VII. REGARD SUR LA VEILLE SANITAIRE

La connaissance scientifique et pratique des dangers et risques sanitaires est une nécessité de premier ordre pour une politique de prévention et de remédiation efficace dans le domaine de la sécurité sanitaire des aliments.

Cet impératif a été présent en leitmotiv tout au long du présent rapport mais il constitue, en soi, un élément spécifique du dispositif de la politique de sécurité sanitaire des aliments et justifie à ce titre quelques développements particuliers, au risque de l'insistance.

La veille sanitaire est en quelque sorte aux deux bouts de la chaîne du système de maîtrise des risques sanitaires, en amont, en tant que filet de sécurité préventif, en fin de chaîne, en tant que moyen d'observations épidémiologiques nécessaires au pilotage ponctuel et systématique de la sécurité sanitaire des aliments.

Vos rapporteurs spéciaux partagent le sentiment manifesté lors de l'audit de la politique de sécurité sanitaire des aliments et du comité interministériel consécutif que des progrès doivent être accomplis pour muscler l'exercice de la veille sanitaire.

À la suite du rapport de Guillou et de Christian Babusiaux, élaboré dans le cadre des travaux du comité interministériel pour la modernisation de l'action publique (CIMAP), qui avait jugé cette dimension de la politique publique de sécurité sanitaire des aliments insuffisamment prise en compte et appelant donc des progrès, un plan d'action des ministères en charge de la politique de sécurité sanitaire des aliments a été adopté.

Les orientations arrêtées sur ce point témoignent de l'existence de faiblesses que le rapport mentionné avait pu souligner.

Un objectif global de renforcement et de structuration de la veille et de la surveillance sanitaire du territoire a été affirmé ; il reste à l'atteindre complètement.

A. LES CONSTATS CRITIQUES PORTÉS SUR LE DISPOSITIF DE VEILLE SANITAIRE ET LE PLAN D'ACTION POUR LA VEILLE SANITAIRE

Le rapport de Marion Guillou et de Christian Babusiaux avait pu formuler des observations très critiques sur l'absence d'un système de veille sanitaire dont vos rapporteurs spéciaux ont retenu les éléments suivants.

Principaux éléments du diagnostic du rapport de Marion Guillou et de Christian Babusiaux sur la veille sanitaire en matière de sécurité sanitaire des aliments

1. Compte tenu de la persistance et du renforcement des risques il faut construire une véritable veille sanitaire

Au niveau national, la création de l'Institut national de veille sanitaire (InVS) 46 ( * ) et de l'AFSSA (devenue Anses en 2010) en 1998 a permis de combler une lacune. Toutefois, s'agissant de l'InVS, en matière de sécurité alimentaire, il est davantage concentré sur la gestion des alertes que sur la veille proprement dite. En outre, pour des raisons historiques, il est fortement orienté vers les risques aigus. Les risques toxicologiques (effet des faibles doses sur le long terme) qui existent dans les produits animaux (produits carnés, poissons, crustacés) ou dans les produits végétaux sont beaucoup plus mal connus et mal hiérarchisés.

Au niveau régional, les cellules interrégionales d'épidémiologie (CIRE), au nombre de dix-sept, consolident cette action.

Cependant, les moyens sont faibles : douze ETP à l'InVS qui traite essentiellement les alertes ; six agents en moyenne, pour les CIRE.

Par ailleurs, dans le cadre de l'obligation de déclaration (DO) de neuf maladies d'origine alimentaire et des toxi-infections alimentaires collectives (les TIAC), aux CNR (Centres nationaux de référence), un certain suivi existe mais il est sans exhaustivité et la liste des infections à DO ne correspond pas totalement à la réalité des pathologies importantes actuelles.

Dans ce contexte, le défaut d'une veille européenne (seul un système d'alerte fonctionne vraiment à cet échelon) est à déplorer.

Au niveau national, le contenu de la veille sanitaire doit être amélioré en comblant les trous, en optimisant l'analyse des informations disponibles et en améliorant les relations entre InVS 47 ( * ) et Anses et entre celles-ci et les administrations. Au plan régional, nulle veille n'est réellement assurée.

2. Un système d'évaluation des risques médiocrement efficace hors alerte

- L'Anses

L'Anses est censée jouer un rôle majeur en amont du risque à travers des analyses des produits alimentaires visant à en inventorier le potentiel pathogène. À cette fin, elle assure une mission de R§D (notamment par des Conventions de recherche et développement), réalise des études dites « alimentation totale » (EAT) afin d'identifier et de hiérarchiser les risques d'exposition des consommateurs et accueille en son sein l'Observatoire de l'alimentation dont la section sanitaire (prévue par le loi de modernisation de l'agriculture de 2010) poursuit un projet ambitieux d'identification des propriétés nutritionnelles et fonctionnelles des aliments de toute nature.

Cependant, outre que ses moyens consacrés à l'alimentation (235 agents) sont principalement employés dans ses laboratoires (et non dans les directions - DPR et DER - d'analyse des risques qui ne concentrent que 65 agents), l'agence soumise à des objectifs et tutelles multiples est tentée de concentrer ses forces sur d'autres aspects du programme national de recherche Environnement-Santé-Travail (PNREST) que ceux consacrés à l'alimentation. La très faible place de la sécurité sanitaire des aliments (SSA) dans les lettres de mission reçues des tutelles illustre une faible priorité de la SSA dans les fonctions de l'Anses.

- Les directions générales

Chacune des directions générales compétentes fait une analyse des risques à partir de données collectées et réunies dans ses bases de données.

Pourtant, ni les données rassemblées, ni les traitements dont elles sont l'objet ne garantissent l'identification des causes de non-conformités ou que des prolongements pratiques puissent s'en suivre. Les quantités impliquées sont mal connues. Le contrôle des produits importés est lacunaire. La composante frauduleuse n'est pas renseignée.

Un défaut d'exploitation globale se déduit de l'étanchéité des bureaux en charge des risques et de la séparation d'avec les agences.

Un domaine particulièrement lacunaire d'analyse des risques concerne les végétaux pour lesquels, par ailleurs, seuls sont vraiment suivis les résidus de pesticides.

3. La gestion des risques, une mission préemptée par les objectifs européens et dont la programmation devrait être optimisée

Les plans de charge des services sont surdéterminés par les obligations européennes, échelon où manque une analyse de risques suffisamment élaborée, si bien que des progrès devraient être recherchés dans la programmation des contrôles afin de mieux prendre en compte les risques sanitaires .

L'échelon européen fixe des objectifs qui absorbent la quasi-totalité des marges de manoeuvre et orientent les contrôles vers des recherches spécifiques (les risques microbiologiques) au détriment d'autres facteurs de risque (les risques toxicologiques).

Les objectifs poursuivis sont trop imprécis En particulier, les objectifs de santé publique sont vaguement énoncés. Le plan national de contrôle pluriannuel (PNCOPA) destiné à la Commission européenne juxtapose des actions plutôt qu'il ne traduit une stratégie vraiment éclairée et cohérente.

Le lien entre les actions et les conclusions sur les risques sanitaires devrait être resserré.

Des recommandations de L'Anses semblent sans prolongements sur les contrôles (ex : la recherche de dioxine et PCB).

Les agences régionales de santé (ARS) paraissent peu impliquées dans la définition des programmes.

Au niveau régional, il n'existe pas de réelle veille sanitaire susceptible d'orienter les contrôles, non plus qu'il n'y a vraiment de coordination entre les SRAL et le Pôle C des DIRECCTE.

Les DREAL sont hors circuit alors que la surveillance des installations classées suppose une connaissance des risques sanitaires alimentaires associés à elles.

À la suite de ces constats et recommandations, le comité interministériel de l'action publique de fin 2014 a adopté un plan d'action pour renforcer la veille sanitaire autour des mesures ci-dessous, regroupées sous trois têtes de chapitre principales:

• Renforcer et structurer la capacité de veille et de surveillance sanitaire du territoire.

Il s'agit, à partir de la reconnaissance du rôle central des agences sanitaires (InVS et Anses) d'améliorer la surveillance sanitaire des denrées alimentaires et de remédier aux lacunes des connaissances et de la prévention portant sur la situation sanitaire des produits importés.

Ce point fait l'objet de deux recommandations :

« inviter l'UE à améliorer son analyse des risques sanitaires à l'importation (mutualisation des données sur les contrôles, estimation régulière des risques) » ;

« restaurer une continuité du contrôle dans les points d'entrée aux frontières ».

• Promouvoir un système de sécurité sanitaire de l'alimentation intégré, tant au niveau européen qu'au niveau national.

Plusieurs recommandations sont associées à cet objectif.

« Déterminer les questions prioritaires pouvant bénéficier d'une évaluation plus intégrée des risques alimentaires portant sur les contaminants microbiologiques et chimiques des denrées alimentaires d'origine animale et d'origine végétale » ;

« Améliorer la cohérence de la politique de sécurité sanitaire des aliments en déclinant le résultat de l'analyse des risques intégrée sur un plan budgétaire et organisationnel, en établissant des objectifs quantitatifs et des indicateurs pertinents :

- dans un document de politique transversale ;

- dans le plan national de contrôle pluriannuel (PNCOPA) » ;

« Rendre plus lisible pour les parties prenantes la politique de SSA en généralisant l'introduction, au sein des lettres de mission des différents acteurs du système de sécurité sanitaire, des priorités et des objectifs en matière de politique de sécurité sanitaire des aliments en cohérence avec le document de politique transversale » .

• Sécuriser et optimiser le fonctionnement collectif concernant la gestion des risques en SSA.

Sur ce point également plusieurs recommandations étaient énoncées dans le plan.

« Élaborer une instruction du Gouvernement à destination des préfets de région et de département fixant les modalités de mise en oeuvre de la politique publique de sécurité sanitaire des aliments. Elle prévoira notamment :

- de mieux associer les Agences, les laboratoires officiels et services régionaux (service de l'alimentation des DRAAF, Pôle C des DIRECCTE, ARS, LER de l'IFREMER), ainsi que les préfets de département à la définition des priorités régionales d'action déterminées par le préfet de région en déclinaison des priorités nationales et de l'analyse de risques locale ;

- d'améliorer la programmation et le suivi de l'activité et des résultats opérationnels par les préfets de département ;

- de favoriser la coordination entre les autorités administratives et judiciaires » ;

« Optimiser les protocoles d'échange et de partage des données entre les directions générales et avec les agences » ;

« Rendre publics les résultats des contrôles des établissements réalisés dans le cadre du PNCOPA » ;

« Généraliser la publication agrégée des bilans annuels des résultats des contrôles réalisés dans le domaine de la sécurité sanitaire des aliments en application du PNCOPA (notamment les résultats des plans de surveillance) » ;

« Mettre en place la section sanitaire de l'Observatoire de l'alimentation et en assurer le financement ».


* 46 Désormais intégré dans France santé publique.

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