C. RENOUVELER CERTAINS OUTILS D'INTERVENTION DES POUVOIRS PUBLICS

1. Dynamiser le rôle de l'État actionnaire

La détention actionnariale n'est certes pas le seul instrument, ni l'instrument toujours le plus efficace, pour mettre en oeuvre une stratégie industrielle au niveau microéconomique, mais elle peut se révéler un instrument pertinent si elle est utilisée à bon escient .

À l'heure actuelle, l'État participe au capital de nombreuses entités économiques, soit de manière indirecte , via des « opérateurs » que sont la Caisse des dépôts et consignations et Bpifrance, soit plus directement par le biais de l'Agence des participations de l'État (APE), créée en 2004.

a) Un actif « historique » qui permet à l'État d'être partie prenante aux stratégies de grands groupes industriels

L'intervention de la Caisse des dépôts et consignations et de Bpifrance s'effectue dans le cadre d'une politique stratégique prédéfinie : soutenir les politiques dans le domaine des infrastructures et l'aide financière aux collectivités pour la première, accompagner les TPE, PME et ETI dans leurs besoins de financement, le cas échéant par une prise de participation minoritaire et transitoire, pour la seconde. En revanche, il appartient à l'APE de gérer le reste des actifs détenus dans les autres entités dans lesquelles l'État est présent au capital.

Source : rapport d'activité 2017 de l'APE.

Ces participations représentent un portefeuille de 81 sociétés et de 100 Md€ d'actifs , qui en fait, selon Martin Vial, directeur de l'APE entendu par votre mission, le premier gestionnaire de participations publiques en Europe, même s'il demeure dans un rapport de 1 à 50 par rapport à l'institution homologue chinoise.

(1) L'exercice des prérogatives d'actionnaire permet d'intervenir fortement dans la détermination de la stratégie d'entreprise

En exerçant les prérogatives dévolues aux actionnaires, l'État est d'abord en mesure d'influer sur la détermination des stratégies d'entreprises.

Il bénéficie du droit à l'information attaché aux actions qu'il détient, et lorsque le niveau de sa participation le permet, il peut être représenté au sein des instances de direction ou de contrôle, ou participer de façon influente à la désignation des administrateurs des sociétés dans lesquels il est présent. Ainsi, selon l'APE, l'État a participé en 2016-2017 à la nomination de 824 administrateurs qui siègent actuellement aux conseils des entreprises du périmètre de l'APE, dont 240 administrateurs représentant l'État.

En application du droit des sociétés, c'est bien en effet le conseil d'administration ou le conseil de surveillance qui détermine les orientations stratégiques majeures, le directeur général ou le directoire devant répondre devant cette instance de la gestion quotidienne de la société. 117 ( * )

Votre mission est d'ailleurs convaincue que, s'il avait encore été présent au capital d'Alstom en 2014, l'État n'aurait par exemple pas été à ce point pris de court par les négociations menées par Patrick Kron pour le rachat par General Electric de la branche « Energie » du groupe, même s'il semble qu'il ait étudié dès 2012 l'éventualité d'un retrait de l'actionnaire de référence Bouygues, de nature à impacter fortement Alstom. 118 ( * )

Du reste, l'APE a indiqué à votre rapporteur que sa position d'actionnaire lui avait effectivement permis de prendre une part active à des décisions stratégiques des entreprises concernées : la création d'un leader européen de l'armement terrestre (KNDS), issu de la fusion de Nexter Systems (détenu à 100 % par l'État) et de KMW (issu d'un actionnariat familial allemand), détenu à 50 % par l'État ; le rapprochement des activités de Safran et d'Airbus dans le domaine des lanceurs spatiaux ; l'acquisition par PSA d'Opel/Vauxhall, qui donnera au groupe une taille critique en bénéficiant de fortes synergies ; l'acquisition de Zodiac par Safran pour constituer un leader mondial de l'aéronautique ; le projet d'acquisition de Gemalto par Thalès visant à favoriser l'émergence d'un champion mondial de la cybersécurité et de l'internet des objets sécurisés.

La détention directe par l'État du capital d'une société lui permet ainsi de disposer d'une capacité de réaction stratégique plus efficace et rapide que lorsque cette participation intervient par le truchement d'un opérateur comme la Caisse des dépôts et consignations ou Bpifrance. C'est la raison majeure pour laquelle en septembre 2016 l'État a repris directement en gestion la participation de 25,66 % du capital jusqu'alors détenue par Bpifrance dans la société Eramet, afin de renforcer sa présence dans le cadre du sauvetage de la société Le Nickel (SLN).

Cette détention actionnariale a, en outre, plusieurs fois été utilisée pour contribuer à éviter la disparition de « champions » industriels français.

À ce titre, l'action de l'État vis-à-vis d'Alstom a été salutaire en 2005, et a permis au groupe de prendre un nouveau départ, ainsi que l'a mis en exergue votre mission. 119 ( * ) De même, c'est bien l'intervention de l'État actionnaire qui a sauvé en 2014 le groupe PSA d'une mort annoncée, en entrant à son capital à hauteur de 14,1 %. L'opération de recapitalisation en 2017 d'Areva, devenue Orano, en constitue également une illustration récente.

(2) La volonté de l'État d'exercer un rôle d'actionnaire « normal » et d'« investisseur avisé »

Lors de son audition, Martin Vial, Commissaire aux participations de l'État et directeur général de l'APE, a évoqué la volonté de l'APE de se comporter comme un « actionnaire normal » et de « banaliser » sa présence au sein des instances dirigeantes des groupes dans lesquels l'État est présent.

S'il s'agit effectivement de faire en sorte que les représentants de l'État dans les conseils d'administration, directoires ou conseils de surveillance soient désignés selon les mêmes procédures que les autres administrateurs, qu'ils aient une connaissance effective de la vie des entreprises et qu'ils soient à même de développer une vision stratégique favorable à l'entreprise, cette recherche de « normalisation » est effectivement souhaitable : elle permet de favoriser un bon fonctionnement des organes de direction ou de contrôle.

Selon ses représentants, l'APE s'inscrit dans une logique « d'investisseur avisé », et à ce titre, ses équipes 120 ( * ) défendent, auprès des dirigeants et au sein des conseils ou comités des sociétés concernées, « les orientations susceptibles d'accroître dans le long terme la valeur des participations de l'État ; elles analysent les principaux programmes d'investissement et de financement ainsi que les grands projets d'acquisition ou de cession des entreprises ; elles portent les positions de l'État lors des assemblées d'actionnaires et se prononcent notamment sur la composition des conseils ; elles participent aux choix des dirigeants ; elles contribuent à l'élaboration de la politique de dividendes de l'État actionnaire ; elles examinent les comptes et les budgets des entreprises et proposent les positions de vote à adopter pour leur approbation. De façon générale, elles participent aux organes sociaux des entreprises et assurent la cohérence des positions des représentants de l'État. »

Cette description montre à elle seule que la mission première de l'APE, bras armé de l'État actionnaire dans les grandes entreprises, est d'abord une action de gestion d'un actif historique, afin d'en tirer des dividendes . À ce titre, 3,5 Md€ et 2,8 Md€ ont respectivement été versés à l'APE, au titre de ces participations en 2016 et 2017 , dont respectivement 1,7 Md€ puis 1,3Md€ ont pris la forme de titres d'EDF.

Quoi qu'il en soit, l'État actionnaire ne saurait se contenter de n'être qu'un « banal investisseur », animé en premier lieu par un souci de rentabilité économique et la perspective d'engranger un maximum de dividendes, même si ceux-ci peuvent être ensuite utilisés pour financer des politiques publiques. Dans sa mission d'actionnaire comme dans les autres , l'État ne saurait se départir d'une vision d'intérêt général à long terme qui doit nécessairement orienter son intervention capitalistique dans les entreprises.

Des difficultés apparaissent dans les cas où l'intérêt de l'entreprise, perçu stricto sensu , nécessite, comme c'est parfois le cas, l'adoption de mesures qui sont en contradiction avec les grands objectifs de politique publique. On pense évidemment aux décisions qui peuvent avoir un impact sur l'emploi... C'est en ce sens que certains - à l'instar de David Azéma, ancien directeur général de l'APE - soulignent les « contradictions de l'État actionnaire » 121 ( * ) , et les difficultés qu'il peut avoir à exercer sereinement ses prérogatives, dans le sens de l'intérêt de l'entreprise.

Source : rapport d'activité 2017 de l'APE.

(3) Une doctrine actionnariale de l'État qui se cherche

Le portefeuille actuel de l'APE, tant en ce qui concerne les entités dans lesquelles il est présent que le taux de sa participation dans ces dernières, est très disparate. Il est le résultat d'une sédimentation des choix fluctuants de l'État au cours des quatre-vingts dernières années dans le cadre des modalités de son interventionnisme économique .

Pour autant, la gestion des participations de l'État ne présente pas un caractère monolithique, le périmètre de participation de l'APE évoluant de façon permanente . Ainsi, de 2015 à 2017, des mouvements à hauteur de 10 Md€ sont intervenus dans son portefeuille.

LES OPÉRATIONS RÉALISÉES PAR L'APE DE 2015 À 2017

Douze opérations de cessions ont été réalisées en 2015, 2016 et 2017 pour un montant global de plus de 10 Md€ :

- Cession de 49,99 % du capital de l'aéroport de Toulouse ;

- Cession de 60 % du capital des aéroports de Nice et Lyon ;

- Trois cessions de blocs de titres Safran (3,96 % ; 2,64 % puis 1,39 % du capital) et trois cessions de blocs de titres Engie (0,48 % ; 3,7 % puis 4,1 % du capital) sous forme de placement institutionnel accéléré ;

- Cession de l'intégralité de la participation de l'État au capital de PSA, Renault ;

- Cession de droits préférentiels de souscription d'EDF à l'occasion de l'augmentation de capital de l'entreprise en mars 2017.

À l'inverse, les investissements réalisés sur ces trois années s'élèvent à près de 10 Md€. Six entrées ou montées au capital ont été réalisées en 2015, 2016 et 2017 pour un montant total de près de 4,3 Md€ :

- achat de titres Renault et Air France en 2015 ;

- achat de la participation de Bpifrance au capital d'Eramet ;

- achat de 51 % de Technicatome ;

- achat de titres puis augmentation de capital de New Areva holding SA, devenu Orano.

Par ailleurs, l'État a souscrit à des augmentations de capital dans ces sociétés dans lesquelles il était déjà présent :

- EDF, pour 3 Md€ ;

- Areva SA, pour 2,3 Md€ ;

- Laboratoire français du fractionnement et des biotechnologies (LFB), pour 90 M€ ;

- Radio France, pour 27,5 M€ ;

- Société pour le logement intermédiaire (SLI), à hauteur de 37 M€ ;

- Société de valorisation foncière et immobilière (SOVAFIM), pour 20 M€.

Source : APE.

En 2014, l'État a entrepris de définir les objectifs de son action en qualité d'actionnaire autour de quatre axes :

- assurer un niveau de contrôle suffisant dans des entreprises à capitaux publics stratégiques intervenant dans des secteurs particulièrement sensibles en matière de souveraineté , c'est-à-dire notamment les activités nucléaires et les activités liées à la défense nationale ;

- assurer l'existence d'opérateurs « résilients » pour pourvoir aux besoins fondamentaux du pays ;

- intervenir ponctuellement en sauvetage lorsque la disparition d'une entreprise présenterait un risque systémique avéré pour l'économie nationale ou européenne ;

- accompagner le développement et la consolidation d'entreprises nationales , en particulier dans des secteurs et des filières stratégiquement déterminantes pour la croissance économique nationale.

Selon Martin Vial, le Gouvernement souhaite désormais conduire un recentrage sur les trois premiers de ces axes prioritaires et une « respiration » du portefeuille de l'APE est ainsi envisagée.

Votre mission salue cette volonté de pilotage stratégique qui succède à une longue période de gestion d'actifs pour le compte de l'État dépourvue d'une véritable « doctrine ». Elle regrette néanmoins qu'à l'heure actuelle, ces choix restent définis uniquement par l'exécutif , avec une information a posteriori du Parlement lorsque les arbitrages ont été réalisés. Or, la représentation nationale doit être associée très directement aux choix stratégiques de l'État actionnaire.

La mission appelle donc le Gouvernement, via l'APE, à informer et à consulter périodiquement, de manière annuelle ou semestrielle, les commissions permanentes compétentes du Sénat et de l'Assemblée nationale sur la stratégie de cession ou d'acquisition d'actifs qu'elle entend mener. Compte tenu de la confidentialité qui s'attache aux informations relatives aux décisions de cessions ou d'achats d'actifs, il conviendra de trouver des modalités d'information qui concilient transparence des décisions et respect de la confidentialité. 122 ( * )

Proposition n° 30 : Associer directement le Parlement à la définition et à la mise en oeuvre de la stratégie de l'état actionnaire, en informant et consultant périodiquement les commissions permanentes compétentes du Sénat et de l'Assemblée nationale de la stratégie de cession ou d'acquisition d'actifs qu'elle entend mener.

b) Réorienter l'actionnariat de l'État pour optimiser son intervention stratégique
(1) Envisager des cessions d'actifs pour mieux en investir le produit dans des activités stratégiques

Votre mission est convaincue de l'intérêt stratégique et opérationnel d'un « actionnariat d'État » et qu'il ne faut pas céder aux sirènes qui laissent croire que l'intervention de l'État est toujours plus efficace lorsqu'il n'est que le simple régulateur d'une activité économique détenue par des capitaux exclusivement privés. Pour autant, elle est aussi pleinement consciente que l'intervention capitalistique de l'État doit s'effectuer avec parcimonie , tant au regard de la situation contrainte des finances publiques françaises que des règles de l'Union européenne en matière d'aides d'État.

Pour exercer ses choix d'intervention, vos président et rapporteur estiment que l'État, par le biais de l'expertise de l'APE, doit adopter une double démarche d'évaluation destinée :

- d'une part, à mieux distinguer les besoins d'une présence au capital à vocation pérenne de celle à vocation transitoire .

La présence pérenne de l'État dans des entreprises qui constituent des opérateurs d'activités vitales pour la Nation, comme le nucléaire ou certaines activités intéressant la défense nationale, est tout à fait indispensable.

Dans d'autres situations, l'intervention de l'État au capital peut ne résulter que de circonstances conjoncturelles, qui permettent de ne l'envisager que pour un temps limité, conduisant à un désengagement à court ou moyen terme. C'est le cas, en particulier, des actions de « sauvetage » d'entreprises dont la disparition aurait des conséquences systémiques.

Mais, dans une telle hypothèse, il importe que le retrait total de l'État du capital social soit conditionné à l'entrée d'un ou plusieurs nouveaux actionnaires privés de long terme, dans des conditions et selon des modalités de nature à protéger le maintien des centres de décision, de recherche et de production en France ;

- d'autre part, de dissocier l'investissement stratégique de l'investissement de « rente ».

La détention capitalistique permet non seulement à l'État de participer à la définition d'une stratégie d'entreprise, mais également de tirer un avantage financier de sa qualité d'actionnaire. Il s'agit donc de mettre en regard le volume de capital public immobilisé et ses effets, tant en termes de gouvernance que de retour financier via les dividendes qu'il produit.

Cette dernière dimension ne doit d'ailleurs pas être sous-estimée. Il n'est ainsi pas négligeable, pour l'État, de disposer dans Orange d'une participation à hauteur de 13,39 % du capital, qui lui a procuré en 2016 près de 1,6 Md€ de dividendes. En outre, les conditions dans lesquelles l'État a procédé en 2006 à la cession de ses actifs dans les sociétés concessionnaires d'autoroutes mettent clairement en exergue le fait que le désengagement éventuel de l'État du capital d'un opérateur ne doit pas conduire à le priver d'une manne financière durable, tout en créant un effet d'aubaine pour des investisseurs privés ... Il convient de ne pas renouveler ce type d'erreur, qui s'explique d'abord par un défaut de vision à long terme.

L'investissement stratégique, quant à lui, n'implique pas nécessairement que l'État dispose d'une majorité du capital social, ce qui pour des grands groupes peut constituer une immobilisation en capital d'un volume considérable. Il convient de déterminer, au cas par cas, en fonction de la structure actionnariale, le niveau de présence souhaitable pour l'État, afin de le mettre en situation d'exercer les leviers de gouvernance nécessaires à la mise en oeuvre de ses projets.

C'est à l'aune de ces différentes considérations que doit être analysée l'annonce faite par le Gouvernement, par le biais du ministre de l'économie et des finances, Bruno Le Maire, de son intention de céder des participations de l'État dans Aéroports de Paris (ADP) ou dans la Française des jeux (FDJ).

Si, effectivement, la détention publique de la FDJ n'est pas commandée en elle-même par des intérêts stratégiques, bien qu'elle assure à l'État un dividende confortable d'environ 230 M€ par an, votre mission ne peut que souligner le précédent fâcheux constitué par la cession à un groupe chinois d'une partie du capital de l'aéroport de Toulouse-Blagnac détenue par l'État .

Les infrastructures de transport, notamment aérien, constituent en effet un élément stratégique de la Nation et l'État doit pouvoir être présent au capital des opérateurs des principaux aéroports pour être pleinement informé et pouvoir participer aux décisions importantes. La mission relève d'ailleurs que le Gouvernement s'est engagé en février 2018 à conserver une participation au sein de cet aéroport, preuve que la présence actionnariale de l'État reste nécessaire pour peser... La vente de tout ou partie du capital d'Aéroports de Paris (ADP) détenu par l'État devra donc, si elle se produit, être compensée par des mesures de régulation garantissant aux pouvoirs publics un réel contrôle de ses infrastructures.

À l'issue de cette démarche d'évaluation préalable du portefeuille, votre mission estime donc qu'il est justifié que l'État procède à certaines cessions de participations lorsque le recours à des instruments permettant à l'État d'exercer une influence sur les décisions stratégiques d'une entreprise est de nature à réduire le niveau de sa participation, sans pour autant conduire à une sortie totale du capital.

Mais votre mission insiste pour que, en tout état de cause, cette cession d'actifs s'effectue d'abord en vue de favoriser l'investissement productif . Elle ne doit pas être utilisée comme une mesure d'expédient ponctuelle.

Or, tel ne semble pas être l'ambition du Gouvernement, qui a annoncé vouloir consacrer une partie des sommes résultant des futures cessions à une action de désendettement budgétaire. Quant au choix également annoncé de financer « l'innovation de rupture » par ce biais, en constituant un « fonds pour l'innovation de rupture » 123 ( * ) doté de 10 Md€, dont seuls les revenus générés par le placement de cette somme seraient effectivement investis dans l'innovation - soit environ 200 M€ par an - votre mission l'estime discutable .

On peut en effet s'interroger fortement sur l'intérêt financier de céder des titres dont le rendement est de 3,5 % l'an, voire 4,1 % (si l'on considère le portefeuille de l'État, hors énergie) pour les placer à un taux de 2 à 3 %. Il serait plus judicieux financièrement, et plus simple en pratique, d'affecter directement une partie des dividendes générés par le portefeuille de l'État au financement de l'innovation .

Surtout, votre mission s'inquiète pour les capacités futures d'intervention de l'État. Qui se doutait au début des années 2010 qu'il faudrait trouver 12 Md€ pour restructurer la filière nucléaire ? La France a pu conduire cette action considérable sans peser sur le budget de l'État, parce que le portefeuille de l'État le permettait. Ce sont des cessions d'actifs qui ont permis les recapitalisations. De même, le pays a pu intervenir à des moments-clés dans l'actionnariat de Peugeot, de Renault ou plus récemment de STX, parce que l'État disposait d'actifs cessibles et donc de marges financières. On peut donc craindre que les cessions massives annoncées par le Gouvernement et le resserrement du portefeuille de l'État sur un nombre réduit de valeurs n'obèrent fortement les capacités d'intervention de l'État dans le capital de sociétés stratégiques.

Proposition n° 31 : Redéfinir le niveau des participations de l'État dans certaines entreprises, pour mieux investir directement les sommes résultant de la vente de ces actifs dans des activités stratégiques pour l'industrie, sans les reverser nécessairement au fonds pour l'innovation de rupture annoncé par le Gouvernement dont le rendement pourrait s'avérer moindre que celui des participations actuelles .

En outre, il est indispensable que la réduction de l'intervention capitalistique de l'État s'accompagne de la mise en place de mécanismes d'information, de contrôle et de décision susceptibles de bénéficier à l'État, actionnaire minoritaire et, en tout état de cause, qu'elle s'effectue de manière à garantir la pérennité à long terme de l'activité des entreprises concernées.

(2) Des corollaires indispensables à tout désengagement de l'État

En cas de désengagement partiel de l'État , la mission n'envisage la réorientation de l'actionnariat de l'État, qui conduirait notamment à faire perdre à ce dernier la qualité d'actionnaire majoritaire ou d'actionnaire de référence d'une entreprise stratégique, qu'à à la condition d'une mise en place corrélative de mécanismes d'information, de contrôle et de décision au bénéfice de l'État.

Le droit des sociétés offre en effet aujourd'hui de multiples mécanismes, de nature légale, statutaire ou extra-statutaire, permettant à l'État de conserver un rôle privilégié dans la conduite des sociétés dans lesquels il est actionnaire minoritaire.

Du reste, des mécanismes de ce type sont déjà mis en place dans certaines entreprises du portefeuille de l'APE. Il en va ainsi des droits de vote double attachés aux actions de l'État dans :

- Engie : grâce à ce mécanisme, l'État bénéficie de la quasi majorité en assemblée générale avec une participation de 24,1 % du capital et le tiers des droits de vote ;

- Renault : compte tenu des droits de vote double, le niveau actuel de détention (15,01 %) assure de facto une minorité de blocage en assemblée générale.

Des pactes d'actionnaires lient également l'État à d'autres actionnaires d'une même société, et lui permettent ainsi de bénéficier d'un poids décisif pour la prise de certaines décisions de la vie de l'entreprise. Tel est le cas, par exemple :

- pour Eramet, dans lequel l'État est lié par un pacte avec la famille Duval ;

- pour Thalès, où existe un pacte d'actionnaires avec Dassault.

Enfin, l'État dispose dans certaines sociétés d'actions spécifiques, d'actions de préférence, voire de conventions de protection des actifs stratégiques. On peut en particulier citer :

- l'action de préférence détenue au capital d'Ariane Group ;

- l'action spécifique et la convention détenues chez Thales ;

- les conventions conclues entre l'État et Safran ou entre l'État et MBDA.

Vos président et rapporteur soulignent que c'est également une action spécifique qui a été instituée au profit de l'État dans le cadre de la coentreprise GEAST, créée lors de la cession à General Electric de sa branche « Énergie », et destinée à l'activité de turbines dans le domaine nucléaire. 124 ( * )

Si l'institution d'une action spécifique est très encadrée 125 ( * ) , notamment en raison de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne 126 ( * ) , la mise en place d'actions de préférence ou de pactes d'actionnaires sont des mécanismes beaucoup plus souples. La mission invite donc l'APE à envisager et à négocier de tels mécanismes préalablement à toute réduction du niveau de la participation de l'État.

Proposition n° 32 : En cas de désengagement partiel de l'État d'entreprises stratégiques, mettre en place des mécanismes préservant les prérogatives de l'État actionnaire en matière d'information, de contrôle et de décision.

En cas de désengagement complet de l'État de certaines entreprises qui n'apparaissent pas suffisamment stratégiques, la mission estime nécessaire pour l'État de rechercher des investisseurs de long terme de nature à favoriser le maintien des centres de décision, de recherche et de production en France. Privatiser des actifs importants pour la Nation sans avoir de garantie sur la présence d'actionnaires stables, favorables aux intérêts de la France, ce serait en effet reproduire les erreurs commises dans les années 1990, et dont le démantèlement de la Compagnie générale d'Électricité (CGE) et le rachat progressif de ses activités par des groupes étrangers sont la flagrante illustration. 127 ( * )

Le cas échéant, l'État doit négocier avec ces investisseurs des engagements précis en la matière, sur une durée suffisante et avec exécution progressive des obligations. À cet égard, la mission souligne les travers des engagements souscrits pour une période déterminée, avec une échéance fixe et sans une sortie progressive du dispositif, pleinement mis en lumière dans le cadre de la cession de la branche « Énergie » d'Alstom à General Electric en 2014, puis dans le cadre de la prise de contrôle d'Alstom par Siemens. 128 ( * )

Votre mission souligne l'intérêt que peut avoir, dans ce cadre, le recours à l'actionnariat salarié, qui est un élément stabilisateur des entreprises. La sortie de l'État doit permettre d'envisager de renforcer le niveau de détention du capital par les salariés de l'entreprise concernée , dans des conditions et selon des modalités à déterminer au cas par cas. 129 ( * )

Proposition n° 33 : En cas de désengagement complet de l'État, rechercher des investisseurs de long terme de nature à favoriser le maintien des centres de décision, de recherche et de production en France.

c) Envisager un transfert partiel de la gestion de certains actifs vers Bpifrance ?

Comme l'a souligné l'APE, l'intervention de l'État actionnaire et de Bpifrance est encadrée par des doctrines d'intervention complémentaires l'une de l'autre.

Bpifrance privilégie des prises de participation minoritaires , essentiellement dans de petites et moyennes entreprises et des entreprises de taille intermédiaire, en partenariat avec d'autres investisseurs en apportant de nouveaux fonds propres avec une perspective de sortie au terme d'une étape donnée de leur développement, de leur croissance internationale ou de leur consolidation. Votre mission juge cette orientation et les résultats concrets obtenus par la banque publique très satisfaisante. 130 ( * )

Dans cette perspective, elle estime, que dans le cadre de la réorientation stratégique de ses participations, l'État devrait céder à Bpifrance la gestion des participations qu'il détient dans les entreprises dont il souhaite se désengager partiellement tout en maintenant un financement public de nature à favoriser leur développement.

Votre mission relève d'ailleurs que ce type de démarche a été initié avec la participation détenue par l'État dans le groupe PSA. Constatant le redressement de PSA et son entrée dans une phase de développement international, l'État a décidé de céder en mai 2017 sa participation à Bpifrance pour un montant de 1,920 Md€, enregistrant ainsi une plus-value de 1,120 Md€.

Proposition n° 34 : Mieux formaliser les interventions respectives de l'APE et de Bpifrance et favoriser l'action de cette dernière dans sa stratégie d'accompagnement et d'envol des entreprises engagées dans une sortie progressive de l'État actionnaire.

2. Renforcer la protection des intérêts industriels nationaux

Même si votre mission se refuse à rentrer dans une logique purement « protectionniste », elle ne peut que souligner la faiblesse de l'utilisation actuelle par les pouvoirs publics des outils de protection des intérêts industriels français . Il existe pourtant des instruments qui, du reste, gagneraient à être renforcés.

a) Le contrôle des investissements directs étrangers

Ainsi qu'il l'a déjà été souligné, si le droit de l'Union européenne ne dispose pas, à ce jour, d'un dispositif de contrôle communautaire des investissements directs étrangers au sein de l'Europe 131 ( * ) , il laisse la place à des mécanismes de contrôle nationaux d'ampleur variable, sous réserve qu'ils ne méconnaissent pas les règles de liberté des capitaux posées par les traités européens. À l'instar d'autres États membres, et comme de nombreux États tiers à l'Union, la France dispose d'un système de contrôle qui lui est propre.

(1) Un contrôle des investissements directs étrangers présent dans de nombreux pays et globalement en voie de durcissement

Les dispositifs de contrôle des investissements directs étrangers sont relativement présents de par le monde. Leur périmètre est variable selon les États, entre ceux qui prévoient des mécanismes d'approbation très stricts, dans une volonté de protection large de l'économie nationale, et ceux qui s'avèrent plus ouverts. Une distinction doit être opérée à cet égard entre les pays membres de l'Union européenne et les États tiers.

(a) Des États tiers à l'Union européenne qui disposent souvent de dispositifs stricts

Parmi les États tiers à l'Union européenne, la Chine est celui qui a mis en place le régime le plus restrictif . En pratique les autorités disposent en effet d'un pouvoir d'appréciation de l'opération quasi discrétionnaire, dans les domaines où l'État juge que les investissements doivent être « restreints », voire « interdits ». 132 ( * )

Les États-Unis - dans le cadre du CFIUS ( Committee on Foreign Investment in the United States ) - et le Canada se distinguent, quant à eux, parmi les pays de l'OCDE, par la rigueur de leur dispositif , même si leur mise en application apparaît en pratique beaucoup moins stricte. 133 ( * )

D'autres États, comme le Japon , l'Australie ou la Nouvelle-Zélande retiennent des champs d'application variables, qui sont pour certains liés à des préoccupations nationales spécifiques , comme l'agriculture, le transport ferroviaire ou l'achat de foncier. 134 ( * )

(b) Des dispositifs en place dans plusieurs États membres de l'Union européenne, qui tendent à se durcir

Treize États membres de l'Union européenne ont mis en place un dispositif de contrôle des investissements directs étrangers.

Compte tenu des exigences des traités européens, les restrictions aux investissements portent sur un nombre limité de secteurs. Mais l'irruption d'investisseurs, notamment chinois, qui rachètent des entreprises emblématiques de la culture industrielle de certains États membres, a conduit à envisager un raffermissement des dispositifs. C'est le cas, notamment, en Allemagne et au Royaume-Uni.

En Allemagne , l'existence d'un mécanisme destiné à contrôler les investissements étrangers est relativement récente : avant 2008, seuls les investissements dans le secteur de l'armement étaient réellement encadrés (le gouvernement pouvait interdire à un investisseur étranger de détenir plus de 25 % des droits de vote de l'entreprise). Le mécanisme actuel trouve son origine en 2007, lorsque les agissements de certains de certains fonds souverains ont inquiété les autorités allemandes. Cette inquiétude a été relayée par les partis politiques en juillet 2007 et l'initiative de rénover le dispositif de contrôle des investissements étrangers a été prise en septembre 2007. La réforme de 2009 a fondé le contrôle des investissements étrangers sur une possible atteinte à l'ordre public et à la sécurité de l'État fédéral . En juillet 2017, la liste des matières concernées a été quelque peu élargie. 135 ( * )

Au Royaume-Uni , il n'existe pas de législation spécifique applicable aux investissements étrangers. Depuis l'adoption de l' Enterprise Act en 2002, le gouvernement britannique ne peut en principe pas intervenir dans les opérations de fusion-acquisition ni imposer aux investissements étrangers des engagements autres que moraux. Trois exceptions sont cependant prévues au titre du « public interest regime » pour permettre au gouvernement d'intervenir lorsque les investissements étrangers touchent à des secteurs d'intérêt général . Le gouvernement de Theresa May a annoncé récemment une révision de la politique de contrôle des participations des entreprises étrangères dans les infrastructures britanniques. Selon le service économique de l'ambassade de France à Londres, les récents projets d'investissements d'entreprises chinoises (y compris publiques) dans des secteurs clefs de l'économie britannique (infrastructures, énergie et technologies) suscitent en effet la méfiance d'une partie de l'opinion, qui s'interroge sur les risques en matière de sécurité nationale (espionnage industriel et dépendance énergétique notamment). 136 ( * )

(2) En France, une procédure qui a vu son champ d'application s'étendre régulièrement

Si la France n'est pas l'une des principales terres d'investissement dans le monde, elle est néanmoins une destination importante des investissements internationaux. Les pouvoirs publics, du reste, favorisent fortement cette ouverture aux capitaux étrangers, et s'efforcent de la faciliter par une action, menée par des opérateurs de l'État comme des collectivités territoriales, visant à attirer les investisseurs. Ainsi, reprenant les attributions de l'Agence française pour les investissements internationaux, Business France assure une mission de promotion de l'investissement en France.

Selon l'opérateur, en 2017, les investisseurs non-hexagonaux ont investi dans 1 298 projets , ce qui représente une hausse de 16 % sur un an . Jamais depuis dix ans, les investissements étrangers n'ont été aussi importants dans notre pays. Ces fonds étrangers auraient permis de créer 26 400 emplois, soit une progression de 6 % par rapport à l'année précédente, et d'en conserver environ 7 000.

LES INVESTISSEMENTS ÉTRANGERS 137 ( * ) DANS L'INDUSTRIE MANUFACTURIÈRE EN FRANCE

Les investissements accueillis en France dans le secteur de l'industrie manufacturière ont doublé en 15 ans, passant de 75 Md€ à 154 Md€.

Les investissements dans l'industrie automobile ont connu la plus forte augmentation, en étant multipliés par quatre depuis 2000, l'industrie chimique et les industries alimentaires ont également fortement augmenté en étant multipliés par trois.

En stock, c'est dans l'industrie pharmaceutique que ces investissements sont les plus élevés, avec 31 Md€ . L'industrie chimique et l'industrie alimentaire arrivent en deuxième position, avec 30 Md€ chacune, suivies de l'industrie automobile à hauteur de 10 Md€.

Les États-Unis sont le premier investisseur dans le domaine de l'industrie en France, avec un stock d'investissement de plus de 40 Md€, dont plus de 12 Md€ dans les industries alimentaires et 7 Md€ dans l'industrie pharmaceutique. Les investissements en provenance d'Allemagne, du Royaume-Uni et du Japon représentent des stocks allant de 10 Md€ à 13 Md€.

Les investissements étrangers dans les activités de production ont bondi de 23 % en 2017 et représentent 26 % de l'ensemble des investissements étrangers. Selon Business France, ils auraient permis de créer ou maintenir 16 213 emplois sur le territoire.

Sources : direction générale du Trésor, d'après données Banque de France ; Business France.

La France a adopté le principe de la liberté des investissements étrangers à l'occasion de la loi n° 66-1008 du 28 décembre 1966 relative aux relations financières avec l'étranger, tout en instituant, « pour assurer la défense des intérêts nationaux », un régime d'autorisation préalable , par décret, pour la constitution et la liquidation des investissements étrangers en France. Néanmoins, par sa généralité, ce régime apparaissait trop restrictif au regard des règles européenne s. C'est pourquoi l'article 30 de la loi n° 2004-1343 du 9 décembre 2004 de simplification du droit l'a modifié, selon les mots d'Éric Woerth, alors secrétaire d'État, « pour le stabiliser et pour offrir aux investisseurs étrangers une plus grande sécurité juridique, permettre une plus grande souplesse dans les négociations avec les investisseurs et assurer la compatibilité du dispositif avec le droit communautaire . » 138 ( * )

• Le champ d'application de la procédure de contrôle

Aussi la nouvelle rédaction de l'article L. 151-3 du code monétaire et financier a-t-elle restreint le régime d'autorisation aux investissements étrangers dans une activité en France qui , même à titre occasionnel, participe à l'exercice de l'autorité publique ou est :

- une activité de nature à porter atteinte à l'ordre public, à la sécurité publique ou aux intérêts de la défense nationale ;

- une activité de recherche, de production ou de commercialisation d'armes, de munitions, de poudres et substances explosives .

Sur ce fondement législatif plus restrictif, l'article R. 153-2 du code monétaire et financier définit une liste limitative précise des activités relevant de ces deux catégories, dans lesquelles un investissement étranger doit être précédé d'une autorisation administrative délivrée par le ministre de l'économie, la direction du Trésor étant chargée de l'instruction des dossiers.

Ainsi que l'a souligné la mission dans le premier volet de ses travaux, 139 ( * ) cette liste limitative, modifiée ponctuellement en 2009 et 2012, ne permettait pas de soumettre à ce régime d'autorisation préalable le rachat par General Electric de la branche « Énergie » d'Alstom. C'est la raison pour laquelle le décret n° 2014-479 du 14 mai 2014 relatif aux investissements étrangers soumis à autorisation préalable est venu compléter cette liste. Depuis lors, douze activités sont soumises à ce régime.

ACTIVITÉS SOUMISES AU RÉGIME D'AUTORISATION PRÉALABLE DES INVESTISSEMENTS ÉTRANGERS

1° Activités dans les secteurs des jeux d'argent, à l'exception des casinos ;

2° Activités réglementées de sécurité privée ;

3° Activités de recherche, de développement ou de production relatives aux moyens destinés à faire face à l'utilisation illicite, dans le cadre d'activités terroristes, d'agents pathogènes ou toxiques et à prévenir les conséquences sanitaires d'une telle utilisation ;

4° Activités portant sur les matériels conçus pour l'interception des correspondances et la détection à distance des conversations, autorisés au titre de l'article 226-3 du code pénal ;

5° Activités de services dans le cadre de centres d'évaluation agréés dans les conditions prévues au décret n° 2002-535 du 18 avril 2002 relatif à l'évaluation et à la certification de la sécurité offerte par les produits et les systèmes des technologies de l'information ;

6° Activités de production de biens ou de prestation de services de sécurité dans le secteur de la sécurité des systèmes d'information d'une entreprise liée par contrat passé avec un opérateur public ou privé gérant des installations au sens des articles L. 1332-1 à L. 1332-7 du code de la défense ;

7° Activités relatives aux biens et technologies à double usage énumérés à l'annexe IV du règlement (CE) n° 428/2009 du Conseil du 5 mai 2009 instituant un régime communautaire de contrôle des exportations, des transferts, du courtage et du transit de biens à double usage ;

8° Activités relatives aux moyens de cryptologie et les prestations de cryptologie mentionnés aux paragraphes III, IV de l'article 30 et I de l'article 31 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique ;

9° Activités exercées par les entreprises dépositaires de secrets de la défense nationale notamment au titre des marchés classés de défense nationale ou à clauses de sécurité conformément aux articles R. 2311-1 et suivants du code de la défense relatifs à la protection du secret de la défense nationale ;

10° Activités de recherche, de production ou de commerce d'armes, de munitions, de poudres et substances explosives destinées à des fins militaires ou de matériels de guerre et assimilés réglementés par le titre III ou le titre V du livre III de la deuxième partie du code de la défense ;

11° Activités exercées par les entreprises ayant conclu un contrat d'étude ou de fourniture d'équipements au profit du ministère de la défense, soit directement, soit par sous-traitance, pour la réalisation d'un bien ou d'un service relevant d'un secteur mentionné aux points 7° à 10° ci-dessus ;

12° Autres activités portant sur des matériels, des produits ou des prestations de services, y compris celles relatives à la sécurité et au bon fonctionnement des installations et équipements, essentielles à la garantie des intérêts du pays en matière d'ordre public, de sécurité publique ou de défense nationale énumérés ci-après :

a) Intégrité, sécurité et continuité de l'approvisionnement en électricité, gaz, hydrocarbures ou autre source énergétique ;

b) Intégrité, sécurité et continuité de l'approvisionnement en eau dans le respect des normes édictées dans l'intérêt de la santé publique ;

c) Intégrité, sécurité et continuité d'exploitation des réseaux et des services de transport ;

d) Intégrité, sécurité et continuité d'exploitation des réseaux et des services de communications électroniques ;

e) Intégrité, sécurité et continuité d'exploitation d'un établissement, d'une installation ou d'un ouvrage d'importance vitale au sens des articles L. 1332-1 et L. 1332-2 du code de la défense ;

f) Protection de la santé publique.

• Les modalités de la procédure de contrôle

L'investisseur étranger qui compte acquérir le contrôle d'une entreprise exerçant l'une des activités listées par le code monétaire et financier doit obligatoirement solliciter une autorisation du ministre de l'économie , préalablement à la réalisation de l'investissement. Il peut par ailleurs solliciter en amont les conseils de l'administration du Trésor par l'intermédiaire d'un rescrit .

Le délai d'instruction des demandes d'autorisation est de deux mois à compter de la réception d'un dossier complet. À défaut de réponse, l'investisseur bénéficie d'une autorisation implicite 140 ( * ) .

La direction générale du Trésor assure la coordination interministérielle de la procédure , grâce à un bureau spécialement dédié qui s'appuie sur des correspondants dans tous les ministères concernés par l'investissement en cause. Selon Valérie Liang-Champrenault, cheffe du bureau des investissements étrangers à la direction générale du Trésor, il s'agit essentiellement des hauts fonctionnaires à la défense et à la sécurité (HFDS) des ministères de la transition écologique et solidaire, des affaires sociales, de la justice, et de l'agriculture, ainsi que du délégué ministériel aux industries de sécurité et à la lutte contre les cybermenaces, du secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), de l'agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (ANSSI), ou de la direction générale de l'armement pour le ministère des armées. À chaque étape de la procédure, les ministères concernés sont étroitement associés (éligibilité, conditions et lettre d'engagement, suivi des engagements). Des réunions et des échanges approfondis sont organisés pour chaque dossier et le lien est constant avec les ministères concernés.

• Une autorisation qui peut être délivrée sous conditions

Si l'autorisation peut être refusée ou donnée, elle peut également être délivrée sous conditions afin d'encadrer les risques identifiés, au cours de l'instruction, en termes d'ordre public, de sécurité publique et d'intérêts de la défense nationale.

La nature de ces conditions est précisée à l'article R. 153-9 du code monétaire et financier. Celles-ci portent principalement sur la préservation par l'investisseur de :

- la pérennité des activités, des capacités industrielles, des capacités de recherche et de développement ou des savoir-faire associés ;

- l'intégrité, la sécurité et la continuité de l'approvisionnement ;

- l'intégrité, la sécurité et la continuité de l'exploitation d'un établissement, d'une installation ou d'un ouvrage d'importance vitale 141 ( * ) ou des réseaux et services de transport ou de communications électroniques ;

- la protection de la santé publique ;

- l'exécution des obligations contractuelles de l'entreprise dont le siège social est établi en France, comme titulaire ou sous-traitant dans le cadre de marchés publics ou de contrats intéressant l'ordre public, la sécurité publique, les intérêts de la défense nationale ou la recherche, la production ou le commerce en matière d'armes, de munitions, de poudres ou de substances explosives.

Les conditions imposées doivent être fixées dans le respect du principe de proportionnalité et être strictement nécessaires à la protection des enjeux de sécurité et de défense nationale de la transaction. Sous réserve de proportionnalité, de nombreux types de mesures peuvent être envisagés, qui peuvent concerner la gouvernance 142 ( * ) ou les conditions d'activité 143 ( * ) de l'entreprise. Une autorisation ne peut ainsi être refusée qu'à défaut de parvenir à encadrer les risques.

Lorsque des conditions sont imposées à l'investisseur comme préalable à l'autorisation, les services de l'État effectuent un suivi de ces engagements. Les administrations cheffes de file sont chargées de veiller au bon respect des engagements pris par les investisseurs vis-à-vis de l'État. Selon Valérie Liang-Champrenault, divers moyens sont mobilisés, tels que les liens avec les clients de la cible, les contacts réguliers avec l'entreprise rachetée et le point de contact opérationnel nommé ou l'officier de sécurité, la veille sectorielle exercée par les ministères, l'exigence d'un rapport annuel et de réunions avec les entreprises, la participation au comité de sécurité lorsqu'il existe, ou, depuis 2017, la visite de sites par les administrations centrales ou les DIRECCTE.

Le dispositif est en outre assorti de mécanismes de sanctions , définis par plusieurs textes.

L'article L. 151-4 du code monétaire et financier prévoit ainsi la nullité de tout engagement, convention ou clause contractuelle qui réalise directement ou indirectement un investissement étranger qui n'a pas fait l'objet de l'autorisation préalable exigée.

L'article L. 151-3 du même code met en place un mécanisme d'injonction au profit du ministre chargé de l'économie, s'il constate qu'un investissement étranger est ou a été réalisé en méconnaissance du refus d'autorisation ou des conditions posées dans l'autorisation délivrée. Dans ce cadre, le ministre peut, après mise en demeure, enjoindre à l'investisseur de ne pas donner suite à l'opération, de la modifier ou de faire rétablir à ses frais la situation antérieure . En cas de non-respect de l'injonction précitée, le ministre chargé de l'économie peut, à l'issue d'une procédure contradictoire, sans préjudice du rétablissement de la situation antérieure, lui infliger une sanction pécuniaire dont le montant maximum s'élève au double du montant de l'investissement irrégulier . Ce montant doit être proportionnel à la gravité des manquements commis.

En outre, les peines d'emprisonnement de cinq ans et d'amende prévues par l'article 459 du code des douanes pour les contrevenants à la législation et à la réglementation des relations financières avec l'étranger s'appliquent également.

(3) Des ajustements complémentaires sont nécessaires

Votre mission estime que la philosophie du contrôle actuel des investissements directs étrangers en France est satisfaisante , à la fois au regard des règles juridiques européennes et internationales qui lient notre pays, mais également compte tenu du fait que les entreprises françaises, y compris industrielles, bénéficient fortement de l'ouverture des autres États aux investissements étrangers. En outre, dans un contexte où les capacités d'investissement nationales - qu'elles émanent de la sphère privée ou des acteurs publics et parapublics - apparaissent réduites, l'investissement étranger doit être favorisé.

Toutefois, si l'investissement étranger peut développer l'économie française, il est également susceptible de servir la stratégie d'investisseurs dont l'ambition n'est que de s'assurer une rentabilité financière maximale, au prix d'un démantèlement de l'appareil productif en France , ou un accès à des actifs stratégiques . Comme l'a indiqué Philippe Varin, président de France Industrie, devant la mission : « Certes, il y a la fusion Alstom-Siemens ou encore Lafarge-Holcim, mais les entreprises françaises peuvent être également à l'origine des fusions, comme lors du rachat d'Opel par PSA, d'Airgas par Air Liquide ou encore de General Electric Waters par Suez. L'équation doit donc être considérée globalement. » 144 ( * ) Un équilibre doit être trouvé entre les besoins en financement de notre économie et de nécessaires garde-fous .

Cette position a également été exprimée par les représentants du MEDEF entendus par votre mission. Selon eux, si la protection des « pépites » françaises peut se justifier, il faut veiller à ne pas les priver des ressources financières nécessaires à leur développement, ce qui aurait pour conséquence de freiner la croissance des start-up , voire de désinciter la création d'entreprises, dans la mesure où le rachat est une forme de rémunération pour l'entrepreneur.

Or, à cet égard, les auditions ont clairement fait apparaître une convergence de vues sur le fait que le dispositif actuel de filtrage des investissements devrait être renforcé. Ainsi que l'a notamment souligné Louis Schweitzer au cours de son audition par la mission : « Juridiquement, le monde change, et l'idée d'une ``Europe qui protège'', qui paraissait presque obscène il y a quelque temps, revient. Les Français, sur ce point, étaient alors sans doute les plus offensifs dans le discours, mais pas les plus efficaces dans la réalité. Nous avions une attitude ambivalente, ne sachant pas si la priorité était d'attirer les capitaux ou de défendre notre industrie, si bien qu'aucune de ces deux priorités contradictoires ne pouvait être bien assurée. Notre problème tenait aussi à l'absence, critique, d'un réseau de coopération, mieux à même de décourager les prédateurs que le « chacun pour soi ». Je crois donc que le décret Montebourg était bienvenu. Il est envisagé de le renforcer dans d'autres secteurs, fort bien. Je pense, comme je l'ai dit, que la nationalité d'une entreprise est importante. Nos concurrents, l'Allemagne, les États-Unis, l'Italie, n'hésitent pas à assurer, de façon formelle ou informelle, une telle protection . » 145 ( * )

Compte tenu de la révolution technologique en cours, votre mission estime qu'il est indispensable de prendre en considération les activités qui en sont le fer de lance .

Or, à ce stade, le champ d'application du dispositif de contrôle des investissements directs étrangers ne permet pas à l'État d'exercer un filtrage dans des domaines tels que le stockage de données ou l'intelligence artificielle . De ce fait, certaines de nos « pépites » en la matière, qui ont développé des techniques ou qui administrent des structures utilisées pour des activités mettant en cause la sécurité ou la défense nationale, notamment, pourraient faire l'objet de rachats par des investisseurs étrangers. Il convient donc que les investissements concernant ces activités puissent faire l'objet d'un contrôle afin de prévoir, le cas échéant, les garde-fous nécessaires.

De même, il est surprenant qu'à ce jour les activités spatiales ne soient pas intégrées dans la liste des secteurs soumis au contrôle préalable des investissements, alors que la maîtrise de la technologie en matière de lanceurs ou de satellites est une composante essentielle de la souveraineté des Etats. Ceci d'autant plus que la France a développé une filière particulièrement performante dans ce domaine.

Votre mission se félicite donc des annonces faites par Bruno Le Maire, ministre de l'économie et des finances , lors de son audition au Sénat le 8 mars 2018 : « Au niveau national, le Premier ministre l'a annoncé et je vous le confirme : dans le cadre du projet de loi sur la croissance et la transformation des entreprises, sera renforcé le régime de contrôle des investissements étrangers en France. Nous élargirons en particulier le champ de ce contrôle à de nouveaux domaines comme l'espace, le stockage de données, l'intelligence artificielle et les semi-conducteurs . Dans les entreprises stratégiques pour la France, des actions pourront être menées par l'État pour protéger les intérêts nationaux. » Elle juge également indispensable d'ajouter à cette liste la sécurité des données , dans la mesure où les dispositions réglementaires actuelles ne visent que la sécurité des réseaux de communication électronique.

Néanmoins, comme l'ont souligné les représentants du groupe Airbus au cours de leur audition, le choix d'une réglementation sous forme de liste comporte une limite intrinsèque : celle de ne pas prévoir des hypothèses qui, pourtant, se révéleront nécessaires en pratique compte tenu de l'émergence de nouvelles activités stratégiques liées aux bouleversements technologiques en cours. Dès lors, votre mission insiste sur la nécessité que la liste des activités soumises au contrôle des investissements directs étrangers fasse l'objet d'une révision périodique à même de prendre en compte l'évolution des technologies et des secteurs économiques .

Proposition n° 35 : Élargir la liste des activités soumises au contrôle des investissements directs étrangers aux domaines en lien avec la révolution technologique, notamment le stockage et la sécurité des données, l'intelligence artificielle, les semi-conducteurs, ainsi qu'au domaine spatial, et assurer sa révision périodique, au vu de l'évolution des technologies et des secteurs économiques.

En tout état de cause, la mission souligne que l'extension du champ de la procédure de contrôle à de telles activités n'implique pas ipso facto une interdiction ni même une autorisation conditionnelle. Elle doit seulement permettre à l'État de disposer des moyens juridiques pour évaluer, au cas par cas, l'impact effectif de l'investissement au regard des considérations de sécurité publique .

La durée actuelle de la procédure - deux mois - nécessite une réactivité forte dans le cadre de l'instruction des dossiers. Votre mission n'est pas favorable à son allongement, afin de ne pas dissuader les entreprises étrangères d'investir en raison de délais administratifs trop longs. Mais pour permettre cette réactivité, il convient que l'État dispose d'une cartographie précise des entreprises qui présentent un caractère stratégique .

Cette exigence implique d'abord une réflexion plus aboutie de la part des pouvoirs publics sur ce qui est stratégique pour la Nation , ainsi que l'a souligné lors de son audition Jean-Baptiste Carpentier, commissaire à l'information stratégique et à la sécurité économiques jusqu'en janvier 2018. Ainsi, toutes les entreprises qui exercent une activité dans un secteur stratégique comme la défense nationale ont-elles pour autant un caractère stratégique ? Dans quelles circonstances une entreprise exerçant son activité dans le maintien de certaines infrastructures d'importance vitale - comme l'électricité - doit-elle être considérée comme stratégique ? Si l'analyse est , en tout état de cause, casuistique, elle doit se fonder sur des orientations claires et assumées de la part de l'État.

En outre, il est nécessaire de disposer dans les territoires de relais assurant une veille en matière d'intelligence économique . Les entreprises stratégiques ne sont en effet pas nécessairement des grandes entreprises ; elles peuvent être des ETI ou des PME, de dimension locale, qui détiennent une expertise clé dont il faut s'assurer la maîtrise en France. Il existe certes à cet effet des délégués à l'information stratégique et à la sécurité économique, placés auprès des préfets de région, mais leur action doit être renforcée. En particulier, votre mission estime que la mise en place de cette cartographie pourrait notamment s'appuyer sur l'expertise des DIRECCTE, compte tenu de leur connaissance du tissu industriel local .

Proposition n° 36 : Établir une cartographie précise des entreprises qui présentent en France un caractère stratégique, y compris les PME et les ETI, en s'appuyant notamment sur la connaissance du tissu industriel local par les services déconcentrés de l'État.

Votre mission juge également nécessaire de renforcer l'utilisation de l'arsenal des garde-fous et conditions qui peuvent être exigées de l'investisseur étranger dans le cadre de l'autorisation préalable qui lui est délivrée .

En particulier, il ne faut pas que l'État hésite à imposer des mesures de gouvernance spécifiques. Doit être souligné notamment l'intérêt des pratiques américaines en la matière, consistant à imposer :

- des règles excluant l'investisseur étranger de son droit de vote sur certaines décisions jugées stratégiques ;

- la présence d'un « superviseur » ou « contrôleur externe » indépendant, présent dans l'entreprise et dont le coût est pris en charge par cette dernière, chargé de s'assurer de la conformité des décisions de l'entreprise au regard des engagements qu'elle a contractés à l'occasion de la délivrance de l'autorisation d'investir. C'est du reste ce type de mesure qu'avait exigé l'administration américaine dans le cadre des accords passés avec Technip en 2010, Total en 2013 et Alstom en 2014 pour mettre fin aux poursuites. 146 ( * )

Certes, vos président et rapporteur sont conscients que de telles mesures ne pourront être décidées que dans des cas limités, compte tenu de l'application du principe de proportionnalité sur lequel le juge pourra, le cas échéant, être amené à exercer son contrôle. En outre, elles impliqueront nécessairement une phase de négociation et d'explication à mener avec le candidat à l'investissement, si l'État juge que le bilan « coût/avantage » de l'opération plaide en faveur d'une autorisation de l'investissement. Elles sont néanmoins des outils pertinents dans « l'arsenal » de défense dont doit bénéficier notre pays .

Proposition n° 37 : Ne pas hésiter à imposer des mesures de gouvernance dans les entreprises particulièrement stratégiques faisant l'objet d'un investissement étranger, notamment l'exclusion de l'investisseur étranger de son droit de vote sur certaines décisions ou la mise en place d'un « superviseur » indépendant au sein de l'entreprise.

b) Le nécessaire renforcement de l'actionnariat national

L'une des faiblesses des entreprises industrielles françaises, quel que soit le champ d'activité, réside également dans la faiblesse de l'actionnariat français.

Selon une étude de l'Association nationale des sociétés par actions (ANSA), les investisseurs non-résidents sont le premier groupe d'actionnaires de sociétés cotées, détenant en France 40 % de la capitalisation boursière. Si cette proportion est comparable à celle d'autres États européens, et relativement stable, il n'en demeure pas moins que, comme l'a relevé lors de son audition Jean-Baptiste Carpentier, commissaire à l'information stratégique et à la sécurité économiques jusqu'en janvier 2018, plus de la moitié des entreprises du CAC 40 sont aujourd'hui contrôlées par des capitaux étrangers.

Or, si la localisation du centre de décisions d'une entreprise en France est importante - dans la mesure où elle permet l'application de la loi nationale - elle ne garantit pas à elle seule que les décisions stratégiques prises par ses organes sociaux seront favorables aux intérêts de notre pays, et notamment au maintien ou au développement de centres de production dans nos territoires .

Ce constat est au coeur de l'inquiétude ressentie par votre mission dans le cadre du rapprochement des groupes Alstom et Siemens. Malgré quelques garanties en matière de gouvernance qui s'appliqueront pendant une période de quatre ans à compter de la réalisation de l'opération, la détention par le groupe Siemens AG de la majorité des actions et des droits de vote à l'assemblée générale ainsi que de la majorité des membres du conseil d'administration du futur groupe Siemens-Alstom fait peser des risques de biais nationaux dans le cadre de la réorganisation inévitable des activités de nature à désavantager les sites français. 147 ( * )

(1) Favoriser le retour des investisseurs institutionnels français

L'absence constatée, et souvent regrettée, des grands investisseurs institutionnels français dans l'industrie nationale est l'une des causes de la faiblesse des groupes français face à des investisseurs étrangers.

Ainsi, la part des établissements bancaires français dans la détention du capital des sociétés cotées françaises est passée en trente ans de 10 % à 6 % de la capitalisation de ces sociétés, pour représenter 91 Md€ en 2016 . Cette chute peut s'expliquer, selon l'ANSA, par le coût réglementaire de la détention d'actifs risqués.

Les sociétés françaises d'assurance détiennent quant à elles seulement 3 % de la capitalisation des sociétés cotées françaises, soit 55 Md€ en 2016, cette proportion restant relativement stable. Elle résulte, d'après les représentants de la Fédération française de l'assurance (FFA), des contraintes issues de la réglementation européenne - Solvabilité II - même si, avant même ces mesures, d'autres contraintes restreignaient leur capacité à détenir des actions au titre de leurs investissements en fonds propres ou en représentation des contrats d'assurance-vie en euros.

Les sociétés non financières françaises apparaissent, prima facie , comme des investisseurs de premier rang dans les sociétés françaises. Après avoir baissé tendanciellement entre 1990 et 2000 suite au dénouement des participations croisées mises en place dans les années 1980, le niveau de détention s'est stabilisé autour de 20 % pour les sociétés cotées. En revanche, il est désormais de 60 % pour les sociétés non cotées, en croissance continue depuis trente ans. Ces chiffres doivent néanmoins être relativisés, compte tenu de l'explosion du phénomène de la filialisation intragroupe. Ainsi, une bonne part du niveau de détention des sociétés non cotées s'explique par le fait qu'il intervient pour l'essentiel dans des relations mère-filles.

Lors de leur audition, les représentants de la Fédération française des assurances (FFA) ont indiqué que les capacités d'investissement des assureurs pour le placement des fonds collectés vers des portefeuilles actions étaient fortement contraintes par les règles mises en place par la directive 2009/138/CE du Parlement européen et du Conseil du 25 novembre 2009, dite « solvabilité II », modifiée en 2014. Les obligations quantitatives et qualitatives qu'elle impose aux assureurs les empêchent d'investir en actions, privilégiant à l'inverse l'investissement dans des obligations d'État.

Tant que ces contraintes ne sont pas desserrées , la FFA estime que les assureurs ne sont pas en mesure de renforcer leur présence comme investisseurs institutionnels dans les sociétés . Votre mission espère que, compte tenu de l'évolution du contexte économique, ces règles prudentielles, adoptées au plus fort de la crise financière, pourront être assouplies prochainement. Elle relève du reste l'existence d'une volonté de plusieurs États membres, dont la France, l'Allemagne, l'Italie et les Pays-Bas, pour inciter la Commission européenne à proposer un cadre renouvelé.

(2) Favoriser l'actionnariat salarié et la présence d'administrateurs salariés

L'actionnariat salarié , également particulièrement réduit en France, peut constituer un élément clé de stabilisation et d'ancrage des entreprises en France.

En effet, dans les sociétés dans lesquelles l'actionnariat salarié est important, les prises de contrôle par voie d'offre publique d'achat (OPA), notamment « hostiles », sont réputées plus difficiles, à la fois pour des raisons culturelles et d'emploi : les salariés étant les premiers susceptibles d'être impactés par les réorganisations découlant d'une prise de contrôle externe, ils sont souvent moins susceptibles que d'autres actionnaires d'accepter une évolution de la détention majoritaire du capital, même si des salariés peuvent, le cas échéant, tout comme d'autres actionnaires, se comporter en spéculateurs. Cette difficulté est renforcée, en pratique, lorsque l'actionnariat salarié concerne également les cadres de l'entreprise.

En ce sens, lors de son audition, Antoine Frérot, président de l'Institut de l'entreprise, a souligné que des salariés actionnaires étaient sensibles au destin de leurs entreprises, et qu'avec un volume de 10 % d'actionnaires salariés, disposant éventuellement de droits de vote supérieurs, la gouvernance d'une entreprise se trouvait facilitée, en même temps que sa protection contre des prises de contrôles purement financières renforcée. Il a indiqué qu'il convenait, dans le cadre d'une politique de développement de l'actionnariat salarié, à la fois d'augmenter le nombre de salariés détenteurs d'actions , mais également d'assurer une répartition de cette détention entre les catégories de salariés (dirigeants, cadres, ouvriers, etc.).

C'est la raison pour laquelle la mission propose des mesures visant à favoriser le développement de l'actionnariat salarié, qui constitue en outre un élément de financement des entreprises. 148 ( * ) Elle estime par ailleurs que l'essor de cet actionnariat permettrait également de favoriser la présence d'administrateurs salariés au sein des organes sociaux . Le modèle allemand est à cet égard une source d'inspiration puissante. Il fait apparaître combien des conseils d'administration, des directoires ou des conseils de surveillance qui font une place importante aux représentants salariés peuvent se révéler des remparts efficaces pour maintenir les centres de décision et de production des entreprises sur le territoire national .

Proposition n° 38 : Favoriser la présence d'administrateurs salariés, sur le modèle allemand.

c) La protection juridique des entreprises françaises

Assurer la protection juridique des entreprises françaises est également fondamental.

Nos collègues députés Pierre Lellouche et Karine Berger ont parfaitement mis en lumière en 2016 les dangers liés à l'application extraterritoriale de certains droits nationaux, à commencer par le droit américain . 149 ( * ) Cette approche permet ainsi à l'exécutif américain de poursuivre, presque partout dans le monde, des entreprises étrangères pour des faits qu'elles n'ont pas nécessairement commis sur le territoire des États-Unis mais qui contreviennent à certaines prescriptions du droit fédéral.

Sur ce fondement, le Department of Justice américain se reconnaît le droit de poursuivre les personnes, et en particulier les entreprises, qui :

- présentes sur les marchés financiers réglementés américains à un titre ou un autre, se livrent à des activités constitutives de corruption ou de malversations comptables ou financières. C'est dans ce cadre qu'ont été poursuivies plusieurs sociétés françaises (Alcatel-Lucent, Alstom, Technip et Total) ou européennes (Siemens) ;

- effectuant des opérations avec des établissements bancaires qui sont des correspondants de banques américaines , procèdent à des opérations susceptibles d'être qualifiées de blanchiment d'argent d'origine criminelle. Ce type de mesure a permis de poursuivre la banque européenne HSBC en 2012 ;

- méconnaissent des règles d'embargo ou de sanctions décrétées à l'encontre d'un pays . C'est à ce titre que Bnpparibas a été poursuivi et condamné en 2015 dans le cadre des embargos décrétés par les États-Unis contre l'Iran, la Lybie, le Soudan et Cuba.

Comme l'avait indiqué votre mission à l'occasion de son examen de la cession de la branche « Energie » d'Alstom à General Electric, 150 ( * ) ces législations extraterritoriales, à commencer par le Foreign Corrupt Practices Act américain, sont des outils juridiques qui permettent de créer d'intéressantes synergies entre l'objectif de lutte contre la criminalité internationale et la défense des intérêts économiques nationaux .

Ainsi, si dans le cas d'Alstom, rien ne permet d'indiquer que la mise en jeu éventuelle de la responsabilité pénale des dirigeants sociaux de l'entreprise a constitué un élément déterminant du choix de céder à General Electric le pôle « Énergie » d'Alstom, il semble évident que cette circonstance n'a pu qu'être prise en considération , ne serait-ce qu'à titre d'élément de contexte, lors de l'examen des mérites respectifs des offres formulées par les différents candidats au rachat. À ce titre, dans ce dossier comme dans d'autres, l'épée de Damoclès que fait peser le droit américain sur les entreprises de tous pays, même ceux qui sont réputés alliés des États-Unis comme la France, constitue une circonstance susceptible d'influer fortement sur les stratégies de développement ou d'investissement des acteurs économiques dans un environnement mondialisé .

Dans ce cadre, la mise en cause ou l'arrestation sur un territoire étranger d'un cadre dirigeant appartenant à un groupe industriel français stratégique doit être considérée comme un événement sensible, de nature à attirer l'attention des services de renseignement . Elle doit conduire à alerter le Gouvernement français pour lui permettre d'en anticiper les répercussions éventuelles sur l'indépendance du pays et la protection de ses intérêts économiques nationaux. La protection des intérêts français exige que des outils de veille et d'alerte efficaces soient mis en place en matière d'intelligence économique .

À plus longue échéance, la question déterminante est celle de l'attitude à opposer à la position hégémonique américaine.

Si le renforcement du droit français en matière de corruption internationale est sans doute une première réponse au problème, elle n'est cependant que partielle car les risques juridiques qui pèsent sur les entreprises françaises - comme du reste l'ensemble des entreprises non-américaines - ne résultent pas de la seule application du Foreign Corrupt Practices Act américain. La situation juridique créée par la décision annoncée par le président Donald Trump, le 8 mai 2018, de retirer les États-Unis de l'accord sur le nucléaire iranien signé en 2015, le démontre à l'envi.

À la suite de cet accord, les mesures d'embargo qui avaient été édictées par les États-Unis - et une partie de la communauté internationale - à l'égard de ce pays ont été levées, permettant ainsi à de nombreuses entreprises, tant américaines que d'autres pays, de commercer à nouveau avec l'Iran et de s'implanter dans le pays. C'est dans ce cadre juridique nouveau que des grands groupes français - Total, Renault, PSA... - mais également des PME et ETI, le cas échéant accompagnées par Business France, se sont lancées à l'assaut du marché iranien.

En dénonçant le traité, les États-Unis reprennent donc leur embargo économique, qui vise également l'ensemble des entreprises cherchant à faire affaires en Iran. Aussi, le département américain du Trésor a-t-il annoncé le rétablissement, sous trois à six mois, des sanctions économiques contre toutes les entreprises qui travailleraient avec l'Iran. Les entreprises françaises qui se sont lancées dans l'aventure sont donc en première ligne.

Au cours de la séance publique du 15 mai 2018 au Sénat, Bruno Le Maire, ministre de l'économie et des finances, a néanmoins indiqué qu'il s'était entretenu « avec le secrétaire au Trésor américain pour lui demander des exemptions, des délais supplémentaires, ainsi que le respect des contrats conclus de bonne foi, dans le cadre de l'accord signé avec l'Iran, par les entreprises françaises implantées dans ce pays . » Votre mission soutient pleinement l'action du Gouvernement sur ce point, tout en relevant que la résolution de cette question est tributaire d'une décision unilatérale et arbitraire des États-Unis .

Dans ce cadre, votre mission se félicite de la décision, envisagée par la Commission européenne, de modifier le règlement (CE) n° 2271/96 du Conseil du 22 novembre 1996 portant protection contre les effets de l'application extraterritoriale d'une législation adoptée par un pays tiers . Elle a en effet annoncé le dépôt le 4 juin 2018, sous la forme d'un acte délégué, d'une proposition de modification de l'annexe de ce règlement afin que ces dispositions puissent s'appliquer aux sanctions décidées par le gouvernement américain aux entreprises qui commercent avec l'Iran.

Ce règlement européen prévoit notamment :

- qu'aucune décision d'une juridiction ou d'une autorité administrative extérieure à l'Union européenne qui donne effet, directement ou indirectement, aux lois citées en annexe ou aux actions fondées sur elles ou en découlant, n'est reconnue ou rendue exécutoire de quelque manière que ce soit dans l'Union (article 4 du règlement) ;

- qu'aucune personne relevant d'un État membre de l'Union européenne ne doit se conformer, directement ou par filiale ou intermédiaire interposé, activement ou par omission délibérée, aux prescriptions ou interdictions, y compris les sommations de juridictions étrangères, fondées directement ou indirectement sur les lois instituant des mesures de sanctions extraterritoriales citées en annexe du règlement, ou sur les actions fondées sur elles ou en découlant (article 5).

De façon plus générale, votre mission estime qu'il faut cesser d'avoir une vision purement défensive en la matière et qu'il convient de passer à l'offensive. Cependant, en matière de commerce international, la décision ne peut se prendre qu'au niveau européen. Il faut dès lors une initiative européenne forte et rapide en la matière. Celle-ci devrait notamment faire en sorte :

- de favoriser l'utilisation, au niveau du commerce international, de la monnaie européenne, afin que les acteurs économiques des États membres ne soient pas sous la dépendance du dollar et, en conséquence, restent sous l'emprise des textes américains faisant de l'utilisation de sa monnaie nationale le lien de rattachement permettant d'attraire les entreprises étrangères sous sa juridiction ;

- envisager l'adoption de textes européens dont la portée serait explicitement extraterritoriale, afin d'être en mesure, le cas échéant, d'appliquer des mesures de sanctions ou de coercition à des entreprises américaines qui se livreraient, comme d'autres, à des actions prohibées par ces textes.

La mission se félicite à cet égard de l'annonce d'une initiative européenne, issue d'une démarche conjointe des gouvernements français, allemand et britannique en ce domaine, révélée par Bruno Le Maire lors de son intervention précitée au Sénat. 151 ( * )

Proposition n° 39 : Soutenir une initiative européenne forte et rapide afin de favoriser l'utilisation, au niveau du commerce international, de la monnaie européenne, et d'envisager l'adoption de textes européens dont la portée serait explicitement extraterritoriale.

3. Utiliser pleinement le levier de la commande publique

L'achat public peut incontestablement constituer un levier pour le développement de notre industrie. Il constitue non seulement un marché dont il est important qu'il puisse profiter aux entreprises industrielles françaises, mais aussi un instrument susceptible de stimuler l'innovation industrielle, ce qui favorise la montée en gamme de notre industrie.

a) Des opportunités de marché importantes pour l'industrie française

Selon l'Observatoire économique de la commande publique (OECP), l'achat public français 152 ( * ) constituerait un marché annuel d'environ 84 Md€ , tous acheteurs publics confondus. Pourtant, ce montant, comme l'a montré la mission d'information du Sénat sur la commande publique en 2015, ne reflète pas l'intégralité du poids de l'achat public : cette dernière l'évaluait à 260 Md€ en 2011. 153 ( * )

Quoi qu'il en soit, si une partie des achats concernent des services, la majeure partie concerne également des fournitures et des travaux et, à ce titre, profite en partie à l'industrie. Néanmoins, de l'aveu des représentants de la direction des affaires juridiques des ministères économiques et financiers entendus par votre mission, le montant des marchés publics dont bénéficie l'industrie ne peut pas être appréhendé avec certitude, faute de précision des données du recensement effectué par l'OECP sur la base de la déclaration des acheteurs.

Il est indéniable que l'activité de certaines filières industrielles est directement liée à l'achat public . Il en va ainsi, notamment, de l'activité ferroviaire ainsi que des activités « régaliennes » que sont la défense et l'espace. Sans l'État et les régions, les constructeurs de matériel ferroviaire ou de signalisation n'auraient pas d'acheteurs en France. De même, sans les commandes d'État, les entreprises spécialisées dans les matériels de défense - comme Dassault ou Naval Group - et, jusqu'à ce jour, celles liées à l'espace, comme Ariane Group, n'auraient guère d'activité.

Toutefois, même hors de ces domaines spécifiques, les marchés publics constituent également - quoique dans une moindre mesure - des débouchés non négligeables pour de nombreuses activités industrielles , ne serait-ce que dans la mesure où l'État, les collectivités territoriales ainsi que les divers établissements et personnes publics ont besoin, pour leur fonctionnement quotidien, de faire réaliser des travaux et de se procurer des fournitures variées.

Compte tenu de ces éléments, il convient de faire en sorte que notre industrie puisse tirer pleinement profit des marchés lancés par les acheteurs publics français, et que ceux-ci favorisent autant que possible le potentiel de nos PME et ETI.

(1) Tout en respectant le principe de non-discrimination, les marchés publics peuvent favoriser la production industrielle française
(a) La rédaction des pièces de marché, paramètre déterminant...

Le principe d'égalité de traitement, qui recouvre l'interdiction de discrimination en raison de la nationalité , est l'un des principes fondamentaux du droit de l'Union européenne. Associé au principe de liberté d'accès à la commande publique et à la transparence des procédures, il est rappelé à l'article 1 er de l'ordonnance du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics. Comme l'a souligné Laure Bédier, directrice des affaires juridiques des ministères économiques et financiers, à vos président et rapporteur, l'application de ces principes interdit donc aux acheteurs publics de poser des conditions qui ne pourraient être remplies que par les soumissionnaires nationaux ou qui seraient plus difficilement satisfaites par des soumissionnaires provenant d'autres États membres 154 ( * ) .

Pour autant, votre mission souligne que ces règles n'interdisent pas de rédiger les éléments des marchés de telle sorte qu'ils favorisent la présentation d'offres émanant des entreprises industrielles françaises, ou à tout le moins, qui exercent leur activité sur le territoire français.

En premier lieu, pour les marchés publics classiques, il est possible pour les acheteurs publics de jouer sur deux paramètres :

- d'une part, la définition du besoin. En particulier, la formulation de spécifications techniques liées aux méthodes de production peut orienter les achats vers certains fournisseurs, et notamment français, sous réserve que ces spécifications soient liées avec l'objet du marché public. De même, lorsqu'il n'existe pas de normes européennes couvrant le domaine concerné par l'appel d'offres, l'acheteur peut faire référence aux systèmes nationaux équivalents. Votre mission souligne d'ailleurs qu'au cours des auditions, il a été mentionné que le recours, en Allemagne, à des normes techniques définies par l'institut de normalisation allemand ( Deutsches Institute für Normung- DIN ) était souvent utilisé pour favoriser - tout à fait légalement - les entreprises allemandes dans certains marchés. Il revient donc aux acheteurs publics français, lorsque la solution technique qu'elles prévoient s'avère tout aussi pertinente, d'utiliser pleinement les références aux normes françaises, qui constituent un élément stratégique de développement de la compétitivité de notre économie 155 ( * ) ;

- les conditions d'exécution du marché. Lorsque ces conditions sont liées à l'emploi ou définies en termes de qualité attendue des prestations , elles peuvent conduire, de facto , à écarter certains opérateurs économiques qui ne remplissent pas ces conditions. Il en va ainsi, par exemple, de l'obligation faite au titulaire du marché public de respecter des stipulations de l'Organisation internationale du travail (OIT) lorsque celles-ci ne sont pas intégrées dans les lois et règlements du pays où la main-d'oeuvre du titulaire est employée. De même, le cahier des charges du marché peut décrire la qualité d'exécution attendue liée à l'expérience et à la qualification des entreprises et des personnels, ce qui peut être de nature à favoriser un attributaire exerçant son activité sur le territoire national.

Pareillement, l'insertion de clauses sociales ou environnementales , sous réserve qu'elles soient liées à l'objet du marché et ne soient pas formulées sous forme d'une clause de proximité géographique, peut légalement favoriser l'achat en France.

Enfin, si l'acheteur ne peut pas se fonder sur l'existence d'un siège social ou d'un établissement en France comme critère de sélection, 156 ( * ) il peut prévoir un critère relatif aux délais de livraison ou d'exécution, ce qui peut favoriser des entreprises industrielles produisant localement. Dès lors qu'il est justifié au regard de l'objet du marché ou de la nature des prestations attendues, ce critère n'a pas nécessairement pour effet d'assurer une préférence locale et n'est donc pas en soi discriminatoire 157 ( * ) .

Il revient donc aux acheteurs publics d'appréhender pleinement ces possibilités et de les mettre en oeuvre . Néanmoins, ainsi que le soulignaient votre rapporteur et notre collègue Philippe Bonnecarrère dans le cadre des travaux de la mission d'information sur la commande publique, la subtilité des clauses à rédiger implique une formation adéquate des services des achats des entités soumises aux règles relatives aux marchés publics. 158 ( * ) Lors de son audition, Laure Bédier a sur ce point précisé que la direction des achats de l'État (DAE) était mobilisée dans une démarche de professionnalisation des acteurs de la fonction achat, qui s'inscrit d'ailleurs pleinement dans les objectifs fixés par la Commission européenne dans sa recommandation du 5 octobre 2017. 159 ( * )

En premier lieu, sans être soustraits au champ du droit de la commande publique, les marchés publics de défense ou de sécurité sont régis par des textes spécifiques 160 ( * ) qui offrent à l'État une certaine souplesse dans la passation des contrats. Le recours à la procédure négociée sans publicité ni mise en concurrence préalables est en effet plus large pour ce type de marchés que pour les marchés publics du secteur classique. De plus, l'acheteur public peut y tenir compte de l'exigence de sécurité des approvisionnements et de sécurité des informations au cours du processus de sélection des candidatures ou des offres. Enfin, des dispositions spécifiques encadrent le recours aux sous-contractants dans les marchés de défense. Votre mission d'information estime donc que l'État doit utiliser ces règles spécifiques aux marchés de défense pour soutenir au maximum l'industrie de défense française ou les acteurs industriels qui concourent à la création de solutions industrielles utiles à l'industrie de défense, comme les fabricants de systèmes numériques embarqués.

Il doit aussi, par ce biais, chercher à optimiser son soutien à l'industrie civile en tenant compte du caractère dual de certaines technologies . L'appui aux industries de défense, par le double levier des aides à l'innovation et de la commande publique, peut en effet permettre aux firmes françaises de développer un avantage compétitif dans le secteur civil lorsque les technologies militaires ont aussi des applications civiles. Typiquement, Dassault systèmes s'est développé grâce à Dassault aviation. Certains pays concurrents, notamment les États-Unis, sont passés maîtres dans l'art d'optimiser les retombées civiles des aides publiques au secteur militaire. La France doit s'en inspirer et s'appuyer sur sa puissante industrie de défense pour redynamiser l'ensemble de son tissu industriel.

Proposition n° 40 : Tirer profit des règles des marchés publics, dans le respect du droit de l'Union européenne, afin qu'ils bénéficient pleinement aux entreprises industrielles implantées en France, et tout particulièrement aux PME.

Hors ces marchés spécifiques, la rédaction des pièces des marchés publics est donc actuellement le seul moyen de les orienter vers l'industrie française et surtout de contrecarrer certaines pratiques prédatrices d'acteurs industriels étrangers utilisant le dumping ou eux-mêmes protégés par la fermeture de leur marché national. En effet, à ce jour, ni le droit français ni le droit de l'Union européenne n'instaurent de parades efficaces contre de tels agissements.

(b) ... dans l'attente d'outils efficaces contre les pratiques prédatrices d'acteurs industriels étrangers

Des textes, aussi bien au niveau international qu'européen, ainsi qu'au niveau national, autorisent dans ces cas très circonscrits des restrictions fondées sur l'origine ou la nationalité des opérateurs . Cependant, ces mesures se révèlent aujourd'hui impossibles à mettre en oeuvre en pratique.

L' Accord sur les marchés publics (AMP) conclu dans le cadre de l'OMC et les accords assimilés déterminent la frontière des obligations des acheteurs à l'égard des opérateurs étrangers. L'UE a négocié, notamment dans le cadre de l'AMP, des engagements réciproques d'ouverture qui se veulent équitables. Des mécanismes de sanction en cas d'inexécution contractés sont prévus, en particulier la saisine de l'organe de règlement des différends de l'OMC.

Un mécanisme de rétorsion est également présent dans le droit de l'Union européenne. L'article 86 de la directive 2014/25/UE sur les marchés publics prévoit ainsi, lorsque des entreprises européennes ont rencontré des difficultés de pénétration sur un marché d'un État tiers en matière de travaux, fournitures ou services, que la Commission puisse s'engager dans une conciliation qui peut être suivie, en cas d'échec, de la mise en oeuvre de sanctions vis-à-vis des entreprises, biens et services de ce pays.

Toutefois, selon la direction des affaires juridiques de Bercy, en pratique, ce mécanisme n'est pas mis en oeuvre, d'une part, car il n'a vocation à intervenir, pour les pays relevant de l'AMP ou ayant conclu un accord de libre-échange avec l'Union européenne, qu'après épuisement des voies de règlement des différends prévus par ces conventions, et d'autre part, du fait de la réticence des opérateurs économiques à opérer un signalement initial compte tenu de la lourdeur du dossier à constituer.

En droit interne , l'article 2 de l'ordonnance du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics permet aux acheteurs publics d'opposer les limitations des accords existants aux biens, services et opérateurs économiques issus d'États tiers ayant signé un accord avec l'Union européenne, et qui candidateraient à l'attribution d'un marché public en France. En revanche, il ne permet pas de régler les relations avec les États qui n'ont conclu aucun accord avec l'UE, compte tenu de la communautarisation désormais complète de la politique commerciale extérieure. Par ailleurs, l'article 54 de l'ordonnance offre un dispositif similaire pour les marchés publics de fournitures passés par des entités adjudicatrices 161 ( * ) , permettant :

- d'écarter directement les offres comportant une part de produits originaires de pays tiers excédant 50 % de la valeur totale desdits produits, lorsque ces biens ne bénéficient pas d'une garantie de traitement équivalent aux biens originaires de l'UE ;

- de faire jouer un droit de préférence européenne, en cas d'offre équivalente, à celle qui comporte plus de 50 % de produits originaires de l'UE, sauf s'il existe une raison objective de ne pas le faire.

Toutefois, en pratique ces deux dispositifs ne sont pas mis en oeuvre :

- l'arrêté ministériel destiné à appliquer l'article 2 de l'ordonnance afin d'indiquer les acheteurs, les secteurs et les États concernés par les restrictions, n'a toujours pas été adopté, rendant le dispositif inapplicable. Selon la direction des affaires juridiques, établir un tel texte est très complexe compte tenu des nomenclatures différentes utilisées par les acheteurs publics en Europe, de sa nécessaire mise à jour permanente en fonction de l'évolution des négociations et, pour certaines restrictions, en fonction de l'intervention d'une décision de l'Union européenne ;

- l'application concrète de l'article 54 de l'ordonnance se heurte, quant à elle, à la difficulté d'identifier la provenance des produits proposés dans les offres remises . En outre, ce mécanisme peut avoir un effet pervers puisqu'il peut conduire à exclure une entreprise française dont l'offre comporterait 51 % de produits fabriqués dans un pays tiers non-signataire d'un accord avec l'Union européenne.

Ainsi, tant le droit français que le droit européen se révèlent inefficaces et incapables de procurer une protection satisfaisante aux entreprises nationales, notamment industrielles, qui souffriraient d'une concurrence déloyale de la part d'offres émanant de pays tiers à l'Union européenne.

Néanmoins, comme la mission l'a déjà souligné, 162 ( * ) une proposition de règlement a été présentée par la Commission européenne afin de renforcer les moyens juridiques pour prévenir et sanctionner les pratiques agressives de certains États et de leurs acteurs économiques. Dans l'attente, votre mission invite le Gouvernement à édicter les mesures réglementaires d'application de l'article 2 de l'ordonnance du 23 juillet 2015 ou, à défaut, à engager au plus vite une réflexion pour créer un mécanisme de réciprocité susceptible d'être effectivement mis en oeuvre.

Proposition n° 41 : Édicter au plus vite les mesures réglementaires d'application de l'article 2 de l'ordonnance du 23 juillet 2015 sur les marchés publics ou, à défaut, engager immédiatement une réflexion pour définir un mécanisme de réciprocité susceptible d'être effectivement mis en oeuvre.

(2) Un levier pour le développement des PME industrielles

La mission d'information du Sénat sur la commande publique avait parfaitement mis en lumière, en 2015, le besoin d'une plus grande ouverture des marchés publics français aux PME.

De fait, la transposition des directives européennes de 2014 par l'ordonnance du 23 juillet 2015, modifiée à l'initiative du Sénat par la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, a été l'occasion de renforcer les mécanismes favorables aux PME dans la commande publique, en particulier en étendant le principe de l'allotissement et en encadrant davantage le recours aux marchés de partenariat 163 ( * ) . Pour autant, le poids des PME reste limité : selon l'OECP, si elles ont représenté en 2016 59 % des entreprises attributaires , elles n'ont en revanche cumulé que 28,4 % du montant des marchés publics .

Votre mission souligne combien la commande publique peut jouer un rôle moteur pour le maintien et le développement d'un tissu de PME industrielles sur les territoires. Pour ce faire, les acheteurs publics doivent donc mettre en oeuvre , dans la rédaction de leurs marchés, les dispositifs de nature à favoriser leur attribution aux PME , et notamment :

- ne recourir aux exceptions à l'allotissement que de manière très limitée ;

- définir des conditions d'exécution, notamment en termes de délais de livraison ou d'exécution, de nature à favoriser des entreprises produisant localement, qui sont le plus souvent des PME ;

- utiliser les dispositifs de réservation prévus pour les entreprises favorisant l'intégration sociale ou le secteur de l'économie sociale et solidaire, qui sont essentiellement des PME et des ETI et peuvent intervenir dans le domaine industriel.

b) Un instrument susceptible de favoriser l'innovation industrielle

La commande publique constitue également un moyen de favoriser la montée en gamme de l'industrie en suscitant l'innovation . Sur ce point, la transposition des directives européennes de 2014 a été l'occasion de mettre en oeuvre, dans le cadre de l'ordonnance du 23 juillet 2015 et de son décret d'application du 25 mars 2016, des dispositifs favorables à l'achat de solutions innovantes, en particulier :

- le sourçage 164 ( * ) qui permet aux acheteurs, en vue de la passation d'un marché, de réaliser des consultations ou des études de marché, de solliciter des avis ou d'informer les opérateurs économiques de son projet et de ses exigences, afin de mieux connaître les solutions disponibles sur le marché ;

- le recours à des spécifications fonctionnelles 165 ( * ) dans le cadre de la définition des besoins en termes de performance ;

- l'élargissement du recours au dialogue compétitif, qui autorise les acheteurs à élaborer, de concert avec l'opérateur économique, la réponse technique à un besoin ;

- le recours aux variantes , qui permet d'admettre des solutions techniques alternatives sans que celles-ci soient nécessairement accompagnées d'une offre de base 166 ( * ) ;

- la notion d'offre économiquement la plus avantageuse comme critère d'attribution du marché, qui autorise, en privilégiant la qualité plutôt que le coût immédiat, à favoriser les offres présentant un caractère innovant, l'innovation étant prise en compte au niveau du choix des critères d'attribution 167 ( * ) ;

- enfin, le partenariat d'innovation 168 ( * ) , qui permet aux acheteurs de mettre en place un partenariat de long terme avec des acteurs économiques, couvrant tant les phases de recherche et développement des produits, services ou travaux innovants que leur acquisition , sans qu'il soit nécessaire de procéder à une nouvelle mise en concurrence à chaque étape du développement ou à l'issue de la phase de R&D.

Votre mission souligne néanmoins la lourdeur de cette dernière procédure, qui nécessite une forte implication technique de l'acheteur et de l'opérateur économique, ce qui la réserve de facto à des projets industriels d'ampleur entre des acheteurs économiques disposant de fortes compétences techniques et des opérateurs économiques qui sont de grands groupes. Du reste, le partenariat d'innovation totalise seulement trois mises en oeuvre concrètes : deux partenariats d'innovation conclus par SNCF Mobilités avec Alstom en vue d'acquérir la nouvelle génération de trains « TGV 2020 » et des exosquelettes multifonctions ; le partenariat d'innovation conclu par le CNRS pour la conception et la fabrication en série d'ensembles d'armoires basse tension et très basse tension pour les stations sismologiques.

En 2012, un objectif de 2 % en 2020 des achats de l'État et de ses opérateurs au profit des PME innovantes avait été fixé dans le cadre du Pacte national pour la croissance, l'économie et l'emploi. En application d'une circulaire du Premier ministre du 25 septembre 2013, diverses actions ont été menées par les ministères économiques et financiers afin d'accompagner la transformation des achats des ministères vers l'innovation. Au niveau central , ont été notamment mis en place :

- une plateforme des achats d'innovation de l'État et ses établissements, afin de faciliter la mise en relation des acheteurs et des entreprises (notamment grâce à la publication d'appels à compétences par les personnes publiques ou les propositions spontanées des opérateurs, qui permettent de faire connaître les solutions innovantes déjà commercialisées ou en cours de R&D) ;

- une programmation et une déclaration des achats innovants, mesurées à l'aide d'un indicateur dédié (hors marchés de défense et de sécurité) ;

- un « Guide des achats innovants », publié afin d'aider les acheteurs publics à définir des méthodes susceptibles de repérer l'innovation et de l'intégrer dans leur politique d'achat.

Au niveau déconcentré , des référents régionaux ont été mis en place au sein des DIRECCTE afin d'assurer un appui au sourcing , la sensibilisation des acheteurs publics et l'animation des acteurs locaux. Dans le cadre du crédit d'impôt innovation (CII), en 2016 les DIRECCTE ont également réalisé 230 expertises sur des dossiers de PME déclarant ce crédit.

Si votre mission souligne l'intérêt de ces actions qui visent à diffuser une « culture » de l'achat innovant , elle constance néanmoins que l 'évaluation quantitative des achats innovants réalisés dans le cadre de cette politique reste difficile .

Les indicateurs élaborés par l'État restent ainsi incomplets et perfectibles, dès lors qu'ils se fondent sur un recensement par les ministères de leurs achats innovants qui n'est pas nécessairement exhaustif et parfois circonscrit à un périmètre réduit. Ainsi, si l'on en croit l'indicateur construit par la DAE à partir des déclarations des acheteurs, en 2016 l'achat innovant des ministères représentait seulement 11,2 M€ et celui des établissements publics 44,8 M€. Quant à celui bâti par la direction générale des entreprises, à partir des contrats éligibles au CIR ou au CII effectivement conclus, il fait apparaître pour 2016, 1 Md€ d'achat auprès de PME ou ETI innovantes de la part des ministères et, sur un total de 3,57 Md€ d'achats, un volume de 274 M€ pour les PME et ETI innovantes.

Le chemin est donc encore long pour infuser au sein de la sphère publique la recherche d'un achat innovant et d'aboutir à des résultats quantitatifs satisfaisants . Comme l'avait souligné la mission du Sénat sur la commande publique, d'autres mesures peuvent encore être prises pour dynamiser l'achat public innovant, notamment un recours accru aux variantes. 169 ( * )

4. Une action territoriale en faveur de l'industrie qui doit gagner en synergies

La stratégie industrielle ne saurait se limiter à des actions de nature macro-économique. Elle implique également des actions relevant de la micro-économie qui ne peuvent être réalisées que dans un cadre territorial. L'économie « mondialisée » s'inscrit encore, et pour longtemps, dans des territoires dont il faut assurer la compétitivité.

À cet égard, les collectivités territoriales, et plus encore les régions depuis l'adoption de la loi n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République - dite « NOTRe », sont devenues en quelques dizaines d'années, les acteurs de proximité majeurs en matière économique, notamment par le biais de leurs agences de développement économique. Pour autant, l'action territoriale de l'État demeure plus que jamais nécessaire en la matière. Face à la multiplication des acteurs qui, souvent en pratique, sont appelés à mener une action renforcée avec des moyens de plus en plus réduits, l'heure est aux synergies, tant sur le plan stratégique qu'opérationnel.

Certes, depuis 2010 et suite aux États généraux de l'industrie, ont été créés les comités stratégiques de filière régionaux (CSFR) - déclinaisons locales des comités stratégiques de filières nationaux (CSF), coprésidés par le préfet et le président de la région, qui réunissent institutions, syndicats et industriels. Mais votre mission estime qu'il faut encore aller au-delà, tout en réorientant l'intervention opérationnelle de certains acteurs.

a) Reparamétrer l'intervention des services déconcentrés de l'État en matière industrielle

Les services déconcentrés de l'État apparaissent à la fois comme les relais locaux de l'application des stratégies nationales et les moyens pour l'État de disposer de remontées d'information en provenance des territoires.

En matière industrielle, ce sont d'abord les directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) qui constituent ces relais.

Comme l'ont souligné MM. Christophe Lerouge et Simon Leguil, respectivement directeur régional et chef du service « Entreprises » de la DIRECCTE Occitanie, lors de leur audition à Toulouse par la délégation de votre mission, les priorités d'action locales sont définies :

- soit dans le cadre de la mise en oeuvre des priorités gouvernementales, en fonction des besoins et des spécificités régionales telles qu'identifiées par le préfet de région. Ainsi, en est-il, par exemple, de la feuille de route nationale sur l'économie circulaire à laquelle le comité stratégique régional de la filière éco-industrie a consacré récemment ses travaux afin de déterminer les axes de travail locaux ;

- soit en fonction des remontées du terrain. Par exemple, la DIRECCTE Occitanie a perçu localement, par les visites d'entreprises qu'elle mène et au travers des réunions du comité stratégique régional de la filière santé, que les entreprises fabriquant et commercialisant des dispositifs médicaux rencontraient des difficultés dans l'appropriation des nouveaux règlements européens bientôt applicables auxdits dispositifs. Elle a donc monté un groupe de travail pour mieux informer et former les entreprises sur ces règlements. Elle fait en outre mener une étude sur les nouveaux besoins en compétence associés à l'entrée en vigueur de ces règlements et pourra, au regard des conclusions de cette étude, mener une action de développement de l'emploi et des compétences visant à rendre ces compétences disponibles pour les entreprises.

Plus spécialisés dans la prévention et le traitement des entreprises, sont également présents dans chaque région :

- des commissaires au redressement productif, placés sous l'autorité des préfets de région, chargés d'animer des cellules régionales de veille et d'alerte précoce dans une perspective de prévention des difficultés des entreprises, et de contribuer à accompagner les entreprises dans la résolution de leurs difficultés.

Au 1 er janvier 2017, le nombre d'entreprises accompagnées s'élevait à 2 596, pour l'ensemble des régions, en augmentation de 382 cas. Selon les données fournies par la direction générale des entreprises, la taille moyenne des entreprises traitées est passée de 97 salariés en 2015 à 132 salariés, les situations d'entreprises présentant un caractère plus complexe au plan industriel comme en termes de financement. Votre rapporteur relève que seules 338 entreprises sont en procédure collective, ce qui met en exergue l'efficacité des outils d'anticipation mis en place par les commissaires en lien avec l'ensemble des acteurs locaux du traitement des entreprises en difficulté ;

- des structures partenariales de l'État , comme notamment les commissions des chefs de services financiers (CCSF) ou les comités départementaux d'examen des problèmes de financement des entreprises (CODEFI) .

Les CODEFI aident les entreprises en difficulté à élaborer et à mettre en oeuvre des solutions permettant d'assurer leur pérennité et leur développement. Ils peuvent être saisis des cas d'entreprises de moins de 400 salariés, à condition que celles-ci ne soient pas dans une situation manifestement compromise et sans perspective de redressement. Les CCSF, quant à elles, regroupent les chefs de services financiers et des organismes de sécurité sociale et de l'assurance chômage et peuvent accorder aux entreprises qui rencontrent des difficultés financières des délais de paiement pour leurs dettes fiscales et sociales (part patronale).

Au-delà de 400 salariés, les difficultés des entreprises sont traitées par le Comité interministériel de restructuration industrielle (CIRI) . Créé en 1982, le CIRI a pour objectif principal d'assurer la continuité de l'activité économique et de préserver l'emploi, sous réserve d'un modèle économique viable. Organisme ad hoc à compétence interministérielle, le CIRI réunit l'ensemble des administrations compétentes en matière de traitement des entreprises en difficulté et assure la coordination de l'action des services de l'État auprès de ces entreprises. Les secteurs industriels les plus concernés par ses interventions sont le secteur sidérurgique, le secteur pétrolier ou parapétrolier, ainsi que le secteur agroalimentaire, mais en réalité 42 % des dossiers examinés par cette structure relèvent aujourd'hui du secteur des services.

Selon les représentants du MEDEF entendus par votre mission, la superposition de strates de décisions et la juxtaposition d'autres organisations publiques pour accompagner les entreprises en difficulté ont rendu le fonctionnement de l'ensemble moins optimal, faisant ainsi naître un besoin de clarification des périmètres ainsi qu'une articulation et une hiérarchisation plus claires. Ils ont insisté notamment sur la nécessité d'une meilleure mise en réseau des intervenants dans le cadre de la logique « Dites-le nous une fois » en vigueur désormais pour les obligations administratives des entreprises. La mission relève néanmoins une volonté de l'État d'assurer une meilleure coordination en matière d'aide aux entreprises en difficulté .

Ainsi que l'a souligné Louis Margueritte, secrétaire général du CIRI au cours de son audition, dans un souci constant de simplification renforcé par la circulaire du 9 janvier 2015, le CIRI assure un rôle :

- de coordination des administrations d'État chargé de l'accompagnement des entreprises en difficultés ;

- d'interface avec les acteurs publics locaux et les opérateurs publics : le CIRI est l'interlocuteur privilégié des CCSF en ce qui concerne le traitement des dettes fiscales et sociales éventuelles dans leur action de soutien aux entreprises en difficulté. Il est également le référent des acteurs locaux sur les principaux outils publics existants (prêts du fonds de développement économique et social - FDES - et audits financiers) et assure désormais leur formation, principalement à destination des commissaires au redressement productif. Le CIRI peut également assurer le lien avec les autres opérateurs publics concernés par un dossier d'entreprise en difficulté (collectivité territoriale en lien avec le préfet, entreprises publiques, etc.).

En outre, le Gouvernement a récemment institué un délégué interministériel aux restructurations industrielles , bénéficiant d'une équipe lui permettant d'intervenir sur des situations d'entreprises nécessitant des actions collectives de plusieurs acteurs. Jean-Pierre Floris, nommé délégué en novembre 2017, a indiqué à vos président et rapporteur qu'il était déjà saisi d'une quarantaine de dossiers.

Confrontée à une baisse de ses moyens financiers et humains, et compte tenu de l'essor de l'action économique des régions, votre mission estime qu'il y a lieu d'entamer une réflexion en vue du « reparamétrage » de l'intervention déconcentrée de l'État en faveur de l'industrie autour de certaines priorités.

Aujourd'hui, au niveau local, l'État reste présent dans des domaines variés de l'action économique (appui aux entreprises et aux mutations économiques, connaissance du tissu économique et des filières locales). Or, compte tenu de leur compétence économique générale, les régions investissent de plus en plus lourdement l'ensemble de la gamme des aides et des accompagnements locaux en faveur de l'industrie, tandis que les opérateurs spécialisés de l'État - comme Bpifrance et Business France - mènent des actions de plus en plus fortes.

Aussi, s'il est indispensable que l'État conserve une action de politique « micro-économique » locale, celle-ci doit être conçue en complément de l'action des régions sur les thématiques qui constituent des priorités nationales et, le cas échéant, les compléter de manière efficace compte tenu du positionnement même des services déconcentrés. La mission, loin de prôner un désengagement des services déconcentrés de l'État en matière industrielle, juge donc nécessaire de les réarmer pour mieux accompagner les tissus industriels locaux.

(1) Se recentrer sur la mise en oeuvre des actions d'intérêt national définies par l'État, dans une stratégie d'équilibre des territoires

Le rôle des services déconcentrés de l'État doit, plus que jamais en matière économique, et particulièrement en matière industrielle, présenter un caractère de subsidiarité et de garantie des grands équilibres nationaux. Par nature, seul l'État dispose d'une vision stratégique globale, applicable à l'ensemble de la Nation. Les services déconcentrés doivent donc être présents pour :

- d'une part, mettre en oeuvre localement les stratégies d'équilibre territorial . C'est le cas, notamment, de la politique de réindustrialisation des territoires . L'heure n'est évidemment plus à la « planification » des Trente Glorieuses, mais l'État reste le seul à même de définir, au plan national, une stratégie globale d'équilibre des territoires.

Il y va ainsi, en particulier, de la politique d'accompagnement des entreprises en difficulté, qui fait nécessairement intervenir des acteurs et des politiques régaliens, notamment lorsque sont en cause des difficultés de paiement liées à des obligations sociales ou fiscales. Les services de l'État doivent donc poursuivre ce rôle majeur qui est le leur.

À cet égard, les « référents uniques pour les investissements » (RUI), désignés dans chaque région pour assurer le rôle de guide au sein de l'administration française, notamment dans les démarches de demandes d'autorisations, de négociations avec les opérateurs ou de besoins de financement, 170 ( * ) en lien en particulier avec les services de la région, les collectivités territoriales et Bpifrance, mériteraient d'être renforcés ;

- d'autre part, accompagner localement la mise en oeuvre des politiques nationales qui font intervenir d'autres opérateurs , au sens large, c'est-à-dire les structures publiques ou parapubliques émanant de l'État (établissements publics ou organismes tels que Bpifrance ou Business France) mais aussi les collectivités territoriales elles-mêmes. Lorsque l'État n'est pas le seul compétent pour agir, il doit rester présent pour favoriser les synergies entre des acteurs que leur spécialisation poussée ou leur cadre territorial limité peuvent conduire à mener des actions mal coordonnées et non complémentaires .

(2) Concentrer les moyens sur des catégories d'actions « clés »

Dans ce paradigme rénové de l'action territoriale des services de l'État, les moyens dévolus aux services déconcentrés doivent se concentrer sur des catégories d'actions « clés ». Cette concentration est d'autant plus indispensable compte tenu de la raréfaction des moyens humains et financiers mis à la disposition des services déconcentrés.

Il faut, d'abord, renforcer l'implication des services déconcentrés dans des actions collectives liées aux priorités nationales .

Celle-ci passe par une action d'initiative ou d'animation des services de l'État. L'État portant une stratégie industrielle cohérente aux échelles nationale et européenne ainsi qu'une vision globale des enjeux de développement pour l'industrie, les services déconcentrés devraient avoir un rôle d'impulsion pour lancer des actions collectives susceptibles de relayer ces priorités et d'impulser un mouvement de mise en oeuvre qui sera décliné localement, dans le respect des compétences des différents intervenants de la politique industrielle régionale.

Elle se traduit, ensuite, par une participation qui doit être accrue dans la gouvernance de structures fédérant les entreprises autour d'enjeux d'innovation et d'intelligence économique. Il en va ainsi, en particulier, des pôles de compétitivité. Comme l'ont souligné les représentants des services de l'État dans la région, ces structures possèdent une proximité avec les entreprises du territoire et une capacité à en assurer l'animation à laquelle l'État ne peut se substituer. Afin d'assurer le couplage entre les actions mises en place au niveau national et d'éviter les redondances, il convient donc que les services de l'État restent présents dans la gouvernance de ces structures.

Ensuite, il faut réallouer les moyens financiers aux besoins des politiques d'équilibre des territoires.

Pour favoriser davantage des actions de réindustrialisation et de réduction des inégalités et l'attractivité du territoire, il convient d'envisager un relèvement du niveau financier des aides actuellement administrées par les DIRECCTE que sont l'aide à la réindustrialisation (ARI) et la prime à l'aménagement du territoire, qui ne s'élèvent en 2018 qu'à 15 et 17 M€ au niveau national. Or, comme l'ont rappelé, au cours du déplacement à Toulouse, les représentants de la DIRECCTE Occitanie, pour des raisons qui tiennent à leurs propres mécanismes d'incitation (nombre de dossiers traités, rendement financier), d'autres opérateurs ou services que ceux de l'État n'assurent pas, en priorité, leur action dans cet objectif de réduction des inégalités. L'État doit donc avoir des capacités suffisantes d'intervention pour le soutien à la localisation d'activités industrielles sur les territoires qu'il estime stratégique de favoriser.

Enfin, il faut impliquer davantage les services déconcentrés dans la définition des appels à projet nationaux qui constituent désormais la modalité la plus couramment retenue par l'État pour l'octroi d'aides au financement d'activités. Leur connaissance fine du tissu industriel donne aux services déconcentrés la capacité de susciter les projets qui tirent parti des points forts du territoire.

Proposition n° 42 : Recentrer l'action des services déconcentrés sur la mise en oeuvre des actions d'intérêt national définies par l'État, en concentrant leurs moyens sur certaines actions « clés » destinée à favoriser sa politique d'équilibre des territoires.

b) Renforcer les synergies des opérateurs publics et parapublics
(1) Les opérateurs parapublics historiques : les chambres consulaires

Ainsi que l'ont rappelé en audition les représentants de CCI France, les chambres de commerce et d'industrie, établissements publics, sont des acteurs historiques de l'accompagnement des entreprises industrielles . Bien qu'engagé dans un mouvement de restructuration, se traduisant notamment par un renforcement de l'échelon régional avec un accroissement des compétences des chambres régionales, le réseau des CCI reste un acteur de proximité essentiel.

À ce titre, les différentes CCI mènent des actions individuelles ou collectives au profit de leurs adhérents.

Ainsi, pour favoriser la transformation digitale des entreprises industrielles, les CCI mènent sur le terrain des actions de sensibilisation des TPE, PME et ETI aux enjeux de l'Industrie du Futur, d'analyse de la maturité des projets de transformation industrielle ou de connexion des besoins des entreprises industrielles à l'offre de solutions territoriales. Ont ainsi été mises en place des initiatives concrètes à travers les territoires.

Bien qu'à un degré moindre, les chambres de métiers et de l'artisanat ainsi que les chambres d'agriculture peuvent également porter certaines actions en faveur des entreprises relevant du domaine de l'artisanat et de l'agriculture, confrontées à des problématiques de transformation.

(2) Les opérateurs publics spécialisés : Bpifrance, Business France

À leurs côtés se sont désormais pleinement installés sur le territoire des opérateurs de l'État de conception récente, spécialisés, pour Bpifrance, dans l'offre de financement public, et pour Business France, dans l'accompagnement à l'export.

Ces deux opérateurs ont, en quelques années , rempli une fonction d'accompagnement essentiel, qui n'était alors pas pleinement assurée. Néanmoins, entrés dans leur phase de maturité, ces opérateurs ont tendance à adopter une vision extensive de leurs prérogatives, qui conduit à s'interroger sur certaines redondances en termes d'offre de service aux entreprises, notamment industrielles.

Tel est le cas, par exemple, de l'action d'accompagnement menée désormais par Bpifrance, comme le soulignait notre collègue Elisabeth Lamure dans son avis sur le projet de loi de finances pour 2017. 171 ( * ) Si cette offre est aujourd'hui essentiellement tournée vers les entreprises qu'elle soutient par des investissements en fonds propres, la banque a créé en mars 2015 des programmes « d'accélérateur de croissance » qui permettent un accompagnement sur une à deux années d'un nombre restreint d'entrepreneurs : l'Accélérateur « Start up », l'Accélérateur « PME », l'Accélérateur « ETI ».

Votre mission insiste pour que cette abondance d'actions ne conduise pas à une concurrence stérile d'offres émiettées qui n'assurent pas aux entreprises industrielles le continuum nécessaire dans le cadre de leur accompagnement. Opérateurs et réseau des chambres doivent pouvoir mieux coopérer entre eux, par le biais de partenariats plus développés, pour apporter aux entrepreneurs une gamme de services complémentaires et non concurrentiels, déclinés selon leur spécificité d'action.

Votre mission relève avec intérêt la stratégie commune que le réseau des CCI et Business France construisent depuis 2015 et que le rapport remis en novembre 2017 au Gouvernement par Christophe Lecourtier, directeur général de Business France, propose de renforcer afin de créer un « guichet unique de l'export ». 172 ( * )

Proposition n° 43 : Renforcer les synergies et complémentarités entre les réseaux consulaires et les opérateurs Bpifrance et Business France afin d'offrir aux entreprises industrielles une gamme de services complémentaires et non concurrentiels, déclinés selon leur spécificité d'action.

c) L'action des régions et des autres collectivités territoriales

Depuis la loi NOTRe, les régions sont devenues les chefs de file incontestables du développement économique local, compétences qu'elles exercent dans le cadre programmatique des schémas régionaux de développement économique, d'innovation et d'internationalisation (SRDEII).

Vos président et rapporteur soulignent que, lors de leurs travaux en 2011, ils avaient fortement mis en avant la nécessité de créer, dans les territoires régionaux, des « contrats de filières », par lesquels la région identifierait les filières stratégiques et établirait, avec les acteurs de ces filières, des orientations déclinées en plans d'actions concrets, associés à des aides. 173 ( * ) Ils relèvent avec satisfaction que les SRDEII adoptés par les régions répondent en partie à ces préconisations.

Depuis avril 2017, toutes les régions ont en effet élaboré leur SRDEII. Ainsi que le souligne dans une étude récente l'Association des communautés de France (ADCF), ces différents SRDEII prévoient tous un volet « Industrie » qui, compte tenu de l'enjeu de la réindustrialisation du territoire, les conduit à placer comme objectifs de politique régionale le soutien aux filières en reconversion , le développement de filières d'excellence et la numérisation de l'industrie, sous la bannière de « l'usine du futur ». 174 ( * )

Ces soutiens, qui sont mis en place et gérés par les agences de développement économiques régionales, peuvent prendre la forme d'aides et subventions , dont chaque région définit la nature et le niveau.

Ainsi, la région Centre Val de Loire a consacré en 2016 une enveloppe de 11,35 M€ en crédits de paiement, en privilégiant les filières alimentaire, agroalimentaire et agro-industrie, chimie et matériaux, ainsi que tourisme. La région Occitanie a mis en place en 2017 plusieurs types d'aides, selon l'envergure de l'entreprise (TPE/PME/ETI) et la nature de l'action engagée. Il en va ainsi du « Contrat Croissance », qui permet, de la petite entreprise jusqu'au grand groupe de soutenir des investissements matériels (comme l'achat de machines) et investissements immatériels (RH, dépenses commerciales, etc.), à la fois en subvention et en avances remboursables, le taux et le montant de l'aide étant fixés en fonction du montant des dépenses éligibles et de la taille de l'entreprise. De même, le « contrat Innovation » assure, par le biais de subvention et d'avances remboursables, la prise de risque technologique et commercial pour les TPE-PME. La région a également lancé un appel à projets collaboratifs dénommé « Readynov » qui vise à soutenir les filières industrielles de la Région, favoriser les projets collaboratifs de R&D entre les entreprises ainsi qu'avec les organismes de recherche et transformer l'innovation en produits sur le marché parmi neuf thématiques de projets à fort potentiel d'innovation. Le taux et le montant de l'aide - sous forme de subvention ou d'avance remboursable - sont fixés en fonction de la typologie de l'innovation (individuelle ou collaborative), de la taille de l'entreprise et du montant du projet.

Les régions développent également des actions concrètes au profit des entreprises industrielles de leur territoire.

M. David Valence, vice-président de la région Grand Est, a par exemple mis en exergue lors de son audition par les membres de la mission le plan régional « Industrie du futur », lancé le 25 janvier 2016. Ce plan se décline autour de deux types de mesures :

- l'accompagnement concret, chaque année, de 150 PME en croissance à devenir industrie du futur, en recourant à des intervenants extérieurs. À l'issue des diagnostics pris en charge par la région, la collectivité propose un « accompagnement sur mesure » pour aider les entreprises à mettre en place les projets et les améliorations qui leur auront été suggérées. La réalisation concrète des projets peut être accompagnée financièrement en fonds propres, subventions ou en avances remboursables à travers les outils financiers proposés par la Région. Ce type d'action est mis en oeuvre, notamment, pour les entreprises du secteur ferroviaire implantées sur le territoire ;

- le développement de la communauté « Industrie du Futur », regroupant les chefs d'entreprises du territoire ayant engagé leur entreprise dans cette démarche. L'objectif de cette communauté est d'échanger sur les principaux enjeux liés à l'industrie du futur et d'apporter un mentorat aux PME susceptibles de croître dans le cadre de l'industrie du futur. Alstom et Gillet Group font notamment partie des entreprises du ferroviaire qui participent activement à cette dynamique transversale à toutes les familles industrielles du Grand Est.

À l'occasion du déplacement à Toulouse d'une délégation de votre mission, les services de la région Occitanie ont souligné la mise en place de nombreux dispositifs destinés à répondre aux différents besoins des acteurs économiques, de la phase de création à la phase de transmission, en passant par le développement et l'innovation.

Votre mission se félicite de la mise en place de ces documents de programmation et du développement de cette offre de proximité à destination des industries : l'action micro-économique est d'autant plus efficace qu'elle est définie au plus près des entreprises. Pour autant, elle souligne deux points vigilance :

- d'une part, compte tenu de leur taille désormais, les régions doivent assurer un maillage local d'autant plus important, en évitant un effet de « métropolisation régionale » qui conduirait de lui-même à une désertification industrielle des territoires les plus ruraux. Pour ce faire, elles doivent donc davantage s'appuyer, par des mécanismes de convention, sur les relais locaux que peuvent être, en particulier, les chambres consulaires ainsi que le réseau déconcentré de l'État ou de ses opérateurs.

Cette pratique partenariale est certes déjà présente dans certaines régions. Ainsi, dans ce cadre, la région Bretagne a mis en place une cellule de plusieurs personnes, présentes en permanence sur le territoire, par grands bassins d'emplois, afin de favoriser le développement des entreprises et d'identifier les signaux faibles pouvant traduire un besoin de restructuration d'entreprises qui mène son action en partenariat avec les 59 établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) bretons, les réseaux consulaires, la Banque de France, Bpifrance et les services de l'État. Ce type de bonne pratique doit être favorisé et amplifié ;

- d'autre part, si chaque région doit évidemment favoriser et valoriser son propre territoire, il est souhaitable qu'elle le fasse en bonne intelligence avec les régions limitrophes, en prenant en considération la situation industrielle existante afin de développer des synergies profitables à plusieurs régions . Vos président et rapporteur relèvent que ce type de synergies peut notamment être favorisé par les pôles de compétitivité qui peuvent s'étendre sur plusieurs régions, comme c'est le cas, notamment, des pôles « Agri Sud-Ouest Innovation » et « Aerospace Valley » pour les régions Nouvelle-Aquitaine et Occitanie.

Proposition n° 44 : Conforter la mise en oeuvre des politiques industrielles des régions par le maintien de relais locaux, le cas échéant en coordination avec les opérateurs de l'État et les chambres consulaires, ainsi que par le développement de synergies interrégionales.

En outre, l'action complémentaire des autres collectivités territoriales ne doit pas être négligée . Même si elles ont perdu une grande partie de leurs compétences économiques, elles mènent des politiques et des actions opérationnelles qui peuvent fortement contribuer au succès d'une filière industrielle.

Lors de leur audition, les représentants de Croissance plus ont indiqué en particulier combien l'aménagement foncier était une dimension essentielle à prendre en considération pour faciliter l'implantation des sites industriels et leur développement, voire éviter leur départ . Or, les documents de planification en matière d'urbanisme peuvent avoir tendance à négliger cet aspect.

La situation est particulièrement préoccupante dans les zones d'urbanisation métropolitaines. Ainsi, la Chambre de commerce et d'industrie de Paris-Ile-de-France a récemment mis en exergue qu'en Ile-de-France, en zone urbaine, les projets urbains se faisaient au détriment du foncier productif, les activités industrielles et logistiques étant rejetées en zone périphérique. Or, faute de foncier disponible à des prix adaptés, seuls 5 % des locaux disponibles sont neufs et 70 % de l'offre est constituée de locaux de seconde main et non rénovés, l'obsolescence des locaux étant le premier facteur déclenchant pour le déménagement d'entreprises industrielles en Ile-de-France.

Du reste, dans certaines régions, des actions conjointes sont menées avec les EPCI compétents dans ce domaine. Tel est le cas, par exemple, de la région Occitanie, qui, en matière d'immobilier d'entreprises , dans le cadre de la contractualisation avec les EPCI, s'est engagée pour accompagner les projets d'immobilier d'entreprise à leurs côtés avec une prise en charge à hauteur de 70 % de la part de l'aide publique mobilisable. 175 ( * ) De même, la région intervient dans le soutien de l'immobilier collectif , en cofinançant des projets de construction, d'extension, de réhabilitation d'hôtels et pépinières d'entreprises pouvant intégrer des espaces de travail partagés tels que les ateliers partagés, les espaces de co-working, les tiers-lieux et les fabLab... Enfin, en partenariat avec les EPCI, elle accompagne la structuration d'une offre régionale de parc d'activités économiques (Occitanie Zone Economique) disposant d'aménagements qualitatifs et d'un ensemble de services afin que chaque territoire soit en capacité d'accueillir un projet industriel en implantation ou en développement, à l'instar des zones de Pyrénia, à Tarbes, et de Prae, à Castelnaudary.

En outre, on assiste à des cessions massives d'emprises foncières jusqu'alors occupés par des sites de production industriels de la part de grands groupes industriels. Tel est le cas, par exemple, de Peugeot avec la vente de son usine à Aulnay-sous-bois ou la réduction de la surface bâtie de son usine de Sochaux qui devrait passer de 700 000 à 230 000 m 2 . Cette libération d'espaces industriels ne doit pas conduire à leur totale « déspécialisation » industrielle, au profit d'autres activités économiques ou de l'habitat ; elle doit au contraire permettre de développer de nouveaux équipements, plus modernes et mieux connectés, pour d'autres activités industrielles.

L'action des collectivités territoriales ou de leurs groupements, compétents en matière d'urbanisme, est donc essentielle pour que les besoins fonciers des activités industrielles soient mieux pris en considération dans l'élaboration des instruments de planification urbaine.

À cet égard, votre mission invite donc les collectivités exerçant la compétence en matière de schémas de cohérence territoriale (Scot) à intégrer pleinement une stratégie concernant l'immobilier d'activité. Du reste, les régions et l'État étant personnes associées à l'élaboration de ces documents, il leur appartient aussi de pousser à la prise en compte de ces problématiques, en particulier au stade du diagnostic de la situation et des perspectives économiques des établissements publics concernés.

Proposition n° 45 : Intégrer pleinement dans les schémas de cohérence territoriale une stratégie concernant l'immobilier industriel.


* 117 Voir les articles L. 225-35 et suivants du code de commerce.

* 118 Voir le premier volet du rapport de la mission : « Siemens-Alstom : pour un géant européen du ferroviaire véritablement franco-allemand », p. 34.

* 119 « Siemens-Alstom : pour un géant européen du ferroviaire véritablement franco-allemand », pp. 21-23.

* 120 Pour l'exercice de ses missions, l'APE dispose au 1 er janvier 2018 d'une équipe de 52 personnes, essentiellement fonctionnaires. Elle compte 27 cadres dirigeants et chargés de participations, traditionnellement issus de corps d'ingénieurs (46 %), mais également, dans un souci de diversification des profils, d'autres corps (25 % d'administrateurs civils, 18 % de fonctionnaires issus d'autres corps - INSEE, Banque de France, IGF, Cour des Comptes) ainsi que 11 % de diplômés de grandes écoles de commerce. Les pôles d'expertise (financier, juridique, audit et comptabilité), les fonctions supports ainsi que les secrétariats emploient 25 personnes. Le taux de féminisation est de 46 %. L'âge moyen des équipes de l'APE est de 41 ans. Sur les 27 cadres dirigeants et chargés de participations, 52 % ont une expérience de l'entreprise et exercent en moyenne une activité professionnelle depuis environ 9 ans.

* 121 Voir la note « L'impossible État actionnaire ? », Institut Montaigne, janvier 2017.

* 122 Information en commission restreinte, à huis-clos, ou condition d'engagement à respecter le caractère confidentiel des données transmises.

* 123 Voir supra, p. 104 .

* 124 Rapport « Siemens-Alstom : Pour un géant du ferroviaire véritablement franco-allemand », n° 449 (2017-2018), p. 39.

* 125 En vertu de l'article 31-1 de l'ordonnance n° 2014-948 du 20 août 2014 relative à la gouvernance et aux opérations sur le capital des sociétés à participation publique, elle ne peut être prévue que « si la protection des intérêts essentiels du pays en matière d'ordre public, de santé publique, de sécurité publique ou de défense nationale exige qu'une action ordinaire de l'État soit transformée en une action spécifique ».

* 126 L'action spécifique n'est pas condamnée en soi, mais dans la mesure où elle peut constituer une entrave à la libre circulation des capitaux et à la liberté d'établissement, elle doit être justifiée par un motif légitime, par exemple la protection de la sécurité juridique, contrôlé par la Cour et soumis au principe de proportionnalité (voir notamment, CJCE, 11 nov. 2010, C-171/08 Commission c/ Portugal ; 10 nov. 2011, Commission c/ Portugal ; C-212/09).

* 127 Rapport « Siemens-Alstom : Pour un géant du ferroviaire véritablement franco-allemand », n° 449 (2017-2018), pp. 15-19.

* 128 Rapport n° 449 (2017-2018), pp. 41-43 et 59-60.

* 129 Voir supra, p. 96.

* 130 Voir supra, p. 106 .

* 131 Voir supra, p. 59 .

* 132 Voir infra, en annexe II, le détail de la réglementation chinoise.

* 133 Voir infra, en annexe II, le détail de ces réglementations.

* 134 Voir infra, en annexe II.

* 135 Voir infra, en annexe II, le détail de la législation allemande.

* 136 Voir infra, en annexe II.

* 137 Par recours au principe de l'investisseur ultime, qui vise à remonter à l'origine ultime de l'opération d'investissement en France en corrigeant les effets d'optimisation fiscale recherchés par le truchement de pays tiers.

* 138 JO Débats Sénat, 14 octobre 2004, amendement n° 91, après l'article 21.

* 139 « SIEMENS-ALSTOM : pour un géant du ferroviaire véritablement franco-allemand », p. 36.

* 140 Article R. 153-8 du code monétaire et financier.

* 141 Au sens des articles L. 1332-1 et L. 1332-2 du code de la défense.

* 142 Notamment, il résulte des auditions que la mise en place d'un « proxy agreement », qui conduit à transférer à un tiers agréé par l'autorité administrative certains droits de vote, est possible.

* 143 Par exemple, imposer le respect de conditions de maintenance ou d'intervention sur des sites ou équipements afin de garantir la sécurité d'approvisionnement, en matière d'électricité par exemple.

* 144 Audition du 15 février 2018.

* 145 Audition du 1 er février 2018.

* 146 Toutefois, pour Alstom, cette intervention n'était que supplétive, dans l'hypothèse où l'entreprise n'aurait pas exécuté pleinement certaines obligations de « self reporting » auprès des autorités américaines.

* 147 Voir « SIEMENS-ALSTOM : pour un géant du ferroviaire véritablement franco-allemand », rapport n° 449 (2017-2018), pp. 52-54 et 58-66.

* 148 Voir supra, p. 94 .

* 149 Karine Berger, L'extraterritorialité de la législation américaine , Rapport d'information n° 4082 enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 5 octobre 2016 en conclusion des travaux d'une mission d'information présidée par Pierre Lellouche.

* 150 Voir « SIEMENS-ALSTOM : pour un géant du ferroviaire véritablement franco-allemand », rapport n° 449 (2017-2018), pp. 31-32.

* 151 « (...) avec mes homologues allemand et britannique, nous travaillons actuellement à une initiative européenne visant à demander à la Commission européenne de prendre rapidement les trois décisions suivantes : renforcer le règlement de 1996, afin d'inclure l'Iran dans ce cadre qui protège les intérêts économiques européens ; doter l'Europe d'une institution financière indépendante lui permettant de faire librement du commerce où elle le veut, quand elle le veut, sans dépendre des institutions financières américaines ; enfin, mettre en place une institution comparable à celle qui existe aux États-Unis, pour faire respecter les règles européennes sur toute la planète. »

* 152 Marchés publics (y compris les marchés de partenariat), à l'exclusion des concessions.

* 153 « Passer de la défiance à la confiance : pour une commande publique plus favorable aux PME », Rapport d'information n° 82 (2015-2016) de M. Martial Bourquin, au nom de la mission d'information sur la commande publique, déposé le 14 octobre 2015, p. 178.

* 154 CJCE, 20 septembre 1988, Gebroeders Beentjes BV, aff. C-31/87, point 30.

* 155 Cf. le rapport d'information de notre collègue Élisabeth Lamure, « Où va la normalisation ? En quête d'une stratégie de compétitivité respectueuse de l'intérêt général », n° 627 (2016-2017), au nom de la commission des affaires économiques du Sénat, 19 juillet 2017.

* 156 Cette exigence serait discriminatoire, à raison de la nationalité (voir CJCE, 10 février 1982, Transporoute c/Ministère des travaux publics du Luxembourg , aff. C-76/81, point 15).

* 157 Réponse ministérielle n°16835, JO Sénat 14 avril 2011, p. 942.

* 158 « Passer de la défiance à la confiance : pour une commande publique plus favorable aux PME », Rapport d'information n° 82 (2015-2016) de M. Martial Bourquin, au nom de la mission d'information sur la commande publique, 14 octobre 2015, p. 105.

* 159 Recommandation (UE) 2017/1805 de la Commission du 3 octobre 2017 sur la professionnalisation de la passation des marchés publics - Concevoir une architecture pour la professionnalisation de la passation des marchés publics.

* 160 Le décret n° 2016-361 du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics de défense ou de sécurité précise les conditions d'application de l'ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics pour ce qui concerne les marchés de défense.

* 161 Acheteurs agissant dans le domaine des réseaux.

* 162 Voir supra, p. 58.

* 163 Et notamment pour ceux-ci, en réservant une part minimale de leur montant à des PME.

* 164 Article 4 du décret n° 2016-360 du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics.

* 165 Article 6 du décret n° 2016-360.

* 166 Article 58 du décret n° 2016-360.

* 167 Article 62 du décret n° 2016-360.

* 168 Introduit dans le droit français par le décret n° 2014-1097 du 26 septembre 2014 portant mesures de simplification applicables aux marchés publics puis intégré dans les décrets n° 2016-360 relatif aux marchés publics et n° 2016-361 relatif aux marchés de défense ou de sécurité.

* 169 Rapport n° 82 (2015-2016), p. 86.

* 170 Par exemple, en région Centre-Val de Loire, 28 projets de plus de 3 M€, représentant au total plus de 201 M€ d'investissement, ont bénéficié en 2016 de ce dispositif.

* 171 Avis n° 141 (2016-2017), fait au nom de la commission des affaires économiques, déposé le 24 novembre 2016.

* 172 Voir supra, p. 144 .

* 173 Rapport d'information n° 403 (2010-2011), p. 178.

* 174 ADCF, Quelles ambitions pour nos territoires, février 2018.

* 175 L'intervention publique régionale est majorée de 20 % en 2018 et de 10 % en 2019. Elle prend la forme d'une subvention, en cohérence avec le Contrat Croissance, et s'adresse à des projets d'un montant minimal de 40 000 € HT (ou 60 000 € HT concernant le contrat AgroViti stratégique).

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page