C. L'EXONÉRATION DU « PARTAGE DE FRAIS » PAR L'INSTRUCTION FISCALE DU 30 AOÛT 2016 : UNE CLARIFICATION BIENVENUE MAIS TROP RESTREINTE

Seule évolution significative en matière de fiscalité des revenus tirés des plateformes en ligne, l'instruction fiscale du 30 août 2016 a permis de clarifier la définition du « partage de frais » dans le cadre des activités dites de « co-consommation ». Attendue depuis longtemps par les plateformes concernées, cette instruction fiscale a le mérite d'unifier les critères pouvant donner lieu à exonération au titre du partage de frais , alors que ceux-ci étaient jusqu'alors épars, confus, et de nature sectorielle plutôt que fiscale.

Non-imposition des revenus perçus dans le cadre d'une activité de « co-consommation »

Instruction fiscale du 30 août 2016 (extraits)

En application de l'article 12 du code général des impôts, les revenus réalisés par les particuliers dans le cadre de leurs activités de toute nature sont en principe imposables, y compris les revenus de services rendus à d'autres particuliers avec lesquels ils ont été mis en relation par l'intermédiaire notamment de plates-formes collaboratives.

Toutefois, il est admis de ne pas imposer les revenus tirés d'activités de « co-consommation » qui correspondent à un partage de frais à condition qu'ils respectent les critères cumulatifs suivants liés à la nature de l'activité et au montant des frais partagés .

Lorsque ces critères ne sont pas respectés, le revenu réalisé constitue un bénéfice imposable dans les conditions de droit commun [...].

1 ère condition : revenus perçus dans le cadre d'une « co-consommation » entre particuliers

Les revenus réalisés par un particulier au titre du partage de frais qui peuvent bénéficier de l'exonération sont ceux perçus dans le cadre d'une « co-consommation », c'est-à-dire d'une prestation de service dont bénéficie également le particulier qui la propose , et non pas seulement les personnes avec lesquelles les frais sont répartis.

N'entrent pas dans le champ de la « co-consommation » et donc de l'exonération, les revenus qui sont perçus par des personnes morales, ni les revenus qui sont perçus par des personnes physiques dans le cadre de leur entreprise ou en lien direct avec leur activité professionnelle.

Ne bénéficient pas non plus de cette exonération les revenus tirés par un contribuable de la location d'un élément de son patrimoine personnel comme, par exemple, la location de son véhicule de tourisme ou la location, saisonnière ou non, de sa résidence principale ou secondaire.

2 e condition : nature et montant des frais

Les revenus réalisés par un particulier au titre du partage de frais qui peuvent bénéficier de l'exonération s'entendent des revenus, perçus dans le cadre d'une « co-consommation », qui n'excèdent pas le montant des coûts directs engagés à l'occasion de la prestation objet du partage de frais, part du contribuable non comprise .

Cette condition relative au montant perçu doit être appréciée strictement : le montant perçu ne doit couvrir que les frais supportés à l'occasion du service rendu, à l'exclusion de tous les frais non directement imputables à la prestation en question , notamment les frais liés à l'acquisition, l'entretien ou l'utilisation personnelle du ou des bien(s), support(s) de la prestation de service partagée.

En outre, les frais partagés ne doivent pas inclure la part de la personne qui propose le service . En effet, les notions de partage de frais et de « co-consommation » supposent que cette personne supporte personnellement sa propre quote-part de frais et ne bénéficie d'aucune forme de rémunération, directe ou indirecte , au titre de la prestation qu'il rend et dont il bénéficie en même temps. En d'autres termes, le contribuable qui propose une prestation dont il partage les frais compte pour une personne dans le calcul des frais à partager.

Lorsque le revenu réalisé excède le montant du partage de frais, il est imposable au premier euro.

Source : bulletin officiel des finances publiques (BOFiP), BOI-IR-BASE-10-10-10-10-20160830

Parmi les activités pouvant bénéficier de l'exonération, l'instruction fiscale cite trois exemples : le covoiturage, les sorties de plaisance en mer, et l'organisation de repas (ou « co-cooking »).

Le partage de frais : trois exemples

S'agissant de l'exonération du covoiturage , celle-ci dispose d'une base législative propre : aux termes de l'article L. 3132-1 du code des transports, le covoiturage se distingue des activités de taxi et de VTC en ce qu'il consiste en « l'utilisation en commun d'un véhicule terrestre à moteur par un conducteur et un ou plusieurs passagers, effectuée à titre non onéreux, excepté le partage des frais, dans le cadre d'un déplacement que le conducteur effectue pour son propre compte ». Le prix proposé doit donc couvrir les seuls frais directement supportés à raison du trajet en commun, c'est-à-dire le carburant et le péage, mais pas, par exemple, une participation à l'assurance automobile .

À titre de règle pratique, l'instruction fiscale précise que le contribuable peut appliquer le barème kilométrique pour évaluer le coût total de son activité, règles mise en place par Blablacar (cf. infra ).

S'agissant des sorties de plaisance en mer , proposées par exemple par des sites comme Boaterfly , il est précisé que la participation demandée doit correspondre « aux seuls frais directement occasionnés par l'expédition, soit les frais de carburant, de nourriture, d'amarrage et de rémunération du personnel de bord pendant ladite expédition ».

Par analogie, ces règles trouvent à s'appliquer aux activités de « coavionnage » , proposées par exemple par la plateforme Wingly . Elles sont d'ailleurs énoncées très clairement sur la page du site dédiée à « l'étiquette » du coavionnage : « dépasser le pro-rata du partage des coûts n'est pas seulement violer l'éthique Wingly mais revient surtout à une mise en danger. En effet, tout vol ne relevant pas d'un partage des coûts selon le pro-rata devient alors un vol commercial. Le pilote n'est alors plus protégé par son assurance en cas de problème. Afin d'assurer votre sécurité et la pérennité de la pratique du coavionnage respecter cette règle est essentiel ». Dans sa décision du 22 août 2016 18 ( * ) autorisant le coavionnage en France, la direction générale de l'aviation civile (DGAC) précise bien que les pilotes sont autorisés à partager leurs vols avec des passagers tant qu'ils ne réalisent pas de profit et paient leur part du vol.

Enfin, s'agissant du « co-cooking » , proposé par exemple par le site VizEat , l'exonération s'applique dans le cas d'un particulier qui organise à son domicile un repas dont il partage les seuls frais de nourriture et de boisson avec les convives et pour lesquels il ne reçoit aucune autre rémunération. Ainsi, il est par exemple exclu de demander une participation au titre de l'achat du matériel de cuisine . De même, les repas à emporter préparés par des particuliers, comme sur la plateforme belge MenuNextDoor , sont exclus.

Source : instruction fiscale du 30 août 2016 et commission des finances du Sénat

Si la clarification apportée par l'instruction fiscale du 30 août 2016 doit être saluée, il convient toutefois de ne pas en surestimer la portée - ce qui n'est guère surprenant, s'agissant d'un texte de doctrine rédigé à droit constant.

De fait, la définition du « partage de frais » demeure extrêmement restrictive, et laisse de côté une partie importante de l'économie collaborative, y compris lorsque les utilisateurs ne réalisent aucun profit et cherchent seulement à diminuer leurs charges. En particulier, elle ne couvre pas la location de logements ou de biens meubles - par exemple une voiture sur Ouicar ou une perceuse sur Zilok -, quand bien même leurs propriétaires ne chercheraient qu'à amortir le coût de leur achat. Au cours de sa vie, une perceuse n'est utilisée que 12 minutes en moyenne : le partage d'un tel actif inutilisé, bien que pertinent sur le plan économique comme sur le plan écologique, n'est pas en matière fiscale considéré comme un partage de frais : il est imposable au premier euro, et soumis aux prélèvements sociaux de 15,5 % sur les revenus du patrimoine.

Il en va de même pour un particulier qui louerait sa voiture pour économiser sur ses frais (amortissement, assurance etc.), et ceci alors même qu'une voiture n'est en moyenne utilisée 2,7 % du temps , et que lorsqu'elle est utilisée, c'est avec un seul passager à bord près de trois fois sur quatre.

De même encore, un particulier préparant à son domicile des repas pour d'autres particuliers ne peut pas bénéficier de la mesure si ces derniers viennent seulement récupérer le repas à son domicile, sans le consommer sur place.

En outre, même pour les activités répondant aux deux conditions nécessaires pour qualifier le partage de frais, il n'est pas toujours aisé de définir exactement ce que la participation de chacun peut ou ne peut pas couvrir .

Or, dès lors qu'il s'agit d'une activité effectuée fréquemment ou relativement onéreuse, telle que la co-navigation ou le coavionnage, l'enjeu financier devient important, les justificatifs demandés sont plus précis, et les risques de redressement fiscal augmentent - y compris lorsque le contribuable est de bonne foi.

En conclusion, il apparaît donc qu'en matière fiscale, le choix de s'en tenir au droit existant ne permet pas de régler le problème posé par l'essor des échanges entre particuliers sur Internet . La détermination de la nature imposable ou non des revenus relève d'une analyse au cas par cas, sur le fondement d'une doctrine et d'une jurisprudence complexes et conçues pour un monde d'échanges « physiques » occasionnels. Alors que la transformation numérique a démultiplié ces échanges et rendu la plupart des transactions traçables au premier euro, cette ambiguïté n'est plus possible : pour la sécurité juridique des utilisateurs comme des plateformes, une règle claire, si possible de niveau législatif, est nécessaire .


* 18 Décision du 22 août 2016 portant consigne opérationnelle relative aux opérations de coavionnage organisées au travers d'une plate-forme Internet ou tout autre moyen de publicité et prise en application de l'article 14 du règlement (CE) n° 216/2008.