C. À NOUVELLE POLITIQUE DE VOISINAGE, NOUVELLE RELATION AVEC ISRAËL ?

1. Un contexte peu propice à une relance des négociations ?

Le Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou s'est rendu, le 11 décembre 2017, à Bruxelles pour un échange informel avec les ministres des affaires étrangères des États membres. Cette visite constituait une première depuis 22 ans. Elle s'inscrivait dans le contexte de l'annonce par le Président des États-Unis du transfert de l'ambassade américaine de Tel Aviv à Jérusalem.

La Haute représentante de l'Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, a rappelé, à cette occasion, la position « consolidée » de l'Union européenne sur Jérusalem, capitale des deux États, le statut de la ville devant être résolu par la négociation. Elle s'appuie notamment sur la résolution 478 du 20 août 1980 du Conseil de sécurité des Nations unies qui demande aux États le retrait des représentations diplomatiques de Jérusalem.

Reste qu'aux yeux du gouvernement israélien, l'interlocuteur principal sur la question du conflit israélo-palestinien demeure les États-Unis. La position européenne est jugée biaisée ou déséquilibrée, en faveur des Palestiniens. La critique ne vise pas seulement le Parlement européen, particulièrement impliqué dans le dossier (11 résolutions adoptées depuis 2010, parfois sur des sujets connexes), mais l'ensemble de l'Union européenne (238 communiqués de la Haute représentante depuis 2014 contre 254 pour toute l'Afrique et 265 pour l'Europe de l'Est et l'Asie centrale réunies sur la même période). La position adoptée sur la question des produits des colonies est notamment ciblée.

Résolutions adoptées par le Parlement européen depuis 2010 sur le conflit israélo-palestinien

10 mars 2010 : Résolution sur la mise en oeuvre des recommandations du rapport Goldstone sur Israël et la Palestine.

17 juin 2010 : Résolution sur l'opération militaire israélienne contre la flottille humanitaire et le blocus de Gaza.

15 décembre 2010 : Résolution sur la proposition de décision du Parlement européen et du Conseil relative à la mobilisation de l'instrument de flexibilité.

27 septembre 2011 : Résolution législative sur le projet de décision du Conseil concernant la conclusion de l'accord sous forme d'échange de lettres entre l'Union européenne, d'une part, et l'Autorité palestinienne de la Cisjordanie et de la bande de Gaza, d'autre part, prévoyant la poursuite de la libéralisation des échanges de produits agricoles, de produits agricoles transformés, de poissons et de produits de la pêche, et modifiant l'accord d'association euro-méditerranéen intérimaire relatif aux échanges et à la coopération entre la Communauté européenne, d'une part, et l'Organisation de libération de la Palestine (OLP), agissant pour le compte de l'Autorité palestinienne de la Cisjordanie et de la bande de Gaza, d'autre part.

29 septembre 2011 : Résolution sur la situation en Palestine.

1 er décembre 2011 : Résolution relative à la position du Conseil sur le projet de budget rectificatif n° 6/2011 de l'Union européenne pour l'exercice 2011, section III - Commission.

15 mars 2012 : Résolution du Parlement européen sur la Palestine : raids des forces israéliennes contre des chaînes de télévision palestiniennes.

22 novembre 2012 : Résolution sur la situation à Gaza.

14 mars 2013 : Résolution sur le cas d'Arafat Jaradat et la situation des prisonniers palestiniens dans les prisons israéliennes.

17 juillet 2014 : Résolution sur l'escalade de la violence entre Israël et la Palestine.

18 mai 2017 : Résolution sur la solution fondée sur la coexistence de deux États au Proche-Orient.

19 avril 2018 : Résolution sur la situation dans la bande de Gaza.

Dans ce contexte, les autorités israéliennes semblent plus enclines à ne considérer la relation avec Bruxelles que sur des bases économiques ou scientifiques. Le seul volet politique que semble envisager Tel Aviv tient à la mise en place d'une véritable coopération en matière de sécurité. Israël souhaite ainsi un échange de points de vue sur les efforts visant à lutter contre le terrorisme et à contrer l'extrémisme violent et l'incitation à la terreur. L'État hébreu appelle également à une coopération conjointe dans les domaines de l'industrie de la défense, la cybersécurité, les menaces hybrides, la non-prolifération et l'échange d'informations et de savoir-faire.

La volonté de l'Union européenne de préserver l'accord sur le plan d'action global sur le nucléaire, signé en 2015 avec l'Iran, dénoncé par les États-Unis en mai dernier, devrait également constituer un sujet de crispation dans les prochaines semaines. Cet accord a été critiqué dès l'origine par Israël qui le considère comme trop favorable à l'Iran. Téhéran reste aux yeux du gouvernement israélien la principale menace sur la scène régionale, la République islamique n'ayant jamais renoncé officiellement à son objectif de détruire l'État hébreu.

2. La nécessaire élaboration de nouvelles priorités de partenariat

L'Union européenne a révisé, en décembre 2015, les critères définissant sa politique de voisinage. Cette réorientation doit permettre de mieux diffuser les valeurs européennes tout en défendant les intérêts de l'Union européenne. Il s'agit aujourd'hui d'assurer la stabilité à ses frontières par un soutien précis et efficace, destiné à favoriser la sécurité de la région, le développement de véritables coopérations économiques dépassant le seul libre-échange et la poursuite des réformes démocratiques. Cette révision de la stratégie globale implique une nouvelle approche des relations bilatérales entre l'Union européenne et chacun de ses partenaires méditerranéens.

L'Union européenne a su ainsi réévaluer ses relations avec la plupart des pays du bassin méditerranéen en élaborant avec eux de nouvelles priorités de partenariat. Celles-ci, centrées sur quelques domaines, se substituent aux plans d'action globaux, renouvelés régulièrement avant 2016 sans pour autant que les relations avec les pays concernés ne soient rehaussées. En dépit de ses relations parfois tendues au plan politique avec le gouvernement, l'Union européenne a su élaborer de telles priorités avec l'Égypte en juillet 2017. Une démarche identique avait également abouti avec l'Algérie en mars 2017. Il est aujourd'hui regrettable que ce travail n'ait même pas été entamé avec Israël, en dépit de la qualité des échanges économiques et scientifiques ou de la proximité des modèles politiques. Il accrédite l'idée d'une marginalisation de l'État hébreu dans la politique euro-méditerranéenne de l'Union. Le poids du conflit israélo-palestinien semble conditionner toute approche bilatérale, de manière excessive si on compare l'état de la relation entre l'Union européenne et la Turquie, pays candidat qui occupe militairement une partie du territoire d'un État membre.

Cette absence d'avancée ne saurait avoir d'autre conséquence que de fragiliser encore un peu plus la relation entre l'Union européenne et Israël et pousser celui-ci à la fois à intensifier son partenariat avec les États-Unis et à mettre en place de nouvelles coopérations avec d'autres acteurs voulant s'inscrire dans le jeu régional : la Russie mais aussi la Chine, voire l'Inde. Elle légitime indirectement le discours anti-européen d'une partie de l'échiquier politique israélien, qui trouve aujourd'hui un écho au sein de la population.

Sensibilisé aux mêmes difficultés à l'occasion d'une mission de votre commission des affaires européennes en Égypte, votre rapporteur avait souhaité, avec notre ancien collègue Louis Nègre, un rééquilibrage des relations entre Bruxelles et Le Caire 13 ( * ) . Dans une proposition de résolution européenne, devenue résolution du Sénat en juin 2016, nous avions ainsi demandé l'ouverture d'une nouvelle phase du partenariat, permettant le développement de coopérations politiques, économiques et éducatives tout en prenant mieux en compte les spécificités de ce pays 14 ( * ) . L'Union européenne a su, par la suite, développer cette approche pragmatique. Un raisonnement semblable doit la conduire aujourd'hui à réévaluer sa relation avec Israël.

3. Pour une approche moins incantatoire

Il conviendrait, dans le même temps, d'adopter une position moins incantatoire sur la question même du conflit israélo-palestinien. Il en va à la fois de la cohérence entre le message et la réalité des faits dans la région mais aussi de l'unité de l'Union européenne.

S'il ne s'agit pas pour elle de renoncer aux valeurs qu'elle défend ou d'abandonner les politiques qu'elle mène - accord avec l'Iran par exemple -, l'Union doit néanmoins amender son discours si elle entend être audible sur la scène régionale, alors même qu'une nouvelle configuration tend à s'y mettre en place à l'image du rapprochement entre Israël et l'Arabie saoudite constaté ces dernières semaines. Une telle évolution est d'autant plus indispensable que le message porté, en particulier celui de la solution à deux États, doit aujourd'hui être réévalué à l'aune de plusieurs éléments : les difficultés à faire émerger une relève politique au sein de l'Autorité palestinienne, la volonté, au sein de celle-ci, de trouver un compromis viable intégrant notamment la démilitarisation du futur État, mais aussi le caractère durable voire structurant des colonies dans certaines parties des territoires palestiniens (30 000 Palestiniens travaillent au sein d'entre elles). Une approche plus nuancée permettrait à l'Union européenne de retrouver une forme de crédibilité sur ce sujet au moment où les États-Unis devraient présenter un nouveau plan de sortie de crise. L'action de l'Union européenne pourrait ainsi se concentrer sur quelques points clés, en particulier le statut de Jérusalem et le maintien au sein de cette ville de son caractère palestinien ou le rôle des colonies dans un futur État palestinien.

Il convient de garder en mémoire que la solution à deux États reste la seule option viable à moyen terme, l'annexion pure et simple étant synonyme d'apartheid ou de remise en cause fondamentale du projet israélien. L'écart entre les dynamiques démographiques palestinienne et israélienne conduirait en effet à faire de la communauté juive une minorité au sein de l'État qu'elle a fondé. Il est donc d'indispensable d'étayer l'approche européenne de la solution à deux États en la confrontant aux réalités du terrain et en rappelant son caractère inéluctable.

L'Union européenne doit profiter de l'atonie actuelle des négociations, dans l'attente du futur plan américain, pour opérer cet aggiornamento nécessaire. Ce faisant, elle garantira la viabilité de la solution à deux États et éviter qu'elle ne se transforme en un slogan dépourvu de toute réalité. Cet objectif ne saurait pour autant conduire à un gel de la relation bilatérale avec Israël en attendant que la solution entre en oeuvre. L'exemple turc est là encore éclairant, l'occupation du territoire chypriote n'a pas empêché l'ouverture de chapitres de négociations en vue d'une adhésion à terme.

Dans ces conditions, la revue des engagements sur le conflit israélo-palestinien de l'Union européenne, lancée récemment par le service européen d'action extérieur (SEAE), doit constituer l'occasion d'une révision du discours européen sur ce dossier 15 ( * ) . Sans abandonner la défense de certains principes - arrêt de la colonisation et des démolitions -, il s'agit d'offrir de nouvelles perspectives concrètes au dialogue euro-israélien afin que celui-ci ne se résume pas à une leçon de morale à sens unique. L'ACAA, l'accord « Open Skies » ou la signature de l'accord sur Horizon 2020 démontre bien qu'une certaine souplesse est possible. Ces accords ne sauraient être d'ailleurs les prochaines victimes du gel du dialogue politique.

4. Une réponse à la division du Conseil

Cette nouvelle approche des relations euro-israéliennes permettrait, en outre, de mieux rendre compte de la diversité des points de vue sur le conflit au sein même du Conseil. La réaffirmation par la Haute Représentante de la « position consolidée » de l'Union européenne à l'occasion du transfert effectif de l'ambassade américaine, le 14 mai dernier, ne saurait occulter les divisions au sein du Conseil sur les contours de la coopération avec Israël. La Hongrie, la Roumanie et la République tchèque ont ainsi bloqué, le 12 mai, une déclaration commune du Conseil, portée par la France et visant l'attitude américaine. Le groupe de Viegrad, dont font partie ces trois pays avec la Slovaquie, est un partenaire privilégié du gouvernement israélien au sein de l'Union européenne. Un sommet réunissant les quatre États et Israël a ainsi été organisé le 19 juillet 2017 (V4+Israël). Les autorités israéliennes souhaitent s'appuyer sur ces pays pour obtenir une « réévaluation » de la relation avec l'Union européenne. Il convient de relever que la sémantique utilisée par le groupe de Viegrad et Israël dans la déclaration commune, adoptée à l'issue de la réunion du 19 juillet 2017 s'écarte de la solution à deux États, officiellement promue par l'Union européenne : le document insiste ainsi sur une « solution bidirectionnelle viable ». La République tchèque avait été le seul État membre à voter contre la résolution 67/19 des Nations unies du 29 novembre 2012 qui accorde à la Palestine le statut de pays observateur non-membre.

Le format V4+Israël traduit la volonté de l'État hébreu d'utiliser d'autres canaux que ceux des institutions européennes pour dialoguer avec l'Europe. Celle-ci est, aux yeux des autorités israéliennes, incarnée en premier lieu par les grands États membres : Allemagne, France et Royaume-Uni. C'est avec ces pays que se noue la relation politique et non avec Bruxelles. L'Union européenne n'apparaît pas comme un acteur mondial, disposant d'une capacité de projection, alors même que la scène internationale semble désormais régie par la notion de rapport de force. Faute de cette puissance, l'Union ne saurait être envisagée comme une véritable partie prenante dans la région, à la différence des États-Unis voire de la Russie. Il convient de ne pas négliger le double sentiment d'isolement et d'insécurité ressenti par Israël - pays dont on ne peut sortir en voiture - pour appréhender sa relation avec les États et les organisations tiers. Cette recherche constante d'un appui face à des voisins potentiellement menaçants détermine les grands axes de sa diplomatie.

Dans ces conditions, le gouvernement israélien privilégie un échange direct avec les États membres comme en témoigne également la coopération mise en oeuvre avec Chypre et la Grèce sur les questions énergétique et militaire (manoeuvres communes). Celle-ci a notamment débouché sur l'annonce en décembre 2017 de la construction du gazoduc Med East reliant Israël à l'Italie pour fournir du gaz naturel à des pays d'Europe en traversant les eaux territoriales chypriotes et grecques. Le pipeline aurait une longueur de 2 100 km. Sa mise en service est prévue en 2025. Le coût du projet est estimé à environ 6 milliards d'euros. À l'heure où l'Union européenne entend mettre en oeuvre une Union de l'énergie et recherche une diversification des approvisionnements pour renforcer son indépendance énergétique, il apparaît regrettable qu'elle ne soit pas plus directement associée à de semblables projets. Une construction de câbles électriques à longue distance reliant Israël, Chypre et la Grèce continentale est également envisagée. L'interconnexion EuroAsia permettrait de transmettre l'électricité générée en Israël vers des réseaux européens. Un financement européen de 1,5 milliard d'euros est envisagé.

Il conviendra d'être attentif à l'évolution de ce partenariat. Le gouvernement israélien envisage en effet une coopération avec les autorités chypriotes en vue de la construction d'un port destiné à traiter les navires transportant des marchandises pour Gaza. Le projet prévoit la mise en oeuvre d'un quai pouvant accueillir des cargos dont les marchandises seraient contrôlées par les autorités israéliennes avant d'être transbordées sur des ferrys à destination de Gaza. Une telle option aurait le mérite de permettre de mieux répondre aux manques constatés dans la bande de Gaza. Il pourrait cependant fragiliser le principe même de la solution à deux États, en remettant en cause la liberté de commercer du futur État palestinien.

Ce constat devrait conduire l'Union européenne à utiliser les moyens dont elle dispose pour apparaître comme un partenaire d'Israël en vue d'assurer sa sécurité et son droit à exister. Elle doit, à ce titre, développer une véritable stratégie d'influence auprès des organisations régionales avec qui elle coopère. Il en va ainsi de l'accord d'Agadir qui réunit l'Égypte, la Jordanie, le Maroc et la Tunisie depuis 2004 en vue de la création d'une zone de libre-échange, reprenant une partie de l'acquis douanier de l'Union européenne. Tout pays membre de la Grande zone arabe de libre-échange et lié par un accord d'association avec l'Union européenne peut en théorie l'intégrer. Cette ambition régionale passe également par une relance de l'Union pour la Méditerranée (UpM). Six mois après son lancement en juillet, l'opération israélienne « Plomb durci » est venue fragiliser cette organisation, incapable d'incarner l'espace de dialogue qu'elle était censée être implicitement. Le boycott de ses réunions par certains de ses membres a contribué à conférer à l'UpM l'image d'une coquille vide, symbole d'une politique euro-méditerranéenne inadaptée. Ce relatif effacement contraste pourtant avec la nécessité de trouver des réponses politiques aux crises multiples que traverse la région. L'UpM doit incontestablement s'affirmer comme ce forum d'échanges entre rives Nord et Sud du Bassin méditerranéen.


* 13 Défendre nos intérêts et promouvoir nos valeurs : quelle politique de voisinage pour l'Union européenne ? Le cas de l'Égypte. Rapport d'information n° 609 (2015-2016) de MM. Louis Nègre et Simon Sutour, fait au nom de la commission des affaires européennes, déposé le 12 mai 2016.

* 14 Résolution européenne n°159 (2015-2016) sur le volet méditerranéen de la politique de voisinage de l'Union européenne révisée, 17 juin 2016.

* 15 Lancée le 1 er juillet 2018, elle est menée par M. Fernando Gentilini, ancien représentant spécial pour le processus de paix au Moyen-Orient.

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