C. GARANTIR LES DROITS DES AGENTS TERRITORIAUX ET DIVERSIFIER LEURS MODES DE RECRUTEMENT

1. De nouveaux droits pour les agents territoriaux

Le renforcement des moyens d'action des employeurs territoriaux doit s'accompagner de débats plus réguliers sur les conditions de travail des fonctionnaires et des contractuels.

À titre d'exemple, l'affirmation de la protection sociale complémentaire des agents (dont 75 % exercent des fonctions d'exécution) constitue un enjeu majeur pour la fonction publique territoriale.

Un décret de 2011 a d'ailleurs clarifié la possibilité pour les employeurs locaux de financer une partie de la protection sociale complémentaire des agents (risque « santé » pour les atteintes à l'intégrité physique et risque « prévoyance » pour l'incapacité de travail ou l'invalidité) 35 ( * ) . Cette participation « patronale » demeure une faculté, non une obligation .

D'après un récent rapport du Conseil supérieur de la fonction publique territoriale, le bilan de ce décret reste « mitigé en termes de nombre de bénéficiaires, en particulier dans les collectivités de taille importante ».

Le développement de la protection sociale complémentaire est ralenti par des freins financiers mais également par des freins structurels . Si certains élus se fixent des objectifs ambitieux « pour favoriser la santé et prévenir les situations de précarité de leurs agents », « d'autres montrent un intérêt plus relatif quant à la protection sociale complémentaire, voire une certaine réticence, surtout pour les élus issus d'un milieu professionnel éloigné de la fonction publique et attachés à la maîtrise de la masse salariale de leur collectivité » 36 ( * ) .

Dans ce contexte, votre rapporteur propose que certains enjeux (temps de travail, primes, protection sociale complémentaire, etc .) soient régulièrement soumis à l'assemblée délibérante des collectivités territoriales et de leurs groupements .

L'idée n'est pas d'orienter la décision des employeurs territoriaux mais bien de susciter un débat entre les élus. Un dispositif comparable existe d'ailleurs pour le plan de formation 37 ( * ) , la gestion du handicap et l'action sociale, culturelle, sportive et de loisirs 38 ( * ) .

Proposition n° 10 : Responsabiliser les employeurs territoriaux en prévoyant des délibérations triennales sur des enjeux majeurs comme le temps de travail, les primes, la protection sociale complémentaire, etc .

Échéance prévisionnelle : 2019

Le droit à la mobilité des agents territoriaux doit également être renforcé afin de valoriser et de diversifier leur carrière.

Paradoxalement, la mobilité dans la fonction publique territoriale est plus faible que dans les deux autres versants : en 2015, seuls 4 % des agents territoriaux ont changé d'employeur, dont seulement 0,7 % pour rejoindre la fonction publique de l'État ou hospitalière 39 ( * ) .

Ce constat s'explique par les politiques de fidélisation mises en place dans les collectivités territoriales et leurs groupements mais également par des freins structurels à la mobilité .

Comment organiser ma mobilité ? Comment être informé des postes vacants dans d'autres administrations ? Quel est le régime applicable à ma mobilité ? Puis-je conserver le bénéficie de mes droits à formation et de mon compte épargne-temps ? Autant de questions complexes, qui restent parfois sans réponse.

L'ordonnance du 13 avril 2017 40 ( * ) a utilement prévu la création, d'ici 2020, d'un portail internet commun aux trois versants de la fonction publique pour y diffuser des offres d'emploi .

Votre rapporteur propose d'accélérer ce projet, en rendant le portail accessible dès 2019.

Elle préconise également d'élargir ses fonctionnalités en y incluant notamment un calendrier pluriannuel des concours organisés dans les trois versants de la fonction publique, sur le modèle du site de la Fédération nationale des centres de gestion (FNCDG) 41 ( * ) .

Dans la même logique, des initiatives conjointes de mobilité pourraient être mises en oeuvre entre les trois versants de la fonction publique .

Placées sous l'autorité du préfet de région, les plates-formes régionales d'appui interministériel à la gestion des ressources humaines ( PFRH ) pourraient devenir les chevilles ouvrières de ce rapprochement inter fonctions publiques.

Certaines plates-formes s'inscrivent d'ailleurs dans une telle démarche, à l'instar de la PFRH des Hauts-de-France qui a créé en 2012 le projet « mobilité inter fonctions publiques » (MIFP) pour publier les offres d'emploi des trois versants et mutualiser certaines formations.

Proposition n° 11 : Mieux accompagner les agents territoriaux dans leurs projets de mobilité en :

- créant un site internet unique regroupant les vacances de poste et les annonces de concours ;

- développant les échanges avec les plates-formes régionales d'appui interministériel à la gestion des ressources humaines (PFRH)

Échéance prévisionnelle : 2018-2025

2. La diversification des modes de recrutement

Votre rapporteur propose de poursuivre la diversification des modes de recrutement dans la fonction publique territoriale en travaillant plus particulièrement sur trois enjeux : les classes préparatoires intégrées (CPI), l'apprentissage et les concours sur titres.

Il existe aujourd'hui 28 classes préparatoires intégrées pour soutenir les étudiants et demandeurs d'emploi de condition modeste dans la préparation des concours externes de la fonction publique (officier de gendarmerie, conservateur du patrimoine, directeur d'hôpital, etc .).

Seul le versant territorial ne compte aucune classe préparatoire intégrée, ce que votre rapporteur déplore depuis son avis budgétaire sur le projet de loi finances pour 2016 42 ( * ) .

Lors de son audition, M. François Deluga, président du CNFPT, a précisé qu'il envisageait la création d'une « communauté de parcours de préparation aux concours administratifs » pour environ 1 600 jeunes par an et un coût de 3,2 millions d'euros. Il a précisé que la mise en oeuvre de ce projet lui semblait conditionnée à l'intervention du législateur.

Concrètement, le CNFPT mettrait à disposition des élèves des supports de cours numériques, qu'ils consulteraient en parallèle de leurs études ; en complément, une dizaine de journées de cours seraient organisées « en présentiel » par chacune des 29 délégations régionales du CNFPT.

Proposition n° 12 : Créer, dans les territoires, des classes préparatoires intégrées (CPI)

Échéance prévisionnelle : 2019

60 % des apprentis du secteur public sont recrutés dans le versant territorial, contre 32 % dans le versant de l'État et 8 % dans le versant hospitalier.

En 2015, les employeurs territoriaux ont formé 9 336 apprentis, contre 8 285 pour les administrations de l'État (opérateurs compris) .

Les obstacles sont pourtant multiples :

- faibles débouchés pour les apprentis, même si la loi « égalité et citoyenneté » du 27 janvier 2017 leur a ouvert le troisième concours de la fonction publique 43 ( * ) ;

- coûts financiers importants pour les employeurs, qui ne bénéficient pas des incitations financières prévues pour les entreprises 44 ( * ) . En moyenne, le coût d'un apprenti est 2,3 fois plus élevé dans le secteur public que dans le secteur privé 45 ( * ) .

En 2016, le législateur a chargé le CNFPT de développer l'apprentissage dans la fonction publique territoriale 46 ( * ) , notamment en recensant les besoins et en contribuant aux frais de formation. Depuis plus de deux ans, le CNFPT refuse toutefois d'assurer cette mission, considérant qu'il ne dispose pas des ressources nécessaires .

En outre, les apprentis de la fonction publique sont les grands oubliés du projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel , en cours d'examen devant le Parlement 47 ( * ) . Pour certaines personnes entendues en audition, cette réforme pourrait même aggraver la situation en donnant davantage de compétences aux branches professionnelles du secteur privé dans la gestion des centres de formation d'apprentis (CFA).

Votre rapporteur souligne pourtant que la fonction publique territoriale constitue un formidable vivier pour l'apprentissage, notamment parce qu'elle propose plus de 250 métiers différents.

Là encore, un objectif ambitieux doit être fixé : doubler le nombre d'apprentis dans les collectivités territoriales et leurs groupements d'ici 2022 .

Au moins quatre actions concrètes pourraient contribuer à atteindre cet objectif :

- résoudre dans les meilleurs délais les difficultés rencontrées par le CNFPT pour mener les actions que le législateur lui a confiées. Votre rapporteur propose par exemple que le CNFPT crée directement des centres de formation d'apprentis (CFA), comme il l'a déjà fait avec succès à Issy-les-Moulineaux (auxiliaires de puériculture et restauration collective) ou à Montpellier (espaces verts, petite enfance, restauration collective, mécanique, services aux personnes, tourisme) ;

- regrouper sur un portail internet unique les offres d'apprentissage dans la fonction publique, en lien avec les CFA ;

- créer une incitation financière pour les employeurs locaux, sur le modèle de la dotation de 30 millions d'euros prévue pour les administrations de l'État qui recrutent des apprentis 48 ( * ) ;

- valoriser le rôle du maître d'apprentissage .

Proposition n° 13 : Doubler le nombre d'apprentis dans la fonction publique territoriale d'ici 2022

Échéance prévisionnelle : 2018-2022

Enfin, votre rapporteur rappelle son attachement aux concours sur titres , qui permettent d'attester des capacités des candidats sur présentation d'un diplôme ou d'une qualification professionnelle.

Les concours sur titres sont particulièrement importants dans certains secteurs comme la santé (médecins, sages-femmes, etc .). Généralement, le jury analyse d'abord les diplômes des candidats avant de les convoquer en entretien pour évaluer leur connaissance du service public ; aucune épreuve écrite d'admissibilité n'est nécessaire, ce qui constitue un gage de simplification.

Dès 2003, M. François Lucas, alors adjoint au directeur général des collectivités locales, rappelait que « le concours sur titres apporte une réelle souplesse au dispositif de recrutement . Il constitue un réel progrès qu'il convient aujourd'hui de développer » 49 ( * ) .

Treize ans plus tard, le législateur a précisé le régime juridique des concours sur titres des filières sociale, médico-sociale et médico-technique, à l'initiative de notre collègue Catherine Troendlé 50 ( * ) .

Les auditions de votre rapporteur ont toutefois démontré que des interrogations persistaient sur le périmètre de ces concours et leurs modes d'organisation.

Dans ce contexte, il convient de sécuriser les concours sur titres en informant davantage les employeurs territoriaux sur les possibilités offertes et les règles à respecter .

À terme, ces concours pourraient être étendus à d'autres secteurs de la fonction publique territoriale , comme par exemple la filière artistique, où l'organisation de concours s'avère particulièrement complexe.

Proposition n° 14 : Poursuivre et sécuriser le développement des concours sur titres

Échéance prévisionnelle : 2018


* 35 Décret n° 2011-1474 du 8 novembre 2011 relatif à la participation des collectivités territoriales et de leurs établissements publics au financement de la protection sociale complémentaire de leurs agents.

* 36 « Les effets du décret n° 2011-1474 du 8 novembre 2011 sur l'accès à la protection sociale complémentaire dans la Fonction publique territoriale », mars 2017, p. 27 et 31.

* 37 Article 7 de la loi n° 84-594 du 12 juillet 1984 relative à la formation des agents de la fonction publique territoriale et complétant la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984.

* 38 Articles 35 bis et 88-1 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale

* 39 Source : direction générale de l'administration et de la fonction publique (DGAFP).

* 40 Ordonnance n° 2017-543 du 13 avril 2017 portant diverses mesures relatives à la mobilité dans la fonction publique.

* 41 Ce site de la FNCDG est consultable à l'adresse suivante : http://concours.fncdg.com .

* 42 Avis budgétaire n° 170 (2015-2016) fait au nom de la commission des lois du Sénat (p. 27) et consultable à l'adresse suivante : www.senat.fr/rap/a15-170-7/a15-170-71.pdf .

* 43 Loi n° 2017-86 du 27 janvier 2017 relative à l'égalité et à la citoyenneté.

* 44 Soit le crédit d'impôt de l'article 244 quater G du code général des impôts et la prime à l'apprentissage des articles L. 6243-1 à L. 6243-1-2 du code du travail.

* 45 Avis budgétaire n° 170 (2015-2016) précité, p. 22.

* 46 Article 85 de la loi n° 2016-483 du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires.

* 47 Même si certaines mesures les concernent à la marge comme l'augmentation de 26 à 30 ans de l'âge maximal de l'apprenti, dans le secteur public comme dans le secteur privé.

* 48 Programme 148, « fonction publique », de la loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018.

* 49 Source : « Refonder le statut de la fonction publique territoriale pour réussir la décentralisation », op. cit. , p.6.

* 50 Article 67 de la loi n° 2016-483 du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires.

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