DEUXIÈME PARTIE - UNE INSTITUTION AUJOURD'HUI FRAGILISÉE

I. UNE ORGANISATION INADAPTÉE

A. UNE ORGANISATION ADMINISTRATIVE TROP COMPLEXE POUR ÊTRE EFFICACE

1. L'organisation interne

En dépit des réformes intervenues au cours des dernières années, la préfecture de police est aujourd'hui fragilisée par une organisation interne trop complexe pour être véritablement efficace .

En effet, comme l'observe le professeur Olivier Renaudie, « les missions et compétences de la préfecture de police apparaissent particulièrement enchevêtrées, aussi bien sur le plan matériel que territorial : loin de se présenter sous la forme d'un jardin à la française (...) elles semblent imbriquées les unes dans les autres de façon parfois si désordonnée qu'il est difficile de s'y retrouver » 43 ( * ) .

À titre d'exemple, plusieurs rapports parlementaires 44 ( * ) se sont récemment étonnés du fait que la direction du renseignement de la préfecture de police de Paris (DRPP) garde une compétence en matière de lutte contre l'immigration clandestine et le travail illégal , en complément des compétences dévolues en la matière à la DSPAP - et ce alors même que sur le reste du territoire la police aux frontières s'occupe tant du traitement de masse des interpellations d'étrangers en situation irrégulière que de l'investigation en matière de filières et de travail illégal.

Observant que « l'exercice de cette mission relève d'un accident de l'histoire : en 1973, la police de l'air et des frontières est détachée de la direction centrale des renseignements généraux (DCRG), à l'exception de la région parisienne », notre ancien collègue Jean-Jacques Urvoas en concluait ainsi que « le bon sens voudrait que cette compétence ainsi que ces fonctionnaires quittent le giron de la DRPR pour rejoindre la DCPAF, dont c'est le métier » 45 ( * ) .

Lors de ses déplacements, votre rapporteur spécial a par ailleurs été surpris par l'existence de trois salles de commandement à la préfecture de police.

Ce constat est également valable s'agissant des multiples ressorts géographiques de certaines des directions de la préfecture de police.

En l'espèce, si le fait que « les missions dévolues aux différents services de la préfecture de police s'exercent, comme c'est le cas des compétences du préfet de police, sur un territoire variable » n'a « rien d'étonnant. (...) Ce qui l'est davantage, c'est qu'il n'est pas toujours aisé de saisir la rationalité de l'ensemble ainsi formé » 46 ( * ) .

À titre d'exemple, le rapport d'évaluation de la mise en place de la police d'agglomération parisienne remis en mars 2016 relève que les services de la préfecture de police gérant les déplacements ont tous une compétence régionale et demeurent pourtant « disséminés entre trois directions » dont le ressort territorial principal est limité à la petite couronne 47 ( * ) :

- la DSPAP, avec la sous-direction régionale de la police des transports ;

- la DOPC, avec la sous-direction régionale de la circulation et de la sécurité routière ;

- la DOSTEL, avec la brigade fluviale et l'unité de contrôle technique de lutte contre la pollution.

Or, cet enchevêtrement des missions et des périmètres d'action peut non seulement se traduire par des difficultés opérationnelles et un manque de coordination, mais également engendrer des risques non négligeables tant sur le plan budgétaire que juridique pour l'État .

Ainsi, en matière immobilière, certaines missions relevant clairement d'activités régaliennes sont exercées dans des bâtiments propriétés de la ville de Paris, sans garantie sur le plan juridique . Le laboratoire central occupe par exemple environ 4 300 mètres carrés sur trois sites propriétés de la ville de Paris, sans que ces derniers ne fassent l'objet d'une convention d'occupation ni ne figurent dans le décret de 1967 48 ( * ) organisant le transfert des biens des anciens départements de la Seine et de la Seine-et-Oise vers les nouveaux départements composant la région parisienne. Aussi, dans un contexte marqué par la volonté de la ville de Paris d'utiliser l'un des sites pour y aménager des logements, la préfecture de police se trouve dans l'obligation de trouver une « solution pérenne et clarifiée » qui permettra de « sécuriser le statut juridique de l'occupation des emprises » 49 ( * ) .

2. L'articulation avec la direction générale de la police nationale

Au-delà de la complexité de l'organisation interne de la préfecture de police, l'efficacité de l'action administrative de l'État est également fragilisée par l'éclatement de l'organisation policière , lié à l'absence de hiérarchie entre le préfet de police de Paris et le directeur général de la police nationale (DGPN).

Alors que la gendarmerie est caractérisée par l'unité de sa direction, trois personnalités coexistent au sommet de la hiérarchie policière : le DGPN, le préfet de police et le DGSI.

Or, l'absence d'unité de l'organisation policière est susceptible de se traduire non seulement par une déperdition de moyens mais également par des difficultés de coordination - voire des conflits - entre les services.

C'est d'ailleurs précisément pour remédier à cette dernière difficulté qu'une unification de l'organisation policière avait été envisagée en 1966 à la suite de l'affaire « Ben Barka ».

À cet égard, l'exemple du renseignement démontre que le risque de « guerre des polices » n'est pas seulement théorique. René Bailly, directeur du renseignement de la préfecture de police, a ainsi admis devant la commission d'enquête relative aux moyens mis en oeuvre par l'État pour lutter contre le terrorisme depuis le 7 janvier 2015 avoir été nommé en 2009 pour « rétablir la circulation » entre l'île de la Cité [la DRPP] et « le reste du monde » 50 ( * ) .

Si des progrès ont indéniablement été réalisés en la matière, avec la mise en place de nombreux mécanismes de coordination entre la DRPP et les autres services concourant au renseignement intérieur, le rapport d'évaluation de la mise en place de la police d'agglomération parisienne remis en 2016 constate toutefois que « le partage du renseignement constitue toujours une interrogation » 51 ( * ) .

À titre d'exemple, la mission relève que :

- la DRPP ne participe pas à certaines réunions zonales organisées par la DGSI avec les départements de la petite et grande couronne ;

- la relation entre la DRPP et le service central du renseignement territorial « apparaît, dans la pratique, améliorable », dans la mesure où « la fluidité de la transmission de l'information n'est pas toujours avérée ».

Le risque de conflit apparaît aujourd'hui d'autant plus grand que l'organisation administrative semble en contradiction croissante avec l'organisation budgétaire.

En effet, si le préfet de police n'est pas sous l'autorité hiérarchique du DGPN, il ne dispose que d'une autonomie budgétaire très limitée vis-à-vis de ce dernier dans la mesure où, comme le rappelle la préfecture de police, l'architecture budgétaire du programme « Police nationale » fait du préfet de police un simple responsable de budget opérationnel de programme (BOP), « soumis en ce sens aux décisions du responsable de programme, le DGPN, qui définit les enveloppes et les modalités de gestion » 52 ( * ) .

La plupart des dépenses n'étant pas déconcentrées, elles relèvent ainsi directement de la direction générale de la police nationale , à l'instar des dépenses de personnel (le DGPN affecte à la préfecture de police un schéma d'emplois), de l'essentiel les dépenses immobilières (à l'exception des loyers et des travaux d'entretien mineurs) et de la dotation en véhicules.

En réalité, le préfet de police n'a véritablement la « main » que sur les crédits relevant du BOP zonal n° 2 , qui s'élèvent en 2016 à 167 millions d'euros en crédits de paiement, soit 5 % des crédits qu'il exécute .

Répartition prévisionnelle des crédits du BOP zonal n° 2 en 2016

(en millions d'euros)

Nature de la dépense

Montant

Fonctionnement courant

10,6

Moyens mobiles

20,7

Équipement

3,8

Systèmes d'information et de communication

3,4

Immobilier

81,6

Remboursements au budget spécial

27,9

Cartes de circulation

18,6

Autres

0,5

Total

167,1

Source : commission des finances du Sénat (d'après les informations recueillies lors des auditions)

En outre, avec la fusion des secrétariats généraux pour l'administration de la police (SGAP) et la mise en place du SGAMI, ce BOP rassemble désormais les crédits dédiés à l'équipement et au fonctionnement des services de police de l'ensemble de la zone - y compris ceux situés en grande couronne.

L'organisation administrative apparaît donc doublement contradictoire au regard de l'organisation budgétaire :

- le préfet de police n'est pas placé sous l'autorité hiérarchique du DGPN mais ce dernier détermine son budget et ses effectifs en tant que responsable de programme ;

- les services de police de grande couronne sont placés sous l'autorité hiérarchique du DGPN mais dépendent du préfet de police pour leurs crédits d'équipement et de fonctionnement.

Si la majorité des acteurs rencontrés s'accordent sur le fait que ce hiatus n'a jusqu'à présent jamais conduit à de graves conflits entre le DGPN et le préfet de police, votre rapporteur spécial observe que cela n'est nullement garanti par l'organisation administrative et dépend entièrement de la bonne intelligence des hommes.


* 43 Olivier Renaudie, La préfecture de police , précité, p. 351.

* 44 Cf. « Renforcer l'efficacité du renseignement intérieur », rapport d'information n° 36 (2015-2016) de Philippe Dominati, fait au nom de la commission des finances et déposé le 7 octobre 2015, p. 21.

* 45 Rapport relatif à l'activité de la délégation parlementaire au renseignement pour l'année 2014, fait par Jean-Jacques Urvoas, décembre 2014, p. 124.

* 46 Olivier Renaudie, La préfecture de police , précité, p. 350.

* 47 Inspection générale de l'administration (IGA) et Inspection générale de la police nationale (IGPN), « Évaluation de la mise en place de la police d'agglomération parisienne », mars 2016, p. 16.

* 48 Décret n° 67-220 du 17 mars 1967 fixant certaines modalités d'application des arts 12, 13, 16 et 17 de la loi n° 64-707 du 10 juillet 1964 portant réorganisation de la région parisienne, relatifs au transfert des biens, droits et obligations des anciens départements de la Seine et de la Seine-et-Oise vers les nouveaux départements composant la région parisienne.

* 49 Service des affaires immobilières de la préfecture de police, « Avant-projet - Schéma pluriannuel de la stratégie immobilière de la préfecture de police », 2016, p. 9.

* 50 Rapport fait par Georges Fenech et Sébastien Pietrasanta au nom de la commission d'enquête relative aux moyens mis en oeuvre par l'État pour lutter contre le terrorisme depuis le 7 janvier 2015, enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 5 juillet 2016, p. 162.

* 51 Inspection générale de l'administration (IGA) et Inspection générale de la police nationale (IGPN), « Évaluation de la mise en place de la police d'agglomération parisienne », précité, p. 12-13.

* 52 Réponses au questionnaire.

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