PREMIÈRE PARTIE : COMPRENDRE LA CRISE ENTOURANT LA PRISE DE DÉCISION PUBLIQUE

Tous les observateurs le constatent : la France de 2017 est un pays en partie bloqué, qui ne parvient plus aussi facilement que naguère à faire des choix structurants, notamment en matière de réforme de son modèle social ou de réalisation d'infrastructures.

Alors même que l'aspiration au changement a rarement été aussi forte dans la société, les décisions publiques semblent de plus en plus contestées. Certaines d'entre elles suscitent des oppositions résolues, dont les formes diverses sont parfois irrationnelles et éventuellement violentes.

Comment expliquer de tels blocages ? Il est tentant d'incriminer les insuffisances de notre modèle de démocratie représentative. Celui-ci ne serait plus adapté aux conditions sociales et technologiques de l'époque. Il ne parviendrait plus à créer les consensus nécessaires à l'acceptation par les citoyens des décisions politiques.

Toutefois, s'il est essentiel de s'interroger sur la pertinence de nos institutions dans un monde en profonde mutation, il apparaît que la démocratie représentative , si elle est bien comprise et si elle laisse une place suffisante à la participation citoyenne, demeure la forme la plus légitime pour prendre les décisions qui s'imposent à tous .

I. LES BLOCAGES QUI AFFECTENT AUJOURD'HUI LA FRANCE CONSTITUENT UN DÉFI POUR NOTRE DÉMOCRATIE REPRÉSENTATIVE

A. LA DÉCISION PUBLIQUE PARAÎT DE MOINS EN MOINS LÉGITIME ET EFFICACE, TANDIS QUE LA DÉFIANCE DES CITOYENS ENVERS LES INSTITUTIONS S'ACCROÎT

1. Des décisions publiques de plus en plus souvent contestées
a) Des Français davantage opposés aux choix des élus ?

Au cours des dernières années, les projets ou les réformes voulus par les pouvoirs publics ont suscité chez certains citoyens des oppositions fortes et même parfois inédites. Au-delà des interrogations ou crispations que tout changement peut légitimement susciter, et sans idéaliser les périodes antérieures, force est de constater que les décideurs publics semblent éprouver plus de difficultés qu'hier à mener à bien le programme qu'ils estiment nécessaire et pour lequel ils ont été élus ; quant aux projets qu'ils parviennent malgré tout à faire aboutir, ils subissent souvent de longs retards, liés à la nécessité de surmonter toutes les oppositions, y compris la multiplication de recours judiciaires parfois dilatoires.

Deux exemples récents ont ainsi constitué le paroxysme de ces blocages :

- la loi du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels, dite loi « Travail », qui a suscité pendant plusieurs mois dans tout le pays un important mouvement de contestation, comprenant des grèves et des manifestations de la part des syndicats et des organisations étudiantes ;

- au nord de Nantes, les oppositions persistantes qui rendent incertaine la construction de l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes, même après le rejet par la justice des recours formés et l'approbation du projet par 55,17 % des suffrages exprimés lors d'une consultation organisée le 26 juin 2016.

Si l'on s'en tient aux seuls projets d'infrastructures, on constate d'ailleurs une multiplication des « ZAD » , ou « zones à défendre » 3 ( * ) , c'est-à-dire des territoires sur lesquels des militants radicaux s'opposent par tous les moyens à un aménagement public, notamment au nom de la défense de l'environnement ou du refus d'une conception jugée productiviste de l'économie.

Certes, ces diverses contestations de décisions d'élus ne mobilisent parfois activement qu'un nombre limité de citoyens ; la « majorité silencieuse » des Français peut être d'un avis souvent plus nuancé et des critiques apparaissent même contre ceux qui bloquent la société. Toutefois, elles peuvent aussi rencontrer une réelle sympathie dans l'opinion , comme en attestent les sondages 4 ( * ) . Certains spécialistes 5 ( * ) ont ainsi forgé le concept de « grève par procuration » pour désigner ce soutien passif aux mouvements sociaux. L'abandon de nombreuses réformes au cours de ces dernières années s'explique d'ailleurs par l'ampleur des oppositions, déclarées ou tacites, qu'elles ont suscitées.

Certains pourraient être tentés de se réjouir de l'échec de projets qu'ils jugent contestables ou néfastes. Il n'en reste pas moins que, pour beaucoup des décisions contestées, le respect des formes légales n'était pas en cause , qu'il s'agisse de la discussion des textes de loi au Parlement ou des procédures applicables pour la construction d'infrastructures.

Ces blocages diffus semblent donc porteurs d'un risque de déstabilisation pour nos démocraties. D'après le philosophe Marcel Gauchet 6 ( * ) , directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales (EHESS), notre régime politique s'orienterait aujourd'hui vers une « vétocratie » , dans laquelle les citoyens pourraient systématiquement s'opposer aux projets qui les heurtent. Outre qu'une telle situation contrevient aux principes de notre démocratie, en faisant planer le spectre d'une « tyrannie des minorités » , elle risque surtout de conduire à l'immobilisme .

b) Le choc des légitimités

L'analyse sommaire des cas de blocage des réformes ou des projets d'infrastructures révèle souvent une certaine incompréhension entre les acteurs .

D'une part, les élus, forts de la légitimité que leur donne l'onction du suffrage universel, affirment légitimement promouvoir l'intérêt général, notamment face à des intérêts particuliers, que certains qualifient de « syndrome Nimby » Not in my backyard »).

D'autre part, des collectifs de citoyens se revendiquent d'une autre forme de légitimité, à caractère environnemental ou social notamment, et contestent les prises de position des élus. Leur opposition peut prendre des formes variées : créations d'associations ou de comité d'opposants, demandes de contre-expertise, campagnes médiatiques, pétitions, occupation de terrains, manifestations parfois violentes...

Le Nimby : l'expression du refus des populations locales

Nimby est l'acronyme de l'expression américaine « Not in my Backyard », que l'on peut traduire par « Pas dans mon arrière-cour » - donc, implicitement, « dans celle du voisin si vous le souhaitez » .

Apparue dans les années 1970 et popularisée par la sociologie au cours de la décennie suivante, cette expression désigne l'opposition des populations riveraines à un projet local d'intérêt général dont elles craignent des nuisances pour elles-mêmes, par exemple des conséquences négatives sur leur santé, la dégradation des paysages ou la baisse des prix de l'immobilier.

La référence au Nimby se voulait au départ péjorative : elle visait à dénoncer ceux qui, de façon égoïste, veulent tirer profit des avantages d'une technologie ou d'un équipement moderne tout en refusant de subir dans leur environnement les nuisances pourtant nécessaires à son installation.

L'expression est aujourd'hui de plus en plus souvent utilisée de manière neutre, pour désigner les oppositions de riverains à l'implantation d'infrastructures nouvelles, dans le cadre d'une construction collective et négociée du bien commun 7 ( * ) .

Source : travaux de la mission d'information

Pour ces opposants, l'élection ne suffit plus à légitimer les décisions prises par ceux qui en sont sortis victorieux.

En fait, selon M. Marcel Gauchet, « la légitimité démocratique s'est déplacée, dans un mouvement à bas bruit dont les acteurs ne sont pas nécessairement conscients. » 8 ( * ) Il faudrait désormais distinguer deux types de légitimité : la légitimité de position, issue de l'élection, et la légitimité de décision, qui permet de faire des choix parfois difficiles.

Toujours selon M. Marcel Gauchet lors de son audition, l'élection confèrerait encore une très forte légitimité de position, au sens où les détenteurs du pouvoir ne se voient pas ouvertement contestés. Ainsi, même avec une cote de popularité très faible, un élu n'est pas menacé dans l'exercice de ses fonctions, comme cela a pu se produire par le passé, sous des régimes politiques moins stables que la V ème République.

On peut voir dans un tel constat l'indice d' une acceptation des règles de la démocratie représentative plutôt rassurante . Toutefois, cette « légitimité de position » , qui est enracinée dans les consciences et qui contribue largement à la transmission pacifique du pouvoir, ne garantirait plus automatiquement la « légitimité de décision » . Le pouvoir risque alors de se vider en quelque sorte de sa substance, d'autant plus que l'on s'éloigne de l'élection des représentants. L'onction de l'élection n'empêche plus la contestation, surtout lorsque la décision concernée n'est pas directement issue du programme du candidat élu ou qu'elle est prise quelques années après le scrutin.

Une analyse assez similaire est développée par M. Jean-Marie Denquin, professeur de droit émérite à l'université de Paris Nanterre entendu par la mission d'information. Pour ce dernier, il faut établir une distinction entre la forme du gouvernement représentatif , qui n'est pas fondamentalement remise en cause, et sa capacité à dialoguer effectivement avec les citoyens , qui elle se réduit peu à peu. Il constate ainsi que le système représentatif continue de « fonctionner sur le plan juridique : le Parlement vote des lois qui ont valeur juridique », mais que « la dimension psychologique de la représentation [...] est problématique et peut parfois s'exprimer par un manque de confiance et même parfois par de l'agressivité, avec le sentiment qu'il est difficile de se faire entendre par les représentants, dont personne, du reste, ne conteste la légitimité. » 9 ( * ) . Le problème se situerait donc avant tout dans les relations entre les citoyens et leurs élus.

2. Des citoyens qui s'éloignent de leurs élus, silencieusement ou avec fracas
a) Une crise de confiance qui ne peut être ignorée

Si les citoyens sont prompts à remettre en cause les décisions publiques, ce serait parce qu'ils éprouvent une défiance sans précédent envers leurs élites. Les politiques - mais également les corps intermédiaires, les médias et les experts de toute nature - voient leurs positions de plus en plus contestées.

Les décisions politiques ne bénéficient plus d'une bienveillance particulière : toute réforme ou tout projet venu « d'en haut » suscite a priori la méfiance, et c'est sans doute une nouveauté.

De multiples sondages, enquêtes ou indicateurs attestent de ce phénomène, comme l'enquête annuelle du CEVIPOF, le Centre de recherches politiques de Sciences Po Paris, publiée très récemment, en janvier 2017, sous le nom de « Baromètre de la confiance politique » 10 ( * ) .

Le CEVIPOF souligne d'emblée la profondeur du fossé qui s'est creusé entre les Français et la classe politique : 89 % des personnes interrogées considèreraient ainsi que les responsables politiques en général « ne se préoccupent pas de ce que pensent les gens ». Quelque 40 % d'entre elles éprouveraient de la « méfiance » en pensant à la politique et 28 % du « dégoût » ; seuls 11 % d'entre elles feraient « confiance » aux partis, particulièrement discrédités dans cette étude.

En outre, 75 % des Français jugeraient que les élus et les dirigeants politiques sont « plutôt corrompus » , soit un taux plus élevé que dans certains pays où, dans les faits, la situation est probablement plus critique sur ce point.

La fragilité des liens de confiance entre les représentants et les représentés semble épargner en partie les élus locaux et affecter le pouvoir exécutif plus encore que le Parlement : 64 % des Français ont confiance dans leur conseil municipal, 56 % dans leur conseil départemental, 44 % dans le Sénat, 42 % dans l'Assemblée nationale, 34 % dans l'institution présidentielle et seulement 28 % dans le Gouvernement. À l'évidence, les institutions de proximité entretiennent encore un lien particulier avec les citoyens.

Par ailleurs, en dehors du champ politique, d'autres acteurs suscitent au moins autant de méfiance, la famille et les relations interpersonnelles semblant être les seules à échapper à ce sentiment. Ainsi, seulement 29 % des Français font confiance aux syndicats et 24 % aux médias. Par certains aspects, le problème excède donc celui de la représentation démocratique, toutes les formes de médiation paraissant aujourd'hui fortement affaiblies.

De plus, la crise de confiance n'est pas propre à la France . M. Martial Foucault, directeur du CEVIPOF 11 ( * ) , souligne ainsi qu'elle se rencontre également dans d'autres États du monde occidental, y compris en Allemagne, un pays qui affiche pourtant des performances économiques bien plus enviables que la France à l'heure actuelle. Selon lui, l'actuelle défiance envers le système politique s'expliquerait surtout par la mauvaise gestion de la crise financière de 2008, qui a cherché prioritairement à « sauver les banques », donnant « le sentiment que l'économique avait repris le pas sur le politique ».

Malgré ces nuances, la rupture du lien implicite entre les décideurs et les citoyens paraît davantage ressentie dans un pays de tradition centralisatrice comme la France, où l'État joue un rôle essentiel dans la vie de la Nation.

b) Entre montée de l'indifférence et expression de votes protestataires

La forme la plus évidente et la plus simple de contestation du système démocratique est l'abstention aux élections. Celle-ci peut constituer le mode d'expression de citoyens qui entendent ainsi signifier aux élus leur mécontentement.

Or l'abstention contribue à réduire l'assise sur laquelle repose le régime démocratique et surtout la légitimité de ceux qui sont élus. Elle entame ainsi le pouvoir de décision dont disposent des gouvernants qui se trouveraient de plus en plus « mal élus ». Cela réduit ensuite les possibilités de mener des réformes difficiles ou de se lancer dans un projet d'infrastructure d'envergure.

Si l'abstention, parfois surnommée « le premier parti de France » , a globalement progressé au cours des trente dernières années, elle reste très variable selon les scrutins .

Encore une fois, les élections municipales, dont les enjeux et les protagonistes sont bien identifiés par les électeurs, échappent en partie à la désaffection globalement constatée, même si 36,45 % des inscrits n'ont pas voté au premier tour des élections municipales de mars 2014, ce qui n'était jamais arrivé auparavant.

Il en est de même pour l'élection présidentielle, qui est perçue comme décisive dans notre pays traditionnellement étatique et centralisé. Lors de l'élection de 2002, l'abstention avait atteint un record, à 28,4 % au premier tour, mais en 2007 elle a connu l'un des niveaux les plus faibles de toute la V ème République, soit 16,2 % toujours au premier tour. En 2012, elle s'est située à un niveau intermédiaire, avec 20,52 % au premier tour, dans la moyenne des précédents scrutins, sous son niveau de 1969. Enfin, elle était de 22,2 % au premier tour de l'élection présidentielle de 2017, avant d'atteindre 25,4 % au second tour, second taux le plus élevé depuis le début de la V ème République.

Le lent déclin de la participation : l'exemple du taux d'abstention
au premier tour des élections législatives depuis 1981

Année

1981

1986

1988

1993

1997

2002

2007

2012

Taux d'abstention

29,1 %

21,5 %

30,1 %

32,4 %

32 %

35,6 %

39,6 %

42,8 %

Source : travaux de la mission d'information
d'après les chiffres du ministère de l'intérieur

En revanche, l'abstention augmente constamment depuis le début des années 1980 pour les autres types de scrutin. Au premier tour des élections législatives, elle s'établissait autour de 20 % dans les années 1960 et 1970, alors qu'elle a dépassé les 40 % lors du scrutin de 2012.

La participation est encore plus faible aux élections locales autres que les municipales : le premier tour des élections régionales de décembre 2015 a été marqué par un niveau très élevé, près d'un électeur sur deux ne s'étant pas rendu dans un bureau de vote. Quant aux élections européennes, elles attirent moins d'un électeur sur deux depuis le scrutin de 1999.

Le taux d'abstention en France aux élections européennes depuis 1979

Année

1979

1984

1989

1994

1999

2004

2009

2014

Taux d'abstention

39,3 %

43,3 %

51,2 %

47,3 %

53,2 %

57,2 %

59,4 %

57,6 %

Source : travaux de la mission d'information
d'après les chiffres du ministère de l'intérieur

On constate donc une grande volatilité de la participation. Plus que l'abstention totale, c'est l'intermittence du vote , c'est-à-dire un usage alterné du vote et de l'abstention, qui semble se développer chez les citoyens.

Par ailleurs, l'abstention touche inégalement les classes sociales et les générations. Elle est particulièrement forte dans les milieux populaires
- la moitié des ouvriers ne prennent pas part aux élections - et chez les jeunes. Lors des élections municipales de 2014, le taux d'abstention a atteint 61 % chez les 18-24 ans.

Ces nouveaux comportements électoraux peuvent recevoir des interprétations diverses.

Pour certains, ils traduiraient l'entrée de la France dans ce que les politologues américains ont qualifié de « démocratie furtive » ( stealth democracy ) 12 ( * ) , dans laquelle les citoyens se satisfont d'une souveraineté intermittente. C'est l'explication, finalement assez rassurante, qui est donnée notamment par les spécialistes aux États-Unis, un pays où l'abstention est traditionnellement très élevée.

Pour d'autres, ces comportements électoraux seraient le signe avant-coureur d' une nouvelle relation des Français à la politique, caractérisée par une certaine indifférence . C'est la thèse qu'a développé le politologue Brice Teinturier, directeur général-délégué de l'institut de sondages Ipsos, dans un ouvrage paru en février 2017 13 ( * ) et consacré au « PRAF » - un acronyme que l'on peut traduire, de façon élégante, par « Plus rien à faire » , ou, de façon plus vigoureuse, par « Plus rien à foutre » .

Selon cet auteur, la « PRAF attitude » constitue le coeur de la « crise de la démocratie » contemporaine. Elle s'expliquerait avant tout par les déceptions successives éprouvées par les Français , qui auraient en quelque sorte surinvesti le champ politique. Pendant un quart de siècle, entre 1958 et 1982, nos concitoyens auraient été de véritables « croyants » de la politique : « on était passionnément gaulliste, communiste ou socialiste » , note ainsi M. Brice Teinturier. Durant un autre quart de siècle, entre 1982 et 2007, la déception se serait installée et aurait engendré des citoyens désabusés, tentés aussi bien par la révolte que par le vote pour des partis populistes ou le repli sur soi.

Le PRAF, souligne M. Brice Teinturier, « ne se réduit pas à la défiance et ne se manifeste pas toujours par de la colère. Il est même souvent silencieux et presque invisible » . Un tel processus n'en est pas moins « extrêmement périlleux. Dans la déception, il y a encore de la relation. Dans le détachement, c'est la relation même qui, lentement, se décompose. Le divorce est alors consommé et la rupture définitive. »

À l'opposé de l'abstention, parmi les citoyens qui continuent à participer au jeu politique, nombreux sont ceux désormais qui votent en faveur de partis protestataires ou populistes . Au-delà de leur diversité, ces formations s'entendent pour dénoncer le « système » et ses élus. Elles sont également considérées par une partie de l'opinion comme une menace pour les valeurs démocratiques comprises au sens du libéralisme social et de l'état de droit. Partout dans le monde, de tels mouvements protestataires ou populistes semblent ainsi se développer.

Faut-il établir une corrélation entre cet essor et le déclin de l'adhésion des citoyens aux valeurs démocratiques ? Force est de constater que les citoyens qui ont grandi avec la démocratie semblent s'en détacher, alors que ce régime politique reste un horizon pour ceux qui en sont encore privés à travers le monde.

Certes, toujours d'après l'enquête du CEVIPOF précitée, 91 % des sondés considèrent que le système politique démocratique « reste une bonne façon de gouverner le pays » et 85 % que la démocratie, même si elle peut « poser des problèmes », est « quand même mieux que n'importe quelle autre forme de gouvernement ».

Toutefois, 72 % des Français estiment que la démocratie a « du mal à prendre des décisions » et 49 % d'entre eux souhaiteraient avoir à leur tête « un homme fort qui n'a pas à se préoccuper du Parlement ni des élections »
- un chiffre en hausse de deux points par rapport à la précédente enquête du CEVIPOF.

Des enquêtes similaires menées dans de nombreux pays développés, où la démocratie est enracinée depuis longtemps, aboutissent aux mêmes résultats. Comme le souligne par exemple le philosophe Bernard Manin 14 ( * ) , alors que les générations nées avant la Seconde Guerre mondiale se déclarent à une écrasante majorité heureuses de vivre en démocratie, ce soutien s'estompe graduellement chez les plus jeunes, qui expriment de plus en plus vigoureusement leur défiance envers les institutions démocratiques et les partis politiques en général.

Au total, pour le professeur de science politique Loïc Blondiaux, nos démocraties traversent « un moment crépusculaire de leur histoire », tandis que son collègue Rémi Lefebvre identifie un « processus de dé-démocratisation » de la société. Et les deux spécialistes de la démocratie participative de s'accorder pour estimer qu'il est peut-être « plus tard que minuit moins le quart ! » 15 ( * ) .


* 3 L'acronyme, qui détourne celui de « zone d'aménagement différé », est apparu en 2010.

* 4 En mai 2016, d'après une enquête réalisée par Elabe pour BFM TV, 74 % des personnes interrogées se disaient hostiles au projet de loi « Travail ». De même, quelque 48 % d'entre elles soutenaient (27 %) ou avaient de la sympathie (21 %) à l'égard de la mobilisation des organisations syndicales et étudiantes contre le texte.

* 5 Notamment le politologue Stéphane Rozès, à l'occasion des grèves de l'hiver 1995.

* 6 Audition du 19 janvier 2017. Cf. le compte rendu : http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20170116/mi_democratie.html .

* 7 Voir Arthur Jobert, « L'aménagement en politique, ou ce que le syndrome Nimby nous dit de l'intérêt général » , Politix, n° 42, 1998.

* 8 Audition du 19 janvier 2017. Cf. le compte rendu : http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20170116/mi_democratie.html .

* 9 Audition du 20 décembre 2016. Cf. le compte rendu : http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20161219/mi_democratie.html .

* 10 Réalisée en décembre 2016 auprès d'un échantillon de 2044 personnes, représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus et inscrite sur les listes électorales.

* 11 Audition du 7 février 2017. Cf. le compte rendu : http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20170206/mi_democratie.html#toc2 .

* 12 Voir en particulier John R. Gibbing et Elizabeth Theiss-Morse , « Stealth Democracy : Americans' Beliefs about How Government Should Work » [La Démocratie furtive : les convictions des Américains sur le régime politique idéal] , Cambridge, 2002.

* 13 « Plus rien à faire, plus rien à foutre ». La vraie crise de la démocratie , Paris, Éditions Robert Laffont.

* 14 Audition du 9 février 2017. Cf. le compte rendu : http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20170206/mi_democratie.html#toc4 .

* 15 Audition du 1 er février 2017. Cf. le compte rendu : http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20170130/mi_democratie.html#toc1 .

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page