B. LA PRÉVENTION DES CONFLITS D'INTÉRÊTS ET LA DÉONTOLOGIE

Il convient, à titre liminaire, de préciser le rôle original de ces notions dans le corpus juridique qui régit la mise en cause de la responsabilité pénale des élus locaux.

Alors que la prise illégale d'intérêts et les autres manquements au devoir de probité : concussion, corruption, trafic d'influence, délit de favoritisme, soustraction et détournement de biens, énumérés au chapitre II du titre III du livre IV du code pénal relèvent de ce que l'on appelle le « droit dur », constitué de normes créatrices de droits et d'obligations assorties de sanctions, en revanche le domaine de la prévention des conflits d'intérêts et de la déontologie relève du « droit souple », qui cherche à orienter les comportements par le biais de recommandations, guides de bonnes pratiques, lignes directrices, chartes de déontologie, dépourvus de sanctions juridiques mais que les juges peuvent être conduits à contrôler ou à prendre en compte dans leur raisonnement juridique, comme le relève l'étude que le Conseil d'État a consacrée en 2013 à ce phénomène 2 ( * ) .

Comme le note encore la même étude, le droit souple « s'avère souvent plus adapté que le droit dur pour traiter des phénomènes qui ne sont pas tout à fait bien cernés, tout en préparant le recours ultérieur à ce dernier. Le droit souple a ainsi été utilisé en matière de prévention des conflits d'intérêts ».

La montée en puissance de l'exigence de déontologie dans la sphère publique se traduit par un renforcement constant des dispositifs en vigueur, qu'ils relèvent du droit dur ou du droit souple, ou des deux simultanément.

Ainsi, la loi du 31 mars 2015 visant à faciliter l'exercice, par les élus locaux, de leur mandat a institué une charte de l'élu local dont elle prévoit la lecture lors de la première réunion du conseil municipal, immédiatement après l'élection du maire et des adjoints, une copie de la charte étant remise aux conseillers municipaux. Ces dispositions sont aussi applicables aux métropoles, communautés urbaines, communautés d'agglomération et communautés de communes. La charte apparaît comme le rappel du droit en vigueur et des principes essentiels que doivent appliquer les élus dans l'exercice de leur mandat. Elle se présente ainsi comme un premier pare-feu contre le risque pénal attaché à cet exercice.

À côté de l'outil d'information et de prise de conscience que constitue la charte, un rôle opérationnel en matière de prévention a été confié à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), créée par la loi organique et la loi ordinaire du 11 octobre 2013 relatives à la transparence de la vie publique.

La HATVP, éloquente illustration de la tendance française à combiner le droit souple et le droit dur dans des mécanismes évoluant de façon progressive et graduée du conseil vers la sanction, exerce des compétences à l'égard de certaines catégories d'élus locaux.

? Les élus locaux relevant du champ de compétence de la HATVP :

Doivent déposer une déclaration de patrimoine et une déclaration d'intérêts auprès de la Haute Autorité les élus locaux membres d'un exécutif local (président de conseil régional ou départemental, maire et adjoints) ou titulaires d'une délégation de signature ou de fonction. Pour les communes et les intercommunalités, seuls sont concernés les maires des communes de plus de 20 000 habitants et, pour les adjoints titulaires d'une délégation de signature ou de fonction, ceux des communes de plus de 100 000 habitants.

Sont également soumis à obligation déclarative les présidents d'établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre dont la population excède 20 000 habitants ou dont le montant des recettes de fonctionnement dépasse cinq millions d'euros, les présidents d'EPCI sans fiscalité propre dont le montant des recettes de fonctionnement dépasse cinq millions d'euros, et les vice-présidents des EPCI à fiscalité propre dont la population excède 100 000 habitants lorsqu'ils sont titulaires d'une délégation de signature ou de fonction.

La loi précise également les élus concernés dans les collectivités à statut particulier : les présidents de l'assemblée et du conseil exécutif de Corse, ainsi que les conseillers exécutifs titulaires d'une délégation de signature ou de fonction ; le président de la métropole de Lyon, ainsi que les conseillers titulaires d'une délégation de signature ou de fonction ; le président de l'assemblée territoriale de Wallis-et-Futuna ; le président et les membres du Congrès, le président et les membres du Gouvernement, les présidents et les vice-présidents des assemblées de province en Nouvelle-Calédonie ; le président et les membres du Gouvernement, le président et les représentants à l'assemblée de la Polynésie française ; le président du conseil territorial, et les conseillers territoriaux de Saint-Barthélemy, Saint-Martin et Saint-Pierre-et-Miquelon ; le président de l'assemblée de Guyane, et les conseillers titulaires d'une délégation de signature ou de fonction ; le président de l'assemblée et du conseil exécutif de Martinique, ainsi que les conseillers titulaires d'une délégation de signature ou de fonction.

? Le rôle de la HATVP :

Dans sa réponse au questionnaire qui lui a été transmis dans le cadre de la préparation du présent rapport, la HATVP a précisé les conditions essentielles de mise en oeuvre de ses missions.

À la réception d'une déclaration d'intérêts, elle procède à un premier examen et cherche à détecter d'éventuels conflits d'intérêts, en fonction de la définition donnée par l'article 2 de la loi du 11 octobre 2013 : « constitue un conflit d'intérêts toute situation d'interférence entre un intérêt public et des intérêts publics ou privés qui est de nature à influencer ou à paraître influencer l'exercice indépendant, impartial et objectif d'une fonction ».

Lorsque l'examen d'une déclaration révèle un risque de conflit d'intérêts, la HATVP en alerte l'élu et l'interroge sur les mesures éventuellement prises pour le prévenir. Elle l'incite également à la saisir d'une demande d'avis afin qu'elle puisse formuler les recommandations les plus adaptées pour éviter toute perspective de conflit d'intérêts. En effet, tous les déclarants bénéficient de la possibilité de saisir la HATVP des difficultés déontologiques qu'ils rencontrent dans l'exercice de leurs fonctions. À l'occasion de ces avis, qui restent confidentiels, la Haute Autorité joue un rôle essentiel de conseil. Lorsqu'elle rend un avis, la Haute Autorité examine d'une part le risque de prise illégale d'intérêts (article 432-12 du code pénal) et d'autre part le risque de conflit d'intérêts. Elle « propose des mesures adaptées à la situation individuelle et rappelle certaines obligations déontologiques générales d'un élu, afin de diffuser ces principes et d'accompagner au mieux l'élu dans l'exercice de ses fonctions ».

Par ailleurs, la HATVP joue un rôle de prévention du risque pénal de « pantouflage » pour les élus locaux visés au 2° du I de l'article 11 de la loi du 11 octobre 2013. L'article 23 de la loi du 11 octobre 2013 lui attribue une mission de contrôle de la compatibilité entre les anciennes fonctions exécutives locales de ces élus et l'exercice d'une activité privée. Les intéressés doivent obligatoirement la saisir avant de commencer une nouvelle activité libérale ou rémunérée au sein d'une entreprise privée ou publique, dans un délai de trois ans après la fin de leurs fonctions.

La Haute Autorité procède en premier lieu à une évaluation du risque, pour l'ancien élu, de commettre le délit de « pantouflage » incriminé à l'article 432-13 du code pénal. Un second contrôle est mené à l'aune des règles déontologiques applicables aux responsables publics, en particulier de l'exigence de prévention des conflits d'intérêts qui s'imposait à eux lorsqu'ils étaient en fonction. L'activité envisagée ne doit pas remettre en cause le fonctionnement indépendant, impartial et objectif de la collectivité locale dans laquelle l'intéressé a été élu. La Haute Autorité peut rendre des avis de compatibilité, de compatibilité sous réserves, ou d'incompatibilité.

Les saisines de la part d'anciens élus locaux restent peu fréquentes, ce dispositif leur étant encore largement méconnu. La Haute Autorité exerce néanmoins une veille active et peut, le cas échéant, s'autosaisir. Elle rappelle régulièrement cette obligation aux membres d'exécutifs locaux, par exemple en suggérant, dans ses avis sur les chartes de collectivités locales, d'intégrer cette obligation.


* 2 Voir Étude annuelle 2013 du Conseil d'État - Le droit souple, La Documentation française, 2013.

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