B. METTRE L'INDUSTRIE FRANÇAISE EN ORDRE DE MARCHE

1. Accompagner la transformation digitale des entreprises industrielles

Le déploiement de l'industrie du futur - on parle parfois aussi d'industrie 4.0 en s'inspirant de la terminologie allemande - devrait constituer un axe prioritaire de la politique industrielle française. Or, si un programme prometteur visant à encourager l'intégration des technologies du numérique au tissu industriel a bien été lancé en avril 2015, la mobilisation des acteurs industriels et des pouvoirs publics apparaît encore trop faible et trop lente au regard de l'importance et de l'urgence des enjeux.

Si la transformation digitale des grands groupes est bien engagée, la situation des PMI et des ETI est en revanche plus contrastée. Or, l'État semble avoir réorienté son action. La politique en faveur de l'industrie du futur est désormais diluée dans l'ensemble des actions qui se rattachent à la bannière « French Fab » et les acteurs qui s'étaient mobilisés et organisés pour accélérer le passage à l'industrie du futur semblent désorientés . La mission d'information estime que cette réorientation constitue une erreur stratégique et elle appelle à redonner une impulsion forte à la politique en faveur de l'industrie du futur.

a) Le déploiement de l'industrie du futur : un impératif et une opportunité pour l'industrie française
(1) Qu'est-ce que l'industrie du futur ?

Lorsqu'on évoque l'industrie du futur, on pense spontanément, à tort, à des firmes qui se situent à la pointe de l'innovation. En réalité, l'industrie du futur concerne l'ensemble des entreprises industrielles , quel que soit leur secteur d'activité, leur taille ou leur ancienneté. La mise à jour de l'outil productif, du modèle d'affaires et de l'organisation des firmes industrielles par l'intégration des « briques technologiques » de l'industrie du futur n'est pas réservée à une élite ni à des cas exceptionnels, mais peut - et doit - toucher l'ensemble du tissu industriel.

(a) Des transformations qui affectent à la fois la façon de fabriquer et la manière dont l'entreprise s'insère dans son environnement
(i) Digitaliser la fabrication : l'usine du futur

Au coeur de l'industrie du futur se trouve l'usine du futur. Celle-ci se caractérise en premier lieu par le déploiement des technologies digitales permettant aux machines de communiquer entre elles, de communiquer avec les opérateurs humains et plus généralement de communiquer avec tous les objets équipés de capteurs. Le monitoring en temps réel des activités productives grâce au recueil et à l'analyse automatique des données permet l'optimisation des flux, des quantités, des interventions à tous les stades de la fabrication industrielle.

Parmi les technologies caractéristiques de l'usine du futur, on trouve également les robots intelligents et aisément reconfigurables, capables de travailler en sécurité dans un environnement humain et d'accomplir des tâches multiples. Figure aussi la palette des technologies d'assistance physique aux travailleurs (c'est le domaine de la cobotique et des exosquelettes) ou encore les technologies d'assistance cognitive (comme la réalité virtuelle ou la réalité augmentée), les techniques de suivi et de prédiction de la maintenance ou encore les procédés de fabrication innovants comme les imprimantes 3D.

Si on peut concevoir et construire des usines entièrement high tech , qui intègrent d'emblée une grande partie voire la totalité des briques technologiques de l'usine du futur, il est aussi tout à fait possible de déployer ces briques technologiques de manière incrémentale, ce qui est le cas de figure économiquement le plus pertinent dans la plupart des situations concrètes. On peut tout à fait créer des chaînes digitalisées à l'intérieur de processus de production plus traditionnels . Un diagnostic concret de l'outil productif, du marché et des capacités d'investissement de chaque entreprise, y compris d'une PME de taille modeste, permet en effet de sélectionner un ensemble cohérent mais restreint de « briques » que cette entreprise pourra intégrer dans ses ateliers dans une logique de « mise à jour ».

(ii) Repenser l'insertion de l'entreprise dans un environnement global numérisé

Au-delà de la modernisation des ateliers et des usines, l a digitalisation de l'industrie affecte plus généralement tous les niveaux de la chaîne de valeur industrielle . C'est bien pourquoi on parle d'industrie du futur et pas seulement d'usine du futur. Elle implique une transformation de l'organisation de l'entreprise, du management, des modalités d'insertion de la firme dans son environnement. De la conception des biens à leurs usages, en passant par la logistique et les relations fournisseurs, c'est en effet l'ensemble des opérations en amont et en aval de la fabrication qui est bouleversé par le déploiement des technologies de l'industrie du futur - un séquençage linéaire de l'aval vers l'amont devenant d'ailleurs obsolète pour décrire la réorganisation de la firme et de son activité.

(b) Un travail de recensement des briques technologiques de l'industrie du futur

Au cours des dernières années, les acteurs industriels (grands groupes, fédérations sectorielles), les pouvoirs publics et le monde académique ont conduit un important travail visant à mieux identifier les techniques et les modes d'organisation constitutifs de l'industrie du futur. Cela a permis la définition d'un référentiel partagé qui répertorie et classe toutes les disciplines et technologies indispensables à l'Industrie du futur. Il est constitué de 60 « macro-briques » et près de 400 « briques » technologiques.

Les offreurs de solutions technologiques peuvent désormais s'appuyer sur ce référentiel pour décrire leur offre et communiquer avec les entreprises à la recherche de solutions de modernisation de leurs outils de production, d'approvisionnement ou de relations clients. Le référentiel commun permet également aux pouvoirs publics de disposer de critères clairs pour identifier les innovations et les projets industriels qu'il convient d'accompagner et de financer. En particulier, Bpifrance sélectionne les entreprises bénéficiaires des Prêts « industrie du futur » en s'appuyant sur les conclusions des travaux de l'Alliance Industrie du Futur.

LE RÉFÉRENTIEL DE L'INDUSTRIE DU FUTUR

Source : rapport annuel 2016 de l'Alliance Industrie du Futur, p.29

b) Une des clés du redressement industriel
(1) Un important levier pour gagner en productivité et monter en gamme
(a) Des effets sur la compétitivité-prix

Le déploiement des technologies du futur permet des gains importants de productivité et de flexibilité :

- le développement des techniques de maintenance préventive permet par exemple de réduire fortement le nombre des pannes qui bloquent de façon intempestive les lignes de production et d'optimiser dans le temps les opérations de maintenance ;

- les techniques de communication hommes/machines permettent aux opérateurs humains de réaliser des diagnostics et des interventions plus pertinents et plus rapides pour relancer la production quand un incident l'a interrompue ;

- les techniques de réalité virtuelle permettent une intervention à distance immédiate des techniciens de maintenance lors des pannes les plus sérieuses, évitant ainsi une intervention « physique » dont les délais peuvent être de plusieurs heures ou de plusieurs jours ;

- le pilotage fin des processus de production, l'utilisation de matériaux innovants ou d'imprimantes 3D permettent une optimisation de la dépense énergétique et de la quantité de matières premières utilisées ;

- le développement de la robotique intelligente et des machines multifonctions permet de reconfigurer rapidement et simplement un atelier et de produire en séries courtes sans dérapage des coûts, ce qui rend possible l'adaptation de la production aux besoins différenciés et changeants des clients ;

- la mise en réseau des services commerciaux, des services d'approvisionnement et des services de fabrication permet d'ajuster les prévisions en matière de stock et de logistique dès la prise de commande. Si l'industrie du futur n'a pas inventé les concepts de « juste à temps » ou de « zéro stock », elle permet de franchir un palier dans la poursuite de ces objectifs ;

- la virtualisation des systèmes de production par la modélisation 3D permet de simuler toutes les opérations de production et de maintenance et donc de repérer et de résoudre par anticipation nombre de difficultés susceptibles de survenir dans les ateliers réels.

Ce ne sont là que quelques exemples. On pourrait les multiplier. Une étude du Boston consulting group (BCG) estime, à partir de l'analyse du cas allemand, que la mise en oeuvre des solutions techniques et organisationnelles de l'industrie du futur permet d'atteindre en quelques mois une réduction des coûts de fabrication de l'ordre de 15 à 25 %, voire de 30 % dans certaines branches 71 ( * ) . En se fondant sur l'analyse de plusieurs projets pilotes en matière d'industrie du futur, le cabinet Ernst & Young estime quant à lui que des réductions de 10 % à 15 % des coûts de production sont réalisables sur des périodes courtes, et même jusqu'à 30 % si on raisonne sur l'ensemble de la chaîne de valeur étendue 72 ( * ) .

De façon concrète, lors de son audition, Frédéric Perrot, président de la société ARaymond France, spécialisée dans les solutions d'assemblage et de fixation, a indiqué que les solutions technologiques implantées dans ses sites assuraient à la société des coûts de production qui restaient moins élevés qu'en Chine.

(b) Des effets sur la compétitivité hors prix

Les techniques de l'industrie du futur ne permettent pas seulement de produire plus vite et moins cher : elles sont aussi un vecteur essentiel de la montée en gamme industrielle, notamment grâce à la personnalisation de l'offre qu'elles rendent possibles.

D'une part, la digitalisation de la relation client permet d'associer beaucoup plus étroitement les clients à l'élaboration et à l'évaluation des biens et services qui leur sont proposés. Leurs besoins sont donc identifiés plus précisément et plus rapidement, ce qui constitue un avantage concurrentiel considérable. De plus, les biens industriels de l'ère numérique intègrent de plus en plus des services, notamment sous forme d'applications numériques embarquées, qui contribuent à cette personnalisation de l'offre , au point que ce qui est vendu est de plus en plus souvent un ensemble d'usages ou une expérience de consommation davantage qu'un bien stricto sensu .

D'autre part, mieux identifiés, les besoins des clients sont satisfaits plus précisément et plus rapidement . Le niveau de flexibilité de l'outil productif qu'autorisent les techniques et les processus de fabrication des usines 4.0 ouvre en effet la voie au « sur mesure » dans un cadre industriel à un coût maîtrisé. De même, l'optimisation digitale de l'articulation entre la fonction de fabrication et les fonctions d'approvisionnement et de livraison permet de livrer le client dans des délais sensiblement plus courts. Selon l'étude précédemment citée d'Ernst & Young, l'industrie du futur peut conduire à une division des délais de livraison par quatre.

Le client pouvant bénéficier d'une offre personnalisée grâce à l'industrie du futur n'est pas seulement le consommateur final ; c'est aussi le donneur d'ordre industriel ou le grossiste. Et c'est bien là qu'est l' enjeu décisif et urgent pour toutes les PMI et les ETI françaises qui sont fournisseurs ou sous-traitants de grands comptes : dès lors que ces derniers effectuent le virage vers l'industrie du futur et mettent en place un pilotage digitalisé de leur sourcing et de leurs ventes, tous leurs partenaires « B to B » sont eux-mêmes obligés de s'intégrer dans ce processus de digitalisation et de mettre en place une organisation de la production qui réponde aux exigences nouvelles de leurs clients - sans quoi ils sont impitoyablement écartés du sourcing . Par exemple, dès lors qu'un donneur d'ordre met en place un dispositif de facturation électronique ou une plateforme d'échanges numérisée, le fournisseur ou sous-traitant est lui-même obligé de réaliser les investissements nécessaires afin de s'intégrer à ce nouvel environnement numérique.

(2) Une opportunité de relocalisation de la production

En accroissant la compétitivité prix et hors prix, le déploiement de l'industrie du futur rend envisageable la relocalisation de certaines productions industrielles .

En effet, une intensité capitalistique accrue du fait des investissements nécessaires à l'industrie 4.0, ainsi que le repositionnement des entreprises sur des segments de marché plus « haut de gamme » 73 ( * ) , permettent de réduire l'importance relative du coût du travail dans les choix de localisation des sites de production - et ce d'autant plus que l'avantage salarial comparatif de certains pays émergents commence à se réduire. Avec l'industrie du futur, les pays à coût horaire de la main-d'oeuvre élevé comme la France rattrapent donc une partie de leur handicap par rapport aux pays à bas coût.

Par ailleurs, dans des usines du futur en partie autopilotées, l'intervention humaine est recentrée sur les tâches manuelles les plus complexes et sur les activités de programmation/pilotage/maintenance des machines, c'est-à-dire sur les tâches les plus qualifiées. Or, le besoin d'une main-d'oeuvre qualifiée et bien rémunérée conduira, là encore, les entreprises à favoriser l'implantation de leurs sites de production dans les territoires qui auront su réaliser des investissements en capital humain suffisants.

Enfin, les modèles économiques reposant sur la capacité à ajuster rapidement le contenu et la livraison de l'offre à la demande conduisent à privilégier des sites de production et des réseaux de sous-traitants géographiquement plus proches des clients.

Le numérique et les nouvelles technologies de fabrication offrent donc une opportunité historique aux entreprises de se moderniser, d'innover et de produire en France . C'est une chance d'inverser le déclin industriel observé au cours des dernières décennies.

c) L'accompagnement du déploiement de l'industrie du futur : une action trop timide des pouvoirs publics
(1) Une reconnaissance institutionnelle tardive des enjeux de l'industrie du futur

Le début des années 2010 a marqué une prise de conscience de l'impasse économique que constitue le modèle d'une société « post-industrielle » de services et de la nécessité d'opérer un redressement industriel, mis en exergue tant par la mission du Sénat sur la réindustrialisation des territoires en avril 2011 74 ( * ) que par le rapport Gallois en novembre 2012. C'est dans ce contexte qu'ont été posées les prémices de la politique nationale en faveur de l'industrie du futur. En novembre 2013, le Gouvernement lance le projet de Nouvelle France industrielle articulé autour de 34 plans de « reconquête industrielle » . Au printemps 2015, la maturation de ces plans conduit le ministre de l'économie à décider une transformation de l'organisation et des objectifs de la Nouvelle France industrielle . Les 34 plans initiaux deviennent un projet transversal, le projet « Industrie du futur » , qui irrigue le travail de toutes les filières, et neuf « solutions industrielles » destinées à répondre à des marchés en plein essor 75 ( * ) .

Le passage du plan « Usine du futur » au concept plus englobant d'« Industrie du futur » marque un changement d'échelle dans la réflexion et dans l'action des pouvoirs publics. D'une part, le caractère transversal de l'industrie du futur est désormais clairement perçu : son déploiement concerne bien tous les secteurs industriels et doit permettre une montée en gamme de l'industrie française dans son ensemble. D'autre part, on passe d'une approche centrée sur l'usine à une approche qui prend en compte les transformations des modèles d'affaires, de l'organisation interne des firmes et des logiques d'interactions entre l'entreprise et l'ensemble de son environnement. Enfin, il y a une prise de conscience que le déploiement de l'industrie du futur dans notre pays doit absolument tenir compte de la faiblesse structurelle de notre tissu industriel, à savoir un nombre insuffisant de grosses PME et d'ETI et des difficultés endémiques des entreprises françaises à coopérer comme savent le faire leurs concurrentes étrangères .

Cette prise de conscience est à l'origine d' une des spécificités du projet français d'industrie du futur, à savoir l'accent fort porté sur la sensibilisation et l'accompagnement des PME.

UNE PRISE DE CONSCIENCE QUI TOUCHE TOUTES LES NATIONS INDUSTRIELLES

Les initiatives nationales

L'initiative allemande « Industrie 4.0 » comporte deux actions principales. D'une part, elle organise et finance la recherche publique et privée dans les domaines de la robotisation industrielle, de l'automatisation, de la mise en réseau . D'autre part, elle cherche à promouvoir ces technologies auprès de tout le tissu industriel allemand, en créant des démonstrateurs, en mettant à disposition des bancs d'essais , etc. Cette politique est fortement portée par tous les acteurs de l'industrie allemande (fédérations professionnelles, syndicats, Länder, milieu universitaire) qui sont rassemblés dans la Plattform Industrie 4.0.

Le Royaume-Uni et les États-Unis s'attachent particulièrement à la promotion de la recherche sur les technologies d'avenir, notamment à l'interface entre les instituts de recherche et le monde économique :

- aux États-Unis, l' Advanced Manufacturing Partnership, lancé en 2013, vise à créer une quarantaine d' Institutes for Manufacturing Innovation d'ici à 2025, qui rassemblent chercheurs, conseillers du gouvernement et industriels. Chaque institut développe une spécialité technologique centrale pour l'industrie du futur, en coordination les uns avec les autres. Ils sont aujourd'hui dotés d'un budget d'un milliard de dollars sur huit ans, mais sont supposés devenir à terme financièrement indépendants ;

- au Royaume-Uni, le plan High Value Manufacturing Catapult soutient sept centres de recherche existants, en mettant à disposition des entreprises un réseau d'infrastructures, d'équipements et de compétences, pour favoriser l'émergence d'un écosystème de l'innovation intégré et participatif, ainsi que des technologies de rupture.

Enfin, l' Italie a initié récemment son programme intitulé « Piano Industria 4.0 ». Il place la priorité sur le développement de l'offre technologique, mais aussi sur la diffusion de ces offres au tissu industriel.

Des coopérations internationales

La France et l'Allemagne ont initié en octobre 2015 une coopération en matière d'Industrie du Futur, sous la forme d'un plan d'actions conjoint entre les plateformes française (Alliance pour l'Industrie du Futur) et allemande (Industrie 4.0). En 2017, cette coopération a été étendue à l'initiative italienne « Piano Industria 4.0 ». Elle est fondée sur trois axes prioritaires : i) la normalisation et les architectures de référence dans le domaine du numérique notamment ; ii) l'inclusion des PME ; iii) la synchronisation des positions sur les aspects réglementaires, notamment sur les données industrielles. Au niveau communautaire, la France participe aussi aux initiatives de la Commission (notamment l'initiative Digitizing European Industry portée par la DG CONNECT et la DG GROW de la Commission Européenne ; l'Alliance Industrie du futur y représente la France).

(2) Un rôle d'animation confié à l'Alliance pour l'Industrie du futur

Le lancement du projet d'industrie du futur s'est accompagné de la mise en place d'un outil de gouvernance dédié : l'Alliance pour l'Industrie du Futur. Cette association loi de 1901 regroupe les principales fédérations industrielles (FIEEC, FIM, GIFAS, GIMELEC, PFA, UIMM, etc.), CCI France, des partenaires technologiques (CETIM, LNE, AFM, etc.) et académiques (AFDET, Arts et Métiers ParisTech, CESI, Institut Mines Télécom, etc.), ainsi que Bpifrance.

Interlocuteur du ministre de l'économie et de ses services, l'Alliance pour l'Industrie du futur est force d'analyse et de propositions pour les pouvoirs publics. Tournée vers le monde industriel, elle est également animatrice du réseau de 34 partenaires dont elle s'efforce de coordonner l'action autour de trois axes :

- développer une offre française de solutions technologiques pour l'industrie ;

- déployer l'industrie du futur dans les branches industrielles traditionnelles ;

- mettre en place les formations et les compétences dont l'industrie du futur a besoin.

(3) Développement d'une offre française de solutions 4.0 : une opportunité à saisir

Parce que l'ensemble de l'industrie mondiale est aujourd'hui engagé dans la digitalisation, les sociétés qui fournissent les technologies et les services d'ingénierie ou de conseil nécessaires à cette transformation se trouvent sur un marché en forte croissance. Une des ambitions du projet français d'industrie du futur est donc de faire en sorte que des entreprises françaises se positionnent sur ce marché porteur.

Sept grandes priorités d'actions ont été définies pour soutenir le développement de l'offre française dans les technologies de production :

o digitalisation, virtualisation et Internet des objets ;

o place de l'homme dans l'usine, cobotique, réalité augmentée ;

o fabrication additive (impression 3D) ;

o monitoring et contrôle ;

o composites, nouveaux matériaux et assemblage ;

o automatique et robotique ;

o efficacité énergétique.

Concrètement, le soutien aux projets d'innovation ou de développement industriel dans ces sept domaines passe en grande partie par la mobilisation des dispositifs généralistes de soutien à l'innovation, comme le crédit d'impôt recherche (CIR) ou les aides directes à l'innovation distribuées par Bpifrance.

Cependant, des dispositifs spécifiques ont également été mis en place en mobilisant des crédits du Fonds unique interministériel (FUI) ou du programme des investissements d'avenir (PIA), notamment sur la ligne « Projets industriels d'avenir » (PIAVE) . Un appel à projets sur le thème « Industrie du Futur » a ainsi été lancé entre octobre 2015 et juin 2016, avec une dotation de 100 M€ (sur les 305 M€ dont est dotée au total l'action PIAVE).

Au total, selon les chiffres de la DGE, plus de 240 projets de R&D ont été soutenus en mobilisant le FUI et le PIA sur les thématiques liées au développement de l'offre technologique pour l'industrie du futur . Parmi les projets retenus, on peut citer « l'usine à projets » Factory Lab, sur le campus Paris Saclay, portée par le CEA List, CETIM, Arts et Métiers, PSA, Dassault Systèmes, Naval Group, Safran, qu'une délégation de la mission a pu visiter.

Entre des outils généralistes de soutien à l'innovation industrielle, qui mobilisent des sommes considérables 76 ( * ) , et les outils spécifiques offerts dans le cadre du PIA, la constitution d'une offre française de solutions technologiques pour l'industrie du futur paraît bénéficier d' un soutien financier public bien adapté.

S'il existe des freins à l'émergence d'une offre industrielle et commerciale française dans ce domaine, ils se situent sans doute moins au stade de l'innovation qu'à celui du développement industriel et commercial. Les firmes françaises souhaitant produire et vendre les solutions de l'industrie du futur se heurtent en effet à la difficulté endémique de l'environnement national à accompagner la croissance des start-up et des PME à fort potentiel - ce qui renvoie à des questions excédant le cadre strict de l'industrie du futur, telles que le renforcement des outils de capital-développement 77 ( * ) ou la capacité à utiliser la commande publique comme un levier de croissance des PME françaises. 78 ( * )

d) Le déploiement de l'industrie du futur dans les industries traditionnelles : une priorité à réaffirmer
(1) Les actions de conseil et d'accompagnement

L'investissement dans les technologies de l'industrie du futur se heurte, de la part des PME et des ETI industrielles, à une méconnaissance des possibilités ouvertes par ces technologies. C'est pourquoi il faut aider ces entreprises, quel que soit leur domaine d'activité, à s'informer, à appréhender précisément ce qui est faisable, à quel coût, avec quels effets sur leur organisation et sur leur modèle d'affaires.

Pour réaliser ce travail de sensibilisation, d'information et de conseil, l'Alliance Industrie du futur dispose de deux grands types d'outils :

- des outils « promotionnels » , comme la labellisation de plus de 30 vitrines industrielles ou les « Caravanes de l'industrie du futur ». Par ailleurs, depuis le lancement du label « French Fab » par le Gouvernement, la sensibilisation aux enjeux de l'industrie du futur se fait dans le cadre plus général de la promotion de la marque industrielle « France », avec pour résultat une complète dilution de la thématique « industrie du futur » ;

- des outils de diagnostic . Des programmes d'accompagnement ont été mis en place depuis mai 2015 dans la totalité des régions. Les chefs d'entreprise qui le souhaitent peuvent bénéficier d'un audit de leur entreprise et mieux cerner les transformations à opérer sur leur outil de production et sur leur organisation (diagnostic généralement cofinancé par les régions à hauteur de 50 %). Il permet aux chefs d'entreprise de mieux connaître les technologies disponibles, d'identifier les verrous humains ou organisationnels limitant l'accès à ces innovations et de réinventer leur modèle économique. Sur la base de ces diagnostics, l'Alliance réalise un accompagnement personnalisé dans la conduite du changement en mobilisant les 500 experts de son réseau d'adhérents. À la fin de l'année 2017, c'est plus de 5 000 entreprises qui se seront engagées dans ces actions d'accompagnement vers l'industrie du futur.

Sur le volet « aide au diagnostic et à la conduite du changement », la mission d'information souhaite faire plusieurs recommandations.

Il est d'abord impératif de revoir à la hausse les objectifs de la politique d'accompagnement des PME vers l'industrie du futur . La cible de 5 000 entreprises auditées et conseillées dans le cadre du projet d'industrie du futur est trop faible au regard du nombre d'entreprises industrielles qu'il faudrait accompagner. Les entreprises industrielles de 10 à 250 salariés sont en effet au nombre de 30 000 en France 79 ( * ) . Fonctionnant sur une logique d'appels à projet, les outils de diagnostic et d'accompagnement des PME actuellement en place touchent seulement les entreprises déjà conscientes de la nécessité de moderniser leur outil. Le défi est donc de créer des structures capables d'aller chercher les entreprises les plus éloignées de l'industrie du futur . Or, comme l'ont souligné Agnès Audier et Moundir Rachidi, directeurs associés au Boston Consulting Group (BCG), les actions actuelles ne touchent qu'une très petite partie du tissu industriel et, au surplus, l'action d'accompagnement a tendance à se concentrer sur la minorité d'entreprises industrielles qui sont déjà les plus réceptives aux changements induits par les ruptures technologiques. Votre mission estime donc qu'un objectif de 10 000 à 15 000 entreprises accompagnées serait plus ambitieux.

Il faut ensuite rétablir une gouvernance claire de la politique en faveur de l'industrie du futur : que cette politique soit associée à la promotion de la French Fab est souhaitable ; qu'elle s'y dissolve est une erreur. Il faut donc remobiliser l'ensemble des acteurs (régions, alliance industrie du futur) en refaisant du déploiement de l'industrie du futur une politique clairement identifiée.

Il faut saluer le travail considérable accompli en moins de trois ans avec des moyens limités par l'Alliance pour l'Industrie du futur. Celle-ci fonctionne avec 350 000 euros de dotations publiques annuelles et un personnel très réduit. Toutefois, cette microstructure n'a ni les moyens humains ni les moyens financiers de conduire une politique dont le champ devrait être doublé ou triplé. La mission d'information demande donc un renforcement conséquent et rapide de l'Alliance pour l'Industrie du futur.

Enfin, la prise de conscience des enjeux et des gains potentiels de l'industrie du futur est variable selon les filières et les territoires .

En premier lieu, les filières industrielles sont inégalement mobilisées sur les enjeux d'industrie du futur . La filière agroalimentaire commence à accumuler du retard. L'adhésion prochaine de l'ANIA à l'Alliance pour l'Industrie du futur marque sans doute une prise de conscience. L'objectif de déploiement de l'industrie du futur doit être intégré à l'ensemble des politiques de filières et devenir un objectif prioritaire de la réorganisation des filières.

Dans ce travail de sensibilisation, le rôle des « démonstrateurs » d'usines du futur est essentiel : ces « usines écoles » permettent en effet aux chefs d'entreprise de percevoir de manière concrète les possibilités ouvertes par la digitalisation des processus.

Une délégation de votre mission d'information a ainsi visité l' Innovation center for operations (ICO) créé par le Boston Consulting Group (BCG) en région parisienne.

L' INNOVATION CENTER FOR OPERATIONS (ICO) DU BOSTON CONSULTING GROUP (BCG)

Sur le site de Villebon-sur-Yvette, sur le plateau de Saclay, le BCG propose à ses clients de se former et d'évaluer l'impact des technologies sur la performance des opérations. Deux lignes de production ont été créées pour couvrir les grandes typologies de fabrication industrielle : la première par assemblage, la seconde par procédé. À plusieurs étapes, les industriels ont la possibilité d'expérimenter des outils technologiques de pointe afin d'en évaluer l'efficacité (robotique avancée, data analytics , réalité augmentée, internet industriel, plateforme de simulation, etc.).

Selon Moundir Rachidi et Agnès Audier, directeurs associés du BCG entendus par votre mission, l'ICO a pour objet d'aider de manière dynamique et pratique à la transformation « Industrie 4.0 », en permettant aux industriels de voir les outils « 4.0 » en action afin de mieux envisager leur déploiement sur leur site de production.

La prestation offerte par le BCG à travers ce démonstrateur « haut de gamme » s'adresse d'abord à ses clients qui sont avant tout des grands groupes, et s'intègre souvent dans une démarche plus large de diagnostic d'entreprise. Son coût excède donc les moyens d'une PME. En outre, un projet du type ICO représente un investissement initial de 4 à 5 M€ et un coût de fonctionnement du même ordre, ce qui implique un besoin de financement non négligeable.

Néanmoins, votre mission croit à la pertinence de ce type de démonstrateurs qui peuvent constituer des catalyseurs pour la dissémination dans l'ensemble du tissu industriel des solutions « 4.0 ». En outre, ils sont des éléments d'interactions entre les industriels ou les start-up qui mettent à disposition leurs solutions technologiques pour le fonctionnement du démonstrateur, et les entreprises qui viennent s'ouvrir aux potentialités de ces solutions qui, peut-être, solliciteront par la suite ces industriels ou clients dans le cadre de la réorganisation de leurs modes de production.

Elle souhaite ainsi le développement de plusieurs démonstrateurs de ce type dans les territoires, afin que le tissu des PME puisse y avoir un accès facilité. Pour « démocratiser » l'accès à ces démonstrateurs, il faut envisager des financements mixtes , privés (par une facturation partielle aux entreprises bénéficiaires) et publics (par la mobilisation des crédits du programme 134, de subventions régionales, etc.). Ces démonstrateurs pourraient notamment voir le jour dans certains pôles de compétitivité .

En second lieu, toutes les régions ne sont pas non plus également mobilisées. Celles-ci jouent pourtant un rôle essentiel tant dans l'identification des entreprises devant être accompagnées que dans le cofinancement des opérations de diagnostic. L'Aquitaine et le Grand Est sont en pointe. Mais il est important que la mobilisation des régions soit générale.

Proposition n° 17 : Accélérer le déploiement de l'industrie du futur notamment :

- en renforçant les moyens financiers et humains de l'Alliance Industrie du futur pour accompagner 10 000 à 15 000 PMI et ETI dans leur mutation technologique ;

- en favorisant le développement, dans les territoires, de « démonstrateurs » d'usine du futur au moyen de financements mixtes, afin de diffuser les solutions « 4.0 » dans l'ensemble du tissu industriel .

(2) Les dispositifs d'appui au financement des investissements dans le domaine de l'industrie du futur

Plusieurs outils de financement sous forme de prêts ou de réductions d'impôts ont été mis en place pour faciliter les investissements nécessaires au déploiement de l'industrie du futur :

- dès 2015, des prêts à la robotisation ont été proposés par Bpifrance avec l'objectif de distribuer jusqu'à 300 M€ de prêts. Au 30 septembre 2017, le dispositif a permis d'accompagner l'investissement de 435 entreprises (dont 386 PME) pour environ 274 M€ de prêts accordés ;

- le nouveau prêt « industrie du futur » , également opéré par Bpifrance et financé à partir du PIA, prend le relais du dispositif précédent depuis la fin 2016. Il permettra de distribuer jusqu'à 1 Md€ de prêts pour un coût de 100 M€, par abondement au fonds de garantie des prêts de Bpifrance ;

- entre avril 2015 et avril 2017, a été mise en place la déduction exceptionnelle en faveur de l'investissement productif . Bien que non ciblé sur l'industrie du futur, ce dispositif a néanmoins bénéficié à cette dernière ;

- enfin, l'amortissement exceptionnel des robots industriels des PME a rendu possible un amortissement accéléré sur 24 mois pour les achats de robots industriels. Le dispositif était limité dans le temps (robots acquis ou créés du 1 er octobre 2013 au 31 décembre 2016) et dans son champ d'application (réservé aux PME dans le respect du régime européen d'exemption par catégorie « de minimis »).

Même si on ne peut pas distinguer l'efficacité propre de chacun de ces dispositifs, ces outils d'accompagnement financier ont manifestement joué un rôle positif dans le déploiement de l'industrie du futur en France . En 3 ans, on observe par exemple une multiplication par deux du nombre annuel de robots achetés en France. Cette forte progression a permis notamment au secteur automobile français de passer devant l'Allemagne en termes d'équipements (1 150 robots pour 10 000 salariés dans le secteur automobile pour la France contre 1 131 pour l'Allemagne en 2016, alors qu'en 2015 le rapport était inversé (940 et 1 147 respectivement pour la France et l'Allemagne).

LES ACHATS INDUSTRIELS DE ROBOTS EN FRANCE

2013

2014

2015

2016

Nombre de robots achetés par an

2161

2944

3045

4200

Progression par rapport à N-1

+36 %

+3,4 %

+37,9

Source : direction générale des entreprises.

Il est temps désormais d' offrir un dispositif financier d'ensemble à la fois simple, pérenne et ambitieux propice au déploiement de l'industrie du futur dans les PME et les ETI et organisé autour de deux outils :

- le prêt « industrie du futur » de Bpifrance ;

- un dispositif de suramortissement ciblé sur les investissements dans les équipements de l'industrie du futur et réservé aux PME et aux ETI . 80 ( * )

La montée en compétences des hommes doit accompagner la montée en gamme de l'outil industriel . Pour piloter les nouveaux outils, il faut en effet des ouvriers et des techniciens mieux formés, mais aussi des managers et des employeurs qui sachent déployer de nouveaux modes d'organisation et déléguer davantage Tout cela implique un effort national pour former les travailleurs, anticiper les futurs besoins en qualifications et adapter en volume et en qualité notre système de formation.

2. Rendre l'industrie attractive et les compétences mieux adaptées à ses besoins

La formation des salariés représente un enjeu crucial pour accompagner le développement de l'industrie du futur et permettre la montée en gamme des biens manufacturés français .

À rebours d'une vision catastrophiste qui verrait les machines remplacer les ouvriers, l'immense majorité des économistes s'accordent à penser que les hommes trouveront une place nouvelle dans l'usine de demain et pourront s'y épanouir davantage , puisque ce sont leur créativité , leurs capacités d'adaptation et leur réactivité qui seront désormais sollicitées.

Ces compétences et qualifications nouvelles sont toutefois plus longues et difficiles à acquérir que celles qui étaient nécessaires jusqu'ici. En outre, elles doivent en permanence être actualisées , car elles sont rapidement frappées d'obsolescence en raison de la rapidité du progrès technique. Les efforts de formation, initiale comme continue, que devront consentir le système scolaire ainsi que l'appareil de formation tout au long de la vie sont donc considérables.

C'est un véritable capital humain qu'il s'agit de bâtir et de faire fructifier pour chacun des salariés de l'industrie , comme l'a préconisé le Conseil national de l'industrie dans son avis de février 2017 dont la première recommandation prévoit de « faire le choix d'une stratégie collective d'investissement massif dans le développement des compétences et la qualification des salariés, pour le futur de l'industrie ».

a) Rendre l'industrie plus attractive, en particulier auprès des jeunes
(1) Une image injustement négative et stéréotypée

L'une des raisons qui explique les difficultés de l'industrie à recruter les talents dont elle a besoin tient d'abord à son manque d'attractivité , notamment auprès des jeunes .

L'industrie paraît en effet victime de stéréotypes parfois largement dépassés (travail à la chaîne, pénibilité, saleté, usine perçue comme un « lieu d'exploitation », etc.) ainsi que d'une culture tendant à dévaloriser le travail manuel . Pourtant, ainsi qu'il a été exposé, les usines d'aujourd'hui , et, a fortiori , celles de demain , n'ont et n'auront plus rien à voir avec ces clichés d'un autre temps qui font beaucoup de tort à un secteur qui devrait faire l'objet d'une véritable fierté nationale , comme c'est le cas en Allemagne.

La tendance des médias à se focaliser sur les entreprises en difficultés (plans sociaux, délocalisations, etc.) et à négliger les « success stories » , beaucoup plus nombreuses qu'on ne le croit, est également mise en avant par les acteurs du secteur, qui vont parfois jusqu'à déplorer un phénomène de « stigmatisation » de l'industrie , souvent présentée uniquement sous le prisme de la crise et du déclin .

Cette situation est d'autant plus regrettable que plus de 150 000 jeunes - « les décrocheurs » - quittent tous les ans le système scolaire sans aucune qualification alors que l'industrie est en mesure d'offrir des postes de travail de plus en plus intéressants et relativement bien rémunérés à tous les niveaux de qualification.

La mauvaise image des métiers de l'industrie auprès du grand public, fondée avant tout sur une profonde méconnaissance d'un secteur en pleine transformation , se traduit par une désaffection des filières de formation professionnelle et technologique à laquelle il est urgent de remédier.

(2) Un travail de revalorisation à entreprendre en rapprochant les entreprises industrielles de l'école

C'est un travail de revalorisation des métiers de l'industrie auprès des jeunes, de leurs familles, des conseillers d'orientation-psychologues (COP) de l'Éducation nationale, du corps enseignant et des conseillers de Pôle emploi, qu'il convient de mener sans relâche, ainsi que l'a souligné Philippe Varin lors de son audition par la mission, afin de leur faire comprendre que l'industrie constitue un débouché souvent bien plus valorisant et rémunérateur que nombre de métiers du secteur des services , qui bénéficient pourtant d'une image plus favorable.

Dans cette perspective, il est essentiel de rapprocher les acteurs de l'école du monde de l'entreprise , afin de faire en sorte que ces deux univers apprennent à mieux se connaître et se comprendre , en encourageant des initiatives telles que celles de la Fondation Croissance responsable (stages en entreprises de trois jours pour les professeurs des collèges et des lycées), de Classe en entreprise (organisation de visites scolaires dans des usines) ou bien encore Pro Pulsion Tour (sensibilisation des lycées et des collégiens aux réalités des métiers de l'industrie).

Lors de leur audition, les représentants du Symop - Syndicat des machines et technologies de production - ont mis en avant l'initiative « Smile » lancée par le syndicat du décolletage et de l'usinage dans la vallée de l'Arve, en Haute-Savoie, qui chaque année depuis dix ans crée une « usine éphémère » à destination de 2 000 collégiens de 14 à 15 ans afin de leur faire découvrir ce qu'est une usine au XXI e siècle. Selon eux, les effets sont flagrants : les écoles de formation aux métiers industriels de la région sont à nouveau pleines. Ce type d'initiatives, tout comme les visites d'usines en activité, mérite d'être encouragé.

Cette revalorisation passe également par des évolutions de l'offre de formation au lycée , aujourd'hui trop compartimentée entre formation générale d'un côté et formation professionnelle de l'autre.

(3) Mettre fin à la « fuite des cerveaux » dont souffre l'industrie

Lors de leur audition par la mission, le MEDEF, l'AFEP et la CPME ont déploré que de plus en plus de jeunes ayant suivi des formations d'excellence de l'enseignement supérieur qui les destinaient en principe à l'industrie soient désormais attirés par d'autres filières du secteur tertiaire - comme le conseil ou la finance - qui leur paraissent offrir de meilleures carrières et des rémunérations plus attractives. Sont notamment concernées par ce phénomène de « fuite des cerveaux » les grandes écoles d'ingénieurs , vivier traditionnel de l'encadrement des entreprises industrielles françaises.

Cette désaffectation, si elle devait s'amplifier, pourrait conduire certaines entreprises à déplacer une partie de leurs activités de conception dans la mesure où les pays émergents, contrairement au phénomène observé en France, forment de plus en plus d'ingénieurs et de techniciens supérieurs. Autre risque, identifié notamment par Croissance Plus lors de son audition : le désamour du métier d'ingénieur pourrait entraîner, à terme, la perte de la maîtrise des technologies et de l'innovation .

Il est donc important de préserver le modèle des grandes écoles d'ingénieurs , mais également celui des formations de techniciens (BTS) dont l'excellence est reconnue, tout en orientant davantage les jeunes qui en sont issus vers les métiers de l'industrie .

b) Développer massivement l'apprentissage, voie d'accès privilégiée à l'emploi stable et source de compétitivité pour les entreprises industrielles
(1) L'apprentissage, un formidable outil d'insertion professionnelle pour les jeunes

Le développement de l'apprentissage est depuis longtemps perçu comme un enjeu majeur pour lutter contre le chômage et améliorer les compétences des jeunes , alors que 1,3 million de jeunes Français de 16 à 25 ans ne sont ni en études, ni en formation, ni en emploi. Il constitue également la meilleure des manières de fournir à l'industrie les personnels dont elle a de plus en plus besoin à tous les niveaux de qualification .

Mais, en dépit des annonces des gouvernements successifs, la France peine à atteindre l'objectif de 500 000 apprentis qu'elle s'est fixé depuis 2013 et a même enregistré ces dernières années une diminution du nombre de signatures de contrats d'apprentissage . La France ne compte ainsi en 2018 que 400 000 apprentis , soit seulement 7 % des jeunes de 16 à 25 ans , contre 15 % en Allemagne , en Autriche ou en Suisse , pays dont le taux de chômage des jeunes est remarquablement bas.

55 % des apprentis français sont accueillis dans de très petites entreprises (TPE) de moins de onze salariés. En 2014, le salaire mensuel moyen annualisé d'un apprenti dans l'industrie était de 914 euros , contre 869 euros pour la moyenne des salaires des apprentis tous secteurs confondus.

L'enseignement professionnel en lycée et l'apprentissage sont tous les deux accessibles à la fin du collège et s'adressent aux mêmes publics, les lycées professionnels proposant un enseignement plus général, tandis que l'apprentissage confronte directement les apprentis , salariés de l'entreprise qui les emploie, au monde du travail et les prépare à travailler pour un secteur , voire pour une entreprise spécifique , en parallèle de la formation qu'ils reçoivent au sein des 995 centres de formation des apprentis (CFA).

Si les deux filières se sont parfois livrées une forme de concurrence, elles sont devenues ces dernières années de plus en plus complémentaires .

Devant votre mission d'information, Philippe Varin, président de France Industrie, a rappelé combien il était essentiel de poursuivre le rapprochement entre elles en mettant en avant le modèle de l'apprentissage , considérant qu'il s'agit là « d'une démarche incontournable pour augmenter significativement le nombre d'apprentis dans notre pays ». Elle l'est d'autant plus, selon lui, que « le succès , en termes d'emplois , de l'apprentissage est bien supérieur à celui de l'enseignement professionnel ».

De fait, l'insertion professionnelle des apprentis est bien plus favorable que celle des lycéens professionnels, puisque 70 % d'entre eux bénéficient d'un emploi sept mois après la fin de leurs études (dont 50 % dans l'entreprise qui les a accueillis en tant qu'apprentis), contre un peu moins de 50 % pour les élèves de lycées professionnels. En outre, près de 60 % des apprentis en emploi bénéficient d'un contrat à durée indéterminée (CDI) contre moins de 40 % des lycéens professionnels. Enfin, on estime que 30 à 40 % des apprentis créent leur propre entreprise , ce qui tend à démontrer que la formation très concrète qu'ils reçoivent développe également chez eux le goût d'entreprendre.

Cette excellente insertion s'explique par la parfaite adéquation entre les besoins des entreprises et la formation reçue par les apprentis . Ceux-ci peuvent apprendre des métiers en tension (soudeurs, chaudronniers, charpentiers, électriciens, etc.) et bénéficier du transfert de compétences des salariés expérimentés sur des savoirs faire très précis et exigeants, tout en s'imprégnant de la culture de l'entreprise qui les forme.

Parmi les récentes innovations présentées à votre mission figure le développement de parcours d'apprentissage partagés entre grandes entreprises et PME/TPE au sein de certaines filières . Le groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales (GIFAS) a ainsi mis en place un dispositif qui permet à un apprenti d'être accueilli dans une entreprise différente de celle qui l'emploie (en général, un grand groupe) pendant 50 % au maximum de la durée de son contrat de travail, l'entreprise d'accueil étant la plupart du temps une PME.

Cette excellente initiative, qui devrait être prochainement adoptée par la filière automobile, permet aux apprentis de démontrer leurs qualités auprès de deux employeurs potentiels et de découvrir le fonctionnement des PME.

(2) Donner à l'apprentissage, toujours sous-développé en France, toute la place qu'il mérite, en particulier dans l'industrie

Toutefois, en dépit des améliorations apportées au statut des apprentis par les réformes successives, l'apprentissage demeure insuffisamment développé et encouragé dans l'industrie , puisque celle-ci n'accueille actuellement que 250 000 apprentis environ . Signe parmi d'autres des difficultés rencontrées par notre système d'apprentissage, le nombre des formations d'apprentis de niveau V a reculé de 22 % depuis 1982, alors que de nombreux secteurs industriels (automobile, sidérurgie, métallurgie, etc.) sont à la recherche de ce type de compétences très opérationnelles .

Là encore, l'apprentissage souffre d'une forme de dévalorisation culturelle de la part des familles et des enseignants : cette filière d'excellence est perçue, à tort, comme une filière destinée aux jeunes en situation d'échec scolaire. Pour battre en brèche cette idée reçue, l'apprentissage doit faire l'objet d'une promotion active de la part des régions , à travers des journées d'information sur les métiers et les filières, au collège comme au lycée.

Du reste, Régions de France a déploré lors de son audition par la mission que les régions ne puissent à l'heure actuelle avoir autorité sur l'ensemble des acteurs de l'orientation scolaire, de façon à rendre celle-ci plus efficace. À tout le moins, une meilleure coordination des acteurs serait pourtant nécessaire , alors que, selon la même association, le constat est unanime sur la faiblesse de l'orientation en France , ce qui est d'autant plus dommageable qu'il s'agit là d'un outil décisif pour développer l'apprentissage .

Il est aussi urgent de rendre le statut d'apprenti plus attractif pour les jeunes.

Les mesures récemment annoncées par le Gouvernement - accès possible à l'apprentissage jusqu'à 30 ans , hausse de la rémunération des apprentis de 30 euros nets par mois, aide de 500 euros pour passer le permis de conduire , prolongation de six mois de la formation au sein du CFA en cas d'interruption du contrat d'apprentissage en cours d'année, développement de prépa-apprentissages - constituent un premier pas dans ce sens .

Il faut également faire en sorte que les entreprises atteignent leurs quotas d'alternants , ce qui n'était pas le cas de 88 % d'entre elles en 2012, et que les entreprises ayant des pratiques exemplaires en matière d'apprentissage soient valorisées, le cas échéant grâce à des labels, comme c'est le cas dans le secteur automobile avec le label Lafam. Or, la complexité de l'embauche d'un apprenti aujourd'hui, ainsi que les difficultés et lourdeurs qu'occasionne la gestion de la relation d'apprentissage, constituent de puissants freins au développement de l'apprentissage, en particulier dans les PME.

Dans cette perspective, il convient de rendre plus simple et lisible le système de l'apprentissage pour l'ensemble des acteurs et d'y introduire beaucoup plus de flexibilité en développant notamment les passerelles entre apprentissage et lycées professionnels, en ciblant les aides aux entreprises sur les TPE et les PME et, surtout, en mettant en place, au sein des centres de formation des apprentis (CFA) des formations qui répondent au mieux aux besoins des entreprises industrielles . À cet égard, il faut envisager la création de « classes d'excellence » pour former aux meilleures pratiques professionnelles dans le domaine de l'industrie.

Proposition n° 18 : Simplifier et rendre plus flexible le système d'apprentissage, en renforçant l'implication des entreprises industrielles et des pôles de compétitivité dans le contenu des formations.

Sur ce point, la mission a pu constater combien le système d'apprentissage en France était éloigné des entreprises en comparaison de ce qu'il peut être en Allemagne. Ainsi qu'elle a pu s'en rendre compte lors de son déplacement à Munich, ce sont, outre-Rhin, les entreprises - via les chambres consulaires - qui administrent l'apprentissage. La chambre de commerce et d'industrie locale - l'IHK de Munich - gère ainsi 350 formations d'apprentissage en intervenant à tous les niveaux : agrément des entreprises, enregistrement des contrats d'apprentissage, contrôle de la relation d'apprentissage, évaluation des aptitudes des apprentis en vue de leur embauche au terme du contrat. Selon Bertram Brossardt, directeur général de l'organisation patronale bavaroise VBW, rencontré également à Munich, ce système assure une formation d'excellence parfaitement adaptée au marché de l'emploi.

Dans ce domaine, les représentants de la direction générale de l'emploi et de la formation professionnelle (DGEFP) ont attiré l'attention de la mission sur les campus des métiers et qualifications (CMQ) , structures associant l'État, les régions et les branches professionnelles pour proposer aux jeunes des allers-retours entre lycées professionnels et CFA . Il convient d'encourager leur développement et leur création là où ils n'existent pas encore, 77 CMQ ayant été labellisés à ce jour à la suite de quatre appels à projets.

LES CAMPUS DES MÉTIERS ET DES QUALIFICATIONS (CMQ)

Les campus des métiers et des qualifications regroupent des acteurs de la formation professionnelle autour d'une filière économique. Ils peuvent rechercher des synergies entre des lycées professionnels et polyvalents, des centres de formation des apprentis, des organismes de formation, des établissements d'enseignement supérieur, des laboratoires de recherche ainsi que des entreprises. Regroupant en un même lieu et/ou en réseau des établissements d'enseignement secondaire et d'enseignement supérieur, il associe, au sein d'un partenariat renforcé, des entreprises, des laboratoires de recherche et des associations à caractère sportif et culturel . Il comprend au moins un établissement public local d'enseignement.

Ils sont construits autour d'un secteur d'activité d'excellence correspondant à enjeu économique national ou régional soutenu par la collectivité et les entreprises (pôles de compétitivité, développement de nouvelles filières industrielles...) : aéronautique, bâtiment et travaux publics, énergies nouvelles, numérique, métallurgie, etc.

Ils proposent aux jeunes des pôles d'excellence offrant une gamme de formations générales, technologiques et professionnelles jusqu'au plus haut niveau, dans un champ d'activités d'avenir. Ils permettront aux entreprises d'embaucher des salariés bien formés et favoriseront le développement économique régional et l'insertion professionnelle des jeunes.

Les liens privilégiés avec les entreprises locales facilitent l'accueil des élèves pour leur formation en entreprise et la formation continue des salariés. Ils favorisent également la réalisation de prototypes, en mettant des plateaux techniques à disposition du campus. C'est un lieu propice à l'innovation technologique sous toutes ses formes et aux transferts de compétences.

Afin de favoriser les parcours des élèves jusqu'aux diplômes de l'enseignement supérieur, les Campus des métiers et des qualifications facilitent la mixité des parcours, permettant aux jeunes d'adopter différents statuts tout au long de leur formation : scolaire, apprentissage, voire stagiaire de la formation professionnelle.

Source : ministère de l'éducation nationale.

Si votre mission soutient les orientations portées par le projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel qui vont dans ce sens , elle forme surtout le voeu que le Gouvernement parvienne enfin, grâce aux nouveaux outils que ce projet de loi mettra à sa disposition, à donner dans les faits à l'apprentissage toute la place qu'il mérite comme voie d'accès à un emploi stable dans notre pays , ce qui impliquera, dans un premier temps, d'atteindre enfin l'objectif de 500 000 apprentis depuis trop longtemps attendu.

Proposition n° 19 : Développer les outils pédagogiques rapprochant les jeunes de métiers d l'industrie, notamment :

- en favorisant l'essor des campus des métiers et des qualifications et en créant des « classes d'excellence » ;

- en prenant appui sur les écoles d'entreprises pour développer l'offre de formation au niveau de la filière, là où ces établissements existent déjà, et favoriser la création de ce type d'établissements dans les filières qui en sont à ce jour dépourvues.

Enfin, l'intérêt des écoles d'entreprises ne doit pas être méconnu. Certaines grandes entreprises ont en effet, afin de faciliter le recrutement dans certains métiers, créé elles-mêmes des écoles destinées à former aux métiers de l'entreprise. Les écoles d'Airbus ou de Michelin en sont les exemples les plus emblématiques.

L'école d'enseignement technique Michelin (EETM), créée en 1949, propose ainsi, à l'issue des classes de troisième ou de terminale, des formations professionnelles adaptées aux exigences de l'industrie. Les élèves y bénéficient d'un enseignement gratuit, dispensé sur un plateau technique industriel équipé de machines pédagogiques et professionnelles. Situé au sein d'un des sites industriels d'Airbus, le « lycée Airbus » quant à lui - Lycée professionnel privé des métiers de l'aéronautique - propose des formations du baccalauréat professionnel au BTS dans quatre métiers principaux : l'avionique, la structure des aéronefs, la chaudronnerie et l'usinage.

Néanmoins, seules des entreprises suffisamment importantes pour absorber les promotions qui sortent de ces écoles et ayant une assise financière très conséquente peuvent se permettre de mettre en place de tels outils. Il faut donc renforcer l'offre de formation au niveau de la filière , là où ces établissements existent déjà, et favoriser la création de ce type d'établissements dans les filières qui en sont à ce jour dépourvues.

Sur ce point, la mission tient à souligner l'intérêt du projet de « Plateforme de Formation à la mécanique du futur » en Ile-de-France, évoqué par Michel Déchelotte, directeur des affaires institutionnelles de ce groupe à l'occasion de son audition. Compte tenu des graves difficultés de recrutement de la société Safran Aircraft Engines et des sociétés du secteur de la mécanique dans l'Essonne et en Seine-et-Marne, s'est fait jour la nécessité d'un site de formation ad hoc destiné à donner les qualifications requises, ce qui a abouti à la création de cette « Plateforme », opérationnelle au printemps 2019.

c) La formation tout au long de la vie doit rapidement se moderniser pour faire face aux défis qui l'attendent
(1) La formation tout au long de la vie, élément déterminant pour adapter les compétences professionnelles à l'industrie du futur

L'industrie du futur va devoir s'appuyer sur des salariés toujours plus autonomes et capables d'acquérir de nouvelles connaissances tout au long de leur vie professionnelle, de maîtriser de nouvelles procédures et de superviser des machines très sophistiquées . Des besoins nouveaux se feront sentir, notamment en matière de diagnostics opérationnels , d'expertise technique , de maintenance ou de traitement de matériaux .

La formation initiale reçue par les salariés, quelle que soit sa qualité, ne suffira donc pas à maintenir leur employabilité au cours de leur carrière professionnelle , compte tenu de l'accélération des changements technologiques . Elle devra être complétée tout au long de la vie afin de permettre l'assimilation de nouvelles compétences et qualifications , dont certaines sont aujourd'hui impossibles à prévoir et à anticiper.

Dans cette perspective, deux points apparaissent cruciaux pour votre mission : disposer d'une vision claire des besoins en compétence, puis mettre en regard de ces besoins une formation professionnelle efficace.

Le premier défi est de construire une cartographie précise, au plus près du terrain, des besoins nouveaux générés par les mutations technologiques de l'industrie.

Cette tâche relève d'abord de l'action des filières , et notamment des organisations d'employeurs, le cas échéant avec l'appui, au niveau local, des pôles de compétitivité .

Lors de leur audition, les représentants de la DGEFP ont souligné l'existence d'un contrat stratégique de filière sur ce point dans les industries automobiles et aéronautiques. Par ailleurs, plusieurs filières se sont engagées dans une démarche de recensement, notamment dans le cadre des observatoires de l'emploi qu'elles ont créés. Tel est le cas, par exemple, de l'Observatoire de la métallurgie, qui a dressé en 2015 une cartographie concernant la filière du matériel roulant ferroviaire.

La DGEFP accompagne d'ailleurs les branches professionnelles des filières industrielles à travers un outil spécifique - l'accord de développement de l'emploi et des compétences (EDEC) - qui permet de construire, dans le cadre d'un dialogue social, un plan d'action pour accompagner les entreprises et leurs salariés dans les impacts des mutations économiques. Des plans d'actions sont ainsi en cours dans les secteurs du service à l'automobile, de la métallurgie - dans le cadre d'un accord avec l'Union des industries métallurgiques et minières (UIMM) -, du bois papier carton, de l'industrie textile mode cuir et de la fibre optique. Des actions du même type sont programmées dans le domaine de la chimie, des industries de santé, et de l'aéronautique.

Proposition n° 20 : Favoriser la mise en place d'une cartographie plus fine des besoins de l'industrie en matière d'évolution des compétences au niveau des territoires et des bassins d'emploi, en s'appuyant notamment sur les pôles de compétitivité.

Mais une cartographie par filière, même régionale, ne saurait suffire. Il est également indispensable que chaque entreprise puisse clairement déterminer, au regard de l'introduction des nouvelles technologies dans ses process de production, les types de compétences qu'elle devra favoriser dans l'emploi. Or, comme l'ont mis en exergue les représentants de la DGEFP en audition, si les grandes entreprises disposent d'outils basés notamment sur des algorithmes, tel n'est pas le cas des PME. Il est donc important que les branches professionnelles, le cas échéant en lien avec les régions et les services déconcentrés de l'État, développent des outils pour les accompagner et favoriser les coopérations entre entreprises.

La démarche initiée par le comité stratégique de filière aéronautique constitue un bon exemple de mobilisation d'un secteur en forte croissance et en proie à des difficultés de recrutement, en particulier dans les PME sous-traitantes dans les métiers de l'usinage, de l'ajustage, du câblage, de la chaudronnerie, du traitement de surfaces ou du contrôle.

Sa feuille de route « Réponses aux difficultés d'emploi dans les métiers de production en tension dans l'aéronautique », réalisée sur la base d'un diagnostic des métiers en tension, a en effet permis depuis 2015 de renforcer significativement la coopération entre les entreprises, Pôle emploi, les centres de formation, les représentants de l'État et les conseils régionaux dans les principaux bassins d'emploi de la filière aéronautique pour recueillir les besoins en ressources humaines des entreprises et construire avec elle des réponses à leurs problèmes . Parmi les principales actions territoriales décidées dans ce cadre, peut notamment être citée la mise en place par Pôle Emploi depuis le second semestre 2015 de 4 500 correspondants aéronautiques parmi ses conseillers, à même d'apporter des solutions personnalisées aux entreprises de la filière.

Une fois les besoins clairement déterminés, il faut que le système de formation professionnelle soit orienté afin de les satisfaire. Or, en dépit de son coût très élevé pour les finances publiques - plus de 30 Md€ -, le système français demeure inefficace et inégalitaire , les formations tout au long de la vie bénéficiant aux cadres bien plus qu'aux demandeurs d'emploi ou aux ouvriers.

Pourtant, il est capital de concentrer l'effort de formation sur les plus bas niveaux de qualification pour permettre une véritable montée en gamme du tissu industriel français . Le système de formation professionnelle a également un rôle très important à jouer pour accompagner les demandeurs d'emploi et les salariés en reconversion professionnelle , un phénomène qui va s'accélérer sous l'effet des mutations de l'appareil productif.

Il s'agit de permettre l'acquisition de compétences qui pourront être utilisées dans d'autres secteurs industriels et de créer ainsi des passerelles , par exemple entre les secteurs de l'automobile et de la construction aéronautique. Il ne faut plus développer uniquement des formations utiles à une seule branche, mais raisonner « interbranches » , comme l'a souligné l'association Croissance Plus lors de son audition.

Les demandeurs d'emploi, et en particulier ceux qui sont les plus éloignés de l'emploi, constituent un gisement de main-d'oeuvre pour les entreprises industrielles qui est encore largement sous-exploité alors qu'il pourrait pourtant résoudre en partie les difficultés de recrutement qu'elles rencontrent. Certains dispositifs existent néanmoins, qu'il convient d'encourager :

- les groupements d'employeurs pour l'insertion et la qualification (GEIQ) proposent ainsi des solutions innovantes en recrutant des demandeurs d'emploi à qui ils font suivre une formation en alternance et offrent un accompagnement social et professionnel ;

- la préparation opérationnelle à l'emploi (POE) , qui permet à une entreprise de bénéficier d'une aide financière pour former un demandeur d'emploi en vue de lui faire acquérir les compétences nécessaires pour lui permettre d'occuper un poste donné.

Par ailleurs, l'action « Adaptation et qualification de la main-d'oeuvre » du PIA 3 (100 M€) permet de soutenir les projets d'ingénierie de formation.

(2) Un système à moderniser d'urgence et qui devra se concentrer sur les moins qualifiés et sur les jeunes

La loi n° 2014-288 du 5 mars 2014 relative à la formation professionnelle, à l'emploi et à la démocratie sociale a créé le compte personnel de formation (CPF) , qui permet aux salariés de mobiliser jusqu'à 150 heures de formation par an, financées par une contribution spécifique de l'entreprise. Les droits acquis au titre du CPF sont obligatoirement réservés au financement de formations qualifiantes et certifiantes.

Le projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel prévoit que tous les salariés à temps complet verront désormais leur compte personnel de formation crédité de 500 euros par an , plafonnés à 5 000 euros, et que les droits des personnes sans qualification seront majorés par rapport à ceux des autres salariés, avec un crédit de 800 euros par an plafonné à 8 000 euros. Les salariés à temps partiel bénéficieront des mêmes droits que ceux qui travaillent à temps plein.

La mission se félicite de cette évolution du CPF , dans la mesure où elle devrait permettre aux salariés, et notamment à ceux de l'industrie, d'utiliser davantage cet outil pour améliorer leurs compétences . Le fait que les personnes dépourvues de qualification, relativement nombreuses dans l'industrie, bénéficient de droits supplémentaires va également dans le bon sens.

Parallèlement, le Plan d'investissement dans les compétences (PIC) , auquel participeront les régions, prévoit de former un million de demandeurs d'emploi peu qualifiés et un million de jeunes éloignés de l'emploi supplémentaires pendant le quinquennat . Il bénéficie de 15 Md€ d'investissements et devrait mobiliser massivement les outils numériques.

Selon Estelle Sauvat, Haut-Commissaire à la transformation des compétences entendue par la mission, ce plan pluriannuel ne se substituera pas à des moyens existants mais permettra de dégager des ressources additionnelles à celles dont bénéficient déjà les publics visés .

LE HAUT-COMMISSARIAT À LA TRANSFORMATION DES COMPÉTENCES
ET LE PLAN D'INVESTISSEMENT DANS LES COMPÉTENCES

Le Haut-commissariat , qui s'appuie principalement sur les services et opérateurs du ministère du travail, dialogue étroitement avec le SGPI, et associe à ces travaux une dizaine de ministères, est chargé de deux missions :

- conduire le plan d'investissement dans les compétences, qui vise à la fois la formation et l'accompagnement vers l'emploi de deux millions de jeunes et de demandeurs d'emploi peu qualifiés, mais aussi l'accélération de la transformation du système de formation professionnelle ;

- développer la future interface numérique du compte personnel de formation, qui va évoluer avec le projet de loi « pour la liberté de choisir son avenir professionnel ».

Le Plan d'investissement dans les compétences est pluriannuel , ce qui favorisera l'adhésion des acteurs et leur transformation, là où les Plans précédents étaient toujours ponctuels. Il est additionnel aux engagements habituels des parties prenantes, dont les conseils régionaux, avec des mécanismes pour vérifier qu'il n'y a pas de substitution. Il est ciblé vers les moins qualifiés : en 2018, les « conventions d'amorçage » visent spécifiquement les jeunes et demandeurs d'emploi sans aucun diplôme. Il promeut les parcours personnalisés et intégrés , à concevoir à partir des actifs eux-mêmes, plutôt qu'une approche par les dispositifs, qui sont toujours cloisonnés les uns vis-à-vis des autres. Il intervient d'une manière systémique , avec une palette de programmes complémentaires : progresser dans l'analyse du besoin en compétences de l'économie, pour mieux concevoir le conseil aux demandeurs d'emploi et l'offre de formation à eux destinés ; mieux repérer et remobiliser les plus éloignés de l'emploi ; mieux les accompagner au fil de parcours mieux dessinés.

Il investit aussi dans la modernisation des systèmes d'information d'une part, dans un pilotage rigoureux et la conduite d'évaluations contrefactuelles, pour bien mesurer l'impact du Plan et de ses composantes.

Source : Haut-commissariat à la transformation des compétences.

Votre mission salue cette démarche. Elle forme le voeu que les formations dispensées soient véritablement qualifiantes et prioritairement orientées vers l'industrie , dont les besoins de main-d'oeuvre sont importants et qui est en mesure d'offrir des perspectives professionnelles de grande qualité à des publics jusqu'ici éloignés de l'emploi .

Elle souhaite également qu'un soin particulier soit apporté à l'innovation pédagogique et au développement des formations en ligne (mise en place de MOOC, utilisation de la réalité augmentée, etc.).

Proposition n° 21 : Faire des métiers de l'industrie un axe prioritaire du Plan d'investissement dans les compétences.

3. Progresser davantage dans l'accompagnement des entreprises vers l'export
a) Les enjeux de l'accompagnement public à l'export

L'accompagnement à l'export complète les politiques de redressement de la compétitivité et permet d'en exploiter toutes les potentialités

La faiblesse des performances françaises à l'exportation ne s'explique pas principalement par l'absence ou le manque d'efficacité des outils publics d'accompagnement sur les marchés extérieurs. Elle a d'abord des causes économiques structurelles : manque de compétitivité prix et hors prix, innovation insuffisante ou encore atrophie de la base exportatrice du fait d'une désindustrialisation très avancée et d'un trop faible nombre d'ETI et de grosses PME. Le renforcement de la capacité des entreprises françaises à lutter contre leurs concurrentes étrangères sur les marchés mondiaux passe donc avant tout par le traitement de ces insuffisances économiques structurelles précédemment exposées 81 ( * ) .

Pour autant, même si c'est de façon relativement secondaire par rapport à l'impact de ces variables structurelles, la performance à l'export est également liée à un ensemble assez disparate de facteurs psychologiques, culturels et institutionnels qui interviennent dans le choix des firmes de s'engager (ou pas) dans une stratégie de développement à l'international. Exporter suppose en effet de surmonter une multitude de difficultés qui ne se rencontrent pas, ou pas avec la même acuité, sur le marché domestique, et qui constituent autant de sources de coûts ou de risques, et donc de freins, pour l'entreprise exportatrice : obstacle de la langue, manque de familiarité avec les règles juridiques locales, surcroît de formalités administratives, méconnaissances des pratiques et des réseaux économiques des pays tiers, difficultés à percevoir les attentes implicites des clients et des partenaires, risque de change, délais de paiement rallongés, gestion d'une logistique plus complexe ou encore dépenses en vue de développer une présence commerciale locale.

De surcroît, ces coûts et ces risques doivent généralement être supportés par les entreprises exportatrices longtemps avant qu'elles n'engrangent un hypothétique retour sur investissement.

Si les grands groupes sont relativement bien armés pour gérer cette complexité et financer des investissements à haut risque et à retour lent, les PME et les ETI peuvent en revanche se trouver démunies pour surmonter les barrières à l'export et être dissuadées de s'engager à l'international , alors même qu'elles disposeraient d'atouts pour y réussir. C'est tout l'enjeu des dispositifs publics d'accompagnement de réduire ces obstacles pour que les PME et les ETI acceptent d'envisager l'export comme une stratégie gagnante.

(1) La faiblesse endémique des PME et des ETI françaises à l'export

Il semble que le sous-investissement à l'export des PME et des ETI soit particulièrement marqué en France .

De façon générale, le nombre d'entreprises exportatrices dans notre pays est faible par rapport à ce qui s'observe dans des pays comparables. On compte aujourd'hui environ 125 000 exportateurs de biens en France . C'est mieux qu'au début des années 2010, où ce nombre avait atteint un point bas à 116 000 entreprises, mais c'est très en deçà des 131 000 du début des années 2000, quand la France avait encore un commerce extérieur excédentaire.

C'est surtout un nombre sensiblement inférieur à celui de l'Allemagne (360 000) ou de l'Italie (200 000) 82 ( * ) .

ÉVOLUTION DU NOMBRE DES ENTREPRISES EXPORTATRICES DEPUIS LA FRANCE

Source : DG Trésor

Non seulement le nombre des entreprises exportatrices françaises est faible, mais une grande majorité d'entre elles ont une activité à l'export irrégulière (présence discontinue à l'international 83 ( * ) ) ou d'un montant très réduit . Selon les chiffres de Business France, seulement 8 000 ETI et PME sont très fortement présentes à l'international et 12 000 y développent une activité régulière et soutenue, soit un total de 20 000 entreprises, alors qu'on dénombre dans le même temps 50 000 PME faiblement exportatrices, 55 000 PME exportatrices irrégulières et 250 000 PME non exportatrices. Certes, dans tous les pays, les exportations sont fortement concentrées sur un nombre réduit d'opérateurs (les plus gros, les plus productifs et les plus innovants), mais en France cette concentration est extrême : 5 % des entreprises exportatrices françaises réalisent 90 % des exportations contre 80 % 84 ( * ) en Allemagne

RÉPARTITION DES ETI/PME SELON LEUR RAPPORT À L'EXPORTATION

Source : Business France

Il y a donc un enjeu réel pour la France à encourager la projection de ses PME et de ses ETI à l'export afin de les rapprocher du niveau de leurs concurrentes italiennes ou allemandes, du moins dans les secteurs où le ticket d'entrée à l'international n'est pas trop élevé en termes de taille critique ou d'intensité capitalistique 85 ( * ) .

Plus spécifiquement pour le secteur de l'industrie, qui est déjà le secteur moteur de l'appareil exportateur avec 70 % des exportations françaises , le développement à l'international constitue davantage qu'une opportunité : c'est une absolue nécessité. Le marché domestique n'a en effet pas (ou plus) suffisamment de profondeur ni de dynamisme pour soutenir le développement des entreprises industrielles et l'étranger constitue donc un relais de croissance indispensable . Il n'y a encore d'avenir pour l'industrie en France que si les entreprises industrielles françaises internationalisent leurs débouchés.

COMMERCE EXTÉRIEUR PAR GROUPES DE PRODUITS EN 2015

Source : Insee Références, 2017 - Échanges extérieurs

(2) Rompre l'isolement des PME et des ETI industrielles : un défi pour le service public de l'export

La réussite à l'export est très rarement une réussite individuelle et ce pour une raison micro-économique évidente : lorsqu'on s'engage seul à l'export, on supporte seul la totalité des coûts inhérents aux exportations, alors que si l'on s'y engage collectivement, il est possible de mutualiser ces coûts et donc de réduire significativement le niveau individuel de dépenses supportées par chaque firme.

Il est frappant à cet égard de constater que les entreprises françaises qui exportent sont très fréquemment intégrées à un groupe . Au cours de la décennie 2004-2014, le poids des groupes dans les exportations de la France s'est du reste accru alors qu'il était déjà très élevé dans la période précédente. Les groupes représentent désormais environ la moitié du nombre total des exportateurs, et 99 % de la valeur des exportations, contre 96,5 % en 2004.

On peut observer également que les pays qui réussissent le mieux à l'export disposent de tissus productifs organisés sur un mode coopératif . Le Mittelstand allemand et les districts italiens favorisent en effet les échanges « horizontaux » d'informations et de conseils entre les firmes qui les constituent, comme l'a notamment souligné lors de sa rencontre avec la délégation de la mission à Munich Sylvaine Bruneau, présidente des Conseillers français du commerce extérieur en Bavière. Partager ses expériences et ses contacts permet de réduire de manière très significative les coûts individuels de la prospection internationale, de l'acclimatation aux environnements culturels et juridiques étrangers et de la constitution de réseaux de partenaires locaux.

Par opposition à ces deux pays, la France se caractérise par la réticence des entreprises françaises à coopérer entre elles, comme l'a souligné M. Louis Schweitzer devant votre mission d'information 86 ( * ) . Cette approche individualiste est sans doute une des explications à leur faible propension à s'engager dans un développement international.

Pour cette raison, la mise en place d'outils publics d'accompagnement à l'export performants constitue un enjeu particulièrement important pour notre pays : l'intervention publique doit y compenser un isolement des entreprises plus marqué qu'ailleurs.

En même temps, il est clair que le caractère non coopératif du tissu productif français pèse en retour sur l'efficacité du dispositif d'accompagnement à l'export, indépendamment des qualités intrinsèques de ce dernier. Il est sans doute nécessaire de travailler simultanément sur deux tableaux pour franchir un palier significatif dans la projection à l'international des PME et des ETI françaises : d'un côté, améliorer le fonctionnement d'un dispositif d'appui à l'export qui souffre encore de graves insuffisances ; de l'autre, pallier un défaut de coopération qui caractérise les entreprises françaises en général. Améliorer le service public de l'export passe aussi par le développement des logiques de clusters , des pôles de compétitivité et des coopérations intra filières en veillant à ce que l'appui à l'export soit systématiquement intégré ou articulé avec le développement de ces coopérations horizontales interentreprises.

b) La difficile mise en place d'un dispositif public d'appui à l'export efficace

On le sait : le système français d'appui à l'export est historiquement fragmenté. Il s'appuie aujourd'hui encore sur cinq acteurs principaux : Business France, Bpifrance, les régions, les chambres de commerce et d'industrie (CCI) en France et le réseau associatif des CCI à l'international. S'y ajoutent une myriade d'acteurs privés ou publics. C'est pourquoi la mise en place d'un dispositif simple, lisible et efficace est un objectif stratégique de l'État depuis plus de quinze ans.

Si d'indéniables progrès ont été accomplis dans le rapprochement des structures pilotées par l'État, l'architecture d'ensemble du dispositif demeure cependant excessivement complexe : s'appuyant sur des légitimités concurrentes, les différents acteurs ont jusqu'ici tenté de se coordonner en signant des conventions qui définissent le rôle de chacun sur le papier, sans vraiment parvenir, sur le terrain, à mettre en oeuvre une stratégie partagée ni à coopérer de façon efficace.

Le 23 février 2018, le Gouvernement a donc annoncé une nouvelle réforme visant à mettre un terme à ces jeux non coopératifs entre régions, opérateurs de l'État, CCI de France, CCI de l'étranger et acteurs privés. Cette réforme, à la différence des précédentes, semble naître sous de bons auspices dans la mesure où elle a été élaborée dans le cadre d'une étroite collaboration entre les principaux acteurs du service public de l'export.

(1) Une rationalisation effective de l'intervention des opérateurs de l'État
(a) La concentration progressive des opérateurs de l'État

L'État, qui exerce une influence déterminante sur une partie des acteurs de la chaîne de l'accompagnement à l'export, a utilisé les leviers législatifs, réglementaires et financiers pour réaliser, par étapes, autour de Business France et de Bpifrance, une rationalisation partielle du dispositif national d'appui à l'export.

Le point de départ de la rationalisation du commerce extérieur est la réforme de 2008 par laquelle le Gouvernement a fait d'UbiFrance le pivot du dispositif français d'appui à l'export . L'agence 87 ( * ) s'est alors vue doter de son propre réseau de chargés d'affaires par dévolution des missions économiques qui étaient jusque-là gérées par la direction générale du Trésor.

L'objectif était de placer Ubifrance au centre d'une « chaîne de l'accompagnement » dans laquelle les autres acteurs historiques de l'accompagnement des entreprises seraient maintenus mais incités à coopérer avec l'opérateur de l'État en se spécialisant sur un segment précis de cette chaîne : en amont, les CCI, qui sont bien implantées sur l'ensemble du territoire, auraient pour mission d'identifier les exportateurs potentiels ; en aval, les chambres de commerce et d'industrie françaises à l'étranger (CCIFE) seraient chargées d'un rôle d'appui en phase d'installation ou de développement sur le marché considéré. Quant à Ubifrance, le Gouvernement lui donnait pour mission de déployer une gamme de services pour accompagner les entreprises dans leurs premiers pas sur les marchés étrangers : informations sur les marchés, missions de prospections à l'étranger, organisation de salons, de forums et de rencontres d'affaires, invitations d'acheteurs étrangers en France, mise en avant de l'offre française sur le web, communication dans la presse spécialisée et offre de solutions en ressources humaines avec la gestion du volontariat international en entreprises.

La publication de l'ordonnance n° 2014-1555 du 22 décembre 2014 marque une deuxième étape importante dans la mise en ordre du dispositif étatique d'accompagnement à l'export : le Gouvernement procède alors à la création de Business France , rapprochement de l'Agence française pour les investissements internationaux (AFII) et d'Ubifrance, avec l'objectif de créer des synergies entre les métiers « Export », qui correspondaient aux missions traditionnelles d'Ubifrance, et les métiers « Invest », qui relevaient de la compétence de l'AFII. En effet, une part importante des exportations françaises, plus de 30 %, sont réalisées par des entreprises étrangères installées en France. Attirer les investissements étrangers en France permet donc à terme de renforcer le potentiel exportateur du pays.

Grâce à la fusion, les entreprises étrangères accompagnées pour s'installer et produire en France se voient désormais proposer la gamme des mesures d'accompagnement export pour se projeter dans le monde, et en Europe en particulier, à partir de leur implantation française. Inversement, les clients étrangers des exportateurs français sont systématiquement démarchés en vue d'encourager leurs projets d'installation en France.

Puis, le 1 er janvier 2017, Business France a également repris les activités d'accompagnement « B2B » (salons et expositions) de la Sopexa , dont les collaborateurs ont été intégrés dans les équipes de Business France. L'agence est ainsi devenue l'unique opérateur de l'État pour accompagner les 4 000 entreprises du secteur agroalimentaire sur les marchés internationaux.

(b) Le renforcement du rôle de Bpifrance à l'export

Bpifrance exerce aujourd'hui un rôle renforcé à l'export à la suite d'une double évolution.

En premier lieu, un partenariat a été initié en 2011 entre Business France et Bpifrance en vue de simplifier les offres de Bpifrance export et l'accompagnement à l'export des PME de croissance et des ETI .

Ce partenariat a été renouvelé et a pris une nouvelle dimension avec le déploiement, à compter de 2013, de chargés d'affaires internationaux (CAI) de Business France dans les délégations régionales de Bpifrance. Ces collaborateurs sont employés par Business France mais travaillent dans les locaux de la banque publique. Aujourd'hui au nombre de 45, ils ont pour mission d' apporter un accompagnement personnalisé, ciblé sur les ETI et les PME possédant un fort potentiel de croissance à l'international .

Bpifrance, dont l'une des missions est de financer les PME et les ETI de croissance, est naturellement au contact des entreprises dotées d'une forte capacité d'expansion à l'international. Elle est donc idéalement placée pour identifier les entreprises que Business France a pour mission d'accompagner sur les marchés étrangers. Rapprocher le personnel de Business France et de Bpifrance est ainsi un moyen simple d'offrir un guichet unique pour ces entreprises à fort potentiel, guichet unique qui fonctionne d'autant mieux que Business France et Bpifrance ne sont pas concurrentes l'une de l'autre, ni sur le plan de la légitimité ni sur le plan commercial.

Grâce à ce partenariat, Bpifrance joue désormais un rôle majeur dans la détection des entreprises potentiellement exportatrices, comme l'illustre le tableau suivant.

Nombre d'entreprises ayant démarré un plan d'action international avec un chargé d'affaires internationales de Business France

2013

91

2014

391

2015

730

2016

1101

2017

1409

Source : Questionnaires budgétaires 2017 et 2018.

Cette coopération entre Bpifrance et Business France, qui est un véritable succès, doit être pérennisée et renforcée . À cet égard, il est important que la réforme du dispositif d'appui à l'export qui vient d'être décidée par le Gouvernement ne la perturbe pas . Pour un coût très réduit, de l'ordre de 4,5 M€ par an 88 ( * ) , elle offre en effet aux entreprises cible un service complet, alliant aide à la prospection et offre de produits de financement-export sur mesure. C'est donc l'ensemble des freins à l'export qui peuvent être identifiés et traités simultanément, avec une efficacité remarquable : 65 % des entreprises accompagnées dans le cadre du réseau CAI ont vu leur chiffre d'affaires à l'export augmenter et cette progression est, en moyenne, de 4,65 M€ par entreprise.

Pour aller plus loin dans le renforcement de cette coopération, après avoir entendu Business France, la mission d'information demande que soit envisagée la création à Bpifrance d'une direction de l'international unique en miroir de la cellule pilotage du département « CAI » au sein de Business France . La cellule de pilotage Business France doit en effet traiter avec de multiples directions au sein de Bpifrance : la direction des financements Export, la direction de l'innovation et son pôle « Immersion international », la direction de l'innovation et ses divers programmes (Hub, Bpifrance Investissements, Bpifrance Excellence, Pilotage des Accélérateurs...), ainsi que la direction de l'international et de l'Université.

Par ailleurs, il pourrait être pertinent de travailler à développer les synergies entre les activités « Investissement et Financement » de Bpifrance et la branche « Invest » de Business France : les outils Bpifrance devraient faire partie du pack « Attractivité » de Business France Invest lorsque les investisseurs sont éligibles.

Proposition n° 22 : Renforcer encore les synergies entre Business France et Bpifrance, notamment en créant à Bpifrance une direction de l'international unique en miroir de la cellule pilotage du département « CAI » au sein de Business France et en conjuguant les outils respectifs des deux opérateurs.

En second lieu, l'offre « export » de Bpifrance a été fortement améliorée.

En novembre 2012, le rapport remis par Louis Gallois au Gouvernement préconisait, parmi ses premières recommandations, l'alignement des conditions de crédit et des garanties export, en volume, quotité et taux sur le meilleur niveau constaté dans les pays avancés, ainsi que la création d'un « prêteur public direct ». Cet objectif a été inscrit en 2013 dans le Pacte national pour la croissance, la compétitivité et l'emploi élaboré par le Gouvernement.

Depuis lors, des progrès importants ont été accomplis vers la mise en place d'un guichet unique du financement export en direction des PME et des ETI sous l'égide de Bpifrance . Le point essentiel est la simplification de la gestion des garanties publiques à l'export en deux temps.

Dans un premier temps, dans le cadre du plan de mai 2013 pour démocratiser l'accès des PME et des ETI aux soutiens financiers à l'export, ont été supprimés les doublons existants au sein de l'offre de produits proposés par Bpifrance et Coface. Par ailleurs ont été déployés au sein des directions régionales de Bpifrance des développeurs Coface afin de mieux coordonner l'action des deux institutions ;

Dans un second temps, début 2017, l'activité de gestion des garanties publiques à l'export de Coface a été transférée à Bpifrance 89 ( * ) . Cette mesure présente de multiples avantages. L'intégration des garanties publiques à l'exportation au sein du catalogue de Bpifrance permet de progresser vers un guichet public unique du financement à l'export. Cela permet aussi à la banque publique d'offrir des financements sur mesure en mobilisant, dans un « cocktail » adapté aux besoins de chaque entreprise, la gamme complète de ses produits financiers (aide à la création, au développement et à l'innovation, à l'exportation...). Troisième avantage : le maillage territorial de Bpifrance contribuera à la diffusion des garanties publiques à l'exportation auprès de nouveaux exportateurs. Enfin, le coût pour l'État de la gestion des garanties publiques à l'exportation devrait connaître une diminution à la faveur de ce transfert, estimée à 20 %.

Parallèlement, l'offre de crédits export et de garanties publiques des exportations a été complétée , l'objectif étant de couvrir toutes les failles de marché identifiées et de répondre à l'ensemble des besoins des entreprises non satisfaits par le marché. Comme l'a souligné Nicolas Dufourcq, directeur général de Bpifrance : « nos agences sont ainsi capables de proposer tout un continuum de solutions pour accompagner les entreprises à l'international, depuis la prospection des marchés, le financement des ventes et du développement, la sécurisation des projets et l'implantation sur les marchés . » 90 ( * )

L'offre de garanties publiques, désormais délivrées par Bpifrance Assurance Export pour le compte de l'État, se décline ainsi en quatre produits 91 ( * ) :

- l'assurance-crédit , destinée principalement à faciliter les transactions commerciales relatives aux grands contrats. C'est de loin la plus importante en montants, bien qu'elle n'ait bénéficié qu'à 60 entreprises en 2016 ;

- l'assurance prospection , qui est la procédure touchant le plus grand nombre d'entreprises (2 174 en 2016) et presque exclusivement des PME, visant à les soutenir dans leurs démarches de prospection commerciale ;

- la garantie du risque exportateur, qui consiste à garantir des cautions ou des crédits de préfinancement émis par des banques contre le risque de non-remboursement en cas de défaillance de l'exportateur. 354 entreprises, en quasi-totalité des PME, en ont bénéficié en 2016 ;

- la garantie de change , qui couvre les exportateurs (58 en 2016) contre le risque de change quand ils remettent une offre ou établissent un prix en devises.

Si plusieurs des dispositifs financiers d'appui à l'export concernent les grands groupes et les gros contrats, un effort significatif a cependant été accompli en direction des PME et des ETI avec :

- l' assurance prospection premiers pas (A3P) destinée aux entreprises primo-exportatrices. Créé en mars 2012, l'A3P connaît un réel succès puisque plus de 4 300 entreprises y ont déjà eu recours, dont une large majorité de très petites entreprises (moins de 1,5 M€ de chiffre d'affaires annuel) ;

- les prêts de développement à l'export (Prêt Croissance International) pour financer les investissements immatériels, les investissements corporels à faible valeur de gage, les opérations de croissance externe ou l'augmentation du besoin en fonds de roulement. Ce sont des prêts de 30 k€ à 5 M€, sans garantie, pour financer la croissance à l'international ;

- les crédits export , qui recouvrent deux produits : d'une part, le crédit acheteur , directement octroyé par Bpifrance au client étranger d'une entreprise française exportatrice (compris entre 5 et 25 M€ en prêteur seul et jusqu'à 75 M€ en cofinancement) ; d'autre part, le crédit fournisseur , octroyé par l'exportateur à son client, puis racheté par Bpifrance à l'entreprise (1 à 25 M€). Ces crédits sont par ailleurs couverts par l'assurance de Bpifrance Assurance Export à 95 % ;

- le dispositif Avance+ Export, qui couple un crédit de trésorerie basée sur la mobilisation des créances export et une assurance contre le risque de défaillance des clients étrangers.

(2) Mais une chaîne de l'accompagnement qui reste encore complexe et tiraillée entre une pluralité d'acteurs concurrents
(a) Une équipe de France de l'export jusqu'à présent introuvable

Depuis plus de dix ans, le Gouvernement et le Parlement réaffirment périodiquement leur ambition de mettre en place une véritable « équipe de France de l'export ». Force est cependant de constater que cette ambition de « jouer collectif » n'a pas abouti jusqu'à présent. Missionné par le Gouvernement pour réfléchir aux évolutions du dispositif, Christophe Lecourtier, directeur général de Business France, dresse d'ailleurs d'emblée dans son rapport de novembre 2017 ce constat sévère : évoquant les « carences » du dispositif, il indique : « De fait, aujourd'hui, le service public de l'export est incapable de répondre à l'objectif national : plus d'exportateurs, plus d'exportations ».

Cet échec de plus de dix ans de tentatives répétées pour créer une « équipe de France de l'export » n'est pas celui de Business France, ni d'un autre acteur en particulier du dispositif : c'est un échec collectif qui s'explique par deux raisons principales 92 ( * ) .

En premier lieu, chacun des acteurs de la chaîne de l'export dispose d'une légitimité propre au nom de laquelle il s'est opposé jusqu'à présent à toute prétention des autres acteurs à lui imposer un cadre d'action précis. L'État, qui reste le principal financeur du dispositif, entend garder le contrôle de la stratégie nationale de soutien à l'export. Les régions, qui sont aussi des financeurs non négligeables de la chaîne de l'export, se sont vues confier et confirmer à plusieurs reprises, par la loi, leur compétence en matière de développement économique et donc de promotion régionale des exportations. De leur côté, les CCI de France s'appuient sur une légitimité élective et remplissent un rôle historique, inscrit dans la loi, de représentation et d'appui aux entreprises. Quant aux CCI à l'étranger, ce sont des structures associatives privées qu'on ne peut forcer à s'inscrire dans un schéma d'organisation du service public de l'export défini unilatéralement par l'État. Dans ce contexte, aucun acteur n'a réussi à jouer le rôle de capitaine ou d'entraîneur pour cette équipe formée d'individualités fortes.

En second lieu, les acteurs censés coopérer au sein de cette équipe sont en situation de concurrence économique . L'accompagnement à l'export n'est en effet pas un service public pur. Les prestations sont généralement facturées et même si le prix ne couvre pas entièrement le coût de production, il constitue néanmoins une source de recettes indispensable à l'équilibre financier des acteurs. En particulier, mises sous pression par la baisse des dotations budgétaires ou la réduction de leurs ressources fiscales, Business France et les CCI sont contraintes de développer leurs ressources propres, c'est-à-dire leur chiffre d'affaires, et donc de se concurrencer. De même, à l'étranger où coexistent un bureau de Business France et une CCI internationale, les entreprises accompagnées sont autant des usagers que des clients.

Compte tenu de cette concurrence à la fois symbolique et économique, la signature de générations successives de conventions entre les acteurs 93 ( * ) , censées préciser le rôle de chacun et le positionner sur un segment précis de la chaîne de l'export, s'est avérée jusqu'à présent insuffisante pour assurer une coordination efficace.

(b) Vers une mise en ordre de marche du service public de l'export ?

Le 23 février 2018, sur la base des préconisations du rapport Lecourtier, le Gouvernement s'est engagé dans la refondation du service public de l'export . Proposée par Business France, la réforme est saluée par les chambres de commerce et d'industrie qui plébiscitent la création de guichets uniques en régions entre les CCI et Business France, ainsi que la mise en place de concessions de service public à l'étranger auxquelles les CCI à l'international pourront candidater.

La stratégie de refondation du service public de l'export repose sur plusieurs points.

D'une part, elle prend appui sur la volonté de clarifier la gouvernance du dispositif en reconnaissant sans ambiguïté aux régions le rôle de chef de file de la stratégie locale d'appui à l'export, conformément à la loi NOTRe.

Ensuite, pour que cet objectif réaffirmé périodiquement depuis 2012 devienne enfin une réalité, est également affirmée la volonté de faire de Business France et des CCI en France un outil au service des régions , une sorte d'opérateurs travaillant pour ces dernières. L'idée est que Business France et les CCI forment ensemble, localement, des « centres d'expertise et de ressources » vers lesquels les régions pourraient se tourner pour mettre en oeuvre les campagnes de sensibilisation, les politiques de détection et les programmes de coaching et de diagnostic personnalisé prévus par les plans régionaux de développement des exportations.

Enfin, parallèlement à la création de guichets uniques dans les territoires sous l'égide des régions, seraient créés des guichets uniques de l'accompagnement à l'étranger . Un seul acteur (antenne locale de Business France, CCI de l'étranger locale ou tout autre acteur compétent) se verrait ainsi déléguer la mission de service public d'accompagnement des entreprises françaises dans ce pays, sous la supervision de l'ambassadeur, les autres acteurs s'effaçant au profit de l'acteur sélectionné. En pratique, on se dirige donc vers une sorte de « Yalta » du service public de l'export à l'étranger, Business France se retirant au profit des CCI à l'étranger dans les pays où ces dernières sont les plus efficaces et, inversement, les CCI à l'étranger confiant leurs missions aux bureaux de Business France dans les pays où l'opérateur de l'État paraît en mesure de mieux assumer les missions d'accompagnement.

La réforme, proposée par Business France elle-même, constitue un changement complet de paradigme pour cet opérateur , ce que Christophe Lecourtier a appelé une « révolution copernicienne » 94 ( * ) , avec une redéfinition profonde des missions et un redéploiement géographique de l'action et des moyens humains de l'opérateur de l'État .

Jusqu'à présent, Business France considérait que sa valeur ajoutée et son coeur de métier reposaient sur le travail de ses chargés d'affaires à l'étranger. Ces derniers représentaient d'ailleurs le gros des effectifs (environ 900). Dans le nouveau schéma en revanche, la priorité stratégique de Business France devient le déploiement de ses équipes en régions : « c'est en France que l'export commence et si l'on veut réussir à l'étranger, il faut d'abord agir en France. (...) Nous allons donc nous déployer en région, mais sous l'autorité des exécutifs régionaux (...) Nous envisageons de consacrer entre 400 et 450 conseillers à cette activité de porte-à-porte auprès des PME » 95 ( * ) . Actuellement, pour l'accomplissement de ses missions export en France, l'agence dispose d'un réseau de 25 représentants régionaux institutionnels, hébergés au sein des CCI régionales, auquel s'ajoutent 45 chargés d'affaires internationaux placés au sein de Bpifrance. C'est donc une multiplication par 6 des effectifs en régions qui est visée.

Dans le même temps, Business France accepte la perspective d' abandonner certains pans de son activité opérationnelle à l'étranger et d'y déléguer ses missions à des tiers (notamment les chambres de commerce françaises à l'international) dans le cadre d'une délégation de service public qui garantira que les délégataires, quel que soit le pays, partagent une marque, une offre, des modes opératoires et des systèmes d'information communs. Toutefois, ce désengagement de certaines zones géographiques ne concernera pas trois marchés extérieurs clés : Business France maintiendra, et même renforcera, sa présence en Allemagne, en Chine et en Afrique sub-saharienne.

Enfin, entre ces deux réseaux de terrain, l'un en région, l'autre à l'étranger, Business France continuera à gérer deux programmes qui ont vocation à être administrés au niveau national , à savoir le programme annuel de salons professionnels et de missions collectives d'entreprises, c'est-à-dire le programme France Export qui représente environ 600 opérations par an) ainsi que le programme V.I.E (Volontariat international en entreprise).

La réforme proposée par Business France est un pari audacieux, pour le service public de l'export et pour Business France elle-même. La réforme de 2008 avait fait d'UbiFrance, puis de Business France, le pivot du service public de l'export : l'opérateur de l'État était censé être l'acteur central et incontournable du parcours de l'accompagnement à l'export. La réforme de 2018 le recentre sur l'administration des dispositifs d'envergure nationale (VIE, gestion des DSP, programme France Export). Pour le reste, elle en fait un prestataire de services auprès des régions dans le cadre d'un partenariat symétrique avec les CCI . Sur un plan opérationnel, les chargés d'affaires de Business France en régions seront intégrés dans les CCI et les parties prenantes du guichet unique travailleront dans le cadre d'un système d'information commun, un outil de relation avec les entreprises dans lequel chaque partenaire injectera l'ensemble de ses données.

La mission d'information prend acte de la feuille de route de la réforme du service public de l'export. Elle en souhaite le succès dans l'intérêt des entreprises et de l'économie française, et appelle chacun des acteurs à s'y impliquer loyalement.

Proposition n° 23 : Soutenir la réorganisation du service public de l'export qui devrait accroître son efficacité opérationnelle au profit des entreprises.

4. Favoriser encore davantage l'élaboration et la mise en oeuvre de démarches collaboratives

Dans un contexte concurrentiel, chaque entreprise a vocation à déployer sa propre stratégie de développement. Il est néanmoins primordial que l'ensemble des acteurs de la chaîne de valeur - des grands groupes donneurs d'ordre aux PME sous-traitantes - échangent régulièrement pour identifier leurs intérêts communs , nouer des relations partenariales et solidaires et créer des synergies .

En Allemagne, ces actions sont déployées par les acteurs économiques eux-mêmes au sein de fédérations professionnelles très structurées, dans le cadre d'une action très concertée avec les pouvoirs publics tant au niveau national que local, ainsi que l'a souligné Bertram Brossardt, directeur général de l'association patronale bavaroise VBW ( Vereinigung der Bayerischen Wirtschaft ), lors du déplacement d'une délégation de la mission à Munich.

En France, la mise en place des pôles de compétitivité à partir de 2005 96 ( * ) a répondu à cet objectif, en faisant émerger des démarches collaboratives autour de spécialités industrielles dans des territoires donnés. Toutefois, ce n'est qu'à partir de 2012 que l'État a également décidé de favoriser la construction de démarches collaboratives à l'échelle nationale, en mettant en place une politique des filières , au sein du conseil national de l'industrie (CNI) et des comités stratégiques de filière.

En 2011, la mission d'information sur la désindustrialisation des territoires du Sénat avait encouragé cette politique, compte tenu des liens économiques plus faibles entre les acteurs économiques en France et de la spécialisation toujours plus forte des entreprises, les obligeant à avoir recours à de nombreux sous-traitants, spécialisés dans des techniques spécifiques. Un produit ne se conçoit en effet plus par une seule et même entreprise, mais grâce à la participation d'un écosystème d'entreprises.

Dans ce contexte, la politique des filières vise à fluidifier les relations entre fournisseurs et donneurs d'ordre au sein d'écosystèmes préalablement identifiés , pour garantir la qualité de la production tout le long de la chaîne de valeur et le respect des délais. Ce faisant, elle permet de stabiliser l'activité d'un secteur, en donnant par exemple davantage de visibilité aux sous-traitants sur les commandes à venir.

Le Gouvernement actuel a affirmé son intention de renforcer le rôle de ces filières pour répondre aux défis à venir en matière d'innovation . Lors de son discours du 20 novembre 2017 devant le CNI, le Premier ministre, Édouard Philippe, a ainsi annoncé des évolutions de ces outils destinées à en renforcer l'efficacité. Elles ont depuis été confirmées lors de la première réunion du comité exécutif du CNI le 26 février 2018.

a) L'élaboration d'une stratégie collaborative globale : le défi du Conseil national de l'industrie

Le CNI est une instance consultative, qui a pour mission de conseiller les pouvoirs publics sur la situation de l'industrie et des services à l'industrie en France et d'animer la politique des filières. Il permet par exemple d'établir des diagnostics partagés par les parties prenantes sur les enjeux rencontrés par les différentes filières. Il a ainsi recommandé l'élaboration de « visions prospectives partagées des emplois et des compétences » (VPPEC) au sein de chaque filière, pour mieux anticiper et répondre aux besoins des filières en matière de formation et d'emploi.

« Pour avancer plus rapidement et de façon plus agile 97 ( * ) » , le Premier ministre, Édouard Philippe, a doté le CNI d'un comité exécutif réduit , se réunissant tous les trois mois . Il a également confié plusieurs missions de réflexion au CNI, sur la fiscalité de production, la politique industrielle de l'Union européenne, l'avenir des filières électronique (en particulier les composants du futur des objets connectés), aéronautique, ferroviaire et navale, les biotechnologies, l'énergie ainsi que le code minier. Ces missions seront lancées progressivement et doivent aboutir à l'identification des enjeux et objectifs de chaque secteur, la construction de démarches de R&D, la préparation des investissements nécessaires et l'adaptation des compétences. Une feuille de route doit être établie pour chaque secteur.

LE CONSEIL NATIONAL DE L'INDUSTRIE ET LES COMITÉS STRATÉGIQUES DE FILIÈRE

Positionnement institutionnel

Le conseil national de l'industrie est une instance consultative placée auprès du Premier ministre. Il est présidé par le Premier ministre, ou le ministre chargé de l'industrie qui le supplée en cas de besoin. Son vice-président est Philippe Varin.

Missions

Le conseil national de l'industrie éclaire et conseille les pouvoirs publics sur la situation de l'industrie et des services à l'industrie en France, aux niveaux national et territorial. Il peut proposer des actions, de dimension nationale ou européenne, visant à soutenir la compétitivité et le développement de ces secteurs d'activité, des emplois et des compétences associés. Il peut soumettre des avis argumentés et des propositions relatifs à l'efficacité des aides publiques dont bénéficie l'industrie, ainsi qu'à l'impact des politiques publiques sur l'industrie et les services à l'industrie.

Dans cet objectif, le conseil national de l'industrie :

- fait toutes propositions pour favoriser le développement de l'activité et de l'emploi dans l'industrie et les services à l'industrie, ainsi que la mise en place d'une gestion prévisionnelle de l'emploi et des compétences industrielles ;

- émet des avis sur l'évaluation des dispositifs existants de soutien à l'industrie et aux activités de services à l'industrie en France ;

- organise les travaux effectués au sein des comités de filières industrielles, aux niveaux national et territorial, en favorisant les propositions qui conduisent à l'émergence de contrats de filière mis en oeuvre par tout ou partie des participants aux comités de filières industrielles ;

- peut proposer des études prospectives sur tout domaine d'intérêt pour l'industrie et ses services.

Le conseil national de l'industrie peut être consulté sur des projets de textes législatifs ou réglementaires susceptibles d'avoir un impact sur l'industrie. Il peut également être consulté sur toute initiative structurante pour des filières industrielles françaises.

Composition

Le conseil national de l'industrie, qui se réunit en séance plénière au moins une fois par an, comprend, outre son président, des membres de droit (une dizaine de ministres , quatre présidents d'associations d'élus , les présidents des réseaux consulaires , divers représentants de l'administration ), les présidents des comités stratégiques de filières, puis des membres désignés, répartis au sein de trois collèges :

- le collège des entreprises industrielles , composé de dix membres nommés pour trois ans par arrêté du Premier ministre sur proposition du ministre chargé de l'industrie, et d'un représentant de chacune des organisations professionnelles d'employeurs les plus représentatives au niveau national et interprofessionnel, désigné par cette organisation, dans la limite de trois membres ;

- le collège des salariés de l'industrie , composé de deux membres de chacune des organisations syndicales les plus représentatives au niveau national et interprofessionnel des salariés, nommés pour trois ans par arrêté du Premier ministre sur proposition de l'organisation, dans la limite de dix membres ;

- le collège des personnalités qualifiées , composé de six membres, choisis en fonction de leurs compétences ou de leur expérience dans le domaine de l'industrie, nommés pour trois ans par arrêté du Premier ministre sur proposition du ministre chargé de l'industrie.

Depuis novembre 2017, le conseil national de l'industrie est également doté d'un comité exécutif resserré .

Les comités stratégiques de filière et les sections thématiques

Par ailleurs, le conseil national de l'industrie constitue des comités stratégiques de filière chargés de traiter de façon spécifique les questions relatives aux différents secteurs qui les composent et aux relations entre les différents acteurs de ces filières.

Ces comités ont pour mission, chacun pour la filière dont il a la charge, d'effectuer un suivi de l'évolution des activités relevant de son champ de compétence, de l'emploi industriel et de l'adéquation du dispositif de formation et des mesures de politique industrielle spécifiques à la filière concernée, et de faire des propositions d'actions destinées à développer la compétitivité de la filière, notamment à l'international. Des contrats de filière sont élaborés à partir des propositions des comités stratégiques de filière. Les comités stratégiques de filière en suivent la mise en oeuvre.

Le conseil national de l'industrie peut aussi créer en son sein des sections thématiques , à l'initiative du comité exécutif ou sur proposition des comités stratégiques de filière. Il en existe aujourd'hui cinq, qui sont chargées de travailler sur les sujets suivants : économie circulaire, emploi et compétences, Europe, réglementation & simplification, industrie du futur.

Source : décret n° 2010-596 du 3 juin 2010 relatif au conseil national de l'industrie, modifié par le décret n° 2017-1581 du 17 novembre 2017.

b) Les instruments de la collaboration sectorielle : des comités stratégiques de filière renouvelés
(1) L'objectif des comités stratégiques de filière : la construction d'une stratégie « collaborative » avec l'ensemble des acteurs d'un secteur

Jusqu'en 2018, il existait quatorze comités stratégiques de filières , dans les domaines suivants : aéronautique, alimentaire, automobile, biens de consommation, bois, chimie et matériaux, éco-industries, ferroviaire, industries extractives et de première transformation, industries et technologies de santé, mode et luxe, naval, nucléaire, et numérique.

Composés de représentants des acteurs de la filière (entreprises ou fédérations industrielles, représentants syndicaux, différentes administrations concernées et experts), ces comités se sont engagés, par des contrats de filière , en faveur de projets communs et de partenariats destinés à répondre aux enjeux rencontrés dans leur secteur.

D'après Louis Gallois 98 ( * ) , ces outils visent à remédier à deux carences de l'industrie française : le faible nombre d'entreprises de taille intermédiaire et la faible solidarité entre entreprises, qui pèsent sur la compétitivité industrielle de la France et constituent des freins à l'innovation collaborative. Cet enjeu a été partagé par Philippe Varin, vice-président du conseil national de l'industrie, lors de son audition devant votre mission. 99 ( * )

La filière aéronautique , structurée autour du groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales (GIFAS), a lancé un programme d'amélioration des performances de la supply chain , dénommé « Performances industrielles ». Ce programme, financé par l'État et les industries du secteur et mené de 2014 à 2017, a permis d'améliorer les performances de ponctualité, de qualité ou de profondeur du retard dans 98 % des 400 PME bénéficiaires du projet 100 ( * ) . Une deuxième phase, couvrant la période 2017-2019, vise à améliorer la performance interne des PME dans le but de répondre aux enjeux d'augmentation des cadences du secteur. La filière a aussi identifié les grands axes de recherche à privilégier, ainsi que les besoins de la filière en matière de recrutement et de formation .

La filière ferroviaire , dont votre président et votre rapporteur ont entendu les représentants, a quant à elle déployé des actions de structuration de la filière autour des clusters (Association des industries ferroviaires des Hauts-de-France, MecateamCluster, Mipirail Innovation, Neopolia Rail), et du fonds Croissance rail, doté de 40 M€ et destiné à consolider le secteur en favorisant l'émergence d'ETI de taille significative. Ce fonds n'a néanmoins été utilisé qu'à quatre reprises, en raison de besoins différents de la part des donneurs d'ordre ou de règles propres à la gestion du fond. La filière a également organisé des conférences annuelles entre les donneurs d'ordre et les sous-traitants , pour donner à ceux-ci davantage de visibilité sur le plan de charge.

La filière « biens de consommation » regroupe quant à elle 61 branches d'activité, parmi lesquelles les secteurs de l'équipement de la personne (textile, habillement, accessoires en cuir, produits d'hygiène et de beauté), de la maison (ameublement, luminaire, électroménager, arts de la table, céramique...), la puériculture, les produits de loisirs (articles de sport, jouets, bricolage, jardinage...) ou la facture instrumentale, la brosserie, les emballages... Comme l'indique le rapport annuel du Conseil national de l'industrie pour 2016, « s'il ne s'agit pas d'une filière homogène (les marchés comme les circuits d'approvisionnement sont séparés), elle a pour point commun de produire des biens destinés au marché grand public, souvent distribués à travers des réseaux indépendants des fabricants. » Les problématiques de la filière sont les difficultés d'accès au marché , telles que la concentration de la grande distribution, les contraintes des marchés publics, ou encore les enjeux liés au référencement des produits. Dans ce contexte, le contrat de filière a identifié quatre objectifs : anticiper les attentes des clients ; s'appuyer sur l'innovation et le design et miser sur les objets connectés ; mieux produire en France ; mieux consommer, grâce au « Fabriqué en France ». Dans ce domaine, un guide à destination des producteurs et des distributeurs a été élaboré, et un appel à projets sur les savoir-faire emblématiques du « Fabriqué en France »a été lancé.

D'autres comités de filière ont travaillé sur la simplification des normes applicables à leur secteur, tels que le comité stratégique « chimie et matériaux », dont les réflexions ont permis de simplifier la réglementation applicable aux plateformes françaises, en vue de renforcer leur attractivité, ou le comité « industries et technologies de la santé », qui s'est penché sur la simplification des partenariats public/privé dans le secteur de la santé, pour lever certains obstacles relatifs à la propriété intellectuelle.

La politique des filières a ainsi permis, sous l'impulsion de l'État, la mobilisation des parties prenantes autour d'actions bénéfiques à l'ensemble d'entre elles : par exemple, l'amélioration de l'efficacité de la supply chain de la filière aéronautique a permis de renforcer la compétitivité des grands donneurs d'ordre comme des PME du secteur.

(2) Les limites du dispositif

Cette politique comporte néanmoins des limites , qui justifient qu'elle soit régulièrement évaluée et améliorée, et que la politique industrielle de l'État ne s'y limite pas.

En premier lieu, il existe des disparités entre les filières . Comme l'a indiqué Philippe Varin, vice-président du conseil national de l'industrie, devant votre mission : « [...] je reviendrai sur le fonctionnement collectif pour promouvoir un fonctionnement plus efficace de nos filières ; cette démarche motivant la création de France industrie, issue du regroupement du Cercle de l'industrie et des fédérations industrielles. Certes, le Groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales (GIFAS) constitue d'une structuration à forte valeur ajoutée, dont pourraient s'inspirer les filières automobile, maritime, nucléaire, ou encore alimentaire, durant l'année 2018, pour assurer leur réelle articulation avec l'État au sein du conseil national de l'industrie. »

De fait, si l'État a un rôle majeur d'impulsion de la politique des filières, et accompagne leur développement grâce à des outils spécifiques ou des financements, leur succès dépend aussi largement de l'implication des entreprises qui les composent , en particulier des grands groupes qui peuvent jouer un rôle moteur. C'est la raison pour laquelle la filière aéronautique, structurée depuis 1908 autour du GIFAS, est régulièrement citée en exemple.

En outre, les différentes filières recouvrent des réalités très diverses, allant de secteurs très structurés autour de la chaîne de valeur (industries du transport) à des regroupements plus hétérogènes (biens de consommation ou éco-industries).

S'agissant des instruments à déployer par les filières , Philippe Varin a indiqué à votre mission qu' : « une filière ne fonctionne efficacement qu'à la condition de disposer d' une gouvernance adaptée, de projets communs de recherche-développement et de plateformes numériques , à l'instar de Boostaerospace dans l'aéronautique. Dans le contexte législatif actuel, une filière performante doit être impliquée dans l'apprentissage et les compétences , afin de répondre au plus près des besoins des entreprises. Elle doit enfin accompagner ces dernières à l'international , comme le fait aujourd'hui le GIFAS. C'est là un enjeu pour l'année 2018 afin d'améliorer l'environnement nécessaire au développement de l'industrie et de ses filières. »

Il a également regretté l'insuffisante implication des filières dans le domaine de la recherche et de l'innovation : « [...] dans les filières françaises, les projets de recherche-développement, qui sont autant de projets de rupture, sont actuellement peu nombreux, alors que la conjonction des investissements privés et du soutien des pouvoirs publics ont permis, aux États-Unis, l'aboutissement de projets de rupture comme SpaceX ou Tesla. Il faudrait ainsi mettre en oeuvre dans chaque filière des projets de rupture fédérant les grandes entreprises, les PME et les ETI, à l'instar du véhicule 2 litres ou autonome dans l'industrie automobile. L'État doit ainsi subventionner en amont ces projets d'innovation de rupture, ce que ne permettent pas les actuels plans dont les avances remboursables ne sont pas adaptées. La montée en gamme implique à la fois l'innovation et l'industrie du futur. »

De plus, une étude de la Fabrique de l'industrie de 2013 a mis en exergue le risque que la politique des filières constitue un cadre trop restrictif et ne bénéficie pas à certaines entreprises, plus généralistes ou à la croisée entre plusieurs filières . Elle cite l'exemple des technologies génériques (logiciel embarqué, électronique, simulation numérique), « qualifiées de « diffusantes » ou « capacitantes » ( enabling ) justement parce qu'elles s'appliquent à de nombreux secteurs différents 101 ( * ) . » Le rapport de la mission commune d'information sur la désindustrialisation des territoires du Sénat de 2011 avait d'ailleurs énoncé que « le soutien à des filières stratégiques ne doit pas, par ailleurs, empêcher l'émergence de sous-traitants généralistes 102 ( * ) . » La Fabrique de l'industrie conclut à la nécessité de combiner cette politique avec d'autres instruments, tels que les pôles de compétitivité, qui créent des synergies à l'échelle des territoires .

Enfin, les mutations du secteur industriel et les ruptures technologiques doivent conduire l'État à réinterroger régulièrement la structuration des filières, pour concentrer ses aides sur les secteurs les plus porteurs.

(3) Des comités en cours de reconfiguration

Pour renforcer l'efficacité de la politique des filières, le Premier ministre a lancé en novembre 2017 un audit , mené conjointement par la direction générale des entreprises et France Industrie, des quatorze comités stratégiques de filières existants, qui a abouti à l'élaboration d'une nouvelle liste de comités stratégiques de filière, présentée lors du comité exécutif du CNI du 26 février 2018.

Dix comités stratégiques ont ainsi été identifiés , dans les domaines suivants : aéronautique, alimentaire, automobile, bois, chimie et matériaux, ferroviaire, industries et technologies de santé, industrie navale et maritime, mode et luxe, et nucléaire. En revanche, il a été mis fin aux activités des comités concernant les biens de consommation, les éco-industries, les industries extractives et de première transformation et le numérique, dont le champ a été considéré comme trop vaste et la composition « trop disparate pour mener une action efficace 103 ( * ) . »

La création de nouveaux comités n'est cependant pas à exclure. D'après le Gouvernement « ces secteurs, et d'autres non couverts jusqu'ici, nécessitent encore des travaux complémentaires. Les filières suivantes pourraient notamment être validées lors du prochain comité exécutif (le 28 mai 2018), sous réserve qu'elles précisent leur périmètre, leur gouvernance et leurs projets structurants : mines et métaux ; électronique ; énergies renouvelables, réseaux électriques intelligents et efficacité énergétique ; infrastructures numériques ; construction ; eau ; traitements des déchets. »

Les comités devront préparer de nouveaux contrats de filière, en répondant à un cahier des charges. Leurs travaux devront porter a minima sur quatre thèmes : la transformation numérique des entreprises, l'innovation, la formation et les compétences, et l'international . Ils devront se concentrer sur un nombre limité de projets à forts enjeux, avec des échéances et des livrables clairement définis. Leur présidence sera désormais confiée à un représentant de l'industrie.

Dans une logique de simplification, ces comités intègreront le pilotage de leur politique d'innovation .

EXEMPLES DE PROJETS STRUCTURANTS POUR LES NOUVEAUX COMITÉS STRATÉGIQUES DE FILIÈRES

? Favoriser le développement du véhicule autonome avec notamment la réalisation d'expérimentations à grande échelle

? Accompagner les sites industriels impactés par la baisse du marché du diesel et de leurs sous-traitants

? Accélérer la transformation numérique de la filière nucléaire pour structurer la chaîne d'approvisionnement et la démarche d'innovation

? Travailler avec SNCF Réseau pour positionner la filière ferroviaire sur le Grand Plan de Modernisation du réseau (GPMR)

? Diffuser de nouveaux outils d'échanges numériques au sein de la filière navale, ainsi que l'utilisation du « jumeau numérique »

? Développer l'attractivité et de la compétitivité des plateformes chimiques (offre de services, adaptation du cadre réglementaire...)

? Promouvoir le développement d'une filière batteries en France

? Favoriser la structuration d'un secteur des données de santé (montée en puissance de l'Institut National des Données de Santé, développement de l'intelligence artificielle en santé)

? Accélérer la R&D dans l'alimentaire autour des axes prioritaires identifiés : protéines du futur, fermentation, froid durable, emballage du futur)

? Accompagner les PME du secteur alimentaire à l'international et promouvoir le « modèle alimentaire français », notamment en associant les leaders français de la gastronomie et de l'hôtellerie.

? Développer une grande école de la mode, avec un rayonnement international

Source : Dossier de présentation de la réunion du comité exécutif du conseil national de l'industrie du 26 février 2018.

(4) Une politique pertinente qui ne doit pas aboutir à un cloisonnement de la stratégie industrielle

Votre mission approuve la démarche de reconfiguration des filières conduite par le Gouvernement pour en améliorer l'efficacité et donner une nouvelle impulsion à ces instruments de politique industrielle. Elle salue le choix de faire de la diffusion de l'innovation au sein des filières un axe fort de cette reconfiguration.

Elle s'interroge néanmoins sur la pertinence du maintien du rôle d'impulsion de l'État dans ce domaine , dans la mesure où le succès de cette politique dépend avant tout de l'implication des acteurs économiques eux-mêmes. Les filières historiquement les plus structurées, dans lesquelles les acteurs se sont le plus engagés, comme celle de l'aéronautique, obtiennent de façon évidente davantage de résultats, et si l'État peut conduire les industriels à se réunir autour d'une table et soutenir leurs initiatives, il ne peut pas s'y substituer. Les industriels sont par ailleurs les mieux placés pour définir précisément leurs besoins et les perspectives de développement, ainsi que les moyens à mettre en oeuvre pour y répondre. L'État doit donc accompagner, mais sans pour autant brider l'évolution des filières . À cet égard, comme l'a indiqué Pierre Veltz, une politique de filière comporte le risque de cloisonner à l'excès des secteurs d'activité et de mettre à l'écart des entreprises généralistes dont les innovations pourraient servir à plusieurs filières. Or, l'innovation émerge parfois du croisement d'approches et de cultures différentes. En outre, l'identification a priori par l'État de ces filières constitue une rigidité par rapport à la souplesse et la réactivité requises dans un monde économique en constante mutation. Votre mission relève néanmoins que les syndicats représentatifs de salariés entendus en audition - CGT, CFDT, Force ouvrière et CFE-CGC - tout en approuvant la logique de filières, ont au contraire insisté sur le fait qu'elle ne devrait pas conduire à un désengagement de l'État. La CFDT a cependant estimé que la réforme du CNI récemment réalisée était une occasion manquée, car elle repose sur une relation trop « verticale » qui ne prenait pas suffisamment en compte l'échelon de proximité.

Votre mission regrette à cet égard le manque de représentation des PME au sein du CNI. Comme l'a souligné lors de son audition par la mission la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME), les entreprises qui y sont représentées sont très majoritairement des « grands comptes », autrement dit des grandes entreprises. La mission insiste donc pour que les représentants des PME soient mieux intégrés aux travaux du CNI et dans les comités stratégiques de filière .

Une politique de filière efficace ne saurait en effet se borner à prendre en compte la seule position des grands donneurs d'ordres, et devrait également inclure les problématiques des entreprises fournisseurs ou sous-traitants en amont ainsi que celles des entreprises en aval de la filière (notamment ce qui relève de l'entretien ou de la réparation des biens produits), qui sont pour l'essentiel des PME, voire des TPE. À défaut, comme l'a mis en exergue Frédéric Perrot, président de la société ARaymond France, le risque est grand de renforcer la vassalité des sous-traitants face aux grands donneurs d'ordre et de ne raisonner qu'en termes de coût de la chaîne de production plutôt qu'en chaîne de valeur susceptible d'être créée.

De même, il est important que les pôles de compétitivité , éléments moteurs d'une stratégie territoriale de filières, soient également associés, en tant que tels, aux travaux menés par le CNI et les comités stratégiques de filières.

Proposition n° 24 : Veiller à mieux intégrer les PME ainsi que les pôles de compétitivité aux travaux du CNI et des comités stratégiques de filières afin de prendre en considération l'ensemble des acteurs des filières, en amont comme en aval.

En outre, le périmètre donné à ces filières ne doit pas avoir pour effet de rigidifier les initiatives collaboratives , en cloisonnant à l'excès des secteurs d'activité, alors que l'innovation émerge parfois au croisement entre plusieurs d'entre eux, comme l'a souligné Pierre Veltz au cours de son audition, ou en mettant à l'écart des entreprises généralistes ou n'appartenant à aucune des filières préétablies . Pour ce faire, ainsi que l'ont indiqué les représentants du MEDEF devant les membres de la mission, il faut également retenir une approche en termes d'écosystèmes , complémentaire de l'approche de filières, qui permet de mieux traiter les relations dans la chaîne de valeur mais aussi les relations entre la sphère publique et le secteur privé.

Ainsi, si cette politique est maintenue, elle doit impérativement être combinée avec d'autres politiques, comme le développement des pôles de compétitivité, structurés autour de spécialités mais aussi d'espaces géographiques, ou des interventions permettant de façon générale aux PME d'augmenter leur taille et leur capacité. Les partenariats inter-filières et inter-pôles doivent en conséquence être encouragés.

Il convient également repenser systématiquement, au sein des filières comme des pôles de compétitivité, la façon de voir la politique industrielle , en y intégrant la dimension du service accompagnant le produit industriel , dont l'importance a été soulignée lors des auditions des professeurs Pierre-Noël Giraud et Pierre Veltz. Or, cet aspect est trop rarement abordé.

Dans ce contexte, une évaluation régulière des effets de cette politique doit être menée pour vérifier son adéquation avec les besoins de l'industrie, compte tenu des mutations continues du secteur industriel et de ces limites.

Proposition n° 25 : Veiller à éviter le fonctionnement « cloisonné » des filières et évaluer régulièrement les impacts de la politique des filières sur le développement industriel.

c) Mieux intégrer les pôles de compétitivité dans la stratégie industrielle nationale
(1) Le choix de stratégies collaboratives ancrées dans les territoires

Les pôles de compétitivité ont été créés en 2005 pour renforcer la compétitivité de l'industrie française en favorisant des stratégies collaboratives ancrées dans les territoires et tournées vers l'innovation . Comme l'indique l'article 24 de la loi n° 2004-1484 du 30 décembre 2004 de finances pour 2005 qui les instaure, ils sont « constitués par le regroupement sur un même territoire d'entreprises, d'établissements d'enseignement supérieur et d'organismes de recherche publics ou privés qui ont vocation à travailler en synergie pour mettre en oeuvre des projets de développement économique pour l'innovation » .

Les pôles de compétitivité ont pour mission de faire émerger, par la concentration et la mise en réseau de ces différents acteurs sur un territoire donné, des projets collaboratifs en matière de recherche et développement, dans des thématiques spécifiques à chacun des pôles. Ces dernières années, un accent particulier a également été mis sur le passage de « l'usine à projets » à « l'usine à produits », à savoir le déploiement et la mise sur le marché de produits, procédés et services innovants issus des projets de R&D.

DES CLUSTERS « À LA FRANÇAISE »

Cette politique s'inspire de la théorie des clusters, synthétisée dans les années 1980 et 1990 par M. Michael Porter, professeur à la Harvard Business School . Cette théorie justifie l'intervention de l'État pour encourager l'émergence d'écosystèmes d'innovation, composés de PME mais aussi de grands groupes, concentrés dans un secteur géographique donné et possédant une forte spécialisation dans un domaine particulier, par des incitations ou des financements. Ces écosystèmes favorisent à la fois l'émulation et la collaboration entre les acteurs spécialisés dans ce domaine, en réduisant notamment les coûts de transaction. Ils engendrent ainsi des effets de diffusion des connaissances et créent un environnement propice à l'innovation.

En renforçant les partenariats fondés sur la proximité géographique entre les différents membres du pôle de compétitivité, cette politique vise ainsi à favoriser l'innovation technologique et la croissance , mais aussi à ancrer les acteurs économiques dans un tissu local. Comme le relève le Conseil économique, social et environnemental dans son récent rapport sur l'« Industrie : un moteur de croissance et d'avenir », « l'existence de tels liens et la complémentarité des compétences constituent pour les industriel.le.s en général, des avantages comparatifs importants auxquels une délocalisation les conduirait à renoncer au moins pour un temps et aurait des impacts sur tout le tissu industriel 104 ( * ) . »

Les pôles de compétitivité peuvent ainsi rendre un territoire attractif et inciter les entreprises à y rester , ce qui permet de conserver l'emploi local. Les collectivités territoriales, et en particulier les régions, sont de fait fortement impliquées dans les pôles de compétitivité à l'échelle locale. Les régions sont en outre davantage associées, ces dernières années, au pilotage national de ces pôles. Elles cofinancent, avec l'État dans le cadre du fonds unique interministériel (FUI), les projets de R&D labellisés par les pôles de compétitivité.

La politique des pôles de compétitivité, mise en place par le comité interministériel d'aménagement et de développement du territoire (CIADT), répond donc à un double objectif de développement économique et d'aménagement du territoire . En conséquence, bien qu'elle ait été initialement conçue pour faire émerger une dizaine de pôles de compétitivité disposant d'une taille critique et d'une forte visibilité à l'international, elle a , dès le départ, vu son périmètre élargi puisque 67 pôles ont été labellisés dès 2005. Ils sont aujourd'hui au nombre de 68.

Comme le résume le rapport du Conseil économique, social et environnemental sur les pôles de compétitivité 105 ( * ) , « le débat sur le nombre de pôles s'est posé dès l'origine du dispositif et reflète une hésitation entre une logique d'excellence et une logique d'aménagement du territoire. Dès la première phase, une catégorisation était prévue entre les pôles « mondiaux », « à vocation mondiale » et « nationaux ». Cette typologie était uniquement indicative et a été abandonnée pour la troisième phase. »

Cet ancrage dans les territoires se traduit par une forte implication des pôles dans l'animation des politiques régionales d'innovation , comme l'a notamment montré le Commissariat général à l'égalité des territoires 106 ( * ) . 59 pôles ont eu un rôle déterminant dans l'élaboration des stratégies régionales d'innovation en vue d'une spécialisation intelligente (SRI-SI) lancées par la Commission européenne pour identifier, dans chaque région, en fonction de ses atouts et de ses contraintes, les domaines d'activité et secteurs technologiques les plus susceptibles de générer des activités innovantes, afin de les prioriser et d'y concentrer les efforts déployés par les acteurs publics. 27 pôles se sont également vus dotés d'un rôle d'animation d'un domaine ou d'une filière par un conseil régional.

CARTE DES PÔLES DE COMPÉTITIVITÉ EN OCTOBRE 2017

Les pôles représentent aujourd'hui un enjeu fort dans les stratégies d'attractivité territoriale , et constituent des éléments de la marque des territoires, comme le pôle Aerospace Valley pour l'aéronautique à Toulouse, Cap Digital et la filière numérique francilienne, Aquimer pour les produits de la mer à Boulogne, ou Microtechniques à Besançon dans le domaine de l'horlogerie.

Les pôles de compétitivité ont également un rôle d'accompagnement des PME et des ETI en leur offrant une assistance collective et individuelle pour l'accès aux financements, le développement à l'international, la propriété industrielle et l'anticipation des besoins en compétences. Ils sont ainsi un lieu de coordination des différents outils d'intervention de l'État et des collectivités territoriales .

Ces pôles sont également devenus le relais des politiques industrielles nationales . Comme le relève le Commissariat général à l'égalité des territoires, « les acteurs de la Nouvelle France industrielle (NFI) peuvent ainsi s'appuyer aujourd'hui sur un noyau de pôles de compétitivité. Les 30 pôles les plus impliqués ont souvent contribué activement aux travaux des 34 plans industriels regroupés aujourd'hui en 10 solutions industrielles et à la mise en place des Comités stratégiques de filières. Certains pôles particulièrement moteurs participent aux comités de pilotage des solutions ou animent des groupes de travail sur certaines filières. Par ailleurs, 34 pôles sont membres de la « Plateforme des Pôles pour l'Industrie du Futur », créée au sein de l'Association française des pôles de compétitivité (AFPC), ce qui leur permet de prendre une part active aux actions et initiatives lancées par l'association Alliance Industrie du Futur dans le cadre de la NFI. » Ils peuvent aussi être associés à des réseaux nationaux , comme les réseaux « bâtiment durable » et « Ecotech », animés par le ministère de la transition écologique et solidaire, qui regroupent respectivement 18 et 14 pôles autour d'axes stratégiques communs, ou le club Sully, qui réunit 10 pôles de compétitivité spécialisés dans l'agriculture et l'agroalimentaire s'inscrivant dans la stratégie « Agriculture Innovation 2025 » portée par le ministère de l'agriculture. Ils peuvent aussi jouer un rôle moteur dans l'élaboration ou la mise en oeuvre des contrats des comités stratégiques de filières.

(2) Le développement des pôles et leur accompagnement financier par les pouvoirs publics depuis 2005

La politique des pôles de compétitivité s'est déployée en trois phases. La première, de 2005 à 2008 , a permis de mettre en place les pôles de compétitivité et de diffuser la culture de la recherche collaborative. Durant cette période, près de 1,5 milliard d'euros a été mobilisé par l'État et plus de 1 000 projets ont été labellisés 107 ( * ) .

La deuxième phase, de 2009 à 2012 , correspond à une consolidation de cette politique, après une première évaluation. Elle s'est traduite par un renforcement du pilotage stratégique de ces pôles au moyen de contrats de performance pluriannuels signés avec l'État et les collectivités territoriales et le renforcement de plateformes d'innovation mutualisées.

La troisième phase, de 2013 à 2018 , a visé à encourager les pôles à passer d'« usines à projets » à des « usines à produits », c'est-à-dire à favoriser la mise sur le marché des projets développés et à affirmer le rôle des pôles dans l'industrialisation des produits. Cette phase doit aussi être celle de l'accompagnement du développement des PME et des ETI, par un meilleur accès aux financements et un accompagnement renforcé, notamment à l'international.

Aujourd'hui, ces pôles de compétitivité sont composés de près de 200 membres en moyenne . En 2014, plus de 8 500 entreprises étaient membres d'un pôle de compétitivité.

NOMBRE D'ENTREPRISES MEMBRES DES PÔLES

2006

2009

2012

Petites entreprises

2419

5134

6491

Moyennes entreprises

935

1292

1519

Entreprises de taille intermédiaire

652

783

901

Grandes entreprises

58

70

72

Total

4064

7279

8983

Source : Commission nationale d'évaluation des politiques d'innovation, d'après un graphique de France Stratégie. 108 ( * )

Les pôles sont essentiellement concentrés dans les grands centres économiques. Parmi les secteurs très représentés figurent l'agriculture et l'agroalimentaire, l'environnement et la transition énergétique et le numérique . Comme le relève la Commission nationale d'évaluation des politiques d'innovation, « la répartition géographique et sectorielle des pôles correspond assez largement à la structure économique du pays 109 ( * ) ».

Ces pôles sont « labellisés » par un comité interministériel , après avis d'un groupe de personnalités qualifiées, sur la base des critères suivants :

- les moyens de recherche et de développement susceptibles d'être mobilisés dans le ou les domaines d'activité retenus ;

- les perspectives économiques et d'innovation ;

- les perspectives et les modalités de coopération entre les entreprises, les organismes publics ou privés ainsi que les collectivités territoriales et leurs établissements publics de coopération intercommunale dotés d'une fiscalité propre.

La labellisation produit deux effets concrets.

D'une part, le label renforce la visibilité du pôle, notamment à l'international. Sur les 68 pôles, une quarantaine ont développé une stratégie de développement à l'international, en identifiant les clusters partenaires, et en établissant des liens et des partenariats avec eux. Un partenariat a été conclu entre la direction générale des entreprises et Business France pour encourager cette démarche. Il a permis d'accompagner plus de 2 200 membres de pôles sur près de 175 missions partenariales et plus de 285 accords de partenariats technologiques ou commerciaux ont été signés entre 2009 et 2016. Le déploiement à l'étranger, par le ministère des affaires étrangères, en lien avec le ministère de l'économie et des finances, d'experts techniques internationaux sur l'innovation leur apporte un appui supplémentaire.

D'autre part, le label de pôle de compétitivité permet d'obtenir des financements publics, mais aussi de faciliter l'octroi de financements privés . Ces financements prennent plusieurs formes.

En premier lieu, ils émanent du fonds unique interministériel (FUI) , créé par l'État en 2005 pour financer dans le cadre d'appels à projets, en association avec les régions et suivant un principe de cofinancement, des projets de R&D collaboratifs labellisés par les pôles de compétitivité. Entre 2005 et mi-2016, 22 appels à projets ont été lancés et 1 681 projets ont été retenus , pour un total de dépenses de 6,8 Md€, dont 2,7 Md€ financés par l'État ou les collectivités territoriales (1,7 milliard pour l'État et 1 milliard pour les collectivités) 110 ( * ) .

FINANCEMENTS ALLOUÉS PAR L'ÉTAT AUX PROJETS DES PÔLES DE COMPÉTITIVITÉ VIA LE FONDS UNIQUE INTERMINISTÉRIEL (FUI) (en millions d'euros)

2005

2006

2007

2008

2009

2010

2011

2012

2013

2014

2015

2016

Total

42

193

239

256

220

157

149

119

116

93

89

82

1755

Source : Commission nationale d'évaluation des politiques d'innovation, à partir des données de la direction générale des entreprises. 111 ( * )

Si la faible sélectivité de la labellisation des pôles pouvait faire craindre un saupoudrage des crédits, les pôles de compétitivité les plus importants, qui ont été en mesure de présenter les projets les plus innovants ont, de fait, obtenu une part déterminante des financements du FUI . D'après la Commission nationale d'évaluation des politiques d'innovation, entre 2006 et 2013, cinq pôles ont obtenu 39 % des financements du FUI et quinze pôles en ont reçu près des deux tiers (65 %). Les 13 pôles qui ont le plus bénéficié des financements du FUI ont chacun reçu plus de 40 M€ par ce canal. Ainsi, comme le résume cette Commission, « la politique des pôles menée en France constitue un outil hybride qui s'appuie sur deux logiques différentes : une logique ascendante ( bottom-up ) caractérisée par un foisonnement de pôles et de projets, et une logique descendante ( top-down ) via une concentration des moyens financiers. »

En second lieu, les pôles de compétitivité peuvent mobiliser d'autres financements , notamment auprès de l'Agence nationale de la recherche (ANR), de Bpifrance, du programme d'investissements d'avenir (PIA) et des collectivités territoriales. Chacune de ces sources de financement répond à des objectifs spécifiques : ainsi, l'ANR aura par exemple davantage tendance à financer la phase amont des projets, tandis que le PIA se concentre sur un nombre limité de projets de grande envergure, etc.

Le montant du soutien financier moyen apporté par l'État et les régions au travers du FUI est d'1,4 million d'euros par projet, tandis que le montant moyen apporté par le PIA pour les « projets de recherche et développement structurants pour la compétitivité » est de 10 M€. 59 pôles ont eu au moins un projet financé par le PIA entre 2013 et 2015.

PRINCIPAUX FINANCEMENTS PUBLICS DES PROJETS LABELLISÉS PAR LES PÔLES (en millions d'euros)

2005

2006

2007

2008

2009

2010

2011

2012

2013

Total

Part relative dans le total :

Fonds unique interministériel (FUI)

42

189

239

256

220

157

149

119

116

1 488

27,3 %

Collectivités territoriales (cofinancement FUI uniquement)

99

125

152

128

118

109

95

84

910

16,7%

Bpifrance Financement / ex-Oseo

0

163

242

219

159

172

144,26

141,3

108

1 349

24,8 %

Projets structurants des pôles de compétitivité (PSPC)

17

83

59

159

2,9%

Agence nationale de la recherche (ANR)

202

175

194

118

192

213

182

164

169

1 609

29,5 %

Total

276

626

800

745

699

660

585

520

536

5 447

100 %

Source : Commission nationale d'évaluation des politiques d'innovation, à partir des données de la direction générale des entreprises.

Outre les crédits consacrés aux projets de recherche et développement collaboratifs, l'État finance une partie des crédits consacrés à l'animation et au fonctionnement des pôles , à hauteur de 19 M€ 112 ( * ) . Dès l'origine, l'État a fixé comme objectif aux pôles de parvenir à un autofinancement de leur budget de fonctionnement à hauteur de 50 %. En 2015, 28 pôles dépassaient cet objectif et 46 % des budgets de fonctionnement de l'ensemble des pôles étaient issus du secteur privé 113 ( * ) .

L'activité première des pôles concerne l'accompagnement et la labellisation de projets de recherche et développement collaboratifs, qui représente près de la moitié de leur budget 114 ( * ) . En moyenne, 16 projets de recherche et développement ont été accompagnés ou labellisés par pôle en 2015.

Les crédits de l'État spécifiquement destinés aux pôles de compétitivité sont en diminution constante. Ils ont été divisés par deux depuis son lancement , en même temps que d'autres dispositifs ont été créés pour soutenir la recherche et l'innovation (PIA, crédit impôt-recherche).

(3) Un « modèle » collaboratif structurant qui doit encore évoluer

Les pôles de compétitivité sont des modèles collaboratifs présentant un caractère structurant pour les entreprises et les territoires eux-mêmes .

Votre mission a pu mesurer concrètement l'action de certains pôles en rencontrant à Toulouse, lors du déplacement de sa délégation, les représentants de deux structures relevant de filières industrielles très différentes : le pôle Agri Sud-Ouest Innovation, centré sur l'agriculture, l'agroalimentaire et l'agro-industrie - filières peu intégrées ; le pôle Aerospace Valley, spécialisé dans l'aéronautique et l'aérospatial - filières qui sont au contraire très intégrées.

LE PÔLE DE COMPÉTITIVITÉ « AGRI SUD-OUEST INNOVATION »

Ce pôle de compétitivité réunit 411 adhérents , dont 75 % des entreprises membres sont des PME, présents sur le territoire des deux régions Occitanie et Nouvelle-Aquitaine . Pour assurer une proximité territoriale, le pôle a mis en place 14 relais locaux et vise à en déployer 25 (au moins un par département). Il s'appuie sur les deux campus de Bordeaux et Toulouse et dispose d'un site à Montpellier. Les relais locaux sont animés par un référent, salarié de l'institution disposant d'un budget pour animer son territoire.

Agri Sud-Ouest Innovation travaille sur des thématiques à fort enjeu national, telles que l'optimisation des intrants, l'amélioration de l'efficience des systèmes de production et la valorisation de l'ensemble des constituants des productions agricoles, notamment au moyen de l'agro-raffinerie. Il s'appuie sur une vision globale de la chaîne de valeur, et fait le lien entre trois domaines dont les interdépendances ne sont en général pas assez prises en compte : l'agriculture, l'agroalimentaire et l'agro-industrie.

Depuis 2006, il a labellisé 624 projets, soit environ 50 par an en moyenne, dont la moitié a été financée. Ces projets ont mobilisé 336 M€ de subventions publiques (soit 28 M€ par an en moyenne) et 452 M€ d'autofinancement privé.

Le pôle évalue l'effet de levier, pour les PME, de 1 à 7 : 1 euro apporté par le porteur de projet génère 4 euros des autres partenaires et 2 euros de subventions publiques.

Son processus de labellisation des projets est certifié ISO 9001.

Pour les adhérents, le pôle de compétitivité permet de :

- bénéficier du réseau constitué par ce pôle, comme de son appartenance au réseau national des pôles de compétitivité spécialisés dans l'agriculture et l'agroalimentaire - le Club Sully précédemment évoqué : développement de la visibilité de son entreprise, mise en réseau, partages d'expériences, etc. ;

- développer des compétences , en bénéficiant notamment de nombreux outils de veille technologique et spécifique réalisée par des experts ;

- bénéficier d'un accompagnement pour monter, structurer et financer des projets : participation à des clubs de l'innovation, conseil en ingénierie technique et financière, accompagnement personnalisé à l'émergence et au suivi de projets, obtention de financements adaptés, etc. ;

- disposer d'un appui pour accélérer la mise sur le marché des innovations : analyse de l'offre et diagnostic d'entreprise, appui personnalisé, etc.

Parmi les projets emblématiques développés par le pôle, figurent :

- un projet de fabrication et d'intégration dans une unité de production du premier démonstrateur microondes de cuisson de graines oléagineuses (colza, tournesol, soja) à une capacité de trois tonnes par heure, développé par une PME ; ce démonstrateur doit aussi permettre de réaliser l'étude de transfert à échelle industrielle pour une implantation d'une première unité de trituration à 30t/h ; ce projet de 2,4 M€ a obtenu 1,7 M€ d'aides publiques d'origine européenne ;

- un projet d'emballage biodégradable et compostable pour les aliments à date limite de consommation ou d'utilisation optimale, d'origine 100 % renouvelable, issu de matières premières principalement non-alimentaires et régionales ; ce projet de 2,9 M€ a obtenu 1,8 M€ de financements publics (Europe, État, régions, conseil départemental et agglomération) ;

- un projet destiné à répondre à la demande de l'industrie de luxe de peau d'agneaux de la race Lacaune, comportant la mise au point d'un mode d'élevage innovant, d'une solution de dépouille limitant la génération de défauts et d'un outil permettant la détection post-dépouille, d'un procédé de filmage des peaux en mégisserie ; ce projet de 4,8 M€ a obtenu 1,8 M€ de financements publics, dont une participation du Fonds unique interministériel ;

- un projet de développement de biofertilisants pour une agriculture durable et écologique, s'appuyant sur l'utilisation de micro-organismes du sol présentant un potentiel fertilisant. Ce projet couvre un large spectre d'activités, allant de la recherche fondamentale et appliquée au développement des produits et à des expérimentations en laboratoire et chez les producteurs ; ce projet de 3,1 M€ a obtenu 2,2 M€ de financements de l'État et de la région.

Source : Agri Sud-Ouest Innovation.

LE PÔLE DE COMPÉTITIVITÉ « AEROSPACE VALLEY »

Composé de plus de 850 membres, dont plus de 500 PME-ETI , le pôle a porté 515 projets de recherche et technologie (R&T) financés pour un montant global de 1,4 Md€.

Spécialisé dans les domaines de l'aéronautique et de l'aérospatial , il développe aussi son activité dans le secteur des systèmes embarqués , ce qui explique que certains membres du pôle soient des entreprises de l'automobile, dans le cadre de leurs développements de véhicules autonomes.

Le pôle développe une gamme étendue de services au profit de ses adhérents, dont : une offre de diagnostic, un « parcours Innovation » visant à faire émerger les projets, à aider à leur montage, à les suivre et les valoriser, et à faciliter le passage du prototype au produit, un « parcours Développement », comprenant un programme d'accélération, l'offre de diagnostics stratégiques tournés vers l'international, des actions de Business development et de compétivité, un « parcours Finance » ainsi que des services de promotion et de communication. Aerospace Valley développe des actions individuelles et collectives spécifiques au profit de ses membres PME-ETI, avec des programmes d'accompagnement de financement des solutions, de « Process innovation center » et de « road to target ».

Le pôle se positionne comme un acteur territorial - doté à cette fin de comités territoriaux et qui a développé des actions transversales avec d'autres pôles du territoire, notamment Aquimer et Agri Sud-Ouest - intervenant au sein d'une filière structurée - ce qui le conduit à coordonner ses actions avec les autres pôles « aéros », avec le Groupement des industries françaises de l'aéronautique et de l'espace (GIFAS) et les grandes entreprises.

Les axes d'innovation poussés par le pôle dans le cadre de l'aéronautique sont :

- rendre l'avion plus électrique et hybride (AEH) : électrification des fonctions, hybridation de la propulsion ;

- pour la cabine : améliorer l'expérience passager, faciliter la reconversion (TAT) ;

- améliorer le dispatch : utiliser les nouvelles technologies, big data & maintenance prédictive, support et machine learning ;

- augmenter la performance (masse et fonctions), sécuriser la disponibilité et le coût des approvisionnements des nouveaux matériaux ;

- renforcer l'autonomie (cockpit et contrôle aérien) et la connectivité.

Le pôle souhaite également créer à Toulouse une fédération d'acteurs de l'industrie, de la recherche et de la formation autour de la donnée pour six filières d'excellence (Aéronautique, Espace, Véhicules Connectés, Agriculture, Météorologie/Climatologie, Internet des objets).

Source : Aerospace Valley.

Au cours des dernières années, la politique des pôles de compétitivité a fait l'objet de nombreuses évaluations par divers organismes ou instances. Toutes mettent en avant l'apport de ces structures pour le développement économique, tant sur un plan local que national, mais soulignent des voies d'amélioration nécessaires.

Ces travaux 115 ( * ) portent une appréciation positive sur les effets de la politique des pôles de compétitivité , et identifient plusieurs facteurs d'amélioration de leur efficacité, en soulignant notamment la nécessité de renforcer leur évaluation et de remédier à l'hétérogénéité de leurs performances , ainsi que d'accroître leur articulation avec la politique industrielle nationale et européenne .

E n 2016 , le Gouvernement a annoncé une réforme des pôles de compétitivité pour clarifier les rôles respectifs de l'État et des régions, à la suite de la réforme territoriale opérée par la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République et pour assurer une plus grande cohérence avec les objectifs de la Nouvelle France industrielle.

Les principales orientations de ces travaux, présentées en mars 2017, ont consisté, d'une part, à mieux articuler l'action des pôles avec les orientations nationales, en favorisant leur participation active aux instances de pilotage de la politique industrielle animées par l'État au niveau national, d'autre part, à mieux ancrer les pôles dans leur écosystème régional, par le lancement du volet régionalisé du PIA, doté de 500 M€ pour conduire des actions territorialisées en collaboration entre l'État et les régions. Mais cette réflexion n'a pas abouti à une réforme plus globale des pôles, telle qu'elle était envisagée au départ .

D'après la direction générale des entreprises, une évaluation de cette troisième phase sera conduite en 2018, pour préparer la quatrième phase, annoncée pour 2019.

(4) Des axes d'évolution pour renforcer la valeur ajoutée des pôles

Aux yeux de vos président et rapporteur, la politique des pôles de compétitivité doit être réaffirmée et confortée. Cette politique a porté ses fruits dans l'ensemble des territoires, comme le démontrent concrètement les nombreux projets développés par les pôles. Or, il est à cet égard préoccupant que cette politique majeure ne soit pas même mentionnée dans les annonces du Premier ministre, Édouard Philippe, au Conseil national de l'industrie le 20 novembre 2017, sur la réorganisation de la stratégie industrielle nationale, comme l'ont souligné à juste titre les représentants de CCI France entendus par la mission.

Pourtant, les pôles peuvent être, sur les territoires, des relais puissants pour la stratégie industrielle de l'État. Votre mission insiste donc pour que les pôles soient systématiquement intégrés aux actions de développement économique, qu'il s'agisse de promotion de la compétitivité, de transformation numérique, de transition énergétique, d'attractivité des territoires, et qu'ils soient associés directement aux actions stratégiques qui sont définies tant d'un point de vue global que dans le cadre des stratégies propres à chaque filière.

Proposition n° 26 : Réaffirmer le rôle majeur des pôles de compétitivité pour la mise en oeuvre des actions de l'État en faveur de l'industrie, notamment dans le cadre des stratégies de filières.

Les pôles de compétitivité doivent pouvoir assurer concomitamment une double mission : d'une part, favoriser le développement d'activités économiques innovantes et, d'autre part, contribuer à l'équilibre économique des territoires .

Si une distinction peut effectivement être opérée entre les pôles à vocation nationale ou internationale et les pôles à vocation territoriale, qui ne répondent pas aux mêmes objectifs, le maillage actuel du territoire par les pôles de compétitivité doit être conservé . Le maintien de ces « écosystèmes d'innovation en devenir » permet de conserver dans l'ensemble des territoires un terrain propice à l'innovation, et de préserver les outils existants en matière d'accompagnement aux PME.

Certes, comme l'a recommandé l'économiste Pierre Veltz lors de son audition, les projets ne doivent pas être prisonniers des logiques de territoires : pour certains projets d'ampleur, comme le développement du véhicule autonome, il est préférable de concentrer l'ensemble des moyens sur un territoire donné et de mener des expérimentations à grande échelle, plutôt que de multiplier des initiatives d'envergure limitée et qui pourraient s'avérer redondantes, voire concurrentes. Mais cette nécessité de concentrer les moyens n'est en rien incompatible avec l'objectif d'aménagement du territoire, si chaque territoire est effectivement doté d'une spécialisation dans un domaine particulier. À cet égard, Agri Sud-Ouest Innovation et Aerospace Valley, qui s'étendent sur les régions Nouvelle-Aquitaine et Occitanie et offrent des relais locaux dans les départements, sont des exemples à suivre.

Pour autant, il faut veiller à éviter un trop grand « cloisonnement » des spécialisations des pôles. Certaines innovations sont susceptibles de concerner plusieurs domaines, et il est ainsi important qu'il puisse y avoir une forte mise en réseau ou une mutualisation des stratégies entre pôles thématiques. Il en va ainsi, par exemple, des technologies embarquées qui peuvent trouver des applications dans l'aéronautique, l'aérospatial, l'automobile, le ferroviaire, ou des innovations en matière biomédicale , qui peuvent concerner tant la santé que l'agroalimentaire.

Aussi votre mission estime-t-elle qu'il convient de conforter le mouvement déjà engagé de renforcement des coopérations entre les pôles, pour accroître encore les synergies possibles entre les acteurs.

Proposition n° 27 : Conserver un maillage fin du territoire en favorisant la mise en « réseau » des pôles de compétitivité, qui doivent être incités à mutualiser leurs compétences thématiques.

Votre mission se montre par ailleurs vivement préoccupée par la baisse continue des crédits spécifiquement affectés par l'État à cette politique, notamment dans le cadre du FUI . En effet, même s'il est indispensable que les pôles développent davantage leurs capacités d'autofinancement dans le cadre de la mise en place de partenariats avec les entreprises, faute d'un financement suffisant de l'État, ils sont de plus en plus contraints de recourir à des cofinancements des différentes collectivités locales concernées, très lourds à mettre en oeuvre et qui parfois s'avèrent impossibles à dégager à quelques milliers d'euros près. En outre, le financement des projets des pôles apporté par les régions - qui a représenté 60 M€ en 2016 ainsi que l'ont précisé les représentants de Régions de France à votre rapporteur - ne compense pas la baisse drastique des crédits d'État.

Elle estime par ailleurs qu'au même titre que d'autres projets d'innovation, les pôles de compétitivité devraient pouvoir faire l'objet d'un financement plus important dans le cadre du PIA ou du Grand plan d'investissement . Certes, interrogé par votre rapporteur, le Secrétariat général pour l'investissement a fait valoir que le prêt à l'industrialisation des pôles de compétitivité (PIPC) n'avait bénéficié qu'à cinq projets, pour un montant de 4,4 M€ sur l'enveloppe de 100 M€ initialement prévue, ce qui a conduit le Gouvernement à le clôturer en mai 2015 116 ( * ) . Il n'en reste pas moins qu'aujourd'hui, aucune ligne spécifique de prêt n'est plus offerte aux pôles. Sachant qu'un concours financier d'un ou deux millions d'euros peut avoir des résultats concrets ayant un effet d'entraînement majeur dans certains pôles, votre mission insiste pour le rétablissement d'une ligne de crédit dédiée dans le cadre du PIA ou du Grand plan d'investissement.

Il est, en tout état de cause, nécessaire que les pôles de compétitivité disposent d'une certaine visibilité au regard de leur financement public. Or, de l'avis de plusieurs personnes entendues par vos président et rapporteur, les modalités actuelles sont trop complexes et manquent d'une souplesse qui permettrait à de nombreux pôles de réduire les périodes de découvert ou de tensions budgétaires. Votre mission appelle donc à la définition d'un cadre financier pluriannuel par l'État, qui permettrait aux pôles d'élaborer une stratégie de développement à plus long terme.

Ce regain de financement public doit aller de pair avec une meilleure sélection des projets soutenus. À cet égard, les membres de la délégation de la mission qui s'est rendue à Toulouse ont jugé très pertinente la mise en place par le pôle Agri Sud-Ouest Innovation d'un comité de « labellisation » interne, qui ne se concentre pas sur la valeur scientifique d'une innovation, mais évalue également sa capacité d'industrialisation, l'existence de débouchés réels sur le marché et les conditions de son financement. Cette « bonne pratique » locale devrait être généralisée dans les différents pôles, et être mise en oeuvre pour sélectionner les projets qui seront non seulement soutenus par les crédits d'État mais aussi par ceux émanant des collectivités territoriales.

De même, l'intervention financière de l'État doit être repensée pour favoriser des stratégies industrielles d'envergure nationale. Ainsi, il ne devrait pas limiter les appels d'offres à des projets portant exclusivement sur de l'industrie manufacturière pure, mais en intégrant la dimension de service industriel , comme l'ont préconisé les professeurs Pierre-Noël Giraud et Pierre Veltz devant les membres de la mission.

Proposition n° 28 : Mettre un terme au désengagement financier de l'État en faveur des pôles de compétitivité tout en favorisant davantage, dans le cadre d'une logique pluriannuelle, le financement de projets présentant une dimension de « service industriel » et visant la mise sur le marché des produits issus de l'innovation.

Enfin, il faut souligner que les pôles, parce qu'ils sont fortement territorialisés, ne peuvent exercer leurs prérogatives que dans une zone géographique déterminée . Or, il convient de s'interroger sur la rigidité actuelle du zonage territorial des pôles , qui, comme l'ont souligné Christophe Lerouge et Simon Leguil, représentants de la DIRECCTE Occitanie, rend parfois difficile les collaborations interentreprises au-delà du périmètre territorial strictement défini pour chaque pôle. Sans nécessairement conduire à supprimer tout zonage, votre mission estime qu'il devrait être assoupli.

C'est pourquoi, votre mission estime particulièrement pertinentes les démarches qui visent à développer des « hôtels à projets » , qui relèvent moins d'une telle logique territoriale. Ce type d'initiative peut constituer, dans les territoires, des compléments particulièrement bienvenus pour favoriser l'innovation technologique en vue d'une mise sur le marché . Ainsi que l'ont souligné les représentants du MEDEF au cours de leur audition au Sénat, l'ensemble des projets réalisés à ce jour dans les pôles n'a abouti qu'à environ 1 000 dépôts de brevets et seule la moitié des projets (environ 750) a donné lieu à la commercialisation d'un nouveau produit ou d'un service. Le développement d'hôtels à projets servirait donc de catalyseur pour transformer les pôles en « usines à produits », alors qu'ils restent encore pour la plupart des « usines à projets ».

L'hôtel à projets FactoryLab , qu'une délégation de votre mission a pu visiter lors d'un déplacement sur le plateau de Saclay, en est à ce jour l'exemple le plus abouti.

L'HÔTEL À PROJETS FACTORYLAB

Inauguré en septembre 2016 , l'hôtel à projets FactoryLab a été fondé par des acteurs académiques (le List, qui est l'un des trois instituts de recherche technologique de CEA Tech, le Centre technique des industries mécaniques ou Cetim, l'école des Arts et Métiers), des acteurs privés (Dassault systèmes, Naval group, le groupe PSA, Safran, Actemium) et des acteurs institutionnels (Bpifrance, la direction générale des entreprises, l'Alliance Industrie du futur). Il réunit désormais 24 membres.

Il met en relation des utilisateurs finaux de technologies , tels que les grands groupes industriels, avec des fournisseurs et des intégrateurs de technologies . Ceux-ci peuvent ainsi mieux identifier les besoins concrets des utilisateurs finaux et faire connaître leur offre, tandis que les utilisateurs finaux peuvent tester de nouvelles technologies en mutualisant les risques et les ressources au travers de partenariats. Ils peuvent aussi bénéficier de formations sur les thématiques de l'industrie du futur.

Les membres du FactoryLab mettent ainsi en commun des moyens, des compétences et des outils pour développer des projets dans trois domaines : l'usine digitale flexible (en particulier, l'interopérabilité des moyens connectés et la modélisation, la simulation et l'optimisation de l'outil de production), l'automatisation de la fabrication et du contrôle et l'assistance à l'opérateur , qu'elle soit physique ou cognitive.

Le FactoryLab privilégie les projets courts et ciblés (de six à dix-huit mois) et les technologies matures, afin que les projets développés puissent être rapidement déployés dans l'industrie.

Depuis sa création, 18 projets ont fait l'objet d'une étude de faisabilité et 12 projets ont été initiés pour 6,4 M€ . Ces projets concernent notamment l'assistance aux gestes de montage, de contrôle et de maintenance par la réalité augmentée, l'aide à la manipulation précise de charge, l'aide à la conception et à l'évolution d'une ligne de production, la planification de tâches, etc.

Cette démarche représente un budget de 40 M€ sur cinq ans, dont 15 M€ issus des pouvoirs publics. Elle est soutenue par le PIAVE (Projet Industriel d'AVEnir) piloté par le Commissariat général à l'investissement et opéré par Bpifrance.

Proposition n° 29 : Développer, au sein des pôles de compétitivité, des « hôtels à projets » afin de favoriser l'innovation technologique en vue d'une mise sur le marché.


* 71 Boston consulting Group, Industry 4.0 : The Future of Productivity and Growth in Manufacturing Industries, avril 2015

* 72 EY, Croire en l'Industrie du futur et au futur de l'industrie, 2017

* 73 Où le contenu innovant de l'offre renforce le pouvoir de fixation des prix dont disposent les firmes.

* 74 « Réindustrialisons nos territoires » rapport n° 403, (2010-2011), avril 2011.

* 75 Voir supra, p. 63 .

* 76 Pour mémoire, selon les estimations de la Commission nationale d'évaluation des politiques d'innovation, l'État dépense déjà 8,5 Md€ pour financer l'innovation, dont 2,2 Md€ hors dépenses fiscales (cf. Commission nationale d'évaluation des politiques d'innovation, Quinze ans de politiques d'innovation en France, janvier 2016).

* 77 Voir supra, p. 115

* 78 Voir infra, p. 216 .

* 79 Ce tissu industriel « moyen » représente un total de 1,1 million de salariés (soit 40% de l'emploi industriel), une valeur ajoutée annuelle de 80 Md€ (soit 30% de la valeur ajoutée industrielle totale), un chiffre d'affaires à l'export de plus de 70 Md€ (un cinquième des exportations industrielles) et un investissement corporel de 11 Md€ (un cinquième également de l'investissement industriel).

* 80 Voir supra, p. 90 .

* 81 Voir supra, p. 23 .

* 82 La note de présentation par le Gouvernement des résultats du commerce extérieur de la France pour 2017 souligne toutefois que les comparaisons entre pays, notamment européens, restent fragiles en raison de méthodologies de décompte non harmonisées. Il existe en particulier un seuil de déclaration pour les échanges intra-européens, différent selon les Etats, ce qui est susceptible d'augmenter le nombre de petits opérateurs recensés dans les Etats ayant fixé un seuil bas (comme l'Italie, où il est à 0). D'autres données que celles des Douanes (données fiscales, enquêtes auprès des entreprises) aboutissent à un nombre d'exportateurs et à une comparaison intra-européenne très différents. L'INSEE, à partir de données de la Direction générale des finances publiques couvrant les exportateurs de services et pas seulement les biens, dénombre environ 360 000 entreprises réalisant un chiffre d'affaires à l'exportation. Une harmonisation des statistiques européennes paraît nécessaire pour y voir plus clair.

* 83 Le renouvellement reste relativement important : 23 % des exportateurs en 2017 n'exportaient pas en 2016 et 23 % des exportateurs de 2016 n'exportent plus en 2017 (Direction générale des douanes et droits indirects - Département des statistiques et des études économiques).

* 84 Résultats 2017 du commerce extérieur, 7 février 2018.

* 85 Pour une analyse fine de la concentration de l'appareil exportateur français en fonction des secteurs d'activité : « Un appareil exportateur de plus en plus concentré malgré des disparités sectorielles », Direction générale des Douanes et droits indirects, mai 2015, Direction générale des Douanes et droits indirects.

* 86 Audition du 1 er février 2018 : « L'absence de coopération entre acteurs est une faiblesse majeure de la France, qui, malgré de très bonnes entreprises, de très bons managers, une très bonne recherche, une très bonne capacité d'innovation fait figure, en ce domaine, de très mauvais élève. Ainsi, alors que nous sommes le pays d'Europe où l'on crée le plus d'entreprises, notre rang, en ce qui concerne les entreprises exportatrices, est désolant. Elles sont quelque 100 000 en France, contre 300 000 à 400 000 en Allemagne, mais surtout 200 000 en Italie (...). Comment expliquer cette situation ? Je crois qu'elle tient à un défaut de coopération. (...) En Allemagne, au Japon, en Italie, il existe en premier lieu des coopérations au sein de filières parfaitement structurées, ce qui n'est pas le cas en France. Pour reprendre l'exemple de l'automobile, en France, on trouve d'un côté le Comité des constructeurs français d'automobiles et, pour les équipementiers, la Fédération des industries des équipements pour véhicules (FIEV), quand en Allemagne, il existe une structure unique, dont le rôle, la puissance et l'efficacité sont sans commune mesure. (...). J'ai également évoqué l'Italie : les entreprises d'un même secteur, concurrentes entre elles sur le marché domestique, sont solidaires entre elles dès qu'elles sont à l'extérieur. Une telle entente n'existe pas en France . »

* 87 Ubifrance est un établissement public industriel et commercial créé par l'article 50 de la loi pour l'initiative économique du 1er août 2003 : il est issu de la fusion du Centre français du commerce extérieur (CFCE), qui mettait à disposition des entreprises, en particulier des PME, l'information nécessaire pour leur développement international, et d'UBIFrance, alors association dédiée à la promotion des entreprises françaises.

* 88 Coût du dispositif CAI Business France limité aux seuls coûts de personnel et de fonctionnement du dispositif en France.

* 89 Une mission que Coface assumait pour le compte de l'État depuis sa création en 1946

* 90 Audition devant la commission des affaires économiques du Sénat, le 7 février 2018.

* 91 Une cinquième procédure, la garantie du risque économique, est aujourd'hui en extinction.

* 92 La question des moyens financiers publics mis à la disposition de l'accompagnement vers l'export ne semble pas prioritaire. Certes, le service public de l'export est mis sous tension en raison de la baisse des financements, comme en témoigne l'évolution du budget export de Business France (qui a perdu 15% de ses dotations budgétaires entre 2012 et 2017). Mais si on additionne les ressources consacrées à l'accompagnement à l'export de Business France (de l'ordre de 85 M€), des régions (75 M€) et les CCI (65 M€).

* 93 En 2008, la convention pentapartite entre la DG Trésor, Ubifrance, le réseau des CCI en France, celui des CCI à l'étranger et le comité national des conseillers du commerce extérieur de la France (CNCCEF). En juillet 2011, la charte nationale de l'exportation, qui élargit la contractualisation à trois nouveaux signataires (l'Assemblée des régions de France, COFACE et Oséo). Partenariat stratégique pour le développement des PME à l'international conclu le 11 mars 2015 entre Business France, CCI France et CCI France international. Accord-cadre avec l'ARF, signé le 25 juin 2015 et reconduit avec la nouvelle gouvernance de Régions de France en septembre 2016.

* 94 Audition devant la Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat, 17 janvier 2018.

* 95 Idem.

* 96 Pour le détail, voir infra, p. 170 .

* 97 Discours d'Édouard Philippe au conseil national de l'industrie du 20 novembre 2017.

* 98 « À quoi servent les filières industrielles ? », le point de vue de Louis Gallois, commissaire général à l'investissement, président de la Fabrique de l'industrie, Problèmes économiques, novembre 2013.

* 99 Audition du 7 février 2018.

* 100 Source : rapport annuel du Conseil national de l'industrie pour l'année 2016.

* 101 « À quoi servent les filières ? », Thibaut Bidet-Mayer, Louisa Toubal, la Fabrique de l'industrie, 2013.

* 102 « Réindustrialisons nos territoires », rapport n° 403 fait par Alain Chatillon au nom de la mission commune d'information sur la désindustrialisation des territoires (Sénat, 2010-2011).

* 103 Dossier de présentation de la réunion du comité exécutif du conseil national de l'industrie du 26 février 2018.

* 104 « Industrie : un moteur de croissance et d'avenir », rapport présenté par Marie-Claire Cailletaud au nom de la section des activités économiques du Conseil économique, social et environnemental, 27 mars 2018.

* 105 « Quelle politique pour les pôles de compétitivité ? », rapport présenté par Frédéric Grivot au nom de la section des activités économiques du Conseil économique, social et environnemental, 25 octobre 2017.

* 106 « Des pôles de compétitivité performants et structurants pour les territoires », Commissariat général à l'égalité des territoires, En bref n° 36, mars 2017.

* 107 Source : « Quelle politique pour les pôles de compétitivité ? », rapport présenté par Frédéric Grivot au nom de la section des activités économiques du Conseil économique, social et environnemental, 25 octobre 2017.

* 108 « Évaluation de la politique des pôles de compétitivité : la fin d'une malédiction ? », Haithem Ben Hassine, Claude Mathieu, Document de travail n°2017-03, février 2017, France Stratégie.

* 109 Avis sur la politique des pôles de compétitivité de la Commission nationale d'évaluation des politiques d'innovation, 2 février 2017.

* 110 Source : avis sur la politique des pôles de compétitivité de la Commission nationale d'évaluation des politiques d'innovation, 2 février 2017.

* 111 Sauf pour 2005, où la source est l'étude d'Erdyn, BearingPoint et Technopolis : Étude portant sur l'évaluation des pôles de compétitivité, rapport pour la DATAR et la DGCIS, juin 2012.

* 112 Source : Rapport précité du Conseil économique, social et environnemental sur les pôles de compétitivité.

* 113 « Des pôles de compétitivité performants et structurants pour les territoires », Commissariat général à l'égalité des territoires, mars 2017.

* 114 Idem.

* 115 Par la Cour des comptes, dans son référé du 4 juillet 2016 ; le Commissariat général à l'égalité des territoires, dans son rapport de mars 2017 ; le Conseil économique, social et environnemental, dans son avis du 25 octobre 2017 ; la Commission nationale d'évaluation des politiques d'innovation, dans son avis du 2 février 2017 ; et France Stratégie, dans son document de travail « Évaluation de la politique des pôles de compétitivité : la fin d'une malédiction ? », établi par Haithem Ben Hassine et Claude Mathieu.

* 116 Voir supra, p. 102 .

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