EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 17 octobre 2018, sous la présidence de M. Vincent Éblé, président, la commission a entendu une communication de Mme Fabienne Keller, rapporteure spéciale, sur les outils financiers permettant d'optimiser la gestion des flux de transports en milieu urbain.

M. Vincent Éblé , président . - Nous en venons maintenant au contrôle réalisé par Fabienne Keller en sa qualité de rapporteure spéciale du programme « Infrastructures et services de transports » de la mission « Écologie, développement et mobilité durables ».

Mme Fabienne Keller , rapporteure spéciale . - De nombreuses grandes villes en Europe et dans le monde ont mis en place ces vingt dernières années des outils financiers de régulation du trafic automobile connus sous le nom de congestion charges pour lutter contre les embouteillages et améliorer la qualité de l'air.

Ces outils financiers ont suscité un vif intérêt en France il y a une dizaine d'années, si bien que la loi Grenelle 2 avait prévu un dispositif juridique dans le code général des impôts permettant l'instauration par les collectivités territoriales volontaires de « péages urbains » à titre expérimental. Mais ce dispositif était mal calibré et son décret d'application n'a jamais été adopté.

J'ajoute que la dénomination de « péage urbain » n'était pas adaptée, car elle ne permettait pas de faire comprendre aux automobilistes le fonctionnement et les objectifs de cette fiscalité environnementale, qui n'est pas punitive, mais cherche à faire évoluer les comportements en révélant les véritables coûts pour la société de l'utilisation des véhicules dans les grandes agglomérations. Le terme de congestion charge est à cet égard bien plus pertinent ...

M. Philippe Dallier . - En français !

Mme Fabienne Keller , rapporteure . - Ce terme est employé par les deux villes que j'ai visitées. Rebaptiser les péages urbains « contribution anti-congestion » ou « contribution qualité de l'air » permettrait de beaucoup mieux faire comprendre et accepter ce type d'outils.

L'idée de remettre l'ouvrage sur le métier a émergé à l'occasion des Assises de la mobilité qui se sont tenues à l'automne 2017. Elle a été reprise par la ministre des transports, qui a annoncé qu'une réécriture de l'article du code général des impôts consacré aux péages urbains serait proposée dans le projet de loi d'orientation des mobilités qui devrait être présenté en conseil des ministres au mois de novembre, pour un examen par le Parlement au premier semestre de 2019.

Pour préparer l'examen de ce nouveau dispositif, j'ai souhaité, en tant que rapporteure spéciale chargée du budget des transports terrestres, étudier des exemples de tarifs de congestion en vigueur à l'étranger.

Mon objectif est de tirer un certain nombre de leçons de ces expériences afin que le Parlement puisse cette fois-ci bâtir un cadre législatif efficace dont les collectivités territoriales françaises pourront s'emparer, si elles le souhaitent, pour lutter plus efficacement contre la congestion automobile et la pollution de l'air.

Dans cette perspective, j'ai effectué deux déplacements à Londres, puis à Stockholm au cours du premier semestre de 2018 pour examiner sur le terrain à la fois l'ensemble des caractéristiques, mais surtout les résultats concrets de ces dispositifs.

J'ai pu également m'appuyer pour la réalisation de ce contrôle sur des travaux récents conduits par l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), mais aussi par la direction générale du Trésor.

Les déplacements dans les grandes agglomérations françaises sont actuellement réalisés à 65 % en voiture. Or l'utilisation de ce mode de transport provoque de nombreuses nuisances pour l'économie et pour la société : pertes de temps dues aux embouteillages, émissions de dioxyde de carbone qui participent au réchauffement climatique, pollution de l'air - question étudiée en détail par notre collègue Jean-François Husson - et responsable de 48 000 décès prématurés en France, accidents de la route, etc.

Les économistes qualifient ces nuisances d'externalités négatives, pour montrer que les automobilistes créent des dommages dont le coût pèse non pas sur eux, mais sur la collectivité dans son ensemble. Je rappelle que le rapport de la commission d'enquête du Sénat sur la pollution de l'air publié en 2015 et qui fait toujours référence aujourd'hui avait évalué le coût de cette seule nuisance à quelque 100 milliards d'euros par an pour notre pays.

La direction générale du Trésor a cherché à comparer le coût pour la société de l'utilisation d'une voiture individuelle avec les prélèvements obligatoires dont s'acquittent les automobilistes, selon qu'ils roulent en milieu urbain ou en milieu rural. Ses conclusions sont très éclairantes. Elle relève, comme notre commission l'avait à juste titre fait remarquer lors de l'examen du projet de loi de finances de l'an dernier, que les ménages ruraux paient aujourd'hui plus d'impôts qu'ils n'engendrent d'externalités négatives, en raison de l'alourdissement de la fiscalité qui pèse sur les carburants. Elle constate en revanche que c'est le contraire en milieu urbain dense, puisque, selon ses calculs, les coûts provoqués par un véhicule roulant à l'essence ne sont couverts qu'à hauteur de 13 % par des prélèvements et ceux d'un véhicule roulant au diesel ne le sont qu'à 7 %, ce qui est très faible.

Ce décalage entre les dommages causés et la contribution individuelle de celui qui les cause légitime la mise en place de tarifs de congestion fondés sur le principe du pollueur-payeur. Il s'agit à la fois d'internaliser les externalités négatives, comme le disent les économistes, en faisant payer chacun à proportion des coûts qu'il engendre pour la collectivité, mais également d'orienter les usagers vers les transports en commun ou les mobilités actives.

J'ajoute qu'un tel outil financier est tout à fait compatible avec l'utilisation de zones à faibles émissions (ZFE), dont on a beaucoup parlé la semaine dernière après que quinze grandes agglomérations souffrant d'un air trop pollué ont annoncé qu'elles allaient étudier leur mise en place d'ici à la fin 2020. Nous ne le faisons que le couteau sous la gorge, sous la contrainte de contentieux qui prospèrent à la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE).

Les zones à faibles émissions (ZFE), qui reposent sur le principe de l'interdiction d'accès de certaines parties des agglomérations pour les poids lourds et/ou les véhicules les plus anciens peuvent être intelligemment combinées avec un tarif de congestion, comme c'est le cas à Londres et à Stockholm, les deux exemples étrangers dont je vais à présent vous parler.

Au début des années 2000, les dommages causés par la circulation automobile tant dans le centre de Londres que dans celui de Stockholm étaient considérables. Le plus visible était la congestion, même si la pollution de l'air était déjà un important sujet de préoccupation.

Pour prendre l'exemple de Londres, 185 000 voitures entraient quotidiennement dans le centre-ville au début des années 2000, ce qui provoquait des embouteillages tout au long de la journée, les voitures ne pouvant circuler qu'à une vitesse moyenne de 15 kilomètres par heure. Selon les experts, le coût pour l'économie et pour la société de cette congestion s'élevait à quelque 4 milliards de livres sterling, soit 4,4 milliards d'euros.

Dans les deux capitales, les municipalités ont décidé de prendre le problème à bras-le-corps. Elles ont commandé des études socio-économiques qui ont montré que l'instauration d'une congestion charge serait susceptible d'améliorer nettement la situation, en incitant les automobilistes à utiliser d'autres modes de transport. Elles ont également reçu l'appui du Gouvernement, qui a favorisé la définition d'un cadre législatif adapté et a apporté, dans le cas de Stockholm, une aide financière très significative pour contribuer au développement des alternatives à la voiture.

Après de vastes campagnes de concertation et de communication dont je reparlerai, la congestion charge de Londres, qui ceinture une zone de 21 kilomètres carrés, a commencé à fonctionner en février 2003 et celle de Stockholm, qui enserre une zone de 47 kilomètres carrés, en janvier 2006.

Les points communs entre Londres et Stockholm permettent de dresser un portrait-robot des agglomérations pour lesquelles la mise en place d'un tarif de congestion peut avoir du sens.

En premier lieu, les deux zones soumises à péage correspondent au centre-ville, voire à l'hypercentre d'une grande métropole. Elles sont, l'une comme l'autre, très denses en termes de population et riches en activités économiques.

Les comparaisons conduites par la direction générale du Trésor et l'Ademe montrent en effet que la mise en place d'un péage urbain ne constitue un outil pertinent de politique publique que s'il est utilisé dans de grandes agglomérations, dont la taille minimale est estimée à 300 000 habitants. Les échecs des expériences tentées dans des agglomérations de taille plus réduite viennent du reste confirmer ce constat - c'est le cas, par exemple, à Göteborg.

En deuxième lieu, ces zones souffraient toutes les deux d'une congestion automobile provoquant retards et pollution atmosphérique, entraînant des dommageables significatifs pour l'économie de la ville ainsi que pour la qualité de vie de ses habitants.

En troisième lieu, enfin, dans les deux cas, ces villes étaient pourvues avant même la mise en service de leur dispositif de péage de réseaux de transports publics très performants à même de fournir une véritable alternative à la voiture individuelle. Ils étaient en outre très utilisés, puisque 85 % des Londoniens fréquentaient les transports en commun.

Au total, il paraît nécessaire que ces trois éléments soient réunis pour que la mise en place d'un tarif de congestion soit opportune. Si l'un d'entre eux venait à manquer, il y a fort à parier que ce ne serait pas un outil efficace et qu'il serait rejeté par les populations.

L'instauration de la congestion charge , qui suscitait naturellement des craintes, a bénéficié, à Londres comme à Stockholm, d'un portage politique très fort de la part de la municipalité, mais également de l'État central. C'est indubitablement ce portage politique initial qui a permis à la congestion charge d'être expérimentée puis de s'imposer en surmontant les réticences initiales.

Les modalités pratiques des tarifs de congestion peuvent être ajustées de façon très fine pour s'adapter le mieux possible aux caractéristiques locales.

Les technologies utilisées à Londres et à Stockholm pour assurer leur fonctionnement opérationnel sont très proches, puisqu'il s'agit dans les deux cas de systèmes de reconnaissance optique automatique des plaques d'immatriculation par des caméras installées sur des bornes qui se trouvent aux différents points d'accès de la zone soumise à péage. Le coût total du système mis en place à Londres en 2003 a représenté environ 180 millions d'euros et celui de Stockholm quelque 200 millions d'euros, soit deux montants très élevés. Ces systèmes technologiques, désormais très bien maîtrisés, seraient beaucoup moins chers aujourd'hui, puisque les chiffres que je vous cite ont dans les deux cas une quinzaine d'années. En outre, des alternatives existent, comme le système technologique utilisé par Singapour depuis 1998, et d'autres, basés sur l'utilisation de la géolocalisation par GPS, devraient prochainement émerger.

Les investissements initiaux à consentir pour instaurer un tarif de congestion ne paraissent donc pas démesurés, même s'il est clair que plusieurs années sont nécessaires pour les amortir - environ huit ans selon les spécialistes. C'est la raison pour laquelle il nous faudra revenir sur la rédaction actuelle de l'article du code général des impôts relatif aux péages urbains qui dispose que ceux-ci ne peuvent être mis en place que pour une durée maximale de trois ans : cette limitation dans le temps tue dans l'oeuf toute possibilité d'instaurer un péage urbain en France, compte tenu du temps nécessaire pour rentabiliser l'investissement initial.

Deuxième modalité du tarif de congestion : ses horaires de perception. Ceux-ci sont similaires à Londres et à Stockholm - en journée, du lundi au vendredi. Il s'agit en effet de cibler uniquement les moments où la circulation automobile est spontanément trop importante, mais de garantir la gratuité la nuit, les week-ends et les jours fériés. Les deux villes se distinguent en revanche dans leurs politiques de tarification pour l'accès à la zone soumise à péage ainsi que dans l'étendue des exonérations accordées.

Londres a fait le choix d'un tarif relativement élevé - 11,50 livres -, mais forfaitaire : un automobiliste ne s'acquitte du péage qu'une seule fois par jour, qu'il n'entre dans la zone protégée qu'une fois dans la journée ou qu'il y pénètre à plusieurs reprises. Le tarif est fixe quelle que soit l'heure de la journée : aucune distinction n'est établie entre heures creuses et heures pleines.

Le tarif de Stockholm est nettement plus bas que celui de Londres et varie de 1,60 euro en heures creuses à 3,70 euros en heures pleines. Autre différence significative : les automobilistes doivent s'acquitter de la congestion charge à chaque fois qu'ils accèdent au centre-ville, même si cela se produit plusieurs fois dans la même journée. Il existe toutefois un plafond journalier qui s'élève à environ 11 euros par jour.

Il ressort de la confrontation entre ces deux modèles que l'exemple de Stockholm paraît nettement plus efficace, en ce qu'il permet de comptabiliser tous les trajets effectués. Surtout, il a le grand avantage d'inciter les automobilistes à décaler leurs déplacements lorsqu'ils le peuvent tout en prenant mieux en compte les coûts pour la société engendrés par la congestion aux heures de pointe.

Une collectivité désireuse de mettre en place un tel dispositif devrait donc prévoir une tarification simple, lisible et stable, modulée selon les horaires de la journée, avec un paiement à chaque entrée dans la zone, mais plafonné quotidiennement.

Quatrième point à prendre en compte : les exonérations. Les autorités londoniennes ont fait le choix de consentir de nombreuses exonérations, là où celles de Stockholm ont décidé d'adopter une attitude plus restrictive, tout en mettant en place un système très astucieux de déductions d'impôts pour les automobilistes qui gagnent plus de deux heures par jour en prenant leur voiture pour se rendre à leur travail au lieu de prendre les transports en commun, pour ceux qui roulent plus de 3 000 kilomètres par an dans le cadre de leur travail ainsi que pour les véhicules de société.

Je suis, pour ma part, convaincue qu'il peut être utile, voire indispensable, de prévoir des exonérations ou des systèmes de déduction des impôts ou de remboursements pour certaines catégories de la population pour lesquelles il ne serait pas juste de faire payer la congestion charge à son plein tarif alors qu'elles sont contraintes d'utiliser leur voiture et ne peuvent utiliser d'autres modes de transport.

Je plaide donc pour que des exonérations et des systèmes de déductibilité soient mis en place pour les populations les plus vulnérables, les automobilistes qui ne peuvent pas bénéficier d'alternatives efficaces à la voiture ainsi que pour les acteurs économiques qui pourraient voir leur compétitivité affectée de manière excessive par un tel dispositif.

J'en viens en conclusion aux trois conditions nécessaires pour que l'instauration d'un tarif de congestion soit acceptable dans la durée.

La première est qu'il obtienne des résultats, si possible rapidement, et en tout état de cause visibles par la population de la ville. Ce sont d'abord les résultats obtenus par les dispositifs de Londres et de Stockholm qui en ont fait des dispositifs aujourd'hui consensuels. Ils ont eu tout d'abord des effets très concrets sur la circulation automobile dans les deux centres villes. Le nombre total de véhicules accédant au centre-ville de Londres les jours de semaine est passé de 185 000 au début des années 2000 à 125 000 aujourd'hui, soit une diminution du trafic de 60 000 véhicules faisant baisser la densité du trafic de 15 % et les embouteillages de 30 %.

À Stockholm, le nombre de franchissements journaliers du cordon est passé de 450 000 en 2005 à 325 000 en 2015, soit une baisse de 28 % en 10 ans, alors même que la population de la ville avait augmenté de 22 % en dix ans - c'est donc une baisse de 40 % à périmètre constant. La durée des retards des automobilistes aux heures de pointe, c'est-à-dire entre 7h30 et 9 heures ainsi qu'entre 16 heures et 18 heures, a été réduite d'un tiers.

Mais les congestion charges ont également permis d'améliorer substantiellement la qualité de l'air, tant à Londres qu'à Stockholm : dans la zone soumise à péage de la capitale britannique, les émissions de CO2 ont diminué de 16 %, celles de dioxyde d'azote de 8 % et celles des particules fines PM10 - les plus grosses - de 7 % entre 2003 et 2018 ; à Stockholm, les différentes études disponibles montrent que les émissions de polluants auraient baissé de 14 % dans le centre-ville. Enfin, la congestion charge semble avoir eu un réel effet sur le nombre d'accidents de la route, puisque leur nombre aurait diminué de 40 % à Londres depuis 2003.

Deuxième facteur essentiel d'acceptabilité : le bon usage des recettes. Mettre en place une tarif de congestion n'a en effet de sens que si les autorités municipales déploient en parallèle une stratégie visant à offrir aux habitants de la ville de nombreuses alternatives à la voiture, transports en commun ou modes actifs.

Afin que les citoyens puissent modifier rapidement leurs comportements et comprennent que le tarif de congestion n'est pas une taxe de rendement, mais bien un outil incitatif, il est essentiel qu'ils puissent ressentir très rapidement une amélioration des services publics de transport dès l'entrée en vigueur du péage urbain.

M. Jean-François Husson . - Il ne faut pas dire « péage urbain » !

Mme Fabienne Keller , rapporteure spéciale . - Il faut donc anticiper sur les recettes. La congestion charge de Londres a rapporté à la ville quelque 1,8 milliard de livres de recettes nettes depuis 2003, soit environ 2 milliards d'euros. Ces recettes nettes, qui ont représenté 185 millions d'euros l'an dernier, ont été systématiquement investies dans le réseau de transport londonien, et en particulier dans l'amélioration du réseau de bus.

Les recettes du péage urbain de Stockholm représentent pour leur part environ 75 millions d'euros. Dans un premier temps, ces recettes ont été uniquement affectées au développement d'offres de transport alternatives à l'utilisation de la voiture : création de nouvelles lignes de bus reliant le centre-ville de Stockholm à ses banlieues, achat de nouveaux bus, nouvelles pistes cyclables, mise en place de parkings-relais, etc. Dans un deuxième temps, il a été décidé d'affecter une partie de ces recettes non plus seulement aux transports en commun, mais également aux infrastructures routières, qu'il s'agisse de la maintenance des routes existantes ou de la construction de routes et de tunnels.

Ce nouveau choix d'affectation des recettes a permis de rendre plus acceptable la congestion charge pour les habitants des communes voisines de Stockholm qui effectuent des déplacements pendulaires entre leur domicile et leur travail situé au centre-ville.

Il me paraît donc essentiel d'investir massivement dans les transports en commun grâce aux recettes nouvelles pour proposer de véritables alternatives à la voiture individuelle et en réserver une partie pour les infrastructures routières, de sorte que les automobilistes puissent bénéficier de retombées positives.

Troisième facteur d'acceptabilité, sur lequel tous mes interlocuteurs ont insisté : l'importance de la concertation et de la communication. Le maire de Londres a organisé une large consultation des Londoniens pendant 18 mois pour connaître leur avis sur les limites géographiques de la zone soumise à péage, ses heures de fonctionnement et son tarif. Les réponses obtenues à cette occasion ont permis à la population de se sentir entendue et ont directement influencé les caractéristiques du péage qui est entré en vigueur en 2003, le rendant plus opérationnel.

La façon dont a été conduite la communication au moment de la mise en place de la congestion charge à Stockholm est également exemplaire et explique sans doute en grande partie la raison pour laquelle ce dispositif fait dorénavant consensus.

Le dispositif a d'abord été mis en place à titre expérimental, pour une période probatoire de six mois, du 3 janvier 2006 au 31 juillet de la même année. À l'issue de cette période, le péage a été suspendu, et un référendum a été organisé en septembre 2006. Le choix était donc vraiment laissé aux citoyens, la mairie s'étant engagée à supprimer le péage et à démonter l'infrastructure en cas de vote négatif. Mais c'est le « oui » qui l'a emporté avec 51,1 % des voix et une participation à hauteur de 74,7 %. Le péage urbain a donc été rétabli en août 2007 et fonctionne sans interruption depuis lors.

Ce résultat s'explique avant tout par les intenses efforts déployés en matière de communication durant l'expérimentation pour convaincre les habitants des bienfaits de ce dispositif sur leur qualité de vie. Des rapports mensuels, puis un rapport final fournissant des informations détaillées sur la qualité de l'air dans le centre-ville, mais aussi en périphérie, sur le nombre de véhicules s'acquittant de la congestion charge , sur les recettes, les améliorations du réseau de transport public obtenues grâce à ces dernières, ont ainsi été mis en ligne sur un site dédié. De nombreuses conférences de presse ont également été organisées pour diffuser ces informations auprès des médias et, au fil des mois, le ton des journaux a changé : alors que 3 % des articles portant sur le péage urbain lui étaient favorables à l'automne 2005, 42 % de ceux qui ont été rédigés au printemps 2006 étaient positifs. Depuis le rétablissement du péage, la municipalité finance régulièrement des études afin d'évaluer précisément ses résultats et continue à les communiquer aux médias et au public, ce qui permet de maintenir la confiance de la population. De fait, les habitants de Stockholm semblent s'être désormais pleinement emparés de cet outil, qu'ils sont plus de 70 % à soutenir aujourd'hui : ils ont pris conscience qu'il peut permettre, à condition d'être bien articulé avec d'autres dispositifs, de fluidifier la circulation automobile dans le centre-ville et d'améliorer la qualité de l'air qu'ils respirent.

À partir des expériences de Londres et de Stockholm ainsi que de l'analyse d'autres expériences menées dans le monde, mon souhait était donc de vous proposer une boîte à outils, susceptible d'inspirer les collectivités françaises ou européennes qui souhaiteraient s'en saisir.

M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . - C'est un sujet que l'on connaît mal et ce rapport permet de mieux l'appréhender. Sur l'efficacité de la congestion charge , je constate qu'il y a encore beaucoup d'embouteillages à Londres.

À propos de l'affectation des recettes, le produit des amendes issues des radars automatiques devrait être affecté à l'amélioration des infrastructures, tandis que celui de la fiscalité sur le carburant devrait l'être davantage à la transition énergétique.

Mme Fabienne Keller , rapporteure spéciale . - Absolument.

M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . - Or on voit qu'elle devient une recette comme une autre. La hausse du cours du pétrole va mécaniquement conduire à une augmentation des recettes, qui ne sont absolument pas affectées à la conversion automobile. La fiscalité écologique est parfois présentée comme vertueuse, mais elle devient trop souvent une recette comme une autre.

Mais l'on ne peut être favorable à l'instauration d'un péage qu'à condition d'avoir des solutions alternatives en matière de transport. Or cette condition n'est absolument pas remplie aujourd'hui. Je ne suis pas certain que notre réseau de transport puisse accueillir un plus grand nombre de voyageurs à certaines heures quand on voit les conditions de transport des usagers, par exemple sur les lignes A et B du RER. Le projet du Grand Paris Express semble avoir des difficultés ; de nombreuses zones proches ne sont pas desservies par les transports en commun ou le sont mal. Si l'on veut un transfert massif vers des modes de transports alternatifs, encore faut-il que ces derniers existent ! Cette offre alternative est-elle aujourd'hui suffisante pour mettre en place une contribution anticongestion ?

M. Philippe Dallier . - S'il faut attendre que les transports en commun soient efficaces, on en reparlera en 2035 ou en 2040 quand le Grand Paris Express aura été financé ! Je vois bien comment cela va se passer : avant les élections municipales, on évoquera la gratuité des transports ; après, on parlera du péage urbain, mesure qui aura plus de chances d'aboutir.

La grande différence avec Londres, c'est l'outil de gouvernance de la métropole, le Grand Londres, avec une autorité des transports, sur un périmètre qui me semble pertinent. La Ville de Paris fait ce qu'elle veut - j'en veux pour preuve la fermeture des voies sur berge -, sans concertation avec les municipalités alentour. En surface, le Grand Londres représente à peu près la métropole du Grand Paris, avec la petite couronne. La zone payante est-elle l'équivalent de Paris intra-muros ?

Mme Fabienne Keller , rapporteure spéciale . - Elle représente 21 kilomètres carrés.

M. Philippe Dallier . - Paris intra-muros représente beaucoup plus ; les banlieusards seraient donc priés de bien vouloir payer.

Mme Fabienne Keller , rapporteure spéciale . - À Stockholm, la surface est double, soit 47 kilomètres carrés, pour cinq fois moins d'habitants - 2 millions d'habitants.

M. Rémi Féraud . - Paris a une surface légèrement supérieure à 100 kilomètres carrés.

M. Jean-François Husson . - Je remercie Fabienne Keller de son retour d'expérience. Pour ma part, je suis très partagé. Rebaptiser le nom ne changera rien. Sur ce sujet, il faut jouer cartes sur table. Le préalable est de parvenir à baisser la fiscalité générale.

Comme l'a relevé le rapporteur général, la fiscalité relative aux carburants est punitive et contreproductive, et elle commence à hérisser les Français dans les territoires ruraux mais également urbains. Une telle approche ne permet pas, selon moi, un débat apaisé. Il faut créer un climat de confiance.

Par ailleurs, l'État a une responsabilité particulière. Dans le contentieux européen, on demande des comptes à l'État français. Au travers de la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (loi NOTRe), l'État a confié aux grandes agglomérations la responsabilité exclusive de traiter ce dossier. Je l'ai toujours dit, ce jeu de bonneteau est inacceptable. Comme l'a souligné Fabienne Keller, dans les deux tarifs de congestion évoqués, l'État a joué un rôle d'appui décisif.

En outre, le rapport de la commission d'enquête sur le coût économique et financier de la pollution de l'air, qui a fait l'unanimité, a un peu alimenté la chronique des médias pendant quelques jours et a été adressé à chaque nouveau ministre, dont, initialement, Ségolène Royal. Mais il est resté lettre morte. Aucun membre de la commission n'a obtenu de rendez-vous. C'est vous dire la considération pour notre travail, dans une démocratie ouverte et apaisée !

Enfin, je vous rappelle que le diesel est moins nocif pour le réchauffement climatique que l'essence, mais qu'il est plus nocif en termes de pollution de l'air. L'État ne peut pas prendre des décisions en fonction du moment : il faut dire les choses. La vallée de l'Arve doit gérer ce problème, il a fallu trois ans pour que les populations acceptent les diagnostics. Dans le contexte actuel, je suis d'accord pour travailler sur le sujet, mais des préalables doivent être posés. Il s'agit d'un sujet important, voire majeur. Entendons-nous d'abord sur un état des lieux ! Il s'agit en quelque sorte de revenir à l'état d'esprit du Grenelle.

M. Claude Nougein . - Les deux villes citées pratiquent-elles une différenciation des tarifs selon la puissance des véhicules ? Je ne le crois pas. Ne pensez-vous pas qu'une telle mesure serait demandée, vu la propension française à vouloir faire payer les propriétaires de grosses voitures pour lutter contre les inégalités ?

Mme Fabienne Keller , rapporteure spéciale . - Merci pour votre intérêt pour ce rapport délicat, car il examine la piste de nouvelles contributions, à l'heure où le niveau des prélèvements obligatoires est tel que l'exaspération contre les impôts atteint des records.

Initialement, la contribution climat-énergie devait être entièrement dédiée à l'investissement en faveur du chauffage urbain et du transport. C'était une idée vertueuse : en aidant les gens à investir dans leurs modes chauffage ou de transport, on les aide non pas à éviter le paiement de la taxe, mais bien à économiser l'énergie et à réduire leur facture. Je n'accepte pas que le produit de cette contribution ne soit pas entièrement redéployé pour soutenir des investissements liés à la transition écologique. C'est pourquoi je souscris à l'idée de Jean-François Husson d'un compte retraçant le produit de cette taxe. Son produit augmentera de 14 milliards d'euros à l'horizon 2022 : il faut que cet argent finance les investissements des ménages et des entreprises. C'est toute la question de la transparence sur l'affectation des recettes. Mais même pour un dispositif aussi ciblé que les radars routiers, on n'a pas été capable d'expliquer que la recette contribuait à financer la sécurité routière. Tout cela ne fait que limiter l'acceptabilité sociale des nouveaux dispositifs. La taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) est ainsi devenue une recette fiscale comme une autre, destinée à équilibrer le budget de l'État. Pour les Français, c'est le tonneau des Danaïdes puisque le déficit dure depuis trente ans !

Vous soulignez qu'il est nécessaire de développer des alternatives. C'est en effet un point très important. Il faut raisonner en termes de chainages des déplacements. Certaines lignes de RER sont dans un état calamiteux. L'alternative à Paris est-elle possible ? Je n'entrerai pas dans ce vaste débat que Philippe Dallier maîtrise mieux que moi...Il me semble que le Grand Paris apporte un début de réponse même s'il ne cesse d'être reporté dans le temps, ce qui est regrettable. Il faut tenir compte de la perception du voyageur. La perception du transport change selon que l'on voyage dans un cadre agréable, chauffé et sécurisé ou que l'on passe beaucoup de temps à attendre sur des quais dans le vent avec la peur de se faire agresser. Le chantier est vaste. Les provinciaux n'accepteraient pas de voyager dans les mêmes conditions que les Parisiens...

M. Vincent Éblé , président . - Les Parisiens ne l'acceptent pas non plus !

M. Philippe Dallier . - Ils n'ont pas le choix, non plus que ceux qui habitent en banlieue !

Mme Fabienne Keller , rapporteure . - Il est intolérable que les abris sur les quais ne représentent que 20 % de la longueur du quai ! On pourrait améliorer grandement la situation si l'on mettait moins l'accent sur les infrastructures et davantage sur la qualité de vie.

S'agissant de la gratuité et des péages urbains, il faut être réaliste. Une tribune parue dans Le Monde aujourd'hui rappelle que la gratuité n'existe pas. La seule question est de savoir qui doit payer ? Tout est aussi question d'échelle. Si la gratuité peut avoir du sens dans une petite ville, où les transports sont plus limités, elle semble beaucoup moins raisonnable dans une grande ville où le coût des transports en commun est beaucoup plus important.

En filigrane se pose la question de la gouvernance des politiques de qualité de l'air. À l'inverse de ce qui de passe pour la gestion de l'eau ou des déchets, on ne sait pas qui est responsable faute d'un lieu de gouvernance. Le seul lieu qui rassemble les acteurs est les associations agréées de surveillance de la qualité de l'air (AASQA), mais elles ne gèrent pas de budget.

Si l'on peut réfléchir au nom de la contribution, il serait opportun de s'écarter d'une terminologie qui rappelle le schéma de la redevance d'infrastructure, qui sert à financer une infrastructure, mais n'a pas d'objectif écologique. Oui, il faut faire baisser la fiscalité. Il faut aussi éviter la fiscalité punitive, qui est contreproductive ; alors que les Français sont favorables à des mesures en faveur de l'environnement, évitons de justifier la hausse des taxes par ce prétexte sans utiliser les fonds réellement pour l'environnement ! Cela ne fait que renforcer l'exaspération antifiscale. C'est pourquoi je suis favorable à une comptabilité transparente sur la contribution climat-énergie, pour que l'État nous démontre que ses recettes sont entièrement réinvesties dans l'amélioration des systèmes de chauffage et de transport.

La loi NOTRe confie aux agglomérations la compétence exclusive en matière de qualité de l'air. C'est dommage, car les masses d'air ont tendance à se déplacer, et des épisodes de pollution aux particules en France sont parfois liés à des pratiques agricoles en Pologne ou ailleurs. En tout cas, on ne pourra pas progresser si tous les acteurs ne vont pas dans le même sens, ni sans associer les citoyens. Le travail de la commission d'enquête du Sénat sur la pollution de l'air n'est malheureusement pas assez connu. C'est pourquoi j'ai tenu à le citer dans mon rapport.

Enfin, différencier le coût de la taxe en fonction de la puissance des véhicules est une piste intéressante, qui n'a jamais été réalisée. Plus le dispositif sera fin, plus il sera accepté et efficace.

La commission a donné acte de sa communication à Mme Fabienne Keller, rapporteure spéciale, et en a autorisé la publication sous la forme d'un rapport d'information.

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