolution des établissements de crédit et des entreprises d'investissement et modifiant la directive 82/891/CEE du Conseil ainsi que les directives du Parlement européen et du Conseil 2001/24/CE, 2002/47/CE, 2004/25/CE, 2005/56/CE, 2007/36/CE, 2011/35/UE, 2012/30/UE et 2013/36/UE et les règlements du Parlement européen et du Conseil (UE) n ° 1093/2010 et (UE) n ° 648/2012.

* 5 Directive 2014/49/UE du 16 avril 2014 relative aux systèmes de garantie des dépôts.

* 6 Proposition de règlement modifiant le règlement (UE) n° 806/2014 afin d'établir un système européen d'assurance des dépôts (COM (2015) 586 final).

* 7 Recommandation de Recommandation du Conseil sur la création de conseils nationaux de la compétitivité dans la zone euro (COM (2015) 601 final).

* 8 Zsolt Darvas ans Alavaro Leandro, The limitations of policy coordination in the euro area under the Européean semester, Bruegel policy contribution, Issue 2015/19, Novembre 2015.

* 9 Proposition de règlement établissant le programme d'appui à la réforme structurelle pour la période 2017-2020 et modifiant les règlements (UE) n°1303/2013 et (UE) n°1305/2013 (COM (2015) 701 final).

* 10 Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au comité des régions, Lancement d'une consultation sur un socle européen des droits sociaux (COM (2016) 127 final). Le processus de consultation lancé par la Commission européenne devrait être achevé au 31 décembre prochain. Les autres institutions de l'Union européenne, les autorités et les parlements nationaux, les syndicats, les associations professionnelles, les organisations non gouvernementales, les prestataires de services sociaux, les universitaires et le grand public.

* 11 La Commission européenne rappelle ainsi, dans un document de travail joint à la communication, les normes adoptées en matière d'égalité de traitement sur le même lieu de travail, les directives sur les femmes enceintes ou sur la durée du temps de travail (48 heures hebdomadaires), la protection de la santé et de la sécurité au travail, les règles entourant le détachement des travailleurs et les migrations des ressortissants des pays tiers, ou la coordination des régimes de sécurité sociale. Document de travail des services de la Commission, Acquis social de l'UE, SWD (2016) 50 final.

* 12 Première ébauche préliminaire de socle européen des droits sociaux, COM (2016) 127 final Annexe 1.

* 13 Agnès Bénassy-Quéré et Xavier Ragot, Pour une politique macroéconomique d'ensemble en zone euro. Les notes du Conseil d'analyse économique, n°21, mars 2015.

* 14 Décision de la Commission du 21.10.2015 créant un comité budgétaire européen consultatif indépendant (C (2015) 8000 final).

* 15 Zsolt Darvas ans Alavaro Leandro, The limitations of policy coordination in the euro area under the Européean semester, Bruegel policy contribution, Issue 2015/19, Novembre 2015.

* 16 « Les implications budgétaires à court terme des réformes structurelles », Bulletin économique de la Banque centrale européenne, numéro 7/juillet 2015, pages 61-81.

* 17 Le Comité économique et financier prépare les réunions du Conseil Ecofin. Il est composé de représentants des États membres - deux pour chaque État, le premier issu du ministère des finances et le second de la Banque centrale nationale -, de la Commission européenne et de la Banque centrale européenne.

* 18 Agnès Bénassy-Quéré, Xavier, Ragot et Guntram Wolff, Quelle Union budgétaire pour la zone euro ? Les notes du Conseil d'analyse économique, n° 29, février 2016.

* 19 Grégory Claeys, Zsolt Darvas et Alvaro Leandro, A proposal to revive the European fiscal framework. Institut Bruegel, Issue 2016/7, mars 2016.

* 20 Agnès Bénassy-Quéré, Xavier, Ragot et Guntram Wolff, Quelle union budgétaire pour la zone euro ? Les notes du Conseil d'analyse économique, n°29, février 2016.

* 21 Proposition de décision du Conseil sur la représentation et la prise de position de la Communauté au niveau international dans le contexte de l'Union économique et monétaire (COM (1998) 637 final).

* 22 Proposition de décision arrêtant des mesures en vue d'établir progressivement une représentation unifiée de la zone euro au sein du Fonds monétaire international (COM (2015) 603 final).

* 23 Communication au Parlement européen, au Conseil et à la Banque centrale européenne, « Feuille de route en vue d'une représentation extérieure plus cohérente de la zone euro dans les instances internationales », publiée le 21 octobre 2015 (COM (2015) 602 final).

* 24 Ces groupes comprennent respectivement la Belgique, le Luxembourg et Chypre ; l'Espagne ; la Grèce, l'Italie, Malte et le Portugal ; l'Irlande ; l'Estonie, la Finlande, la Lettonie et la Lituanie ; l'Australie, la Slovaquie et la Slovénie.

* 25 Décision n° 12595-(03/1) du Fonds monétaire international.

* 26 Le Comité économique et financier prépare les réunions du Conseil Ecofin. Il est composé de représentants des États membres - deux pour chaque État, le premier issu du ministère des finances et le second de la Banque centrale nationale -, de la Commission européenne et de la Banque centrale européenne.

* 27 La composition reproduit celle du CEF. Le SCIMF est présidé par un fonctionnaire national choisi par consensus par ses pairs parmi les hauts fonctionnaires de ce sous-comité.

* 28 La Commission européenne et la Banque centrale européenne, qui disposent d'un représentant permanent à Washington, participent à ce groupe. Les sujets stratégiques relatifs à la zone euro sont évoqués et non la situation individuelle des États membres. Les points soumis à l'ordre du jour du conseil d'administration du Fonds donnent lieu à un échange de vues et, le cas échéant, à une coordination des positions.

* 29 Cette révision de l'accord de 1972 est annoncée par la Commission dans sa feuille de route.

* 30 Dans la résolution européenne qu'il a adoptée le 26 février 2016 sur le programme de travail de la Commission européenne pour 2016, le Sénat avait déjà indiqué que le projet annoncé par la Commission devait s'inscrire dans une réflexion plus large sur la gouvernance de la zone euro (Résolution européenne n° 99 - 2015/2016).

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