EXAMEN EN COMMISSION

La commission des affaires européennes s'est réunie le jeudi 15 mars 2018 pour l'examen du présent rapport. À l'issue de la présentation faite par M. Jean Bizet, le débat suivant s'est engagé :

M. Simon Sutour . - L'idée de ce déplacement pouvait surprendre, mais elle était judicieuse. C'est un pays de 17 millions d'habitants, riche d'une longue histoire, notamment coloniale, et qui forma même au 19 e siècle un royaume avec la Belgique. C'est une nation de commerçants, certes, mais qui a toujours été en pointe dans les domaines des libertés, de la démocratie et des modes de vie.

Dans les réunions européennes, les Pays-Bas ont toujours été le fidèle lieutenant du Royaume-Uni, aux côtés de la Suède, des pays Baltes, du Danemark ou de la Finlande. On pouvait se demander quelle serait leur position après le Brexit. On voit aujourd'hui qu'ils prennent des initiatives. Quelques jours avant notre visite, le Premier ministre néerlandais a prononcé un discours-doctrine à Berlin et, le jour même de notre déplacement, les Pays-Bas ont été à l'origine d'une déclaration commune de huit pays sur l'avenir de la zone euro. Ils entendent donc peser et ont même pris le relais de l'Allemagne sur certains sujets, le gouvernement Merkel étant très affaibli depuis les dernières élections - 35 parlementaires de la CDU-CSU n'ont pas voté son investiture.

Nos voisins néerlandais ont le mérite d'exposer les choses franchement, sans langue de bois. Ils n'hésitent pas à nous faire la leçon sur notre gestion des finances publiques et à nous dire très courtoisement qu'il faut d'abord respecter les règles avant d'envisager la création d'un ministre des finances de la zone euro.

Il me semble donc nécessaire de parler avec les Pays-Bas. Dans un autre registre, je salue également l'initiative du président du Sénat à l'égard de la Pologne. Il faut parler avec ces pays et essayer de les faire évoluer.

Mme Sylvie Robert . - Ce voyage était en effet très intéressant.

Nous avons pu notamment découvrir le fonctionnement du Sénat néerlandais, qui ne dispose pas du pouvoir d'amendement, mais simplement d'un droit de veto. Les deux chambres discutent beaucoup entre elles à la recherche de compromis, mais on perçoit tout de même une forme d'impuissance du Sénat.

Nous avons plutôt été rassurés sur les conséquences du Brexit. Avec d'autres États membres, les Pays-Bas ont adopté la stratégie de la tortue et ils n'ont pas été particulièrement séduits par le discours de Theresa May. Au fond, ils pensent pouvoir composer avec le Brexit et trouver des accords avec le Royaume-Uni.

En revanche, en dépit de l'insistance du président Jean Bizet sur ce point, il n'est pas question pour eux de taxer les GAFA. Ils se contentent de nous renvoyer poliment vers l'OCDE... Enfin, s'agissant d'Eurojust, c'est surtout la question du croisement des fichiers français qui se pose en priorité.

M. André Gattolin . - En effet, les Néerlandais disent ce qu'ils pensent, mais nous devons aussi être francs avec eux. Les causes de la richesse des nations sont souvent un peu obscures.

Entre 1950 et 1970, les Pays-Bas ont vécu dans une grande opulence, essentiellement grâce à la rente gazière, sans constituer de réserves financières comme la Norvège. Le port de Rotterdam, point d'entrée d'un tiers du transport naval de marchandises de toute l'Europe, est venu compléter puis relayer cette manne, les Pays-Bas augmentant les droits de port en même temps qu'ils devaient diminuer les droits de douane. Cela me dérange toujours un peu quand un petit pays accapare ainsi une part disproportionnée de la richesse produite dans toute l'Union européenne.

Le port de Rotterdam a ensuite connu des difficultés, et les Belges ont négocié un statut similaire pour le port d'Anvers. Les Pays-Bas se sont alors lancés dans une politique de rescrits fiscaux tous azimuts.

Les Pays-Bas sont les premiers à dénoncer les dysfonctionnements de l'Europe et à mettre en avant leur vertu budgétaire, mais n'oublions pas qu'ils ont profité des déséquilibres de la construction européenne, notamment en matière de politiques fiscales.

La bonne santé économique des Pays-Bas ne tient donc pas seulement à la productivité ou à la capacité industrieuse des Néerlandais.

Si l'on veut véritablement refonder l'Europe, il faudra éviter à l'avenir qu'un groupe d'États ne capte des richesses au moyen d'une politique de différentiel compétitif.

M. Didier Marie . - Les Pays-Bas sont trop souvent sous-estimés, économiquement, mais aussi politiquement. Ce pays n'échappant pas à la montée du nationalisme et du populisme, il est intéressant également d'observer le fonctionnement de sa vie politique.

Pour autant, il ne constitue pas un modèle et nous avons avec ses dirigeants de profondes divergences, en particulier sur la question du budget européen, qui se verra amputé de 11 milliards d'euros par an environ avec le Brexit. Les Pays-Bas, avec d'autres pays, refusent d'abonder le budget européen et ne veulent pas mettre en place de dispositif permettant de faire émerger des ressources propres à l'Union, ce qui me semble pourtant indispensable. Les nouvelles priorités seraient alors financées par redéploiement de crédits, au détriment de la PAC et de la politique de cohésion, une position aux antipodes de celle de la France.

Il faut en effet parler à tout le monde, en particulier aux Néerlandais, qui semblent vouloir prendre le leadership des pays prônant une certaine orthodoxie budgétaire. Mais nous devons aussi leur dire clairement que le budget européen doit être au minimum porté à 1,3 % du PIB européen, contre 1,1 % actuellement, pour garantir le maintien des politiques existantes, notamment la PAC et la politique de cohésion. N'oublions pas qu'il existe aussi des poches de pauvreté dans les régions riches.

L'axe franco-allemand est indispensable, mais je suis favorable au multilatéralisme. Nous devons dialoguer avec tous les pays européens pour tenter d'avancer vers une Europe de progrès et de solidarité.

M. André Reichardt . - Ce rapport vient à point nommé livrer un éclairage sur les Pays-Bas au lendemain du Brexit. Le tableau idyllique de la situation économique de ce pays aurait toutefois été plus pertinent encore si le rôle joué par l'attractivité fiscale avait été davantage mis en lumière.

Par ailleurs, l'idée de redéployer des crédits au détriment de la PAC ne manque pas de sel à l'heure où l'on sait que les Pays-Bas ont pris pour le moins quelques libertés avec cette politique communautaire.

Je souhaiterais enfin vous poser une question, monsieur le président : l'excédent budgétaire des Pays-Bas ne doit-il pas aussi être mis en relation avec une certaine précarisation de l'emploi ? Vous n'abordez pas le sujet, mais vous parlez d'un grand nombre d'auto-entrepreneurs, un terme dont je me méfie, car il peut aussi désigner de faux entrepreneurs. Un autre de nos voisins affiche lui aussi un très fort excédent budgétaire - plusieurs centaines de milliards d'euros - et connaît une précarisation certaine de l'emploi.

Mme Pascale Gruny . - Nos collègues néerlandais se caractérisent en effet par leur franchise et leur qualité de négociateurs. Ils ont toute leur place au sein des institutions européennes et il est important de dialoguer avec eux.

Je souhaite aborder le sujet du trafic de drogue. La dépénalisation de la consommation n'empêche pas les trafics de prospérer, particulièrement dans la région des Hauts-de-France. Avez-vous évoqué ce sujet avec vos interlocuteurs ?

Mme Gisèle Jourda . - Ce rapport sur un pays voisin que l'on connaît mal, et qui joue un rôle important en Europe, est très intéressant.

Quelques mots sur Europol et Eurojust. Ayant participé à la commission d'enquête sur les frontières de l'espace Schengen, j'ai pu observer qu'en matière de coopération policière, judiciaire ou douanière, des difficultés subsistaient entre pays membres en matière d'harmonisation et d'échanges d'informations. Le rapport évoque la nécessité de regards conjoints pour mener des enquêtes, mais nous avons constaté, lors de la mise en place des dossiers de biométrie pour le contrôle aux frontières, que l'on se heurtait à des difficultés tenant principalement à une certaine appréhension à transmettre les données et à une absence d'uniformisation des systèmes informatiques.

Le rapport évoque une simplification de la transmission des mandats d'arrêt internationaux après le retrait du Royaume-Uni. Lorsque nous avons auditionné les représentants d'Eurojust, ils ont pourtant mis l'accent sur certaines difficultés à prévoir. Ce point mériterait d'être approfondi.

M. Jean Bizet , président . - Le rapport évoque le chiffre d'1 million d'auto-entrepreneurs au moins aux Pays-Bas, et il est vrai que ces petits boulots peuvent cacher des salaires peu élevés. C'est une tendance générale en Europe du Nord. Le Gouvernement néerlandais entend rééquilibrer le modèle de flexisécurité au moyen d'un meilleur encadrement du statut des travailleurs indépendants. Mais l'équilibre politique du pays est extrêmement fragile.

Pour répondre à votre question sur le trafic de drogue, madame Gruny, nous vous transmettrons un article paru dans Le Monde le 5 mars, dans lequel les syndicats de police néerlandais considèrent que 30 ans de politique de dépénalisation ont fait des Pays-Bas un État de narcotrafiquants...

De mémoire, les Pays-Bas ont déjà anticipé sur le Brexit en recrutant de 700 à 1 000 douaniers supplémentaires pour surveiller la frontière avec le Royaume-Uni. Plus de 1 000 containers par jour transitent par le port de Rotterdam et les contrôles systématiques sont impossibles.

M. André Gattolin . - La surveillance est très lacunaire !

M. Jean Bizet , président . - Ils procèdent à des contrôles sur dénonciation...

On peut saluer l'orthodoxie budgétaire des Pays-Bas sans toutefois oublier le passé.

Au regard du discrédit dont l'Union souffre auprès de la population - les élections italiennes en fournissent un nouvel exemple -, il me semble qu'elle se doit de mettre en place de nouvelles politiques. L'Europe n'était pas préparée pour affronter la vague migratoire que nous avons connue. Elle a réagi plutôt efficacement, mais lentement - ce n'est pas un État fédéral. Le budget européen est insuffisant pour développer ces nouvelles politiques que l'opinion publique appelle confusément de ses voeux. Nous avons encore une marge de progression importante par rapport au budget actuel, qui s'établit à 1,01 % du RNB.

Il ne serait pas opportun de vouloir mettre en oeuvre ces nouvelles politiques - lutte contre le terrorisme, encadrement des migrations, défense - par redéploiement de crédits alloués à la PAC et à la politique de cohésion. La PAC reste une politique stratégique à l'heure où tous les États continents accroissent leurs concours financiers à l'agriculture. Quant à la politique de cohésion, elle est nécessaire, notamment en direction des Balkans, si nous voulons avoir une Union plus homogène.

On ne peut pas vouloir une Europe plus efficace sans lui donner les moyens financiers correspondants. Nous continuerons à faire passer ce message.

Enfin, les Pays-Bas abordent depuis longtemps de façon intelligente les problématiques réglementaires de concurrence et c'est auprès des autorités néerlandaises que nous avons recueilli les informations indispensables pour faire bouger le curseur. Ainsi, dans le cadre du règlement « omnibus », nous avons réussi à faire comprendre à la Commission européenne que le monde avait changé et qu'il fallait revoir la politique de concurrence établie voilà 50 ans. C'est une compétence exclusive de l'Union, mais sa déclinaison nationale a été bien différente aux Pays-Bas et en France, entre la vision de Bruno Lasserre, par exemple, et celle de son homologue néerlandais. Nous avons ainsi empêché l'émergence de leaders dans notre pays.

M. André Gattolin . - S'agissant du débat sur le budget européen, n'oublions pas non plus que le rabais octroyé au Royaume-Uni s'est également traduit par un rabais au profit d'autres pays, notamment les Pays-Bas et l'Allemagne. Cette réalité explique aussi les positions malthusiennes de certains États membres sur le budget européen, car ils savent pertinemment que la fin du rabais britannique devrait logiquement signifier la fin des autres rabais. Rappelons que la France et l'Italie sont les pays qui payent le plus.

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À l'issue de ce débat, la commission a autorisé, à l'unanimité, la publication du rapport d'information.

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