LES PRINCIPALES RECOMMANDATIONS DU RAPPORTEUR SPÉCIAL

1. Clarifier la stratégie énergétique de la France en matière de développement des énergies renouvelables en précisant rapidement de quelle façon et à quelle échéance le Gouvernement entend réduire la part du nucléaire dans la production d'électricité à 50 % ;

2. Simplifier les procédures d'autorisation des projets de production d'énergies renouvelables électriques et encadrer les recours dont ils peuvent faire l'objet, afin de réduire leurs délais de mise en service ;

3. Soutenir davantage les acteurs industriels spécialisés dans les énergies renouvelables en les aidant à se positionner sur des secteurs innovants (batteries, réseaux intelligents, infrastructures de stockage, etc.) ;

4. Pour assurer une validation démocratique de la stratégie énergétique et associer le Parlement à la définition des objectifs de développement des énergies renouvelables et des volumes financiers de soutien aux énergies renouvelables, remplacer la programmation pluriannuelle de l'énergie, publiée par voie réglementaire, par une loi de programmation pluriannuelle de l'énergie ;

5. Pour garantir des soutiens pérennes tout en évitant d'octroyer des rémunérations excessives aux producteurs, améliorer les mesures de l'impact financier de long terme des mécanismes de soutien, grâce à une meilleure connaissance des coûts de production et des prix des différentes filières ;

6. Pour atteindre les objectifs fixés en matière de développement de la chaleur renouvelable, augmenter les moyens alloués au fonds chaleur, géré par l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME) ;

7. Pour atténuer les effets sur le pouvoir d'achat des ménages de la montée en charge de la « taxe carbone », qui se feront sentir sur toute la durée du quinquennat, proposer de véritables contreparties financières dès le prochain projet de loi de finances.

1. En dépit d'indéniables progrès, la France a pris du retard par rapport à ses objectifs de développement des énergies renouvelables

La France s'est fixée ces dernières années d'ambitieux objectifs en matière de développement des énergies renouvelables (ENR) : elle souhaite porter leur part dans la consommation finale brute d'énergie à 23 % en 2020 et 32 % en 2030 , conformément au cap fixé par la loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte.

Le chemin parcouru ces dernières années par notre pays ne doit pas être minimisé , ainsi que l'a rappelé lors de son audition le directeur général de l'énergie et du climat (DGEC). La forte mobilisation française en faveur des énergies renouvelables a permis de modifier significativement notre mix énergétique , puisque la part des ENR dans la consommation finale brute d'énergie est passée de 9,2 % en 2005 à 15,7 % en 2016 , dont 20,7 % de la consommation finale de chaleur et 19,1 % de la consommation finale d'électricité .

Pour autant, comme le souligne la Cour des comptes dans son rapport, la France a d'ores-et-déjà accumulé trop de retard pour que la cible de 23 % d'ENR dans la consommation finale brute d'énergie en 2020 puisse rester crédible, le chiffre de 32 % en 2030 étant lui aussi fortement compromis .

Si la production d'électricité renouvelable représentait, en 2016, 92 % du niveau prévu à cette date, ce chiffre n'était en effet que de 78 % pour la chaleur renouvelable. Il sera donc nécessaire d'accélérer fortement le développement de cette catégorie d'énergies (cf. infra ).

Votre rapporteur spécial note que la Cour des comptes partage ses inquiétudes sur le point le plus sensible de la stratégie énergétique française : la place de l'énergie nucléaire dans notre mix énergétique . Il n'est plus possible de gérer les énergies renouvelables et l'énergie nucléaire en silo : elles doivent toutes deux s'articuler d'une manière beaucoup plus cohérente, car leurs avenirs respectifs sont étroitement liés.

De fait, si la France souhaite développer les ENR pour réduire ses émissions de dioxyde de carbone, la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte précitée a également prévu que les énergies vertes devraient permettre de baisser la part de l'énergie nucléaire à 50 % du mix électrique en 2025 .

Or, si le ministre de la transition écologique et solidaire a officiellement renoncé en novembre 2017 à atteindre cet objectif à la date prévue, sa stratégie en la matière reste pour l'heure beaucoup trop floue et devra très rapidement faire l'objet d'une clarification dans le cadre de la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) actuellement en cours de discussion.

2. Les freins au développement des énergies renouvelables électriques doivent être levés

Les procédures d'obtention des autorisations nécessaires à la mise en oeuvre des projets d'énergies renouvelables électriques paraissent aujourd'hui beaucoup trop complexes et doivent impérativement être simplifiées .

De fait, les contraintes en matière de patrimoine , celles qui sont liées à la présence de radars militaires sur le territoire sont nettement plus fortes en France que chez nos partenaires européens : les critères utilisés dans ces différents domaines devraient donc être significativement assouplis , en concertation avec les administrations concernées.

Surtout, les risques de contentieux liés à ces autorisations sont aujourd'hui beaucoup trop importants et viennent pénaliser la majorité des projets en cours de développement. Plus de sept ans s'écoulent ainsi entre la conception d'un projet d'éoliennes et sa mise en service en France , là où il en faut à peine trois en Allemagne et aux Pays-Bas, ce qui n'est pas acceptable .

Lors de son audition, le président de la Commission de régulation de l'énergie (CRE) a avancé plusieurs solutions de bon sens que votre rapporteur spécial souhaiterait voir rapidement mises en place par le Gouvernement ou adoptées par le Parlement, lorsque des modifications législatives sont nécessaires.

Il paraît tout d'abord indispensable de mieux encadrer le droit au recours aujourd'hui utilisé de façon systématique par les opposants des projets d'ENR pour les retarder, par exemple en limitant les délais de saisine ou en interdisant l'introduction d'un moyen nouveau au-delà de trois mois après l'introduction du recours initial .

Pour certains types de projets, tels que l'éolien offshore , il serait souhaitable que les autorisations obtenues par les industriels soient dès le départ purgées de tout recours pour le lauréat , afin que les difficultés juridiques considérables auxquelles ont été exposés les lauréats des premiers appels d'offre ne se reproduisent plus à l'avenir.

Enfin, il faudra veiller à ce que les nombreux sites qui vont faire prochainement l'objet d'un repowering , c'est-à-dire la construction d'une nouvelle installation en lieu et place d'une installation existante, bénéficient de procédures d'autorisations réduites au strict nécessaire .

3. Un bilan industriel décevant, des opportunités à saisir

La France avait formalisé une forte ambition dans le cadre du Grenelle de l'environnement de 2008 pour que la transition énergétique contribue à développer de nouvelles filières industrielles créatrices d'emplois , en particulier dans le secteur des énergies renouvelables.

Malheureusement, cet objectif est progressivement passé au second plan , si bien que, selon la Cour des comptes, la France présente aujourd'hui un bilan industriel décevant dans ce domaine.

Selon les chiffres de l'ADEME, les industries françaises couvrent ainsi actuellement moins de la moitié de la valeur ajoutée des investissements et moins de 25 % de la fabrication dans les ENR électriques .

Dans l'éolien, les turbines installées sont fabriquées par des industriels étrangers , quatre grands groupes européens se partageant 80 % du marché. Selon l'ADEME et la direction générale des entreprises (DGE), seulement 40 % environ de la part de la valeur ajoutée dans les nouveaux parcs éoliens terrestres serait d'origine française .

Dans le domaine de l'énergie solaire , la part française de la valeur ajoutée des installations photovoltaïques représente 44 % environ . Si le marché des modules est dominé à 90 % par les industriels asiatiques, des entreprises françaises sont relativement bien positionnées sur l'intégration et la gestion des systèmes.

Parmi les industriels qui parviennent à tirer leur épingle du jeu dans le domaine des énergies renouvelables, la Cour des comptes cite Compte-R (chaudière biomasse de grande puissance), Poma (éoliennes terrestres renforcées ou adaptées aux plafonds aéronautiques bas), DualSun (panneaux solaires hybrides), Photowatt (fabrication intégrée de modules photovoltaïques) ou Vergnet (éoliennes à résistance cyclonique). Il convient toutefois de noter que plusieurs de ces entreprises rencontrent actuellement de fortes difficultés .

Si l'industrie française n'a pas à ce stade autant bénéficié de la transition énergétique qu'espéré, plusieurs pistes devront être explorées pour accroître le développement des filières existantes et permettre l'émergence de nouvelles filières .

Un enjeu important sera tout d'abord de parvenir à gérer l'intermittence et la variabilité des énergies renouvelables grâce à une gestion « intelligente » de l'énergie et au développement de technologies de stockage , avec notamment des innovations de rupture possibles en matière de batteries ou de réseaux intelligents (« smart grids »), un domaine dans lequel l'entreprise française Schneider Electric est très présente. Les grands énergéticiens français s'intéressent également à cette problématique, en particulier EDF ou bien encore Total avec le rachat du spécialiste de batteries Saft.

L'ADEME considère en outre que de nombreuses opportunités s'offriront aux industriels français dans le secteur de l'éolien , avec la rénovation des premiers parcs (enjeu du « repowering », mentionné supra , qui consiste à démanteler et remplacer une éolienne ancienne par une éolienne plus puissante) ou le développement de l'éolien flottant .

Elle estime également que la filière gagnerait à se positionner sur des marchés spécifiques , à attirer sur le sol français l'usine d'un turbinier étranger ou à accompagner les PME/ETI pour investir dans le secteur de la sous-traitance de composants.

Mais pour que l'industrie française puisse véritablement saisir ces différentes opportunités, il faudra que l'État mette enfin en place une véritable stratégie industrielle identifiant les filières et les maillons de la chaîne de valeur les plus porteurs . La révision de la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) doit être l'occasion de mener cette réflexion.

4. Le soutien financier aux énergies renouvelables : un coût appelé à augmenter, une participation insuffisante du Parlement
a) Le soutien au développement des énergies renouvelables, un enjeu budgétaire majeur et au poids croissant

Les charges de service public de l'énergie , dont le montant est arrêté tous les ans par une délibération de la commission de régulation de l'énergie (CRE) 1 ( * ) , représenteront 7,9 milliards d'euros en 2018 , soit une hausse de 10 % par rapport à 2017.

Cette augmentation s'explique avant tout par la hausse de 13 % des charges liée à la production de l'électricité par des énergies renouvelables , qui atteignent 5,4 milliards d'euros et représentent à elles-seules près de 70 % des charges du service public de l'énergie (cf. graphique ci-dessous).

Cette nouvelle hausse considérable des coûts du soutien aux énergies renouvelables s'explique essentiellement par l'accroissement des capacités installées , en particulier pour la filière photovoltaïque et la filière éolienne , qui représenteront respectivement 54 % et 29 % des charges en 2018 .

Cette tendance engendre une hausse des montants dus par l'État au titre de l'obligation d'achat et du complément de rémunération.

Surcoût du soutien à la production d'électricité renouvelable en 2018

(en millions d'euros)

Source : commission de régulation de l'énergie (CRE)

Le soutien aux énergies renouvelables électriques

Il existe deux modalités d'attribution du soutien au développement des énergies renouvelables électriques :

- le guichet ouvert, qui ouvre un droit à bénéficier d'un soutien pour toute installation éligible ;

- les procédures de mise en concurrence, qui peuvent prendre la forme d'appels d'offres ou de dialogues concurrentiels, et où le soutien est attribué aux seuls lauréats.

Au sein de ces dispositifs, les modalités de rémunération se présentent sous deux formes : l'obligation d'achat ou le complément de rémunération, leur niveau visant à permettre au producteur de couvrir les coûts de son installation tout en lui assurant une rentabilité normale.

Dans le cadre de l'obligation d'achat, tout kilowattheure injecté sur le réseau public est acheté par un acheteur obligé à un tarif d'achat fixé à l'avance. Du fait de sa simplicité, ce dispositif vise les installations de petites tailles.

Dans le cadre du complément de rémunération, les producteurs commercialisent leur électricité sur les marchés et bénéficient d'une prime visant à compenser l'écart entre les revenus tirés de cette vente et un niveau de rémunération de référence. Ce dispositif renforce l'exposition des producteurs aux signaux des prix de marché de court terme, tout en garantissant une rémunération raisonnable.

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses transmises par la Commission de régulation de l'énergie (CRE)

Les projections réalisées par la Commission de régulation de l'énergie (CRE) montrent que ce mouvement de hausse n'en est qu'à ses débuts : les charges de service public de l'énergie s'élèveront à 10,1 milliards d'euros en 2022 - soit 2,2 milliards d'euros de plus qu'en 2018 -, dont 7,5 milliards d'euros de soutien aux énergies renouvelables électriques.

Au total, les charges de service public de l'énergie représenteront un effort budgétaire de 45 milliards d'euros sur la période 2018-2022, dont 30 milliards d'euros pour les énergies renouvelables électriques (67 % du total).

b) Le Parlement demeure exclu des décisions budgétaires s'agissant du soutien public aux énergies renouvelables

Depuis 2016, le Parlement est en mesure de contrôler un peu mieux les sommes allouées au soutien aux énergies renouvelables, dont les montants deviennent chaque année plus importants .

En effet, jusqu'en 2015, c'est la contribution au service public de l'électricité (CSPE) , imposition de toutes natures, qui finançait, via un circuit « extrabudgétaire » , les dépenses destinées à compenser les obligations de service public assignées aux entreprises du secteur de l'électricité et du gaz : obligation d'achat à un prix garanti de l'électricité produite par des sources d'énergie renouvelable, injection de bio-méthane dans les réseaux de transport et de distribution de gaz naturel, etc.

Le taux de cette contribution était arrêté chaque année par le ministre chargé de l'énergie, sur proposition de la Commission de régulation de l'énergie (CRE), afin que ces contributions couvrent l'ensemble de ces charges de service public de l'énergie .

Cette situation était profondément insatisfaisante car elle revenait à soustraire du vote et du contrôle du Parlement de nombreuses dépenses de nature budgétaire et à l'exclure totalement de la détermination du taux d'un impôt représentant plus de 5 milliards d'euros de recettes , alors même qu'il est supposé, aux termes de l'article 34 de la Constitution, « déterminer l'assiette, le taux et le recouvrement des impositions de toutes natures ».

La loi  de finances rectificative pour 2015 2 ( * ) a procédé à une refonte de ce dispositif fort peu démocratique en intégrant dans le budget de l'État l'ensemble des charges de service public de l'énergie jusque-là financées de façon « extrabudgétaire » par l'ancienne CSPE 3 ( * ) . Le compte d'affectation spéciale « Transition énergétique » retrace dorénavant, dans un programme dédié au « Soutien à la transition énergétique », le soutien aux énergies renouvelables électriques ainsi que le soutien à l'injection de bio-méthane.

En dépit de cette réforme, qui lui permet désormais de se prononcer sur ces charges et de suivre les dépenses liées à la politique de l'énergie, le Parlement demeure exclu des grands choix qui engagent en matière de soutien aux énergies renouvelables, tant en termes d'objectifs fixés que de soutien public qui y sont associés.

En effet, les tarifs d'achat garantis et les compléments de rémunération, qui expliquent principalement le dynamisme des charges, sont fixés par voie réglementaire , et les appels d'offre lancés par l'État permettant de fixer la quantité d'énergie bénéficiant du soutien public et le prix d'achat échappent au contrôle du Parlement. Le Parlement n'est pas non plus associé à la définition des objectifs de développement des énergies renouvelables, décidés dans le cadre de la programmation pluriannuelle de l'énergie.

Cette situation, qui condamne le Parlement à une totale impuissance face à la hausse exponentielle de ces dépenses , est profondément insatisfaisante . Tant que le Parlement ne sera pas davantage associé à la définition du rythme de développement des énergies renouvelables, il n'aura aucun contrôle sur le montant des charges à compenser et ne sera donc pas en mesure de contenir l'évolution des coûts.

Votre rapporteur souscrit ainsi totalement à la proposition de la Cour des comptes de mieux associer le Parlement à la définition des objectifs de développement des énergies renouvelables et des volumes financiers qui y sont dédiés.

Votre rapporteur appelle de ses voeux le vote d'une loi de programmation pluriannuelle de l'énergie , qui remplacerait la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE), et conférerait à cette programmation une autorité bien plus grande que celle d'un simple décret, en permettant une validation démocratique de la stratégie énergétique. Cette loi fixerait notamment le plafond par filière des nouvelles capacités de production d'électricité issues de sources d'énergie renouvelable , ainsi que le plafond des surcoûts compensés aux opérateurs au titre de l'achat d'électricité issue de sources d'énergies renouvelables .

Dès lors que les dispositifs de soutien aux énergies renouvelables engagent l'État sur de longues durées (cf. infra ) et représentent des montants de plus en plus considérables, un renforcement du pilotage budgétaire des charges apparaît indispensable, afin que les conséquences des engagements soient mieux anticipées.

5. Au regard du poids budgétaire des engagements passés, une meilleure anticipation des volumes de charges futurs apparaît indispensable

Les mécanismes de soutien aux énergies renouvelables tels que les obligations d'achat ou les compléments de rémunération (cf. encadré supra ) contraignent les finances publiques pour de longues périodes, pouvant aller jusqu'à vingt ans .

D'après les estimations faites par la Commission de régulation de l'énergie (CRE) 4 ( * ) :

- pour les cinq prochaines années , 94 % des charges prévisionnelles en matière d'énergie renouvelables et de cogénération sont d'ores et déjà engagées ;

- près de la moitié des charges qui seront financées par le budget de l'État en 2022 ont été engagées avant 2011 ;

- 84 % du montant des charges qui seront financées par le budget de l'État en 2023 correspondront à des dépenses engagées avant 2017 ;

- en outre, l'ensemble des charges engagées ou en cours d'engagement sur la période 2018-2022 devraient représenter 168 milliards d'euros sur la durée de vie des contrats.

Ces soutiens financiers ont contribué à la baisse des coûts de production des énergies renouvelables, comme en témoignent les résultats des derniers appels d'offres pour les installations solaires photovoltaïques au sol (55 euros par mégawattheure) ou éoliennes terrestres (65 euros par mégawattheure). Néanmoins, comme le rappelle la Cour des comptes, les conséquences financières des mécanismes de soutien ont pu, dans certains cas, être mal appréciées , les montants de soutien alloués ne reflétant alors plus les coûts réels des technologies subventionnées.

C'est par exemple le cas dans la filière de l'éolien offshore posé en mer : les tarifs d'achat octroyés par les deux appels d'offres conclus en 2011 et 2013 représenteraient, d'après la CRE, près de 2 milliards d'euros de soutien public par an, soit environ 40 milliards d'euros sur vingt ans, pour une production équivalent à 2 % de la production française d'électricité.

Ainsi, compte tenu de la diminution des coûts observés pour cette filière ces dernières années, le Gouvernement a souhaité négocier les montants de soutiens publics prévus. Le Président de la République a annoncé, en juin dernier, un ajustement à la baisse de 30 % des tarifs de rachat par EDF, ce qui permettrait de diminuer de 40 % le soutien public, dont découlerait une économie de 15 milliards d'euros sur vingt ans .

Or, l'efficacité d'un soutien public s'apprécie par la capacité à offrir une visibilité aux producteurs sur les volumes à moyen et à long termes, afin de diminuer les coûts du capital, mais aussi par la stabilité des dispositifs déployés.

Pour éviter que de telles situations se reproduisent, il apparaît capital, comme le recommande la Cour des comptes, de mieux mesurer l'impact financier de long terme des mécanismes de soutien , grâce à une meilleure connaissance des coûts de production et des prix des différentes filières , dans une démarche prospective.

6. Renforcer le soutien aux énergies renouvelables thermiques

Dès lors qu'elle représente plus de la moitié de la consommation énergétique nationale, la chaleur représente un enjeu essentiel du développement des énergies renouvelables. La loi de transition énergétique pour la croissance verte fixe ainsi des objectifs ambitieux s'agissant du développement de la chaleur renouvelable, en prévoyant de :

- porter la part des énergies renouvelables à 38 % de la consommation finale de chaleur d'ici 2030 ;

- multiplier par cinq la quantité de chaleur renouvelable et de récupération livrée par les réseaux de chaleur et de froid.

Le décret relatif à la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) détermine par ailleurs des objectifs intermédiaires en 2018 et 2023 5 ( * ) .

Objectifs de développement des filières chaleur renouvelable et de récupération de la programmation pluriannuelle de l'énergie 6 ( * )

(en million tonne équivalent pétrole- Mtep)

Source : commission des finances du Sénat

En 2016, les énergies renouvelables couvrent 20,7 % de la consommation finale de chaleur . Cependant, le rythme de croissance annuelle de la part des énergies renouvelables dans la consommation finale de chaleur paraît aujourd'hui insuffisant pour atteindre ces objectifs .

Or, alors qu'elles représentent 60 % de la production d'énergies renouvelables, les énergies renouvelables thermiques ne bénéficient que de 10 % des soutiens publics .

Le soutien à la chaleur renouvelable passe principalement par le fonds « chaleur », dont la gestion est déléguée à l'ADEME, et qui vise le développement des investissements de production et des réseaux de distribution de chaleur renouvelable pour les besoins de l'habitat collectif, du tertiaire, de l'industrie et de l'agriculture.

Ce fonds finance deux types de projets : les installations de petite et moyenne taille, en complément d'autres aides pouvant être versées (par exemple via l'éco-prêt à taux zéro) ; les installations biomasses de grande taille dans les secteurs agricole et tertiaire, mises en place dans le cadre des appels à projets nationaux annuels « Biomasse Chaleur Industrie Agriculture Tertiaire » (BIACT).

Bilan des principales filières aidées par le Fonds chaleur entre 2009 et 2015

(en nombre et en millions d'euros)

Bois

Géo-thermie

Biogaz

Solaire

Réseaux de chaleur

Installation de récupération de chaleur fatale

Total des aides du fonds chaleur

Nombre de projets

909

394

51

1 590

668

32

3 644

Montant des investissements réalisés

2 162

499

200

154

1 565

46

4 626

Aide de l'ADEME

661

106

31

73

506

14

1 501

Source : commission des finances, d'après les réponses communiquées au rapporteur

Environ 215 millions d'euros ont été octroyés au fonds chaque année par l'ADEME sur la période 2009-2016.

En premier lieu, si le soutien à la chaleur renouvelable constitue cette année encore le principal poste de dépense de l'ADEME, le budget qui y est alloué apparaît en diminution de 10 % par rapport à 2017 , et devrait s'élever à 200 millions d'euros en 2018 . Ce montant n'apparaît pas suffisant pour satisfaire les besoins évalués par l'ADEME pour atteindre les objectifs inscrits dans la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE), et a conduit l'ADEME à réguler les engagements de 2017, reportant à 2018 des projets pourtant prêts à être financés 7 ( * ) .

En outre, le volume de soutien nécessaire dépend des évolutions des prix des combustibles fossiles . Compte tenu d'un contexte de prix des énergies fossiles très bas , un niveau d'aides plus élevé s'avère nécessaire pour rétablir la compétitivité des projets de chaleur renouvelable . Si la révision à la hausse de la trajectoire de la composante carbone, actée en loi de finances pour 2018 (cf. infra ), devrait conduire à une augmentation significative du prix des combustibles fossiles, améliorant la compétitivité des projets de chaleur renouvelable 8 ( * ) , ce rééquilibrage serait progressif - malgré la révision à la hausse de la trajectoire de la composante carbone, le prix du gaz pourrait rester, ces prochaines années, inférieur à ce qu'il était à la fin de l'année 2012.

Alors que l'augmentation progressive de la composante carbone ne permet pas encore de couvrir le différentiel de compétitivité avec les énergies fossiles, l'émergence des projets doit donc s'accompagner d'un renforcement des moyens du fonds chaleur, qui reste aujourd'hui sous-dimensionné par rapport aux objectifs fixés .

Enfin, le crédit d'impôt pour la transition énergétique (CITE) constitue le principal instrument de soutien public au développement de la chaleur renouvelable à destination des particuliers. Or, comme pour les projets collectifs, la rentabilité relative de la chaleur renouvelable évolue en fonction de l'évolution des prix des combustibles fossiles.

À ce titre, votre rapporteur veillera à ce que les équipements de production de chaleur renouvelable 9 ( * ) gardent toute leur place dans le cadre de la transformation du CITE en prime à l'investissement, qui devrait figurer au projet de loi de finances pour 2019.

En tout état de cause, il apparaît indispensable que la prochaine programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) vise l'atteinte des objectifs de la loi de transition énergétique et acte l'accélération du rythme de production de chaleur renouvelable.

7. Un financement de la transition énergétique qui repose sur une fiscalité punitive

L'article 32 de la loi de finances pour 2014 10 ( * ) a introduit une « composante carbone » dans le calcul des taxes intérieures de consommation sur les produits énergétiques, dite contribution climat-énergie (CCE), ou « taxe carbone ». Cette composante est proportionnelle au contenu en dioxyde de carbone (CO 2 ) des produits taxés.

Plus précisément, le tarif de la « composante carbone » dépend, pour chaque produit énergétique, du prix de la tonne de carbone , déterminé par la loi, et du contenu carbone standardisé de ce produit .

Depuis 2017, la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) constitue la recette principale du compte d'affectation spéciale « Transition énergétique » : ainsi, le financement du soutien aux énergies renouvelables repose exclusivement sur les énergies les plus carbonées.

Par ailleurs, l'article 1 er de la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte 11 ( * ) a prévu un objectif de prix de la tonne de carbone de 56 euros en 2020 et de 100 euros en 2030.

Or, la loi de finances pour 2018 12 ( * ) a acté une accélération considérable de la trajectoire de la composante carbone pour la période de 2018 à 2022. Aussi le prix de la tonne de carbone est-il fixé pour 2018 à 44,60 euros, puis augmenterait-il chaque année de 10,40 euros, pour atteindre 86,20 euros en 2022.

Les tarifs de la composante carbone actuellement prévus et ceux proposé par le Gouvernement pour la période 2018-2022 dans la LFI 2018

(en euros par tonne de carbone)

Source : commission des finances du Sénat

Contrairement à la Cour des comptes, votre rapporteur est plus que réservé sur cette nouvelle trajectoire autant que sur la méthode employée par le Gouvernement pour l'entériner . En effet, cette accélération pour une durée de cinq ans n'a fait l'objet d'aucune concertation préalable.

En réalité, la détermination pour toute la durée du quinquennat, de la trajectoire de la composante carbone traduit l'objectif de rendement que poursuit le Gouvernement :

- en 2018, la hausse de la composante carbone de 30,5 euros à 44,6 euros par tonne de CO 2 cumulée à la hausse de 2,6 centimes d'euro du tarif de la TICPE applicable au gazole devrait dégager un rendement de 3,7 milliards d'euros ;

- sur la totalité de la période 2018-2022, ces deux mesures provoqueront une hausse massive de 46 milliards d'euros des prélèvements obligatoires pesant sur les contribuables , ménages comme entreprises.

Les contreparties avancées par le Gouvernement pour atténuer les effets de cette hausse brutale de fiscalité énergétique apparaissent bien faibles et très largement insuffisantes.

En effet, ni le renforcement de la prime à la conversion automobile ni la généralisation du chèque énergie n'atténueront suffisamment les effets du « coup de massue fiscal » asséné par le Gouvernement.

En 2018, le Gouvernement a prévu 127 millions d'euros pour financer les primes à la conversion, soit 100 millions d'euros de plus qu'en 2017 et 80 millions d'euros supplémentaires pour le chèque énergie (581 millions d'euros en 2018 contre 500 millions d'euros en 2017). Votre rapporteur a déjà eu l'occasion de relever, dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances pour 2018, que ces 180 millions d'euros de dépenses supplémentaires apparaissaient peu crédibles pour compenser l'alourdissement de 3,7 milliards d'euros de fiscalité énergétique pesant sur les ménages en 2018.

Le Gouvernement se doit de proposer des compensations concrètes, crédibles et suffisantes dès le prochain projet de loi de finances.

8. Une gouvernance de la politique énergétique à améliorer

Au-delà de la place insuffisante qui a jusqu'ici été réservée au Parlement, la Cour des comptes relève plusieurs carences de la gouvernance actuelle de la politique de soutien aux énergies renouvelables .

Sont notamment mis en lumière l'existence de trop nombreuses instances de consultation dépourvues de pouvoirs réels, le manque de représentation de certaines parties prenantes ou bien encore une coordination entre directions ministérielles nettement perfectible.

Pour remédier à ces dysfonctionnements, la Cour des comptes préconise la mise en place d'un comité chargé d'éclairer les choix gouvernementaux relatifs à l'avenir de la politique de l'énergie ainsi que la création d'une instance de pilotage interministériel de la politique énergétique placée auprès du Premier ministre.

Sur la création d'un comité, votre rapporteur spécial tend à penser qu'il serait plus pertinent de renforcer les instances qui existent déjà, à commencer par la Commission de régulation de l'énergie (CRE) et l'ADEME , et d'élargir leur mission, plutôt que d'en créer de nouvelles.

Si la dimension interministérielle de la politique de soutien au développement des énergies renouvelables doit indéniablement être renforcée, il convient toutefois de réaffirmer le rôle de chef de file joué par la direction générale de l'énergie et du climat (DGEC).

Il serait du reste sans doute judicieux de renforcer les effectifs de cette direction qui travaillent sur les énergies renouvelables, eu égard à l'importance des sommes en jeu, ceux de nos partenaires européens étant nettement plus importants (une quarantaine d'experts en charge des projets d'ENR au Danemark, aux Pays-Bas ou en Allemagne contre une douzaine seulement en France).


* 1 Délibération n° 2017-169 du 13 juillet 2017.

* 2 Loi n° 2015-1786 du 29 décembre 2015 de finances rectificative pour 2015.

* 3 La même loi a également intégré la CSPE dans le régime de la taxe intérieure sur la consommation finale d'électricité (TICFE), ce qui a conduit à élargir l'assiette de cette taxe à l'ensemble des consommations d'électricité et à en augmenter le taux.

* 4 Délibération n° 2017-169 du 13 juillet 2017 de la Commission de régulation de l'énergie (CRE).

* 5 Voir le décret n° 2016-1442 du 27 octobre 2016 relatif à la programmation pluriannuelle de l'énergie.

* 6 Décret n° 2016-1442 du 27 octobre 2016 relatif à la programmation pluriannuelle de l'énergie.

* 7 En outre, le portefeuille de projets identifiés par l'ADEME pour 2018 dépasse les 300 millions d'euros d'aide, pour une capacité d'engagement attribuée à ce stade de 215 millions d'euros.

* 8 L'aide du fonds chaleur est calculée en fonction du différentiel de compétitivité entre la production de chaleur renouvelable et une solution gaz de référence.

* 9 Pour rappel, les dépenses en faveur des équipements de chaleur renouvelable éligibles au CITE représentent environ 280 millions d'euros par an.

* 10 Loi n° 2013-1278 du 29 décembre 2013 de finances pour 2014

* 11 Loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte.

* 12 Loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018.

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