Rapport d'information n° 172 (2016-2017) de Mme Chantal JOUANNO , fait au nom de la délégation aux droits des femmes, déposé le 1er décembre 2016

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N° 172

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2016-2017

Enregistré à la Présidence du Sénat le 1 er décembre 2016

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes (1) sur l' IVG et le délit d' entrave par voie numérique ,

Par Mme Chantal JOUANNO,

Sénatrice.

(1) Cette délégation est composée de : Mme Chantal Jouanno, présidente , Mmes Corinne Bouchoux, Hélène Conway-Mouret, M. Roland Courteau, Mmes Joëlle Garriaud-Maylam, Brigitte Gonthier-Maurin, M. Alain Gournac, Mmes Christiane Kammermann, Françoise Laborde, Michelle Meunier, M. Cyril Pellevat, vice-présidents ; M. Mathieu Darnaud, Mmes Jacky Deromedi, Danielle Michel, secrétaires ; Mmes Annick Billon, Maryvonne Blondin, Nicole Bonnefoy, M. Patrick Chaize, Mmes Laurence Cohen, Chantal Deseyne, M. Jean-Léonce Dupont, Mmes Anne Émery-Dumas, Dominique Estrosi Sassone, Corinne Féret, M. Alain Fouché, Mmes Catherine Génisson, Éliane Giraud, Sylvie Goy-Chavent, Christiane Hummel, Mireille Jouve, M. Marc Laménie, Mme Claudine Lepage, M. Didier Mandelli, Mmes Marie-Pierre Monier, Patricia Morhet-Richaud, M. Philippe Paul .

AVANT-PROPOS

La Délégation aux droits des femmes a toujours eu à coeur d'exprimer son attachement à ce qu'il est convenu d'appeler les droits sexuels et reproductifs - contraception et interruption volontaire de grossesse (IVG) - car, aujourd'hui, la maîtrise de la fécondité et le droit des femmes à disposer de leur corps sont des prérequis de leur libération et de l'égalité entre les femmes et les hommes .

Elle a d'ailleurs rappelé son attachement à la défense du droit des femmes à maîtriser leur fécondité dans le cadre de plusieurs travaux récents . Dans son rapport sur la laïcité adopté le 3 novembre 2016 1 ( * ) , elle appelle notamment les autorités françaises à la plus grande vigilance dans les instances diplomatiques internationales pour que la politique étrangère française :

- défende les droits sexuels et reproductifs ;

- combatte avec détermination toute tentative de mettre en cause ces droits, de quelque pays qu'elle vienne, par exemple au nom du relativisme culturel.

En outre, dans son rapport sur la santé des femmes de juillet 2015 2 ( * ) , la délégation a formulé une série de recommandations dédiées à la consolidation des acquis en matière de santé sexuelle et reproductive , parmi lesquelles on rappellera :

- l'affirmation dans la loi du principe selon lequel toute personne a le droit d'être informée sur les méthodes abortives et d'en choisir une librement ;

- le fait que la première demande d'IVG ne soit pas obligatoirement recueillie par un médecin ;

- la suppression du délai de réflexion d'une semaine entre la première et la seconde consultation conditionnant l'accès à l'IVG ;

- l'amélioration de la procédure de prise en charge de tous les actes liés à l'IVG pour les mineures .

En dépit de délais très contraints, la délégation a tenu à apporter au débat sur la proposition de loi relative à l'extension du délit d'entrave à l'interruption volontaire de grossesse 3 ( * ) les éléments d'information et de réflexion ci-après , en complément de ceux figurant dans le rapport de notre collègue députée Catherine Coutelle, présidente de la Délégation aux droits des femmes de l'Assemblée nationale et rapporteure du texte à la commission des affaires sociales.

I. ÉLÉMENTS DE CONTEXTE

A. UNE VOLONTÉ DE TIRER LES CONSÉQUENCES DE L'IRRECEVABILITÉ DE L'AMENDEMENT DU GOUVERNEMENT DÉPOSÉ DANS LE CADRE DE L'EXAMEN DU PROJET DE LOI « ÉGALITÉ ET CITOYENNETÉ » (PLEC)

Dans le cadre de l'examen du projet de loi relatif à l'égalité et à la citoyenneté (PLEC) au Sénat en première lecture, le Gouvernement a déposé un amendement proposant l'extension du délit d'entrave à l'IVG , prévu par l'article L. 2223-2 du code de la santé publique, à certains sites internet dispensant des informations sur l'IVG . Cet amendement visait à « sanctionner les sites internet qui, sous couvert d'une présentation neutre et objective, sont des paravents de groupes anti-IVG qui veulent dissuader les femmes qui souhaitent recourir à l'IVG » 4 ( * ) .

Il s'inspirait notamment des analyses menées par le Haut Conseil à l'Égalité entre les femmes et les hommes (HCE|fh) dans son rapport de 2013 relatif à l'information sur l'avortement sur Internet 5 ( * ) .

La commission spéciale chargée d'examiner le PLEC a déclaré cet amendement irrecevable au titre de l'article 45 de la Constitution subordonnant la constitutionnalité des amendements au fait de présenter un « lien, même indirect, avec le texte déposé ou transmis ».

En conséquence, le groupe Socialiste, écologiste et républicain 6 ( * ) de l'Assemblée nationale a déposé une proposition de loi reprenant cet amendement. Ce texte a été enregistré à la présidence de l'Assemblée nationale le 12 octobre 2016 (n° 4118).

Au cours de son audition du 27 octobre 2016 devant la délégation, Laurence Rossignol, ministre des Familles, de l'Enfance et des Droits des femmes, a sollicité le soutien de la délégation sur ce texte , en vue de son examen par le Sénat.

B. LES GRANDES ÉTAPES DE LA LÉGISLATION SUR L'INTERRUPTION VOLONTAIRE DE GROSSESSE (IVG)

- La loi Neuwirth du 28 décembre 1967 7 ( * ) relative à la régulation des naissances autorise la fabrication et l'importation de contraceptifs, leur vente exclusive en pharmacie sur ordonnance médicale, avec autorisation parentale pour les mineures, et interdit toute publicité commerciale ou propagande antinataliste. La loi n° 74-1026 portant diverses dispositions relatives à la régulation des naissances prévoit le remboursement de la contraception et supprime l'autorisation parentale pour les mineures.

- En avril 1971 , Le Nouvel Observateur publie un manifeste signé par 343 femmes qui déclarent avoir avorté et réclament l'avortement libre.

- La loi n° 75-17 autorisant l'interruption volontaire de grossesse (IVG), dite loi Veil, est promulguée le 17 janvier 1975 . Elle est adoptée pour une période de 5 années.

- Une seconde loi, promulguée le 31 décembre 1979 , rend définitives les dispositions de la loi Veil relative à l'IVG.

- En 1993 , la loi Neiertz 8 ( * ) portant diverses mesures d'ordre social crée un délit d'entrave à l'IVG et supprime la pénalisation de l'auto-avortement.

- La loi du 4 juillet 2001 relative à l'IVG et à la contraception porte le délai d'IVG à 12 semaines de grossesse , permet aux mineures d'interrompre une grossesse sans autorisation parentale, autorise les médecins de ville à pratiquer les IVG médicamenteuses et pose l'obligation, pour les établissements publics de santé disposant de lits et places en gynécologie obstétrique ou en chirurgie, de pratiquer des IVG (cette obligation est désormais formalisée par l'article R. 2212-4 du code de la santé publique).

- La loi du 9 août 2004 9 ( * ) autorise les sages-femmes à prescrire une contraception hormonale après l'accouchement ou après une interruption volontaire de grossesse .

- La loi du 19 décembre 2007 de financement de la sécurité sociale pour 2008 10 ( * ) étend aux centres de planification et aux centres de santé la pratique des IVG médicamenteuses .

- Une Instruction n° DGOS/R3/DGS/2012/265 du 3 juillet 2012 relative à la prise en charge des IVG pendant la période d'été rappelle aux agences régionales de santé (ARS) de s'assurer du bon fonctionnement des permanences téléphoniques régionales d'information relatives à l'IVG et à la contraception.

- La loi de financement de la sécurité sociale pour 2013 prévoit le remboursement à 100 % de l'IVG par la suppression de la participation des assurées aux frais de soins sur les actes d'IVG , parallèlement à la revalorisation des forfaits de l'IVG , auparavant inférieurs aux coûts effectivement supportés par les établissements 11 ( * ) .

- La loi du 4 août 2014 sur l'égalité réelle entre les hommes et les femmes supprime la condition de détresse concernant l'accès à l'IVG . Cette disposition, adoptée par voie d'amendement en première lecture à l'Assemblée nationale, vise à faire de l'accès à l'IVG un droit à part entière - et non une concession au respect de la vie posé par la loi Veil - en n'obligeant plus la femme à justifier son choix . Elle faisait partie des recommandations adoptées par le Haut Conseil à l'Égalité entre les femmes et les hommes (HCE|fh) dans son rapport relatif à l'accès à l'IVG publié en novembre 2013 12 ( * ) .

- La loi sur la santé de janvier 2015 13 ( * ) supprime le délai de réflexion obligatoire et autorise les sages-femmes à pratiquer une IVG médicamenteuse .

C. ACCÈS À L'IVG : DES OBSTACLES PRATIQUES NON NÉGLIGEABLES

Malgré une tendance générale à l'élargissement de l'accès à l'IVG, des obstacles pratiques ont été relevés dans le rapport de la Délégation aux droits des femmes de 2015 Femmes et santé : les enjeux d'aujourd'hui.

Selon les statistiques de la DREES 14 ( * ) , plus de 130 établissements de santé pratiquant des IVG ont fermé au cours des dix années qui ont précédé la publication du rapport Femmes et santé (5 % des établissements publics et 48 % des établissements privés).

Or, parallèlement à cette offre en baisse, la demande d'IVG reste stable . Il en résulte une forte concentration sur un nombre limité d'établissements : 5 % des établissements pratiqueraient 23 % des IVG, d'où des « effets d'étranglement » importants dans certaines régions .

Cette évolution, à l'origine de disparités d'accès à l'IVG entre les territoires, contribue à accroître les délais d'attente et les distances à parcourir pour les femmes qui souhaitent y recourir ; il limiterait aussi le libre choix de la méthode (chirurgicale ou médicamenteuse) 15 ( * ) et du mode d'anesthésie par les femmes.

Le manque croissant de moyens et de personnels formés (évolution de la démographie médicale, départs à la retraite des médecins fortement impliqués dans l'exercice de ce droit) fait également partie des obstacles de fait restreignant l'accès à l'IVG.

En ce qui concerne par ailleurs les IVG médicamenteuses , le HCE|fh dénonce, là encore, une forte disparité selon les territoires : dans certaines régions, les médecins libéraux pratiquent plus de 12 % des IVG (Aquitaine, PACA, Ile-de-France, La Réunion). Dans d'autres, la proportion est inférieure à 1 % (Alsace, Pays-de-la-Loire, Corse, Limousin, Martinique, Guadeloupe). Selon le rapport du HCE|fh, 75 % des médecins ayant déjà pratiqué au moins une IVG médicamenteuse en réalisent en moyenne cinq par mois.

D. LES CHIFFRES CLÉS DE L'IVG16 ( * )

- 218 100 interruptions volontaires de grossesse ont été réalisées en France en 2015 , dont 203 500 en métropole.

- La légère tendance à la hausse observée en 2013 a été suivie par une stabilisation en 2014 ; une légère baisse a été constatée en 2015 selon la Direction de la Recherche, des Études, de l'Évaluation et des Statistiques (DREES).

- Le taux de recours est quasiment stable depuis 2006 : 14,4 IVG pour 1 000  femmes âgées de 15 à 49 ans en métropole, contre 26,5 pour 1000 en outre-mer.

- Chez les moins de 20 ans, le taux de recours baisse légèrement depuis 2010, après avoir fortement augmenté entre 1990 et 2010. Il était de 12,3 pour 1 000 femmes de 15 à 19 ans en 2015.

- En métropole, 22 000 femmes de moins de 20 ans ont recouru à une IVG , soit 12 femmes sur 1 000, contre 26 pour 1 000 dans les départements d'outre-mer (DOM).

- Plus d'une IVG sur deux (57 % en métropole, 58 % dans les DOM) est réalisée de façon médicamenteuse.

- 35 % des femmes ont recours à l'IVG au moins une fois au cours de leur vie.

E. PANORAMA EUROPÉEN DE LA LÉGISLATION EN MATIÈRE D'IVG

- Il existe cinq pays qui n'autorisent pas l'IVG , sauf circonstances exceptionnelles : la Pologne, l'Irlande, Chypre, Andorre et Malte.

- En Pologne , pays qui a autorisé l'avortement jusqu'en 1997, l'IVG n'est aujourd'hui permise que dans les cas de viol, d'inceste et de malformations foetales graves . La suppression de ces exceptions a fait l'objet d'une proposition de loi qui a suscité une forte mobilisation tant en Pologne qu'en Europe. Ce texte a été rejeté par les députés polonais le 5 octobre 2016.

- Chypre suit des règles comparables, l'IVG n'étant autorisée qu'en cas de problèmes médicaux, de viol ou de malformation du foetus.

- En Andorre , l'avortement est interdit, sauf s'il existe un risque réel pour la santé de la femme.

- En Irlande , depuis 2013, l'avortement est permis uniquement si la poursuite de la grossesse fait courir à la femme un « risque réel et substantiel », qui doit être justifié par deux médecins. Depuis le suicide d'une jeune femme s'étant vu refuser une IVG en 2012, le risque suicidaire est pris en compte - à condition d'avoir recueilli l'avis unanime de deux psychiatres et d'un obstétricien. Un projet de loi présenté en juillet 2016, visant à légaliser l'avortement sans condition, a été rejeté.

- À Malte, en revanche, l'avortement est strictement interdit quelle que soit la situation.

- À l'échelle de l'Union européenne, le délai pendant lequel l'avortement est autorisé varie de dix semaines (dans 24,3 % des pays européens), à douze semaines comme en France (56 %), quatorze semaines (10 %), voire seize semaines en Suède ou 24 semaines au Royaume-Uni (hors Irlande du Nord) et aux Pays-Bas.

II. LA PROPOSITION DE LOI

A. LA PROPOSITION DE LOI INITIALEMENT DÉPOSÉE

La proposition de loi vise à étendre le délit d'entrave à l'IVG, institué en 1993, aux sites internet qui, sous couvert d'une neutralité apparente et d'un aspect faussement institutionnel, cherchent à dissuader les jeunes filles et les femmes d'avorter en leur donnant des informations délibérément négatives sur les conséquences d'une IVG (stérilité, fausses couches à répétition...).

Selon la rapporteure du texte à l'Assemblée nationale, « la présente proposition de loi ne vise ni à favoriser l'IVG ni à la décourager. Son seul objectif est de permettre aux femmes qui le désirent d'accéder à leurs droits sans pression physique ou psychologique d'aucune sorte » 17 ( * ) .

La proposition de loi modifie l'article L. 2223-2 du code de la santé publique relatif au délit d'entrave à l'interruption légale de grossesse.

Actuellement, la définition du délit concerne « le fait d'empêcher ou de tenter d'empêcher de pratiquer ou de s'informer sur une interruption de grossesse ou les actes préalables ». Le délit est puni d'une peine de deux ans d'emprisonnement et de 30 000  euros d'amende. À ce jour, l'entrave est définie par deux situations précisées à l'article L. 2223-2 du code de la santé publique reproduit ci-après.

Article L. 2223-2 du code de la santé publique

Est puni de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende le fait d'empêcher ou de tenter d'empêcher de pratiquer ou de s'informer sur une interruption de grossesse ou les actes préalables prévus par les articles L. 2212-3 à L. 2212-8 :

- soit en perturbant de quelque manière que ce soit l'accès aux établissements mentionnés à l'article L. 2212-2, la libre circulation des personnes à l'intérieur de ces établissements ou les conditions de travail des personnels médicaux et non médicaux ;

- soit en exerçant des pressions morales et psychologiques , des menaces ou tout acte d'intimidation à l'encontre des personnels médicaux et non médicaux travaillant dans ces établissements, des femmes venues y subir ou s'informer sur une interruption volontaire de grossesse ou de l'entourage de ces dernières.

Source : Légifrance

Le texte initial de la proposition de loi tendait à compléter l'article L. 2223-2 du code de la santé publique par un alinéa créant une nouvelle forme d'entrave :

L'article L. 2223-2 du code de la santé publique est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« - soit en diffusant ou en transmettant par tout moyen, notamment par des moyens de communication au public par voie électronique ou de communication au public en ligne, des allégations, indications ou présentations faussées et de nature à induire intentionnellement en erreur, dans un but dissuasif, sur la nature, les caractéristiques ou les conséquences médicales d'une interruption volontaire de grossesse ou à exercer des pressions psychologiques sur les femmes s'informant sur une interruption volontaire de grossesse ou sur l'entourage de ces dernières ».

B. LES TRAVAUX DE L'ASSEMBLÉE NATIONALE

1. En commission

Au cours de la réunion de la commission des affaires sociales, la rapporteure, Catherine Coutelle, a déposé un amendement proposant une nouvelle rédaction de l'article unique pour cibler le plus clairement possible les sites qui désinforment de manière volontaire et masquée , l'objectif étant d'éviter une censure du Conseil constitutionnel sur le fondement de la liberté d'expression.

Le rapport mentionne ainsi ses motivations :

« La rapporteure estime que la rédaction de l'article pourrait être interprétée comme une tentative de contrôle de l'objectivité de l'information sur Internet, alors que l'intention du législateur est simplement de rendre pleinement effectif le délit de pression psychologique et morale exercé sur les femmes cherchant des informations sur l'IVG à travers Internet ou sur les personnels médicaux.

« Pour clarifier son intention, elle proposera donc à la commission un amendement de rédaction globale de l'article visant à mentionner clairement les moyens de communication par voie en ligne comme nouveaux moyens relevant des pressions morales et psychologiques , des menaces et de l'intimidation déjà constitutives d'un délit d'entrave aux termes de l'article L.  2223-2 du code de la santé publique » 18 ( * ) .

La nouvelle rédaction complète ainsi le dernier alinéa de l'article L. 2223-2 du code de la santé publique et étend les pressions morales et psychologiques, déjà constitutives d'une entrave, aux pressions exercées par voie électronique . La diffusion par voie électronique d'informations biaisées ne constitue donc plus une caractérisation du délit en soi.

La commission a adopté l'amendement de sa rapporteure. La proposition de loi sur laquelle ont débattu les députés en séance publique était donc ainsi rédigée :

Le dernier alinéa de l'article L. 2223-2 du code de la santé publique est complété par les mots : « par tout moyen de communication au public, y compris en diffusant ou en transmettant par voie électronique ou en ligne, des allégations, indications de nature à induire intentionnellement en erreur, dans un but dissuasif, sur les caractéristiques ou les conséquences médicales d'une interruption volontaire de grossesse ».

2. En séance

En séance publique, l'Assemblée nationale a adopté deux amendements de la rapporteure 19 ( * ) , avec un avis favorable de la commission et du Gouvernement .

Le premier vise à sécuriser le régime du délit d'entrave . Il précise que l'entrave par voie électronique ou en ligne - informations intentionnellement fausses dans le but de dissuader, harcèlements téléphoniques ou en ligne - est punissable dans tous les cas , et pas seulement dans le cas de femmes venues dans des établissements de santé pour y subir ou s'informer sur une éventuelle IVG.

Le second est un amendement de conséquence du précédent : l'entrave continue bien évidemment à être un délit lorsqu'elle ne s'exerce pas via un moyen de communication au public mais physiquement .

Le texte résultant des débats de l'Assemblée nationale est ainsi rédigé 20 ( * ) :

Le premier alinéa de l'article L. 2223-2 du code de la santé publique est complété par les mots : «  par tout moyen, y compris en diffusant ou en transmettant par voie électronique ou en ligne, des allégations, indications de nature à induire intentionnellement en erreur, dans un but dissuasif, sur les caractéristiques ou les conséquences médicales d'une interruption volontaire de grossesse ».

III. LES ARGUMENTS EN PRÉSENCE

A. UNE NOUVELLE FORME D'ENTRAVE NUMÉRIQUE À L'IVG QUI NÉCESSITE UNE RÉPONSE PÉNALE

Les auteurs de la proposition de loi, le Gouvernement et le Haut-Conseil à l'Égalité justifient la mesure en mettant en avant le fait que la tentative d'entrave à l'IVG prend aujourd'hui de nouvelles formes sur Internet .

Tout en soulignant qu'une « opinion explicitement exprimée relève des principes de liberté d'expression et d'opinion qu'il ne s'agit pas de remettre en cause », ils soulignent qu'au contraire, « induire délibérément en erreur , intimider et/ou exercer des pressions psychologiques ou morales afin de dissuader de recourir à l'IVG, comme le font certains sites internet, se situe sur un tout autre terrain » 21 ( * ) .

Ainsi que l'a montré le rapport précité du HCE|fh sur l'accès à l'IVG, « on observe depuis quelques années une montée en puissance très importante de sites cherchant à tromper délibérément les internautes en se faisant passer, au premier abord, pour des sites purement informatifs ».

Les opinions anti-IVG de leurs auteurs ne sont « pas clairement affichées , voire délibérément masquées, et ces sites prennent une apparence utilisant les codes des sites officiels , par exemple en proposant des numéros verts d'information et en faisant référence à des « centres nationaux » d'aide et d'écoute ».

Or, ces sites sont susceptibles de délivrer à des femmes qui souhaitent obtenir des renseignements concrets sur le déroulement d'une procédure d'IVG, des informations de nature à les dissuader d'y recourir , en mettant l'accent sur des conséquences négatives d'une IVG sur les plans physiologique, psychologique, voire affectif et familial.

Ce constat est particulièrement alarmant quand on imagine les conséquences de ces informations sur des femmes vulnérables , et plus spécialement sur les jeunes filles.

Or, ces sites , très bien référencés , figurent souvent en tête des résultats affichés par les moteurs de recherche . Une recherche effectuée sur Google à partir du terme IVG a fait ressortir le site ivg.net en première place, avant celui du ministère de la santé, comme le montre la capture d'écran ci-dessous 22 ( * ) .

L'image ci-après 23 ( * ) montre l'apparence trompeuse du site ivg.net , qui utilise les codes graphiques de sites officiels , avec un numéro vert et la garantie supposée d'une information objective portant notamment sur une « aide aux démarches administratives » dont on peut supposer qu'elle concerne l'IVG, ce qui n'est pas toujours le cas. Selon le rapport du HCE|fh, ces sites n'indiquent pas, par exemple, les adresses des centres d'IVG.

On remarque par ailleurs que les sites ivg.net et avortement.net renvoient à la même plate-forme téléphonique . Selon le rapport du HCE|fh, « Le financement d'un numéro vert, d'une équipe d'animation de la ligne téléphonique, du site et des réseaux sociaux sont autant d'éléments qui semblent attester de moyens dédiés significatifs ».

Pour les auteurs de la proposition de loi, cette situation pose réellement problème quand on connaît l'importance des informations en ligne en matière de santé .

Le rapport précité du HCE|fh souligne que, parmi les 15-30 ans, plus de 57 % des femmes et près de 40 % des hommes utilisent Internet pour s'informer sur des questions relatives à la santé . En outre, 80 % des jeunes ayant eu recours à Internet pour des questions de santé estiment les informations recueillies comme étant le plus souvent crédibles . Il rappelle que « 10 % des 15-75 ans déclarent avoir modifié la façon de s'occuper de leur santé suite aux informations trouvées sur Internet. Cette proportion atteint un tiers (33,2%) des 15-30 ans ».

Selon les auteurs de la proposition de loi, en « se faisant passer pour ce qu'ils ne sont pas, ces sites détournent les internautes d'une information fiable et objective » ; ils « entravent aussi l'action des pouvoirs publics qui tentent de prodiguer une information claire et accessible quant aux conditions d'accès à l'IVG », ce qui a pour conséquence de « limiter l'accès de toutes les femmes au droit fondamental à l'avortement » 24 ( * ) .

Dans son communiqué de presse du 29 septembre 2016 relatif à l'amendement déposé au projet de loi « Égalité et Citoyenneté » (PLEC), la ministre des familles, de l'enfance et des droits des femmes fait valoir que « les manipulations, les informations faussées délivrées sur des sites qui se font passer pour neutres portent atteinte au libre choix des femmes. En effet, ces sites n'ont qu'un but : culpabiliser les femmes et les dissuader de recourir à l'IVG ».

De même, dans son communiqué du 28 septembre 2016 saluant l'amendement du Gouvernement, le HCE|fh relève que les sites concernés visent les jeunes femmes les plus démunies et les moins bien informées et, bien souvent, des mineures qui ne savent pas à qui s'adresser.

De plus, le HCE|fh estime que « l'extension à Internet du délit d'entrave à l'IVG contribue une brique essentielle à l'édifice bâti pour garantir le libre choix des femmes. Le délit d'entrave , institué en 1993 pour lutter contre les « commandos » réactionnaires qui agressaient ou tentaient de dissuader les femmes aux abords des centres IVG, doit s'adapter aux nouveaux usages numériques et aux stratégies développées ces dernières années par les lobbys opposés à l'IVG ».

Enfin, au cours de son audition par la délégation le 27 octobre 2016 , Laurence Rossignol, ministre des familles, de l'enfance et des droits des femmes a parfaitement rappelé les termes du débat :

- nécessité de préserver la liberté d'expression en ligne ;

- nécessité d'assurer aux femmes une information objective, a fortiori quand le site qu'elles consultent a toutes les apparences d'un site officiel et donc neutre.

Elle a souligné que les activistes anti-IVG « se déplacent au fur et à mesure que nous les délogeons » et « agissent désormais sur Internet ». « Soyons clairs, l'hostilité à l'IVG est une opinion que chacun est libre d'exprimer. Mais se dissimuler derrière de pseudo sites d'information pour attirer des femmes en recherche d'informations, notamment pratiques, et les faire douter de leur choix, c'est un irrespect absolu de la liberté de décision des femmes » 25 ( * ) .

B. UNE ATTEINTE À LA LIBERTÉ D'EXPRESSION ET À LA PLURALITÉ DE L'INFORMATION

Les opposants à la proposition de loi dénoncent pour leur part une grave atteinte à la liberté d'expression .

La proposition de loi a notamment suscité une réaction du président de la Conférence des évêques de France (CEF) qui en a appelé directement au Président de la République pour faire échec à ce texte. Il dénonce « un précédent grave de limitation de la liberté d'expression sur Internet » 26 ( * ) .

Il affirme également que la proposition de loi porte « une atteinte très grave aux principes de la démocratie » 27 ( * ) et qu'elle « met en cause les fondements de nos libertés et tout particulièrement de la liberté d'expression qui ne peut être à plusieurs vitesses selon les sujets ». La proposition « contribuerait à rendre [l'IVG] de moins en moins volontaire, c'est-à-dire de moins en moins libre ».

Pour sa part, le cardinal André Vingt-Trois, archevêque de Paris, fustige une proposition de loi qui relève selon lui de « la police des idées ».

Certains responsables des sites visés par la proposition de loi se sont exprimés dans la presse, estimant que le texte sera difficile à mettre en oeuvre et qu'il s'agit en tout état de cause d'une « entrave à la liberté d'expression» 28 ( * ) .

Par ailleurs, l'association pro-vie Alliance Vita a réuni 40 000  signatures dans une pétition contre la « censure gouvernementale ».

À l'Assemblée nationale, de nombreux amendements de suppression 29 ( * ) ont été déposés. On notera également un certain nombre d'amendements portant article additionnel après l'article unique et visant à remettre en cause le droit à l'IVG . Cela confirme la vigilance qui doit continuer à s'exercer pour protéger les droits sexuels et reproductifs .

Les principaux arguments évoqués contre cette proposition de loi sont les suivants :

- elle créerait un « véritable délit d'opinion » ;

- elle porte atteinte à la liberté d'expression. Sur ce point, la rapporteure du texte à l'Assemblée nationale a rappelé qu'en 1996, la Cour de cassation avait estimé que la liberté d'opinion et la liberté de manifester ses convictions pouvaient « être restreintes par des mesures nécessaires à la protection de la santé ou des droits d'autrui » 30 ( * ) .

- il existe une différence de nature entre le délit d'entrave institué en 1993 , qui visait des actes violents, et cette proposition d'extension à l'information numérique qui concerne des sites sur lesquels on ne trouve pas d'appel à la haine ou de déclarations diffamatoires . Ainsi, la consultation d'un site internet présentant une information différente ne peut pas être comparée aux « commandos anti-IVG » des années 1990 qui s'enchaînaient dans les hôpitaux ;

- la fiabilité des informations sur l'avortement ne peut être garantie sans la pluralité des sources d'information ;

- la rédaction est dangereusement générale , ce qui l'expose d'ailleurs à un grief d'inconstitutionnalité : le texte ne donne pas de définition claire des « allégations » ou des « indications » auxquelles il est fait référence.

IV. LE DÉBAT EN DÉLÉGATION31 ( * )

La délégation a procédé, le 1 er décembre 2016, à un échange de vues au terme duquel elle a souhaité participer au débat du Sénat sur cette proposition de loi.

En l'absence du texte adopté par l'Assemblée nationale, la délégation n'a pas été en mesure d'apprécier d'éventuelles modifications susceptibles d'être suggérées au Sénat par le biais de recommandations. Elle s'est néanmoins interrogée sur le vecteur législatif de la mesure présentée par la proposition de loi, dont la finalité a toutefois fait l'objet d'un consensus .

A. UNE APPRÉCIATION PARTAGÉE SUR LA FINALITÉ DE LA PROPOSITION DE LOI

Les membres de la délégation ont constaté le caractère trompeur de sites internet qui, se faisant passer pour des sites officiels, délivrent des informations négatives sur l'IVG.

Corinne Féret a fustigé les « sites mensongers qui prétendent informer tout en diffusant un message orienté, de façon cachée, à un public qui peut se trouver dans une situation de fragilité ». Laurence Cohen a dénoncé une « désinformation qui instrumentalise le désarroi des personnes qui se trouvent souvent dans une situation de grande fragilité ».

Claudine Lepage a exprimé sa préoccupation face à la « subtilité » de ces sites , qui délivrent un message orienté, de manière insidieuse. Selon Corinne Bouchoux, ces sites « se caractérisent par une ergonomie et un design qui tiennent la comparaison avec ceux des sites officiels », ce qui les rend d'autant plus difficiles à repérer pour ce qu'ils sont.

De surcroît, ainsi que l'a souligné Corinne Bouchoux, ils bénéficient de moyens très importants qui leur permettent d'être référencés en première position dans les moteurs de recherche, avant même les sites officiels qui délivrent quant à eux une information neutre.

Françoise Laborde a toutefois souligné les efforts entrepris par le Gouvernement , qui a conscience de ce problème, pour améliorer la situation et garantir une information neutre aux femmes qui ont besoin d'information sur l'IVG.

À cet égard, Annick Billon a indiqué que le Planning familial « a évoqué le manque de moyens pour être en mesure de rivaliser avec les sites que vous évoquiez et de fournir une information objective relative à l'IVG sur l'ensemble du territoire, immédiatement accessible aux internautes ».

De surcroît, comme l'a souligné Hélène Conway-Mouret, ce débat pose également la question de l'idéologie qui sous-tend ces sites . Ces derniers sont en effet les vecteurs d'une « propagande mensongère qui déstabilise des personnes en détresse », ce qui appelle une vraie réflexion de fond pour éviter la désinformation sur Internet . « On nous parle de liberté d'information, mais on laisse pour le moment prospérer la liberté de désinformation ! », a-t-elle estimé. Pour reprendre les termes du communiqué de presse de Danielle Bousquet, présidente du Haut-Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes, « désinformer sur l'avortement, c'est empêcher les femmes de choisir librement d'y avoir recours ou non » 32 ( * ) .

Enfin, Corinne Bouchoux a mis en avant la nécessité, de façon plus globale, d'une analyse des enjeux posés par la révolution numérique à notre législation en général, qui impose selon elle « des réponses de fond et pas seulement de circonstance ».

B. DES AVIS PLUS CONTRASTÉS SUR SA TRADUCTION LÉGISLATIVE

Si la finalité poursuivie par la proposition de loi est très largement partagée par les membres de la délégation, leurs avis sont plus contrastés sur la solution juridique retenue.

Chantal Deseyne a ainsi estimé qu'était en cause, avant même la question de l'entrave, la « fausseté de ces sites qui adoptent des couleurs officielles et se présentent comme des sites de référence ».

Chantal Jouanno a posé la question de la pertinence d'une modification de l'article sur le délit d'entrave du code de la santé publique.

Annick Billon a indiqué que, selon des juristes qu'elle avait pu consulter, le délit d'entrave devait être distingué de la désinformation effectuée par des sites internet de propagande anti-IVG : « il ne faut donc pas mélanger , comme la proposition de loi le propose, le droit de la presse et de la communication avec le droit de la santé publique ».

Corinne Bouchoux a estimé que « le coeur du problème se [situait] au niveau du référencement des sites d'information sur l'IVG ».

Pour sa part, Françoise Laborde a estimé que la proposition de loi s'inscrivait dans la droite ligne des précédentes modifications législatives de 2001 et 2014 ayant étendu le délit d'entrave. Cette position rejoint l'appréciation de la rapporteure Catherine Coutelle selon qui « l'extension proposée du délit d'entrave n'invente (...) pas un nouveau délit mais permet simplement la pleine sanction d'un délit présent dans le droit positif depuis 1993 » 33 ( * ) .

Corinne Féret a mis en exergue le fait que la proposition de loi ne visait pas à interdire les sites anti-IVG  et qu'il ne s'agissait pas de porter atteinte à la liberté d'expression et d'opinion , mais bien de sanctionner des sites mensongers qui n'affichent pas clairement leur orientation et qui ont pour conséquence de faire perdre du temps à des femmes en détresse, alors même que la question des délais est déterminante en matière d'accès à l'IVG.

C. LA VOLONTÉ DE LA DÉLÉGATION DE PRENDRE PART AU DÉBAT

Au terme de ce débat, la délégation a décidé de recommander au Gouvernement :

- de faire en sorte que les sites d'information sur l'IVG affichent clairement leurs intentions , par exemple en faisant apparaître de manière distincte, sur toutes leurs pages, un message qui pourrait être ainsi rédigé : « Ce site a pour finalité de proposer aux femmes une autre solution que celle de mettre fin à leur grossesse » ;

- de poursuivre les efforts entrepris pour assurer, en matière d'accès à l'information sur l'IVG, un bon référencement des sites officiels sur Internet, de sorte que les femmes souhaitant s'informer sur l'IVG y accèdent directement, avant même les sites dispensant des allégations orientées sous couvert d'une apparence prétendument neutre.

La délégation a ensuite désigné sa présidente pour faire part de ses conclusions à la commission saisie au fond.

Elle a enfin autorisé, sous réserve des modifications rendues nécessaires par l'examen du texte à l'Assemblée nationale, le 1 er décembre 2016, la publication du présent rapport intitulé IVG et délit d'entrave par voie numérique .

ANNEXE I - COMPTE RENDU DE LA RÉUNION DE LA DÉLÉGATION DU 1ER DÉCEMBRE 2016

Réunion du jeudi 1 er décembre 2016

Présidence de Mme Chantal Jouanno, présidente

Mme Chantal Jouanno, présidente . - Le premier point de notre ordre du jour porte sur la proposition de loi relative à l'extension du délit d'entrave à l'interruption volontaire de grossesse. La délégation ayant toujours eu à coeur d'exprimer son attachement à ce qu'il est convenu d'appeler les droits sexuels et reproductifs, il me paraissait nécessaire que nous échangions sur ce point.

La ministre nous avait annoncé l'arrivée de ce texte, au cours de son audition du 27 octobre, pour la fin du mois de novembre à l'Assemblée nationale, mais nous ne l'attendions pas si tôt au Sénat.

La proposition de loi vise à étendre le délit d'entrave à l'IVG, institué en 1993, aux sites internet qui, sous couvert d'une neutralité apparente et d'un aspect faussement institutionnel (avec un numéro vert...), cherchent à dissuader les jeunes filles et les femmes d'avorter en leur donnant des informations délibérément négatives sur les conséquences d'une IVG (stérilité, fausses couches à répétition...).

Le délit d'entrave, tel qu'il a été créé en 1993, fait référence à des actes physiques et matériels. Nous n'avons pas encore le texte définitif de l'Assemblée nationale, puisque la proposition de loi y sera examinée aujourd'hui en séance publique. La rapporteure du texte, Catherine Coutelle, cherche une solution pour améliorer le dispositif juridique afin d'éviter le risque d'une censure du Conseil constitutionnel sur le fondement de la liberté d'expression. En tout état de cause, il conviendrait que ces sites, plutôt que d'avancer masqués, se présentent pour ce qu'ils sont.

Enfin, je m'interroge : la solution à ce problème passe-t-elle par une modification du code de la santé publique à l'article sur le délit d'entrave ?

Dans vos dossiers, vous trouverez un état des lieux de la situation. Mais à ce stade, nous ne sommes pas en mesure d'envisager une autre formule législative, étant donné que nous n'avons pas le texte de l'Assemblée nationale.

Mme Annick Billon . - Notre collègue Françoise Gatel a été nommée chef de file du groupe centriste sur ce texte. Dans ce cadre, elle a effectué des auditions auxquelles j'ai pu assister. Elle considère que le délit d'entrave doit être caractérisé par un critère physique (manifestation de violence par exemple), ce qui n'est pas le cas d'une fausse information. Les juristes que nous avons entendus ont souligné également que le délit d'entrave et la presse sont deux sujets différents, et qu'il ne faut donc pas mélanger, comme la proposition de loi le propose, le droit de la presse et de la communication avec le droit de la santé publique. Nous avons aussi reçu le Planning familial, qui a évoqué le manque de moyens pour être en mesure de rivaliser avec les sites que vous évoquiez et de fournir une information objective relative à l'IVG sur l'ensemble du territoire, immédiatement accessible aux internautes.

Mme Françoise Laborde . - J'entends bien ce que dit Annick Billon, mais je voudrais faire remarquer que le délit d'entrave institué en 1993, qui visait des actes physiques, a été élargi en 2001 à la notion de pression morale et psychologique. De même, la loi de 2014 sur l'égalité réelle a encore élargi le champ de ce délit non plus seulement au fait d'empêcher l'acte, mais également au fait de faire obstacle à la recherche d'information sur l'IVG.

Pour moi, la proposition de loi s'inscrit dans ce mouvement d'élargissement.

Mme Chantal Jouanno, présidente . - La proposition de loi vise les sites qui se livrent à de la désinformation et à quelque chose qui ressemble à de la tromperie.

Mme Corinne Bouchoux . - En ce qui me concerne, je voudrais faire part de mon embarras. Nous savons qu'il y a aujourd'hui à l'oeuvre de multiples tentatives de remises en cause du droit à l'IVG dans toute l'Europe. Je comprends bien l'intention louable de cette proposition de loi dans ce contexte. En revanche, je ne vois pas comment le texte, dans sa rédaction actuelle, pourrait franchir la barre du Conseil constitutionnel en cas de saisine. Ce dernier le censurerait probablement au titre du principe de liberté d'expression ou de neutralité du net, problématique à laquelle nous sommes forts sensibles au sein de la commission de la culture présidée par Catherine Morin-Desailly.

On voit bien le problème, lié au fait que les sites visés par la proposition de loi se font passer pour des sites officiels de santé publique, ce qui s'apparente à du faux. Mais la proposition de loi ne se trompe-t-elle pas sur la porte d'entrée juridique ?

Je crains également les effets pervers de cette démarche, qui ne répond pas à la vraie question et qui risque d'ouvrir la boîte de Pandore. Pour moi, le coeur du problème se situe au niveau du référencement des sites d'information sur l'IVG. Or, les sites incriminés, notamment ivg.net, disposent de moyens considérables qui leur permettent d'apparaître en première position dans les moteurs de recherche sur Internet, avant même les sites gouvernementaux.

Ce texte pointe un vrai problème mais ne choisit probablement pas les bonnes armes juridiques. Le Planning familial le dit lui-même, me semble-t-il.

Soyons conscients que si l'on transposait un tel raisonnement à tous les sujets, il n'y aurait plus d'Internet ! C'est pourquoi la proposition de loi me semble fragile juridiquement.

Mme Françoise Laborde . - Le Gouvernement a conscience des problèmes de référencement et a dégagé des moyens pour améliorer la situation.

Mme Claudine Lepage . - Je m'exprime à titre personnel car nous n'avons pas encore défini de position sur ce texte au niveau du groupe. J'ai consulté le site ivg.net et je suis frappée par la subtilité de sa présentation, qui le rend d'ailleurs très dur à démonter.

D'autres sites sont moins subtils et moins trompeurs. Par exemple, le site afterbaiz.com vise un public d'adolescents, et le site les survivants présente une argumentation très grossière, et l'on voit bien quelle position elle sous-tend. Par un dangereux syllogisme - l'avortement est une violence, le viol est une violence, donc l'avortement conduit au viol-, ce site en vient à assimiler l'avortement à un viol. C'est clairement de la désinformation !

Mme Laurence Cohen . - Pour moi, le vrai problème vient du fait que cette proposition de loi va ouvrir la boîte de Pandore et permettre aux opposants à l'IVG de s'exprimer. Il n'y a qu'à écouter les prises de position de certains et voir le nombre d'amendements qui ont été déposés à l'Assemblée, et qui proposent des mesures visant à remettre en cause l'IVG.

Les sites incriminés par la proposition de loi véhiculent une désinformation qui instrumentalise le désarroi de personnes qui se trouvent souvent dans une situation de grande fragilité. Ils le font de façon très subtile, ce qui justifie à mon avis de renforcer la loi sur ce point.

Je suis par ailleurs frappée et désolée de constater que, à chaque fois qu'un débat relatif à une atteinte aux droits des femmes envahit la sphère publique, on nous attaque tout de suite sur le terrain de la liberté d'expression. Rappelez-vous de la polémique sur ce rappeur qui appelait au viol. Il me semble que notre société ne condamne pas de la même façon les atteintes aux droits des femmes et les atteintes pouvant viser des religions ou des minorités, et c'est bien regrettable.

Il serait dommage d'aboutir à une remise en cause de l'IVG à cause d'une « fausse bonne idée ». Il faut pourtant faire quelque chose, mais les délais d'examen du texte sont particulièrement contraints .

Mme Chantal Jouanno, présidente . - Nous avons en effet un vrai problème de calendrier. Le texte de l'Assemblée nationale ne sera adopté qu'en fin d'après-midi, et l'examen en commission au Sénat aura lieu dès mardi 6, et en séance le mercredi 7 décembre !

Mme Hélène Conway-Mouret . - On nous parle de liberté d'expression, mais on laisse pour le moment prospérer la liberté de désinformation !

En effet, derrière tous ces sites, se cachent des financements et une propagande mensongère qui déstabilise des personnes en détresse, au service, c'est clair, d'une idéologie. Il faut le dire et prendre une position déterminée sur ce point.

Mme Corinne Bouchoux . - Le site ivg.net se caractérise par une ergonomie et un design qui tiennent la comparaison avec ceux des sites officiels. Il est très professionnel dans son apparence.

Mme Hélène Conway-Mouret . - Parce qu'il dispose de nombreux moyens !

Mme Corinne Féret . - Le but de la proposition de loi n'est pas d'interdire les sites qui sont contre l'IVG, mais bien de sanctionner les sites mensongers qui prétendent informer tout en diffuant un message orienté, de façon cachée, à un public qui peut se trouver dans une position de fragilité. Tout cela est très bien fait, mais au bout du compte, les femmes qui consultent ce site perdent du temps dans les démarches qui peuvent les conduire à mener une IVG.

Mme Chantal Deseyne . - Il me semble que ce n'est pas tant le fait d'entraver qui est ici en cause, que la fausseté de ces sites qui adoptent des couleurs officielles et se présentent comme des sites de référence. Ne pourrait-on pas juste imposer qu'ils n'usurpent pas un logo ou une identité officielle ?

Mme Chantal Jouanno, présidente . - Le droit d'Internet est une discipline en soi. Peut-on mettre au même niveau le délit d'entrave qui s'appuie sur un empêchement physique, et le délit d'entrave par voie numérique, qui porte sur l'information ? Ne pourrait-on pas intervenir dans le code de la santé publique en créant un article spécifique, sans le rattacher au délit d'entrave existant ? Il s'agirait de sanctionner le fait de publier, de diffuser ou de transmettre, par quelque moyen que ce soit, des présentations faussées, ou des indications de nature à induire intentionnellement en erreur sur les caractéristiques ou les conséquences médicales d'une IVG.

En tout état de cause, la délégation pourrait formuler une recommandation pour exiger que les sites internet proposant une information relative à l'IVG affichent un message clair sur leur orientation, qui consiste à proposer aux femmes une autre solution que celle de mettre fin à leur grossesse.

Mme Corinne Bouchoux . - Merci pour ces réflexions qui nous permettent d'avancer. Je regrette que le calendrier soit aussi contraint et ne permette pas un travail commun entre les différentes commissions et la délégation. Le Sénat sortirait grandi si les commissions concernées parvenaient à trouver une solution solide du point de vue juridique. Par ailleurs, je regrette de constater que les élus savent se mobiliser lorsqu'il s'agit d'enjeux électoraux mais que, s'agissant des droits des femmes, c'est beaucoup plus difficile.

Mme Laurence Cohen . - Je partage ce que dit Corinne Bouchoux, tout en rappelant que ce n'est pas le Sénat qui a imposé ce calendrier. Rappelons-nous également qu'au départ, la mesure proposée avait fait l'objet d'un amendement au projet de loi « Égalité et citoyenneté », qui a été rejeté par la commission spéciale pour absence de lien direct avec le texte examiné.

Je remercie également la présidente pour ces réflexions intéressantes. Par ailleurs, je m'interroge : se référer au caractère intentionnel de la présentation tronquée des faits par des sites internet tels qu' ivg.net ne risque-t-il pas d'être contre-productif ? En effet, ces derniers pourraient chercher à s'en exonérer en contestant cette volonté délibérée de tromper et en affirmant que seule une volonté d'information du public les anime.

Mme Catherine Génisson . - Je laisse le soin aux juristes d'examiner l'intérêt d'une disposition réprimant des indications de nature à pervertir l'information...

M. Roland Courteau . - On peut induire en erreur sans volonté délibérée, donc je ne vois pas ce qui s'opposerait à se référer à l'intentionnalité.

Mme Laurence Cohen . - On peut regretter qu'un tel sujet ne puisse être abordé de manière plus approfondie et à part entière par l'ensemble du Sénat. Chaque parlementaire devrait se sentir concerné par cette évolution des techniques et ses conséquences.

On l'a vu aussi pendant le débat sur les violences conjugales, où peu de nos collègues étaient présents. Il faut attirer davantage l'attention du Sénat sur les questions liées aux droits des femmes.

Mme Chantal Jouanno, présidente . - Ce sujet sera sans doute davantage suivi par nos collègues, mais probablement plus pour des raisons tenant à la conjoncture politique pré-électorale que pour des préoccupations liées aux droits des femmes...

Mme Hélène Conway-Mouret . - Je voudrais souligner que le débat est à mon avis plus vaste que la désinformation en matière d'IVG. Il faudrait mener une vraie réflexion de fond sur la propagande et la désinformation que distillent ces sites internet à des fins idéologiques. Nous avons besoin d'une position très claire de la délégation sur ce point.

Mme Corinne Bouchoux . - Le sujet sur lequel nous débattons aujourd'hui pose la question plus générale de la révolution numérique et des révolutions législatives afférentes, problématique que nous avons récemment abordée à la commission de la culture, au cours de l'audition de la présidente de la commission de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL). Nous n'avons pas assez intégré, de façon transversale, comment Internet va mettre à mal toutes nos législations qui datent du siècle dernier. Sur ces sujets, il nous faudrait des réponses de fond et pas seulement de circonstance.

Mme Chantal Jouanno, présidente . - Je propose que nous sollicitions une saisine de la délégation auprès du président de la commission des affaires sociales. Cela nous permettrait de faire valoir notre point de vue devant la commission et de nous exprimer au cours de la discussion générale, tout en publiant un rapport qui, compte tenu des circonstances, sera bref et davantage destiné à porter notre contribution au débat qu'à proposer des formules techniquement imparables, que nous ne sommes d'ailleurs pas en mesure d'envisager puisque la proposition de loi ne sera transmise au Sénat que ce soir, vraisemblablement.

Nous pourrions en revanche formuler deux recommandations dans notre rapport.

La première pourrait être rédigée ainsi :

La délégation recommande au Gouvernement de faire en sorte que les sites d'information sur l'IVG affichent clairement leurs intentions, par exemple en faisant apparaître de manière distincte, sur toutes leurs pages, un message qui pourrait être ainsi rédigé : « Ce site a pour finalité de proposer aux femmes une autre solution que celle de mettre fin à leur grossesse ».

Il me semble que tout le monde est d'accord.

Cette recommandation est adoptée.

Mme Chantal Jouanno, présidente . - La deuxième pourrait être formulée ainsi :

La délégation recommande au Gouvernement de poursuivre les efforts entrepris pour assurer, en matière d'accès à l'information sur l'IVG, un bon référencement des sites officiels sur Internet, de sorte que les femmes souhaitant s'informer sur l'IVG y accèdent directement, avant même les sites dispensant des allégations orientées sous couvert d'une apparence prétendument neutre.

Là encore, je ne vois pas d'objection.

Cette recommandation est donc adoptée.

Mme Chantal Jouanno, présidente . - Si la saisine est acceptée et si vous en êtes d'accord, je propose d'assister à la réunion de la commission des affaires sociales mardi 6 décembre pour y présenter le point de vue de la délégation.

Cette proposition est approuvée sans réserve à l'unanimité des présent-e-s.

À l'issue de ce débat, la délégation autorise la publication d'un rapport d'information sur le délit d'entrave à l'IVG par voie numérique. Elle mandate sa présidente pour exposer son point de vue lors de la réunion de la commission des affaires sociales et en séance publique.

ANNEXE II - LETTRE DE M. ALAIN MILON, PRÉSIDENT DE LA COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES À MME CHANTAL JOUANNO, PRÉSIDENTE DE LA DÉLÉGATION


* 1 La laïcité garantit-elle l'égalité femmes-hommes ?, rapport d'information n° 101 (2016-2017) de Chantal Jouanno, fait au nom de la Délégation aux droits des femmes.

* 2 Femmes et santé : les enjeux d'aujourd'hui , rapport d'information n° 592 (2014-2015) d'Annick Billon et Françoise Laborde, fait au nom de la Délégation aux droits des femmes.

* 3 Proposition de loi adoptée par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relative à l'extension du délit d'entrave à l'interruption volontaire de grossesse, transmise par M. le Président de l'Assemblée nationale à M. le Président du Sénat, texte n° 174 enregistré à la Présidence du Sénat le 1 er décembre 2016.

* 4 Source : site Internet du ministère de la Famille, de l'Enfance et des Droits des femmes.

* 5 Rapport relatif à l'accès à l'IVG, volet 1 : Information sur l'avortement sur Internet , rapport n° 2013-0912-HCE-008.

* 6 Les deux premiers signataires de cette proposition de loi sont Bruno Le Roux et Catherine Coutelle.

* 7 Loi n° 67-1176 du 28 décembre 1967 relative à la régulation des naissances et abrogeant les articles L. 648 et L. 649 du code de la santé publique.

* 8 Loi n° 93-121 du 27 janvier 1993 portant diverses mesures d'ordre social.

* 9 Loi n° 2004-806 du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique.

* 10 Loi n° 2007-1786 du 19 décembre 2007 de financement de la sécurité sociale pour 2008.

* 11 Depuis le 31 mars 2013, l'Assurance Maladie prend en charge à 100 % sur le risque maladie, les frais de soins, de surveillance et d'hospitalisation liés à une interruption volontaire de grossesse, par voie médicamenteuse réalisée en ville ou en établissement de santé ou par voie instrumentale réalisée en établissement de santé public ou privé.

* 12 Rapport relatif à l'accès à l'IVG, volet 2 : Accès à l'IVG dans les territoires , rapport n° 2013-1104-SAN-009 publié le 7 novembre 2013.

* 13 Loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé.

* 14 La Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (DREES) est une direction de l'administration centrale des ministères sanitaires et sociaux.

* 15 On distingue deux méthodes d'IVG :

- l'IVG médicamenteuse , qui peut être réalisée en établissement de santé ou en cabinet, par les médecins et gynécologues libéraux et qui est autorisée jusqu'à la cinquième semaine de grossesse. Elle comprend deux prises de médicaments : la première consiste à interrompre la grossesse ; la seconde à provoquer des contractions. Cette méthode aurait concerné, en 2012, 55 % des IVG pratiquées en France. Dans les centres agréés, elle peut être réalisée jusqu'à la septième semaine de grossesse ;

- l'IVG chirurgicale ou par aspiration, qui peut être pratiquée jusqu'à la douzième semaine de grossesse, sous anesthésie locale (11 % des IVG) ou générale (34 % des IVG) et qui ne peut être réalisée qu'en établissement de santé. La durée de l'hospitalisation est en général inférieure à douze heures.

* 16 Chiffres de l'année 2015.

* 17 Rapport de Catherine Coutelle fait au nom de la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale, n° 4245.

* 18 Rapport de Catherine Coutelle fait au nom de la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale, n° 4245.

* 19 Amendements n° 36 et 37 de Catherine Coutelle.

* 20 Texte n° 174 (2016-2017) transmis au Sénat le 1 er décembre 2016.

* 21 Source : exposé des motifs de la proposition de loi.

* 22 Date : 2 décembre 2016.

* 23 Date : 30 novembre 2016.

* 24 Source : exposé des motifs de la proposition de loi.

* 25 Source : compte rendu de l'audition de Mme Laurence Rossignol par la délégation, jeudi 27 octobre 2016.

* 26 Source : Bulletin Quotidien du mercredi 30 novembre 2016.

* 27 Source : Le Monde du mercredi 30 novembre.

* 28 Source : Le Monde du mercredi 30 novembre 2016.

* 29 Ils émanent notamment de MM. Poisson, Gosselin ou de Mme Maréchal-Le Pen.

* 30 Cour de cassation, chambre criminelle, 31 janvier 1996, 95-81.319, citée par Catherine Coutelle.

* 31 Voir procès-verbal en annexe.

* 32 Communiqué de presse du 1 er décembre 2016.

* 33 Rapport de Catherine Coutelle, fait au nom de la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale, n° 4245.

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