B. LA NECESSITÉ D'ACCÉLÉRER L'ACCÈS DES PATIENTS AUX ESSAIS CLINIQUES DANS DES CONDITIONS OPTIMALES DE SÉCURITÉ

1. L'attractivité de la France pour la recherche clinique est discutée, en particulier pour les essais de phase précoce
a) Un positionnement français stable dans une Europe qui décroît

Dans un contexte de compétition internationale fortement accrue au cours des dernières années, l'attractivité de la France pour la recherche clinique est devenue une préoccupation de tout premier plan, qui suscite des réactions mitigées, parfois contradictoires. Si la qualité de la recherche scientifique et clinique française est unanimement reconnue, force est de constater un sentiment général de décrochage . Selon les indications fournies à vos rapporteurs, il semble, de manière particulièrement illustrative, qu'au niveau mondial les discussions des autorités françaises avec les représentants de l'industrie pharmaceutique se focalisent en premier lieu sur la question de l'accès aux essais cliniques dans notre pays, avant même de porter sur celle de la fixation des prix des médicaments bénéficiant d'une AMM. La perception de l'environnement français de la recherche clinique est ainsi empreinte d'une certaine prudence. Pointant la diminution du nombre d'essais de phase précoce et la place décroissante de la France dans les études cliniques réalisées en Europe, la plupart des industriels appellent en effet de leurs voeux la mise en place de procédures plus rapides et faciles pour l'autorisation des essais.

Vos rapporteurs regrettent l'insuffisance des données de source institutionnelle permettant d'objectiver cette situation par un état des lieux consolidé de la recherche clinique tant académique qu'industrielle . Parmi les différentes études disponibles, celle réalisée périodiquement par le Leem dresse néanmoins un portrait nuancé des essais cliniques à promotion industrielle et ses conclusions convergent avec les constats établis devant vos rapporteurs au cours des auditions 97 ( * ) . Le Leem alerte sur « certains clignotants (qui) passent à l'orange » s'agissant de la longueur des délais de mise en place des essais et du recul de la France dans les études cliniques réalisées en Europe, notamment face à la concurrence de pays de l'Est.

De fait, si la France continue d'appartenir aux grands acteurs de la recherche clinique mondiale, sa situation est surtout celle d'une stagnation, voire d'un non-rattrapage dans une Europe dont la place décroît face à la montée en puissance de pays qui présentent un cadre réglementaire moins contraignant ou de moindres exigences au plan des garanties éthiques , à l'instar des États-Unis, lesquels concentrent 60 % des essais cliniques réalisés dans le monde, ou de la Chine.

Ce constat d'une Europe en perte de vitesse est bien identifié par les institutions européennes qui y ont vu une incitation à modifier le cadre juridique défini à cet échelon. Dans une évaluation de la directive sur les essais cliniques de 2001, aujourd'hui abrogée, la Commission européenne dressait en effet le triple constat d'une forte chute du nombre d'essais cliniques entre 2007 et 2010 (de l'ordre de 25 %), d'une hausse importante de leurs coûts et d'un allongement substantiel des délais de mise en place. Elle relevait que la directive « est critiquée par toutes les parties concernées (des patients aux entreprises du secteur, en passant par les chercheurs) au motif qu'elle a provoqué dans l'Union européenne un net désintérêt pour la recherche axée sur le patient et les études connexes. De fait, le nombre de demandes d'autorisation portant sur des essais cliniques dans l'Union européenne a baissé de 5 028 à 4 400 entre 2007 et 2010. Cette tendance entraîne une forte érosion de la compétitivité de l'Europe dans le secteur de la recherche clinique et a donc une incidence négative sur la mise au point de traitements et de médicaments nouveaux et innovants. » 98 ( * )

b) Un retard pour les essais de phase précoce

Selon les informations communiquées à vos rapporteurs, en 2016, l'ANSM a délivré 756 autorisations d'essais cliniques de médicaments, soit un nombre inférieur à ceux enregistrés les deux années précédentes. Cette baisse serait toutefois le reflet d'une nouvelle organisation au sein de l'agence. L'année 2017 enregistre une nouvelle baisse, avec 727 essais autorisés pour les médicaments . De manière constante, un tiers des promoteurs sont académiques et deux tiers industriels.

Autorisation des essais cliniques en faveur des médicaments

2012

2013

2014

2015

2016

2017

Nombre d'autorisations délivrées

705

899

821

928

756

727

Source : ANSM, rapport d'activité pour 2017 (20/09/2017), et réponses au questionnaire de vos rapporteurs

Toutes phases confondues, environ 55 % des essais sont déposés en oncologie. Cette discipline concentre à elle seule environ 90 % des études de phase I, ce qui reflète l'importance croissante prise par cette discipline dans les développements et la vague d'innovations actuels.

Répartition des essais cliniques autorisés par domaine thérapeutique 99 ( * )

2013

2014

2015

Oncologie, hématologie, immunologie
et néphrologie

379

345

426

Cardiologie, endocrinologie, gynécologie
et urologie

110

85

224

Neurologie, psychiatrie, antalgie, rhumatologie, pneumologie, ORL, ophtalmologie, stupéfiants

262

217

542

Anti-infectieux, hépato-gastroentérologie, dermatologie, maladies rares

125

149

229

Vaccins et produits biologiques

24

25

68

Source : ANSM, rapport d'activité pour 2015 (29/12/2016)

Malgré leur demande réitérée en ce sens auprès des autorités concernées, vos rapporteurs ne se sont pas vu communiquer de données statistiques suffisamment détaillées pour acquérir une vision d'ensemble de l'évolution des essais cliniques réalisés en France au cours du temps, en fonction des phases et des domaines d'intervention, des durées de mise en oeuvre, du nombre de volontaires concernés ainsi que des résultats obtenus.

Il apparaît néanmoins clairement que la position de la France pour les essais de phase précoce demeure insatisfaisante alors que leur nombre est en constante augmentation au niveau mondial. Le Leem estime que si la France se caractérise par le dynamisme de la recherche clinique en oncohématologie, elle fait face une baisse globale des études de phase précoce qui représentent 17 % des études en 2016 contre 20 % en 2014. Cet affaissement de la position française dans les essais de phase I serait en partie lié à l'affaire Biotrial, qui aurait engendré une dégradation de la perception de l'environnement français. En outre, certaines aires thérapeutiques apparaissent délaissées comme par exemple la neurologie et la psychiatrie qui ne représentent toutes les deux que 2 % des études de phase I contre 11 % en 2014, et toutes phases confondues, 6 % en 2016 contre 10 % en 2014 100 ( * ) . Pour les phases II et III, le Leem souligne que la France subit la concurrence d'autres pays qui ont une faculté d'inclusion beaucoup plus grande. Le ministère des solidarités et de la santé relève pour sa part que « si pour les essais de phase I, la France ne parvient pas à rattraper son retard, déjà ancien, sur les pays européens les plus compétitifs, elle demeure en tête pour le nombre d'essais de phase III réalisés en 2017 (204 essais cliniques contre 182 en Allemagne). Toutes catégories confondues, la France appartiendrait au trio de tête constitué du Royaume-Uni et de l'Allemagne ». 101 ( * )

Vos rapporteurs sont convaincus que la France dispose d'atouts indéniables, avec des scientifiques de très haut niveau, des établissements d'excellence et des prises en charge de grande qualité. Ces avantages comparatifs ne doivent néanmoins pas conduire à occulter les critiques qui se font entendre sur une perte de vitesse de la France , sur les inégalités territoriales liées à la centralisation des essais principalement dans les grandes villes et sur la rareté des essais cliniques dans certains domaines comme par exemple la pédiatrie. Il convient en particulier d'éviter l'effet de cliquet que peut engendrer la réalisation d'un essai de phase I dans un autre pays dans la mesure où toute délocalisation risque d'entraîner celle des essais de phases suivantes. Enfin, compte tenu des spécificités de leur modèle économique et de leur spécialisation poussée, un enjeu particulier existe pour les biotechs, dont les besoins de financement sont importants dès le stade le plus précoce de la recherche.

2. Plusieurs freins sont à lever pour accélérer la mise en place des essais cliniques et la mise à disposition de médicaments innovants aux volontaires

De l'avis général, la longueur des procédures administratives d'autorisation des essais cliniques et leur caractère inadapté aux enjeux de l'innovation constituent ainsi l'un des principaux freins au renforcement de l'attractivité du territoire français. Au-delà des questions de financement de la recherche, qui dépassent le cadre du présent rapport, réunir les conditions d'une recherche clinique réactive et dynamique implique tout d'abord des adaptations organisationnelles , tant des CPP que de l'ANSM, en particulier au regard des nouvelles règles européennes qui trouveront prochainement à s'appliquer.

Si les autorités n'ont pas su, en tout cas pour le moment, se doter d'indicateurs robustes de suivi des délais d'autorisation, en particulier pour les avis rendus par les CPP, chacun s'accorde sur le fait que ces délais sont très fréquemment dépassés . Selon le Leem, le délai médian entre la soumission du dossier de recherche clinique à l'ANSM et son autorisation est passé de 55 jours en 2014 à 57 jours en 2016. Le délai médian pour les avis rendus par les CPP demeure de 62 jours comme en 2014. Au total selon le Leem, la France « reste encore pénalisée par la longueur des délais avant le démarrage de l'essai. Faute de moyens accordés à l'ANSM comme aux CPP, les délais administratifs risquent encore de s'allonger, d'autant plus que l'ANSM se voit confier, aux termes de la loi Jardé, de nouvelles tâches d'évaluation méthodologique. De plus, la désignation des CPP par tirage au sort tel que prévu par la loi Jardé suscite les plus grandes réserves : en effet, ce tirage au sort implique que tous les CPP soient en mesure d'expertiser l'ensemble des protocoles de recherche dans toutes les pathologies. Or, l'enquête 2016 montre que 50 % des études cliniques sont évaluées par 9 des 40 CPP. »

a) De nouvelles exigences à respecter en application du nouveau règlement européen

Publié le 27 mai 2014, le règlement européen relatif aux essais cliniques de médicaments à usage humain 102 ( * ) a pour ambition d'accroître l'attractivité et les capacités de l'Union européenne pour la recherche biomédicale, en partant du constat d'une perte de vitesse de l'Europe à une époque de fort développement des innovations, en particulier dans le domaine de la génomique.

Il réforme en profondeur les conditions d'autorisation des essais cliniques dans l'Union européen en prévoyant une double évolution :

- d'une part, il renforce le rôle centralisateur de l'agence européenne du médicament (EMA) dans le sens d'une évaluation coordonnée des demandes d'autorisation d'essais cliniques et de leurs modifications. Dès lors qu'un essai est conduit dans au moins un État membre, la demande d'autorisation par le promoteur devra être déposée sur un portail européen unique . Celui-ci a vocation à regrouper l'ensemble des informations relatives aux essais et sera le support de tous les échanges entre les promoteurs, les autorités administratives des Etats membres participant à un essai clinique ainsi que les comités d'éthique de ces pays. Certaines données seront rendues accessibles au public ;

- d'autre part, le règlement prévoit une instruction des demandes en deux étapes : la première dans le cadre d'une évaluation coordonnée entre Etats membres concernés aboutissant à une conclusion unique (partie I), la seconde dans le cadre d'une évaluation par chaque État membre conduisant à une conclusion nationale (partie II). La partie I, assurée par un État membre rapporteur, vise à évaluer la demande au plan scientifique. La partie II concerne l'évaluation au plan éthique. Chaque État membre formule ensuite une décision nationale qui intègre les conclusions des parties I et II. Le règlement européen précise ainsi les rôles respectifs des autorités nationales compétentes en matière d'évaluation des essais cliniques de médicaments et des comités d'éthique.

Le règlement, publié au Journal Officiel de l'Union européenne le 27 mai 2014, s'appliquera dès la mise à disposition du portail européen, qui devrait intervenir courant 2019. Il implique une évaluation concomitante d'une demande d'essai clinique sur un médicament par l'ANSM et le CPP, débouchant sur une notification unique, par l'ANSM au promoteur, de la décision de l'agence et de l'avis du comité.

Pour une demande initiale, le délai au terme duquel l'ANSM et le CPP doivent s'être prononcé sur la validité d'un essai clinique est ainsi fixé à 45 jours et 91 jours en cas de questions complémentaires posées au promoteur. Une disposition d'« accord tacite » est prévue, selon laquelle en l'absence de réponse dans le délai imparti, l'essai est considéré comme accepté (le silence vaut acceptation).

Le règlement européen de 2014 sur les essais cliniques :
des contraintes calendaires très resserrées

Le règlement européen relatif aux essais cliniques de médicaments à usage humain impose aux États membres des échéances calendaires très resserrées qui doivent être respectées, faute de quoi l'autorisation d'un essai clinique est réputée acquise.

La demande du promoteur doit être validée par l'État membre rapporteur dans un délai de dix jours à compter du dépôt du dossier de demande.

L'État membre rapporteur transmet, par l'intermédiaire du portail de l'Union, la partie I finale du rapport d'évaluation, y compris sa conclusion, au promoteur et aux autres États membres concernés, dans un délai de quarante-cinq jours à compter de la date de validation.

Chaque État membre concerne conclut son évaluation dans un délai de quarante-cinq jours à compter de la date de validation et soumet, par l'intermédiaire du portail de l'Union, la partie II du rapport d'évaluation, y compris la conclusion, au promoteur. Ce délai peut être prolongé de trente et un jours au maximum pour obtenir des informations complémentaires de la part du promoteur.

Chaque État membre concerné fait savoir au promoteur si l'essai clinique est autorisé, s'il l'est sous conditions ou si l'autorisation est rejetée. La notification est effectuée sous la forme d'une décision unique dans un délai de cinq jours à compter de la date de rapport ou du dernier jour de l'évaluation (partie II).

Si l'État membre concerné n'a pas notifié sa décision au promoteur dans les délais prévus, la conclusion sur la partie I du rapport d'évaluation est réputée être celle de l'État membre concerné s'agissant de la réponse à la demande d'autorisation de l'essai clinique.

L'article 4 du règlement dispose que les États membres « veillent à ce que les délais et les procédures pour l'examen par les comités d'éthique soient compatibles avec les délais et procédures établis dans le présent règlement en ce qui concerne l'évaluation de la demande d'autorisation d'un essai clinique ».

En France, l'application du règlement européen est assurée par l'ordonnance précitée du 16 juin 2016 103 ( * ) qui modifie le code de la santé publique dans sa rédaction issue de la loi « Jardé », par l'insertion d'un chapitre dédié constitué de l'article L. 1124 1. L'article 4 de l'ordonnance prévoit que l'évaluation scientifique et technique des essais cliniques sera réalisée par l'ANSM, les CPP se menant une évaluation au strict plan éthique.

La bonne application de ces règles nécessite une adaptation des procédures et des acteurs au plan national, en particulier un renforcement des relations entre l'ANSM et les CPP. Des évolutions ont été engagées en ce sens, qui devront être approfondies, en particulier pour renforcer la capacité d'intervention des CPP.

b) Renforcer les CPP et leur expertise

Au nombre de 39, les CPP sont désignés par les ARS et agréés par le ministère chargé de la santé pour une durée de 6 ans. Chacun est doté de la personnalité juridique et reçoit une dotation de l'État destiné à couvrir ses frais de fonctionnement.

La composition des comités de protection des personnes (CPP)

La composition des CPP est établie de façon à « garantir leur indépendance et la diversité des compétences dans le domaine de la recherche impliquant la personne humaine et à l'égard des questions éthiques, sociales, psychologiques et juridiques » (article L. 1123-1 du code de la santé publique).

Chaque CPP se compose ainsi de 14 membres, nommés par le représentant de l'État dans la région, qui se divisent en deux collèges paritaires :

- un 1 er collège scientifique composé de 4 personnes qualifiées en recherche biomédicale dont au moins 2 médecins et 1 biostatisticien ou épidémiologiste, 1 médecin généraliste, 1 pharmacien hospitalier et 1 infirmier ;

- un 2 e collège sociétal composé de 7 personnes qualifiées : 1 en matière d'éthique, 1 psychologue, 1 travailleur social, 2 juristes ainsi que 2 représentants d'associations de patients ou d'usagers du système de soins.

Ces membres interviennent à titre bénévole et sont tenus à une obligation d'indépendance vis-à-vis des investigateurs et des promoteurs.

En application de la loi « Jardé », les CPP sont chargés d'émettre un avis sur l'ensemble des projets de recherche impliquant la personne humaine (RIPH), quel que soit l'objet de l'essai clinique. Une commission nationale des recherches impliquant la personne humaine (CNRIPH) a pour mission d'assurer leur coordination (article L. 1123-1-1 du CSP). Conformément à la volonté du législateur, les comités ont perdu leur compétence régionale et sont devenus compétents pour l'ensemble du territoire, les dossiers de recherche étant répartis de manière aléatoire entre les CPP par une procédure de tirage au sort effectué par le secrétariat de la CNRIPH.

L'attention de vos rapporteurs a été attirée sur les difficultés, bien identifiées, auxquelles font face les CPP dans la réalisation de leur mission, malgré tout l'engagement et le dévouement de leurs membres dont il faut rappeler qu'ils sont bénévoles. Le niveau d'expertise et de réactivité des 39 CPP apparaît en effet insuffisant ou, à tout le moins, inégal. Ces difficultés sont principalement de trois ordres :

- un manque d'expertise pour les essais particulièrement complexes, en particulier ceux spécifiques aux cancers , dont les modalités sont devenues extrêmement techniques. Plusieurs personnes auditionnées par vos rapporteurs ont notamment indiqué que de nombreuses questions posées par certains CPP aux promoteurs des essais témoignent fréquemment d'un manque d'expertise de leurs membres, avec le risque soit de retarder les procédures, soit, au contraire, de passer à côté d'un enjeu important ou d'une difficulté. Dans certains cas, la composition des CPP apparaît inadaptée au regard des compétences requises pour la compréhension des protocoles de recherche. A titre d'exemple, une grande partie des CPP ne seraient pas en mesure de satisfaire à l'obligation de recourir à un pédiatre pour les projets impliquant des mineurs de moins de 16 ans. ;

- une forte hétérogénéité des niveaux et des pratiques , qui traduit une harmonisation insuffisante des méthodes d'évaluation, aggravée par l'absence d'indicateurs de suivi ;

- et enfin des dysfonctionnements administratifs , souvent liés à un manque de moyens qui réduit la disponibilité de certains CPP, en particulier pendant certaines périodes de congé comme par exemple durant l'été.

Au total, l'intégralité des CPP n'est pas en capacité de travailler efficacement dans des délais raisonnables, souvent faute de spécialistes disponibles ou d'experts mobilisables, en particulier pour les essais de phase I. Les modalités de désignation des CPP fondées sur le principe du tirage au sort sont de nature à accroître ces difficultés.

Dans ces conditions, vos rapporteurs sont convaincus qu'il convient d'adapter le système du tirage au sort afin que celui-ci s'applique à un groupe restreint de CPP spécialisés en fonction du domaine de l'essai clinique. Ce dispositif va dans le sens de celui adopté en mai dernier à l'occasion de l'examen en première lecture à l'Assemblée nationale d'une proposition sur l'expertise des CPP 104 ( * ) . Partant du constat que les demandes ne peuvent être traitées dans le délai imparti de 45 jours, ce texte prévoit un dispositif qui vise à orienter la demande vers un comité doté de la compétence nécessaire à l'évaluation, que cette compétence soit présente en son sein ou disponible dans son réseau. Il est ainsi prévu que le tirage au sort soit effectué parmi les CPP disponibles et qui disposent de la compétence nécessaire. Il n'apparaît en effet pas opportun d'inclure dans le tirage au sort les comités qui ne sont pas en mesure de mobiliser cette compétence indispensable à l'évaluation de la démarche éthique du projet.

Vos rapporteurs jugent en outre indispensable de renforcer le niveau d'expertise des CPP, notamment par la mise en place de formations adaptées et l'accès à des experts rapidement mobilisables. A cet égard, il serait opportun d'accroître les interactions avec l'ANSM dans le sens d'une mutualisation de l'expertise.

L'harmonisation des procédures d'évaluation doit également se poursuivre sous l'égide de la CNRIPH.

Enfin, il apparaît indispensable de renforcer les moyens administratifs dont disposent les comités pour leur permettre de faire face à leurs missions et de mieux valoriser le travail des bénévoles.

Proposition n° 16 : Renforcer les comités de protection des personnes (CPP) et leur expertise :

- Adapter le système du tirage au sort en prévoyant que celui-ci s'applique à un groupe restreint de CPP spécialisés en fonction du domaine concerné par l'essai clinique ;

- Renforcer le niveau d'expertise des CPP, notamment par la mise en place de formations adaptées et la mise à disposition d'experts en cas de besoin ;

- Poursuivre l'harmonisation des procédures d'évaluation ;

- Renforcer les moyens administratifs dont disposent les comités.

Sous la pression du nouveau cadre juridique européen, de l'attribution de missions supplémentaires et d'un contexte budgétaire contraint, l'ANSM fournit d'importants efforts pour adapter ses procédures internes et prioriser ses missions à partir de l'idée qu'il convient d'adapter l'évaluation en fonction des risques.

Un groupe de travail du « comité d'interface sur les essais cliniques » a notamment engagé à l'automne 2017 une réflexion sur les conditions à réunir pour renforcer l'attractivité de la France dans le domaine de la recherche clinique tout en garantissant la sécurité des patients.

Pour répondre à l'enjeu spécifique de l'instruction des essais cliniques de phases précoces, l'ANSM a mis en place, fin 2017, une cellule dédiée au sein de sa direction des politiques d'autorisation et d'innovation (DPAI) 105 ( * ) . Ses ressources sont issues à la fois d'autres directions et de recrutements externes. Aujourd'hui, malgré des moyens que vos rapporteurs jugent encore relativement limités, les représentants de l'agence estiment que les compétences nécessaires pour instruire les demandes d'essais précoces dans des délais raisonnables sont réunies 106 ( * ) .

Afin d'anticiper l'application du nouveau règlement européen relatif aux essais cliniques de médicaments à usage humain, l'agence est par ailleurs entrée dès septembre 2015 dans une phase pilote associant à titre expérimental les promoteurs académiques et industriels qui le souhaitent ainsi que les CPP. Consécutivement à l'entrée en vigueur de la loi « Jardé », les 39 CPP ont été intégrés au dispositif. Une démarche a également été engagée pour mieux coordonner l'activité de l'agence avec celle des CPP. Un nouveau système d'information est en cours de conception pour faciliter les échanges entre les promoteurs et les comités ainsi qu'entre ceux-ci et l'ANSM.

Dans ses évaluations périodiques de la phase pilote, l'agence souligne que celle-ci a permis la mise en place d'interactions constructives entre les parties prenantes (promoteurs, CPP et ANSM), une mobilisation importante des CPP ainsi qu'une forte participation des promoteurs académiques et industriels. L'avancée de l'instruction du dossier est devenue plus visible, avec la mise à disposition d'un seul calendrier d'instruction des demandes et une facilitation des démarches liée à l'envoi du dossier complet le même jour et à la réception d'une notification unique.

Aux yeux de vos rapporteurs, le bilan de cette phase pilote est relativement encourageant. L'ANSM demeure cependant sous très forte tension et, dans la période récente, le délai moyen dans lequel les avis sont rendus connaît une augmentation.

Selon l'agence, au 28 septembre 2017, deux ans après le début de cette phase expérimentale, 260 dossiers ont été déposés et 210 gérés par la cellule dédiée, soit 14 % des dossiers déposés à l'agence. Près de la moitié des dossiers gérés ont concerné des médicaments en oncologie et en hématologie. Le nombre de promoteurs académiques ayant participé s'élève à 33 (comptant pour 97 dossiers déposés) et celui des promoteurs industriels à 40 (113 dossiers déposés). Sur les 193 demandes clôturées, 127 ont abouti à une autorisation de l'ANSM et un avis favorable du CPP concerné avec un délai moyen d'instruction de 68,9 jours .

Evolution du délai moyen de notification finale

Demandes clôturées

Nbre autorisation
+ AF

Délai moyen

Bilan 6 mois (au 28/03/16)

26

21

57,4 j

Bilan 12 mois (au 30/09/16)

89

73

64,3 j

Bilan 18 mois (au 31/05/17)

128

98

65,5 j

Bilan 24 mois (au 28/09/17)

193

127

68,9 j

Source : ANSM (Direction de l'évaluation, 17 octobre 2017)

Dans ces conditions, vos rapporteurs ne peuvent qu'appeler de leurs voeux la poursuite des adaptations organisationnelles . Au-delà de l'optimisation des procédures, qui doit constituer un axe d'amélioration permanent, la question des moyens de l'agence pour faire face à ses missions doit demeurer un point de vigilance. A cet égard, l'agence estime avoir « mis en place une organisation au regard des moyens alloués visant à permettre un traitement optimisé des essais cliniques dans le cadre règlementaire actuel. Les moyens futurs devront être adaptés en lien avec la stratégie que la France veut mener au sein d'un cadre européen et le positionnement qu'elle souhaite occuper. » 107 ( * ) Dans la perspective de l'application prochaine du règlement européen, en particulier de la disposition d'autorisation tacite, vos rapporteurs estiment que les enjeux justifient un renforcement des moyens de l'ANSM dédiés à l'instruction.

Proposition n° 17 : Augmenter les moyens de l'ANSM dédiés à l'instruction des essais cliniques précoces et poursuivre l'optimisation de la procédure de gestion des essais cliniques en adaptant l'évaluation en fonction des risques.

c) Simplifier la convention unique

La mise en oeuvre, dans un établissement de santé, des recherches biomédicales à vocation industrielle mobilisant les compétences et les moyens de cet établissement, les coûts et surcoûts générés pour celui-ci sont facturés à l'industriel promoteur de la recherche en tant que prestation de service. Compte tenu de l'enjeu représenté par les délais de mise en place des recherches du point de vue de la compétitivité internationale, la nécessité de réduire le délai de signature des conventions qui lient l'industriel promoteur de la recherche à l'établissement de santé dans lequel se déroule l'investigation a été prise en compte dans le contrat stratégique de filière « Industries et Technologies de Santé », signé le 5 juillet 2013 par le gouvernement et les organisations professionnelles représentant les industries de santé. En vertu de sa mesure 19, une convention unique remplace, depuis fin 2016, le contrat unique pour les études de recherche clinique à promotion industrielle.

Avant 2014, les laboratoires pharmaceutiques étaient obligés de négocier les coûts de leur recherche avec chaque établissement de santé partenaire. Il s'agissait d'une procédure complexe qui allongeait les délais de contractualisation. Selon le Leem, ces délais s'élevaient à 8 mois en moyenne mais pouvaient aller jusqu'à plus de deux ans et demi. La convention unique associe désormais, pour un même lieu de recherche, le promoteur industriel, l'établissement de santé et, le cas échéant, une structure tierce destinataire de contreparties financières. Elle a vocation à être utilisée à l'identique par tous les établissements de santé français participant à une même recherche biomédicale. Cette mesure de simplification administrative et de transparence a été étendue à l'ensemble des établissements de santé par la loi de modernisation de notre système de santé du 26 janvier 2016 (article L. 1121-16-1 du code de la santé publique) 108 ( * ) . La convention unique est pilotée par un établissement coordonnateur avec un délai de signature limité à 60 jours. Selon le Leem, en 2015, 331 études ont démarré avec la signature de 1 838 conventions et en 2016, 493 études avec 3 116 conventions.

Vos rapporteurs relèvent que l'utilité de la convention unique est appréciée diversement par les personnes auditionnées : si les interlocuteurs de la mission ont généralement souligné son caractère positif, il a été souligné qu'elle n'avait pas eu, pour tous, les effets escomptés . UniCancer estime en particulier que « la convention unique, qui était destinée à réduire les délais, a dans le réseau des CLCC produit l'effet inverse, avec un allongement des délais et une perte significative de financement des surcoûts par les industriels. »

Vos rapporteurs estiment que la mise en place de la convention unique a constitué une importante mesure de rationalisation des procédures. Les efforts de simplification doivent néanmoins se poursuivre et la convention unique être appropriée par l'ensemble des établissements investigateurs. Il s'agit d'ailleurs de l'un des objectifs assignés dans le cadre du CSIS, ces nouvelles modalités de contractualisation entre investigateurs et promoteurs n'apportant pas encore entière satisfaction.

Proposition n° 18 : Poursuivre la simplification de la convention unique et la généraliser à l'ensemble des établissements.


* 97 Leem, 8 ème enquête « Attractivité de la France pour la recherche clinique internationale », février 2017. Cette étude porte sur les essais interventionnels à promotion industrielle enregistrée sur le site www.clinicaltrials.gov pour les années 2014 et 2015.

* 98 Document de travail des services de la commission ; résumé du rapport d'analyse d'impact relatif à la révision de la directive 2001/20/CE sur les essais cliniques accompagnant le document Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif aux essais cliniques de médicaments à usage humain et abrogeant la directive 2001/20/CE.

* 99 Selon les réponses apportées tardivement le 12 juin 2018 au questionnaire de vos rapporteurs, pour 2017, la répartition entre les différents domaines thérapeutiques est la suivante : 54% pour l'oncologie, hématologie, transplantation, néphrologie, thérapie cellulaire, produits sanguins et radio-pharmaceutiques, 19% pour la cardiologie, rhumatologie, stomatologie, endocrinologie, gynécologie, urologie, pneumologie, ORL, allergologie, 11% pour la neurologie, psychiatrie, anesthésie, antalgie, ophtalmologie, stupéfiants, psychotropes et médicaments des addictions, 16% pour les vaccins, médicaments anti-infectieux, en hépato-gastro-entérologie, dermatologie, de thérapie génique et maladies métaboliques rares.

* 100 Leem, 8ème enquête « Attractivité de la France pour la recherche clinique internationale », février 2017. Cette étude porte sur les essais interventionnels à promotion industrielle enregistrée sur le site www.clinicaltrials.gov pour les années 2014 et 2015.

* 101 Réponses au questionnaire de vos rapporteurs.

* 102 Règlement UE n° 536/2014 du Parlement européen et du Conseil du 16 avril 2014 abrogeant la directive 2001/20/CE du Parlement et du Conseil du 4 avril 2001 concernant le rapprochement des dispositions législatives, réglementaires des États membres relatives à l'application de bonnes pratiques cliniques dans la conduites d'essais cliniques de médicaments à usage humain.

* 103 Ordonnance n° 2016-800 du 16 juin 2016 relative aux recherches impliquant la personne humaine.

* 104 Proposition de loi relative à l'expertise des comités de protection des personnes, présentée par MM. Cyrille Isaac-Sibille, Philippe Berta et les membres du groupe Modem et apparentés, députés, adoptée en première lecture par l'Assemblée nationale le 9 mai 2018.

* 105 Depuis le 18 décembre 2017, cette cellule est chargée d'instruire les essais cliniques précoces portant sur les médicaments uniquement : il s'agit des essais de première administration chez l'homme et des essais visant à améliorer la connaissance initiale chez l'homme des profils de tolérance, sécurité, pharmacocinétique et pharmacodynamique. Ce sont des essais de phase I ou de phase I et II.

* 106 L'ANSM indique que : « Un conseiller médical a rejoint la DPAI en charge de la cellule. Son rôle est d'accompagner l'évaluation des essais à différentes étapes du traitement, notamment sur le plan de la mise en perspective des questions posées au cours de l'évaluation au regard de l'enjeu thérapeutique que constitue l'accès à un nouveau traitement dans des pathologies ou le pronostic vital est engagé. Des ressources d'autres directions sont mobilisées en tant que de besoin pour un traitement adapté et prioritaire de ce type d'essais cliniques. »

* 107 Réponses au questionnaire de vos rapporteurs.

* 108 Décret n° 2016-1538 du 16 novembre 2016 relatif à la convention unique pour la mise en oeuvre des recherches à finalité commerciale impliquant la personne humaine dans les établissements de santé, les maisons et les centres de santé.

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