E. MAINTENIR UNE SURVEILLANCE DE L'ÉVOLUTION DE LA MENACE TERRORISTE

Si les principales composantes libyennes ont combattu l'implantation territoriale de Daech dans la région de Syrte et d'autres groupes jihadistes à Benghazi et à Derna La menace reste cependant réelle en l'absence d'unification des forces militaires et de sécurité et de capacité de contrôle du territoire et des frontières . Le Sud libyen continue d'être une zone de refuge pour AQMI et les groupes qui agissent dans le Sahel et certaines villes abritent toujours des cellules terroristes actives, comme l'attentat de Tripoli, le 2 mai, contre la Haute commission nationale électorale l'a récemment montré. Il n'est pas impossible également que la recomposition du paysage politique libyen, en cours ou à l'issue du processus de réconciliation, conduise à une bascule de certaines milices dans l'action terroriste ou la radicalisation en se rangeant sous la bannière du terrorisme international .

La communauté internationale doit rester très vigilante et active en matière de renseignement et de contre-terrorisme.

F. RÉDUIRE LA PRESSION MIGRATOIRE PAR UNE APPROCHE GLOBALE SUR TOUTE L'ÉTENDUE DE LA FILIÈRE

La constitution en Libye, en raison de la vacuité étatique et sécuritaire, d'un hub de transit migratoire vers l'Europe constitue une menace pour l'Union européenne et sa stabilité politique, elle ancre également l'économie et la société libyenne dans un cercle vicieux et d'addiction à des ressources issues d'une économie parallèle et criminelle sur laquelle elle ne peut fonder son développement à long terme et contribue à faire durer la crise politique dans laquelle le pays s'est enfermé depuis 7 ans.

Pour sortir de cet engrenage, il faut tout à la fois consolider l'État libyen et sa bonne appréhension de la question migratoire, y compris dans la lutte contre les trafiquants et diminuer la pression par une action en amont sur les pays de transit et sur les pays d'origine.

Le rapport n'aborde pas le traitement de la question migratoire au sein de l'Union européenne et notamment tous les mécanismes d'examen du droit d'asile dans le pays de premier accueil, de la réinstallation au sein de l'Union européenne et du sort des déboutés et des accords de réadmission dans le pays d'origine qui n'était pas dans le mandat du groupe de travail.

Si la question migratoire peut faire l'objet de traitement spécifique car elle dépasse le cadre libyen, elle ne peut s'en détacher complètement et elle interfère complètement avec la crise politique et sécuritaire que connaît ce pays. Seules une stabilisation et une restauration de l'État libyen permettront une régulation efficace de la question migratoire .

1. Favoriser la consolidation de l'État libyen et sa bonne appréhension de la question migratoire

S'agissant des migrations, la priorité est de mener à bien le processus politique en Libye et de favoriser le rétablissement d'un État doté de forces de sécurité unifiées (comme par exemple les gardes-côtes, qui relèvent pour partie du ministère de la défense et pour partie du ministère de l'intérieur) et capable d'assurer le contrôle de ses frontières. L'existence d'un État libyen solide contrôlant l'ensemble de son territoire est aussi une condition nécessaire à la mise en oeuvre efficace des soutiens européens, l'éclatement institutionnel actuel et la multiplicité des interlocuteurs restant des freins à la conduite des projets d'aide au développement. La reprise économique est aussi une condition de l'amélioration de la situation migratoire dans le pays.

Cette consolidation acquise, il faudra chercher à accompagner la Libye dans sa gestion des migrations en la sensibilisant à l'importance du paramètre migratoire pour son économie. Comme par le passé, ce pays continuera à avoir besoin de la main d'oeuvre étrangère pour se développer et celle-ci sera même indispensable à sa reconstruction. Il n'est donc pas dans son intérêt de décourager les migrants de venir sur son territoire. La Libye devrait au contraire se doter d'un cadre juridique protégeant les migrants et leur permettant de travailler légalement. Un des aspects de cette démarche sera de l'inciter à évoluer sur la question de l'asile et à conforter la présence du HCR sur ce territoire, en l'encourageant à accorder un accord de siège à cette organisation.

2. Amplifier la politique visant à démanteler les réseaux de passeurs

La lutte contre les passeurs devra être accentuée, en faisant en sorte que soient notamment ciblées les têtes de réseaux. L'adoption récente par le Conseil de sécurité des Nations unies de sanctions individuelles contre des trafiquants de haut rang est une avancée notable. Les mandats d'arrêts émis en mars dernier par la justice libyenne contre 200 trafiquants de migrants libyens et étrangers vont aussi dans le bon sens.

Cette action doit être amplifiée. Cela suppose notamment de s'attaquer aux flux financiers considérables qui émanent de ce trafic et qui transitent nécessairement par les pays étrangers.

Par ailleurs, il faut encourager le partage d'informations et la coopération opérationnelle entre les gardes-côtes des pays d'Afrique du Nord en les incitant à rejoindre le réseau méditerranéen de communications sécurisées Seahorse , auquel plusieurs États membres (France, Italie, Espagne, Portugal, Grèce, Chypre, Malte) ont raccordé leur centre national Eurosur .

3. Approfondir la coopération avec les pays de transit situés en amont

Il faut également continuer à tarir le flux migratoire en amont de la Libye afin d'obliger les acteurs vivant de la migration à renoncer à cette activité.

Pour cela, il est nécessaire d'aider les pays de transit situés sur la route migratoire à assurer la gestion de leurs frontières, en renforçant leurs capacités. Mais il faut aussi être attentif au développement de sources de revenus alternatives à la migration dont vivaient des régions entières comme le Nord du Niger. Or, les financements apportés par l'UE, notamment dans le cadre du FFU, sur ce volet, ne sont pas à la hauteur des besoins ou tardent à être mis à disposition. Le risque est que ces territoires privés de revenus soient déstabilisés et que la criminalité s'y développe 157 ( * ) .

De manière connexe, il faut veiller à ne pas déstabiliser les pays de transit souvent fragiles en faisant peser sur eux une charge trop lourde en termes d'accueil des réfugiés . Le Niger, qui accueille les réfugiés évacués de Libye dans l'attente de leur réinstallation, est particulièrement concerné, compte tenu de la lenteur avec laquelle interviennent les réinstallations.

À cet égard, l'idée déjà ancienne, mais évoquée de nouveau récemment dans le débat européen, d' installer dans les pays de transit des centres d'accueil permanent des migrants , permettant de sélectionner seulement ceux susceptibles d'obtenir une protection internationale en Europe, à l'exclusion des migrants dits « économiques » doit être considérée avec précaution. L'objectif serait d'éviter que les migrants traversent la Méditerranée ou empruntent des routes dangereuses pour venir demander l'asile en Europe et s'y maintiennent en situation irrégulière après avoir été déboutés. Cette proposition soulève pourtant plusieurs questions : celle de l'acceptation des pays tiers (a priori réticents), celle des conditions de sécurité offertes à ces centres, celle, enfin, de la volonté réelle des pays européens à accueillir les demandeurs d'asile qui seraient sélectionnés. Par ailleurs, il ne faut pas éluder le risque que de telles structures deviennent des facteurs d'attraction (« pull factor) pour les migrants et génèrent des déséquilibres dans les régions qui les accueillent. En témoigne l'afflux de migrants soudanais réfugiés du Darfour ces derniers mois à Agadez, dans l'espoir de bénéficier du dispositif de réinstallation mis en oeuvre par la France dans le cadre du Mécanisme d'évacuation d'urgence.

Enfin, il conviendra de préserver les migrations régionales qui existent depuis toujours en Afrique et qui contribuent à réguler naturellement les écarts de croissance économique et de démographie entre les pays et les territoires. Par exemple, des Nigériens et des Tchadiens se rendent depuis longtemps en Libye de manière saisonnière pour travailler dans l'agriculture et n'aspirent pas à migrer vers l'Europe.

4. Soutenir le développement économique dans les pays d'origine

Encourager le développement dans les pays d'origine est un axe particulièrement important de la politique migratoire extérieure de l'Union européenne. Il s'agit, en effet, de donner aux candidats potentiels à la migration des opportunités économiques dans leur propre pays.

Les initiatives prises lors du sommet de la Valette vont dans le bon sens . Encore faut-il que les États acceptent d'y consacrer des moyens suffisants. Or, force est d'admettre que ce n'est pas le cas. Le Fonds fiduciaire d'urgence pour les migrations en Afrique , créé à cette occasion, est aujourd'hui doté de 3,4 milliards d'euros dont près de 3 milliards apportés par l'UE par l'entremise du Fonds européen de développement, et seulement 419 millions par les États membres, qui étaient censés apporter 1,6 milliard d'euros. Quant à la contribution de la France au FFU, elle n'était, au 18 juin 2018, que de 9 millions d'euros, contre 140 millions pour l'Allemagne et 102 millions pour l'Italie. Un effort supplémentaire de la part des États membres, conformément à leurs engagements pris en 2015, est nécessaire pour que le FFU puisse continuer à apporter, dans les années à venir, des sommes équivalentes à celles qu'il a mobilisées en 2016 et 2017.

Parallèlement, il faut souhaiter que le plan d'investissement extérieur pour l'Afrique créé par l'UE en septembre 2017 et qui vise, à partir d'une dotation initiale de 4,1 milliards d'euros, à susciter 44 milliards d'euros d'investissements privés d'ici 2020, sera à la hauteur des espoirs qu'il éveille et encouragera dans les pays africains un « développement durable et inclusif », de nature à remédier aux causes profondes de l'immigration .


* 157 Partenariat ou conditionnalité ? Analyse des pactes migratoires et du fonds fiduciaire de l'UE pour l'Afrique, Confédération européenne des ONG d'urgence et de développement (CONCORD), 2018.

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