PREMIÈRE PARTIE - FACE À DES SPOLIATIONS ANTISÉMITES CONSTITUTIVES D'UNE « PERSÉCUTION PAR LES PRÉJUDICES », UNE oeUVRE DE RÉPARATION INCOMPLÈTE APRÈS LA LIBÉRATION

Même si elles sont entourées d'incertitudes, les données récapitulées dans le tableau ci-dessous témoignent de l'ampleur et de la diversité des spoliations commises contre les Juifs durant l'Occupation.

Agressions

Éléments d'estimation

Pillages d'appartements

72 000 appartements dont 38 000 à Paris

Spoliation professionnelle et immobilière

Plus de 450 000 000 euros

Confiscations financières (banques et assurances)

520 000 000 euros

Vol ou vente forcée de biens culturels mobiliers

Plus de 100 000 objets d'arts
et plusieurs millions de livres

Confiscation de valeurs durant l'internement dans des camps

Plus de 750 000 000 euros

Total

Plus de 1 720 000 000 euros 2 ( * )

Source : commission des finances du Sénat d'après le rapport d'activité 2015 de la CIVS

Dans le cadre du présent rapport, il est exclu de consacrer des développements à chacun des chefs de spoliation 3 ( * ) .

Cependant, tant parce qu'un devoir de mémoire s'impose que parce qu'ils permettent d'approcher, de plus ou moins près, les justifications de l'existence de la commission d'indemnisation des victimes de spoliation (CIVS), certains de ses résultats, et les avancées qui restent à accomplir, une présentation des données relatives aux spoliations financières centrées sur les confiscations bancaires (mais ponctuellement élargies pour intégrer les spoliations relatives à d'autres possessions économiques 4 ( * ) ) et les spoliations des objets d'art et de culture fait l'objet de quelques développements particuliers.

Ceux-ci illustrent, dans les champs concernés, l'ampleur des crimes perpétrés, mais aussi les difficultés, plus ou moins aigües au demeurant, que présente encore de nos jours la mesure des spoliations et, plus encore, des préjudices subis. Nul doute que ces traits caractérisent également certains domaines de la spoliation qu'avait pu aborder le rapport de la mission Mattéoli et sur lesquels des travaux en cours apporteront très certainement des lumières utiles 5 ( * ) . Celles-ci méritent d'être dès l'abord soulignées pour le poids qu'elles ont encore aujourd'hui dans la problématique de la réparation des spoliations antisémites.

I. LES SPOLIATIONS ANTISÉMITES, UNE PERSÉCUTION PAR LES PRÉJUDICES

La spoliation a touché toute la population juive et de toutes les manières envisageables constituant ce qu'il est convenu d'appeler une « persécution par les préjudices ».

Observation n° 1 : les spoliations antisémites ont présenté un caractère massif contribuant à une « persécution par les préjudices ».

Tout ce qui put être spolié des biens et des droits détenus par la population considérée alors comme juive et victime à ce titre des plus extrêmes persécutions le fut si bien qu'en demeurant sur le seul terrain des principes, il n'y aurait pas lieu d'en dire plus sur ce point.

Cependant, tout politique de réparation implique la tâche forcément un peu embarrassante d'approcher une forme de comptabilité des préjudices subis par les victimes.

Cette activité de dénombrement a été longtemps différée alors même que l'objectif d'une réparation a été posé avant même la Libération et mise en oeuvre à sa suite, mais, la plupart du temps, sans le systématisme d'une identification des préjudices qui dut attendre la fin des années 1990 dans le cadre des travaux de la mission Mattéoli.

Encore doit-on remarquer que celle-ci ne put embrasser la totalité du champ des spoliations, circonstance qui a pu exercer quelques incidences sur l'étendue des réparations mises en oeuvre, et, ce, jusqu'à nos jours (voir infra ).

En cela, les travaux de la mission offrent certes une référence, largement utilisée par les autorités chargées aujourd'hui de compléter l'oeuvre de réparation des préjudices liés aux spoliations, et dans le présent rapport 6 ( * ) , mais une référence perfectible de l'avis même de la mission. De cet avis justifié par quelques utiles travaux intervenus depuis dans certains domaines de la spoliation (les objets d'art et de culture en particulier), la mission tira une série de recommandations destinées à compléter le tableau des spoliations, dont seules certaines furent, parfois très partiellement, mises en oeuvre.

En dépit de leur qualité, et alors même que sur certains points majeurs de la spoliation, elles ont pu conduire à enrichir considérablement la connaissance qu'on en peut avoir, il faut, d'emblée, exprimer le regret que l'indispensable travail historique et archivistique qu'appelle encore celle-ci, n'ait pas engendré suffisamment de contributions pour mieux appréhender le phénomène.

Observation n° 2 : alors même que la Mission Mattéoli avait averti sur l'incomplétude de ses travaux (dont on trouvera quelques illustrations dans plusieurs observations infra ) et recommandé des analyses complémentaires, ses observations servent encore largement de référence. Sans rien ôter à la très grande valeur des apports de la mission, force est de constater que les études qui auraient dû prolonger ces travaux n'ont pas été réalisées, alors même que les travaux ponctuels qui ont été proposés depuis ont pu en démontrer la très grande utilité.

Il n'est certes pas question de faire un exposé complet des processus de la spoliation dans le cadre du présent rapport.

Cependant, une présentation nécessairement sommaire, et sans doute perfectible, des conclusions auxquelles sont parvenus les précieux, mais trop rares, travaux disponibles, centrée principalement sur certains des domaines de la spoliation antisémite, en particulier, les spoliations portant sur les avoirs financiers et sur les objets d'art et de culture, qui s'impose ne serait-ce qu'au titre de l'indispensable devoir de mémoire conduit à une conclusion forte : massives, les spoliations demeurent au moment de leur mesure entourées de lourdes incertitudes.

Leur périmètre n'est pas stabilisé et l'estimation en valeur des confiscations aboutit davantage à des fourchettes qu'à des chiffrages définitifs.

Ces incertitudes, en même temps que celles entourant les indemnisations consécutives à la Libération, pèsent sur la conduite des missions confiées à la commission d'indemnisation des victimes de spoliation et l'appréciation qu'on peut en proposer.

A. UNE SPOLIATION TOTALE, UNE ÉVALUATION INCERTAINE, L'EXEMPLE DES « SPOLIATIONS FINANCIÈRES »

La spoliation antisémite a porté sur l'ensemble des actifs financiers , sous leurs différentes formes, détenus par les Juifs. Elle s'est durcie au fil du temps même si, dans le cadre particulier de l'aryanisation 7 ( * ) des entreprises, les processus engagés ont pu traîner en longueur aboutissant à limiter parfois les effets concrets de cette forme particulière de spoliation.

Si l'étendue des spoliations financières a été presque sans limites, les estimations des préjudices en ayant découlé demeurent incertaines , les évaluations proposées pour rendre compte du phénomène étant généralement présentées par les experts comme telles et pouvant être marquées par des écarts significatifs.

1. Un phénomène massif et composite

La mission Mattéoli a été l'occasion de mettre en évidence plusieurs des caractéristiques des spoliations financières intervenues pendant la période de l'Occupation, caractéristiques dessinant ce qu'on a pu appeler une persécution par les préjudices .

Il n'est pas indifférent pour le présent rapport d'évoquer à titre liminaire les circonstances temporelles des spoliations financières, pour autant que celles-ci ont pu ménager quelques faits de spoliations qu'on pourrait qualifier de spontanées , c'est-à-dire mises en oeuvre indépendamment des procédures strictes définies dans les phases ultérieures du processus, et, par conséquent particulièrement difficiles à appréhender .

Citant le rapport de la mission, on peut mentionner que le statut des avoirs déposés des personnes considérées comme juives est resté relativement indéterminé jusqu'à ce qu'une ordonnance allemande du mois d'avril 1941 prononce la confiscation des actions et parts détenues par les Juifs. On rappelle que les approches de la mission retiennent la situation des spoliés à fin décembre 1941.

Observation n° 3 : une période floue entre la débâcle et l'adoption des règles spoliatrices au cours de l'année 1941 a pu s'accompagner de « spoliations de fait » non prises en considération, et très difficilement identifiables, dans les travaux de la mission Mattéoli. En particulier (voir infra ), une période de latence a existé entre la déchéance des droits personnels des personnes persécutées et l'organisation de l'aryanisation économique, qui a pu s'accompagner de spoliations « à la sauvage ».

Au-delà, les spoliations financières plus encadrées n'ont cessé de connaître un durcissement.

Les spoliations se sont déroulées tous azimuts, mais, néanmoins elles ont été marquées par les spécificités des procédures mises en oeuvre selon les secteurs en fonction des logiques économiques sous-jacentes à chacun d'eux. La spoliation des comptes bancaires doit être distinguée de celle survenue dans le secteur des assurances, celle des valeurs saisies sur les victimes de l'internement de la procédure d'aryanisation économique 8 ( * ) ...

Les spoliations ont également été marquées par des différences selon les zones d'Occupation, zone occupée d'un côté, zone non-occupée de l'autre, sans compter le cas spécifique de l'Alsace-Moselle, peu analysé 9 ( * ) et qui, de ce fait, nourrit aujourd'hui encore un relativement abondant flux de demandes de réparation.

Observation n° 4 : les travaux de la mission Mattéoli n'ont pas couvert la totalité du territoire sur lequel des spoliations antisémites ont pu intervenir. Il en va ainsi de l'Alsace-Moselle, mais également des territoires « coloniaux ».

Il faut relever les spoliations des nazis, les spoliations du régime de Vichy enfin puisqu'aussi bien les textes d'organisation et les autorités de la spoliation des deux régimes tendent à se superposer ou à se succéder...

En toute hypothèse, la spoliation financière est massive et diversifiée pendant la période de l'Occupation.

S'agissant des actifs financiers proprement dits, les effets de la spoliation sont amplifiés par la mise en oeuvre de l'aryanisation des entreprises, qui procède d'une logique analogue mais distincte et suit un régime particulier.

Si le rôle des acteurs est différencié selon l'objet de la spoliation, circonstance qui n'est pas indifférente aux difficultés rencontrées pour en dresser un bilan précis, le mécanisme principal est toujours le même : une privation de droits aboutissant à l'immobilisation des créances correspondantes.

a) La spoliation financière (hors assurances), une spoliation exhaustive et composite
(1) Les mécanismes de la spoliation (incapacité, ventes, blocage et frais d'administration)

Dans le cadre du présent rapport, un résumé sans doute trop sommaire des propositions des travaux des historiens, conduit à distinguer les mesures générales prises à raison de la qualité de Juif, d'un côté, des mesures portant directement sur les biens financiers des Juifs de l'autre, avant de considérer le durcissement des mesures de spoliation, du fait notamment de l'application de prélèvements sur les sommes distraites.

Sur le premier point, il faut faire état, d'une part, des mesures d'interdictions professionnelles susceptibles d'induire des préjudices financiers très divers (qu'on rattache conventionnellement aux spoliations financières stricto sensu 10 ( * ) ), et, d'autre part, des mesures dites d'aryanisation des entreprises.

Observation n° 5 : s'il faut reconnaître à la privation de leur « capital humain », de leurs « capabilités » pour faire référence aux travaux des économistes contemporains, une nature très différente des spoliations ayant directement porté sur leurs avoirs financiers, la persécution antisémite exercée par privation de capacité professionnelle mérite d'être mentionnée, dans la mesure où elle a eu des effets considérables sur la situation des victimes, notamment sur leurs situations de revenu, qui sont fort mal pris en considération (voir infra ) dans le bilan des réparations des préjudices infligés.

On n'exposera pas ici le détail des nombreuses décisions normatives prises telles que le prononcé de la déchéance de la qualité de Français, l'exclusion des juifs des emplois de la fonction publique, des professions médicales, vétérinaires, le recensement des entreprises juives, l'organisation des missions des administrateurs provisoires, la création d'un service du contrôle des administrateurs provisoires (le SCAP) à partir de décembre 1940 et l'édiction d'un régime des entreprises aryanisées par l'ordonnance allemande du 26 avril 1941 comprenant notamment l'interdiction du paiement du produit de l'aryanisation aux personnes ayant dû s'y soumettre.

(2) L'aryanisation économique

Élément structurant cette architecture, la loi du 22 juillet 1941, qui codifie l'aryanisation, est la grande loi de spoliation de Vichy selon les termes mêmes de la mission Mattéoli. On remarquera que la loi vichyste concerne l'ensemble du territoire, y compris la zone non occupée.

Il vaut d'être souligné, dans le cadre du présent rapport consacré à l'oeuvre de réparation accomplie par la commission d'indemnisation des victimes de spoliations, quelques éléments « qualitatifs » qui permettent d'apprécier les difficultés de cette mission marquée par les incertitudes sur le détail des préjudices à réparer, mais aussi par la certitude d'une grande ampleur de leur périmètre .

Les premières peuvent être illustrées par l'observation que l'encadrement juridique de l'aryanisation est intervenu après quelques délais de latence durant lesquels le sort des entreprises privées de leurs dirigeants est mal connu. Certains de ces processus ayant pu perdurer au-delà de l'organisation juridique de l'aryanisation, un certain nombre de fonds ont certainement été spoliés « à la sauvage » quand d'autres ont pu se retrouver liquidés sans qu'aucune reprise n'intervienne.

En outre, l'ampleur effective prise in fine par le processus d'aryanisation demeure à apprécier plus complètement qu'elle ne l'est même si des progrès tardifs, mais très appréciables, ont été réalisés. Si ces travaux historiques 11 ( * ) attestent, avec l'inflation de la bureaucratie mobilisée à cette fin, que l'étendue du périmètre des spoliations fut fort large, le nombre de dossiers d'aryanisation ouverts demeure compris dans une fourchette allant de 42 369 à 49 887 dossiers selon les sources 12 ( * ) . Le nombre des dossiers conduits à leur terme est semble-t-il encore plus incertain.

En tout cas, l'aryanisation économique, qui a pu concerner une très grande diversité d'entreprises, allant de l'équivalent de la multinationale d'aujourd'hui au petit atelier de confection, a mobilisé une bureaucratie importante.

Côté français, le Commissariat Général aux questions juives (CGQJ) joua un rôle central dans l'application des procédures, avec un personnel qui augmenta progressivement, passant de 250 agents en juillet 1941 jusqu'à 1 000 agents en 1944. Par ailleurs, un réseau de 7 834 administrateurs provisoires, sur la période, fut constitué avec la création d'un service particulier, le service de contrôle des administrateurs provisoires (SCAP), qui exerçait une sorte de tutelle régulatrice sur les administrateurs provisoires. Les mandats assurés par ces administrateurs étaient très variables, certains pouvant traiter jusqu'à 300 dossiers en même temps, et leur zèle fut certainement inégal. Parmi la bureaucratie, on n'aura garde d'oublier les services du ministère de l'économie et des finances, qui déployèrent une activité certaine, non pour faire obstacle aux dépossessions (avec certaines heureuses mais rares exceptions), mais pour appliquer une science de l'ingénierie financière et industrielle au service de ces procédures.

Le rôle de la Caisse des dépôts et consignations doit être souligné : elle centralise les fonds, dans son rôle de déposant des consignations, traditionnel en somme, mais qu'il faut évidemment apprécier au regard de l'origine des consignations et du contexte de durcissement dans le temps des spoliations (voir infra ), ce qui trahit plus complètement encore le sens de sa mission 13 ( * ) . Les sommes issues des ventes correspondantes étaient appelées à être consignées, après extinction du passif, à hauteur de 90 % sur un compte ouvert à la Caisse des dépôts et consignations au nom de la personne spoliée, le reliquat de 10 % étant versé au compte du commissariat général aux questions juives (CGQJ) au titre de ses frais d'administration.

Enfin, certains actifs furent placés sous séquestre dans les comptes des notaires.

Si une certaine variété des circuits de la spoliation se détache autour d'un noyau dur constitué du CGQJ et de la Caisse des dépôts, variété qui compliquera l'action de réparation postérieure à la Libération, dans les mécanismes mis en oeuvre au fil de l'aryanisation, apparaît la mécanique préférentielle de la spoliation financière stricto sensu , l'ensemble normatif, ci-dessus évoqué ayant été appliqué dans des conditions très voisines aux comptes bancaires, aux comptes de titres et à d'autres valeurs mobilières.

(3) Les comptes bancaires
(a) Saisie et blocage

Pour ces derniers, la spoliation a emprunté la voie de la saisie des comptes et du blocage des avoirs , à de rares exceptions près correspondant à des besoins vitaux minimaux (de chétifs subsides) 14 ( * ) ou aux intérêts associés à la gestion des finances publiques (qui conduisent à prévoir une exception pour les titres de la dette de l'État ou des collectivités locales).

Une expérimentation précoce de la spoliation avait été réalisée dans certains territoires (voir l'encadré ci-dessous).

Le blocage et la taxation des avoirs dans le ressort de la Feldkommandantur 560, septembre 1940-décembre 1942, une préfiguration précoce de la spoliation financière

Dans le ressort de la Feldkommandantur 560, qui couvrait les départements du Territoire de Belfort, du Doubs et le nord du Jura, les opérations de spoliation commencèrent presque immédiatement. Le 14 septembre 1940, avant même qu'aucune ordonnance allemande n'ait été publiée contre les Juifs, la Feldkommandantur prit l'initiative de réunir les directeurs de banque de la place de Besançon, pour leur signifier que « tous les comptes commerciaux ou privés au nom d'israélites devaient être bloqués dès lundi matin 16 septembre » . Par courriers des 9 et 10 décembre, le préfet du Territoire transmit à la Banque de France, aux Chèques postaux et à la chambre des notaires le rappel à l'ordre des autorités d'occupation et leur demanda d'y déférer conduisant ainsi le régime de Vichy à partager la responsabilité du blocage des avoirs.

Par ailleurs, le blocage s'accompagnait d'une taxation destinée à entretenir le Service de surveillance des biens israélites. Pour les maisons de commerce, le taux de prélèvement était de 2 % puis 3 % du chiffre d'affaires mensuel. Il était de 15 % pour les revenus d'immeubles et pour les agios créanciers et coupons portés au crédit des comptes en banque. Pour les comptes, il passa ensuite à 10 %

Source : Mission Mattéoli

En toute hypothèse, les comptes en banque devaient être bloqués sur la base de l' ordonnance allemande du 28 mai 1941 , tandis qu'auparavant, outre la mainmise exercée sur les établissements bancaires, et sur la Banque de France par le pouvoir d'occupation, l'ordonnance allemande du 18 octobre 1940 publiée le 20 octobre, avait donné le signal des spoliations financières.

Toute transaction concernant des biens juifs réalisée après le 23 mai 1940 était passible d'annulation à la demande du Militärbefehlshaber in Frankreich ( MbF ) dans la zone occupée. Les personnes visées étaient tenues de déclarer auprès du sous-préfet et, à Paris, auprès du préfet de police, leurs actions, leurs participations dans les sociétés, les commandites, les prêts effectués à des entreprises, et leurs biens immobiliers.

Certains établissements s'inquiétèrent immédiatement des conséquences de ce texte sur les contrats et restreignirent les droits attachés aux avoirs de leurs clients considérés comme juifs. De son côté, Vichy devait mettre en oeuvre les dispositions sommairement présentées plus haut de la loi du 22 juillet 1941.

À ce titre, les comptes de dépôts , au nombre de l'ordre de 64 000 , furent bloqués, les avoirs correspondants étant consignés auprès de la Caisse des dépôts et consignations 15 ( * ) , tandis que les comptes-titres furent mis sous administration du service des Domaines, chargé, sauf les exceptions mentionnées, d'en assurer la négociation et de consigner le produit des ventes auprès de la Caisse.

Selon les estimations des historiens, 17 000 comptes de titres auraient été bloqués sur lesquels le service des Domaines entrepris des négociations, négociations dont le tableau ci-après propose une restitution de la chronique en valeur.

Évolution du blocage des comptes-titres

(en millions de francs de 1941 16 ( * ) )

09/42

12/42

03/43

06/43

09/43

12/43

03/44

06/44

09/44

Total trimestriel Seine

138,6

76,6

69,1

85,1

152,8

88,5

110,4

152,1

Total cumulé Seine

994,9

1 133,5

1 210,1

1 279,2

1 364,3

1 517,1

1 605,6

1 716

1 868,1

Total trimestriel France

138,8

78

69,6

88,1

160,4

107,3

117,8

160,5

Total cumulé France

995,1

1 133,9

1 211,9

1 281,5

1 369,6

1 530

1 637,3

1 755,1

1 915,6

Source : Mission d'étude sur la spoliation des juifs de France : La spoliation financière sous la direction de Mme Claire Andrieu

(b) Un durcissement progressif

Quelques mesures de durcissement des spoliations financières doivent être ici évoquées.

Il s'agit, en premier lieu, de « l'amende du milliard » décidée en décembre 1941 « en représailles à la suite des attentats perpétrés contre l'Occupant » .

Mise à la charge des Juifs en zone occupée, elle devait être collectée par l'Union générale des israélites de France (UGIF) constituée fin novembre de la même année, et payée en totalité avant le 31 mars 1942. Le bouclage financier de cette dette devait se révéler difficile, obligeant l'UGIF à contracter un emprunt relais auprès des banques (celles-ci ayant pris la décision de ne pas retirer de bénéfices de leur concours) mais aussi une montée en charge du taux des prélèvements sur les comptes (de 50 % à 80 %, sur des assiettes différentes) et l'acquisition de titres prélevés par quelques grands organismes (Caisse des dépôts et consignations, Banque de France, Banque des Pays-Bas et Omnium français d'études et de participation (OFEPAR), mandataires du service des Domaines).

Finalement, le montant des soustractions opérées sur les avoirs gelés dépassa le milliard , si bien qu'une partie des fonds ne fut pas virée au titulaire allemand de la créance.

L'utilisation que fit celui-ci des produits perçus ne paraît qu'en partie élucidée. Il s'agit des 400 à 500 millions de francs versés au Comité ouvrier de secours immédiat (le COSI), créé en mars 1942 à l'initiative de l'ambassade d'Allemagne, avec, pour simple affichage, le dédommagement des victimes des bombardements alliés.

D'autres prélèvements furent progressivement mis à la charge des personnes considérées comme juives ou durcis : parmi ceux-ci, outre le prélèvement pour frais de régie du service des Domaines , un prélèvement de 5 % au profit de l'UGIF afin de financer les secours aux nombreux indigents engendrés par la politique raciale mise en oeuvre ; des taxes individuelles ayant le même objet ; des prélèvements pour frais de gestion perçus au profit du commissariat général aux questions juives portés de 10 % à 20 % à partir de mars 1944 .

Relevons également, la perception des prélèvements obligatoires ordinaires sur les différentes transactions forcées imposées aux spoliés .

(4) Les coffres-forts

L'accès aux coffres-forts détenus par des personnes considérées comme juives leur fut globalement interdit pendant l'Occupation, malgré un étrange assouplissement du régime initial intervenu en cours de période. D'emblée, un certain nombre de valeurs furent saisies par le service allemand compétent le Devisenschutzkommando (devises, or et valeurs libellées en monnaies étrangères).

Le sort des biens correspondants paraît plus incertain que pour les autres actifs localisés dans les banques, les archives du service chargé de la spoliation n'ayant pas été retrouvées et un certain nombre d'opérations de saisie ayant été réalisées avant tout encadrement (les saisies effectuées présentant la particularité de s'appliquer souvent sans considération de la qualité juive ou non du détenteur).

Le tableau ci-après fournit un aperçu du nombre des coffres bloqués appartenant à des juifs.

Aperçu du nombre de coffres bloqués détenus par des Juifs

Nombre de coffres bloqués (toutes sources 1 )

Nombre de coffre résiliés

Nombre de coffres loués

BDF

476 (minimum)

-

476

BNP

748

82

666

BPPB

22

4

18

CCF

303

28

275

CCP/CNE

s. o.

s. o.

s. o.

CENCEP

91

9

82

CFF

38

11

27

CIC

378

6

372

CL

2 195

229

1 966

SG

1 439

21

1 418

Total

5 690

390

5 300

1 Principalement croisement AN, AJ 38/AN, AJ 40 (ouvertures par le DSK dans le département de la Seine).

Source : Mission d'étude sur la spoliation des juifs de France : La spoliation financière sous la direction de Claire Andrieu.

b) Le secteur des assurances

L'ordonnance du 28 mai 1941 s'appliquait également aux contrats d'assurance , les indemnités et rentes dues étant bloquées tandis que les provisions immobilières constituées par les compagnies comprenant des immeubles appelés à être confisqués devaient être mis en vente par le commissariat général aux questions juives (CGQJ).

Dans le domaine des assurances, le recensement des faits de spoliation et les mesures de réparation mises en oeuvre ont pu être considérés comme assez mal documentés.

À cet égard, il est sans doute significatif que le rapport de la mission Mattéoli, en sa partie relative aux spoliations réalisées dans le secteur des assurances, ait d'emblée indiqué que celle-ci n'avait pas « le même statut que la précédente (consacrée aux spoliations bancaires) » , devant plutôt constituer « une première approche » . De fait, les travaux portant sur le secteur des assurances ont fait l'objet d'une présentation résumée dans le rapport de la mission Mattéoli sur la base d'une étude réalisée indépendamment de celle-ci et ont été augmentés d'une contribution datée de novembre 1999 du comité de surveillance des assurances installé au mois de juin 1998 et présidé par M. Jacques-Henri Gougenheim.

Il ressort de cet ensemble de contributions que la méconnaissance de la spoliation intervenue dans le secteur des assurances pouvait être attribuée à diverses raisons, tenant, les unes, au traitement particulier réservé au secteur pendant l'Occupation, les autres, à l'incomplétude des études conduites dans ce domaine après la Libération.

Sur le premier point, il faut remarquer qu'à la différence du secteur bancaire le secteur des assurances n'a pas fait l'objet pendant l'Occupation, d'une législation organisant systématiquement, et spécifiquement, la spoliation, ce qui, bien entendu, n'est en rien exclusif d'actes spoliateurs ayant porté sur différents aspects des relations entre les entreprises d'assurances et des personnes considérées comme juives.

L'assurance pendant la période de l'Occupation

L'assurance à la veille de l'Occupation était gérée par une multitude de sociétés agissant par l'intermédiaire d'agents généraux et de courtiers (plus de 30 000 agents généraux en 1939) et représentait, selon les travaux du comité de surveillance des assurances, de l'ordre de 3 % du revenu national (pour les primes versées), ce dernier chiffre dont on ne sait s'il inclut les versements réalisés dans le cadre des relations contractuelles avec le pôle public du secteur de l'assurance alors constitué dans l'orbite de la Caisse des dépôts et consignations (Caisse nationale des retraites pour la vieillesse, Caisse nationale d'assurance en cas de décès, Caisse nationale d'assurances en cas d'accidents) étant sensiblement inférieur aux masses constatées en Angleterre (6,5 %) et aux États-Unis (10 %) dans un contexte marqué par l'absence de couverture des risques sociaux.

Selon les données recueillies par le comité évoqué plus haut, à l'inverse de la situation actuelle, les assurances de dommages prévalaient (7 milliards de francs de primes) tandis que les assurances personnelles (assurance à cause de décès ou à cause de vie notamment) représentaient un chiffre d'affaires limité à 4 milliards de francs.

Les assurances paraissent s'être significativement développées durant l'Occupation puisque ces montants sont passés respectivement à 16 milliards de francs et 14 milliards de francs, mais cette progression doit être appréciée compte tenu d'une inflation explosive de sorte qu'en valeur réelle la progression relevée s'est accompagnée d'un repli significatif du chiffre d'affaires du secteur.

La multiplication par 2,5 des capitaux assurés, passés de 66 milliards de francs en 1938 à 163 milliards de francs en 1945 est justiciable du même constat.

En ce sens, l'absence en France de confiscation directe des contrats d'assurances surprend, même si les particularités économiques de cette activité qui implique souvent, en particulier dans le secteur de l'assurance des dommages, des relations croisées pouvant concerner des personnes non juives, en plus de personnes considérées comme telles, ont pu jouer.

Les dispositions législatives adoptées alors (différents textes généraux applicables aux assurances, ordonnance du 28 mai 1941 et différentes notes dont celles du 11 février 1942 et du 25 avril 1942) n'en comportaient pas moins des mesures de discrimination mais portant sur les modalités de paiement des sommes dues aux assurés, et sur la possibilité de souscrire des contrats de capitaux, plutôt que sur la confiscation directe des actifs assurantiels.

D'où se déduit l'identification par le comité de surveillance des assurances des mécanismes par lesquels une spoliation a pu intervenir, identification qui suscite quelques interrogations.

La source des dommages subis par les assurés considérés comme juifs selon le comité de surveillance des assurances

Dans l'étude du comité de surveillance des assurances, les mécanismes par lesquels des préjudices ont pu être infligés aux personnes considérées comme juives sont identifiés comme suit :

- difficultés à souscrire des contrats du fait des conditions mises à ces souscriptions par des personnes juives ;

- impossibilité d'accéder à la totalité des droits acquis en raison de l'encadrement strict des versements et des risques considérables liés à la prétention de leurs droits par les personnes juives ;

- contrats en déshérence, c'est-à-dire des contrats qui, conservés dans les comptes de la société, n'ont enregistré aucun mouvement depuis un certain temps.

Si les voies générales de spoliation ainsi identifiées paraissent manquer d'exhaustivité (voir ci-dessous) et appellent des précisions complémentaires, en particulier sur le contour des contrats pouvant être considérés comme « en déshérence », elles recouvrent certainement assez bien les impacts directs des mesures discriminatoires prises contre les juifs relativement aux contrats d'assurance eux-mêmes, tout en conservant un haut degré de généralité.

Dans un contexte marqué par une certaine diversité des mesures discriminatoires mises en oeuvre dans le champ particulier des contrats d'assurance (dans le temps mais également à raison du lieu de résidence de la personne, physique ou morale, assurée, en zone occupée ou non), la discrimination a principalement consisté à geler les sommes pouvant revenir aux assurés en les inscrivant sur des comptes bloqués, soit dans les banques, soit à la Caisse des dépôts et consignations (dans cette dernière hypothèse, le prélèvement de 10 % 17 ( * ) au profit du commissariat général aux questions juives était appliqué).

En outre, des gels ou réductions de contrats d'assurance ont été effectués, certains assurés se trouvant hors d'état d'acquitter les primes prévues aux contrats.

La déclinaison de ces mesures, qui paraissent avoir été appliquées avec zèle, doit, malgré tout, être précisée en fonction d'événements individuels évidemment hétéroclites, si l'on souhaite disposer d'une vue suffisamment nette des spoliations subies par les personnes considérées comme juives.

Le haut degré de généralité conservé par l'approche des spoliations dans le secteur des assurances, relevé plus haut, apparaît comme un effet retardé des lacunes du matériau archivistique et des études sur le secteur des assurances pendant l'Occupation. Celles-ci ont été handicapées par celles-là, mais également par l'échec des initiatives prises après la Libération afin de mesurer une éventuelle dette du secteur au titre des réparations des spoliations.

Les archives se sont révélées très déficientes. L'inventaire n'en a pas même été réalisé, ce qui avait conduit en son temps la mission Mattéoli à énoncer une ferme recommandation, celle de voir « les entreprises et les services concernés...gérer avec plus de soin cette partie de leur production, qui est aussi un élément constitutif du patrimoine national » .

Par ailleurs, un certain nombre d'aspects de l'activité des entreprises d'assurance n'ont pas été analysés systématiquement, les études conduites sur ce point étant, au mieux, circonscrites aux contentieux ayant pu surgir après la Libération.

Ainsi, la fonction d'investisseur institutionnel exercée par les compagnies d'assurances les a nécessairement conduites à connaître de la politique « d'aryanisation » entreprise sous l'Occupation. Au demeurant, à l'occasion des restitutions intervenues après la Libération, des spoliations paraissent avoir été ponctuellement réparées.

Par ailleurs, il faut rappeler que, d'après les archives du commissariat général aux questions juives, 33 entreprises d'assurances et 42 cabinets de courtage ont été placés sous administration provisoire pendant l'Occupation. Parmi ces entreprises, un maximum de dix sociétés et douze cabinets n'auraient pas été revendiqués en 1947, périmètre un peu incertain au regard de son importance économique mais qu'il faut compter au nombre des entités constituant une dette de réparation non liquidée à la Libération. Malgré ces constats, force est d'observer que l'étude des acquisitions que les assureurs ont pu effectuer dans le cadre de l'aryanisation n'a pas été faite.

Mais, comme on l'a mentionné, d'autres voies de spoliation ont pu être empruntées par les entreprises d'assurance au sujet desquelles demeurent des inconnues.

Ainsi, les conditions de mise en oeuvre par le secteur des assurances du paragraphe 4 de l'ordonnance allemande du 18 octobre 1940, qui prévoyait que toute opération juridique effectuée après le 23 mai 1940 et disposant des biens des Juifs, était susceptible d'être déclarée nulle par le chef de l'administration militaire allemande ne sont pas connues.

Il en va de même du sort des bons de capitalisation émis par des sociétés de capitalisation qui, inscrits au porteur, se sont trouvés difficilement « traçables » ou encore des biens immobiliers détenus par les entreprises d'assurance dont l'acquisition ou la gestion ont pu entraîner des préjudices pour des personnes reconnues comme juives.

De même, la commission de spoliations associées à la gestion des immeubles possédés ou acquis par les entreprises d'assurances ne semble avoir été envisagée qu'à travers les contentieux qui ont pu suivre la Libération, événements certes significatifs mais qui ne peuvent être considérés comme recouvrant exhaustivement les éventuels faits de spoliation de cette sorte demeurés, pour une raison ou une autre, inconnus.

c) Les prélèvements effectués dans les camps d'internement

À cheval entre spoliations matérielles et spoliations financières, du fait des espèces qui ont alors été volées aux victimes, « la spoliation de fait » , c'est à dire les prélèvements effectués sur les personnes internées dans les centres d'internement, peut être ici évoquée.

Un regard particulier a été porté par la mission Mattéoli sur le camp de Drancy et sur les exactions commises à l'endroit des 67 000 déportés qui ont transité dans le camp.

D'abord effectuées par l'administration française des camps, les « confiscations » ont été reprises en main par les forces d'occupation à partir de juillet 1943.

Observation n° 6 : au total, la spoliation « économique » des Juifs a été massive durant l'Occupation, certains circuits de la spoliation financière méritant, encore à ce jour, un approfondissement des analyses.

2. Les spoliations, des estimations en valeur qui demeurent incertaines

Le bilan des spoliations bancaires tel que dressé par le rapport de la mission Mattéoli illustre les difficultés rencontrées pour apprécier avec précision l'ampleur monétaire de la spoliation.

Quoique lourd, il demeure fragile 18 ( * ) .

Ceci peut surprendre dans la mesure où, au contraire de ceux qu'a empruntés la spoliation des objets d'art et de culture, par exemple, les circuits de la spoliation économique et financière ont suivi des régimes systématiques, fortement bureaucratisés et marqués par un formalisme des procédures, laissant peu de place au détournement postérieur à l'acte de spoliation lui-même.

Autrement dit, dans la plupart des champs de la spoliation économique, tout était à peu près sous contrôle, les procédures suivies se trouvant confiées à des organismes officiels aux pratiques encadrées par des règles et suivant un éthos administratif peu ébranlé par les missions, pourtant totalement contraires à tous les principes républicains, qu'ils furent chargés d'accomplir.

Cependant, il faut rappeler que la mission, pour citer ses propos, en était réduite en mars 1998 « à l'état zéro des connaissances » . En outre, les sources du travail historique semblent n'avoir pas alors réuni les conditions d'un travail exhaustif, soit qu'elles aient disparu (ainsi des relevés comptables des opérations souvent détruits après écoulement du délai de dix ans de conservation), soit qu'elles n'aient pu être totalement envisagées.

La mission d'inventaire était d'autant plus délicate qu'elle s'est heurtée à la complexité des circuits financiers, dont quelques segments ont pu résister aux investigations, et aux caractéristiques de certains actifs financiers se prêtant mal à l'identification des détenteurs, mais aussi des spoliés.

Un coup d'oeil sur d'autres formes de spoliations économiques oblige à constater que les difficultés d'estimation ont pu se trouver redoublées dans la mesure où les processus confiscatoires pouvaient laisser des marges à leurs agents sans compter la sensibilité aux choix de méthode. Ce fut le cas, par exemple, dans le domaine de l'aryanisation économique, pour laquelle les situations individuelles semblent réserver des incertitudes parfois très fortes.

Au total, un constat s'impose, celui d'un besoin non satisfait de connaissances, les précieuses études complémentaires intervenues depuis la mission Mattéoli n'ayant pas suffi à satisfaire la recommandation alors faite par la mission d'un travail systématique d'élucidation.

a) Les estimations réalisées dans la mouvance du rapport de la mission Mattéoli
(1) Les interdictions professionnelles, un préjudice sans estimation

S'agissant des préjudices causés par les interdictions professionnelles , aucune évaluation n'est disponible.

Même si ce type de préjudice a reçu un traitement ultérieur d'où se détache l'inexistence de toute réparation appréciable, choix de principe évidemment très discutable (voir infra ), cette lacune constitue encore à ce jour un déficit de connaissances dans l'étendue de l'atteinte aux revenus des persécutés.

On pourra certes considérer comme une incongruité de mentionner cette catégorie de préjudices attachés à la personne alors que celle-ci a fait l'objet d'une négation absolue pendant cette période, dans le cadre de l'extermination des Juifs.

Mais, cette négation absolue n'a pas pour effet d'effacer l'ensemble des atteintes à la dignité humaine et leurs effets. Si tel était le cas, d'ailleurs, il faudrait refermer aussitôt le dossier des réparations des spoliations antisémites, ce qui, à l'évidence constituerait une injustice majeure.

(2) L'aryanisation, un préjudice entre 3,3 et 3,8 milliards de francs ?

En ce qui concerne l'aryanisation, les seules statistiques réellement accessibles portent sur la zone Nord. 31 000 dossiers ont été identifiés pour le département de la Seine et 11 000 pour les autres départements de la zone occupée. La mission Mattéoli avance au surplus un nombre de 7 000 à 8 000 aryanisations pour la zone occupée. Toutefois, un assez grand nombre de procédures semblent, selon les historiens de l'aryanisation, n'avoir pas été conduites à leur terme (les situations se révélant variables selon les zones concernées).

Résultats de l'aryanisation en zone Nord au 30 juin 1944

Sections

Nombre

de dossiers

Ventes

Liquidations

Transformations

Non abouti

IA Confection

1 761

19%

52%

29%

IB Fourrures, Grands magasins

2 619

30%

38%

3%

29%

IC Tailleurs, modistes, forains

5 811

7%

26%

32%

35%

ID Chemiserie, lingerie

1 696

23%

27%

1%

50%

IIA Chaussures, maroquinerie

1 921

23%

52%

1%

24%

IIB Cinéma

295

33%

16%

51%

III Produits chimiques, pharmacie, coiffeurs, etc.

1 390

35%

19%

46%

VB Immeubles, presse, édition

6 086

20%

80%

VC Banques, assurances

2 447

13%

4%

83%

VI Meubles, antiquités, brocante

2 255

43%

5%

52%

VII Electricité, radio

1 790

28%

13%

2%

57%

VIII Alimentation, commerces

3 023

19%

17%

63%

Total Seine

31 094

21%

20%

6%

53%

IX Départements ZN

11 157

15%

12%

73%

Total

42 251

19%

18%

5%

58%

Source : Mission d'étude sur la spoliation des juifs de France : Aryanisation économique et restitutions, sous la direction de M. Antoine Prost

À ces données correspondent des masses financières , qui, c'est un consensus des historiens, ne peuvent être estimées avec précision . Les sources sont jugées imprécises et on rappelle les divergences mentionnées plus haut entre les données reconstituées par les historiens (49 887 procédures pour la mission Mattéoli) et celles directement observables (42 369 dossiers recensés par le SCAP) du fait de l'inclusion dans les statistiques des historiens d'éléments non observés mais estimés (en particulier, pour la zone non-occupée).

L'ordre de grandeur généralement fourni, qui additionne les dépôts auprès de la Caisse des dépôts et consignations et les sommes séquestrées par les notaires 19 ( * ) , s'élève entre 3,3 milliards de francs et 3,8 milliards de francs.

Il n'inclut pas un certain nombre de préjudices, ceux intervenus avant l'encadrement réglementaire du processus, mais également ceux réalisés à l'occasion des mutations mises en oeuvre, dont une partie a dû être répercutée sur les vendeurs, minorant ainsi leur revenu.

Plus encore, il convient de s'interroger sur la pertinence d'une appréciation de la spoliation à partir des produits de cessions alors intervenues.

Ceux-ci ont pu être très inférieurs au prix de marché normal, en raison, non seulement, des manipulations qui ont pu marquer ces transactions, mais encore d'un contexte économique déprimé, impliquant nécessairement la réalisation de coûts d'opportunité pour les détenteurs d'affaires qui, s'ils n'y avaient pas été obligés, n'auraient certainement pas aliéné leurs fonds.

(3) Les comptes bancaires des particuliers

Le tableau ci-dessous présente les données relatives à l'estimation des avoirs bancaires spoliés établies à partir d'opérations de décomptes effectués dans le cadre de la mission Mattéoli 20 ( * ) .

Les données ici présentées portent plus précisément sur des éléments permettant d'apprécier l'assiette du blocage des avoirs financiers dans les établissements bancaires mais aussi auprès de certains établissements dépositaires (charges d'agents de change, et études notariales) appréciée au 20 décembre 1941.

Selon les estimations de la mission, le total général des blocages des avoirs individuels se serait élevé entre 7 249 879 043 francs (dont 1 206 846 467 francs correspondant aux comptes-espèces -16,6 % du total- et 6 043 032 576 francs correspondant aux comptes-titres -83,4 % du total-) et 5 693 298 672 francs 21 ( * ) (419 765 911 de comptes-espèces ; 5 273 532 761 de comptes-titres).

Cette fourchette était tributaire de choix de conventions (voir ci-dessous).

Selon le rapport de la mission, elle ne pouvait ambitionner que d'être une estimation, en raison des lacunes présentées par les informations disponibles.

Aperçu des comptes bancaires spoliés 22 ( * )

(montants en millions de francs de l'année 1941)

Établissements

Comptes-espèces créditeurs

Comptes-titres

Nombre

Montants

Nombre

Montants

BDF

1 477

98 128 561

1 776

614 636 573

BNP

4 793

150 037 515

2 345

570 398 496

CCF

1 868

100 522 570

547

211 972 704

CENCEP

2 294

4 923 741

CFF

224

3 830 226

188

56 290 883

CIC

2 724

99 759 416

1 437

329 774 785

CL

7 756

176 499 484

3 400

727 220 028

La Poste

27 940

60 475 145

BPPB

247

20 825 908

180

259 862 729

SG

5 859

192 049 936

2 916

385 543 828

Toutes charges

1 568

35 878 186

1 335

637 962 584

Toutes études

158

12 361 644

Total groupe

56 908

955 292 332

14 124

3 793 662 610

Total général

62 729

1 206 846 467

16 867

6 043 032 576

%

91%

79%

84%

63 %

Source : Mission d'étude sur la spoliation des juifs de France : La spoliation financière sous la direction de Claire Andrieu

On relève qu'il existe une relation inverse entre le nombre des comptes et les masses financières concernées : si, en valeur, les spoliations sur comptes-titres représentent plus des quatre-cinquièmes des biens spoliés, les comptes-titres ne représentent qu'un peu plus d'un cinquième de l'ensemble des comptes concernés par la spoliation. Ce constat témoigne simplement de la dispersion des patrimoines concernés par la spoliation, avec une concentration sur les détenteurs de titres.

À côté de cette estimation, la mission en proposait une seconde fondée sur une convention alternative comportant la soustraction aux sommes présentées ci-dessus des avoirs pouvant correspondre à des entreprises, dont la méthode de spoliation et le sort ont pu obéir aux règles particulières suivies dans le cadre de l'aryanisation de l'économie française. Il s'agit dans toute la mesure du possible d'éviter les doubles-comptes.

Une fois ces comptes d'entreprises déduits, les avoirs clairement rattachables à des comptes de particuliers bloqués fin décembre 1941 pouvaient présenter le profil suivant.

Aperçu des comptes bancaires des particuliers spoliés

(en millions de francs de 1941)

Banques et établissements financiers

Charges

Études

Total

Comptes-espèces créditeurs

380 218 594

26 967 698

12 579 619

419 765 911

Comptes-titres

4 853 091 778

420 440 983

-

5 273 532 761

Total

5 233 310 372

447 408 681

[12 579 619]

5 693 298 672

Source : Mission d'étude sur la spoliation des juifs de France : La spoliation financière sous la direction de Claire Andrieu

Le total s'élève à 5,7 milliards de francs (soit près de 80 % de l'estimation globale comprenant les comptes d'entreprises) pour une répartition où se trouve encore accentuée la prédominance des actifs déposés sur les comptes-titres (plus de 92 % du total).

On relève qu'une partie mineure mais non négligeable des avoirs est inscrite auprès de charges d'agents de change ou d'études notariales.

(4) D'autres spoliations sont mal estimées

Plusieurs catégories de spoliation à caractère financier peuvent être considérées comme n'ayant donné lieu qu'à des estimations très incertaines. Il en va ainsi des valeurs en coffres et des biens spoliés lors des internements.

Mais c'est également le cas pour les spoliations intervenues dans le domaine des assurances . Les travaux réalisés par le comité de surveillance des assurances, déjà mentionnés, n'ont abouti qu'à une seule estimation chiffrant à 120 millions de francs de 1945 la valeur des contrats d'assurance sur la vie touchés par les mesures anti-juives 23 ( * ) . Aucune estimation n'est avancée pour les contrats de capitalisation ou pour les assurances de dommages. Les difficultés rencontrées pour apprécier l'étendue des spoliations dans le secteur des assurances relevées plus haut ne sont pas seules en cause dans la pauvreté des informations réunies sur ce point par l'étude. En réalité, celle-ci a essentiellement eu pour objectif de proposer une mesure de réparation à l'issue d'une appréciation globale d'une éventuelle dette de réparation une fois tous les événements postérieurs pris en compte. Parmi ceux-ci figuraient les restitutions (les paiements) effectuées après la Libération, mais aussi, le versement au Trésor des sommes correspondant aux comptes en déshérence, tous événements sur lesquels, au demeurant, peu de détails se trouvent précisés.

Sans prétention à l'exhaustivité, on mentionnera également les spoliations immobilières dont aucune évaluation systématique ne paraît avoir été proposée.

b) Les données publiées par la CIVS

Le rapport d'activité de 2015 de la CIVS comporte des estimations de l'ampleur des spoliations, dont certaines, seulement, on l'a vu, sont assorties d'une valorisation monétaire.

Deux constats s'imposent.

En premier lieu, ces données semblent reposer très étroitement sur les conclusions du rapport de 1999.

En second lieu, pourtant, il est très difficile de réconcilier les estimations proposées par la mission Mattéoli avec les données publiées par la commission.

L'exemple des spoliations bancaires l'illustre.

À leur propos, le rapport pour 2015 de la CIVS publie les estimations suivantes qui apparaissent sensiblement différentes en valeur de celles de la mission Mattéoli alors que, du point de vue du périmètre du phénomène, le nombre des comptes bloqués, les données sont presque identiques.

Selon le rapport, « au cours de la guerre, 80 000 comptes bancaires et 6 000 coffres-forts 24 ( * ) ont été placés sous séquestre (et) la spoliation financière (contrats d'assurance, avoirs bancaires et boursiers) a porté sur une somme de 520 millions d'euros ».

Les 520 millions d'euros évoqués, qui englobent les spoliations consécutives aux ouvertures de coffres-forts, conduisent à proposer une estimation du montant de la valeur des spoliations envisagées apparemment très inférieure à celles de la mission Mattéoli.

Selon qu'on incluait ou non les comptes pouvant être rattachés à des entreprises soumises à l'aryanisation, les estimations de la mission oscillaient entre 2,4 milliards d'euros et 1,7 milliard d'euros de 2017.

Même en intégrant une partie des 450 millions d'euros qui constituent l'évaluation des spoliations professionnelles et immobilières avancée dans le rapport de la CIVS, il existe un large écart inexpliqué.

Si l'on ne peut douter que ces écarts puissent trouver une explicitation, force est de regretter qu'elle n'ait jusqu'alors pas été exposée avec une suffisante clarté.

En toute hypothèse, tant l'homogénéité des données en volume utilisées pour apprécier les préjudices sous revue que les apparentes divergences portant sur leur valorisation monétaire invitent à considérer, l'une, que l'approche des spoliations par la CIVS est demeurée globalement intangible par rapport aux conclusions de la mission Mattéoli, alors même que celle-ci avait suggéré d'améliorer les connaissances, les autres, que les valeurs prises pour référence par la CIVS pour mesurer les préjudices à réparer appellent à tout le moins une explicitation détaillée.

Il est, en effet, essentiel, pour apprécier la dette de réparation rémanente de disposer d'un ensemble de données correspondant à l'assiette de la spoliation s'inscrivant dans une ambition d'exhaustivité et, pour les analystes, répondant à un critère de lisibilité.

À cet égard, l'on pourrait attendre des clarifications du comité d'histoire placé auprès de la CIVS.

Or, selon l'une des réponses apportées au questionnaire de votre rapporteur spécial (voir ci-après), les travaux de ce comité, dont certains annoncés sur le site de la commission depuis des années, n'ont toujours pas été publiés, paraissent connaître des difficultés :

« Le Comité d'histoire institué auprès de la CIVS a entrepris de mettre en perspective les indemnités recommandées par la CIVS avec les évaluations proposées par la Mission Mattéoli ; mais pour faire sens, cette étude doit se faire poste par poste (spoliations mobilières, immobilières, professionnelles, bancaires...), ce qui est extrêmement difficile car la Mission Mattéoli n'a pas toujours détaillé le montant de ces différents chefs de spoliation ».

Observation n° 7 : le projet de mise à jour systématique des évaluations de la spoliation antisémite proposées par la mission Mattéoli, pourtant annoncé et recommandé par la mission n'a pas été conduit alors même que les travaux des historiens et l'approfondissement des connaissances, dont plusieurs exemples sont exposés dans le présent rapport en ont établi la totale justification. Ces mises à jour permettraient un meilleur pilotage de la politique de réparation.

Recommandation n° 1 : mettre à jour le bilan des spoliations proposé par la mission Mattéoli en tenant compte des progrès acquis dans l'approche du phénomène, dont plusieurs sont mentionnés dans le présent rapport, en présentant les concordances avec les conclusions de la mission et les incertitudes qui demeurent.


* 2 Pour les seuls préjudices estimés monétairement par la CIVS.

* 3 Ils ont fait l'objet de descriptions détaillées dans le rapport de la mission Mattéoli auxquelles de trop rares, mais précieux, travaux ultérieurs ont apporté des compléments.

* 4 Il s'agira pour l'essentiel des droits associés aux assurances et des dépossessions résultant de l'aryanisation économique. La classification des spoliations antisémites est aujourd'hui encore étroitement issue des analyses de la mission Mattéoli. La typologie alors adoptée a reposé sur deux préoccupations conjointes : l'identification des spoliations à partir de leur objet, mais aussi à partir des procédures. Il en est résulté parfois une certaine complexité, que traduit, par exemple, la difficulté à distinguer les confiscations bancaires stricto sensu des confiscations financières résultant de l'aryanisation économique. L'adoption d'une présentation de l'activité de la CIVS dans des termes très proches n'en assure pas une lisibilité suffisante.

* 5 Ainsi, la contribution relative aux pillages des appartements appelle sans doute des compléments susceptibles de mieux cerner les conditions dans lesquelles des biens immobiliers et des droits afférents à ces biens ont pu se trouver spoliés soit directement, soit plus insidieusement par des procédures dont certaines ne sont qu'évoquées dans le présent rapport. Voir en particulier, sur ce point, les travaux réalisés dans le cadre de l'École des hautes études en sciences sociales par Isabelle Backouche et alii .

* 6 Elle est augmentée ici par la prise en compte de certains travaux dont ceux propres au champ, alors à peine évoqué, de l'assurance, champ qui fit l'objet d'un travail séparé conduit par une commission ad hoc.

* 7 Les historiens ont certainement de bonnes raisons de distinguer l'aryanisation économique des spoliations financières. Cependant, compte tenu de l'objet du présent rapport, on se permet souvent la « licence historique » d'englober sous la catégorie des spoliations financières, un ensemble composite constitué des confiscations bancaires, des viols des droits constitués dans le cadre des assurances et des extorsions commises dans le cadre l'aryanisation économique (qui ont pu porter sur des biens corporels), les effets de ces dernières étant d'ailleurs parfois difficiles à distinguer de ceux des confiscations bancaires stricto sensu.

* 8 Sur ce point, les travaux de la mission Mattéoli se sont attachés à distinguer les spoliations touchant les avoirs des personnes physiques des spoliations commises dans le cadre de l'aryanisation des entreprises économiques.

* 9 La mission Mattéoli précise n'avoir pas étudié les spoliations réalisées dans les départements en question.

* 10 En langage économique contemporain, on peut considérer cette catégorie de persécutions comme constitutives d'une destruction du « capital humain » aux effets monétaires propres considérables.

* 11 Voir, en particulier, Philippe Verheyde « Les mauvais comptes de Vichy ».

* 12 Voir Alya Aglan, Michel Margairaz et Philippe Verheyde « La Caisse des dépôts dans le premier vingtième siècle ».

* 13 Voir Alya Aglan, Michel Margairaz et Philippe Verheyde « La Caisse des dépôts dans le premier vingtième siècle ».

* 14 Les paiements tolérés pouvant être de quelque intérêt pour les titulaires non- juifs des créances à l'extinction ainsi permise.

* 15 Dans les faits, il semble que le versement des sommes correspondantes à la Caisse des dépôts ne fut réalisé qu'à hauteur de 50 % pour les comptes d'un montant supérieur à 10 000 francs.

* 16 Un franc de 1941 est égal à 0,342 euro de 2017 si bien que 1 915,6 millions de francs de 1941 équivalent à 657 millions d'euros de 2017.

* 17 Relevé à 20 % en mars 1944.

* 18 Par ailleurs, tout comme pour les restitutions, la lisibilité du rapport est obscurcie par les incertitudes qui demeurent relativement aux unités monétaires utilisées et au champ des spoliations envisagés. Sur ce point, un certain nombre de confiscations bancaires recoupent des spoliations commises dans le cadre de la procédure d'aryanisation - en particulier, s'agissant des comptes de titres - de sorte que certaines données sont difficilement imputables aux différentes catégories de spoliations avec une idéale rigueur.

* 19 Lorsque les négociations n'ont pas été homologuées par les services compétents, les notaires conservent les fonds.

* 20 Leur représentativité estimée au regard du total des estimations est indiquée sur la dernière ligne.

* 21 1 franc de 1941 est égal à 1,7 franc de 1998 soit sur la base de la conversion du franc en euro - encore fictive à l'échéance envisagée- et de l'inflation 0,34 centime d'euros de 2017. Ainsi, 1 milliard de francs de décembre 1941 est égal à 340 millions d'euros de 2017.

* 22 Les relevés réalisés par le groupe de travail de la mission n'ayant porté que sur certains établissements de la place les établissements du « groupe » dont la représentativité a été estimée, le total général figurant dans le tableau correspond aux observations du groupe augmentées en fonction de sa représentativité dans l'ensemble de la population des établissements actifs au cours de la période sous revue.

* 23 Cette estimation repose sur des hypothèses que le comité estime propres à surestimer la valeur des contrats.

* 24 Soit des données en volume très proches de celles retenues par la mission Mattéoli.

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