E. TRAITER FISCALEMENT L'INVESTISSEMENT LOCATIF COMME UN ACTIF PRODUCTIF

Dès lors que l'investissement immobilier constitue indéniablement un investissement productif et ne bénéficie pas d'un traitement fiscal privilégié par rapport aux valeurs mobilières, il n'existe aucun motif valable justifiant de vouloir pénaliser cette classe d'actifs.

Or, la mise en place du prélèvement forfaitaire unique (PFU) - dont le périmètre exclut les revenus fonciers - et la transformation de l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF) en impôt sur la fortune immobilière (IFI) proposées par le Gouvernement dans le cadre du projet de loi de finances pour 2018, auront pour effet d'accentuer le différentiel de taxation existant en faveur des valeurs mobilières.

En outre, le recentrage de l'ISF sur l'immobilier apparaît d'autant plus incohérent qu'il conduirait à imposer les investissements immobiliers, tout en exonérant les liquidités et les biens meubles « improductifs » . Paradoxalement, une stratégie « anti-économique » consistant à vendre un appartement aujourd'hui loué à titre non professionnel pour laisser le produit de la vente sur son compte courant permettrait ainsi de réduire le montant dû au titre de l'IFI.

Ce recentrage s'accompagne en outre de la mise en place de clauses anti-abus complexes aux effets de bord difficiles à appréhender , afin de limiter les schémas d'optimisation visant à échapper au nouvel impôt, pour un rendement limité (850 millions d'euros).

Votre rapporteur général fera donc des propositions à ce sujet dans le cadre de l'examen de la première partie du projet de loi de finances.

F. GARANTIR UNE CONCURRENCE ÉQUITABLE AVEC LES PROPRIÉTAIRES EXERÇANT SUR LES PLATEFORMES D'HÉBERGEMENT EN LIGNE

Si l'existence d'une rente immobilière « générale » n'est pas identifiable, il semble qu'il existe en revanche une rente, de surcroît illégale, au bénéfice des propriétaires louant des logements sur des plateformes en ligne de type Airbnb , Abritel ou Homelidays , et échappant au moins en partie à leurs obligations fiscales et sociales .

Ce phénomène, qui concerne au premier chef les locations de meublés de tourisme (c'est-à-dire à court terme) , a été étudié en détails par le groupe de travail de la commission des finances sur la fiscalité et la collecte de l'impôt à l'heure de l'économie numérique, dans son rapport du 29 mars 2017, intitulé « La fiscalité de l'économie collaborative : un besoin de simplicité, d'unité et d'équité ».

Bien qu'il soit par définition impossible de quantifier précisément le phénomène , quelques chiffres en donnent une idée : Paris, première destination mondiale d' Airbnb , comporte 65 000 annonces sur la plateforme, et près de 100 000 toutes plateformes confondues . La Mairie de Paris estime qu'environ « 20 000 d'entre elles sont des hôtels qui ne disent pas leur nom 72 ( * ) ». Dans les quatre premiers arrondissements, ce sont 20 300 logements inoccupés (vacants, résidences secondaires ou logements occasionnels) qui ont été recensés 73 ( * ) , soit 26 % du total ; dans le même temps, la population de ces arrondissements est en baisse. D'après une enquête du Monde , 10 % des hôtes français seraient multipropriétaires et représentent plus du tiers des annonces proposées à l'année 74 ( * ) - souvent des agences déguisées, ou des propriétaires de plusieurs résidences secondaires (jusqu'à la moitié des loueurs dans les villes balnéaires).

Le reversement à la Ville de Paris de 5,5 millions d'euros de taxe de séjour collectée par Airbnb entre octobre 2015 et octobre 2016, dont il faut en soi se féliciter, n'est qu'un autre signe de l'ampleur du phénomène.

La Ville de Paris ne s'y est d'ailleurs pas trompée : afin de faire respecter la limite de 120 nuitées par an au-delà de laquelle une demande de changement d'usage assortie d'une compensation est obligatoire 75 ( * ) , elle a mis en place depuis le 1 er octobre 2017 un système d'enregistrement obligatoire préalable à la mise en location .

Dans le monde, d'autres grandes villes touristiques ont adopté des dispositions encore plus restrictives : limite de 90 nuits à San Francisco et de 30 jours à New York, interdiction de louer un logement entier à Barcelone et interdiction sauf autorisation spéciale à Berlin etc. Paris souhaiterait quant à elle abaisser cette limite à 60 nuitées.

Or il n'existe aujourd'hui aucun moyen efficace permettant de contrôler que les propriétaires en question s'acquittent bien de leurs obligations fiscales et sociales . C'est tout le paradoxe : alors même que les revenus des propriétaires sont connus en temps réel et à l'euro près par les plateformes en ligne, la déclaration incombe toujours au contribuable, et l'administration dispose de moyens de contrôle extrêmement limités . Il n'existe pas de mécanisme d'échange de données entre la Mairie de Paris et la direction générale des finances publiques (DGFiP). En outre, le « droit de communication », principal outil de celle-ci en matière de contrôle fiscal, n'a pas de portée extraterritoriale, de sorte qu'il se heurte le plus souvent à une fin de non-recevoir de la part des plateformes établies à l'étranger.

Par exemple, d'après l'étude du Monde précitée, seuls 17 % des multipropriétaires proposant plus de six appartements entiers, et 54 % de ceux proposant plus de vingt appartements, se déclareraient comme professionnels sur Airbnb - ce qui ne suffit pas d'ailleurs à garantir qu'ils s'acquittent de leurs obligations.

Le groupe de travail a donc proposé la mise en place d'un système de déclaration automatique sécurisée des revenus de leurs utilisateurs par les plateformes en ligne , par analogie avec ce qui existe notamment pour les établissements financiers. Ce dispositif, repris par des députés issus de différents groupes politiques, a été introduit par l'Assemblée nationale dans la loi de finances rectificative pour 2016 76 ( * ) , et devrait entrer en vigueur au 1 er janvier 2019. Il s'appliquera de façon obligatoire à l'ensemble des plateformes en ligne . Dans la foulée, la loi de financement de la sécurité sociale pour 2017 a prévu un mécanisme analogue pour les déclarations et le paiement des cotisations sociales, qui devrait, sous réserve d'une préparation technique suffisante, être applicable dès le 1 er janvier 2018.

Il s'agit du meilleur moyen - sinon du seul - de rétablir une égalité de traitement dans le domaine des locations meublées, et de mettre fin aux rentes qui sont, pour certaines, constitutives d'une infraction (en matière fiscale, sociale ou d'urbanisme).

Dans son rapport du 29 mars 2017, et dans la proposition de loi relative à l'adaptation de la fiscalité à l'économie collaborative déposée le même jour, le groupe de travail a également proposé d'instituer un avantage fiscal pour les petits revenus accessoires des particuliers, sous la forme d'un abattement forfaitaire transversal de 3 000 euros par an . En effet, l'objectif du dispositif proposé est bien de viser les rentes immobilières indues (et autres « faux particuliers » présents sur des plateformes de vente ou de services en ligne), mais pas de remettre en cause le compromis tacite et ancien sur lequel est fondé notre système fiscal - à savoir que ses règles, parfois complexes et en théorie applicables au premier euro, n'ont jamais été conçues pour s'appliquer aux particuliers qui mettent en location leur appartement le temps d'un week-end par voie de petite annonce.

L'architecture du dispositif, toutefois, ne permet à aucune « rente » d'émerger : au-delà de 6 000 euros bruts par an , soit quelque 500 euros bruts par mois (ce qui n'est même pas toujours suffisant pour couvrir les charges), son effet est nul 77 ( * ) et le loueur est effectivement imposé sur l'intégralité de ses revenus , comme - en théorie - tout autre particulier ou professionnel se livrant à la même activité. En d'autres termes, aucun loueur percevant un revenu significatif ne bénéficierait du moindre avantage fiscal , mais la déclaration de ses revenus demeurerait garantie. Quant aux revenus inférieurs à ce seuil, ils sont de toute façon peu déclarés aujourd'hui.

C'est le même raisonnement qui a été suivi en matière sociale , avec la création d'un seuil de 23 000 euros par an de revenu brut, en-deçà duquel le loueur de meublé de tourisme n'est pas considéré comme un travailleur indépendant et tenu au paiement des cotisations sociales à ce titre, mais seulement comme un propriétaire percevant des revenus du patrimoine - encore fallait-il, jusqu'à aujourd'hui, assurer que ceux-ci fussent déclarés.

De même, plusieurs pays européens ont choisi d'exonérer ces revenus en-deçà d'un certain seuil, à condition que ceux-ci fassent l'objet d'une déclaration automatique par la plateforme. Le dispositif belge, qui est le plus abouti à ce jour , vient tout juste d'être étendu aux locations de meublés touristiques, l'exonération étant portée de 5 100 euros en 2017 à 6 000 euros en 2018.


* 72 Source : interview de Ian Brossat, adjoint chargé du logement, 20 Minutes , 6 septembre 2017.

* 73 Source : Atelier parisien d'urbanisme (Apur).

* 74 Source : « Comment Airbnb a investi Paris et l'hypercentre des grandes villes », Le Monde , 4 août 2017. Enquête réalisée conjointement avec la Süddeutsche Zeitung (Allemagne), De Tijd (Belgique), Trouw.nl (Pays-Bas) et le journaliste d'investigation suisse François Pilet.

* 75 Sous peine de 25 000 euros d'amende. Quelque 754 000 euros d'amende ont été infligés entre janvier et septembre 2017. Source : Marie de Paris.

* 76 Loi n° 2016-1918 du 29 décembre 2016 de finances rectificative pour 2016.

* 77 En effet, le droit commun du régime micro-fiscal applicable aux locations meublées (lesquelles se rattachent à la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux - BIC) prévoit que l'impôt est calculé après application d'un abattement de 50 % sur le revenu brut. Par conséquent, au-delà de 6 000 euros de revenu par an (soit un abattement de 3 000 euros), il devient plus avantageux pour le contribuable de bénéficier du droit commun que du dispositif proposé.

Les dispositions relatives au régime micro-BIC figurent à l'article 50-0 du code général des impôts. Au-delà du seuil de ce régime (33 200 euros aujourd'hui et 70 000 euros aux termes de l'article 10 du projet de loi de finances pour 2018), l'effet de l'abattement forfaitaire est « depuis longtemps » neutralisé.

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