II. UN CHAMP DE CONFRONTATIONS MILITAIRES ET UNE ZONE À RISQUE

Chaque faction n'a eu cesse d'essayer d'arrondir son pré-carré par la force ou par la ruse, le jeu des alliances et l'accumulation de richesse, la recherche d'appuis extérieurs. La situation n'a pas débouché sur une guerre civile comme en Syrie, mais sur une guerre de basse intensité permanente, rendant le pays moins sûr, plus instable et propice au développement des influences extérieures, du terrorisme et des trafics, notamment d'êtres humains.

A. UNE ZONE À RISQUE POUR LES PAYS VOISINS ET LA COMMUNAUTÉ INTERNATIONALE

La crise a fait de la Libye le terrain d'un affrontement idéologique , conduisant des puissances extérieures à soutenir certaines parties, dans une logique de guerre par procuration. Ces interférences exacerbent la crise, qui alimente les trafics en tout genre. Les êtres humains, les hydrocarbures, les armes, l'or, la drogue ou encore les médicaments deviennent d'importantes sources de rémunération dans une économie de prédation.

L'impunité est presque totale. Les États qui soutiennent des parties en violation de l'embargo sur les armes ne font l'objet d'aucune sanction malgré les travaux du groupe d'experts des Nations unies sur la Libye, qui s'attachent à dénoncer ces agissements 46 ( * ) .

Les trafiquants exercent leurs activités sans être véritablement inquiétés. Le système juridictionnel interne s'est effondré et la Communauté internationale peine à s'y substituer.

Ce contexte a longuement profité à l'implantation de groupes terroristes, aujourd'hui en déclin. Pourtant la menace pèse toujours sur la Libye, ses États voisins et l'Europe.

1. Une zone d'affrontement idéologique au sein du monde arabo-musulman

La question religieuse est centrale dans le paysage libyen actuel. Elle constitue, aux côtés de la question migratoire et des défis sécuritaires, un enjeu de taille pour certaines puissances régionales qui s'investissent dans la crise. Les interférences extérieures relatives au combat idéologique prennent différentes formes, financières, politiques et militaires. Elles donnent lieu à une guerre par procuration, c'est-à-dire un affrontement indirect entre puissances, grâce à des soutiens militaires ou financiers .

La lutte idéologique n'est pas exclusive à la Libye et concerne plus largement la région : l'essor de l'islam politique en Tunisie comme en Égypte au lendemain des « Printemps arabes », était également source de tensions à l'échelle régionale.

L'affrontement idéologique au sein du monde arabo-musulman ne trouve finalement qu'un nouveau terrain d'expression en Libye . Il configure les alliances régionales. Les Émirats arabes unis s'unissent à l'Égypte dans la lutte contre l'islam politique, alors que le Qatar et la Turquie soutiennent la mouvance des Frères musulmans .

Le soutien de ces deux grandes alliances au nom du combat idéologique reste cependant difficile à mesurer exactement. Les clivages sont à relativiser et ne sont pas si marqués territorialement.

a) Les EAU et l'Égypte dans la lutte contre l'islam politique

Les interférences des Émirats arabes unis et de l'Égypte dans la crise actuelle s'expliquent, en partie, par leur lutte commune contre l'émergence d'un islam politique.

Ce ne sont pas les seules motivations de l'Égypte : l'approche des autorités égyptiennes serait à l'origine pragmatique plutôt qu'idéologique, c'est-à-dire motivée par des considérations d'ordres sécuritaires . Ces deux pays partagent une frontière longue de 1 115 kilomètres dont certaines zones, notamment dans le désert libyque, font l'objet d'un contrôle moindre que sur le littoral. En soutenant l'ANL, les autorités égyptiennes chercheraient à éviter les répercussions du vide sécuritaire en Libye sur son propre territoire.

Les considérations d'ordres idéologiques se traduisent par une lutte contre la mouvance des Frères musulmans. L'opposition à la confrérie est passée d'une logique nationale, avec le coup d'État militaire du maréchal al-Sissi en 2013 pour renverser Mohamed Morsi et le parti Liberté et Justice, à une logique régionale.

L'Égypte, comme les Émirats arabes unis, classent la mouvance des Frères musulmans comme organisation terroriste. Pourtant, c'est une lecture politique et idéologique plutôt que sécuritaire, qui explique les soutiens financiers et matériels aux groupes qui y sont opposés , en premier lieu l'ANL.

La géographie des Émirats arabes unis ne l'expose pas aux mêmes problématiques que l'Égypte. Les considérations d'ordre sécuritaire sont subalternes. Les EAU sont alors plus investies que leur allié dans la lutte contre l'islam politique. A la campagne interne qui a débuté dans les 1990 contre la mouvance des Frères musulmans, a succédé une campagne régionale qui alimente aujourd'hui le différend avec le Qatar. Les autorités émiriennes avaient perçu les Printemps arabes comme une menace susceptible de se propager dans les émirats et dont la Confrérie pourrait remporter les dividendes. Dans ce contexte, ils cherchent à renforcer les forces du général Khalifa Haftar contre cet ennemi, comme ils avaient soutenu le coup d'État militaire de 2013 en Égypte.

Rapport du Groupe d'experts des Nations unies sur la Libye (juin 2017), paragraphe 132 :

« Les Émirats arabes unis ont fourni leur soutien à l'Armée nationale libyenne à la fois par un ravitaillement en matériel et par un appui direct et ont ainsi considérablement augmenté l'appui aérien dont celle-ci dispose . »

Les Émirats arabes unis soutiennent également des milices salafistes . Le salafisme est aujourd'hui bien implanté en Libye, en dépit d'un héritage soufi pluriséculaire. Sa place ne cesse de grandir sur la scène sécuritaire. Les Émirats arabes unis, avec le soutien de l'Arabie saoudite, ne mènent finalement pas uniquement une lutte contre l'islam politique représentée par les Frères musulmans en Libye. La Libye devient le terrain d'un salafisme mondial sous leur influence. Pour les Saoudiens, la Libye est perçue comme une opportunité afin de diffuser le courant madkhaliste, une version stricte du salafisme apolitique quiétiste qui appelle à une obéissance absolue des dirigeants, issue de la doctrine de Rabih el-Madkhali. En 2016, les milices salafistes se sont rapprochées de l'ANL, après qu'une fatwa du cheick Madkhali ait appelé à une lutte contre les Frères musulmans et à soutenir l'ANL contre Daech. Une nouvelle fatwa du même ordre a été renouvelée en 2018.

Les brigades salafistes armées qui ne sont pas à confondre avec les groupes armés terroristes djihadistes, sont parvenues à jouer un rôle crucial à l'Est comme à l'Ouest dans la lutte contre le terrorisme . Il serait ainsi réducteur d'identifier le morcellement géographique du pays comme conséquence de la lutte idéologique, puisque plusieurs milices, comme la Force spéciale de dissuasion (Radaa) assure un rôle de force antiterroriste en Tripolitaine, sans pour autant être rattaché à l'ANL.

La diffusion du salafisme se fait également par la voie culturelle . Le groupe d'expert des Nations unies a révélé qu'en janvier 2017, une « cargaison de livres [avait] été saisie dans la ville d'Al-Marj, révélant l'influence des dignitaires religieux madkhalistes dans l'est de la Libye sur les institutions étatiques » 47 ( * ) .

b) Le Qatar et la Turquie : un soutien régional aux Frères musulmans

L'islam politique, incarné par les Frères musulmans, a réalisé une percée dans la vie politique libyenne à l'occasion des élections organisées en 2012 pour élire un Congrès général national. La confrérie avait misé sur ce pays pour étendre son mouvement et ce grâce aux soutiens du Qatar et de la Turquie.

L'engagement de la Turquie s'explique en partie par des raisons historiques : l'Empire Ottoman a exercé sa souveraineté sur une partie de la Libye, de la seconde moitié du XVI e siècle à la conquête italienne en 1912. Ankara entretient des liens forts avec la cité de Misrata où de puissantes milices proches de la Confrérie sont installées. Des personnalités politiques libyennes se rendraient fréquemment en Turquie, tandis que certains y habiteraient, comme Abdelhakim Belhadj.

Le Qatar contribue également à la diffusion internationale de l'idéologie frériste, via sa chaîne télévisée Al-Jazzera. Le soutien matériel et financier du Qatar et de la Turquie est moins documenté que celui de l'Égypte et des Émirats arabes Unis. Le rapport final en date de mars 2016 du groupe d'experts des Nations unies souligne toutefois leur appui extérieur, avec la mise à disposition de pilotes de chasses étrangers. L'affaire du navire Andromeda a pourtant éveillé d'importants soupçons : un navire battant pavillon tanzanien et en provenance de Turquie a été intercepté par la marine grecque alors qu'il transportait des explosifs et des détonateurs. Ce navire aurait eu comme destination la ville de Misrata 48 ( * ) .

Après les élections de 2014, la Turquie et le Qatar ont continué d'entretenir des relations avec certains membres du Congrès national de transition, qui se sont recyclés au sein du Haut conseil d'État. La récente élection de Khaled al-Mishri, du parti Justice et Développement affilié aux Frères musulmans, à la présidence du Haut Conseil d'État en avril 2018, est le signe de l'influence de la Confrérie en Libye.

Ces interférences étrangères exacerbent les tensions, mais l'opposition idéologique apparaît moindre à l'échelle nationale que régionale. Par exemple, une partie de la mouvance frériste recommanderait une alliance avec les salafistes pour ne pas répéter l'échec qu'ils ont connu aux élections de 2014. D'autant plus que la Libye est connue pour être un pays nationaliste et que la politique transnationale que soutiennent les Frères musulmans ne leur permettrait pas d'obtenir une majorité. Malgré tout, les divisions régionales autour des questions idéologiques sont des freins à toute solution politique.

Depuis la nomination de Ghassan Salamé, la guerre par procuration semble avoir baissé d'intensité : chacune des parties a d'autres priorités (voir infra p. 106 ) .

2. L'implantation potentielle de groupes terroristes islamistes

La chute du Colonel Mouammar Kadhafi, suivie de l'éclatement de la guerre civile à partir de 2014, ont conduit à une nette dégradation du contexte sécuritaire. Un vide s'est installé, alimenté par la prolifération de groupes armés, parmi lesquels des groupes terroristes. Cette implantation, qui a pris la forme d'un ancrage territorial dans les régions de Syrte et de Benghazi, a été progressivement combattue par les opérations Bunyan al-Marsous et Dignity .

La présence est aujourd'hui moindre, mais la menace est toujours existante , en témoignent les attentats successifs qui ont visé Tripoli et Benghazi, les deux plus grandes villes du pays. Cette menace entraîne non seulement des conséquences internes mais constitue également un risque de déstabilisation de la bande sahélo-saharienne jusqu'à l'Europe .

a) Implantation de groupes terroristes en Libye

La révolte de 2011 a été un élément déclencheur du phénomène islamo djihadiste en Libye. Plusieurs combattants djihadistes ont participé, aux côtés des insurgés, à la chute du colonel Mouammar Kadhafi, parmi lesquels des membres affiliés au Groupe islamique combattant en Libye (GICL) , organisation créée dans les années 1990 et qui aurait entretenu des liens étroits avec Al-Qaïda .

Un réseau de combattants djihadistes s'est progressivement tissé. En 2012, l'union de deux groupes qui ont combattu l'ancien régime, Ansar al-Charia à Benghazi (ASB) et Ansar al-Charia à Derna (ASD) , a donné naissance à Ansar al-Charia en Libye (ASL ). Le réseau d' Ansar al-Charia devint transfrontière avec la connexion à Ansar al-Charia en Tunisie (AST), ce dernier profitant notamment du territoire libyen pour entraîner des combattants, dans l'objectif de perpétrer des attentats sur le sol tunisien.

ASL a été accusé d'avoir planifié l'attentat contre le consulat des États-Unis à Benghazi, provoquant la mort de l'ambassadeur Christopher Stevens et de trois autres fonctionnaires américains 49 ( * ) . Ce groupe terroriste, au même titre que le GICL, a été inscrit dans la liste des organisations terroristes par le Comité 1267 du Conseil de sécurité des Nations unies. ASL a ensuite profité de la zone grise que constitue la région du Fezzan pour établir des camps d'entraînements, avant de se dissoudre le 27 mai 2017 50 ( * ) , après avoir perdu un nombre important de ses combattants à la suite d'opérations de contreterrorisme.

L'État islamique en Libye a profité du chaos libyen pour s'installer dès 2014 sur le littoral puis aux abords de la ville de Syrte . Ces villes devinrent les premières conquêtes territoriales de Daech en dehors de l'Irak et de la Syrie , avant qu'ils ne cherchent à conquérir les trois grandes régions de la Libye, à savoir la Cyrénaïque, le Fezzan et la Tripolitaine, respectivement rebaptisées provinces Wilayat Barca , Wilayat Fezzan et Wilayat Tarabulus .

La Libye était devenue une ambition territoriale pour l'État Islamique, même si, dans les faits, son emprise territoriale se limitait à la ville de Syrte et à certaines localités du croissant pétrolier. Il profita de cet espace pour perpétrer des attaques et installer des camps d'entraînements à destination de combattants étrangers. L'attentat du 26 décembre 2016 à Berlin avait été en partie orchestré depuis la Libye et l'assaillant de l'attaque de Manchester du 22 mai 2017 s'était rendu en Libye pour s'entraîner au maniement des armes et des explosifs. Aujourd'hui, la présence de Daech prendrait la forme de franchises après avoir échoué à étendre son califat et préserver une assisse territoriale.

Sources: Mary Fitzgerald « Jihadists » in « A quick guide to Libya's main players » (c)ECFR 51 ( * )

La Libye constitue également une zone d'opération pour Al-Qaïda au Maghreb Islamique (AQMI ), proche du GICL. Certains des dirigeants d'AQMI avaient profité du vide sécuritaire dans le sud-ouest pour entamer un repli stratégique, comme Mokhtar Belmokhtar, en quittant l'Algérie ou le Mali. AQMI a bénéficié du ralliement d' Al-Mourabitoune et du soutien d' Ansar Dine et d'Ansar al-Charia , mettant en évidence les connexions djihadistes dans la bande sahélo-saharienne.

Aujourd'hui, la présence de Daech et AQMI a nettement diminué. L'État islamique en Libye compterait dans ses rangs entre 500 et 700 combattants à la mi-2018, contre 300 hommes pour AQMI.

Ces groupes terroristes parviennent à se maintenir au bénéfice de l'absence d'une armée et d'une police unifiée libyenne, et continuent ainsi de prospérer à Beni Walid et dans certaines zones hostiles et inhospitalières, au sud de Syrte et dans la région du Fezzan . L'implantation a été nettement combattue mais Daech continue de perpétrer des attentats, comme celui contre la Haute Commission électorale à Tripoli, le 2 mai 2018. AQMI profiterait des réseaux locaux dans le sud libyen, afin de gagner des soutiens logistiques et recruter de nouveaux combattants. Face à ce déclin, des appels auraient été lancés en faveur d'une union entre l'EI et AQMI en Libye. Pour certains observateurs, cette alliance serait impossible : l'EI en Libye avait appelé à la mise à mort de Mokhtar Belmokhtar, dont on ne sait toujours pas s'il est encore vivant aujourd'hui 52 ( * ) .

Dans la ville de Derna, une implantation circonscrite d'islamistes extrémistes réunis au sein du Conseil de la Choura des moudjahidines de Derna , avaient repoussé l'État islamique en 2016. Après avoir fait l'objet d'un siège de plusieurs mois, l'ANL a lancé une opération au début du mois de mai 2018, pour combattre cette organisation. Après plus d'un mois de combats, l'ANL aurait regagné les principaux axes stratégiques de la ville. Parmi les djihadistes présents à Derna, certains d'entre eux sont issus du Conseil de la Choura des révolutionnaires de Benghazi , qui ont dû fuir cette ville à la suite de l'opération menée par l'ANL.

b) Opérations contreterrorisme en Libye et dans la région

Le 16 mai 2014, le général Khalifa Haftar a lancé l'opération Dignity avec comme objectif de combattre les groupes islamo djihadistes qui contrôlent Benghazi, deuxième ville du pays. Trois ans plus tard, le général Haftar et l'ANL annonçaient la reprise de la ville.

En 2016, plusieurs forces dont les puissantes milices de Misrata, organisées sous l'opération Bunyan al-Marsous , lançaient une offensive contre le fief de Syrte de l'État islamique . Dès le mois de décembre 2016, la ville était reprise. Cette opération, dont la rapidité contraste avec celle conduite par l'ANL, s'explique par le fait que la situation à Benghazi était déjà dégradée avant 2014.

Ces deux opérations ont bénéficié du soutien de plusieurs puissances régionales et internationales . Les forces spéciales italiennes, britanniques et françaises y ont contribué, tout comme l'Égypte et les Émirats arabes unis, qui ont offert un soutien matériel et financier à l'ANL. Les États-Unis, sous le commandement AFRICOM, ont mené des frappes décisives qui se poursuivent encore aujourd'hui, pour empêcher que l'État islamique en Libye et AQMI ne parviennent à restaurer leurs capacités opérationnelles 53 ( * ) .

Le soutien de grandes puissances à la lutte contre le terrorisme en Libye s'explique par l'importance géostratégique de ce territoire . Sa position au centre de la région méditerranéenne, sa proximité avec l'Europe et la porte d'entrée qu'il constitue sur l'Afrique, sont autant d'éléments qui incitent à éviter que la Libye ne devienne un État failli.

L'Union européenne contribue à la lutte contre le terrorisme dans la région en mettant en oeuvre l'embargo des Nations unies sur les armes. Cette opération accueille notamment une nouvelle unité d'information criminelle, consistant à un rapprochement JAI-PSDC pour un échange d'informations renforcé sur la question du terrorisme et du retour de combattants. L'opération Sea Guardian , déployée dans le cadre de l'OTAN lutte également contre le terrorisme, avec la mise en place de moyens de renseignement.

Les opérations antiterroristes se poursuivent à l'échelle nationale : à l'Est, avec l'opération de l'ANL sur la ville de Derna, comme à l'Ouest avec la nouvelle initiative du GEN. Le Gouvernement reconnu par la communauté internationale a lancé, le 2 avril 2018, l'opération « Tempête de la Patrie » dans l'Ouest libyen, sous le commandement de la Force de lutte antiterroriste (FLA), aux alentours des villes de Misrata, Bani Walid, Tahroura, al-Khoms et Zliter. Quelques semaines auparavant, plusieurs terroristes de différentes organisations avaient été interpellés par le département anti-criminalité de Misrata, faisant suite à l'attentat du 2 avril 2017 contre le complexe judiciaire de la ville.

L'Égypte a également lancé le 9 février 2018 l'opération « Sinaï 2018 », l'objectif étant de lutter contre la menace terroriste du Sinaï jusqu'au désert occidental frontalier de la Libye, en passant par le Delta du Nil. Cette opération aurait empêché entre février et avril 2018, l'infiltration de 169 personnes de différentes nationalités en provenance de la Libye.

c) Les risques de déstabilisation pour les pays voisins

Le vide sécuritaire en Libye et l'absence de contrôle des frontières par des forces armées et de sécurités libyennes unifiées profitent aux activités transfrontières des groupes terroristes . Les conséquences de l'implantation terroriste en Libye ne sont pas seulement internes : il existe un risque avéré de déstabilisation pour les pays voisins. Malgré les mesures qui sont adoptées, les pays frontaliers ne sont pas invulnérables.

L'Algérie, qui partage une frontière de 982 km avec la Libye, a subi les conséquences du vide qui s'est installé chez son voisin : en 2013, le site gazier d'In Anémas situé à seulement quelques kilomètres de la Libye, a été la scène d'une prise d'otages par le groupe terroriste « les Signataires par le sang », dirigé par Mokhtar Belmokhtar . Près de quarante civiles sont décédés dans cette attaque en partie orchestrée depuis le territoire libyen. Pour lutter contre cette menace, les forces algériennes ont entrepris des frappes contre des groupes qui étaient anciennement à l'oeuvre sur le territoire algérien, dans la zone des trois frontières entre l'Algérie, la Libye et le Niger. Ils ont également renforcé la sécurité à leur frontière.

Source : Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR) / Sciences Po

En 2015, vingt chrétiens coptes égyptiens étaient exécutés par Daech sur une place de la ville de Syrte . La présence de groupes terroristes à Derna et dans le sud de la Libye a poussé l'Égypte à réagir. La frontière, qui s'étend sur 1 115 km, est devenue un important enjeu sécuritaire. Le 9 février 2018, l'Égypte a lancé l'opération « Sinaï 2018 » qui a pour objet de lutter contre la menace terroriste du Sinaï jusqu'au désert occidental frontalier de la Libye, en passant par le Delta du Nil, permettant d'éviter l'infiltration de nombreux djihadistes sur le sol égyptien.

La Tunisie, qui dispose d'une frontière commune s'étendant sur 459 km, est également exposée à cette menace, en témoignent les attentats de 2015 et 2016. En 2015, les attaques terroristes qui ont visé le Musée du Bardo et la station balnéaire de Sousse ont été perpétrées par des djihadistes qui s'étaient entraînés dans la ville de Sabratha. En 2016, une centaine de djihadistes ont mené un assaut dans la ville de Ben Gardane, point névralgique de redistribution des marchandises en provenance du poste-frontière de Ras Jedir et plaque-tournante des réseaux terroristes. La frontière, matériellement renforcée par un mur d'obstacles qui s'étend sur 170 kilomètres de Ras Jedir jusqu'à Dehiba, est le principal enjeu sécuritaire dans la zone. Par ailleurs, la Tunisie est exposée au « paradoxe tunisien » : malgré la plus faible densité de population parmi les pays du Maghreb, la Tunisie fournit le plus grand nombre de combattants étrangers dans les théâtres syro-irakiens et ils étaient évalués à 1 500 sur le sol libyen en 2015.

Le contexte sécuritaire libyen et l'implantation de groupes terroristes dans le sud de la Libye, ne font que renforcer la menace qui pèse sur le Niger et le Tchad . La bande sahélo-saharienne est déjà le théâtre de l'opération Barkhane, qui ne poursuivrait pas ses cibles sur le territoire libyen, et de l'opération G5 Sahel.

d) La Libye comme rampe de lancement pour des actions longue distance

Les groupes terroristes qui se sont implantés en Libye profitent de ce territoire pour orchestrer des attaques non seulement dans les pays voisins mais également sur le sol européen . Les attentats du 26 décembre 2016 à Berlin et du 22 mai 2017 à Manchester ont été en partie préparés depuis le territoire libyen. La Libye, comme rampe de lancement pour des actions, est ainsi devenue une réalité. Cette menace explique les préoccupations de plusieurs pays européens, dont la France, dans la lutte contre le terrorisme en Libye.

e) Optimisme et inquiétudes : quel avenir pour la présence terroriste en Libye ?

Les opérations Dignity et Bunyan al-Marsous , les frappes aériennes sous commandement de l'AFRICOM, les efforts égyptiens pour combattre les mouvements terroristes depuis et vers la Libye, l'intervention de l'ANL sur la ville de Derna pour démanteler le Conseil des moudjahidines de la Choura, ainsi que le rôle joué par les opérations Barkhane et G5 Sahel dans la lutte contre les connexions djihadistes sahéliennes, sont autant d'initiatives qui ont conduit à affaiblir les groupes terroristes qui opèrent sur le territoire libyen.

L'optimisme n'est pourtant que relatif à l'aune des élections présidentielles et parlementaires qui devraient se tenir le 10 décembre 2018 . L'attentat revendiqué par l'État islamique à Tripoli contre la Haute commission électorale soulève nécessairement des inquiétudes sur le calendrier électoral d'une part et sur la menace terroriste dans la région.

La contraction de l'État islamique au Levant ne s'est pas traduite par un déplacement notable de leurs combattants sur le théâtre libyen. Cependant, il y a une intensification du rythme des attaques depuis le début de l'année 2018. Le 24 mai 2018, une voiture piégée explosait dans le centre de Benghazi. Quelques mois auparavant, le 2 février 2018, un double attentat selon le même mode opératoire s'était produit aux abords d'une mosquée de la ville. Plusieurs attentats ont également visé Misrata et les forces de l'ANL dans l'est libyen.

Les groupes terroristes adoptent une stratégie de harcèlement, de propagande et continuent de mener des attaques pour bénéficier d'une couverture médiatique . Le rythme des attaques pourrait s'intensifier à l'approche des échéances électorales pour éviter que les scrutins ne soient organisés.

Les efforts menés dans la lutte contre le terrorisme en Libye se poursuivent encore aujourd'hui. Les résultats sont positifs, mais la menace est toujours présente. Les frappes de l'aviation de l'AFRICOM ne suffisent pas à démanteler les organisations terroristes et des opérations au sol sont ainsi nécessaires. Pour éradiquer définitivement la présence, des forces de sécurité et une armée unifiées seront indispensables . Tant que la crise politique perdurera et que de multiples groupes armés pourront agir en toute impunité sur le territoire libyen, la menace pèsera toujours, non seulement sur la Libye, mais également sur les pays voisins et l'Europe.

3. L'ouverture incontrôlée d'une route de migrations massives
a) Une voie ancienne de migration qui s'est récemment élargie

• Longtemps pays de destination, la Libye est progressivement devenue un pays de transit vers l'Europe 54 ( * ) .

Depuis les années 1960, la Libye est un pays de destination pour des migrants originaires des pays arabes voisins (Égyptiens, Tunisiens, égyptiens). Vivant de la rente pétrolière depuis la mise en exploitation des premiers gisements en 1961, la population libyenne travaille peu et recourt massivement à la main d'oeuvre étrangère pour faire tourner le pays (construction, extraction des mines d'or, services, agriculture...). Dans les années 1980, celle-ci représente plus de la moitié de la population active, un point culminant étant atteint en 1985. La présence de la population immigrée connaît néanmoins d'importantes fluctuations , les phases d'accueil alternant avec des expulsions massives, en fonction de la situation économique ou des tensions diplomatiques avec les pays voisins.

À compter de 1992, l'instauration de l'embargo international consécutif à l'attentat de Lockerbie a des conséquences sur la composition de la migration. En effet, les difficultés économiques qui en résultent se traduisent par un reflux des migrants d'origine arabe. En outre, pour des raisons diplomatiques, M. Kadhafi se détourne des pays arabes qui lui refusent leur soutien et entreprend d'obtenir celui des pays africains par une large ouverture des frontières libyennes à leurs ressortissants. La communauté sahélo-saharienne créée à son initiative en février 1998 prévoit la libre circulation des personnes et la possibilité pour celles-ci elles de s'installer librement dans les différents pays membres. L'augmentation de la proportion de migrants subsahariens (notamment du Nigéria, Mali, Sénégal et Ghana) dans la population immigrée se double d'une hausse du nombre de réfugiés en provenance de la bande de Gaza (30 000 réfugiés palestiniens présents en 2004) et de la Corne de l'Afrique où les conflits (Somalie, Érythrée, Soudan) se multiplient.

Si cette présence étrangère est mal tolérée et occasionne des tensions avec la population libyenne (émeutes xénophobes généralement suivies d'expulsions collectives), l'immigration demeure une constante compte tenu des besoins du pays et des circulations spontanées dans l'espace régional.

À cela s'ajoute, à partir des années 2000, la fermeture progressive des frontières européennes dans le cadre de la mise en place d'une politique communautaire d'asile et d'immigration. Le tarissement des voies légales de migration et la généralisation des visas d'entrée Schengen contraignent les migrants souhaitant gagner l'Europe à emprunter de nouvelles voies et à tenter la dangereuse traversée de la Méditerranée. À cette époque, c'est la route maritime entre le Maroc et l'Espagne (Canaries) qui est privilégiée. Mais la route de Méditerranée centrale au départ de la Libye s'affirme aussi comme une option.

L'Union européenne cherche alors à obtenir de ses voisins du sud une plus grande implication dans la gestion de leurs frontières et le contrôle des migrations irrégulières . C'est notamment ce que prévoient les accords d'association passés dans le cadre du processus de Barcelone .

Conscient de l'enjeu que la question migratoire commence à représenter pour l'Europe, M. Kadhafi va s'en servir pour obtenir de l'aide matérielle et la réhabilitation de la Libye après sa mise au ban de la communauté internationale. Manipulant les chiffres, confondant migrants en transit et migrants travaillant en Libye, il se présente comme un gendarme en mesure de contenir la pression migratoire vers l'Europe. Ce faisant, il amène l'Italie , confrontée à des arrivées de plus en plus nombreuses sur l'île de Lampedusa, à coopérer sur cette question . Trois accords de coopération dans le domaine migratoire (2003, 2004 et 2007) prévoyant la fourniture par Rome de matériel de contrôle, la mise en place de patrouilles conjointes le long des côtes libyennes et l'organisation de rapatriements aériens, sont signés successivement avant d'être consacrés en août 2008 par un traité de coopération et d'amitié .

Si, pour des raisons diplomatiques, il n'est pas question d'accord entre l'UE et la Libye, la levée des sanctions en 2004 et l'intérêt bien compris de l'UE autorisent un certain rapprochement , notamment après le règlement de l'affaire des infirmières bulgares. Ce rapprochement se traduit pour Tripoli par un statut d'observateur au processus de Barcelone et la mise en place d'une politique plus rigoureuse de contrôle de l'immigration sur et depuis le territoire libyen. Le régime impose des visas aux ressortissants africains et arabes, prend des mesures répressives contre les migrants en situation irrégulière et ouvre des camps de détention. Selon l'organisation humanitaire Human Rights Watch , les autorités libyennes auraient intercepté 43 000 migrants cherchant à rejoindre l'Italie en 2003, 54 000 en 2004 et 40 000 en 2005. Elles auraient par ailleurs renvoyé dans leurs pays d'origine près de 145 000 migrants subsahariens entre 2003 et 2005. Si la politique migratoire de Kadhafi a fait l'objet de revirements intempestifs, ces chiffres n'en permettent pas moins de mesurer le rôle joué par le verrou libyen sur la route de la migration .

De fait, malgré la présence dans le pays de 600 000 à 700 000 travailleurs étrangers et de près de 1,5 million de migrants en situation irrégulière, le nombre d'entrées dans l'UE via la route de Méditerranée centrale était tombé à 4 500 en 2010, année de plus bas étiage.

Le conflit de 2011 se traduit par une hausse des passages vers l'Europe. Cependant, ce mouvement reste de moindre ampleur que celui formé par la fuite de 800 000 migrants vers les pays voisins (Tunisie et Egypte) qui, pour la plupart, seront ensuite rapatriés vers leur pays d'origine. A la chute du régime de Kadhafi, les milices prennent en effet le contrôle des migrants illégaux, en particulier dans le sud du pays, dans une optique sécuritaire et répressive. Les migrants arrêtés en situation irrégulière sont placés dans une quarantaine de centres de détention où ils subissent exactions, extorsions de rançons et travail.

• 2014 marque un changement d'échelle

À compter de 2013 et surtout de 2014, on observe pourtant une nette augmentation du nombre de départs depuis la Libye vers l'Europe. Si l'année 2014 est marquée par une hausse transitoire significative des passages de Syriens ayant transité par l'Egypte ou l'Algérie avant que s'ouvre largement à eux en 2015 la route de Méditerranée orientale, l'analyse des chiffres pour les autres nationalités (Erythréens, Nigérians, Bangladais, Sénégalais, Soudanais...) révèle une tendance générale à l'augmentation des départs de la Libye vers l'Europe depuis 2014.

Ce phénomène est une conséquence de l'instabilité politique, de l'effondrement des structures étatiques et de la dégradation sécuritaire qui affectent le pays à compter de 2014. Les difficultés économiques, les conditions de vie de plus de plus précaires et le rejet de la société libyenne ont sans doute conduit une partie des migrants présents en Libye à tenter la traversée de la Méditerranée .

Dans le même temps, la guerre civile et la crise économique ont favorisé le développement de l'économie informelle , le trafic de migrants apparaissant comme une source de revenus parmi d'autres. Le manque de liquidités dans le pays en 2014-2015 pourrait avoir encouragé cette activité, dans la mesure où elle permet d'accéder facilement et rapidement à des devises. L'émergence et la structuration d'une offre de services s'adressant aux migrants ont évidemment contribué à la recrudescence des passages vers l'Europe, les passeurs libyens approchant les migrants présents sur le territoire voire démarchant à distance des candidats au départ dans leur pays d'origine pour proposer leurs services.

La combinaison de cette situation en Libye avec certains facteurs exogènes (difficulté des ressortissants subsahariens à trouver du travail dans les villes du golfe de Guinée, reconversion de la région du nord du Mali, autour de la ville d'Agadez, dans le trafic de migrants après l'arrêt de l'activité touristique lié au terrorisme...) a contribué à structurer les routes migratoires passant par le territoire libyen et à y faire émerger une véritable économie de la migration.

• Les origines des migrants et les routes empruntées

La Libye est ainsi devenue ces dernières années un pays de transit pour les migrations , alimentant 90 % des traversées vers l'Europe sur la route de Méditerranée centrale (les autres départs, moins nombreux, se faisant depuis l'Egypte et la Tunisie, les arrivées se faisant en Italie et à Malte).

En 2016, celle-ci est devenue la voie la plus empruntée vers l'Europe , après la fermeture de la route de Méditerranée orientale suite à l'accord passé entre l'UE et la Turquie et le tarissement - plus ancien - de la route de Méditerranée occidentale grâce à la coopération mise en place entre l'Espagne, le Maroc, le Sénégal et la Mauritanie.

Nombre d'arrivées sur la route de Méditerranée centrale

Source : FRONTEX

Les migrants transitant par la Libye proviennent de deux zones et empruntent des itinéraires bien identifiés :

- l 'Afrique de l'ouest : les principaux pays d'origine étant le Nigéria, le Niger, la Gambie, le Sénégal, la Côte d'Ivoire et la Guinée ; il faut toutefois souligner que les migrants originaires de pays sahéliens (Niger, Mali, Tchad), qui constituent une part non négligeable de ce flux, sont des saisonniers se rendant en Libye pour y travailler quelques mois, le plus souvent dans les territoires agricoles du sud du pays ;

Sur la route de l'ouest , les migrants se rendent librement et sans visa au Niger, empruntant les lignes de bus régulières qui relient les États de la CEDEAO, jusqu'à la ville d'Agadez. Sur place, ils trouvent tous les services (hébergements, transports) nécessaires à la poursuite de leur trajet, qui implique la traversée du désert et le franchissement irrégulier de la frontière, via Séguédine et Toummo. Une petite partie du flux préfère transiter par l'Algérie via Arlit et Tamanrasset avant de rejoindre la Libye par l'ouest à Ghât ou Ghadames.

Le franchissement des frontières situées au nord du Niger requérant la détention de visas, le recours aux services des passeurs est indispensable . Ceux-ci sont majoritairement des Toubous à la frontière libyenne et des Touaregs à la frontière algérienne. Une fois en Libye, les migrants passent aux mains d'autres trafiquants (comme ceux de la tribu des Ouled Suleiman à Sebha ou ceux des milices de Zintan à Ghadanes), les réseaux étant de plus en plus organisés et structurés à mesure que l'on s'approche des côtes.

- la Corne de l'Afrique : prenant sa source en Erythrée, Ethiopie et Somalie, la route de l'est transite par le Soudan avant de rejoindre la ville de Koufra dans l'est de la Libye. Sur cette route opère un petit nombre de réseaux très organisés, dont les acteurs sont issus des pays d'origine des migrants et qui leur proposent une prise en charge à l'échelle internationale, parfois jusqu'en Italie. Khartoum fait figure de plaque tournante. En Libye le transport est assuré par des passeurs libyens. Cependant, les passeurs de la nationalité des migrants sont aussi présents dans le pays : ainsi un centre de migrants à Beni Walid serait tenu par des Erythréens.

Les principales routes sahariennes des migrations

Source : CRU report, The politics of irregular migration in the Sahel and Libya, F. Molenaar février 2017, Clingendael

Les migrants originaires d'Afrique de l'ouest sont majoritairement des migrants économiques alors que ceux venant de la Corne de l'Afrique sont davantage des personnes en demande de protection internationale (asile). Cependant, on trouve des réfugiés et des migrants dans les deux cas. En réalité, il s'agit de flux mixtes .

Qu'ils soient originaires de l'est ou de l'ouest, les flux convergent pour la plupart vers Sebha puis se dirigent vers la Tripolitaine qui, avec sa côte sableuse, se prête le plus aux embarquements. Dans cette région, les migrants attendent en général autour de Beni Walid, avant d'embarquer dans les villes portuaires du « croissant migratoire ». La principale ville pour les embarquements a d'abord été Zuwara puis, après qu'une mobilisation citoyenne ait débarrassé celle-ci du trafic de migrants en 2015, les départs se sont concentrés à Sabratha. Les milices opérant dans cette dernière s'étant placées en 2017 sous l'égide du GEN et combattant désormais officiellement les trafiquants, c'est la ville de Zawiya qui est devenue la principale zone des départs.

Routes migratoires et centres de détention en Libye en 2017

Sources: Mattia Toaldo « Don't close borders, manage them: how to improve EU policy on migration through Libya” 15 juin 2017 (c)ECFR 55 ( * )

• Les dangers de la route

S'ils l'ignorent bien souvent en partant, les migrants se retrouvent sur ces routes exposés à tous les dangers. Qu'il s'agisse de la traversée du désert ou du voyage en mer vers l'Europe , ils risquent leur vie à chaque instant. Dans le Sahara, ils sont convoyés dans des pick-ups surchargés qui foncent à toute allure pour échapper aux contrôles. Parfois, ils tombent des véhicules et sont abandonnés à leur sort. Ils peuvent être arrêtés par des groupes armés qui les dévalisent ou les kidnappent pour obtenir des rançons. Rackettés, malmenés, privés d'eau et de nourriture, ils effectuent leur long voyage sous la contrainte , passant de mains en mains. Beaucoup doivent travailler à des conditions très désavantageuses, vulnérables à toutes les formes d'exploitation.

Sur le territoire libyen, les migrants sont fréquemment arrêtés et enfermés dans des centres de détention , dont une partie seulement est sous le contrôle des autorités gouvernementales, les autres étant aux mains de diverses milices. Dans ces centres où la violence est banalisée, ils subissent des traitements inhumains et dégradants, sont torturés, leurs familles devant verser des rançons pour obtenir leur libération. Ils sont couramment cédés à d'autres centres ou revendus à des trafiquants. Le système répressif et cruel pratiqué dans ces centres est décrit avec précision par les rapports établis par les ONG à partir des témoignages recueillis auprès de migrants 56 ( * ) .

Enfin, la dernière étape, la traversée de la Méditerranée , est sans doute la plus dangereuse. Contraints d'embarquer sous la menace dans des embarcations surchargées, inadaptées à la navigation et ne disposant que d'un minimum de carburant, les migrants souffrent de mille maux et sont à la merci des naufrages. Selon l'OIM, 4 581 migrants sont morts en 2016 sur la route de Méditerranée centrale, route migratoire la plus dangereuse et la meurtrière du monde .

• L'économie de la migration

Compte tenu de la croissance qu'il a enregistrée ces dernières années, le trafic de migrants pèse d'un poids considérable dans l'économie libyenne. Même si certains observateurs pensent qu'il reste inférieur à celui d'autres trafics comme celui d'essence, d'armes ou de drogue, sa contribution au PIB n'en serait pas moins de l'ordre de 20 à 25 %, soit 1,5 milliard de dollars par an.

L'existence des réseaux organisés de bout en bout est discutée. Il semblerait que cette activité ait un caractère relativement atomisé dans le sud du pays , où n'importe qui peut sans trop de difficultés s`improviser passeur de migrants et espérer tirer des revenus confortables de cette activité (un conducteur de minibus transportant des migrants gagne 125 à 190 dollars par trajet de la frontière à Sebha, voire jusqu'à 3 750 dollars s'il possède son propre véhicule, acheté 10 000 dollars). Elle devient plus structurée et professionnelle à mesure que l'on s'approche des points d'embarquement . Il faut souligner les connexions étroites voire la confusion entre réseaux de passeurs et autres réseaux de trafiquants.

L'économie de la migration irrigue l'ensemble du pays . Elle fait vivre tout un tissu économique local (commerces, locations...) qui fournit biens et services aux trafiquants, se substituant même parfois à des activités traditionnelles moins rentables (cas des pêcheurs de la côte tripolitaine convertis en passeurs). Elle est aussi une source de revenus importante pour les groupes armés qui rackettent les trafiquants ou prennent le contrôle des filières. Les enjeux financiers liés à l'exploitation des détenus expliquent les rivalités entre ces groupes pour le contrôle des centres de détention. La revente de détenus d'un centre à l'autre en fonction de la capacité contributive estimée de chaque nationalité procède de la même logique d'extorsion .

Sous-payés et disposant de moyens insuffisants, les fonctionnaires se rendent fréquemment complices de ce système de prédation et entretiennent des relations de collusion avec les réseaux de trafiquants. Par exemple, dans les centres de détention dépendant du ministère de l'intérieur, il existe souvent une sorte de partage des tâches 57 ( * ) entre les milices qui assurent la sécurité et fournissent les gardiens, et le Département du contrôle des migrations irrégulières (DCIM) qui prend en charge les aspects administratifs de la détention.

b) Une réponse européenne aux effets contrastés et retardés

• Une réponse globale mise en oeuvre à compter de 2015

Principal pays d'arrivée (avec Malte) des migrants transitant par la Méditerranée centrale, l'Italie affronte seule, dans un premier temps, le flux migratoire en augmentation . Faute de réponse européenne, elle prend en 2013 l'initiative d'une opération maritime Mare Nostrum destinée à recueillir les migrants naufragés sur cette route, appuyée dans cette mission de sauvetage par diverses ONG. À cette opération italienne succède en octobre 2014 la première opération européenne de contrôle des frontières maritimes au large de l'Italie, Triton , opérée par l'agence FRONTEX.

L'augmentation de la pression migratoire aux frontières de l'UE (en particulier la crise qui se noue en Grèce sous l'effet des arrivées massives de demandeurs d'asile en provenance du Levant) et la multiplication des naufrages (notamment en avril 2015 un naufrage impliquant plus de 700 migrants au large de Lampedusa) conduisent les États européens à mettre en oeuvre dans l'urgence, à compter de l'été 2015, un plan d'action inspiré d'un document 58 ( * ) publié quelques mois plus tôt par la Commission européenne.

Il est d'abord décidé d'augmenter significativement les moyens consacrés aux opérations de surveillance des frontières maritimes en Méditerranée, l'agence Frontex, devenue agence européenne de gardes-frontières et gardes-côtes voyant ses missions et son statut confortés (règlement du 6 octobre 2016).

Pour aider les pays situés en première ligne (Italie et Grèce) pour l'accueil des migrants, des centres d'accueil et d'enregistrement (dits « hotspots ») sont mis en place avec le soutien européen dans les principaux points d'arrivées (îles de la mer Egée et Sicile). Dans ces centres, les agences de l'Union européenne (FRONTEX, le bureau européen de l'asile EASO et Europol), appuyées par les États membres, apportent une assistance aux États dits de première entrée pour accomplir les formalités qui leur incombent (identification, enregistrement, contrôle) et opérer un tri entre les demandeurs d'asile potentiels et les migrants n'ayant pas vocation à entrer dans l'UE.

En complément, les États membres s'accordent, non sans difficultés et uniquement sur la base du volontariat, sur un programme temporaire de relocalisations , consistant en une répartition entre eux d'un total de 160 000 demandeurs d'asile arrivés en Grèce et en Italie entre septembre 2015 et septembre 2017.

En Méditerranée centrale, une opération maritime spécifique est lancée dans le cadre de la politique de sécurité et de défense commune (PSDC) : l'EUNAVFOR Med SOPHIA , dont l'objectif de démanteler le modèle économique des passeurs opérant depuis la Libye et d'éviter les pertes de vies humaines en mer.

L'opération EUNAVFOR Med SOPHIA

Constituant, après l'opération Atalanta de lutte contre la piraterie dans l'océan indien, la deuxième opération maritime de l'UE dans le cadre de politique de sécurité et de défense commune (PSDC ), l'opération EUNAVFOR Med a été lancée le 20 juin 2015 , en réaction à la multiplication des naufrages au large de la Libye.

Elle a pour mission de saisir et neutraliser les embarcations et les ressources utilisées par les trafiquants de migrants. Les moyens dont elle est dotée à ce jour se composent de cinq navires (une frégate allemande, une française, une espagnole, un navire de surveillance britannique et un pétrolier ravitailleur italien), deux hélicoptères (un italien et un espagnol) et trois avions (deux luxembourgeois et un espagnol ), mis à la disposition, ainsi que le personnel, par chacun des États contributeurs . Le budget commun s'élève à 6 millions d'euros pour la période du 27 juillet 2017 au 31 décembre 2018, ce qui est assez modeste. Le mandat actuel court jusqu'au 31 décembre 2018.

Après une première phase, consacrée à la collecte de renseignement, qui a permis d'identifier plusieurs réseaux, le passage à une deuxième phase , - dite 2a - visant à permettre l'arraisonnement, la fouille, la saisie et le déroutement en haute mer des navires et embarcations suspectées d'être utilisées pour la traite ou le trafic, a été décidée le 7 octobre 2015 . Cette évolution a été facilitée par l'adoption par le Conseil de sécurité des Nations-Unies d'une résolution 2240 le 9 octobre 2015 qui autorise le recours « à tous les moyens dictés par les circonstances pour lutter contre les trafiquants de migrants et d'êtres humains », ce qui implique le recours à la force.

Il n'a pas été possible d'aller au-delà de cette deuxième phase alors que le mandat initial prévoyait la possibilité déployer Sophia dans les eaux territoriales libyennes ( phase 2b ) pour y mener les mêmes actions d'arraisonnement, de fouille, saisie et déroutement des navires et embarcations suspectes, et a fortiori ( phase 3 ) de conduire des actions à terre contre les passeurs . En effet, cela supposait une invitation de l'État libyen, impossible à obtenir jusqu'à présent et/ou (ce point a fait l'objet d'un débat) une nouvelle résolution du Conseil de sécurité de l'ONU, à laquelle la Russie fait obstacle.

Depuis sa mise en place, l'opération Sophia a neutralisé 470 embarcations et contribué à arrêter 110 passeurs. Dans les faits, l'action de SOPHIA a aussi beaucoup porté sur du sauvetage en mer (40 000 personnes recueillies entre octobre 2015 et février 2018 ), au point qu'il lui a été reproché de faciliter - involontairement - l'activité des passeurs.

C'est en partie pour cette raison qu'elle s'est vue confier de nouvelles missions en juin 2016 : la formation des gardes-côtes libyens (200 formés à ce jour) et une contribution à la mise en oeuvre de l'embargo des Nations Unies sur les armes . Depuis juillet 2017, elle est également chargée de recueillir des informations sur les exportations illicites de pétrole en provenance de Libye.

L'opération Sophia bénéficie depuis 2016 (décision du sommet de l'OTAN de Varsovie de juillet 2016) d'un appui de l'OTAN en matière de recueil d'informations dans le cadre de l'opération Sea Guardian .

L'Union européenne a également adopté des mesures d'ordre général pour lutter contre les passeurs (plan d'action, création d'un centre contre le trafic de migrants au sein d'Europol) ainsi que, plus récemment, des mesures restrictives tendant à contrôler l'exportation de matériel de type zodiaque vers la Libye.

Enfin, un volet important de ce plan est le renforcement de la coopération avec les pays tiers , qu'ils soient pays de transit ou pays d'origine. Pour la migration africaine, c'est le sommet de La Valette des 11 et 12 novembre 2015 qui donne une impulsion à cette politique. Son ambition était de définir les termes d'un partenariat global destiné à résoudre la crise migratoire en Méditerranée centrale. L'idée est d'impliquer plus fortement les pays africains dans la gestion de leurs frontières et la lutte contre l'immigration irrégulière en contrepartie d'une assistance accrue, d'aide au développement et d'ouverture de voies légales de migration. Ce sommet a donné lieu à l'adoption d'un plan d'action comportant cinq domaines prioritaires de coopération, et à la création d'un « fonds fiduciaire d'urgence en faveur de la stabilité et de la lutte contre les causes profondes de la migration irrégulière en Afrique » dit FFU 59 ( * ) .

Doté de crédits européens et de contributions des États membres, le FFU a vocation à financer des projets destinés à produire des effets rapides dans des zones identifiées comme étant des sources de migration, que ce soit par la création d'activités offrant des perspectives d'emploi, la mise à niveau des services de base (éducation, santé) ou le renforcement des capacités des États.

Cet instrument a été complété en juin 2016 par l'adoption d'un nouveau cadre de partenariat européen prévoyant la passation de pactes sur mesure (« compacts ) avec des pays tiers, en priorité cinq d'entre eux en Afrique : le Niger, le Nigéria, le Sénégal, le Mali et l'Ethiopie 60 ( * ) . Ces pactes visent à mobiliser, sous forme d'incitations positives ou négatives, l'ensemble des financements attribués par l'Union européenne à ces pays dans l'objectif de freiner leurs flux migratoires vers l'Europe. Ces instruments prévoient des actions de coopération policière et sont assortis (ou ont vocation à l'être) d' accords de réadmissions visant à faciliter le retour des migrants en situation irrégulière dans leurs pays d'origine.

Le bilan de ces actions de coopération est inégal, les pays africains n'y trouvant pas toujours leur intérêt alors que la migration représente pour eux une source importante de revenus. Cette politique a cependant porté ses fruits avec le Niger , qui a démontré sa volonté de coopérer (cf infra p. 111 ).

La France se montre très impliquée sur ce volet extérieur de la politique migratoire européenne compte tenu de ses liens avec de nombreux pays africains et de sa forte exposition aux migrations en provenance de cette zone. Cette implication a notamment pris la forme d'une action auprès des autorités nigériennes et tchadiennes en vue de les inciter à renforcer le contrôle de leurs frontières. Dans le but de favoriser la coopération, elle a pris l'initiative d'accueillir le 28 août 2017 à Paris un sommet sur la migration réunissant le Premier ministre libyen et les représentants du Niger, du Tchad, de l'Italie, de l'Espagne et de l'Allemagne. A la suite de cette réunion elle s'est engagée à réinstaller 3 000 réfugiés depuis le Niger et le Tchad d'ici 2019 et à augmenter de 10 millions d'euros sa contribution au HCR et à l'OIM, dont 6 millions à travers le FFU.

• Les initiatives italiennes

Les mesures prises au plan européen n'ont pas eu d'effets immédiats sur les flux. En effet, les traversées se poursuivent, avec la complicité plus ou moins volontaire des ONG qui interviennent à proximité des côtes libyennes pour recueillir les migrants en détresse. La plupart des migrants recueillis sont débarqués dans des ports italiens, principalement en Sicile. Depuis 2011, ce sont plus de 700 000 migrants irréguliers qui sont arrivés en Italie par la mer .

Rome s'estime peu aidée par ses partenaires européens . Sourds à ses appels, beaucoup (notamment les pays du groupe de Visegrad) refusent d'appliquer le plan de relocalisations et se montrent opposés à toute évolution du règlement de Dublin dans le sens d'un partage plus équitable de la charge des réfugiés. La question migratoire empoisonne les relations de Rome avec ses voisins, notamment la France et l'Autriche , qui se prémunissent des mouvements secondaires (relativement nombreux et concernant des migrants ayant souvent échappé à l'enregistrement en Italie) en multipliant les contrôles policiers aux frontières intérieures. Submergée par les demandes d'asile (125 000 demandes enregistrées en 2017, des structures d'accueil saturé), l'Italie est confrontée au mécontentement croissant d'une partie de sa population face à ce qu'elle perçoit comme un changement d'échelle du phénomène migratoire, ainsi qu'à une montée de l'influence des partis extrémistes exploitant la question migratoire, à quelques mois des élections législatives. C'est dans ce contexte, alors que les flux mensuels ne cessent d'augmenter, que l'Italie décide de renforcer son implication en Libye pour lutter contre les traversées des migrants .

Cette volonté est consacrée par la signature le 2 février 2017 d'un m émorandum d'accord entre le premier ministre italien Paolo Gentiloni et le chef du gouvernement Sarra j, par lequel Rome s'engage à renforcer son assistance aux autorités libyennes pour le contrôle des frontières sur terre et sur mer.

Alors qu'elle joue déjà un rôle de premier plan dans l'opération Sophia (dont le quartier général se trouve à Rome et dont le commandement est italien), l'Italie s'investit prioritairement dans la surveillance des côtes libyennes : à la manoeuvre pour la formation des gardes-côtes libyens (mission à laquelle elle consacre plus de 400 hommes), elle leur apporte aussi son soutien logistique. Elle impose également aux ONG présentes dans la région le respect d'un « code de bonne conduite » qui les conduit à se retirer ou, du moins, à se tenir à distance des côtes. Autorisée à pénétrer dans les eaux territoriales libyennes, l'Italie y exerce une surveillance active et organise l'intervention des gardes-côtes libyens quand une embarcation de migrants est repérée.

Un deuxième volet de son action, pour le moins controversé, renvoie aux négociations qu'elle aurait menées directement avec certaines milices contrôlant les côtes de la Tripolitaine, y compris des milices proches ou impliquées dans des réseaux de passeurs. De même, elle aurait négocié avec des tribus du sud en vue d'obtenir le blocage des flux aux frontières avec le Niger et le Tchad.

L'Italie est aussi présente sur le territoire libyen à travers diverses actions de capacity building , notamment auprès du ministère libyen de l'intérieur. C'est ainsi qu'elle forme des gardes-frontières (par exemple à Ghat, dans le sud-ouest du pays, du côté de la frontière avec l'Algérie). De la même manière, elle s'investit au Niger , où elle s'est proposé de déployer une mission de formation des forces nigériennes, à laquelle elle est prête à consacrer plus de 400 militaires.

Enfin, elle cherche aussi à promouvoir la stabilisation et le développement dans le sud du pays à travers son initiative « plan pour la paix, la stabilité et la sécurité dans le sud libyen », qui prévoit, dans le cadre d'une stratégie de réconciliation intertribale, la création de centres médicaux et culturelles et la création d'un corps de police contre les trafics. Pour ce projet de 90 millions d'euros, elle recherche des financements européens.

? Les prémices d'un partenariat migratoire avec la Libye

Les initiatives italiennes ont ouvert la voie à un rapprochement prudent de l'UE avec la Libye sur la question migratoire.

En janvier 2017, une communication conjointe de la Commission européenne et de la Haute Représentante de l'UE pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, intitulée « La migration le long de la route de Méditerranée centrale - Gérer les flux migratoires, sauver des vies », souligne la nécessité de nouvelles mesures pour accompagner les efforts que certains États membres (Italie, Malte) déploient face aux flux irréguliers incontrôlés sur la route de Méditerranée centrale, et reconnaît le gouvernement libyen d'entente nationale comme un partenaire essentiel dans cette démarche. Elle envisage la possibilité d'y associer les municipalités libyennes et met l'accent sur la nécessité de travailler en étroite collaboration avec les organisations internationales actives dans le pays (HCR et OIM).

La Déclaration du Conseil européen de Malte du 3 février 2017 se réfère, quant à elle, à l'accord politique passé entre l'Italie et la Libye et souligne la disponibilité des États membres à soutenir l'Italie dans sa mise en oeuvre.

Ces intentions débouchent sur l'adoption en juillet 2017 d'un nouveau plan d'action « pour soutenir l'Italie, réduire la pression migratoire et renforcer la solidarité » , doté de 136 millions d'euros, visant notamment à soutenir le renforcement des capacités des autorités libyennes en matière de gestion des frontières, à encourager la création en Libye d'un centre de recherche et de sauvetage maritime, à renforcer les contrôles à la frontière méridionale du pays, en coopération avec les pays du G5 Sahel et à améliorer la protection des migrants. L'essentiel de l'aide européenne à la Libye transite par le Fonds fiduciaire d'urgence pour l'Afrique.

L'aide européenne à la Libye via le FFU

En mai 2018, 237 millions d'euros avaient été alloués à la Libye depuis la création du FFU, à travers six programmes opérés par des agences onusiennes (OIM, HCR, PNUD, UNICEF), des États membres ou des ONG, articulés autour de trois grands axes :

- la protection et l'aide aux personnes vulnérables et aux migrants (98,7 millions d'euros) : assistance dans les points de débarquement, les centres de détention et en milieu urbain, soutien aux retours volontaires dans les pays d'origine et à l'évacuation des personnes en besoin de protection, sensibilisation des autorités libyennes de protection des frontières au respect des droits de l'homme ;

- la stabilisation des municipalités libyennes (92 millions d'euros) : reconstruction d'infrastructures et de services de base (école, hôpitaux, services sociaux, postes de police...) ;

- la gestion intégrée des frontières (46,3 millions d'euros) : formation et équipement des gardes-côtes, renforcement des capacités dans le sud (région de Ghât).

Un dernier train de mesures a été pris au plan européen et international à la fin de l'année 2017 , à la suite de l'émoi suscité par les révélations des médias sur le sort des migrants en Libye, notamment le reportage de CNN diffusé le 14 novembre sur une vente aux enchères de migrants.

C'est ainsi qu'à l'occasion du 5 e sommet entre l'Union européenne et l'Union africaine qui s'est tenu à Abidjan les 29 et 30 novembre 2019, une réunion tripartite UE-UA-ONU sur la situation des migrants en Libye a été organisée à l'initiative de la France. Elle a conduit à l'adoption d'une déclaration commune et à la création d'un groupe de travail conjoint ( task force) UE-UA-ONU destinée à améliorer la gestion collective de la crise migratoire et à faciliter le dialogue avec les autorités libyennes. Cet instrument de coordination doit notamment aider à mieux lutter contre les trafiquants, à faciliter la réadmission dans leurs pays d'origine des migrants bloqués en Libye et à améliorer la protection des migrants et des réfugiés dans ce pays, avec le soutien financier de l'Union européenne. Le groupe de travail s'est notamment donné pour objectif de rapatrier ou d'évacuer en six mois l'ensemble des 19 000 migrants se trouvant fin 2017 dans les 24 centres de détention contrôlés par le gouvernement (sur les 42 recensés en Libye).

Au nombre des initiatives prises dans le droit fil de ce sommet figure aussi l'adoption, le 7 juin 2018, de sanctions individuelles par le Conseil de sécurité des Nations Unies à l'encontre de six trafiquants de migrants, après qu'ont été vaincues les réticences de la Russie (pour des raisons de principe) et de l'Italie (qui craint des conséquences négatives sur le processus politique ainsi que sur le contrôle des flux). Ces sanctions, qui consistent en un gel des avoirs et une interdiction de voyager, sont dirigées contre quatre Libyens et deux Erythréens.

4. Une zone de prospérité pour la criminalité organisée

A la crise politique et sécuritaire, s'ajoute une lutte acharnée pour le contrôle des trafics sur le territoire libyen. La Libye est devenue un terrain fertile pour la criminalité organisée, venue se substituer à l'économie légale en l'absence d'un État de droit. La crise de liquidités, d'approvisionnement et de délivrance des services de base ne font que les renforcer. Les trafics deviennent la principale source de revenus de certaines populations en l'absence d'alternatives, notamment dans le sud, au coeur des axes stratégiques. Une véritable économie de la prédation s'est installée .

a) Typologie des trafics en Libye

Les trafics sont interconnectés : nombre d'entre eux empruntent les mêmes circuits et ils sont généralement contrôlés par les mêmes acteurs, à savoir des groupes armés. Ces derniers prélèvent des commissions ou participent activement aux activités criminelles. Les filières djihadistes, qui reposent principalement sur des fonds propres et des financements étrangers, participent également à ces trafics. Les principaux trafics, en dehors de celui d'êtres humains, concernent les hydrocarbures, les armes, l'or, la drogue et les médicaments.

(1) Le trafic d'armes : la Libye comme plaque tournante

Le secrétaire général des Nations unies, dans son rapport sur l'application de la résolution 2357 (2017) du Conseil de sécurité a rappelé que « les flux illicites d'armes et de matériel connexe à destination ou en provenance de la Libye demeurent un sujet de préoccupation régional et international » 61 ( * ) .

En janvier 2018, Ghassan Salamé avait déjà interpellé le Conseil de sécurité sur l'importance du stock d'armes sur le territoire libyen, évalué à près 20 millions pour 6 millions d'habitants 62 ( * ) . Elles sont en partie l'héritage de la chute du régime de Kadhafi. La porosité des frontières, où s'organisent des flux entrants et sortants, vient renforcer les chiffres.

La Libye est un pays de transit et de destination des armes . À titre d'exemple, le Groupe d'experts des Nations unies sur le Soudan a rapporté ce trafic dans son rapport final du 28 décembre 2017 63 ( * ) . Le panel d'experts sur la Libye a confirmé ce phénomène dans son rapport du 17 juin 2017, en documentant le trafic vers et depuis le Niger et la Tunisie. Les autorités nigériennes ont toutefois indiqué que le trafic d'armes en provenance de la Libye avait diminué en 2017, mais que des migrants continuaient d'être utilisés pour transporter des armes de part et d'autre de la frontière.

Ce trafic constitue une importante source de revenus à l'échelle locale. Selon le Groupe d'experts, les marchés de Zintan, de Misrata, d'Ajdabiya et Waw sont les théâtres d'un « commerce actif d'armes », citant l'exemple de vente de système avancé, tel qu'un système antichar « Milan », vendu pour la somme de 9 000 dollars avec quatre missiles. Ce trafic d'armes est étroitement lié au phénomène du mercenariat : les services de combattants sont proposés en complément des armes.

Ces armes létales ou bien modifiées à des fins militaires, sont également vendues sur le marché virtuel, par l'intermédiaire des réseaux sociaux.

Le trafic local n'est pas seulement terrestre. L'opération PSDC Eunavfor Med Sophia , qui lutte contre le trafic maritime au large des côtes, a inspecté à deux reprises le navire El Mukhtar, les 1 er mai et 19 juin 2017. Ce navire, dont on ne connait pas l'État du pavillon, se rendait de la ville de Misrata à Benghazi et des armes sous le coup de l'embargo sur les armes avaient été saisies 64 ( * ) .

(2) Les trafics de drogues, de médicaments et d'or

La Libye est un marché et une zone de transit pour plusieurs produits stupéfiants comme le cannabis, l'héroïne, la cocaïne et les méthamphétamines. Le trafic de cannabis représenterait une manne financière de 800 millions de dollars par an dans le Sahel. Sur ce trafic comme sur celui de médicaments, il existerait une jonction importante entre la criminalité organisée et les activités terroristes : le 3 novembre 2017, une cargaison de plus de 24 millions de pastilles de tramadol (également appelée « drogue du combattant »), d'une valeur d'environ 50 millions d'euros avait été saisie dans le port de Gioaia Taura, en Calabre 65 ( * ) . Ce trafic était organisé par Daech et avait pour destination plusieurs théâtres comme la Libye, la Syrie et l'Irak, où la pastille est revendue à un prix de 2 dollars. Au même moment, 18 millions de tablettes de ce même médicament étaient saisies dans le port de Benghazi 66 ( * ) .

La Libye est également en proie au trafic d'or. D'importantes réserves aurifères existent dans le sud du pays, dans la ville de Mourzouq, à 150 kilomètres de Sebha. Les réserves sont contrôlées par les Toubous et 15 kg d'or seraient extraits chaque jour, pour une valeur locale estimée à 400 000 dollars.

Les trafics de drogues, de médicaments et d'or feraient l'objet d'un contrôle plus étroit que celui d'hydrocarbures.

(3) Le trafic d'hydrocarbures

Le trafic de pétrole représente une importante perte d'argent pour la Libye, que le président de la National Oil Company a évalué à 750 millions de dollars par an à l'occasion du sommet organisé les 18 et 19 avril 2018 Oil & Fuel Theft 67 ( * ) .

(a) Le trafic de pétrole brut

Le trafic d'hydrocarbures est particulièrement développé en Libye et concerne en premier lieu les produits raffinés bien que certains cas d'exportations illicites de pétrole brut aient été dénoncés par la National Oil Company .

Les exportations de pétrole brut autre que par l'intermédiaire de la National Oil Company ou des entités explicitement autorisées par la NOC sont interdites par la résolution 2146 (2014) du Conseil de sécurité des Nations unies. Le 27 avril 2016, un navire battant pavillon indien (le Distya Ameya) avait été le premier à être inscrit sur la liste des sanctions en application de la résolution 2146, qui vise à empêcher les tentatives d'exportation illicite de pétrole brut depuis la Libye 68 ( * ) . Cette tentative d'exportation avait été organisée par le Gouvernement de Beïda, comme le démontre la publication de la National Oil Company auprès du Conseil présidentiel 69 ( * ) . Il est ainsi interdit à l'administration parallèle, en l'occurrence la NOC installée à l'est du pays, d'exporter du pétrole brut .

(b) Le trafic de produits raffinés

Un récent rapport réalisé par Tim Eaton pour le programme Afrique du Nord et Moyen-Orient de Chatham House , a classé le trafic de carburants en trois principales catégories, à savoir :

- la contrebande transfrontière de petits volumes de carburant ;

- le détournement de l'approvisionnement en carburant dans le pays, ensuite revendu au taux du marché noir au lieu du taux subventionné ;

- la contrebande maritime de grande quantité.

L'ampleur de ce trafic s'explique par les subventions versées par l'État : la Banque centrale libyenne subventionne le carburant, ce qui conduit à réduire drastiquement le coût des produits raffinés sur le marché local et incite les contrebandiers à profiter des très faibles prix pour réaliser d'importantes marges.

Selon la Cour des comptes libyenne, l'État libyen a dépensé 30 milliards de dollars durant ces cinq dernières années pour les subventions des produits raffinés, avec une répartition de 80% pour les produits importés et 20% pour les produits locaux 70 ( * ) .

Le coût de l'import de produit raffiné a été estimé à 2,9 milliards de dollars pour l'année 2016 et à 5 milliards de dollars en 2017 selon les informations du rapport intérimaire du Groupe d'experts des Nations unies, rapportées par le rapport « Libya's War Economy » de Chatham House . Selon la Cour des comptes, 30% du carburant subventionné ferait l'objet de contrebande.

(i) La contrebande transfrontalière

La contrebande transfrontière est antérieure aux évènements de 2011 et de 2014. Compte tenu des prix nettement inférieurs sur le marché libyen, des trafics de petites quantités se sont traditionnellement organisés par la voie terrestre depuis la Libye vers les pays transfrontaliers.

En Tunisie, le prix du carburant était de 1,8 DT soit 0,75 dollar par litre à la mi-2018, contre seulement 0,15 DL, soit 0,11 dollar en Libye. Les trafiquants peuvent ainsi réaliser une marge importante en profitant des subventions de la Banque centrale libyenne. Cette contrebande ne représente pas la plus importante des pertes pour l'État libyen.

(ii) Détournement de l'approvisionnement subventionné revendu au marché noir

Le détournement des produits raffinés subventionnés pour les revendre sur le marché noir est un autre procédé utilisé par les trafiquants pour s'enrichir. Ce type de trafic est mal documenté. Il serait mis en place grâce à la complicité de certaines personnes dans l'administration et par la falsification de documents, permettant la livraison des produits à des stations-services fantômes ou qui ne sont pas officielles.

(iii) La contrebande maritime

La contrebande de carburant par voie maritime représente la part du trafic la plus rentable . Le 17 juillet 2016, la Commission de l'économie, du commerce et de l'investissement de la Chambre des représentants s'était attachée à dénoncer ce phénomène, rappelant que les produits subventionnés n'étaient pas autorisés à l'exportation.

Le panel d'expert des Nations unies et le Daphne project , du nom de la journaliste maltaise Daphne Caruana Gilizia, assassinée le 16 octobre 2017 et qui enquêtait sur des scandales de corruption et notamment la contrebande de carburant depuis la Libye vers Malte, ont mis en évidence certains personnages clés de ce trafic. Parmi les personnes qui ont participé à ce trafic, y figurent le chef des forces de surveillance des champs pétrolifères de Zaouïa et chef de la milice « Nasr », Mohamed Kochlaf, ou encore un ancien footballer maltais du nom de Darren Debono et un trafiquant de la ville de Zouara, un certain Fahmi Ben Khalifa.

Un exemple de contrebande de produit pétrolier

Le rapport du panel des experts du conseil de sécurité des Nations unies a pu mettre à jour un important trafic de gasoil extrait de la raffinerie de Zawiya, transféré depuis un terminal pétrolier aménagé dans le port d'Abou Kammash par un trafiquant influent Fahmi Ben Khalifa sur des tankers lui appartenant, transvasé offshore sur d'autres navires au large de Malte avant d'être acheminé muni de faux certificats vers des ports italiens et écoulé sur le marché européen. Ce trafic reposait en Libye sur la complicité de gardes-côtes et d'employés de la garde des infrastructures pétrolières, sur un intéressement de milices locales, et des partenaires maltais et italiens. A la faveur du renversement des jeux politiques libyens, Ben Khalifa sera arrêté en août 2017 et une opération « Dirty oil » sera lancée par la justice italienne contre ses partenaires maltais et italiens.

Sources : François de Labarre et Piero Messina Paris Match 11 janvier 2018

Source : Groupe d'experts de Nations Unis, Rapport final sur la Libye, juin 2017

Ce trafic peut s'organiser depuis un port du littoral, comme celui de Zouara. Le carburant est alors embarqué dans un navire à destination de la Turquie, de l'Italie ou de Malte. L'opération s'effectuerait également directement en mer avec le transfert des produits raffiné d'un navire A à un navire B. Enfin, il a été mentionné au groupe de travail l'existence d'un pipeline sous-marin permettant depuis le sol libyen de charger du carburant à un navire au large des côtes, sans être repéré par les gardes-côtes.

Ce trafic se serait dernièrement tari avec l'évolution du mandat de l'opération Eunavfor Med Sophia ainsi que « Mediterranean Storm », qui a conduit à l'arraisonnement le 28 août 2017 par les gardes-côtes libyens d'un tanker grec sous pavillon libérien (le Levante ) avec à son bord 6 millions de litres de carburant importé de Libye.

b) Les réponses aux trafics

La lutte contre la criminalité organisée constitue l'un des plus grands défis. Les trafics servent la corruption des élites politiques, incitent les personnes qui tirent profit de cette économie de la prédation à se maintenir et bloquer le processus politique . Ils emportent de lourdes conséquences sur l'économie formelle et ébranlent ce qui reste des institutions en place.

Pour lutter contre ces trafics à l'échelle nationale, l'État libyen fait face à un déficit majeur, à savoir l'absence d'armée et de police unifiée et professionnelles. Malgré tout, plusieurs mesures ont été adoptées pour les enrayer. Les résultats sont contrastés.

Au début de l'année 2018, le procureur général Sadiq Al-Sour a créé un Bureau des investigations dans le but de remédier à l'absence de service de police et aux institutions défaillantes capables d'enquêter sur les affaires de crimes organisés. Il a ensuite poursuivi une politique de « name and shame », en publiant au mois de mars 2018 une liste de 200 trafiquants. Des opérations ciblées sont également mises en place telle que l'opération Mediterranean Storm , avec pour objectif de lutter contre le trafic de carburant.

Compte tenu de la dimension transnationale de ces trafics et de la porosité des frontières au sud de la Libye, le 3 avril 2018, le Niger, le Soudan, le Tchad ainsi que la Libye ont mis en place un mécanisme de coopération en matière de sécurisation des frontières et de lutte contre la criminalité transnationale organisée.

La lutte s'organise également à l'échelle de la communauté internationale avec l'adoption de régimes de sanctions par le Conseil de sécurité des Nations unies, initié par la résolution 1970 (2011). Ce régime s'est progressivement étayé, avec l'adoption de la résolution 2357 (2017) qui proroge les autorisations en vertu de la résolution 2292 (2016). Cette résolution adoptée sous Chapitre VII de la Charte des Nations unies, vise à permettre aux États membres à titre national ou dans le cadre d'organismes régionaux, à inspecter, au large des côtes libyennes, les navires à destination ou en provenance de la Libye et qui sont suspectés transporter des armes. L'adoption du texte de la résolution en 2016 avait permis à l'opération Eunavfor Med Sophia d'étendre son opération et de contribuer à la mise en oeuvre de l'embargo des Nations unies sur les armes 71 ( * ) (mandat prorogé pour un an le 11 juin 2018 par la résolution 2420). Cette même opération contribue également à la surveillance des trafics illégaux, dont le trafic d'hydrocarbures, en vertu de la résolution 2362 (2017) qui prolonge le mandat de la résolution 2146 (2016) du Conseil de sécurité des Nations unies. Les résultats sont contrastés : selon le rapport du Secrétaire général des Nations unies du 11 mai 2018, en application de la résolution 2357 (2017), l'opération militaire de l'Union européenne a procédé à plus de 1 200 arraisonnements mais seulement trois inspections de navires 72 ( * ) .

Or, cette lutte contre la criminalité qui s'organise au sein même du territoire libyen et que l'opération Eunavfor Med Sophia ne peut pas pénétrer, suppose que soit mise en place, comme énoncé par Ghassan Salamé le 21 mai 2018 devant le Conseil de sécurité (S/PV.8263 ), une stratégie pour construire des forces armées et de polices professionnelles capables de lutter contre ces trafics.

La crise libyenne est alimentée par de multiples facteurs qui sont enchevêtrés. Cumulés, ils font de la Libye une véritable zone à risques dont les conséquences entraînent des dommages à ses frontières et même au-delà, en Europe.

L'ingérence de puissances régionales, motivée par une lutte idéologique, n'a fait qu'exacerber les tensions et nourrit le vide sécuritaire, sur lequel plusieurs groupes islamo-djihadistes se sont implantés depuis la révolution de 2011.

L'absence d'autorités étatiques stables et qui bénéficient d'une légitimité sur l'ensemble du territoire a profité aux groupes armés, qui pour s'enrichir, ont organisé de multiples trafics : trafic d'êtres humains, d'armes, de drogues, de médicaments, d'or et d'hydrocarbures.

La Libye est ainsi devenue une plaque tournante régionale des trafics : elle alimente aussi bien le centre de l'Afrique en armes, que le sud de l'Europe en hydrocarbures. Une véritable économie de la prédation s'est installée, grâce à laquelle s'enrichissent les milices et les groupes terroristes.

La guerre par procuration que mènent certaines puissances régionales, la menace terroriste et la criminalité organisée sont autant de défis qui sont à relever pour que la Libye puisse sortir de la crise. La lutte antiterroriste a permis de combattre l'implantation locale de certains groupes, mais qui sont parvenus à se replier dans certaines zones. Pour éradiquer cette menace, l'unification de forces de sécurité est indispensable. Les interférences étrangères ont diminué depuis la nomination de Ghassan Salamé mais des soutiens matériels et financiers continuent d'alimenter certaines parties. Enfin, la criminalité organisée reste un des défis les plus importants que les autorités semblent aujourd'hui incapables à démanteler.


* 46 Rapport du panel des experts des Nations unies sur la Libye, créé en application de la résolution 1973 (2011), 1 er juin 2017 p.26 et suiv., http://www.un.org/french/documents/view_doc.asp?symbol=S/2017/466

* 47 Rapport du Groupe d'experts des Nations Unies sur la Libye, S/2017/466, 1 er juin 2017, para. 40.

* 48 Rapport du Secrétaire général sur la mission en Libye (S/2018/140), S/PV.8211, 21 mars 2018.

* 49 « Review of the Terrorist Attacks on U.S. Facilities in Benghazi, Libya, September 11-12, 2012 », U.S. Senate Select Committee on Intelligence (2014).

* 50 “Libyan Islamist group Ansar al-Charia says it is dissolving”, Reuters, 28 mai 2017.

* 51 http://www.ecfr.eu/mena/mapping_libya_conflict

* 52 Selon certaines sources d'informations, il aurait été visé par des frappes américaines en 2015 sur la ville de Derna.

* 53 Par exemple, le Pentagone a confirmé une frappe menée grâce à un drone le 24 mars 2018 contre Al-Qaïda en Libye, près d'Oubari, provoquant la mort de Moussa Abou Daoud, haut responsable d'AQMI en charge du recrutement.

* 54 Les migrations en Libye, un instrument de la diplomatie kadhafienne, Revue Outre-Terre, 2009/3 (n° 23) Euro-Méditerranées / Eurarabies.

* 55 http://www.ecfr.eu/publications/summary/dont_close_borders_manage_them_7297

* 56 Voir par exemple le rapport intitulé « Libye, un obscur réseau de complicités », Amnesty International, 2017.

* 57 CRU Report “Turning the tide : the politics of irregular migration in the Sahel and Libya”, F. Molenaar et F. El Kamouni-Janssen, Clingendael, février 2017.

* 58 Agenda européen pour la migration.

* 59 EU Emergency Trust Fund for Africa.

* 60 La signature de tels pactes est envisagée à moyen terme avec la Tunisie, la Libye,'Erythrée, la Somalie, le Soudan, le Ghana, la Côte d'Ivoire, l'Algérie, le Maroc, l'Afghanistan, le Bangladesh et le Pakistan.

* 61 Rapport du Secrétaire général du 11 mai 2018, Application de la résolution 2357 (2017), S/2018/451, para. 1.

* 62 Intervention du RSSGNU devant le Conseil de sécurité du 17 janvier 2018, CS/13165.

* 63 Groupe d'experts sur le Soudan, rapport d'information du 28 décembre 2017, S/2017/1125*.

* 64 Rapport du Secrétaire général du 11 mai 2018, Application de la résolution 2357 (2017), S/2018/451, para. 3.

* 65 « Trafic de drogue organisé par l'EI : des millions de pastilles saisies en Italie », RFI, 4 novembre 2017.

* 66 « Major Benghazi port drugs bust », Libya Herald, 2 novembre 2017.

* 67 https://noc.ly/index.php/en/new-4/3511-noc-chairman-sanalla-launches-major-anti-fuel-smuggling-initiative-fuel-theft-and-smuggling-a-major-corrosive-loss-to-libyan-economy .

* 68 Résolution 2146 (2014), para. 10.

* 69 “NOC acts to block illicit export of oil from Libya by parallel administration”, 22 avril 2016, disponible sur https://noc.ly/index.php/en/new-4/1452-noc-acts-to-block-illicit-export-of-oil-from-libya-by-parallel-administration .

* 70 « Audit Bureau : Libya spent $30 billion on fuel subsidies in five years », Libya Observer, 19 août 2017, https://www.libyaobserver.ly/economy/audit-bureau-libya-spent-30-billion-fuel-subsidies-five-years .

* 71 L'opération Sea Guardian déployée dans le cadre de l'OTAN mène également des tâches pour lutter contre la prolifération des armes même si la lutte contre le terrorisme est sa priorité.

* 72 Rapport du Secrétaire général des Nations unies sur l'application de la résolution 2357 (2017), S/2018/451, 11 mai 2018.

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