Rapport d'information n° 689 (2016-2017) de M. Simon SUTOUR , fait au nom de la commission des affaires européennes, déposé le 27 juillet 2017

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N° 689

SÉNAT

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2016-2017

Enregistré à la Présidence du Sénat le 27 juillet 2017

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des affaires européennes (1) sur le volet méditerranéen de la politique de voisinage : le cas de l' Algérie ,

Par M. Simon SUTOUR,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Jean Bizet, président ; MM. Michel Billout, Michel Delebarre, Jean-Paul Émorine, André Gattolin, Mme Fabienne Keller, MM Yves Pozzo di Borgo, André Reichardt, Jean-Claude Requier, Simon Sutour, Richard Yung, vice-présidents ; Mme Colette Mélot, M Louis Nègre, Mme Patricia Schillinger, secrétaires , MM. Pascal Allizard, Éric Bocquet, Philippe Bonnecarrère, Gérard César, René Danesi, Mme Nicole Duranton, M. Christophe-André Frassa, Mmes Joëlle Garriaud-Maylam, Pascale Gruny, M. Claude Haut, Mmes Sophie Joissains, Gisèle Jourda, MM. Claude Kern, Jean-Yves Leconte, François Marc, Didier Marie, Robert Navarro, Georges Patient, Michel Raison, Daniel Raoul, Alain Richard, Alain Vasselle.

AVANT-PROPOS

La révision de la politique européenne de voisinage, en décembre 2015, a contribué à conférer un deuxième souffle à la relation entre l'Union européenne et l'Algérie. Les autorités algériennes, elles-mêmes auparavant réservées sur le bien-fondé de l'accord d'association signé en 2002, semblent également en demande d'un approfondissement de ces liens. Elles entendent ainsi que soient valorisés la position géostratégique du pays, dans un contexte régional tendu, et son apport à la politique énergétique de l'Union européenne. Elles souhaitent, dans le même temps, que ce rapprochement puisse faciliter une modernisation de ses structures économiques, rendue indispensable par l'évolution des prix des hydrocarbures, sa principale ressource.

Le déplacement de votre rapporteur en Algérie du 6 au 9 juillet 2016 a permis d'évaluer la position des autorités locales quant au rapprochement avec l'Union européenne. Il s'agissait également d'observer sur place la mise en oeuvre concrète de l'accord d'association au travers des jumelages institutionnels ou de l'activité des entreprises européennes installées sur le territoire algérien.

Il a constitué, en outre, l'occasion de vérifier la pertinence de quelques-unes des recommandations de la résolution européenne du Sénat adoptée en juin 2016 sur la révision du volet méditerranéen de la politique de voisinage. Il a ainsi pu recueillir l'appréciation des autorités algériennes sur la nécessité pour l'Union européenne de relancer des projets d'intégration régionale à l'instar de l'Union du Maghreb arabe, du dialogue 5+5 et de l'Union pour la Méditerranée.

L'ALGÉRIE EN QUELQUES CHIFFRES

Superficie : 2 381 740 km 2

Population : 39,2 millions d'habitants

Taux de fécondité : 2,86 enfants par femme

Densité : 16 habitants au km 2

PIB (2014) : 214,08 milliards de dollars

Part des principaux secteurs d'activités dans le PIB (2015) :

- Agriculture : 11 %

- Industrie : 46 %

- Services : 43 %

PIB par habitant en SPA (2014) : 14 259 dollars 1 ( * )

Taux de croissance (estimation 2017) : 1,3 %

Solde budgétaire (estimation 2017) : - 3 % du PIB

Taux d'endettement (2017) : 18,3 % du PIB

Taux d'inflation (février 2017) : 7,7 %

Taux de chômage (septembre 2016) : 10,5 %

Principaux clients : Espagne, Italie, France, Royaume-Uni

Principaux fournisseurs : Chine, France, Italie, Espagne

I. UN RAPPROCHEMENT CONSTANT AVEC L'UNION EUROPÉENNE...

Les relations entre l'Algérie et la Communauté économique européenne ont été établies dans la foulée de l'accession à l'indépendance de l'ancien département français. Il s'agissait, en premier lieu, de permettre aux produits algériens - produits agricoles, vin - de continuer à accéder au marché européen.

À l'instar du Maroc et de la Tunisie, l'Algérie a été intégrée en 1972 au sein de l'Approche globale méditerranéenne développée par la Communauté. En 1976 a été signé un accord de coopération, d'une durée illimitée, destiné à contribuer au développement économique et social de l'Algérie. Ce document comprend trois volets :

- un volet commercial : des concessions sont octroyées aux exportations algériennes sur le marché européen. Seuls les produits agricoles sont soumis à un contingentement ;

- un volet économique et financier : la Communauté finance des projets dans ce domaine via des protocoles quinquennaux. Quatre protocoles ont été mis en oeuvre entre 1976 et 1995 ;

- un volet social : celui-ci est resté en large partie inappliqué, les accords bilatéraux passés entre certains États membres et l'Algérie s'avérant plus ambitieux que l'accord de coopération.

La nouvelle approche méditerranéenne développée par l'Union européenne à partir de 1991 conduit à privilégier progressivement un objectif de coopération sur le soutien aux réformes économiques et sociales.

A. L'ACCORD D'ASSOCIATION

La Déclaration de Barcelone de novembre 1995, qui jette les bases d'un Partenariat euro-méditerranéen, contribue à dépasser ce cadre en dressant les contours d'une coopération plus étendue, abordant notamment les questions politiques et culturelles et plaçant les relations entre l'Union européenne et les pays de la rive Sud de la Méditerranée dans une perspective régionale.

C'est dans ce contexte qu'ont été signés plusieurs accords d'association entre l'Union européenne et ses partenaires de la rive Sud. L'accord d'association entre l'Algérie et l'Union européenne a été signé le 22 avril 2002 , six ans après l'adoption d'un traité équivalent entre l'Union européenne et le Maroc. Il est entré en vigueur le 1 er janvier 2005.

Le texte vise en premier lieu le développement des échanges. Il s'agissait d'établir progressivement une zone de libre-échange entre l'Union européenne et l'Algérie à l'issue d'une période transitoire de douze ans. L'accord prévoyait une clause de rendez-vous cinq ans après son entrée en vigueur afin d'aboutir à une plus grande libéralisation du commerce des produits agricoles à partir de la sixième année, soit 2011. La coopération économique que l'accord d'association institue vise, par ailleurs, la coopération régionale, les sciences et techniques, l'environnement, l'industrie, la protection et la promotion des investissements, la mise en avant de normes communes et le rapprochement des législations, les services financiers, l'agriculture et la pêche, les transports, les télécommunications et la société de l'information, l'énergie et les mines, le tourisme et l'artisanat, les douanes et les statistiques ainsi que la protection des consommateurs

En ce qui concerne les services , l'Union européenne est tenue d'accorder un traitement non moins favorable aux fournisseurs algériens que celui accordé aux fournisseurs issus des États membres. À l'inverse, l'Algérie accorde aux fournisseurs de services européens un traitement non moins favorable que celui accordé à ses entreprises. La conclusion d'un accord d'intégration économique est par ailleurs envisagée.

Le texte prévoit, en outre, une coopération dans le domaine de la justice et des affaires intérieures visant le renforcement des institutions et de l'État de droit, la libre circulation des personnes, la réadmission, la prévention et la lutte contre la criminalité organisée, contre le terrorisme, contre le blanchiment de l'argent, contre le racisme et la xénophobie, contre la drogue ainsi que contre la corruption.

Dans le domaine social, l'accord d'association vise à mettre en place un régime fondé sur la non-discrimination pour les travailleurs des deux parties en ce qui concerne les conditions de travail, de rémunération et de licenciement. La coordination des régimes de sécurité sociale est également visée.

L'accord vise enfin à promouvoir un dialogue culturel et une coopération soutenue sans exclure a priori un domaine d'activité. Une attention particulière est portée à l'encouragement des échanges de jeunes, à la presse et l'audiovisuel. L'accord concerne également la protection du patrimoine, les traductions, la formation et les échanges des expositions d'art et des artistes, ainsi que la coopération en matière de formation et d'éducation.

Le Conseil d'association (niveau ministériel) et le Comité d'association (niveau administratif) sont en charge de la mise en oeuvre de l'accord. Ils ont été installés en janvier 2005. Des sous-commissions techniques ont également été créées. Elles couvrent cinq domaines :

- l'accompagnement des réformes économiques ;

- les politiques commerciales ;

- l'énergie ;

- la circulation des personnes ;

- la lutte contre le terrorisme.

B. LA MISE EN PLACE DE L'ACCORD

Une feuille de route adoptée en 2008 a initialement constitué le cadre pour la mise en oeuvre de cet accord, avec pour objectif l'accès en franchise de droits pour les exportations industrielles algériennes ainsi que plusieurs préférences agricoles. L'objectif était de parvenir à une libéralisation progressive d'ici 2017.

L'Algérie bénéficie de financements spécifiques de la part de l'Union européenne dans le cadre de l'accord d'association. Avant l'entrée en vigueur de l'accord, les programmes de coopération mis en place entre 1995 et 2006 ont ainsi été subventionnés à hauteur de 500 millions d'euros par l'Union européenne (crédits MEDA I et II). L'Algérie a, en outre, bénéficié de prêts de la Banque européenne d'investissement dont le montant dépasse 2,2 milliards d'euros. Le programme indicatif national (PIN), qui couvre la période 2007-2010, se traduit par un engagement financier de l'Union européenne d'un montant de 184 millions d'euros. Le PIN 2011-2013 a, quant à lui, été doté de 172 millions d'euros. Il était concentré sur deux priorités : soutien à la croissance économique et à l'emploi, d'un côté, et actions en faveur du développement durable et culture, de l'autre. 10 millions d'euros supplémentaires ont été accordés à l'Algérie en 2011 dans le cadre du programme SPRING lancé par la Commission européenne en septembre 2011, quelques mois après le « Printemps arabe ». Ce nouveau fonds de soutien au partenariat, à la réforme et à la croissance inclusive, doté de 350 millions d'euros, était destiné à répondre aux défis socio-économiques urgents auxquels devaient faire face les pays de la rive Sud de la Méditerranée et permettre l'accompagnement du processus de transition démocratique. Les financements s'effectuaient sur la base d'une évaluation des avancées du pays en matière démocratique, selon le principe « More for more ». Plus un pays est engagé sur la voie de la modernisation politique et institutionnelle, plus le financement est important.

Les crédits accordés à la coopération avec l'Algérie pour la période 2014-2020 sont compris entre 221 et 270 millions d'euros. Le PIN 2014-2017 est doté d'une somme comprise entre 120 et 148 millions d'euros, selon la répartition suivante :

- réforme du marché du travail et création d'emplois : 30 % ;

- soutien à la diversification de l'économie : 30 % ;

- soutien aux réformes et au renforcement de la participation des citoyens à la vie publique : 25 % des crédits ;

- action complémentaire en faveur de la société civile : 15 % des crédits.

Des crédits sont également fléchés vers des projets culturels ou touristiques. Il en va ainsi de la rénovation de la Casbah d'Alger (8 millions d'euros). Des programmes de formations des archéologues bénéficient également de concours européens.

Trois conventions de financement ont été signées à l'occasion du dixième Conseil d'association Union européenne - Algérie du 13 mars dernier. Elles concernent :

- le soutien à la réforme des finances publiques afin d'améliorer les conditions d'investissement (10 millions d'euros) ;

- le soutien aux énergies renouvelables pour renforcer l'efficacité énergétique (10 millions d'euros) ;

- un appui à la mise en oeuvre de l'accord d'association (20 millions d'euros).

La question de l'énergie fait l'objet d'un suivi particulier depuis la mise en place d'un partenariat stratégique énergétique Union européenne-Algérie en septembre 2013. L'Algérie est le troisième fournisseur de gaz de l'Union européenne, derrière la Russie et la Norvège. Elle est, à ce titre, considérée par l'Union européenne comme un partenaire stratégique et fiable pour les approvisionnements énergétiques de l'Union européenne non seulement en matière de gaz naturel, dont elle assure les approvisionnements régulièrement et sans interruption y compris durant la guerre civile, mais aussi en matière de pétrole brut. Ce partenariat couvre l'ensemble des sujets d'intérêt commun : hydrocarbures, énergies renouvelables, efficacité énergétique, réforme du cadre législatif et réglementaire, intégration progressive des marchés de l'énergie, développement des infrastructures d'intérêt commun, transfert de technologie et développement local. Une attention particulière est accordée à la facilitation et à la promotion des investissements européens dans les secteurs du gaz naturel, des énergies renouvelables et de l'efficacité énergétique en Algérie. Il a débouché, en mai 2015, sur l'institution d'un dialogue à haut niveau annuel réunissant le commissaire européen à l'énergie et le ministre algérien chargé du sujet. L'organisation, en mai 2016, d'un forum euro-algérien des affaires dans l'énergie est venue compléter ce dispositif.

Il convient de relever que l'Union pour la Méditerranée (UpM) aurait pu, dans ce contexte, avoir un rôle particulier à jouer, en faveur notamment d'une diversification de la production énergétique algérienne, via le Plan solaire méditerranéen (PSM). Lancé en novembre 2008, celui-ci explore les possibilités de développer des sources d'énergie alternatives dans la région méditerranéenne. L'objectif affiché est d'atteindre une puissance installée totale de 20 000 mégawatts (MW) à horizon 2020, dont 5 000 à réexporter vers l'Europe. Une centrale combinant gaz et usage thermique du soleil (centrale thermosolaire à cycle combiné intégré) a ainsi été ouverte en juillet 2011 en Algérie, près de Hassi R'Mel. Le PSM devait constituer le premier jalon de la future Communauté méditerranéenne de l'énergie. Aucune suite n'a pour l'heure été donnée à ce projet. L'intégration progressive des marchés maghrébins d'électricité, annoncée dans la déclaration d'Alger du 20 juin 2010 signée par l'Algérie, le Maroc et la Tunisie et soutenue par l'Union européenne, semble également au point mort.

L'Algérie a annoncé de son côté, en janvier 2015, vouloir revoir à la hausse la capacité de production de ses projets en énergies renouvelables. Elle a fixé à 22 % la part des énergies renouvelables dans son mix énergétique à l'horizon 2030, atteignant ainsi 25 000 MW, contre 12 000 aujourd'hui. Un programme d'investissement de 60 milliards de dollars, ouvert à la participation de l'Union européenne, a été mis en place afin de souscrire à cet objectif. Elle a lancé, en avril 2017, un premier appel d'offres à investisseurs pour la construction de centrales solaires photovoltaïques d'une capacité totale de 4 050 MW et appelle au soutien de l'Union européenne pour inciter les entreprises européennes à y participer.

C. LE PROGRAMME D'APPUI À L'ACCORD D'ASSOCIATION : MATÉRIALISATION DE LA COOPÉRATION ENTRE L'UNION EUROPÉENNE ET L'ALGÉRIE

La concrétisation de l'accord passe, depuis 2007, par le Programme d'appui à la mise en oeuvre de l'Accord d'association (P3A). Ce programme est financé par l'Union européenne et géré par le ministère du commerce algérien. Il est tourné vers les administrations et les institutions algériennes concernées par l'accord d'association. Le P3A était initialement doté d'un financement de 10 millions d'euros sur quatre ans. La deuxième phase du programme (2012-2014) a été abondée à hauteur de 29 millions d'euros. La troisième phase devrait se conclure en décembre 2017, 35 millions d'euros y sont dédiés.

Le P3A dispose de plusieurs instruments pour mener à bien son action : les jumelages institutionnels, TAIEX et Sigma. Ces dispositifs requièrent une expertise publique. Des actions ponctuelles sont menées dans le domaine privé.

Créé en 1998 au niveau européen dans le cadre de la préparation à l'élargissement puis étendu à la politique de voisinage, le « jumelage institutionnel » permet à une administration de bénéficier d'institutions d'un ou plusieurs États membres pour adapter la réglementation locale à l'accord d'association. Il s'agit ainsi de favoriser un rapprochement avec l'acquis communautaire. Les jumelages impliquent que le bénéficiaire et le partenaire s'engagent à atteindre un résultat défini en commun dans un contrat. Cette coopération prend la forme de visites d'étude, de missions d'expertise, d'échanges de bonnes pratiques. Un conseiller résident, issu de l'administration de l'État membre de l'Union européenne concerné par le jumelage, est présent en Algérie. Depuis la mise en place du P3A, 37 contrats de jumelage ont été signés, associant plusieurs États membres : Allemagne, Autriche, Belgique, Espagne, France, Italie, Portugal, Royaume-Uni.

Cinq jumelages ont été menés à bien entre 2008 et 2011 (P3A I). Ils concernaient les impôts, la qualité des infrastructures, la qualité de l'eau, l'artisanat et les règles de concurrence. Neuf jumelages ont été lancés et clôturés au titre du P3A II (2012-2014). Ils visaient la pêche et l'agriculture, la sécurité aérienne, l'amélioration de la législation ou le commerce extérieur. Seize jumelages sont actuellement mis en oeuvre au titre du P3A III (2014-2017) visant le développement durable et l'environnement, la régulation des énergies, la gestion du réseau routier et des ouvrages d'art, la Direction générale des impôts, l'amélioration des capacités institutionnelles de la Cour des comptes, le renforcement de l'administration pénitentiaire, le cadastre, la sécurité civile et la sécurité routière, l'insertion des personnes handicapées dans le monde du travail ou le développement des techniques d'information et de communication.

Les actions d'assistance technique et d'échanges d'informations (TAIEX) ont également été mises en oeuvre dans le cadre de la politique d'adhésion puis intégrées en 2007 au sein de la politique de voisinage. Il s'agit de permettre aux administrations concernées de bénéficier d'une assistance technique ciblée et à court terme. Elles doivent permettre le rapprochement de la législation avec les normes européennes et l'établissement de besoins d'assistances futurs. Des missions d'experts, des séminaires ou des visites d'étude au sein de l'Union européenne peuvent ainsi être organisés. 118 missions TAIEX ont été menées entre 2009 et 2016 en Algérie, dont 16 sur l'année 2016. Ces dernières ont consisté notamment en l'organisation de séminaires sur les enjeux du numérique dans l'accès aux soins, le développement de l'enseignement supérieur et de la recherche, la légistique, la définition du seuil de pauvreté, l'accompagnement social des personnes âgées et dépendantes, l'accessibilité des handicapés.

LA COOPÉRATION ENTRE LE SÉNAT ET LE CONSEIL DE LA NATION

Les jumelages dans le cadre européen n'excluent pas les coopérations bilatérales. Le Sénat travaille ainsi avec le Conseil de la Nation, la chambre haute du parlement algérien.

Un protocole de coopération parlementaire a été signé à Alger le 8 septembre 2015 par les Présidents Gérard Larcher et Abdelkader Bensalah. Il a pour objectif de développer les relations bilatérales sur des questions d'intérêt commun, notamment l'aménagement du territoire, la coopération décentralisée, l'environnement, les échanges économiques ou encore la coopération culturelle et la lutte contre le terrorisme. Il vise également à favoriser les échanges d'expériences et de savoir-faire en matière juridique, de procédure législative, de contrôle, d'administration ou de communication parlementaire.

En application de ce protocole, le Premier Forum de coopération parlementaire entre le Sénat et le Conseil de la Nation s'est tenu à Paris les 19 et 20 septembre 2016.

Le programme de Soutien à l'amélioration de la gouvernance et des systèmes de gestion (SIGMA), élaboré par l'Union européenne et l'OCDE - qui en assure la mise en oeuvre -, est concentré sur la réforme de l'administration publique : gestion de la fonction publique et des ressources humaines, responsabilisation des institutions publiques, organisation efficace du service public et gestion des dépenses. Ce dispositif, créé en 1992, a été étendu à la politique de voisinage en 2009. Il est utilisé en Algérie depuis 2011.

Les actions ponctuelles répondent à des demandes d'appui urgentes. Elles sont orientées vers les administrations, les institutions publiques et les associations professionnelles. Elle servent notamment à accompagner des démarches novatrices, dispenser des formations, mettre en place des systèmes de gestion ou réaliser des enquêtes et des études. 85 actions ponctuelles ont été initiées depuis la création du P3A. Elles concernent le commerce, la justice, l'industrie, les finances, le tourisme ou l'artisanat.

*

Le succès quantitatif du P3A ne saurait cependant masquer un relatif désintérêt des autorités algériennes à l'égard de l'accord d'association à partir de 2010. La pertinence de l'accord au regard du modèle économique algérien a ainsi été remise en cause, créant les conditions d'un climat de défiance.

II. ... MAIS RALENTI PAR UN CONTEXTE POLITIQUE ET ÉCONOMIQUE PEU PROPICE

A. UNE PRATIQUE POLITIQUE LONGTEMPS EN DÉCALAGE AVEC LES VALEURS DÉFENDUES PAR L'UNION EUROPÉENNE

1. L'Algérie et le « Printemps arabe »

L'Algérie n'a pas véritablement été concernée par le « Printemps arabe ». Face aux manifestations de janvier et février 2011 contre l'augmentation des prix des denrées alimentaires (hausse des prix de l'huile et du sucre), le gouvernement avait néanmoins indiqué son intention de procéder à des réformes institutionnelles et décidé la levée de l'état d'urgence, en vigueur depuis 1992.

Certes, six lois organiques ont bien été adoptées début 2012. La Commission européenne relevait toutefois en mars 2014 que les décrets d'application n'avaient toujours pas été adoptés. La réélection, avec 81,53 % des voix, d'Abdelaziz Bouteflika, à la tête de l'État le 17 avril 2014 - il est en poste depuis 1999 - et la mise en place d'un nouveau gouvernement - où sont alors entrées sept femmes pour la plupart issues de la société civile - ont été l'occasion de réaffirmer la volonté de procéder à des réformes constitutionnelles, sans avancée tangible depuis.

Le processus de réforme a finalement été relancé en 2015, la réforme de la justice étant alors érigée en priorité nationale. Une stratégie a été dévoilée afin de moderniser le système judiciaire et renforcer la protection des droits fondamentaux. Un volet important concerne la refonte du système pénitentiaire. La réforme est toujours en cours.

La révision constitutionnelle annoncée en 2011 n'a finalement été effective que le 7 février 2016. Elle prévoit notamment la décriminalisation du délit de presse, la liberté d'exercice du culte, la criminalisation de la torture, le caractère exceptionnel de la détention provisoire, la protection des personnes vulnérables, l'amélioration de l'accès à la justice, la réintroduction de la limitation des mandats présidentiels à deux mandats consécutifs, la consolidation du contrôle constitutionnel au travers de la question d'exception d'inconstitutionnalité, et l'officialisation de la langue Amazigh (berbère). Plusieurs lois organiques ont été adoptées dans la foulée, permettant la mise en place du Conseil national des droits de l'Homme, la modification du Code électoral et la création d'une Haute instance indépendante pour la surveillance des élections (HIISE), composée à parité de juges nommés par le Conseil supérieur de la magistrature algérien et de membres de la société civile (410 membres). L'Autorité de régulation de l'audiovisuel a également été installée en juin 2016, même si le processus d'octroi d'autorisation de création d'un nouveau média implique toujours le ministre chargé de la communication. Le Parlement a, par ailleurs, adopté en 2015 une loi criminalisant les violences conjugales - dès lors que les femmes ne pardonnent pas - ainsi qu'une loi créant une pension alimentaire en cas d'absence du père ou de l'époux.

2. Une relative stabilité

Il n'existe pas de réelle pression populaire en faveur d'une évolution du régime, en dépit de l'impression de sclérose que peut dégager le pouvoir en place. Abdelaziz Bouteflika, âgé de 80 ans, dispose d'une réelle légitimité, acquise notamment à l'issue de la décennie noire. L'hypothèse d'une candidature à un cinquième mandat en 2019 n'apparaît d'ailleurs pas exclue.

Cet attentisme relève pour partie d'une certaine réserve à l'égard du « Printemps arabe », dont le régime algérien n'a cessé de souligner les risques en rappelant le souvenir de la guerre civile qui a frappé le pays dans les années quatre-vingt-dix. 200 000 personnes ont été tuées et 20 000 ont disparu au cours de la « décennie sanglante » . Les exemples libyens et syriens ou l'émergence du terrorisme au Sahel viennent étayer cette présentation d'un « Printemps arabe » synonyme de déliquescence des États. La présence de groupes terroristes sur son territoire - à l'instar d'AQMI (Al Qaeda pour le Maghreb islamique), issu du Groupe salafiste pour la prédication et le combat algérien - contribue à cette assimilation du « Printemps arabe » au djihadisme et donc à une menace pour la sécurité intérieure. L'attentat terroriste sur le site gazier de Tinguentourine en janvier 2013 (67 morts dont 37 étrangers), réalisé par un commando venu du Mali et composé de terroristes de différentes nationalités, est également venu corroborer ce raisonnement. Une branche d'AQMI a par ailleurs fait allégeance à Daech en septembre 2014, prenant le nom de Jound Al-Khilafa . Ce mouvement a revendiqué l'assassinat d'Hervé Gourdel en septembre 2014.

Compte tenu des réserves de la Commission européenne sur la démocratisation du pays, il n'est pas illogique que 40 % des crédits accordés au titre du PIN 2014-2017 soient concentrés sur le soutien aux réformes institutionnelles. Cette répartition fait écho à l'allocation de crédits prévue dans le cadre du programme SPRING.

Par ailleurs, la richesse relative du pays via ses réserves énergétiques a longtemps permis au pouvoir en place de financer la paix sociale par l'intermédiaire d'une politique de soutien des prix des produits de grande consommation (lait, sucre et huile), relancée après les événements de janvier et février 2011. La rente gazière a également permis la revalorisation du salaire minimum en janvier 2012, passé de 15 000 à 18 000 dinars par mois (150 euros - le salaire médian étant de 39 000 dinars), mais aussi l'amélioration de la rémunération des forces de l'ordre. L'absence d'unité au sein de l'opposition, son atomisation ne permet pas non plus de structurer un message contestataire. L'encadrement policier de la société ne facilite pas, de surcroît, toute expression. Le mouvement Barakat (« ça suffit ! »), issu de la société civile et composé en majorité de trentenaires, a néanmoins réussi une percée médiatique à l'occasion des dernières élections présidentielles en s'opposant à la nouvelle candidature d'Abdelaziz Bouteflika en 2014. Il traduit notamment l'émergence des réseaux sociaux dans le débat politique algérien et le rôle des jeunes, souvent au chômage. Il n'est pour autant pas possible à l'heure actuelle de juger de la capacité de ce mouvement, qui n'a pas participé à l'élection présidentielle, à perdurer et à trouver sa place sur l'échiquier politique et social. Le système politique algérien apparaît, en effet, tout aussi stable que complexe. Il reste cependant marqué par une certaine collégialité. D'autres acteurs issus de la société civile - le Forum des chefs d'entreprises ou l'Union générale des travailleurs algériens - s'y sont ainsi intégrés progressivement.

Cette atonie est néanmoins remise en cause en raison de la baisse marquée des prix des hydrocarbures et donc des revenus de l'État algérien. Dans ces conditions, la logique de subventions au coeur de l'action sociale du régime a été révisée. Or, si l'Algérie apparaît comme un pays plus riche que son voisin marocain, les disparités sociales y demeurent immenses. La donne démographique n'est par ailleurs pas à négliger : le nombre de naissances en Algérie a atteint un million en 2015, soit presque le double du taux de natalité en 2000 (600 000). La multiplication des affaires de corruption dans la sphère politico-économique contribue également à générer des tensions.

Les turbulences politiques qu'a connues le pays à la fin des années quatre-vingt (émeutes du 5 octobre 1988), conduisant tout à la fois à l'effondrement du parti unique mais aussi, quelques années plus tard, à la guerre civile, étaient pour partie liées à une chute des prix du baril. Les émeutes à Bejaïa (Kabylie, Nord-Est du pays) en janvier 2017 consécutives à une grève des commerçants contre une augmentation des taxes ainsi que dans les wilayas (équivalents de départements) de Bouira (Sud-Est d'Alger) et Boumerdès (Est d'Alger) n'ont, cependant, pas eu de suite. Les émeutes dans la wilaya de Gardhaïa (Centre du pays), en juin 2015, avaient de leur côté débouché sur l'arrestation de Kamal Eddine Fekhar, militant des droits de l'Homme et figure de l'opposition locale. Après plusieurs grèves de la faim, la libération de celui-ci est intervenue le 15 juillet 2017.

3. Les élections législatives du 4 mai 2017

Dans ce contexte, les élections législatives organisées le 4 mai dernier n'ont pas débouché sur une remise en question des équilibres politiques. Le taux de participation - 38,25 % des inscrits contre 42,90 % en 2012 - comme les votes blancs et nuls (21 % des suffrages exprimés) révèlent, à cet égard, un relatif désintérêt pour le scrutin.

L'organisation du vote a suscité de nombreuses réserves de la part de la Mission d'expertise électorale (MEE) dépêchée par l'Union européenne sur place. Sans remettre en cause le résultat, les quatre observateurs européens ont relevé une série d'anomalies. Ils s'interrogent notamment sur le fait que la Haute instance indépendante de surveillance des élections (HIISE) ne joue aucun rôle dans l'organisation même des scrutins et que ses attributions de supervision et de contrôle soient limitées. L'indépendance même de la Haute instance est sujette à caution, le nombre de magistrats nommés par le gouvernement algérien étant très élevé alors que les représentants des partis politiques et des candidats n'y sont pas représentés. La MEE a également réitéré les réserves déjà émises par la mission européenne supervisant le scrutin de 2012 en ce qui concerne le fichier électoral. L'accès au registre est jugé extrêmement restreint, les parties prenantes du processus étant ainsi privées d'un contrôle effectif de la fiabilité du scrutin.

35 partis sont désormais représentés au sein de l'Assemblée nationale populaire, où siègent désormais 119 femmes contre 140 lors de la législature précédente. Le Front de libération nationale (FLN) - le parti du Président de la République - dispose toujours du plus grand nombre de sièges au sein de l'Assemblée nationale populaire (161 sièges sur 462), même si ce chiffre est en baisse par rapport à 2012 (207). Le choix de M. Bouhadja, ancien combattant, à la présidence de l'Assemblée a pu apparaître pour de nombreux analystes comme une des dernières tentatives pour la génération dite de l'indépendance de conserver le pouvoir.

Le Rassemblement national démocratique (RND), considéré comme le parti de l'armée et dirigé par le directeur de cabinet de la présidence, Ahmed Ouyahia, compte aujourd'hui 100 députés, contre 64 au sein de l'Assemblée précédente. Le RND faisait partie de la coalition au pouvoir et présidait également le Conseil de la Nation, la seconde chambre du pays. Le recul du FLN est pour partie lié aux affaires de corruption et aux scandales - certains candidats ayant payé pour figurer sur des listes électorales - qui ont fragilisé sa campagne. Le rééquilibrage au profit du RND semble également traduire une lutte d'influence autour du Président de la République.

LE CONSEIL DE LA NATION

Le parlement algérien est composé de deux chambres : l'Assemblée populaire nationale (chambre basse) et le Conseil de la Nation (chambre haute).

Le Conseil de la Nation a été mis en place lors de la révision constitutionnelle du 23 décembre 1996. Les 144 sénateurs qui le composent sont élus aux deux tiers au suffrage universel indirect (96 sénateurs), le tiers restant est nommé par le Président de la République (48 sénateurs) au regard des compétences scientifiques, culturelles, professionnelles, économiques et sociales. La durée du mandat des sénateurs est de six ans, le Conseil de la Nation étant renouvelable par moitié tous les trois ans. Les 96 sénateurs sont issus des 48 wilayas algériens qui délèguent chacun deux élus. Le Conseil de la Nation ne possède ni le droit d'initiative ni le droit d'amendement.

Aux termes de la procédure législative algérienne, tout projet ou proposition de loi doit faire l'objet d'une délibération successivement par l'Assemblée populaire nationale - toujours saisie en premier lieu - et par le Conseil de la Nation. Tout texte voté par l'Assemblée est transmis dans les dix jours au Conseil de la Nation. Celui-ci délibère sur le texte voté et l'adopte à la majorité des trois quarts de ses membres. En cas de désaccord entre les deux chambres, une commission mixte paritaire de 10 membres de chaque assemblée se réunit à la demande du chef du gouvernement pour proposer un texte sur les dispositions objet du désaccord. Ce texte est soumis par le gouvernement à l'adoption des deux chambres et n'est pas susceptible d'amendement, sauf accord du gouvernement. En cas de persistance du désaccord, le texte est retiré.

Le Président de la République peut demander une seconde lecture de la loi votée dans les 30 jours qui suivent son adoption. Dans ce cas, la majorité des deux tiers des députés à l'Assemblée populaire nationale est requise pour l'adoption de la loi.

Le Conseil de la Nation peut créer des commissions d'enquête. Les sénateurs peuvent poser, à tout membre du gouvernement, des questions d'actualité et des questions écrites et orales. Le président du Conseil de la Nation peut saisir le Conseil constitutionnel.

Au terme du scrutin du 29 décembre 2015, le RND (42 sièges) et le FLN (40 sièges) sont les formations les plus représentées au sein du Conseil de la Nation. La chambre haute est présidée depuis juillet 2002 par M. Abdelkader Bensalah (RND). En cas d'incapacité du chef de l'État de mener à terme son mandat, il revient au président du Conseil de la Nation d'assurer l'intérim.

Les partis islamistes n'ont, de leur côté, que faiblement progressé, passant de 60 à 67 sièges : l'alliance Mouvement de la société pour la paix (MSP)-Front du changement (FC) remporte ainsi 34 sièges, le Rassemblement de l'espoir de l'Algérie (TAJ) - proche du pouvoir - 19 sièges, et l'Alliance Ennahda-Adala-Bina (Anab) 15 sièges. Ce léger rebond est plus faible qu'espéré. Lors des élections précédentes, les formations islamistes n'avaient pas su profiter du « Printemps arabe » et avaient réalisé en 2012 leur plus mauvais score depuis le premier scrutin pluraliste en 1990. Le MSP estime cependant que la fraude électorale a entravé sa montée en puissance.

Les partis d'opposition ont également échoué à capter le vote protestataire alors que, contrairement à 2012, ils avaient pourtant tous choisi de participer au scrutin. Le Front des forces socialistes dispose de 14 sièges (contre 26 en 2012) et le Parti des travailleurs de 11 sièges (contre 24 au sein de l'assemblée précédente). Non représenté jusqu'alors, le Rassemblement pour la culture et la démocratie obtient 9 sièges.

Alors qu'il était annoncé reconduit dans ses fonctions, le Premier ministre Abdelmalek Sellal (FLN), âgé de 68 ans et en poste depuis 2012, a finalement été remplacé par M. Abdelmadjid Tebboune le 24 mai dernier. L'échec de M. Sellal à trouver un accord avec l'alliance MSP-FC pour une entrée au gouvernement est présenté par les observateurs comme un des motifs de son éviction. Ancien ministre de l'Intérieur, M. Tebboune, âgé de 71 ans, disposait du portefeuille de l'Habitat dans la précédente équipe gouvernementale. Le nouveau cabinet ministériel est, quant à lui, pour l'essentiel composé de technocrates.

B. UNE POLITIQUE ÉCONOMIQUE MOINS TOURNÉE VERS LE LIBRE-ÉCHANGE ?

1. Une ouverture en trompe-l'oeil ?

L'exploitation des hydrocarbures a permis à l'État algérien de rembourser la quasi-totalité de sa dette extérieure au cours des années 2000 (le stock atteint aujourd'hui 4 milliards d'euros, 2,7 % du PIB) et de faire croître ses réserves de change. Deux plans quinquennaux (2004-2009 et 2009-2014) ont dans le même temps eu pour ambition de diversifier et libéraliser l'économie. Une politique de grands travaux a ainsi été mise en oeuvre afin de moderniser les infrastructures alors que des mesures ont été adoptées pour encourager l'investissement privé.

Reste que cette ouverture attendue, matérialisée par l'accord d'association mais aussi par l'adhésion en 2009 à la zone arabe de libre-échange 2 ( * ) , n'a pas encore produit tous ses effets. Il convient en outre de relever l'absence de dynamique au sein de l'Union du Maghreb arabe (UMA), créée en 1989 qui réunit l'Algérie, la Libye, le Maroc, la Mauritanie et la Tunisie 3 ( * ) . Les échanges commerciaux de l'Algérie avec l'UMA ne représentaient en 2013 que 3,77 milliards de dollars, chiffre à comparer avec ceux concernant l'Espagne (10,33 milliards de dollars) ou l'Italie (9 milliards de dollars). La fermeture de la frontière terrestre entre l'Algérie et le Maroc et l'instauration concomitante d'une procédure de visa entre les deux pays depuis 1994 apparaissent comme les symboles de l'absence d'interconnexion dans cette région et les limites évidentes à la libre circulation des personnes et des marchandises 4 ( * ) . Cette fermeture contribue à l''inexistence d'un marché économique régional à la hauteur des enjeux. Le coût du non-Maghreb est d'ailleurs estimé entre 1 et 2 points de croissance pour chacun des États concernés. Le commerce entre les cinq pays de l'Union du Maghreb arabe (UMA) ne représente, quant à lui, que 3 % de leurs échanges globaux, ce qui en fait la région la moins intégrée au monde. L'annonce en février 2014 de l'établissement d'une zone de libre-échange entre l'Algérie et la Tunisie peut constituer une première approche pour conférer une nouvelle dynamique à l'UMA.

Cette absence d'unité fragilise même la logique de projets de l'Union pour la Méditerranée et notamment la livraison définitive de l'autoroute transmaghrébine, dont le coût est estimé à 670 millions d'euros. Elle traversera la Mauritanie, le Maroc, l'Algérie, la Tunisie et la Libye. Elle est composée d'un axe atlantique de Nouakchott à Rabat et d'un axe méditerranéen de Rabat à Tripoli passant par Alger et Tunis. 55 villes sont concernées par le tracé, soit 50 millions de personnes. Combinée à l'axe autoroutier Rabat-Tanger, la Transmaghrébine devrait faciliter les échanges avec le continent européen. Deux tronçons restent cependant à livrer. Il s'agit des plus délicats puisqu'ils doivent permettre de relier le Maroc et l'Algérie.

Plus largement, il est possible de s'interroger sur la réelle appétence des autorités algériennes pour le libre-échange, en l'absence de diversification de l'économie locale. Le pays n'exporte in fine que de l'énergie.

2. Une relation déséquilibrée avec l'Union européenne ?

L'Union européenne est aujourd'hui le plus grand partenaire commercial de l'Algérie. En valeur, le commerce bilatéral a augmenté de 136 % entre 2002 et 2014. Reste que cette progression est principalement imputable aux exportations de produits pétroliers et du gaz. Il a atteint environ 43 milliards d'euros en 2015 et 2016, en diminution de 4,6 % par rapport à 2014.

Les exportations algériennes représentent 20,9 milliards d'euros (65 % de ses exportations de marchandises). 99,7 % des exportations de l'Algérie vers l'Union européenne en 2015 consistaient en énergie et dérivés du pétrole et 0,3 % en produits agricoles.

Les exportations de l'Union européenne vers l'Algérie se composent, quant à elles, de produits industriels - machines, équipement électrique et équipement de transport, métaux de base, produits chimiques - (85,5 %) et produits agricoles (14,4 %). Ces exportations représentent 22,3 milliards d'euros (46,9 % des importations algériennes de marchandises). En 2015, l'Algérie a également exporté vers l'Union européenne des services pour 1,8 milliard d'euros et en a importé pour 3,4 milliards d'euros. Les investissements européens en Algérie sont estimés à 14 milliards d'euros, soit 40 % des investissements directs étrangers dans ce pays.

Il convient également de rappeler que la balance commerciale avec l'ensemble des pays du Moyen-Orient et d'Afrique du Nord (MOAN) est, en matière agroalimentaire, largement favorable à l'Union européenne, l'écart s'étant même accru au cours des dernières années. Les exportations européennes ont quasiment doublé entre 2006 et 2011, passant de 4,9 milliards d'euros à 9,6 milliards d'euros, tandis que les importations européennes demeurent stables autour de 3,3 milliards d'euros sur la période. Toutefois, l'Algérie se tourne vers de nouveaux partenaires économiques, à l'image de la Chine. L'Algérie est aujourd'hui le premier partenaire commercial de la Chine (14,1 % de parts de marché), devant la France (10,9 % de parts de marché, contre 12,08 % en 2012) et l'Italie (8,5 % de parts de marché).

La nature des échanges commerciaux laisse de fait apparaître une dissymétrie entre l'Algérie, État rentier n'exportant que ses hydrocarbures, et l'Union européenne, puissance commerciale au panel de produits plus développé.

Le démantèlement des barrières tarifaires annoncé par l'accord d'association devait à l'origine être progressif. Immédiat pour 2 034 produits dans le domaine des matières premières et des biens d'équipements, il devait concernait 1 095 produits semi-finis au 1 er septembre 2012 puis 1 860 produits finis au 1 er septembre 2017. Des contingents étaient également prévus pour certains produits dans le domaine agricole, les réductions de droits de douane pratiquées par l'Algérie s'avérant cependant plus faibles que celles consenties par l'Union européenne.

Le gouvernement algérien a néanmoins rapidement estimé qu'une ouverture totale de ses barrières douanières pourrait fragiliser les productions du pays, principalement tournées vers le marché intérieur, et contribuer à la dégradation de sa balance commerciale. C'est dans ce contexte qu'il est possible d'analyser la lenteur des négociations pour parvenir à une libéralisation progressive des échanges. Les autorités algériennes ont ainsi gelé en 2010 les concessions tarifaires accordées à l'Union européenne. Cette stratégie a pu étonner tant la part de marché de l'Union européenne s'était légèrement dégradée entre 2005 et 2009 (52,79 % en 2009 contre 55,11 % en 2005), alors même que les importations en provenance de pays tiers ont considérablement augmenté sur la même période : + 176 % pour les produits en provenance de Chine et + 146 % pour les produits venus de Turquie. À l'inverse, les investissements directs étrangers en provenance de l'Union européenne ont été multipliés par 5 entre 2005 et 2008.

Ces entrées ont d'ailleurs pu être limitées par les restrictions imposées par la loi algérienne en matière d'accès des étrangers à la propriété et de rapatriement des bénéfices. Introduite en 2009 pour répondre à la crise économique et financière mondiale, la règle du 49/51 impose au moins 51 % d'intérêts algériens dans les projets économiques impliquant des étrangers 5 ( * ) . Ce dispositif suscite plus de difficultés pour les petites et moyennes entreprises qui souhaitent investir en Algérie que pour les grands groupes. Les PME doivent en effet trouver des partenaires fiables à leur échelle, dans un pays où le poids de l'économie informelle est estimé entre 30 et 40 %.

Le gel des concessions douanières en 2010 a été doublé d'une demande de révision des termes du démantèlement tarifaire. Huit sessions de négociations tenues entre 2010 et 2012 ont permis d'aboutir à une révision du calendrier de la levée des obstacles tarifaires au 1 er septembre 2012. Aux termes de ce calendrier révisé, l'élimination des droits de douane a été décalée de trois ans et devrait théoriquement intervenir au 1 er septembre 2020. Un accord a également été trouvé en matière agricole en juillet 2011. L'Algérie a ainsi accepté de rouvrir les contingents d'importations à tarifs préférentiels et de compenser les annulations des baisses de tarifs douaniers par une majoration de certains contingents d'importation.

Le scepticisme sur les avantages de l'accord de libre-échange reste cependant de mise. Le manque à gagner en droits de douane est déjà estimé par les économistes algériens à 1,27 milliard d'euros pour 2016 en raison de l'accord d'association. Par ailleurs, aux termes d'une évaluation de l'accord réalisée par l'Agence nationale de promotion du commerce extérieur (Algex), présentée en septembre 2015 pour le dixième anniversaire de son entrée en vigueur, l'Union européenne aurait exporté vers l'Algérie l'équivalent de 195 milliards de dollars en dix ans et n'en aurait importé que 12,3 milliards de dollars. Là encore, l'évolution récente tend à relativiser ce constat. Sur les quatre premiers mois de l'année 2017, les importations de la France, de l'Italie ou de l'Espagne ont ainsi régressé de 7 à 9 %. À l'inverse, on observe une progression des importations chinoises - + 17 % -, coréennes - + 15 % -, et turques - + 9 %. Ces importations ne semblent pas susciter de véritable débat, la mainmise de la Chine sur la plupart des marchés de travaux publics - à l'instar de la grande mosquée d'Alger - et d'ouvrages d'art ne semble pas remise en question, alors même que ces chantiers n'impliquent pas de recrutement au sein de la main-d'oeuvre locale - 40 000 Chinois oeuvrent en Algérie et des travailleurs nord-coréens sont également recrutés - et que la qualité de ces opérations est régulièrement remise en question.

Plusieurs lois algériennes sont venues confirmer la volonté de revenir sur les termes de l'accord d'association. La loi de finances pour 2014 avait déjà introduit des restrictions à la libre-circulation des produits ainsi que des modifications au régime applicable aux investissements étrangers dans le pays, favorisant les services et les produits locaux. Ces dispositions ont été complétées en janvier 2016 par des restrictions quantitatives et des obligations de licences d'importation visant les automobiles, le ciment et les ronds à béton. Les autorités algériennes justifiant ces mesures par le contexte économique et sécuritaire. La baisse des tarifs du pétrole, combinée à la crise agricole et à l'augmentation de ses dépenses militaires, a contribué en effet à dégrader son déficit commercial. L'objectif affiché est de rationaliser le commerce avec l'Union européenne afin de le rendre plus compatible avec les besoins et les capacités du marché algérien. Le dispositif a été reconduit début 2017 et a été élargi à 27 produits.

Ces mesures sont doublées, dans certains secteurs, par la mise en place de barrières non-tarifaires, à l'instar du refus de domicilier certaines opérations d'importation de produits agro-alimentaires. La pénalisation du monde des affaires, le poids de la bureaucratie et la lenteur de délivrance des certificats d'importation contribuent également à freiner les investissements européens sur place. Plusieurs entreprises européennes installées sur le territoire algérien font aujourd'hui état d'une absence de visibilité pour leur activité à moyen terme et d'une profonde insécurité juridique. Des phénomènes de corruption sont également observables 6 ( * ) .

Il n'est pas étonnant dans ces conditions que l'Algérie pâtisse d'une mauvaise image : elle est ainsi classée 156 ème sur 190 pays par la Banque mondiale dans son rapport Doing business 2017 sur le climat des affaires. Les doutes sur la valeur de la monnaie - le taux de change varie de 1 euro pour 120 dinars à 1 euro pour 193 dinars entre le marché aux changes officiel et celui, très développé, de la rue - contribuent également à cette mauvaise réputation. L'absence de certitude sur l'avenir politique constitue également un frein à l'investissement.

Ce protectionnisme plus ou moins assumé par les autorités suscite des réserves au sein de l'Union européenne. Certains États membres souhaitent en effet le lancement d'une procédure d'arbitrage, prévue à l'article 100 de l'accord d'association, pour pointer les entorses à son application. Au-delà même de l'accord d'association, il est possible de s'interroger sur les effets à long terme d'une telle politique qui peut apparaître à rebours de la volonté de moderniser et d'ouvrir le pays. La limitation des importations conduit à une baisse des recettes fiscales qui n'est pas compensée par la valorisation de la production locale, en large partie inexistante. Elle contribue directement au ralentissement économique observable depuis 2014 et menace les emplois directs et indirects créés par les entreprises européennes sur place ainsi que leurs investissements.

C. LA RENTE ÉNERGÉTIQUE, OBSTACLE À L'OUVERTURE DE L'ÉCONOMIE ALGÉRIENNE ?

Les hydrocarbures représentaient 27 % du PIB, 96 % des exportations, 49 % des recettes publiques mais seulement 2 % des emplois. Les revenus tirés de l'énergie financent largement les dépenses publiques, importantes dans une économie en large partie administrée et subventionnée. Celles-ci, en augmentation constante depuis 5 ans, ne sont toutefois couvertes qu'à condition que le prix du pétrole dépasse 100 dollars, comme en témoigne la loi de finances pour 2014. Or, cette condition n'est plus remplie depuis la mi-2014. Le Fonds de régulation des recettes, créé en 2010 et abondé par les excédents de la fiscalité pétrolière, devait permettre de compenser cette baisse des revenus pour l'État (estimée entre 30 et 40 %) jusqu'en 2016 mais pas au-delà.

Les sommes investies par la Société Nationale pour la Recherche, la Production, le Transport, la Transformation, et la Commercialisation des Hydrocarbures (Sonatrach) dans la modernisation de ses infrastructures - 100 milliards de dollars - témoignent de cette priorité accordée à la production d'énergie, au risque de créer les conditions d'une surproduction. La Commission européenne a noté en 2014 un manque d'investissement en matière de capital humain (éducation, formation, emploi et santé) et l'absence de création d'emplois, notamment en direction des femmes et des jeunes (26,7 % des moins de 25 ans sont au chômage, 10,5 % de la population active étant sans emploi en 2016). Ce parti-pris pour l'énergie a conduit l'Algérie à ne pas développer suffisamment son potentiel industriel ainsi que le secteur des services, la rendant de facto beaucoup plus vulnérable à une baisse des droits de douane en faveur de ses principaux partenaires. Il fait également reposer la stabilité financière du pays sur le prix de l'énergie.

La chute des prix mondiaux du pétrole depuis la mi-2014 a contribué à une détérioration des équilibres macro-économiques. La baisse du prix moyen du pétrole, qui est passé de 100 dollars le baril en 2014 à 48 dollars le baril aujourd'hui, n'a été qu'imparfaitement appréhendée par les autorités algériennes. Le déficit du compte courant a, ainsi, plus que triplé depuis 2014 : 16,9 % du PIB en 2016. Les réserves internationales demeurent élevées, à 22 mois d'importations, mais elles s'amenuisent rapidement (114 milliards de dollars en décembre 2016 contre 194 milliards trois ans plus tôt). Selon le Fonds monétaire international, elles pourraient descendre à 19,5 mois en 2017 puis 16,7 mois en 2018.

Le budget 2016 a mis l'accent sur l'assainissement des finances publiques. Il tablait sur une baisse des dépenses de 9 % (principalement les investissements) et une augmentation des recettes fiscales de 4 % via une hausse des prix de l'essence de 36 %, une augmentation des taxes sur l'électricité et l'essence, ainsi que sur les immatriculations de véhicules. Cet effort est poursuivi dans la loi de finances pour 2017, qui prévoit une augmentation de la taxe sur la valeur ajoutée (17 à 19 % et 7 à 9 % pour le taux réduit), la création d'une nouvelle taxe d'efficacité énergétique, et la majoration de la taxe sur les produits pétroliers et la taxe intérieure sur les produits de consommation. Le déficit budgétaire pourrait, dans ces conditions, continuer sa décrue et atteindre 3 % du PIB en 2017 (14 % en 2016). Par ailleurs, si l'État algérien a pu effacer sa dette extérieure, un recours à l'endettement est observable ces dernières années, celle-ci atteignant 18,3 % du PIB en 2017.

Selon la Banque mondiale, la croissance en Algérie devrait néanmoins continuer à ralentir en 2017 pour atteindre 2,9 % en raison d'un recul des dépenses en travaux publics et des retards dans les réformes du régime fiscal et des subventions. Le Fonds monétaire international a, quant à lui, prévu en juin dernier une perspective beaucoup plus faible : 1,3 % cette année puis 0,7 % en 2018. Le taux de croissance pour 2016 s'est établi à 3,6 %. S'appuyant sur une trajectoire de remontée des prix du baril (50 dollars cette année, 55 en 2018 et 60 en 2019), les autorités algériennes tablent plutôt sur un rebond : 3,6 % en 2017 puis 3,2 % en 2018 et 4,9 % en 2019. L'inflation a atteint 6,4 % en 2016, en raison notamment de l'effet de répercussion d'une dépréciation en valeur nominale du dinar de 20 % qui visait à corriger le déséquilibre extérieur. Elle atteignait 7,7 % en glissement annuel en février 2017.

Le fléchissement des prix du pétrole représente une occasion de procéder à une réorientation structurelle de l'économie, allant de la prédominance du pétrole et du secteur public vers une croissance plus diversifiée qui fait une plus grande place au secteur privé. Les autorités algériennes ont d'ailleurs annoncé en juillet 2016 la mise en place d'un nouveau modèle algérien de croissance économique. Il devrait passer par une réforme du cadre institutionnel, de la fiscalité et de la dépense publique. Un plan stratégique de modernisation des finances publiques a ainsi été adopté en mars 2016. Il prévoit la modernisation de l'administration fiscale, la réforme des services douaniers, l'amélioration de la formulation budgétaire et son développement sur une base pluriannuelle.

Ce changement peine toutefois à s'incarner , des interrogations subsistant sur la détermination à opérer cette mue indispensable. La baisse des ressources publiques, indispensable pour conduire cette vaste réforme, contribue également à obérer le rythme des réformes à mener. Les deux plans quinquennaux (2004-2009 et 2009-2014) ont par ailleurs montré que les intentions affichées n'étaient pas toujours concrétisées. L'absence de véritable politique touristique dans un pays pourtant riche de sites classés au patrimoine mondial de l'humanité (7 sites, dont la Casbah d'Alger ou Tipasa) constitue un exemple de cet écart entre les ambitions et la réalité. Il convient de relever qu'un million et demi d'Algériens passent leurs vacances en Tunisie, où leur pouvoir d'achat est pourtant moins élevé.

La baisse des prix du pétrole a néanmoins conduit l'Algérie à réviser sa position attentiste à l'égard de l'Union européenne. Les autorités reconnaissent aujourd'hui que dix ans ont été perdus dans la relation euro-algérienne compte tenu de la nécessité pour le pays de se reconstruire après la guerre civile. Elles souhaitent cependant que le traitement accordé à l'Algérie reconnaisse ses spécificités et valorise ses atouts avant d'envisager la mise en oeuvre d'une relation commerciale totalement équilibrée.

III. QUEL CADRE POUR UN APPROFONDISSEMENT DES RELATIONS ENTRE L'UNION EUROPÉENNE ET L'ALGÉRIE ?

La relance du partenariat entre l'Algérie et l'Union européenne tient à la fois à la volonté des autorités algériennes de chercher un appui pour la transition économique du pays et à la volonté affichée par le Conseil d'appréhender de façon plus réaliste ses relations avec le voisinage. Il a ainsi approuvé, le 14 décembre 2015, les orientations de la Commission sur la révision de sa politique de voisinage 7 ( * ) . L'ambition affichée est de parvenir à constituer des partenariats plus efficaces afin de répondre notamment à plusieurs défis : crise migratoire, terrorisme, interdépendance énergétique. L'Union européenne entend ainsi faire valoir ses intérêts, en promouvant parallèlement les valeurs universelles. Elle s'appuie désormais sur le principe de différenciation, prenant acte du fait que tous les partenaires de l'Union européenne n'aspirent pas à adopter la totalité de l'acquis communautaire. Elle entend enfin mettre en oeuvre une logique d'appropriation mutuelle destinée à mieux prendre en compte la conception qu'a chaque pays de son partenariat avec l'Union européenne et l'orientation qu'il entend lui donner. La révision de la politique de voisinage débouche, par ailleurs, sur une évaluation des accords d'association et l'élaboration de priorités de partenariat entre l'Union européenne et les pays concernés.

La révision de la politique de voisinage avait donné lieu à une consultation des pays de la rive Sud. L'Algérie avait alors exprimé sa volonté de soutenir une politique orientée vers la sécurité et le développement. Les crises au Sahel, au Mali et en Libye apparaissent à cet égard prioritaires. Les autorités algériennes ont, dans ce cadre, milité pour une intégration du « voisinage du voisinage » dans les discussions entre les deux rives de la Méditerranée, principe retenu par le Conseil. Elles ont également insisté sur la question de la différenciation. La nouvelle approche européenne a depuis été approuvée par l'Algérie, qui salue son pragmatisme et la flexibilité introduite notamment en matière financière.

La relance actuelle de la relation entre l'Union européenne et l'Algérie tient également, de l'avis de nombreux observateurs, à la personnalité de la Haute Représentante de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, Mme Federica Mogherini. Celle-ci se montre plus intéressée par l'avenir de la relation euro-méditerranéenne que sa prédécesseure, Mme Catherine Ashton. Un changement de discours à l'égard de l'Algérie a notamment été observé. Il n'est donc pas étonnant d'observer une réelle relance des relations bilatérales entre l'Union européenne et l'Algérie. Les autorités algériennes ont ainsi reçu, lors de la même semaine en juillet 2017, le commissaire à l'élargissement et à la politique de voisinage et le vice-président de la Banque européenne d'investissement.

Reste la question du rôle de la France, ancienne puissance coloniale, disposant de liens privilégiés avec le pays dans la mise en oeuvre de cette coopération. Les entretiens qu'a pu mener votre rapporteur tendent à souligner que l'accord d'association est souvent envisagé comme une déclinaison de la relation entre Paris et Alger. La mise en place de l'accord d'association via les jumelages institutionnels montre l'attrait pour le modèle administratif français, notre pays étant représenté dans près de 75 % des opérations coordonnées par le P3A. Cette position particulière pourrait affaiblir la solidarité européenne indispensable à l'évaluation des progrès de la coopération entre l'Union et l'Algérie. La délégation de l'Union européenne en Algérie souligne, au contraire, l'unité de vues entre les positions européennes et celle de la France, insistant sur la fluidité des échanges entre les services diplomatiques.

A. L'ÉVALUATION DE L'ACCORD D'ASSOCIATION

Le comité d'association Union européenne-Algérie qui s'est tenu le 19 mars 2015 a été l'occasion, pour les représentants algériens, de plaider pour une reconnaissance par l'Union européenne de la « spécificité algérienne », tant sur la question des réformes qu'en matière de relations économiques.

Le Conseil d'association Union européenne-Algérie des 3 et 4 juin 2015 a permis à la Commission européenne de saluer l'ébauche des réformes engagées en 2011 (suppression de l'état d'urgence) mais aussi d'insister sur les progrès restant à accomplir : effort sur l'inclusivité du processus politique, rôle de la société civile et protection des groupes les plus vulnérables (femmes, jeunesse). L'objectif global de la création d'une zone de libre-échange Algérie-Union européenne a été réaffirmé. Elle constitue le corollaire d'une accession de l'Algérie à l'Organisation mondiale du commerce mais aussi d'une meilleure intégration régionale. La Commission européenne souhaitait, en outre, que soit mis en oeuvre l'accord en matière de coopération scientifique, technologique et d'innovation, ainsi que le mémorandum d'entente signé en 2013 dans le domaine de l'énergie. Elle a proposé la mise en place d'un dialogue de haut niveau sur cette question, sur une base annuelle.

L'Algérie s'était, de son côté, montrée assez critique à l'égard de l'Union européenne, jugeant la relation commerciale déséquilibrée et qualifiant d'ingérence les observations européennes sur la question des droits de l'Homme. Elle a demandé une réévaluation de l'accord d'association.

La révision de la politique européenne de voisinage en novembre 2015 a constitué l'occasion d'une relance de la relation. C'est dans ce nouveau contexte que le comité d'association Union européenne-Algérie s'est réuni le 25 février 2016. Il a permis le lancement d'une réévaluation de la relation bilatérale, l'Algérie souhaitant bénéficier d'un « statut spécial ».

L'évaluation de l'accord a été menée entre février 2016 et mars 2017. Elle a porté sur quatre points :

- le soutien aux échanges commerciaux Union européenne-Algérie ;

- le soutien à la diversification et à la compétitivité de l'économie algérienne ;

- le soutien aux investissements en Algérie ;

- le renforcement de la coopération dans les secteurs de l'agriculture et de la pêche, de la recherche et du développement, de l'énergie et des douanes.

Le 7 décembre 2016, le comité d'association a adopté 21 recommandations en vue de créer un partenariat économique centré sur la diversification de l'économie et la promotion des exportations hors hydrocarbures, du savoir-faire, de l'économie numérique et d'une économie inclusive à caractère social. Celui-ci doit, aux yeux des autorités algériennes, permettre au pays une zone d'investissements privilégiée. Il s'agit ainsi de contribuer au changement de paradigme économique en valorisant notamment les infrastructures dont l'Algérie dispose, à l'instar de la Transsaharienne qui relie la rive méditerranéenne au Niger et au Mali. Reste que cette ambition demeure fragilisée par les barrières tarifaires, réglementaires et administratives mises en oeuvre par les autorités algériennes depuis plusieurs années.

B. LES NOUVELLES PRIORITÉS DE PARTENARIAT

L'évaluation de l'accord d'association a été doublée de négociations visant les priorités de partenariat pour l'Algérie. Le dixième conseil d'association, organisé le 13 mars 2017, a permis d'aboutir à leur adoption. Elles sont articulées autour de cinq points :

- dialogue politique, gouvernance, État de droit et promotion des droits fondamentaux ;

- coopération, développement socio-économique inclusif, échanges commerciaux et accès au marché unique européen ;

- partenariat énergétique, environnement et développement durable ;

- dialogue stratégique et sécuritaire ;

- migration et mobilité.

1. Des questions en suspens

S'agissant du domaine du commerce, l'Algérie souhaite, dans ce domaine, pouvoir conditionner l'accès à des « situations conjoncturelles » qu'elle déterminerait elle-même. L'Union européenne s'oppose à cette logique qui conduit aux licences et quotas d'importations. Elle insiste sur la nécessaire amélioration du climat des affaires et la mise en oeuvre de réformes structurelles afin d'accroître les investissements européens. Si elle rappelle son soutien à l'adhésion de l'Algérie à l'Organisation mondiale du commerce, elle conditionne celui-ci à ce qu'un rapprochement en matière de services et d'investissements avec l'Union européenne puisse être initié d'ici à 2018. Le conseil d'association, organisé le 13 mars dernier à Bruxelles, n'a pas débouché sur de réelles avancées en la matière.

Des progrès ont cependant été relevés ces dernières années. Auparavant intégrée dans le Code des investissements, la règle 49/51 est désormais fixée dans le cadre de la loi de finances, ce qui pourrait faciliter son assouplissement à l'avenir. Un nouveau code des douanes est également entré en vigueur en janvier 2017. La loi de finances pour 2014 a, en outre, levé l'obligation d'examen des investissements directs étrangers par le Conseil national de l'investissement si leur montant est inférieur à 150 millions d'euros. D'autres avancées sont attendues sur la défiscalisation des investissements étrangers apportant un savoir-faire ou sur l'autorisation de financements entre entreprises-mères et filiales.

En ce qui concerne le volet « migration et mobilité », les autorités algériennes souhaitaient supprimer la référence à la réadmission tout en gardant celle relative à la facilitation des visas. 530 000 visas de court séjour ont, par ailleurs, été délivrés en 2015 à des ressortissants algériens (soit 75 % des demandes), plaçant l'Algérie parmi les 7 premiers pays bénéficiaires. Le taux de retour effectif de migrants algériens en situation irrégulière est cependant assez faible : 24,2 % en 2015, soit 3 900 retours effectifs sur les 16 065 décisions de renvoi. Si cinq pays de l'Union ont signé des accords bilatéraux dans ce domaine, l'Union européenne n'en dispose pas. Le dernier conseil d'association n'a pas permis d'avancer sur ce sujet. L'Union européenne propose aujourd'hui le lancement d'un dialogue formel de haut niveau sur les questions de migration et de mobilité à partir de septembre 2017. L'Algérie se montre plus réservée et propose un dialogue informel. Les autorités algériennes rejettent tout traitement sécuritaire des migrations et préconisent une action contre les causes profondes des départs, à mener dans les pays d'origine et en faveur du développement. Le nombre de migrants irréguliers présents en Algérie est estimé à 100 000, en provenance d'une quarantaine de pays africains mais aussi de Syrie et du Yémen. Les départs depuis l'Algérie vers l'Europe de migrants constituent cependant 6 % des flux observables en Méditerranée centrale.

Les questions ayant trait à la démocratie et à l'État de droit demeurent, par ailleurs, une préoccupation pour l'Union européenne. Si elle a salué au cours du conseil d'association les avancées constitutionnelles, en particulier la réforme du secteur judiciaire en cours, elle a appelé à un renforcement de la liberté d'expression et rappelé que des textes législatifs devaient encore être adaptés, à l'image du Code pénal ou du Code de l'information. Deux chaînes de télévision ont ainsi été fermées en 2015 et 2016 et des journalistes emprisonnés pour diffamation, en dépit des avancées contenues dans la réforme constitutionnelle du 7 février 2016. Certains observateurs relèvent en outre une forme d'autocensure de la part de la presse. La loi sur les associations doit également être modifiée afin de lever une forme d'insécurité juridique pour les organisations non-gouvernementales ; celles-ci doivent être obligatoirement enregistrées auprès du ministère de l'Intérieur avant de pouvoir ouvrir un compte bancaire et ainsi bénéficier de financements. Des entraves à la liberté de culte, la criminalisation de l'homosexualité et les limitations aux droits de manifestation et de rassemblement ainsi que des difficultés en matière de liberté syndicale ont, en outre, été relevées par la Commission européenne et la Haute représentante de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité 8 ( * ) . Saluant le renforcement des droits et libertés publiques depuis 2016, la mission d'expertise électorale de l'Union européenne, déployée à l'occasion des élections législatives du 4 mai 2017, a cependant relevé une imprécision de certains droits fondamentaux, qui n'apparaissent pas toujours clairement explicités dans la Constitution et traduits dans la loi. Elle évoque les dispositions relatives aux partis politiques, aux associations, aux réunions et manifestations publiques. Une nouvelle loi sur les partis et associations est attendue à l'automne prochain.

Le gouvernement algérien entend également bénéficier de la même assistance financière que la Tunisie 9 ( * ) , estimant que le pays constitue un pôle de stabilité régionale. La France a également relevé que la coopération budgétaire pouvait apparaître faible. Il convient de rappeler que les contours de la dotation initialement prévue pour l'Algérie pour la période 2014-2020 avaient été élaborés en 2013, le prix du baril de pétrole dépassant alors 100 dollars. La Commission européenne estime cependant que les capacités d'absorption de l'aide européenne par l'administration algérienne apparaissent faibles. Le montant de l'aide - 40 millions d'euros par an sur la période 2018-2020 - a, néanmoins, été relevé de 5 millions d'euros par an par rapport à la programmation précédente. Ce montant demeure cependant inférieur aux crédits octroyés annuellement au Maroc - 200 millions d'euros - ou à l'Égypte - 100 millions d'euros.

La Commission européenne rappelle cependant régulièrement que l'Algérie est également éligible au Fonds d'affectation spéciale pour l'Afrique, mis en place au sommet de La Valette en novembre 2015 . Les autorités algériennes n'ont pas présenté de projets pouvant bénéficier de financements européens. Doté de 1 800 millions d'euros, le Fonds d'affectation spéciale pour l'Afrique est destiné à faire face aux crises qui sévissent dans les régions du Sahel et du lac Tchad, ainsi que dans la Corne de l'Afrique et dans le Nord de l'Afrique. Il doit contribuer à promouvoir la stabilité dans ces régions et permettre une meilleure gestion des migrations. Les autorités algériennes jugent que l'approche de l'Union européenne en la matière est trop sécuritaire et que les efforts devraient être concentrés sur le développement économique des pays situés dans la région subsaharienne. Les financements du Fonds doivent pourtant permettre la mise en place de programmes économiques créant des possibilités d'emploi en particulier pour les jeunes et pour les femmes dans les communautés locales, en se concentrant sur la formation professionnelle et la création de micro-entreprises et de petites entreprises. Certaines actions devraient également contribuer à l'aide à la réintégration des personnes de retour dans leur communauté. La mise en oeuvre de projets en faveur de services de base pour les populations locales, comme la sécurité alimentaire et nutritionnelle, la santé, l'éducation et la protection sociale, de même que la viabilité environnementale, est également prévue. Le Fonds doit, en outre, faciliter le lancement de projets visant à améliorer la gestion de la migration, y compris en limitant et en prévenant la migration illégale et en luttant contre la traite des êtres humains, le trafic de migrants et autres crimes connexes.

2. L'ambition algérienne d'incarner un pôle de stabilité régional

Au-delà des priorités de partenariat, l'Algérie a été classée par le Service européen d'action extérieure de l'Union européenne parmi les cinq pays bénéficiant de son mécanisme d'alerte précoce 10 ( * ) . Ce dispositif a pour objectif d'anticiper, dans les quatre années à venir, les risques de conflits potentiels afin de mieux orienter l'action de l'Union européenne. Ce choix a suscité l'étonnement des autorités algériennes. L'exercice a été reporté après le conseil d'association afin qu'il ne devienne pas un problème politique. Celui-ci a consisté à dresser un état des lieux de la situation politique, sécuritaire et économique de l'Algérie, et devrait contribuer à renforcer le dialogue bilatéral sur les questions de sécurité, et en particulier le terrorisme. Il doit également faciliter une réflexion sur le rôle de médiation de l'Algérie dans la région, face aux défis auxquels sont confrontés la Libye, le Mali et le Niger. Les autorités algériennes insistent régulièrement sur la position géostratégique du pays et sur le pôle de stabilité qu'il représente. Cette position justifie, à leurs yeux, une intensification de la relation avec l'Union européenne. La lutte contre la radicalisation est, d'ailleurs, envisagée comme un objectif commun à l'Algérie et à l'Union européenne.

Cette vocation régionale reste cependant relative dans les faits au regard des difficultés constatées dans les relations avec le Maroc. La question du Sahara occidental reste, à cet égard, un sujet sensible. L'Algérie soutient l'indépendance du Sahara occidental au nom du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, et réfute régulièrement les revendications territoriales que lui prête le Maroc. Les autorités algériennes s'appuient aujourd'hui sur la décision de la Cour de justice de l'Union européenne du 21 décembre 2016 qui exclut le Sahara occidental du champ d'application des accords d'association et de libéralisation signés entre l'Union européenne et le Maroc 11 ( * ) .

Par ailleurs, si le choix d'intégrer l'Algérie au sein du mécanisme d'alerte précoce a pu susciter des réserves de la part des autorités, il est néanmoins permis de s'interroger sur l'avenir politique du pays. La question de la succession du Président Bouteflika reste ouverte, aucune alternative n'apparaissant clairement aujourd'hui. L'opacité des conditions du renvoi du Premier ministre Sellal a contribué, à ce titre, à renforcer certaines inquiétudes sur l'avenir du pays. La lenteur à mettre réellement en oeuvre une transition économique trouve un prolongement dans le domaine politique, les deux étant indubitablement liés.

C. L'ALGÉRIE ET LA RELATION EURO-MÉDITERRANÉENNE

Au-delà de l'accord d'association, l'Algérie souhaite s'investir dans le développement de la relation euro-méditerranéenne. Même si elle s'investit en son sein depuis 2013, via l'octroi d'une contribution financière au budget de son secrétariat général, les autorités algériennes demeurent cependant relativement sceptiques sur l'Union pour la Méditerranée (UpM). L'organisation apparaît lestée par les difficultés politiques à l'Est du bassin méditerranéen. Six mois après son lancement, l'opération israélienne « Plomb durci » dans la bande de Gaza en décembre 2008 est venue fragiliser l'UpM, incapable d'incarner l'espace de dialogue qu'elle était censée être implicitement. Le boycott de ses réunions par certains de ses membres a contribué à conférer à l'UpM l'image d'une coquille vide.

La logique de projets qui la sous-tend est, par ailleurs, jugée à la fois ambitieuse et peu efficace, faute de financements effectifs. Il convient de rappeler que si, depuis sa création, l'UpM a accompagné le lancement de 47 projets à portée régionale représentant une valeur de 5,3 milliards d'euros, son action se limite à une labellisation desdits projets 12 ( * ) . Elle participe à cet effet à l'élaboration de l'étude de faisabilité de chacun de ces chantiers. Elle les présente devant la Commission européenne, la Banque européenne pour la reconstruction et le développement, la Banque européenne d'investissement ou toute autre organisation internationale qui pourront, quant à elles, accorder les crédits adaptés. Son budget annuel - 6 millions d'euros environ - ne lui permet pas d'aller plus loin.

Le fait que le secrétariat général de l'UpM ait par ailleurs été confié à un Marocain, M. Fathallah Sijilmassi, suscite également certaines réserves. Cette nomination avantagerait le Maroc, qui disposerait de la sorte d'un monopole de la représentation de la rive Sud de la Méditerranée. Cette réserve apparaît sans fondement. La présidence de l'UpM est depuis le 22 mai 2017 assurée par l'Égypte. La Jordanie a exercé les mêmes responsabilités de 2013 à 2014.

L'Algérie privilégie aujourd'hui le format « 5+5 », l'approche étant jugée plus réaliste. Le dialogue en Méditerranée occidentale dit « 5+5 », créé en 1990 puis relancé en 2001, réunit les cinq pays de l'Union du Maghreb arabe (Algérie, Libye, Maroc, Mauritanie et Tunisie) ainsi que cinq États membres de l'Union européenne (France, Espagne, Italie, Malte et Portugal). La Commission européenne est associée aux réunions ministérielles organisées dans ce cadre. L'UpM et l'UMA sont également représentées. Une tentative d'élargir le dialogue à l'Égypte et à la Grèce n'a pas eu de suite en 2010. Plusieurs champs sont abordés au cours de ces rencontres, qu'il s'agisse de la sécurité, des migrations ou de la coopération économique et sociale, des déclinaisons sectorielles étant mises en place. La réunion des ministres des Affaires étrangères, organisée à Tanger le 7 octobre 2015, s'est notamment conclue par le souhait de voir l'UpM jouer un rôle moteur au sein de la nouvelle politique de voisinage. Les conclusions insistaient également sur le fait que le dialogue « 5+5 » se dote d'une branche parlementaire. Une première réunion des parlementaires s'est tenue à Marseille les 27 et 28 octobre 2016. Votre rapporteur regrette que le Sénat n'y soit pas représenté.

La promotion d'un sous-ensemble régional, laboratoire pour une coopération plus étroite entre États membres, n'est pas dépourvue d'intérêt. Elle ne saurait cependant être valable que si elle est élargie à l'Égypte et à la Grèce, comme l'a demandé la commission des affaires européennes du Sénat dans une résolution européenne adoptée en juin 2016 13 ( * ) . Cette option semble aujourd'hui inenvisageable pour les autorités algériennes. Il y a cependant lieu de s'interroger sur leur appétence pour un dispositif où elles côtoient plus directement les autorités marocaines et où la Libye n'est plus réellement représentée.

CONCLUSION

La relance des relations entre l'Union européenne et l'Algérie est devenue une réalité avec l'élaboration de nouvelles priorités de partenariat. La relation euro-méditerranéenne ne peut que sortir renforcée de la reprise effective du dialogue avec un pays dont le rôle est déterminant pour la stabilité de la zone. La révision de la politique de voisinage a incontestablement facilité ce rapprochement nécessaire en permettant de développer une approche moins incantatoire et plus pragmatique.

Cette réévaluation des relations entre l'Union européenne et l'Algérie n'exonère pas cependant celle-ci des réformes à mener tant au plan politique qu'au niveau économique. Le rééquilibrage de l'accord d'association, souhaité par les autorités algériennes, peut apparaître légitime à condition qu'il soit accompagné d'un plus grand respect des principes qu'il contient. Si l'Algérie entend consolider au plan économique son statut de grande puissance régionale, il convient qu'elle renonce à une stratégie qui conduit à dissuader les entreprises européennes d'investir sur son territoire. La relance de la relation euro-algérienne doit également être accompagnée d'une véritable reprise en main du dialogue régional, au sein de l'Union du Maghreb arabe, afin de faire de celui-ci un véritable partenaire de l'Union européenne.

Le succès de la transition économique appelée de ses voeux par le gouvernement algérien face à la chute des prix des hydrocarbures tient principalement à cette capacité à s'ouvrir et à devenir attractif. Il s'agit donc pour le pays de lever rapidement toutes les incertitudes qui entourent son avenir. Il pourra compter dans cette démarche sur le plein appui de l'Union européenne et notamment de la France.

EXAMEN PAR LA COMMISSION

La commission des affaires européennes s'est réunie le jeudi 27 juillet 2017 pour l'examen du présent rapport. À l'issue de la présentation faite par M. Simon Sutour, le débat suivant s'est engagé :

M. Jean Bizet , président . - Merci pour cette photographie d'un pays proche mais qui nous reste insuffisamment connu. Alors que la problématique des migrants nous fait vivre une période mouvementée, il est bon d'améliorer nos relations et l'investissement de l'Union européenne ne peut être que bénéfique, à plus d'un titre.

M. André Gattolin . - Merci de ce regard sur l'Algérie. Je connaissais le poids de la manne pétrolière dans un pays qui fonctionne, comme d'autres pays en développement, selon une logique extractive. Plusieurs travaux, émanant notamment d'économistes américains, se sont interrogés sur le caractère durable de la prospérité des nations. Je pense à l'ouvrage de Daron Acemoglu et James Robinson, Pourquoi les nations échouent . Il est aventureux de fonder toute son économie sur l'extraction de la richesse naturelle du sous-sol. Car comment se fait, à ce compte, le lien avec la société civile ? Les institutions algériennes sont ce qu'elles sont, et la population est très jeune. Aux dernières élections, le taux de participation n'a pas dépassé 38 %.

M. Simon Sutour . - Et 23 % ou 24 % de bulletins blancs ou nuls.

M. André Gattolin . - Venant notamment de la jeunesse, qui ne se reconnaît sans doute plus dans des dirigeants âgés, liés à l'histoire du FLN. La société civile existe cependant, à travers la religion, et la fin du FIS a été marquée par la recherche d'un partage du pouvoir, dans les wilayas, entre le pouvoir central et le pouvoir religieux. Mais il reste qu'il n'y a pas de contre-pouvoirs dans la société civile. Or, une économie ne devient prospère que lorsque s'y rencontrent des acteurs qui animent non seulement le marché économique mais l'espace démocratique. Voit-on émerger des organisations, des personnalités qui pourraient devenir des acteurs crédibles ?

Un mot sur la manne pétrolière. Très tôt, dans les années 1981-1982, des accords privilégiés ont été passés pour aider le marché pétrolier algérien. Puis on s'est rendu compte que cela servait surtout à l'Algérie à exporter à des prix record vers d'autres pays que la France, ce qui a quelque peu refroidi les enthousiasmes. Aujourd'hui encore, 13 % seulement du pétrole importé en France vient d'Algérie, l'essentiel vient de Norvège, un peu de Russie. Je ne pense pas que cela s'explique par les tarifs. Faut-il y voir un problème d'infrastructures ? Faut-il y voir une crainte de l'instabilité, ou une défiance persistante de la France après l'épisode des années 1980 ?

Troisième remarque, je suis frappé par la place considérable que prend la Chine, non seulement dans l'Union européenne mais tout autour, chez ses voisins. C'est un pays qui a une énorme capacité d'investissement au long cours. On le voit par exemple en Serbie. On n'est pas très loin, en somme, du tracé de la route de la soie... Au regard de cette force de frappe, les quelque 35 millions annuels que consacre l'Union européenne ne représentent pas de quoi peser durablement.

M. Philippe Bonnecarrère . - Merci de ce rapport subtil et approfondi. Mes interrogations portent sur l'équilibre à venir de l'Algérie. Vu de France, c'est la question stratégique. Et j'ai trouvé votre rapport relativement optimiste sur ce plan. Vous décrivez un système désormais moins centré sur la présidence de M. Bouteflika, plus collégial qu'on ne le croit, avec une société civile plus présente qu'on ne l'imagine. On peut penser, à vous lire, que la disparition de M. Bouteflika pourrait être surmontée sans trop de drames. Est-ce bien le fond de votre pensée et pouvez-vous l'étayer, pour lever nos inquiétudes ?

M. Jean-Yves Leconte . - Merci de ce rapport équilibré - peut être trop. Le poids de la jeunesse dans ce pays peut laisser penser non seulement que la référence au FLN n'est plus essentielle pour une grande partie de la population, mais aussi que la décennie noire commence à s'éloigner des esprits. Du coup, les références actuelles du pouvoir algérien peuvent-elles encore jouer sur les prochaines années ? M. Bouteflika reste certes un symbole essentiel, mais est-il plus qu'un symbole ? Autrement dit, est-il décisionnaire, ou bien n'est-il que le symbole autour duquel s'agglutinent les autres forces, qui pourraient s'entredéchirer s'il n'était plus là ?

Vous dites que les Algériens sont demandeurs d'investissements. Réfléchissent-ils à l'idée d'investissements étrangers sans partenaire algérien ?

M. Simon Sutour . - Je me trouvais trop critique, vous me trouvez trop optimiste... Je dois dire que mon sentiment a changé en me rendant en Algérie. Nous avons tous des images de ce pays, et d'autant plus dans le Sud de la France, qui a accueilli beaucoup de pieds-noirs, que j'ai vus débarquer, au moment de l'indépendance, dans le port de Sète, et que l'on retrouve au pèlerinage de la vierge de Santa Cruz, rapatriée d'Oran. C'est un pays très présent dans notre quotidien. Mais je pense que l'image que l'on en a, vue d'ici, gagnerait à une approche plus modeste, et moins donneuse de leçons.

J'ai rencontré, sur place, des cadres de grande qualité - je pense notamment au directeur de la coopération avec l'Union européenne - qui travaillent dans le bon sens. La génération qui est au pouvoir est, il est vrai, encore issue de l'indépendance. C'est le cas du président du Conseil de la nation - l'équivalent de notre Sénat - et de celui de l'Assemblée nationale populaire, que j'ai rencontrés, et qui m'ont surpris par leur solidité, leur compétence. Le système est plus solide qu'il n'y paraît. Le président n'est pas seul. Il est à la tête d'une structure institutionnelle qui fonctionne. Les élections ne sont sans doute pas parfaites, mais il faut sortir de la caricature, tout n'est pas figé. Parmi les conseillers de la nation, qui représentent, comme nous, les collectivités et sont élus par les wilayas, de jeunes figures apparaissent. Il existe des organisations non gouvernementales, même si leur situation n'est pas comparable à ce que l'on trouve dans d'autres pays. Une population importante, travaillant en Europe, fait des allers-retours. L'ambassadeur d'Algérie en France m'a indiqué que ses consulats enregistraient deux millions d'immatriculés. Tout cela n'est pas sans effets. Certes, le système a encore besoin de s'ouvrir, de s'oxygéner. Mais après tout, ce n'est pas là une situation inédite. Je suis assez optimiste pour l'avenir. Il existe des contre-pouvoirs, une appétence pour la France et pour l'Europe. Tout cela est très positif.

Quant aux P3A, aux jumelages, les initiatives ne manquent pas - il y a, là encore, matière à optimisme.

Pour les entreprises, j'ai rencontré le président du Forum des chefs d'entreprises ; nos interlocuteurs nous font remarquer le rôle de leur pays dans le « filtrage » des migrants et le fait que leur pays est devenu un pays d'accueil pour les ressortissants des pays subsahariens.

Mme Patricia Schillinger . - J'ai été saisie par une personne, qui, demandant un visa, s'est vue proposer un rendez-vous six mois plus tard : un tel délai n'est pas raisonnable, que peut-on faire ?

Mme Gisèle Jourda . - Où en est l'implication en Algérie des autres pays européens ? Quelle comparaison feriez-vous avec nos positions - et quelle est notre présence, en nombre d'expatriés, d'entreprises, d'équipements culturels comme les lycées français ?

Mme Fabienne Keller . - La coopération franco-algérienne est peu développée, du fait que l'Algérie a décidé de ne pas recourir à l'endettement, par contraste avec ses deux voisins du Maghreb ; en avez-vous parlé avec vos interlocuteurs ? Où en sont, ensuite, les relations de l'Algérie avec la Tunisie et le Maroc ? Je rêve de voir un jour la ligne ferroviaire côtière être rétablie entre les trois pays...

M. Simon Sutour . - Il est dommage, effectivement, que le Maghreb ne soit pas intégré et que la frontière entre le Maroc et l'Algérie soit fermée. L'Algérie n'a pas de problème avec la Tunisie, les relations sont nombreuses, quelque 1,5 million de touristes algériens se rendent en Tunisie chaque année. Avec le Maroc, la rivalité est ancienne et bute, vous le savez, sur le conflit du Sahara occidental.

La présence française, en quelques chiffres : 6 569 entreprises françaises ont exporté en Algérie, 156 y sont implantées, représentant 26 700 emplois et un chiffre d'affaires de 4,276 milliards d'euros. 40 717 Français vivent actuellement en Algérie. L'aide au développement s'élevait l'an passé à 217 millions d'euros.

J'ai interrogé le consul général de France la question des visas, un ambassadeur y consacre une mission, il était présent à Alger. Le nombre de visas a doublé, à 400 000, entre 2012 et 2016. Le président du groupe d'amitié Algérie-France du Conseil de la Nation, issu de la société civile, qui m'accompagnait tout au long de mon séjour, m'a fait remarquer le coût du visa français : 60 euros de timbre et 30 à 40 euros de service, sous-traité, c'est beaucoup pour nombre d'Algériens et la délivrance des visas mobilise énormément nos services consulaires - alors qu'on sait bien que les visas ne sont pas une véritable barrière à l'entrée. Quant au délai, il n'est pas raisonnable, le Quai d'Orsay y travaille.

La France continue de jouer un rôle majeur, même si l'Espagne et l'Italie, pays proches, renforcent leurs positions. Vue de France, la coopération paraît faible, mais elle est très importante sur place. En Algérie, on attend beaucoup de la France, nous devons répondre à cette attente !

M. Jean Bizet , président . - Je vous félicite pour ce rapport sur ce pays à la fois proche et méconnu.

*

À l'issue du débat, la commission autorise, à l'unanimité, la publication du rapport d'information.

LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES

- M. Abdelkader Bensalah, président du Conseil de la Nation ;

- M. Saïd Bouhadja, président de l'Assemblée nationale populaire ;

- M. Benali Benzaghou, président du groupe Parlementaire d'Amitié Algérie-France du Conseil de la Nation ;

- M. Rachid Bougherbal, membre du Conseil de la Nation, ancien président de la commission des Affaires étrangères, de la coopération internationale et de la communauté nationale à l'étranger du Conseil de la Nation ;

- MM. Omar Ramdane, membre du Conseil de la Nation, président d'honneur du Forum de Chefs d'Entreprise (FCE), et Brahim Benabdeslem, vice-président du FCE ;

- M. John O'Rourke, chef de la délégation de l'Union européenne en Algérie et MM. Dirk Buda, chef de section Politique, presse et information, et Mauro Miranda, conseiller commercial ;

- M. Ali Mokrani, directeur de la Coopération avec l'Union européenne et les Institutions européennes, ministère des Affaires étrangères ;

- M. Djilali Lebibat, directeur du programme d'appui à la mise en oeuvre de l'accord d'association, ministère du Commerce ;

- MM. Haissam Chraiteh, président-directeur-général Sanofi Algérie , François-Xavier Mignon, directeur général Fromagerie Bel Algérie , et Bourkouk Moncef, directeur général Timac Agro Algérie ;

- M. Djilani Zebda, directeur de la culture de la wilaya de Tipasa ;

- Père José María Cantal Rivas, Basilique de Notre-Dame d'Afrique ;

- M. Saïd Moussi, chargé d'affaires, Ambassade d'Algérie en France ;

- S.E M. Xavier Driencourt, ambassadeur de France en Algérie, Mme Marion Bourgain, chef de cabinet de l'ambassadeur, et MM. Marc Didio, conseiller de presse, Thierry Peyroux, deuxième conseiller en charge de la politique extérieure, Vincent Roué, attaché de défense, Denis Le Fers, chef du Service Économique Régional, Abdel-Akim Mahl, magistrat de liaison, Sylvain Geranton, adjoint au chef du Service Économique Régional, et Hubert Olié, adjoint au chef du Service de Coopération et d'Action Culturelle ;

- M. Jean Wiet, consul général de France en Algérie ;

- M. Jean-Jacques Beucler, directeur de l'Institut français d'Alger.


* 1 Exprimé en standard de pouvoir d'achat, c'est à dire corrigé des effets de change et de prix.

* 2 Mise en place en 2005, cette zone comprend 18 membres, issus de la Ligue arabe : Algérie, Arabie saoudite, Bahreïn, Comores, Égypte, Émirats arabes unis, Irak, Jordanie, Liban, Libye, Koweït, Maroc, Oman, Qatar, Soudan, Syrie, Territoires palestiniens, Tunisie et Yémen.

* 3 Les cinq États membres de l'UMA échangent régulièrement avec cinq États membres de l'Union européenne - Espagne, France, Italie, Malte et Portugal - dans le cadre du dialogue 5+5.

* 4 L'Algérie a souhaité fermer sa frontière terrestre suite à un attentat à Marrakech le 24 août 1994 commis par trois Franco-algériens à l'hôtel Asni , causant la mort de deux ressortissantes espagnoles et dont les autorités marocaines rendaient responsables les services de renseignement algériens. Plus largement, les deux pays s'opposent sur la question du Sahara occidental, Alger soutenant le droit à l'autodétermination revendiqué par les indépendantistes du Front Polisario .

* 5 En ce qui concerne les activités commerciales, la règle 30/70 a été appliquée jusqu'en 2013, avant d'évoluer vers la répartition 49/51.

* 6 Elle est par ailleurs au 108ème rang sur 176 au sein de l'Index de perception de la corruption de Transparency international .

* 7 Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions : Programme de travail de la Commission pour l'année 2015 - Un nouvel élan (COM (2014) 910 final).

* 8 Document de travail conjoint des services - Rapport sur l'état des relations UE-Algérie dans le cadre la PEV rénovée Mars 2017, SWD (2017) 109 final, 9 mars 2017.

* 9 Les crédits prévus pour la période 2014-2020 destinés à la Tunisie sont compris entre 725 et 886 millions d'euros.

* 10 La Birmanie, l'Éthiopie, le Nigéria et le Venezuela sont également concernés.

* 11 Cour de justice de l'Union européenne, C- 104/16 P, Conseil/Front populaire pour la libération de la saguia-el-hamra et du rio de oro (Front Polisario).

* 12 Union pour la Méditerranée, Rapport annuel 2016.

* 13 Résolution européenne du Sénat (n°159/2015-2016) sur le volet méditerranéen de la politique de voisinage de l'Union européenne révisée.

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