Rapport d'information n° 638 (2016-2017) de Mme Michèle ANDRÉ , fait au nom de la commission des finances, déposé le 18 juillet 2017

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N° 638

SÉNAT

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2016-2017

Enregistré à la Présidence du Sénat le 18 juillet 2017

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des finances (1) sur les politiques publiques en faveur de l' inclusion bancaire et de la prévention du surendettement ,

Par Mme Michèle ANDRÉ,

Sénatrice

(1) Cette commission est composée de : Mme Michèle André , présidente ; M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général ; Mme Marie-France Beaufils, MM. Yvon Collin, Vincent Delahaye, Mmes Fabienne Keller, Marie-Hélène Des Esgaulx, MM. André Gattolin, Charles Guené, Francis Delattre, Georges Patient, Richard Yung , vice-présidents ; MM. Michel Berson, Philippe Dallier, Dominique de Legge, François Marc , secrétaires ; MM. Philippe Adnot, François Baroin, Éric Bocquet, Yannick Botrel, Jean-Claude Boulard, Michel Canevet, Vincent Capo-Canellas, Thierry Carcenac, Jacques Chiron, Serge Dassault, Bernard Delcros, Éric Doligé, Philippe Dominati, Vincent Éblé, Thierry Foucaud, Jacques Genest, Didier Guillaume, Alain Houpert, Jean-François Husson, Roger Karoutchi, Bernard Lalande, Marc Laménie, Nuihau Laurey, Antoine Lefèvre, Gérard Longuet, Hervé Marseille, Claude Nougein, François Patriat, Daniel Raoul, Claude Raynal, Jean-Claude Requier, Maurice Vincent, Jean Pierre Vogel .

AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

Le 18 juillet 2016, la commission des finances du Sénat a demandé à la Cour des comptes de réaliser une enquête portant sur les politiques publiques en faveur de l'inclusion bancaire et de la prévention du surendettement.

D'importantes mesures ont été prises à la suite du plan pluriannuel contre la pauvreté et pour l'inclusion sociale du 13 février 2013, dont l'un des volets portait sur l'inclusion bancaire et la prévention du surendettement. Plusieurs de ces dispositions ont été introduites par la loi du 26 juillet 2013 1 ( * ) .

Les dispositions des lois du 1 er juillet 2010 et du 17 mars 2014 2 ( * ) , qualifiées de « sans précédent » par l'étude du cabinet Athling 3 ( * ) pour le comité consultatif du secteur financier, ont permis un rééquilibrage du marché du crédit à la consommation . Le nombre de dossiers de surendettement déposés diminue depuis 2012, inversant la tendance qui prévalait jusqu'alors.

Cependant, les politiques d'inclusion bancaire reposent sur une diversité de dispositifs , au risque de perdre en lisibilité et de se chevaucher. De même, le phénomène d'accumulation de crédits à la consommation n'est pas endigué.

Surtout, cette enquête intervient alors qu'une réflexion concernant l'avenir de la mission d'accessibilité bancaire confiée à La Banque Postale devra se tenir en amont de sa réforme en 2020 .

Pour donner suite à la remise de l'enquête par la Cour des comptes, la commission des finances du Sénat a organisé, le 18 juillet 2017 , une audition réunissant des représentants de la Cour des comptes et des principales parties prenantes : la Banque de France, La Banque Postale, un représentant d'un établissement bancaire, ainsi qu'une association d'accompagnement des personnes financièrement fragiles.

Ont ainsi été entendus Jacques Fournier, directeur général des statistiques de la Banque de France, Philippe Wahl, président-directeur général du groupe La Poste, Rémy Weber, président du directoire de La Banque Postale, Thierry Laborde, directeur général adjoint de BNP Paribas, Philippe Guilbaud, président de l'association « Nouvelles voies », Catherine Jeandel, responsable des partenariats de l'association « Nouvelles voies » et Monique Saliou, conseillère-maître à la Cour des comptes.

LES PRINCIPALES RECOMMANDATIONS DE LA RAPPORTEURE

1. Pour répondre à la complexité de la procédure de droit au compte, dont les contraintes administratives sont susceptibles de constituer un obstacle pour les personnes fragiles, renforcer les démarches d'accompagnement par les établissements bancaires et les associations.

2. Pour augmenter la souscription de l'offre spécifique par les publics cibles, la rendre mieux connue par une mobilisation accrue des réseaux bancaires et des acteurs sociaux et la rendre plus attractive en diminuant ses tarifs.

3. Pour prendre en compte la digitalisation croissante des services bancaires, étendre l'inclusion bancaire aux exclusions nées de ces nouveaux usages numériques.

4. Pour garantir un usage numérique des services bancaires adapté à tous, concevoir des outils numériques s'attachant au reste à vivre, permettant de gérer son budget avec sécurité.

5. Pour anticiper la réforme de la mission d'accessibilité bancaire du Livret A de La Banque Postale devant intervenir d'ici 2020, engager rapidement une étude déterminant les raisons du recours important à ce support de bancarisation.

6. Pour répondre aux besoins ainsi identifiés, étudier la possibilité de conforter une mission d'accessibilité bancaire renouvelée, déconnectée du support du Livret A et fondée sur l'accès à un guichet financier.

LES PRINCIPALES OBSERVATIONS DE LA RAPPORTEURE

1. Une politique d'inclusion économique et sociale qui doit rester prioritaire, malgré des avancées récentes

Trois millions de personnes seraient en situation de fragilité financière en France. Encore ce chiffre désigne-t-il des réalités diverses :

- 500 000 personnes n'ont aucun accès au système financier ;

- environ 2,4 millions de personnes sont considérées en situation de fragilité financière , parmi lesquelles deux tiers le sont en vertu des textes et un tiers en raison des critères propres aux établissements bancaires 4 ( * ) .

Dès lors, il est manifeste que « la régulation bancaire ne doit pas être traitée uniquement d'un point de vue systémique, mais aussi selon une approche humaine » 5 ( * ) , comme l'affirmait Pierre Moscovici, ministre de l'économie et des finances, lors de la discussion de la loi du 26 juillet 2013 ayant tiré les enseignements de la crise en renforçant la régulation des activités bancaires.

L'Observatoire de l'inclusion bancaire, créé par la loi du 26 juillet 2013, définit l'inclusion bancaire comme « [participant] au processus d'inclusion dans la vie économique et sociale. Elle permet à une personne physique d'accéder durablement à des produits et services bancaires adaptés à ses besoins non professionnels et de les utiliser » .

Ces politiques sont impulsées par la puissance publique, relayée par des acteurs institutionnels comme la Banque de France, mais rejoignent des initiatives prises par les établissements bancaires et les acteurs associatifs . À l'instar de la gamme des moyens de paiement alternatifs rendue obligatoire par la loi de 2013 sous le nom d'offre spécifique, de nombreux dispositifs ont d'abord été mis en oeuvre par les banques avant d'être généralisés par le législateur.

Recouvrant à la fois l'accès aux services bancaires et leur usage, les politiques d'inclusion bancaire concernent un public large et hétérogène . La fragilité financière et l'insuffisance des ressources ne se recoupent pas parfaitement. Sont certes concernées les personnes à faible revenu, mais aussi des publics confrontés à d'autres types d'exclusion de fait des services bancaires, liée à leur statut juridique ou à la capacité d'utilisation 6 ( * ) .

D'appréhension malaisée en raison de l'hétérogénéité des personnes concernées, le périmètre des publics relevant de l'inclusion bancaire est aussi complexe à évaluer compte tenu du caractère parcellaire des données disponibles.

L'Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) ne réalise pas d'enquête régulière sur l'inclusion bancaire. Comme le relève la Cour des comptes, « la création de l'Observatoire de l'inclusion bancaire constitue une avancée indéniable dans la collecte de données sur l'inclusion bancaire » 7 ( * ) .

*

« Le processus de bancarisation de la population, à l'oeuvre depuis une quarantaine d'années, a conduit les services bancaires à devenir un élément essentiel de l'intégration des individus au sein de la société » 8 ( * ) . Cette évolution, symbolisée par la consécration de l'autonomie financière des femmes mariées en 1965 9 ( * ) , s'est accentuée avec la généralisation des paiements des salaires et prestations sociales par chèque et virement 10 ( * ) .

Dans les années 1960, le Livret A a d'abord pu tenir lieu de support de bancarisation par défaut, permettant de recevoir les pensions des agents publics et certaines allocations et de prélever les factures d'eau ou d'électricité. Ensuite, les défaillances de marché pouvant conduire à exclure certaines personnes jugées non rentables, le législateur a consacré le « droit au compte » en 1984 11 ( * ) .

De même, le développement de la société de consommation s'accompagne d'un recours croissant au crédit, qui rend nécessaire un traitement par la puissance publique. C'est à l'initiative du Premier ministre Michel Rocard qu'est votée la première loi relative au surendettement 12 ( * ) , introduisant le fichier des incidents de remboursement des crédits aux particuliers (FICP) 13 ( * ) et organisant une procédure de règlement des dossiers de surendettement.

Les politiques publiques en faveur de l'inclusion bancaire et de la prévention du surendettement ont été profondément renouvelées ces dernières années .

Le précédent président de la République François Hollande en a fait un axe prioritaire de son mandat, avec, dès décembre 2012, la conférence nationale contre la pauvreté et pour l'inclusion sociale. Le plan pluriannuel contre la pauvreté et pour l'inclusion sociale du 13 février 2013 , qui en traduit les principales orientations, comprend ainsi un volet spécifique sur l'inclusion bancaire et la prévention du surendettement.

La loi de séparation bancaire du 26 juillet 2013 met en oeuvre plusieurs mesures du plan, avec un plafonnement des frais bancaires applicables aux incidents de paiement ou l'obligation pour les banques de proposer une offre spécifique aux personnes en situation de fragilité. Il s'ensuit un changement de logique puisque les dispositifs publics en faveur de l'inclusion bancaire n'étaient jusqu'alors pas ciblés sur une catégorie de population.

En matière de surendettement, les lois de 2010 et de 2014 14 ( * ) constituent une réforme qualifiée de « sans précédent » par le cabinet Athling dans son étude pour le comité consultatif du secteur financier 15 ( * ) . Les garde-fous introduits à la conclusion de crédits renouvelables ont permis un rééquilibrage du crédit à la consommation au profit des prêts personnels.

Plus récemment encore, d'autres mesures visant à améliorer l'efficacité de la procédure de surendettement, qui entreront en vigueur le 1 er janvier 2018, ont été introduites par la loi de modernisation de la justice du XXI e siècle 16 ( * ) et la loi « Sapin 2 » 17 ( * ) .

2. Des dispositifs en faveur des publics en situation de fragilité financière qui favorisent l'inclusion bancaire et ont permis une diminution du nombre des dossiers de surendettement

La Cour des comptes constate que « d'importants efforts ont été fournis ces dernières années afin de renforcer l'efficacité des dispositifs légaux en faveur de l'inclusion bancaire » 18 ( * ) .

La dernière enquête sur les finances et la consommation des ménages, coordonnée par la Banque centrale européenne en atteste, puisque plus de 99 % des ménages français détiennent un compte de dépôt en 2014 19 ( * ) . La France compte parmi les pays les plus bancarisés d'Europe.

Cependant, ces chiffres incluent les 2,6 % de clients en situation de fragilité financière .

Pour ces publics, trois dispositifs distincts existent. Ainsi que le relève la Cour des comptes, « compte tenu de la diversité des publics concernés et des difficultés rencontrées, les politiques publiques en faveur de l'inclusion bancaire (...) sont nécessairement éclatées » 20 ( * ) .

Le droit au compte constitue la clé de voute de l'inclusion bancaire. Il permet à toute personne, dépourvue d'un compte de dépôt et à laquelle une banque a refusé l'ouverture d'un compte, d'obtenir la désignation par la Banque de France d'un établissement de crédit qui sera tenu de lui ouvrir un compte assorti de la fourniture gratuite d'un service bancaire de base.

Ce dispositif historique a été progressivement renforcé, se traduisant par une croissance du nombre de désignations de 115 % entre 2008 et 2015 (67 000 en 2016). De fait, la directive du 23 juillet 2014 sur la comparabilité des frais liés aux comptes de paiement, le changement de compte de paiement et l'accès à un compte de paiement assorti de prestations de base 21 ( * ) , dite « PAD », reprend fortement le mécanisme français de droit au compte pour harmoniser les pratiques entre les différents États membres.

L'offre spécifique , introduite par la loi du 26 juillet 2013, reprend la gamme des moyens de paiement alternatifs mise en place à partir de 2004 sous l'égide de la fédération bancaire française (FBF). Elle en inverse toutefois la logique : l'offre spécifique s'adresse de façon préventive aux personnes en situation de fragilité financière, alors que la gamme de moyens de paiement alternatifs concernait les clients interdits de chéquiers.

Environ 250 000 clients ont souscrit cette offre, soit seulement 10 % de la population cible. La progression par rapport à la gamme de moyens de paiement alternatifs est limitée, puisqu'elle concernait entre 100 000 et 200 000 personnes en 2013 22 ( * ) .

La mission d'accessibilité bancaire confiée à La Banque Postale a été confirmée lors de l'ouverture à la concurrence du Livret A en 2008 23 ( * ) . S'exerçant au travers du Livret A, elle repose sur l'universalité, la gratuité du Livret A et la possibilité de l'utiliser comme quasi compte courant, en y rattachant certaines opérations. La Cour des comptes évalue à deux millions de personnes le nombre d'utilisateurs de ce dispositif.

*

S'agissant du surendettement , les mesures votées par le législateur se sont traduites par une diminution de 15 % du nombre de dossiers de surendettement déposés entre 2011 et 2016 , attestant, selon la Cour des comptes, de « l'efficacité de l'action publique dans ce domaine » . Cette dynamique rompt avec une hausse quasi continue précédemment.

Évolution du nombre de dossiers de surendettement déposés entre 2011 et 2016

Source : commission des finances du Sénat à partir des données Banque de France

Les lois de 2010 et 2014 ont favorisé un assainissement du marché du crédit à la consommation. D'importantes évolutions de la composition de l'endettement des ménages déposant un dossier sont constatées, avec une diminution globale des crédits à la consommation de 20 points entre 2011 et 2012 et une hausse des crédits immobiliers 24 ( * ) .

Évolution de la structure de l'endettement financier

des dossiers de surendettement déposés

- 39 %

Source : commission des finances du Sénat, à partir des données Banque de France

3. La complexité des instruments de la politique d'inclusion bancaire est susceptible de réduire leur efficacité
a) La diversité des personnes en situation de fragilité financière justifie l'existence de plusieurs dispositifs...

La Cour des comptes souligne le taux élevé d'inclusion bancaire en France . Les différents mécanismes concourent à ce résultat, dans la mesure où ils ne relèvent pas de la même logique .

Le droit au compte est considéré comme le dispositif central d'inclusion bancaire , notamment par rapport à la mission d'accessibilité bancaire de La Banque Postale. Christine Lagarde, alors ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, indiquait lors de la discussion du projet de loi de modernisation de l'économie en 2008 vouloir faire du droit au compte « le pilier de l'accessibilité bancaire » , et précisait : « je considère que le droit au compte est un bien meilleur succédané que l'accessibilité bancaire pour permettre à chacun d'avoir accès au réseau bancaire » 25 ( * ) .

Offre spécifique et droit au compte sont complémentaires . Depuis sa généralisation en 2013, l'offre spécifique s'inscrit dans une logique préventive : elle propose des moyens de paiement et des frais adaptés aux personnes en situation de fragilité financière. Le droit au compte relève d'une approche essentiellement curative, s'adressant en premier lieu aux personnes dont le compte a été clôturé pour leur permettre de retrouver un compte. Les deux tiers des demandes annuelles de droit au compte sont ainsi effectués après la fermeture d'un compte.

Par ailleurs, le Livret A de La Banque Postale offre une réponse à des situations particulières grâce à sa facilité d'ouverture. Tel est notamment le cas des personnes demandeurs d'asile ou réfugiées, qui ne sont pas toujours en mesure de présenter les documents nécessaires à l'ouverture d'un compte. Le rapport de la mission présidée par Michel Camdessus sur la modernisation de la distribution du Livret A en 2007 insistait déjà sur cet usage : « une partie très substantielle des clientèles que nous traitons au titre de la mission d'accessibilité - nous a-t-il été dit - se trouve dans des situations très limites au regard de la réglementation, notamment quant à la possession de papier d'identité à valeur incontestable (...). En quelque sorte, entre la rigueur justifiée mais très exigeante du compte à vue et la complexité, la précarité de ces situations, le Livret A joue un rôle de tampon, de maillon indispensable pour éviter de se trouver devant une absence pure et simple de solution » 26 ( * ) .

L'enquête souligne une juxtaposition des dispositifs, sans « hiérarchie claire » , et appelle, pour « assurer la cohérence globale de la politique d'inclusion bancaire » , à la mise en oeuvre d'une approche intégrée autour du droit au compte comme unique support d'inclusion bancaire. La question qui se pose est celle de savoir si tous les besoins resteraient satisfaits si cette orientation était retenue.

b) ...dont la mise en oeuvre doit encore être améliorée

Pour améliorer encore leur efficacité, une adaptation de l'offre spécifique et un accompagnement renforcé des acteurs sont toutefois nécessaires.

Des difficultés de mise en oeuvre sont susceptibles de réduire l'efficacité des différents dispositifs . La complexité du droit au compte nécessite un accompagnement renforcé des personnes par les établissements bancaires et les associations. Pour rendre l'offre spécifique plus attractive, ses tarifs doivent être diminués.

La procédure simplifiée 27 ( * ) ainsi que la transmission de demandes de droit au compte par des organismes publics ou associatifs demeurent très marginales.

Répartition des procédures de droit au compte en 2016

Source : commission des finances du Sénat, à partir des données Banque de France

Le graphique ci-dessus souligne que 90 % des demandes de droit au compte demeurent directement soumises par la personne concernée .

Un accompagnement des demandeurs est pourtant indispensable. La procédure de droit au compte est longue et complexe, principalement en raison du décalage des pièces justificatives exigées aux différents stades pour l'exercice du droit auprès de la Banque de France, puis pour l'ouverture effective du compte devant l'établissement de crédit. Les deux formalités ne comportent pas le même degré d'exigence. En particulier, la réglementation relative à la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme impose aux établissements de crédit de vérifier l'identité de leur client sur la base d'un document d'identité officiel, alors que la Banque de France se contente de copies de justificatifs d'identité fournies par le demandeur.

Ce décalage est susceptible d'entraîner des incompréhensions de la part des clients. C'est pourquoi la Cour des comptes recommande que la Banque de France améliore le suivi des désignations.

Concernant l'offre spécifique, l'Observatoire de l'inclusion bancaire note que « seulement 10 % environ des clients financièrement fragiles [en] bénéficient . C'est loin des ambitions qui avaient été nourries à cet égard » 28 ( * ) . Pourtant, les contrôles conduits par l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) confirment la bonne mise en oeuvre par les établissements de crédit, seul le caractère peu explicite des courriers adressés aux clients identifiés pouvant être relevé.

Surtout, la direction générale du Trésor devrait procéder à une comparaison des frais en vue d'ajuster le plafond réglementaire fixé pour l'offre spécifique. Si le recul fait encore défaut, dans la mesure où l'offre spécifique a été progressivement mise en oeuvre à partir de 2015, le faible attrait de l'offre spécifique réside dans les plafonds des commissions d'intervention. Selon l'Observatoire de l'inclusion bancaire, « le montant moyen des commissions d'intervention est inférieur au maximum réglementaire annuel prévu par la réglementation pour les personnes ayant souscrit à l'offre spécifique » 29 ( * ) .

4. L'inclusion bancaire doit prendre en compte les nouvelles sources d'exclusion nées de l'essor de la digitalisation des services bancaires

Les politiques d'inclusion bancaire « doivent en permanence s'adapter à l'évolution des offres de services bancaires et à l'apparition de nouvelles formes d'exclusion résultant des choix des acteurs économiques ou des avancées technologiques » 30 ( * ) . Des réponses nouvelles ont ainsi dû être définies pour répondre d'abord au besoin d'un compte courant, puis au besoin de moyens de paiement scripturaux.

Une évolution majeure intervient actuellement en matière d'inclusion bancaire, avec le développement d'une offre privée reposant sur les nouvelles technologies .

Le « compte Nickel », commercialisé par la financière des paiements électroniques et dont 95 % du capital a été racheté par BNP Paribas en avril dernier, en constitue l'exemple emblématique. Proposé depuis début 2014, ce service repose sur le réseau de près de 2 300 buralistes et permet d'ouvrir un compte rapidement, avec une carte de paiement à autorisation systématique, sans autorisation de découvert. Fin 2016, près de 450 000 comptes Nickel étaient ouverts. L'absence de frais cachés constitue une des raisons principales de souscription.

Cet exemple est emblématique de l'ambivalence des solutions nées du marché et des nouvelles technologies . Pour les personnes maîtrisant les outils numériques, elles complètent les dispositifs actuels d'inclusion bancaire en offrant une solution simple et à moindre coût. Cependant, le développement des services bancaires en ligne, conjugués à la diminution du nombre d'agences, alimente aussi de nouvelles exclusions de fait pour les personnes ne pouvant pas utiliser les services en ligne. Gérer un budget contraint avec les outils numériques se révèle complexe. Même, certaines offres en ligne sont soumises à conditions de revenus.

Aussi la définition de l'inclusion bancaire doit-elle évoluer pour s'adapter à de nouveaux défis. Ce constat est partagé avec l'Observatoire de l'inclusion bancaire dont les « travaux à venir doivent anticiper les évolutions de la société , qui peuvent rendre nécessaire une adaptation des instruments mais aussi de la définition même de l'inclusion bancaire » , citant « les problématiques du vieillissement de la population et des nouveaux usages liés à la digitalisation » 31 ( * ) .

5. L'inclusion bancaire par le Livret A de La Banque Postale : une question à traiter avant 2020, une piste de réponse à l'exclusion numérique
a) Une mission historique, maintenue sans actualisation en 2008

L'utilisation du Livret A comme quasi-compte bancaire par deux millions de personnes est paradoxale . Les services bancaires proposés dans le cadre du droit au compte ou de l'offre spécifiques sont en effet plus complets. Le Livret A ne s'accompagne ainsi d'aucun moyen de paiement.

L'accessibilité bancaire assurée par La Banque Postale dépasse de fait le support du Livret A . Elle repose davantage sur l'usage d'un service financier au guichet, ainsi que l'illustre le graphique ci-dessous.

Retraits annuels aux guichets en fonction des réseaux bancaires

Source : commission des finances du Sénat, à partir des données de la Banque de France

Un décalage existe donc entre la réalité de la mission et son fondement, non actualisé malgré les évolutions des services bancaires et des dispositifs d'inclusion bancaire depuis les années 1960.

Le choix de maintenir une mission d'accessibilité bancaire exercée au travers du Livret A s'est imposé en 2008.

La décision rendue par la Commission européenne le 10 mai 2007 imposait à la France de mettre fin au droit spécial de distribution du Livret A dans un délai de neuf mois.

C'est la loi de modernisation de l'économie qui a procédé à la mise en conformité. La Commission européenne ayant reconnu le service d'intérêt économique et général d'accessibilité bancaire exercé par le Livret A, le choix a été fait de réserver à La Banque Postale l'exercice de cette mission 32 ( * ) .

Il s'agissait de prendre acte du rôle spécifique de La Banque Postale en matière d'accessibilité bancaire et de garantir à La Banque Postale, nouvel établissement créé le 1 er janvier 2006 et confronté à une insertion progressive dans le secteur concurrentiel, une compensation au titre de ces usages spécifiques 33 ( * ) .

Tel est le sens des propos de Christine Lagarde, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, lors de la discussion du projet de loi en juin 2008 : « afin de prendre en compte les populations les plus fragiles pour lesquelles, même avec un droit au compte effectif, l'accès à une succursale bancaire est intimidant, le Gouvernement souhaite préserver le rôle de La Banque Postale en matière d'accessibilité, que ce soit pour ses usagers actuels ou futurs. Le Gouvernement propose donc de conserver le livret A, comme une sorte de soupape de l'accessibilité bancaire . Dans ce domaine, nous le savons très bien, il ne s'agit pas du meilleur outil, et le droit au compte est bien plus efficace. Toutefois, nous reconnaissons aussi qu'il faut privilégier l'accessibilité pour ceux qui en ont le plus besoin : le projet de loi ne modifie donc pas le statu quo en matière de livret A. » 34 ( * )

b) Une réforme incontournable d'ici 2020, qu'il convient d'anticiper en précisant les besoins auxquels la mission répond

La mission est aujourd'hui confrontée à un double enjeu :

- financier d'une part , puisque la trajectoire de la compensation versée à La Banque Postale est définie à la baisse pour inciter à des gains d'efficience, conformément à la réglementation européenne. S'élevant à 225 millions d'euros en 2016, elle sera de 150 millions d'euros en 2020. Le coût restant à la charge de La Banque Postale est important (67 millions d'euros en 2015) ;

- juridique d'autre part , puisque la Commission européenne a donné son accord jusqu'en 2020 seulement, une réforme devant ensuite intervenir pour en préciser à nouveau les contours.

Aucune étude ne permet d'appréhender ce qui motive l'utilisation du Livret A de La Banque Postale comme quasi-compte courant par deux millions d'utilisateurs. Il faut donc déterminer les raisons de ce recours aux espèces et au guichet , d'ailleurs fortement concentré dans certains territoires, comme les quartiers prioritaires de la politique de la ville.

La Cour des comptes recommande que soit conduite une enquête typologique pour mieux appréhender ces différents usages , en amont de la réforme en 2020.

L'avis du comité consultatif du secteur financier de juillet 2016 35 ( * ) s'inscrit dans ce double objectif. Attestant de l'existence d'un besoin de service public non satisfait spontanément par le marché, il n'en appelle pas moins à des réflexions « sur des dispositifs envisageables » à terme. Le comité consultatif du secteur financier reconnaît en particulier qu' « au-delà des textes, le comportement spécifique des populations cibles implique, en pratique, un nombre élevé d'opérations et une utilisation très fréquente du guichet pour des opérations en espèces de petit montant. Sa mission spécifique d'accessibilité bancaire se traduit concrètement par la nécessité pour La Banque Postale de disposer d'un service de caisse dans l'ensemble des presque 10 000 bureaux de poste ».

Surtout, il relève que « le Livret A de La Banque Postale complète ainsi le dispositif du droit au compte et celui de l'offre spécifique en venant principalement répondre aux difficultés d'usage de certains clients, (...) privilégiant les opérations en espèces ».

c) Une évolution à envisager : faire de la mission d'accessibilité bancaire une réponse à l'exclusion numérique

Malgré les avancées enregistrées en matière d'inclusion bancaire, la mission d'accessibilité bancaire conserve son utilité . Dans la perspective de sa réforme d'ici 2020, elle doit être confortée afin de répondre aux nouvelles exclusions nées de la digitalisation des services bancaires.

Il importe que le Gouvernement se saisisse de la question de l'avenir de la mission dès à présent , afin de définir une solution conciliant ses deux enjeux financier et social. La solution définie au Royaume-Uni constitue un exemple à étudier 36 ( * ) . Il convient donc de déterminer si la réalité du rôle de La Banque Postale pourrait s'apparenter à une mission de service public 37 ( * ) .

Une enquête a été conduite par l'association « We tech care », créée par Emmaüs Connect, en partenariat avec La Banque Postale, sur les aptitudes numériques des clients des bureaux du département de Seine-Saint-Denis. Il en ressort que la moitié d'entre eux ne peut actuellement pas recourir aux outils bancaires numériques. François Villeroy de Galhau, Gouverneur de la Banque de France souligne à ce titre qu' « il ne [lui] semble pas mauvais qu'il y ait un contact physique pour ces populations fragiles » 38 ( * ) .

C'est pourquoi la Cour des comptes envisage une évolution de la mission d'accessibilité bancaire fondée non plus sur le support du Livret A, mais sur l'accès à un guichet financier . En effet, « la question de la disponibilité des services bancaires sur le territoire et de l'inégal accès à ces services doit être examinée au regard de la diminution des services de guichet (...). Seule La Banque Postale, en raison des contraintes de présence territoriale imposées à La Poste 39 ( * ) , fait figure d'exception » 40 ( * ) .

6. Renforcer l'inclusion bancaire par un accompagnement en amont des personnes fragiles

En rendant obligatoire la proposition de l'offre spécifique aux populations en situation de fragilité, la loi du 26 juillet 2013 consacre une approche renouvelée des politiques d'inclusion bancaire, fondée sur la prévention .

Cette logique prend une place croissante , comme le souligne le Gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau : « nous développons de plus en plus le volet préventif, notamment avec l'offre spécifique et l'éducation financière, qui est une nouvelle frontière. L'accessibilité, ce n'est pas seulement avoir un compte et une carte : c'est aussi donner les moyens et le savoir-faire » 41 ( * ) . La stratégie nationale en matière d'éducation financière dévoilée en décembre 2016 42 ( * ) est d'ailleurs mise en oeuvre par la Banque de France.

Dès 1990, à l'occasion de l'installation de la commission de surendettement des ménages, le Premier Ministre Michel Rocard soulignait la nécessité de conjuguer actions en amont et en aval . Relevant que l'information des ménages souscrivant un emprunt n'était pas toujours satisfaisante, il poursuivait : « peut-être l'information disponible n'était-elle pas toujours adéquate, peut-être l'emprunteur ou son banquier ont-ils pu dans certains cas faire preuve d'imprévoyance. C'est, en tout cas la raison pour laquelle la loi 43 ( * ) prévoit un volet préventif substantiel, de manière à ce que, à l'avenir, le crédit aux particuliers offre les meilleures conditions de sécurité à chacun des intervenants. (...) Les succès durables ne pourront venir que de l'éducation et de l'information des consommateurs , du soutien des associations qui aident les familles en difficulté, de l'application d'une authentique déontologie par tous les professionnels du crédit » 44 ( * ) .

La prévention est un volet des politiques d'inclusion bancaire et de lutte contre le surendettement qui nécessite particulièrement, dans sa conception et sa mise en oeuvre, une association de l'ensemble des acteurs, publics ou privés, associatifs ou financiers.

De telles actions sont déjà conduites avec les points conseil budget (PCB), inscrits dans le plan pluriannuel contre la pauvreté et pour l'inclusion sociale et expérimentés depuis février 2016. Mis en place sous forme de service partenarial entre l'État, la Banque de France, les associations, les créanciers et les établissements financiers, ils visent à offrir des conseils budgétaires et financiers afin de prévenir le surendettement, d'accompagner les personnes en situation de difficulté financière et d'opérer une médiation avec les créanciers.

Ces actions conjointes pourraient toutefois être renforcées dans une double direction.

Concernant l'offre spécifique , la Cour des comptes identifie deux pistes pour en améliorer la diffusion : une mobilisation accrue des réseaux bancaires et un meilleur relais au sein de la sphère sociale. Les outils existent, dans la mesure où l'obligation de proposer l'offre spécifique a conduit les établissements bancaires à formaliser des critères de détection du public ciblé. Même, de nombreuses banques disposent de cellules dédiées d'accompagnement, ou nouent des relations avec des associations pour orienter les personnes identifiées.

Concernant les usages , outre l'accompagnement des personnes éprouvant des difficultés de fait, la conception d'outils adaptés conjointement par les établissements bancaires et la sphère sociale pourrait être envisagée. En effet, la complexité des applications numériques actuelles pour gérer un budget contraint est soulignée par plusieurs acteurs associatifs. Des dispositifs ad hoc , prenant en compte les dépenses engagées et s'attachant au reste à vivre, pourraient être développés.

Cependant, établissements bancaires et associations s'accordent sur les limites de l'approche préventive : son efficacité repose sur l'adhésion de la personne, en grande partie conditionnée par la nécessité d'intervenir au bon moment. Le faible développement de l'offre spécifique le reflète, car elle suppose que le client accepte de se priver de certains moyens de paiement 45 ( * ) .

7. Le fichier positif, un projet désormais sans portée opérationnelle ?

La question du seuil à partir duquel la prévention doit intervenir se pose tout particulièrement en matière de surendettement.

Une proposition régulièrement débattue 46 ( * ) consiste en la création d'un registre national des crédits, qui retracerait les crédits souscrits par une personne. Complétant le fichier actuel, limité aux incidents de paiement, il est communément qualifié de « fichier positif ».

La Cour des comptes formule cette recommandation , y voyant l'instrument nécessaire pour éviter « le crédit de trop ».

Un tel fichier retracerait entre 10 et 12 millions de personnes, soit plus de 20 % de la population adulte, pour près 200 000 dossiers de surendettement déposés en 2016. Certains évoquent les risques de mésusage d'un tel fichier 47 ( * ) . En tout état de cause, il est possible de se demander si les implications de la création d'un tel fichier ne seraient pas disproportionnées au regard de l'objectif poursuivi.

Au-delà, il peut être douté de la portée de cette recommandation.

Une telle création s'inscrit en effet un cadre contraint . La loi du 17 mars 2014 avait prévu l'institution d'un registre national des crédits aux particuliers, que le Conseil constitutionnel a déclaré contraire à la Constitution. Le juge constitutionnel a relevé « qu'eu égard à la nature des données enregistrées, à l'ampleur du traitement, à la fréquence de son utilisation, au grand nombre de personnes susceptibles d'y avoir accès et à l'insuffisance des garanties relatives à l'accès au registre, les dispositions contestées portent au droit au respect de la vie privée une atteinte qui ne peut être regardée comme proportionnée au but poursuivi » 48 ( * ) .

À la suite de cette décision, le ministre des finances et des comptes publics a confié à Emmanuel Constans, président du comité consultatif du secteur financier, une mission « sur les conséquences à [en] tirer ». Or le groupe de travail conclut que cette jurisprudence laisse « une marge de manoeuvre très réduite, voire inexistante, pour la mise en oeuvre d'un fichier positif qui soit jugé conforme à la Constitution » 49 ( * ) .

Dans ce cadre, la Cour des comptes envisage trois restrictions :

- une réduction de l'étendue des informations enregistrées dans le fichier, en le limitant par exemple aux seuls crédits renouvelables actifs ;

- une limitation des motifs de consultation , en écartant notamment l'obligation de consultation lors de la vérification triennale de la solvabilité de l'emprunteur ;

- un encadrement de la liste des personnes autorisées à accéder au fichier, en restreignant l'habilitation prévue pour les personnels des établissements de crédit et en renforçant les sanctions visant à prévenir tout mésusage des informations répertoriées.

Deux questions soulevées par le Conseil constitutionnel restent cependant sans réponse.

La première concerne « la nature des données enregistrées » et « l'ampleur du traitement », puisque la proposition de ne pas y faire figurer les opérations de location-vente ou location avec option d'achat ne concernerait qu'environ 0,6 million de personnes.

La seconde résulte du « grand nombre de personnes susceptibles d'y avoir accès ». L'enquête précise qu'il « conviendrait d'étudier la possibilité d'encadrer plus strictement l'habilitation prévue pour les personnels des établissements de crédit et de renforcer les sanctions visant à prévenir toute utilisation des informations répertoriées à des fins autres », mais n'évoque pas la question de l'identifiant utilisé.

TRAVAUX DE LA COMMISSION : AUDITION POUR SUITE À DONNER

Réunie le mardi 18 juillet 2017, sous la présidence de Mme Michèle André, présidente, la commission des finances a procédé à l'audition pour suite à donner à l'enquête de la Cour des comptes, transmise en application de l'article 58-2° de la LOLF, sur les politiques publiques en faveur de l'inclusion bancaire et de la prévention du surendettement.

Mme Michèle André , présidente . - Mes chers collègues de la commission des finances et de la commission des affaires économiques auxquels cette réunion est ouverte, trois millions de personnes sont en situation de fragilité financière dans notre pays. Celles-ci rencontrent des difficultés d'accès aux services bancaires.

Nous disposons d'outils pour répondre à cet enjeu fondamental de permettre à chacun d'avoir accès à tous les services bancaires qui contribuent à mener une vie normale. Nous avons même renforcé nos instruments juridiques dans la loi de séparation et de régulation des activités bancaires du 26 juillet 2013 ou, l'année dernière encore, dans la loi dite « Sapin 2 ».

Pourrait-on utiliser encore mieux les outils dont nous disposons ? Faudrait-il modifier une nouvelle fois la législation pour mieux répondre à l'objectif d'inclusion économique et sociale du plus grand nombre ?

C'est dans cet esprit qu'il y a un an j'ai saisi le Premier président de la Cour des comptes d'une demande d'enquête sur les politiques de lutte contre l'exclusion bancaire. Monique Saliou, conseillère-maître à la Cour des comptes, va nous en présenter les grandes lignes. Nous recueillerons ensuite les réactions de certains des principaux acteurs de ce sujet.

La Banque de France est représentée par Jacques Fournier, directeur général des statistiques, le Gouverneur n'ayant pu être présent aujourd'hui. La Banque Postale, chargée par la loi d'une mission d'accessibilité bancaire, est représentée ce matin par le président directeur général du groupe La Poste, Philippe Wahl, et le président du directoire de la Banque postale, Rémy Weber. BNP Paribas, qui, comme toutes les banques, doit appliquer l'ensemble des règles applicables en matière d'inclusion bancaire, et qui vient par ailleurs d'acquérir le compte Nickel qui offre des services nouveaux à nos concitoyens, est représentée par Thierry Laborde, directeur général adjoint.

L'Association Nouvelles Voies est représentée par Philippe Guilbaud et Catherine Jeandel ; elle a pour objet de « faire valoir les droits pour prévenir l'isolement social et éviter le basculement dans la précarité ». Cette association gère un point conseil budget (PCB), c'est-à-dire une structure regroupant des acteurs publics et privés et qui s'adresse à toutes les personnes désireuses d'améliorer la gestion de leur budget, devant faire face à une situation financière difficile, anticiper un changement de situation familiale ou professionnelle ayant un impact sur leurs ressources ou leurs dépenses ou encore prévenir le surendettement.

Le sujet de ce matin est vaste, et il y aurait matière à une deuxième réunion, au cours de laquelle nous pourrions convier des associations de consommateurs pour évoquer la question du surendettement et en particulier du fichier positif, que la Cour des comptes a choisi d'évoquer à nouveau dans l'enquête. Nous essaierons de traiter au mieux les principaux sujets dans le temps limité qui nous est imparti.

Je vous rappelle que cette réunion est ouverte à la presse et retransmise sur le site internet du Sénat.

Je vous rappelle aussi que nous devrons, en fin de réunion, décider si nous publions ou non l'enquête demandée à la Cour des comptes.

Je cède la parole à Monique Saliou, pour une présentation des principaux résultats de l'enquête de la Cour des comptes.

Mme Monique Saliou, conseiller-maître à la Cour des comptes . - Madame la présidente, je vous remercie d'avoir organisé cette audition, qui me permet de présenter le rapport demandé au Premier président de la Cour des comptes sur les politiques publiques en faveur de l'inclusion bancaire et de la prévention du surendettement.

Nous avons enquêté auprès des services de l'État et de la Banque de France, mais également auprès des fédérations professionnelles représentant des établissements de crédit, des enseignes de la grande distribution et d'un échantillon représentatif de leurs adhérents. Dans le cadre de cette enquête, la Cour a examiné les pratiques d'organismes, privés pour la plupart d'entre eux, sur lesquels elle ne dispose pas de compétences directes, mais elle a également beaucoup sollicité La Banque Postale. Tous les établissements consultés, publics comme privés, ont pleinement coopéré, et je les en remercie.

Nous avons par ailleurs associé à notre enquête de nombreuses associations de consommateurs, des associations caritatives et des organisations syndicales représentatives des personnels de banque. En effet, l'inclusion bancaire, comme la prévention du surendettement, recouvre des enjeux particulièrement importants pour l'insertion des citoyens dans la vie économique et sociale. Elle se situe au carrefour des politiques sociales de lutte contre l'exclusion et des politiques de régulation du secteur financier.

L'inclusion bancaire participe au processus d'inclusion dans la vie économique et sociale, selon l'Observatoire de l'inclusion bancaire. Elle permet à une personne physique d'accéder durablement à des produits et services bancaires adaptés.

Trois objectifs principaux sont visés par les mesures prises en faveur de l'inclusion bancaire : permettre à l'ensemble de la population d'accéder à un compte et à des moyens de paiement adaptés ; encadrer la distribution de certains produits financiers afin de prévenir les risques de surendettement ; enfin, favoriser l'accompagnement des publics ayant besoin d'un soutien pour la gestion de leur budget.

La possession d'un compte en banque par tout citoyen est devenue indispensable depuis la généralisation, dans les années quatre-vingt, des paiements des salaires et des prestations sociales par chèque et par virement. L'inclusion bancaire vise à y répondre et à prévenir le mésusage des outils bancaires ; d'où les politiques publiques visant à encadrer la distribution du crédit à la consommation.

Le message principal qui ressort de notre enquête est que, en dépit d'un taux de bancarisation très élevé - 96 % aujourd'hui - et du reflux significatif du nombre de dossiers de surendettement déposés depuis 2012 -c'est une très bonne nouvelle -, les politiques publiques mises en oeuvre en faveur de l'inclusion bancaire et de la prévention du surendettement peuvent encore être améliorées.

Concernant l'accès à un compte bancaire et à des moyens de paiement adaptés, des efforts importants ont été fournis ces dernières années afin de renforcer l'efficacité des dispositifs légaux en faveur de l'inclusion bancaire, à commencer par le plan pluriannuel du 21 janvier 2013 contre la pauvreté auquel les associations caritatives avaient beaucoup participé, ainsi que la loi du 26 juillet 2013 de séparation et de régulation des activités bancaire.

Nous disposons en France aujourd'hui de dispositifs légaux nombreux, diversifiés, qui n'ont rien à envier à ceux qui existent ailleurs en Europe. D'ailleurs, les associations ne manifestent aucune insatisfaction profonde à leur endroit, si ce n'est sur la façon dont ils sont mis en oeuvre.

La procédure du droit au compte, créé en 1984, est le premier d'entre eux. Elle permet à toute personne à laquelle une banque a refusé l'ouverture d'un compte d'obtenir la désignation, par l'intermédiaire de la Banque de France, d'un établissement qui sera tenu de lui ouvrir un compte et de lui fournir gratuitement un certain nombre de services bancaires de base.

Pour que la procédure soit mise en oeuvre, plusieurs conditions sont nécessaires. Tout d'abord, vous n'avez pas de compte bancaire ou bien votre compte a été clôturé. La banque sollicitée refuse de vous ouvrir un compte bancaire. Elle doit vous délivrer une attestation de refus d'ouverture de compte. Vous pouvez ensuite déposer une demande de droit au compte à un guichet de la Banque de France, qui doit traiter votre dossier dans un délai d'une journée. Un établissement de crédit est alors désigné - souvent La Banque Postale -, qui est tenu d'ouvrir un compte bancaire dans les trois jours, à condition que le demandeur ait fourni les documents demandés, et de fournir les services bancaires de base : ouverture, tenue de compte, paiements par virements et prélèvements, carte de paiement dont chaque utilisation est autorisée par la banque. Ces services ne comprennent aucune autorisation de découvert ni de chéquier.

Un deuxième dispositif a été prévu par la loi 26 juillet 2013 en direction des clients en situation de fragilité financière. Cette offre comprend des services bancaires de base, pour un tarif maximum de 3 euros par mois et un plafonnement des frais facturés. Y sont éligibles les personnes surendettées, celles qui sont inscrites au fichier des incidents de paiement de chèques, les clients disposant de peu de ressources et rencontrant des difficultés quant au fonctionnement de leur compte bancaire.

Enfin, la mission d'accessibilité bancaire a été officiellement confiée à La Banque Postale par la loi du 4 août 2008. L'objectif de cette mission de service public est de permettre l'accès, via le Livret A, à un substitut de compte bancaire, dépourvu de moyens de paiement, mais sur lequel sont autorisés, de manière gratuite et illimitée, des retraits en liquide à partir de 1,5 euros - les autres établissements imposent un minimum de dix euros -, ainsi que certaines opérations de virement et de prélèvements.

Au titre de cette mission de service public, La Banque Postale perçoit une compensation financière, qui était de 225 millions d'euros en 2016, montant non négligeable pour l'équilibre financier de La Banque Postale.

L'enjeu aujourd'hui est moins de compléter les dispositifs existants que d'améliorer les conditions de leur mise en oeuvre et d'assurer la cohérence d'ensemble grâce à une meilleure articulation entre eux. Nous avons en effet constaté lors de notre contrôle que les dispositifs actuels se juxtaposent les uns aux autres, sans véritable hiérarchie, et se chevauchent en partie. Ainsi, environ 2 millions de détenteurs du Livret A utilisent ce service comme un substitut de compte bancaire, par le biais de nombreuses opérations de virement et de prélèvement, ainsi que de nombreux retraits et dépôts d'espèces via les guichets de La Banque Postale. Or une partie d'entre eux disposent déjà d'un compte bancaire et ne sont pas en situation d'exclusion bancaire. Ils ne constituent donc pas le coeur de cible de la mission d'accessibilité bancaire. Cet outil de gestion de trésorerie est incontestablement sécurisant, car il est exonéré de frais en cas d'incident. Mais la limitation de ces frais est précisément l'objectif assigné à l'offre spécifique de services bancaires.

Les bénévoles des associations caritatives et professionnels de l'action sociale ont souligné le manque de lisibilité en la matière, avec un risque d'inadaptation des services offerts par rapport aux besoins. Une clarification serait souhaitable afin de mieux définir les places respectives du droit au compte, de l'offre spécifique et de la mission d'accessibilité bancaire.

Selon nous, il convient de privilégier la primauté du droit au compte et de moyens de paiement adaptés en faveur des personnes qui en sont dépourvues. En revanche, pour les personnes déjà détentrices d'un compte bancaire mais qui se trouvent en situation de fragilité, l'offre spécifique paraît plus adaptée que le LivretA, dont les fonctionnalités sont très limitées.

La réaffirmation du droit au compte suppose une amélioration concernant la mise en oeuvre du dispositif, qui touchait seulement 145 000 comptes actifs en 2015. Ce chiffre est faible, car il existe d'autres solutions ; il s'explique aussi par la complexité et la longueur de la procédure pour les demandeurs. Des progrès pourraient être réalisés dans le pilotage du dispositif.

Actuellement, la Banque de France désigne des banques pour l'ouverture d'un banque, mais elle n'est pas informée des suites de ces désignations, y compris la non-présentation du demandeur. Or ce qui importe avant tout pour ce dernier, ce sont les conséquences concrètes de la désignation, c'est-à-dire l'ouverture effective du compte.

La Cour a donc formulé quelques recommandations concernant le droit au compte. Elle préconise de renforcer le suivi, par la Banque de France, des désignations effectuées au titre du droit au compte afin d'assurer l'effectivité et la rapidité de l'exercice de ce droit - aucune statistique n'existe encore à ce jour. Elle suggère de mettre en place un processus de dématérialisation des échanges entre la Banque de France et les établissements de crédit dans le cadre du droit au compte. Elle souhaite, enfin, renforcer les actions destinées à sensibiliser les acteurs de la sphère sociale et les associations sur la procédure du droit au compte.

Si le droit au compte doit être la clé de voute du dispositif d'amélioration de l'inclusion bancaire, faut-il pour autant renoncer à la mission de « pré-bancarisation » qui repose sur le Livret A de La Banque Postale ? Ce n'est pas notre conclusion, car il est difficile de définir précisément les utilisateurs exclusifs du Livret A, qu'ils détiennent ou non un autre compte bancaire. La Banque Postale et les pouvoirs publics devraient réaliser une enquête sur ce point, afin de sérier les besoins et de proposer une offre adaptée, qui passerait probablement par un recentrage de la mission d'accessibilité bancaire en faveur de ceux qui sont temporairement dans l'impossibilité de disposer d'un compte courant. L'exemple le plus évident est celui des migrants, dont un certain nombre ne sont pas en possession des pièces justificatives requises pour solliciter l'ouverture du droit au compte auprès de la Banque de France. Le Livret A constitue sans doute la meilleure offre à cet égard et devrait donc être maintenu.

Pour le reste, il faudrait proposer l'offre spécifique à ceux qui utilisent de manière intensive le Livret A tout en disposant d'un compte bancaire. L'offre créée en 2013 a été assez peu souscrite, car le dispositif est encore trop récent pour une montée en gamme, manque de clarté et se révèle inadapté à certaines populations. En outre, les établissements bancaires ne se sont pas précipités pour l'offrir à leur clientèle. Cette offre mériterait d'être réadaptée, ce qui supposerait une réflexion un peu plus large sur une mission de service public confiée à La Banque Postale et à La Poste, avec ses 17 000 points de contact. Dans ce contexte, cette pratique ne traduit-elle pas, plus qu'une fragilité financière stricto sensu , une fragilité d'un autre ordre qui s'extérioriserait pas le besoin de passer par un guichet ?

Je conclurai par une bonne nouvelle concernant la prévention du surendettement : le nombre de dépôts de dossiers a beaucoup diminué grâce aux mesures qui ont été prises. À moins de considérer que la pauvreté a considérablement reculé dans notre pays, seul l'arsenal législatif peut expliquer ce phénomène. Néanmoins, il existe encore un nombre non négligeable de dossiers de surendettement qui sont liés à l'accumulation de crédits. Il faut donner les moyens à l'établissement bancaire qui offre un crédit à la consommation de repérer le « crédit de trop ». C'est en ce sens que nous proposons non pas de revenir sur le fichier positif que le Conseil constitutionnel avait censuré, mais de trouver un moyen qui permette aux établissements financiers de mieux réguler leurs offres de crédit.

Mme Michèle André , présidente . - Je me tourne maintenant vers Philippe Guilbaud et Catherine Jeandel, afin de recueillir l'éclairage des acteurs associatifs sur le terrain. Les analyses de la Cour des comptes rejoignent-elles vos constatations quotidiennes ? Partagez-vous son avis au sujet de la complexité du droit au compte ? Comment expliquer que l'offre spécifique ne rencontre pas le succès attendu ? Certaines nouvelles formes d'exclusion bancaire seraient-elles liées au numérique ?

M. Philippe Guilbaud, président de l'Association Nouvelles Voies . - L'Association Nouvelles Voies favorise l'accès aux droits quotidiens en faveur de ses adhérents. À l'origine, le surendettement ne faisait pas partie de nos objectifs. Après seize ans, il représente un quart des dossiers que nous traitons, eu égard à la place que l'endettement, le « malendettement » et le surendettement ont prise en France. De plus, nombreux sont ceux qui ignorent leurs droits, y compris au sein des entreprises. En principe, nous ne visons pas les populations qui sont déjà en grande difficulté. Nous agissons plutôt pour éviter le basculement dans la précarité. C'est l'accès au droit qui nous a amenés au surendettement, mais l'inverse peut être vrai !

Nous accompagnons de nombreuses personnes vers ce droit au compte. Nous dirigeons traditionnellement les personnes vers La Poste, mais aussi désormais vers les comptes Nickel. Les difficultés tiennent à la complexité et à la longueur parfois décourageantes de la procédure. Notre accompagnement permet à nos adhérents d'aller au bout de leurs démarches.

Nous ne pouvons qu'être favorables à la prévention, qui s'inscrit dans le même esprit que nos démarches depuis le début de notre mission. Au sein de l'association, le service de prévention et d'actions collectives de prévention a été mis en place par Catherine Jeandel. Je saisis cette occasion pour lancer un appel, car nous manquons cruellement de moyens financiers pour développer ces actions, en accompagnement individuel ou en prévention collective. Espérons que la baisse des dossiers de surendettement aura des effets positifs.

Le numérique est un frein, car de nombreuses personnes n'y ont toujours pas accès aujourd'hui. Pour certaines, les démarches en ligne sont un vrai problème. Nous en avons fait le thème de l'année, afin d'accompagner les bénéficiaires du revenu de solidarité active, les personnes âgées, les jeunes travailleurs, en liaison avec les caisses d'allocations familiales ou les caisses de retraite. L'accès à un guichet et à une personne physique est essentiel pour beaucoup de nos concitoyens, qui préfèrent parfois remplir un formulaire que se retrouver devant un écran.

Nous nous battons pour l'interdiction des crédits renouvelables, véritable fléau. Le crédit de trop est un problème, mais le premier crédit souscrit peut aussi être celui qui met les pieds dans la vase ! Nous faisons tout pour que nos adhérents ne connaissent pas le surendettement. Pour cela, nous travaillons avec le Crédit municipal de Paris depuis longtemps. Les Points conseil budget n'existaient pas au départ, mais ils contribuent encore plus à restructurer les crédits et à éviter les procédures de surendettement, jugées stigmatisantes par de nombreux adhérents.

Mme Michèle André , présidente . - Monsieur Guilbaud, auriez-vous des idées pour alléger les procédures, à l'heure où la surabondance de normes est tant décriée ?

M. Philippe Guilbaud . - Nous sommes tout à fait prêts à travailler avec vous sur ce sujet.

Mme Michèle André , présidente . - Je me tourne maintenant vers La Banque Postale, acteur incontournable de l'inclusion bancaire qui doit ouvrir gratuitement un Livret A, souvent utilisé comme un quasi-compte bancaire, à toute personne qui en fait la demande. Cette mission légale doit être réformée d'ici à 2020. À quels besoins cette mission historique répond-elle ? Est-elle encore pertinente ? Qu'en est-il de l'accès à un guichet physique ?

M. Philippe Wahl, président-directeur général du groupe La Poste . - La Poste est très fière de sa troisième mission de service public, après la distribution du service universel postal, après le transport de la presse et avant l'aménagement du territoire. La Banque postale met en oeuvre cette mission d'intérêt général de l'accessibilité bancaire. Nous y sommes très attachés, comme nous voulons vraiment rendre vivante cette mission de lutte contre l'exclusion bancaire, adossée non pas seulement au Livret A, mais à la réalité du comportement de centaines de milliers de personnes. Il suffit de se rendre dans les bureaux de poste sur tout le territoire entre le 4 et le 6 de chaque mois pour voir la réalité de la mission d'inclusion bancaire de La Banque Postale et de La Poste.

Philippe Guilbaud, que je n'ai jamais rencontré auparavant, a affirmé que le droit au compte revenait pour lui à aller vers La Poste - il a également cité le compte Nickel. Nous voulons approfondir la réflexion sur cette mission d'intérêt général, mais sans rester crantés au seul outil du Livret A. Nous voyons une articulation très forte entre la mission d'accessibilité bancaire et la mission d'aménagement du territoire. En effet, l'exclusion bancaire réelle, qui prend également la forme de l'exclusion numérique, est vécue dans les territoires ruraux et dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville. D'où la nécessité d'accéder aux conseils humains via La Poste. Nous vivons chaque semaine des flux de masse en matière d'accessibilité bancaire. Ce sont les équipes de La Banque Postale qui la font vivre.

M. Rémy Weber, président du directoire de La Banque postale . - Ce sujet dépasse la stricte accessibilité bancaire, même si celle-ci reste extrêmement importante.

Le Livret A est un instrument universel, gratuit et sans discrimination, d'où son énorme succès. C'est l'outil de la « pré-bancarisation » dans notre pays, utilisé notamment comme moyen de paiement dans les 1 300 bureaux de poste à dimension sociale marquée. Au-delà de la nécessité de moyens de paiement, ces utilisateurs ont besoin de proximité réelle, de conseils physiques, de sécurité. Près de 80 % des opérations de guichet ont trait à des opérations simples et à des demandes de solde de compte. À l'ère du numérique, on est tenté de sauter les étapes, mais nous ne pouvons nier la réalité.

Le rapport de la Cour des comptes relève l'utilisation du Livret A en tant que compte courant, même si certaines opérations en sont exclues comme la banque en ligne sur le téléphone. Les clients concernés ont vraiment besoin d'être entourés. D'ailleurs, dans les quartiers prioritaires de la ville, les bureaux de poste font appel à des interprètes, car près de 2 millions de personnes en ont besoin. De plus, les personnels des bureaux de poste sont tous formés pour s'occuper des clients. S'ils ont parfois un compte courant, c'est parce que nous essayons de les bancariser progressivement. Il serait illogique de ne s'en tenir qu'au Livret A. La période de transition dépendra des clients et de leurs besoins. Pour ce qui est du droit au compte, le commercial peut donner une lettre de refus, mais il hésitera face au risque croissant d'incivilité.

Notre dispositif est ouvert à tous, sans distinction, mais il ne suffit pas. C'est pourquoi nous avons lancé un programme complet pour éviter « la double peine », à savoir ajouter à l'exclusion bancaire l'exclusion numérique - nous avons notamment travaillé avec Emmaüs Connect sur ce sujet. Plus de 5 millions de personnes sont concernées par cette problématique. Nous avons donc réalisé dans les zones les plus sensibles une enquête précise concernant nos clients. Il en ressort que la moitié d'entre eux sont à peu près indépendants pour effectuer les opérations les plus courantes. Un peu plus du quart est complètement perdu face à ces usages. Quant aux derniers, il leur en faudrait peu pour devenir autonome.

S'agissant du rôle du Livret A dans l'accessibilité bancaire, ce n'est pas l'outil qui est coûteux, c'est la présence permanente aux guichets sur l'ensemble du territoire, les conseils prodigués aux clients, les démarches effectuées. L'ensemble de ce dispositif est nécessaire dans les environnements périurbains, mais aussi dans les zones rurales où sévit la double peine.

Enfin, toutes ces mesures doivent être accompagnées d'un mouvement de prévention et de formation, notamment grâce à l'« Appui », plateforme d'une quarantaine de personnes formées pour être au service des clients en difficulté, au travers du notre offre spécifique, dont nous détenons près de 40 % de parts de marché. Depuis 2013, nous avons déjà traité plus de 70 000 dossiers, pour lesquels les entretiens téléphoniques peuvent être très longs, avec un accompagnement psychologique ou une aide plus concrète, budgétaire ou autre. Les agents peuvent proposer des sessions de remise à niveau ou un soutien un peu plus individualisé réalisé grâce au partenariat avec des associations. À la fin du processus, nous envoyons les clients en Point conseil budget de deuxième niveau, la Fondation Crésus ou le Crédit municipal de Paris. Par conséquent, même si le flux global reste modeste, nous sommes un acteur très significatif de l'accessibilité bancaire, avec 10 millions d'agents au service de cette clientèle.

Tel est le sens de l'extension de notre mission d'accessibilité bancaire, qui est appelée à durer dans le temps du fait des difficultés actuelles de nos concitoyens.

Mme Michèle André , présidente . - Merci de ces informations concernant l'accompagnement des clients, dont certains éprouvent de grandes difficultés pour remplir le moindre formulaire.

Je me tourne maintenant vers BNP Paribas, qui applique les dispositifs d'inclusion. Monsieur Laborde, quel est votre avis sur le faible taux de souscription à l'offre spécifique ? Le développement des nouveaux outils, particulièrement le compte Nickel, pourrait-il réduire l'exclusion bancaire ?

M. Thierry Laborde, directeur général adjoint de BNP Paribas, responsable des « Marchés domestiques » . - Sur l'offre spécifique, j'ai la conviction que le fait de limiter la prévention de la fragilité des clients au taux d'adhésion à l'offre spécifique est une mesure très limitative. En effet, les clients trouvent parfois eux-mêmes d'autres solutions, en demandant par exemple à ne plus utiliser de chéquier, à avoir une carte soumise à autorisation systématique ou à bénéficier de l'adaptation du montant du découvert autorisé. Il est aussi possible de changer son quantième de prélèvement pour éviter le rejet de celui-ci et la spirale qui s'ensuit.

L'importance de la promotion de l'offre spécifique, qui est un dispositif récent, reste d'actualité. C'est pourquoi nous assurerons cette mission en envoyant cette année 240 000 courriers électroniques à la totalité de nos clients, identifiés par nos algorithmes comme pouvant être fragiles.

Quant au compte Nickel, il faut rendre au créateur de cette start-up le succès du modèle économique créé, qui répondait à un véritable besoin, plus large que l'inclusion bancaire. Cette promesse est tellement simple qu'elle a trouvé son modèle économique en trois ans, un cas unique parmi toutes les fintechs en Europe. Y ont souscrit 640 000 clients, désireux d'avoir accès au système de paiement international pour 20 euros par an et sans aucun découvert. Une carte de séjour est suffisante pour ouvrir un compte Nickel, mais un récépissé ne suffit pas. En outre, Nickel permet l'accès à 2 700 buralistes, qui peuvent également aider les clients. Le service peut être obtenu grâce à un simple téléphone ou à un téléphone portable à 24 euros par an, dans le cadre d'un forfait à 2 euros par mois, le plus bas à l'heure actuelle. Au total, le compte Nickel coûte 58 euros par an, contre 190 euros par an au minimum pour un compte ouvert dans une banque. Les clients apprécient que les opérations soient réalisées en temps réel, avec une garantie contre les découverts. Ils sont alertés par SMS en temps réel et peuvent ainsi trouver une solution immédiate. En outre, aucune stigmatisation n'est à craindre. Enfin, ce service est transparent, sans frais cachés : un euro est prélevé à chaque retrait, dont 60 centimes sont reversés à la banque qui possède le distributeur. BNP a choisi de ne rien changer, en gardant les spécificités du Compte Nickel. Il sera toujours présidé par son créateur, Ryad Boulanouar, qui avait lui-même souffert d'être interdit bancaire.

Mme Michèle André , présidente . - Chacun connait bien les bureaux de tabac, dans lesquels on peut déjà effectuer de nombreuses opérations. Voilà une nouvelle activité. Souvent, d'ailleurs, le bureau de tabac se trouve à côté de la Poste...

M. Thierry Laborde . - C'est une nouvelle possibilité de proximité. Plus il y a de choix, mieux c'est.

M. Rémy Weber . - Et le soir le buraliste vient souvent déposer son argent à La Banque Postale !

Mme Michèle André , présidente . - Je me tourne vers Jacques Fournier, directeur général des statistiques à la Banque de France. Dans son dernier rapport, en juin dernier, l'Observatoire de l'inclusion bancaire annonce des travaux concernant une adaptation de l'inclusion bancaire à de nouvelles exclusions. Sont visés les nouveaux usages liés à la digitalisation. Comment ces exclusions se matérialisent-elles ? Comment y répondre ?

M. Jacques Fournier, directeur général des statistiques à la Banque de France . - La Banque de France a la volonté forte d'aider les citoyens défavorisés. Notre pays s'est doté d'un éventail d'actions sans équivalent en Europe. La Banque de France gère la procédure du droit au compte, instruit les dossiers de surendettement, réalise de nombreuses études statistiques et assure la présidence de l'Observatoire de l'inclusion bancaire, lieu d'échange qui regroupe les pouvoirs publics, les banques et des associations. À l'automne 2016, la Banque de France s'est aussi vu confier la coordination de la politique nationale d'éducation économique et financière.

Le nombre des dossiers de surendettement baisse : moins 11 % en 2016, moins 7 % au premier semestre 2017. Surtout, nous nous efforçons d'apurer les dossiers totalement pour permettre aux gens de sortir du cercle du surendettement. Nous avons proposé de simplifier les procédures, le législateur nous a suivis et les nouvelles dispositions entreront en vigueur au 1 er janvier 2018. Les délais seront raccourcis. Pour les gens concernés, il est crucial de voir leur dossier traité rapidement.

Le droit au compte est un mécanisme qui fonctionne, même s'il reste des progrès à faire. Il n'est pas très utilisé car il n'est pas toujours connu dans les centres communaux d'action sociale (CCAS) ou les caisses d'allocations familiales (CAF) qui doivent orienter les personnes qui n'ont pas de compte - dont le nombre est estimé à 500 000. C'est pourquoi nous comptons former 1 300 travailleurs sociaux prochainement. Le dispositif a été centralisé et des référents spécifiques ont été désignés au sein de chaque banque. Toutefois, nous n'avons pas le pouvoir d'exiger des banques un suivi de l'effectivité du droit au compte. Nous sommes ouverts à une évolution sur ce point.

L'inclusion bancaire ne se limite pas à l'accès au compte. C'est aussi l'accès aux services bancaires, en particulier aux petits crédits ou aux microcrédits accompagnés, jusqu'à 5 000 euros pour des crédits personnels ou 25 000 euros pour des microcrédits professionnels. Nous travaillons à ce sujet avec les associations et les banques. L'encours des microcrédits a ainsi augmenté de 32 % en trois ans. Ceux-ci, distribués de manière raisonnable et avec un accompagnement, constituent une solution préférable aux crédits à la consommation, qui sont distribués parfois de façon irresponsable, car ils permettent d'éviter la constitution d'une bulle qui risquerait de mettre en péril la stabilité financière, à laquelle nous devons aussi veiller.

La Banque de France est attachée au développement d'une offre bancaire spécifique, plus large que le simple accès au compte. Cette offre va de pair avec un accompagnement, inhérent à une démarche d'inclusion bancaire et crucial pour une population en grande difficulté qui a besoin d'être aidée. Le législateur a prévu une offre spécifique. Elle n'est pas encore très développée. Il faut lui donner sa chance et nous partageons l'avis de la Cour des comptes à ce sujet. Il convient aussi d'analyser les raisons pour lesquelles elle n'a pas encore rencontré le succès : est-ce à cause de conditions tarifaires ? D'une mauvaise information de la clientèle ?

Un bon moyen de prévenir le surendettement serait d'exiger, à l'appui de toute demande de crédit d'un certain montant, la production des derniers relevés bancaires, afin de pouvoir évaluer de façon précise la situation du demandeur, ses crédits en cours, sa capacité de remboursement, etc. Le crédit de trop est souvent un crédit à la consommation, souvent un crédit renouvelable souscrit sur le lieu de vente. On connaîtrait ainsi les dettes non-financières du demandeur car, on le sait, dans les dossiers de surendettement, la part des dettes non-financières - pour payer l'eau, le loyer ou l'électricité par exemple - est plus importante. On aurait aussi une idée plus précise du revenu de la personne. Un fichier positif ne nous paraît pas la solution techniquement et juridiquement adaptée : très large, il serait inconstitutionnel...

Mme Michèle André , présidente . - Le Conseil constitutionnel s'est d'ailleurs déjà prononcé sur ce sujet à l'occasion de la loi « consommation » de 2014.

M. Jacques Fournier. - Trop restreint, il serait inefficace ! En Belgique, par exemple, où un tel fichier a été mis en place, le nombre des personnes ayant eu des incidents de paiements a augmenté l'an dernier, alors qu'il a diminué en France. Le Conseil national de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale s'est prononcé en faveur de notre proposition. Le Parlement européen, de son côté, a refusé toute mesure permettant d'avoir connaissance des lignes de prêts des personnes physiques, dans l'attente d'une solution adaptée et non intrusive.

Enfin l'éducation économique et financière constitue une part importante de l'action en faveur de l'inclusion bancaire. Sur le site de la Banque de France nous avons des rubriques spécialisées. D'ici à la fin de l'année, nous entendons former 14 000 travailleurs sociaux. En septembre, nous livrerons un kit destiné aux enseignants de l'Éducation nationale.

Mme Marie-France Beaufils . - Je suis dubitative à l'égard des propositions 4, 6 et 7 de la Cour des comptes. Je connais bien La Banque Postale. Mon département compte 42 % de logements sociaux, la population est très fragile. Chaque samedi les gens se présentent au guichet de la Poste pour savoir de quelle somme ils disposent sur leur compte pour faire leurs courses au marché ! Je tiens à saluer le travail accompli par les agents de La Poste, qui s'apparente à un travail social. Si l'on ferme des bureaux de poste, tant à la ville qu'en milieu rural, la situation s'aggravera.

Pourquoi vouloir enquêter sur les raisons de l'utilisation intensive du Livret A ? Il peut s'agir de personnes en situation d'interdit bancaire, de personnes qui préfèrent le Livret A par habitude, de personnes âgées, qui n'ont plus confiance dans leur capacité à utiliser un chéquier ou une carte bancaire...Vous proposez des règles plus restrictives de domiciliation du Livret A et de restreindre son utilisation. Ne serait-ce pas, si je lis les annexes, en raison de l'exigence européenne d'encadrement des aides d'État pour compensation de service public ? Il importe au contraire de ne pas diminuer cette compensation de service public pour ne pas réduire les capacités d'intervention.

Deuxième point, l'exclusion numérique. Qui a déjà réussi à remplir un formulaire numérique avec un smartphone ? Est-il réaliste de demander aux gens d'utiliser internet à domicile et d'imprimer eux-mêmes les documents alors qu'ils ne disposent pas toujours d'une imprimante ?

Enfin, je suis inquiète. Les demandes relatives à des impayés s'accumulent dans mon centre communal d'action sociale. Ces impayés deviennent lourds. Des progrès ont été faits, beaucoup de prestations sont désormais attribuées en tenant compte des capacités financières et du quotient familial, mais je ne sais pas si le Président de la République poursuivra dans cette voie... Réduit-on vraiment le surendettement si les dettes à d'autres créanciers que des banques augmentent par ailleurs ?

Enfin, si l'on veut prévenir le crédit de trop, il faut interdire le crédit renouvelable !

M. Philippe Dominati . - Malheureusement, tous les élus sont régulièrement confrontés à des situations de surendettement. Il y a eu des avancées législatives. Les services de la Banque de France font preuve d'une grande réactivité et d'un grand souci d'accompagnement.

Toutefois j'aimerais savoir si La Banque Postale remplit bien sa mission. Le coût pour l'État de la compensation de service public à la Banque postale s'élève à 225 millions d'euros. Une étude d'évaluation qualitative a-t-elle été menée ? La description faite par Rémy Weber et Philippe Wahl est idyllique, mais je connais beaucoup de cas où les personnes ont attendu trois semaines avant de recevoir une réponse négative pour l'ouverture d'un compte, non signée.

Quelle est l'efficacité concrète du mécanisme de droit au compte sur le terrain ? Combien de refus de comptes ont eu lieu ? Ne faudrait-il pas raccourcir les délais ?

Mme Marie-Noëlle Lienemann . - Concentrer la mission des Points conseil budget (PCB) sur le conseil et l'accompagnement budgétaires, l'accès aux droits ainsi que l'accompagnement des personnes surendettées, comme le propose la Cour des comptes, serait une erreur. Les cas les plus délicats exigent du temps. S'agit-il de supprimer la médiation, comme celle que réalise, par exemple, l'association Crésus, entre les personnes surendettées et les établissements bancaires ? Cette tâche est essentielle. Si l'on restreint trop la mission des PCB, les personnes les plus en difficulté n'y iront plus. La prise en charge globale doit être conservée.

Le Conseil constitutionnel s'est prononcé sur le fichier d'alerte sur les crédits à la consommation. L'association Crésus a proposé aux banques la création d'un Observatoire, permettant, sur la base du volontariat, aux banques comme aux emprunteurs d'avoir accès à certaines données pour éviter la souscription du crédit de trop. Qu'en pensent la Cour des comptes, la Banque de France ou les banques ? Beaucoup de personnes tombent dans le surendettement car elles n'ont simplement pas conscience des risques qu'elles prennent en souscrivant des crédits.

M. Philippe Dallier . - Le taux de bancarisation s'élève à 96%. Qui sont les 4 % restants ? Il est très difficile de se passer de tout service bancaire aujourd'hui.

M. Claude Raynal . - Quelle évaluation faites-vous de de la loi du 26 juillet 2013 ?

La création d'un fichier d'alerte est envisagée. Jacques Fournier en a évoqué les difficultés. Par qui serait-il géré : les banques, la Banque de France ?

Enfin, pourquoi n'interdit-on pas les crédits renouvelables ? Ont-ils un effet sur la croissance économique en soutenant la consommation ?

M. Bernard Lalande . - Plus on est pauvre, plus les risques sont élevés, plus les taux d'intérêts sont élevés ! Cela n'empêche pas les contentieux ! On s'efforce de créer grâce à la Banque de France et aux ministères un service de contentieux gratuit. La Banque de France a sollicité 157 millions d'euros de remboursement au titre de ses activités de médiation entre les prêteurs et les créanciers. Pourquoi les prêteurs ne prennent-ils pas à leur charge ce contentieux ? Ils ont tout à fait conscience des risques qu'ils prennent puisqu'ils exigent des taux d'intérêts plus élevés que ceux qu'ils ne consentent à ceux qui ont du patrimoine !

Mme Dominique Estrosi Sassone . - Je partage les inquiétudes de Marie-Noëlle Lienemann sur les missions des Points conseil budget, qui reposent, je le rappelle, sur la logique du volontariat. L'enjeu en France n'est pas tant l'accès au compte que son usage. La création d'un institut de l'inclusion bancaire avait été envisagée. Où en est ce projet ? Cela pose aussi la question de la définition précise des personnes fragiles et en difficulté.

M. Thierry Carcenac . - Plusieurs dispositifs existent pour favoriser l'inclusion bancaire et agir contre le surendettement. L'enjeu est d'informer les personnes concernées. C'est le rôle des centres communaux d'action sociale, c'est aussi celui des services sociaux des départements, qui travaillent en lien étroit avec la Banque de France. Les microcrédits professionnels sont fondamentaux. Des associations, comme l'association pour le droit à l'initiative économique (Adie), interviennent. Dans le Tarn, ce sont les services sociaux du département qui montent les dossiers, tandis que les conseillers en économie sociale et familiale jouent un rôle d'accompagnement essentiel. C'est la preuve que l'on ne peut créer un dispositif sans prévoir un service social à l'autre bout de la chaîne pour le mettre en oeuvre.

M. Michel Canevet . - Dispose-t-on d'études qualitatives sur les personnes concernées pour mieux appréhender la situation ? Rémy Weber a évoqué l'accompagnement par La Banque Postale des personnes en difficulté. Les élus ruraux sont inquiets de la fermeture de bureaux de Poste. Il conviendrait de mener une réflexion à ce sujet, pour ne pas aggraver l'exclusion dans ces zones. Enfin, comment sont financées les associations de médiation ? Disposent-elles de suffisamment de moyens ?

M. Philippe Guilbaud . - Les associations manquent cruellement de moyens ! La suppression du Point conseil budget de deuxième niveau (PCB 2) serait dommageable. On s'appuie beaucoup sur le Crédit municipal de Paris pour mener des négociations et faire des restructurations de dettes. Pour autant, il ne faut pas limiter le rôle des PCB 1 à une mission d'information. Nous faisons beaucoup d'accompagnement mais on manque de moyens pour répondre à la demande et suivre les gens de manière durable.

J'ai déjà dit ce que je pensais ces crédits renouvelables. Ils ne servent pas l'économie : l'argent que les clients perdent à payer les intérêts ne soutient pas la consommation.

Notre association a été reconnue comme PCB 1 mais, en dépit du label, nos moyens n'ont pas augmenté et restent insuffisants.

Mme Catherine Jeandel, responsable des partenariats de l'association « Nouvelle voie » . - Depuis que nous avons reçu le label PCB 1 en avril 2016, nous avons reçu plus de 2500 personnes en Île-de-France dans nos 80 points d'accueil. Notre mission est triple : aide à l'ouverture des droits, accompagnement budgétaire et accompagnement des dossiers de surendettement. Nous avons aussi lancé une étude d'impact social pour évaluer les effets de notre travail.

M. Philippe Guilbaud . - Nous travaillons en lien étroit en avec les travailleurs sociaux, les centres communaux d'action sociale, les conseillers en économie sociale et familiale, etc. Cette complémentarité est essentielle.

Mme Michèle André , présidente . - Et d'où viennent vos financements ?

M. Philippe Guilbaud . - Nous sommes financés par tous les niveaux des collectivités territoriales, sauf la région dont ce n'est pas la compétence : les villes, les départements, mais aussi l'État, à travers la politique de la ville, les caisses d'allocation familiales, la Fondation Abbé Pierre, la Fondation les Petits frères des pauvres, certaines entreprises et certaines caisses de retraite. Cela reste insuffisant pour faire face à la hausse des demandes.

M. Rémy Weber . - La Banque Postale, ainsi qu'un autre établissement bancaire, a toujours été favorable à un fichier positif ou d'alerte.

Ma description n'était pas idyllique. Sur le terrain, rien n'est simple ! Bien au contraire. Nos conseillers n'osent souvent pas délivrer en direct des lettres de refus, ce qui explique le détour par les services centraux et un délai de réponse de trois semaines. Il est en effet plus facile de dire non à distance. Je suis aussi soucieux de la sécurité de mes collaborateurs. Dans certains quartiers, ceux-ci exercent dans des conditions difficiles. Il suffit parfois d'un mot mal interprété pour être agressé physiquement. Je dois les protéger.

La consultation publique du comité consultatif du secteur financier (CCSF) de juillet dernier a montré la satisfaction de toutes les parties et des associations quant à la mission d'accessibilité de La Banque Postale. Même les autres banques, nos concurrents, se sont abstenues de façon bienveillante. Nous traitons tous nos clients de la même façon. Les personnes qui ne sont pas bancarisées disposent souvent d'un Livret A.

M. Thierry Laborde . - Notre taux de bancarisation est parmi les plus élevés au monde. La question est celle, en effet, de l'usage du compte. Pour cela, il faut de la pédagogie, proposer des solutions alternatives, développer des systèmes d'alertes en cas de demandes de paiement imminentes, etc. La profession bancaire réclame depuis longtemps des suites concrètes au rapport de la Banque de France sur le surendettement qui remet en cause beaucoup d'idées reçues et identifie des pistes d'améliorations, impliquant les acteurs publics et privés, au-delà de la sphère financière. La proportion des dettes non financières dans les dossiers de surendettement est très élevée. C'est pourquoi il importe de comprendre comment on entre dans le surendettement, d'identifier les parcours. Quant au crédit renouvelable, en fin de compte, c'est le créancier qui est perdant. Le coût du dispositif public n'est pas comparable au coût, pour le privé, des dettes non remboursées ! Je rappelle enfin que le montant d'utilisation moyen d'un crédit renouvelable en retirage est de 48 euros. La loi Lagarde a limité le montant des crédits renouvelables. Ces petits crédits sont un moyen pour certains ménages d'avoir accès à un crédit, auquel ils n'auraient pas accès autrement.

M. Jacques Fournier. - Nous ne recommandons pas la création d'un Observatoire sur la base du volontariat car, comme tous les organismes de crédit ne sont pas désireux d'y participer, l'outil ne serait pas efficace. Une réflexion est en cours sur le rôle des Points conseil budget. Nous les soutenons, tout en veillant à éviter des doublons.

L'encours des crédits renouvelables s'élève à 19 milliards d'euros. Ces crédits constituent un soutien à l'économie. Ils bénéficient à toutes les tranches de revenus, puisque moins de la moitié des encours sont détenus par des personnes du premier quartile de revenus et la plupart ne sont pas en situation de précarité. Plus qu'une interdiction qui porterait atteinte à la liberté du commerce, nous préférons l'accompagnement et le contrôle des abus.

Le rapport sur l'inclusion bancaire, consultable sur le site de la Banque de France, comprend des données chiffrées et des analyses qualitatives. Dans nos réflexions futures, nous tiendrons compte du contenu de nos échanges et des travaux de la commission des finances du Sénat.

Mme Michèle André , présidente . - Je laisse le soin de conclure à Monique Saliou que je remercie pour ses éclairages techniques et pour avoir su mettre en avant la dimension humaine. Il reviendra au Parlement de se saisir à nouveau de la question du surendettement. La première loi sur le sujet a été votée il y a trente ans, à l'initiative de Véronique Neiertz. Le débat a été riche en 2014. J'espère que nos débats d'aujourd'hui nourriront la réflexion future.

Mme Monique Saliou . - L'accompagnement des personnes surendettées est fondamental. Le rôle des PCB 1 est donc central. Nous ne recommandons pas la suppression des PCB 2 existants qui font de la médiation. L'association Crésus ou le Crédit municipal à Paris font un travail remarquable. Mais faut-il généraliser ? Ce serait contreproductif car toutes les associations ne sont pas prêtes à assumer cette mission. Attendons la fin de l'expérimentation.

Nous avons abordé la question du fichier positif sous l'angle du coût, financier comme humain. N'oublions pas que les personnes surendettées sont plus souvent malades que les autres. Le surendettement a un coût financier tant pour les organismes de crédit, qui peuvent certes se rattraper grâce aux taux d'intérêts, que pour les finances publiques : l'État rembourse à la Banque de France le coût du secrétariat de la commission de surendettement et en cas de faillite personnelle, l'État abandonne des créances (impôts locaux, frais de cantines, etc.) Il existe une marge de progrès dans la prévention du surendettement. Un fichier positif, allégé par rapport à celui censuré par le Conseil constitutionnel, est une piste. Nous proposons que la Banque de France gère ce fichier, même si elle n'est guère enthousiaste à cette idée.

Le droit au compte constitue la clef de voûte du dispositif pour l'inclusion bancaire. Il y a une marge de progrès pour l'offre spécifique. Il existe d'autres possibilités comme le compte Nickel ou ses concurrents. Une loi a été votée en 2013 de manière consensuelle : appliquons-là. Elle monte en puissance.

En matière d'accessibilité bancaire, le rôle d'accompagnement de La Banque Postale des personnes défavorisées, qui ont besoin d'un guichet et d'être aidées, est essentiel. Ce rôle se limite-t-il à l'ouverture d'un Livret A ? Faut-il enfermer ces personnes dans ce cadre ? Derrière ces questions, se pose la question du financement : dans la mesure où ces comptes sont adossés au Livret A, c'est le fonds d'épargne qui est mis à contribution et qui rembourse La Banque Postale. Si on reconnaît, comme nous le jugeons nécessaire, une mission de service public élargie à l'accès aux espèces ou l'accès à un guichet, il faudra reposer la question des modalités de financement.

La commission a autorisé la publication de l'enquête de la Cour des comptes et du compte rendu de l'audition en annexe à un rapport d'information de Mme Michèle André.

ANNEXE - COMMUNICATION DE LA COUR DES COMPTES À LA COMMISSION DES FINANCES

Ce document est consultable en version pdf .


* 1 Loi n° 2013-672 du 26 juillet 2013 de séparation et de régulation des activités bancaires.

* 2 Loi n° 2010-737 du 1 er juillet 2010 portant réforme du crédit à la consommation et loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation.

* 3 « Panorama et bilan des réformes en matière de crédit à la consommation et de prévention du surendettement intervenues au cours de la période 2010-2015 », cabinet Athling, avril 2016.

* 4 Rapport annuel 2016 de l'Observatoire de l'inclusion bancaire, juin 2017.

* 5 Assemblée nationale, compte-rendu de la première séance du 14 février 2013.

* 6 Les demandeurs d'asile ou personnes réfugiées, personnes illettrées, personnes vulnérables.

* 7 Communication de la Cour des comptes à la commission des finances du Sénat, page 141.

* 8 Communication de la Cour des comptes à la commission des finances du Sénat, page 9.

* 9 Loi n° 65-570 du 13 juillet 1965 portant réforme des régimes matrimoniaux.

* 10 Voir par exemple le décret n°85-1073 du 7 octobre 1985 pris pour l'application de l'article 1 er (3°) de la loi du 22 octobre 1940 modifiée relative aux règlements par chèques et virements.

* 11 Loi n° 84-46 du 24 janvier 1984 relative à l'activité et au contrôle des établissements de crédit.

* 12 Loi n° 89-1010 du 31 décembre 1989 relative à la prévention et au règlement des difficultés liées au surendettement des particuliers et des familles.

* 13 Ce fichier recense les informations sur les incidents de remboursement des crédits aux particuliers et sur les mesures de traitement des situations de surendettement. Selon les données de la Banque de France, qui en assure la gestion, plus de 2,6 millions de personnes y sont inscrites fin 2016.

* 14 Loi n° 2010-737 du 1er juillet 2010 portant réforme du crédit à la consommation et loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation.

* 15 « Panorama et bilan des réformes en matière de crédit à la consommation et de prévention du surendettement intervenues au cours de la période 2010-2015 », cabinet Athling, avril 2016.

* 16 Loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXI e siècle.

* 17 Loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique.

* 18 Communication de la Cour des comptes à la commission des finances du Sénat, page 23.

* 19 « Household Finance and Consumption Survey » (HSCF), Banque centrale européenne, 2014.

* 20 Communication de la Cour des comptes à la commission des finances du Sénat, page 20.

* 21 Directive 2014/92/UE du Parlement européen et du Conseil du 23 juillet 2014.

* 22 Selon les estimations de l'association UFC-Que Choisir, cité par le rapport n° 422 (2012-2013) fait au nom de la commission des finances sur le projet de loi de séparation et de régulation des activités bancaires, par Richard Yung, page 234.

* 23 Loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l'économie.

* 24 Enquête typologique 2016 sur le surendettement des ménages, Banque de France, février 2017.

* 25 Assemblée nationale, compte-rendu de la troisième séance du 10 juin 2008.

* 26 « Rapport de la mission sur la modernisation de la distribution du Livret A et des circuits de financement du logement social » présidée par Michel Camdessus, décembre 2007, page 33.

* 27 La saisine de la Banque de France est alors directement effectuée par l'établissement de crédit ayant refusé la demande d'ouverture de compte.

* 28 Rapport annuel 2016 de l'Observatoire de l'inclusion bancaire, juin 2017, pages 18-19.

* 29 Rapport annuel 2016 de l'Observatoire de l'inclusion bancaire, juin 2017, page 19.

* 30 Communication de la Cour des comptes à la commission des finances du Sénat, page 138.

* 31 Rapport annuel 2016 de l'Observatoire de l'inclusion bancaire, juin 2017, page 64.

* 32 L'article L. 221-2 du code monétaire et financier impose à La Banque Postale d'ouvrir un Livret A à toute personne qui en fait la demande. L'article R. 221-3 du même code prévoit en outre un montant dérogatoire plus faible pour le montant minimal des opérations individuelles de retrait ou de dépôt sur un Livret A de La Banque Postale.

* 33 Philippe Marini, rapporteur du projet de loi pour la commission des finances, insistait d'ailleurs sur ce point devant le Sénat le 3 juillet 2008 : « La Banque Postale, nous le savons bien, est récente dans ses fonctions concurrentielles. Il lui faut du temps pour s'adapter, pour se développer, tout en maintenant ses spécificités, son fonds de commerce et le plus grand nombre possible de points d'implantation sur le territoire.

Si l'on ne reconnaissait pas dans la réforme une fonction spécifique à la Banque Postale, celle-ci serait extrêmement fragilisée et ses clients les plus en difficulté en souffriraient les premiers. »

* 34 Assemblée nationale, compte-rendu de la troisième séance du 10 juin 2008.

* 35 Avis sur la consultation publique relative à la mission d'accessibilité bancaire confiée à La Banque Postale, CCSF, 12 juillet 2016.

* 36 Voir la communication de la Cour des comptes page 67 et annexe n° 17. La diminution du nombre d'agences bancaires au Royaume-Uni a conduit à la signature, sous l'impulsion du gouvernement, d'un accord entre la quasi-totalité des banques britanniques et le réseau des bureaux de poste afin de permettre aux usagers des réseaux bancaires d'effectuer la plupart de leurs opérations bancaires courantes dans l'un des 11 600 bureaux de poste du pays.

* 37 Il doit être relevé que dès 2008, le fondement de la mission d'accessibilité bancaire au titre du Livret A était discuté. Gérard Longuet, s'exprimant devant le Sénat le 3 juillet 2008, déclarait ainsi que « l'effort significatif de l'État au bénéfice de La Banque Postale doit, à mon avis, être plus rattaché à sa fonction d'aménagement du territoire qu'à sa fonction d'accessibilité bancaire par le Livret A ».

* 38 « Moins de surendettés mais des surcoûts bancaires lourds pour les plus fragiles », La Tribune, 26 juin 2017.

* 39 La loi impose à La Poste de maintenir 17 000 points de contact sur le territoire.

* 40 Communication de la Cour des comptes à la commission des finances du Sénat, page 166.

* 41 « Moins de surendettés mais des surcoûts bancaires lourds pour les plus fragiles », La Tribune, 26 juin 2017.

* 42 Voir le rapport du groupe de réflexion présidé par Emmanuel Constans dans le cadre du CCSF : « La définition et la mise en oeuvre d'une stratégie nationale en matière d'éducation financière », février 2015.

* 43 La loi n° 89-1010 du 31 décembre 1989 relative à la prévention et au règlement des difficultés liées au surendettement des particuliers et des familles.

* 44 Déclaration de Michel Rocard, Premier ministre, sur la loi sur le surendettement des ménages, Paris le 9 mars 1990.

* 45 Carte bancaire sans autorisation systématique, chéquier.

* 46 Voir par exemple le rapport d'information n° 273 (2012-2013) fait au nom de la commission des affaires économiques, de la commission des finances, de la commission des lois et de la commission des affaires sociales, « Répertoire national des crédits aux particuliers : une contribution à la décision », 22 janvier 2013.

* 47 Voir par exemple « Le fichier positif : serpent de mer ou Léviathan ? », Hélène Claret, La semaine juridique n° 25, 17 juin 2013.

* 48 Décision n° 2014-690 DC du 13 mars 2014, cons. 57.

* 49 Rapport « Fichier positif et prévention du surendettement », Emmanuel Constans, Président du CCSF, juin 2015, page 31.

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