B. ALORS QUE, PARTOUT DANS LE MONDE, DES GRANDES VILLES EN ONT MIS EN PLACE, IL N'EST TOUJOURS PAS POSSIBLE DE CRÉER DES TARIFS DE CONGESTION EN FRANCE

1. Les péages de décongestion et les péages environnementaux, outils de régulation du trafic routier fondés sur les incitations économiques

Selon la définition classique donnée en 1997 par André Lauer, ancien directeur du Centre d'études sur les réseaux, les transports, l'urbanisme et les construction publiques (CERTU), on qualifie de tarifs de congestion ou de péage urbain « toute forme quelconque de paiement imposé aux automobilistes pour pouvoir circuler en certains endroits de certaines parties des zones urbaines ».

On distingue traditionnellement deux grands types de péages :

- les péages de décongestion , qui cherchent à réduire la circulation automobile dans les centres villes en proie aux embouteillages en incitant les automobilistes à utiliser les transports publics. Lorsque l'accent est davantage mis sur la lutte contre la pollution de l'air, on parle plutôt de péages environnementaux .

Dans les deux cas, il s'agit de modifier les comportements des usagers de la route , les recettes perçues étant une conséquence du dispositif utilisé, et non le but poursuivi : cette fiscalité environnementale , si elle est efficace, est censée voir diminuer son assiette au cours du temps, toutes choses égales par ailleurs ;

- les péages de financement , qui, pour leur part, ne visent pas à réduire la circulation automobile, mais à faire financer par les automobilistes les dépenses nécessaires pour la construction ou l'entretien des infrastructures routières qu'ils empruntent (tunnels, ponts, axes autoroutiers, etc.).

Les péages de financement existent depuis très longtemps, y compris en France 14 ( * ) , et leur légitimité ne fait guère débat, dans la mesure où ils s'apparentent à une quasi-redevance de service public consistant à faire payer par l'utilisateur le service auquel il a recours.

Les péages urbains de décongestion ou environnementaux , en revanche, ont été conçus plus récemment, pour fournir aux autorités locales un outil de régulation du trafic routier reposant sur les incitations économiques et non sur la contrainte ou l'interdiction.

On distingue deux sous-catégories de péages en leur sein, qui obéissent à des logiques de couverture spatiale différentes :

- le péage de cordon , dont les automobilistes doivent s'acquitter à chaque fois qu'ils entrent dans la zone soumise à péage, y compris s'ils franchissent la frontière à plusieurs reprises dans une même journée ;

- le péage de zone , qui ne donne lieu qu'à un seul paiement au cours d'une même journée pour avoir le droit de circuler dans la zone, que sa frontière soit franchie une seule fois ou à plusieurs reprises.

Le tableau ci-dessous, issu du rapport de l'Ademe « État de l'art sur les péages urbains : objectifs, recherches, dispositifs mis en oeuvre et impacts sur la qualité de l'air » publié en avril 2016, dresse une liste des principaux péages urbains qui existent actuellement en Europe et ailleurs dans le monde , en précisant s'il s'agit de péages de décongestion, de péages environnementaux ou de péages de financement, et en distinguant les péages cordons des péages de zone.

Les principaux péages urbains mis en place en Europe et dans le reste du monde

Nom

Année de mise en place

Type

Objectif principal

Durham, Angleterre

2002

Cordon

Décongestion

Londres, Angleterre

2003

Zone

Décongestion

Téhéran, Iran

1981

Zone

Décongestion

Milan, Italie

2008

Zone

Environnemental

La Valette, Malte

2007

Cordon

Décongestion

Bergen, Norvège

1986

Cordon

Financement

Oslo, Norvège

1990

Cordon

Financement

Stockholm, Suède

2006

Cordon

Décongestion

Göteborg, Suède

2013

Cordon

Décongestion

Singapour

1975 puis 1998

Zone

Décongestion

Source : Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe)

La plupart de ces péages ont maintenant plus de 10 ans , voire plus de 20 ans d'ancienneté (celui de Singapour a été mis en place en 1975), ce qui peut permettre à notre pays de bénéficier de précieux retours d'expérience .

Il importe que ceux-ci nourrissent la réflexion du législateur , qui devrait prochainement être conduit à modifier, dans le cadre de l'examen du projet de loi d'orientation des mobilités (LOM), les dispositions relatives aux péages urbains adoptées il y a dix ans mais demeurées inappliquées depuis lors.

Ils sont également de nature à inspirer les collectivités territoriales françaises qui souhaiteraient mettre en place ces types de dispositifs et à lever , au moins partiellement, les craintes qu'ils suscitent .

2. Si la loi prévoit la possibilité de mettre en place des péages urbains en France, le dispositif actuel est inopérant et demeure inapplicable

Les nombreuses expériences de péages urbains menées à l'étranger d'abord au début des années 1980 (Singapour, Téhéran), puis au début des années 2000 (Londres, Stockholm, Milan) ont suscité un vif intérêt en France , si bien qu'il a été proposé d'introduire ce type de dispositif dans notre code général des impôts à l'occasion du Grenelle de l'environnement de 2008.

Les travaux conduits à cette époque, en particulier le rapport du conseil d'analyse stratégique intitulé « Péages urbains : principes pour une loi » 15 ( * ) publié en 2009, ont débouché sur l'adoption par le Parlement de l'article 65 de la loi dite Grenelle 2 16 ( * ) , qui a inséré un article 1609 quater A dans le code général des impôts consacré à « l'expérimentation des péages urbains » .

Cet article prévoit que les agglomérations de plus de 300 000 habitants peuvent mettre en place, à l'initiative de leur autorité organisatrice de la mobilité 17 ( * ) , une tarification des déplacements effectués au moyen de véhicules terrestres à moteur , dénommée « péage urbain », pour limiter la circulation automobile et lutter contre la pollution et les nuisances environnementales .

Il s'agissait donc bien d'offrir aux autorités organisatrices de la mobilité des agglomérations qui le souhaitent la possibilité d'utiliser des péages de décongestion/environnementaux , sous réserve qu'elles comptent un nombre d'habitants suffisant , estimé à 300 000 habitants .

L'article 1609 quater A précisait que ce péage urbain « est applicable aux véhicules terrestres à moteur qui franchissent les limites d'un périmètre géographique ou circulent sur des voies routières déterminées relevant de la compétence de la collectivité ou du groupement de collectivités concerné ou, le cas échéant, des autorités compétentes en matière de voirie et avec leur accord ».

Il disposait toutefois que la création d'un péage urbain n'est possible qu'à la quadruple condition que :

- l'agglomération dispose d'un plan de déplacements urbains approuvé prévoyant la réalisation d'un transport collectif en site propre 18 ( * ) ;

- le péage ne soit instauré qu'après la mise en place d'infrastructures et de services de transport collectif susceptibles d'accueillir le report de trafic qu'il va provoquer ;

- son produit soit affecté à l'autorité organisatrice de la mobilité et serve à financer les actions mentionnées au plan de déplacements urbains ;

- les collectivités ou groupement de collectivités intéressés établissent une étude d'impact préalable à charge et à décharge du projet de péage urbain , conduisent une concertation avec l'ensemble des parties concernées et rendent l'étude publique .

Ces différentes conditions encadrant l'instauration d'un péage apparaissent justifiées .

C'est bien à l'autorité organisatrice de la mobilité de chaque agglomération, qui décide par ses délibérations d'instaurer ou non un péage, que le produit dudit péage , qui relève de la fiscalité locale , doit être intégralement affecté .

Un péage urbain n'est pas une mesure isolée : il doit nécessairement s'inscrire dans le cadre d'un plan de déplacements urbains et s'articuler avec l'ensemble des autres outils utilisés pour définir la politique de transports à l'échelle de l'agglomération .

Dans la mesure où il vise à modifier les comportements des habitants de la ville en les incitant à délaisser leur automobile pour lui préférer l'utilisation des transports en commun, ces derniers doivent être en mesures de les accueillir et de leur fournir un service public aussi performant que possible .

Flécher le produit du péage vers le financement des transports de l'agglomération , qu'il s'agisse des transports en commun, de l'entretien des routes, de nouvelles infrastructures, etc. apparaît comme une condition essentielle de l'acceptation par les populations de ce type de dispositif , comme le montrent les exemples de Londres et de Stockholm étudiés dans le détail infra .

Enfin, la réalisation d'une étude d'impact et d'une vaste concertation doivent impérativement précéder l'instauration d'une mesure qui impacte aussi directement la vie des habitants de l'agglomération.

La principale difficulté posée par l'article 1609 quater A vient du fait qu'il prévoit qu'un péage urbain ne peut être mis en place en France qu'à titre expérimental et ce pour une durée de trois ans au maximum .

Cette condition revient à rendre impossible en pratique l'instauration d'un tel dispositif , dans la mesure où les systèmes techniques nécessaires ne peuvent raisonnablement être amortis en trois ans , un péage urbain ne devenant rentable d'un point de vue économique qu'au bout de huit ans selon la direction générale du Trésor.

Peut-être est-ce la raison pour laquelle le décret en Conseil d'État censé définir le seuil maximal du montant des péages urbains fixé par les autorités organisatrices de la mobilité n'a jamais été adopté , ce qui rend l'article 1609 quater A inapplicable .

Toujours est-il qu'une agglomération de plus de 300 000 habitants qui souhaiterait mettre en place un péage urbain ne peut le faire actuellement , compte tenu des insuffisances du cadre législatif en vigueur .

Une nouvelle intervention du législateur , dûment éclairée par les exemples des expériences étrangères, apparaît donc nécessaire, afin que les autorités locales aient la possibilité de disposer de cet outil souvent impopulaire dans un premier temps mais qui, à long terme, peut apporter des bénéfices socio-économiques considérables , ainsi que le montrent les exemples de Londres et de Stockholm.


* 14 Il s'agit des péages du tunnel du Prado Carénage à Marseille, de celui de l'A14 en Île-de-France et de celui du périphérique nord à Lyon.

* 15 Péages urbains : principes pour une loi, rapport n°17 du Conseil d'analyse stratégique réalisé sous la présidence d'Olivier Paul-Dubois-Taine, 2009.

* 16 Loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l'environnement.

* 17 Au sens du titre III du livre II de la première partie du code des transports.

* 18 C'est-à-dire de transports en commun bénéficiant de voies dédiées.

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