EXAMEN PAR LA COMMISSION

La commission des affaires européennes s'est réunie le jeudi 12 janvier 2017 pour l'examen du présent rapport. À l'issue de la présentation faite par M. Jean Bizet, le débat suivant s'est engagé :

M. André Gattolin . - Ce rapport d'information est très fidèle à la richesse de nos entretiens.

Au sein de la commission d'enquête sur l'avenir de l'espace Schengen, nous avons auditionné l'ambassadeur d'Espagne en France, M. Ramón de Miguel, qui a dressé un tableau sombre de l'efficacité italienne. Nous avons évoqué les frontières terrestres, avec les enclaves de Ceuta et Mellila, et les frontières maritimes. Les Espagnols sont touchés depuis longtemps par les migrations et ont mis en place des dispositifs efficaces. Mais la coopération est insuffisante : Frontex ne peut se substituer aux garde-côtes des pays européens, et les Espagnols ont du mal à travailler avec l'Italie. Ils apprécient leur générosité et leur humanisme mais les jugent excessivement laxistes sur leur contrôle maritime. Je suis intervenu pour évoquer notre déplacement romain. Ces regards croisés sont intéressants. L'ambassadeur espagnol, qui a travaillé dans la Commission Delors et a été directeur général à Bruxelles, s'exprime assez librement. Il n'est pas simple de faire collaborer sur un même territoire deux corps de contrôles aux frontières, italien et espagnol. L'Espagne est aussi une route de migration, comme l'Italie, mais, confrontée plus tôt au problème, elle a mis en place des procédures et des moyens plus développés. Cela montre les difficultés et les disparités persistantes.

M. Pascal Allizard . - Ne tombons pas dans le piège d'opposer l'Espagne à l'Italie. L'Espagne bénéficie d'accords avec le Portugal et le Maroc : les routes maritimes sont totalement fermées par les garde-côtes. Actuellement, peu de Syriens, quelques Afghans et surtout de nombreux Africains, de l'Est et de l'Ouest, traversent la Méditerranée. Les Africains de l'Ouest ne pouvant passer par l'Espagne remontent le Nil et se dispersent sur les 400 kilomètres de côte libyenne non sécurisée. Les Italiens réalisent des efforts colossaux pour relocaliser les migrants sur le territoire national, alors que la France n'en fait pas le dixième... Cette générosité a pu avoir un impact négatif dans le résultat du référendum.

Mme Fabienne Keller . - C'est très intéressant de disposer d'une monographie sur un autre État membre. Le plan du rapport révèle en miroir une analyse des difficultés de la France, comme le manque de perspectives de la jeunesse, la panne de croissance, les réfugiés, les débats sur le Sénat, mais avec un regard italien. Je regrette de n'avoir pu me joindre à vous !

Qu'ont donné les réformes menées depuis un an sur le coût du travail ? Pourraient-elles s'appliquer dans d'autres pays du sud de l'Europe ? Qu'en est-il du risque bancaire ? Avec Yvon Collin, je me suis rendue en Italie lorsque ce pays envisageait de développer une aide Nord-Sud de long terme pour faire face aux migrations économiques, notamment par le biais de la Cassa depositi e prestiti, la Caisse des dépôts italienne. Ont-ils toujours des difficultés politiques et financières, et où en est ce projet d'aide Nord-Sud ?

Organiser un événement à l'occasion de l'anniversaire du traité de Rome est une excellente idée, mais il y a un vrai risque : l'article 50 risque d'être activé pour le Brexit à une date proche du 25 mars et risque d'écraser les commémorations...

M. René Danesi . - Je salue la qualité rédactionnelle de l'avis politique pour la reconstruction de la basilique de Nursie, évoquant très diplomatiquement l'héritage culturel et symbolique de cet édifice, sans mentionner les racines chrétiennes de l'Europe.

Ce rapport est une véritable somme sur l'Italie, qui fait le point sur l'ensemble des questions préoccupant les Italiens et l'ensemble de l'Union européenne. Vous me rappelez mes humanités avec l'ochlocratie : peu de pays y échappent, et nous l'avons connue en 2012 lors de l'élection présidentielle, avec un vote déterminé par l'humeur plutôt que par la raison raisonnante. C'est une crise de la démocratie représentative qu'on observe aux États-Unis avec l'importance croissante des médias et en Italie avec le M5S. Les sautes d'humeur risquent d'être permanentes.

Vous avez réalisé un excellent travail sur la coopération avec le Sénat italien. Les trois thèmes retenus pour une coopération sont essentiels, comme le numérique ou la concurrence, un des moteurs de l'unification européenne, mais qui a montré toutes ses faiblesses. Curieusement, en matière de concurrence, l'Europe a tendance à agir comme la France avant 1939, blottie derrière la ligne Maginot tandis qu'elle signait des traités avec les pays d'Europe centrale leur garantissant son aide en cas d'agression... C'est contradictoire. On a ouvert l'Europe à la concurrence mondiale tout en essayant d'empêcher l'émergence de concurrents européens sur le marché mondial. On veut favoriser les PME en Europe sans les faire trop grossir pour éviter qu'elles nous concurrencent à l'international, et on s'étonne ensuite de la concurrence des Américains et des Chinois. L'Europe ne peut continuer ainsi, inversons la tendance. La concurrence est un fait politique essentiel, saisissons-nous-en. On part aussi du principe que la concurrence serait une bonne chose en soi, je suis loin d'en être convaincu... Nous verrons ce qui se passera aux États-Unis dans les mois à venir.

M. Éric Bocquet . - La situation du secteur bancaire italien est impressionnante, même si nous la connaissions. L'ampleur des chiffres est sidérante. Un tiers des créances douteuses de la zone euro sont détenues par des banques italiennes. La banque centrale italienne a triplé son engagement auprès des banques italiennes. Qu'en est-il de l'origine et de la nature des créances douteuses ? Le risque est considérable...

M. Simon Sutour . - Monsieur Danesi, l'Europe doit aider le patrimoine culturel des zones touchées. Le titre est très approprié. Rassurez-vous, une précision indique que c'est une église dédiée au saint patron de l'Europe... Mais soyons modestes, il s'agit d'un avis politique de notre commission et non d'une décision de la Commission européenne.

Je me félicite du déplacement de notre délégation et du maintien de liens forts avec le Sénat italien, de même qu'avec le Bundesrat allemand. La coopération interparlementaire est essentielle. Agissons de même avec les pays du sud de l'Europe, avant la fin de la mandature, notamment avec l'Espagne, qui compte 45 millions d'habitants.

L'Espagne et l'Italie sont des pays qui, au-delà de leurs sensibilités politiques différentes, ont fait le choix de la croissance et de l'emploi, en témoigne la victoire de cette position dans le débat européen. L'Italie est un pays fondateur de l'Europe qui, malgré ses difficultés, ne se porte pas si mal. Son influence dans l'Union européenne continue à être forte : les deux principaux candidats à la présidence du Parlement européen sont italiens.

M. René Danesi . - Avant notre rencontre avec l'ambassadeur espagnol, j'étais persuadé que le droit de la mer obligeait à recueillir toute personne, à la mener à bon port et à lui donner gîte et couvert. Or, selon l'ambassadeur espagnol, un pays peut renvoyer immédiatement un migrant - et l'Espagne le fait. Il tenait des propos peu amènes envers l'Italie. L'Italie applique-t-elle le droit ou fait-elle du sentiment ? Peut-on avoir une information objective ?

M. Alain Richard . - Cela relève du droit de séjour sur le territoire et non du droit de la mer. Ce n'est pas parce qu'un étranger a touché le sol national qu'on est obligé de l'y garder. Voyez les officiers de la police de l'air et des frontières qui patrouillent à l'aéroport de Roissy la nuit pour contrôler les arrivées, et ce n'est pas lié au droit de la mer. Le droit de la mer n'interdit pas de renvoyer un sans-papiers à son lieu d'origine, s'il est sûr. Il n'y a pas de droit à un titre de séjour.

M. André Gattolin . - Au-delà de la zone maritime immédiate, le droit de la mer oblige à porter secours à toute personne et de la mener à terre. Mais, en Libye, la situation pose problème en l'absence d'accord, sans État réel ni sécurité. Lorsqu'ils arrivent en avion, les migrants peuvent demander l'asile si leur renvoi dans leur pays d'origine met leur vie en danger, à la différence des migrants économiques.

L'ambassadeur précisait que les demandeurs d'asile sont accueillis en Espagne, à la différence des migrants économiques, qui sont renvoyés dans leur pays. L'Espagne a un accord avec le Maroc qui le lui permet.

M. Jean Bizet , président . - Monsieur Danesi, vos interrogations sont en partie satisfaites.

L'ochlocratie, du grec ?÷ëïò ( ochlos ), la foule, ne concerne pas seulement l'Italie, même si le M5S en est l'expression même. Les démocraties peuvent être mortelles, et l'émotion ne doit pas l'emporter sur la raison. C'est la raison d'être des assemblées dûment élues. Nous connaissons plusieurs exemples d'exécutifs pouvant être paralysés par l'émotion publique, et ce risque existe pour tout gouvernement.

J'apprécie vos remarques sur le commerce international. L'Union européenne s'est enferrée dans la rigidité d'une Direction générale de la concurrence créée il y a soixante ans lors du traité de Rome et qui ne correspond plus à la réalité locale. Pour être un bon compétiteur, il faut avoir des champions mondiaux : relisez mon rapport de 2013. La Direction générale de la concurrence, avec les autorités nationales de la concurrence, ses déclinaisons locales, empêchait tout regroupement ou toute position dominante sur un marché pertinent. Voyez les derniers propos d'Emmanuel Macron, qui appelait de ses voeux l'émergence d'un Google européen, estimant qu'un Google français ou allemand n'aurait aucun sens.

M. Simon Sutour . - Vous l'approuvez ?

M. Jean Bizet , président . - Oui, sur ce point. Madame Keller, nous avons eu une intéressante réunion sur le coût du travail avec M. Gianfranco Dell'Alba, délégué de la Confindustria auprès de l'Union européenne. Matteo Renzi a mis en place un Jobs Act avec deux volets : l'augmentation des contrats à durée déterminée de 12 à 36 mois et un contrat à durée indéterminée à protection croissante, où le licenciement est facilité durant les trois premières années. Ce programme produit des effets, mais le chômage des jeunes atteint 37 %, ce qui explique l'échec de M. Renzi malgré ses avancées sur l'éducation ou le travail.

Le gouvernement italien a décidé d'injecter 6,5 milliards d'euros à la BMPS pour soulager les petits porteurs, mais il y a un risque systémique pour l'État italien, surmontable à condition que ce plan soit très vite appliqué ; or l'État italien a tergiversé durant trois semaines avant d'agir.

Il ne faudrait pas que les cérémonies d'anniversaire du traité de Rome soient occultées par le déclenchement de l'article 50. Les présidents des parlements nationaux se réuniront le 17 mars à Rome. Je souhaite que l'image de l'Europe qui est donnée soit la plus large possible.

Mme Fabienne Keller . - Fait-on quelque chose à cette occasion ?

M. Jean Bizet , président . - Nous présenterons des propositions d'ici à la fin février pour valoriser la date du 25 mars.

Mme Fabienne Keller . - Nous pourrions organiser un événement avec des jeunes européens, en parallèle d'autres événements institutionnels.

M. Jean Bizet , président . - Nous ferons des propositions dans ce sens que vous validerez.

Monsieur Bocquet, les sommes bancaires en jeu ne sont pas neutres : près de 360 milliards d'euros. L'essentiel est de protéger les petits porteurs, et c'est jouable pour les professionnels.

M. Éric Bocquet . - Quelles sont l'origine et la nature des créances douteuses ?

M. Simon Sutour . - On peut bien l'imaginer...

M. Jean Bizet , président . - Il est difficile de tout creuser... L'Italie, pays fondateur de l'Union, est très respectueuse du couple franco-allemand, mais souhaiterait que la France s'intéresse aussi à elle...

M. Simon Sutour . - On pourrait être polygame...

M. Jean Bizet , président . - L'Italie nous a donné de nombreux grands Européens, avec Mario Monti, Mario Draghi et Federica Mogherini, et peut-être bientôt Antonio Tajani...

M. Simon Sutour . - Ou Gianni Pitella.

M. Jean Bizet , président . - Ils sont des Européens convaincus et ont une réflexion d'excellente qualité. Nous avons de très bonnes relations avec nos collègues sénateurs italiens. Je vous propose de publier ce rapport et que notre commission fasse des notes d'étapes sur le sujet bancaire.

À l'issue du débat, la commission des affaires européennes a autorisé la publication du rapport d'information et a adopté, à l'unanimité, l'avis politique suivant.

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