B. REDONNER LA LIBERTÉ AUX COMMUNES POUR UTILISER DES MACHINES À VOTER

1. L'avenir incertain des machines à voter

À ce stade, l'avenir des machines à voter reste incertain.

En septembre 2017, le ministère de l'intérieur a fait part de sa volonté de les interdire 24 ( * ) . Interrogée par vos rapporteurs, sa direction de la modernisation et de l'action territoriale (DMAT) a toutefois rappelé qu'il ne s'agissait que d'une proposition.

Parallèlement, Mme Jacqueline Gourault, alors ministre auprès du ministre d'État, ministre de l'intérieur, a déclaré devant le Sénat que « le Gouvernement réexaminera le cadre applicable aux machines à voter , y compris pour ce qui concerne l'homologation et l'autorisation de nouveaux modèles » 25 ( * ) .

Lors des auditions de vos rapporteurs, les communes utilisatrices ont regretté ce manque de clarté mais également une absence de dialogue : le Gouvernement n'a engagé aucune concertation sur le maintien, ou non, des machines à voter, malgré les nombreuses demandes des communes.

2. S'affranchir du moratoire de 2008

Après avoir entendu l'ensemble des parties prenantes, vos rapporteurs proposent de mettre fin au moratoire de 2008 pour permettre aux communes qui le souhaitent d'acquérir des machines à voter .

Il s'agit ainsi de :

- sécuriser la situation des communes qui utilisent, avec satisfaction, les machines à voter et de les inciter à moderniser leurs appareils ;

- permettre à de nouvelles communes de s'équiper, sur la base du volontariat.

L'État aurait la charge d'agréer de nouveaux modèles de machines à voter pour conforter la sécurité et l'ergonomie du dispositif.

Certes, notre collègue Antoine Lefèvre et notre ancien collègue Alain Anziani soulignaient « une forte défiance de la grande majorité de la communauté scientifique sur la fiabilité [des machines à voter]. En l'état, rien ne permet de satisfaire à cette condition fondamentale de confiance dans l'utilisation des machines à voter » 26 ( * ) . Ils préconisaient, en conséquence, de maintenir le moratoire jusqu'à nouvel ordre.

Plus de quatre ans après la publication de ce rapport, il paraît nécessaire de passer outre ce climat de suspicion et de s'en remettre aux faits. Au cours des travaux de la mission d'information, aucun acteur institutionnel ni aucun informaticien n'a pu démontrer le manque de fiabilité des résultats électoraux dans les communes qui utilisent des machines à voter. Seuls des risques potentiels ont été mis en avant, sans preuve matérielle.

Malgré la demande de vos rapporteurs 27 ( * ) , l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (ANSSI) et le ministère de l'intérieur ont refusé d'organiser une simulation de piratage contre une machine à voter . Un tel test aurait pourtant permis à vos rapporteurs d'évaluer plus concrètement les risques évoqués par le Gouvernement.

En outre, des tentatives de fraude sont toujours envisageables, quel que soit le mode de décompte des voix (bulletins papiers ou machines à voter). À titre d'exemple, le président d'un bureau de vote de Perpignan a été condamné pour avoir dissimulé des bulletins de vote dans ses chaussettes lors du second tour des élections municipales de 2008.

Si le « risque zéro » n'existe pas, l'essentiel est de prévenir les tentatives de piratage en rehaussant, le cas échéant, les exigences de sécurité . Or, le moratoire de 2008 présente l'effet inverse : il empêche tout débat sur les moyens à mettre en oeuvre pour moderniser les machines à voter et mieux lutter contre la fraude.

Proposition n° 1 : Mettre un terme au moratoire de 2008 pour :

- sécuriser la situation des communes qui utilisent les machines à voter et agréer une nouvelle génération d'appareils ;

- permettre à de nouvelles communes de s'équiper, sur la base du volontariat.

3. Relancer les efforts de sécurisation des machines à voter

Pour vos rapporteurs, la sécurisation des machines à voter implique d'instaurer un dialogue entre trois parties prenantes :

- le ministère de l'intérieur, qui organise les scrutins ;

- l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (ANSSI), qui expertise les risques de piratage informatique et les procédures à mettre en oeuvre pour les éviter ;

- et les communes, qui utilisent des machines à voter depuis plusieurs dizaines d'années.

Une telle méthode de concertation avait d'ailleurs été mise en oeuvre en 2007 et avait permis d'engager un dialogue à la fois efficace et apaisé (voir supra ).

Proposition n° 2 : Créer un groupe de travail tripartite pour améliorer la sécurisation des machines à voter, en réunissant le ministère de l'intérieur, l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (ANSSI) et les communes utilisatrices.

Ce groupe de travail pourrait notamment participer à l'actualisation du règlement technique de 2003 , compte tenu des évolutions technologiques constatées depuis quinze ans.

Le ministère de l'intérieur a d'ailleurs souligné dès 2007 que ce règlement était « largement insuffisant sur certains points en ce qui concerne la sécurité informatique des machines, ce qui explique également que les trois modèles agréés présentent des niveaux de sécurité relativement différents ».

En outre, des procédures supplémentaires pourraient être envisagées pour sécuriser l'opération de paramétrage des machines à voter .

Une fois l'appareil paramétré 28 ( * ) , un tiers (agent de la préfecture ou d'un organisme agréé) pourrait apposer les scellés de sécurité puis s'assurer de leur intégrité jusqu'à l'ouverture du bureau de vote (alors que cette opération  relève aujourd'hui des agents de la commune). Vos rapporteurs constatent d'ailleurs que certaines communes se sont déjà engagées dans cette voie, en faisant appel à un huissier de justice pour attester de l'intégrité des scellés.

En cas d'introduction d'une « dose de proportionnelle » pour les élections législatives de 2022, il conviendrait également de sécuriser le mode « double-scrutin » des machines à voter pour permettre à un même électeur de s'exprimer sur plusieurs scrutins. Qu'il vote à l'urne ou par machine à voter, l'électeur disposerait, en effet, de deux votes pour élire le député de sa circonscription, d'une part, et 61 députés sur une liste nationale, d'autre part 29 ( * ) .

Proposition n° 3 : Durcir les conditions d'agrément des nouvelles machines à voter, notamment en révisant le règlement technique de 2003, et sécuriser l'opération de paramétrage des appareils.

Enfin, la levée du moratoire de 2008 doit s'accompagner d'une réflexion sur les règles de financement des machines à voter , notamment pour inciter les communes à moderniser leurs appareils.

Initialement, l'État prenait en charge l'ensemble des coûts d'acquisition et d'entretien des machines à voter. D'ailleurs, l'actuel article L. 69 du code électoral dispose encore que « les dépenses résultant de l'acquisition, de la location et de l'entretien des machines à voter sont à la charge de l'État ».

Dans les années 2000, l'État s'est toutefois contenté de verser une subvention forfaitaire de 400 euros par machine (sur un coût total estimé à 5 500 euros), conformément à la circulaire du 27 février 2006 30 ( * ) .

Cette subvention n'existe plus depuis la mise en place du moratoire de 2008, l'État ne finançant plus aucune machine à voter .

Or, il apparaît essentiel d' inciter les communes à renouveler leurs appareils 31 ( * ) , proches de l'obsolescence . Vos rapporteurs seraient donc favorables à la création d'une subvention de l'État, dont le montant reste à déterminer.

Estimation du coût d'une subvention de l'État
pour le renouvellement des machines à voter

Montant de la subvention de l'État (hypothèses)

Part prise en charge par l'État dans le renouvellement des machines 32 ( * )

Coût total de la mesure pour l'État 33 ( * )

200 euros

3,64 %

284 200 euros

400 euros

7,27 %

568 400 euros

800 euros

14,55 %

1 136 800 euros

1 000 euros

18,18 %

1 421 000 euros

1 500 euros

27,27 %

2 131 500 euros

Source : commission des lois du Sénat

Proposition n° 4 : Inciter les communes utilisatrices à renouveler leur parc de machines à voter, au besoin à l'aide d'une subvention de l'État.


* 24 « Protéger, garantir et servir. Feuille de route du ministère de l'intérieur », septembre 2017.

* 25 Réponse à la question orale n° 0107S de notre collègue Agnès Canayer, compte rendu intégral de la séance du 6 décembre 2017.

* 26 « Vote électronique : préserver la confiance des électeurs », rapport n° 445 (2013-2014), op. cit., p. 31.

* 27 Courrier en date du 8 mars 2018 à l'attention de l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (ANSSI) et du ministère de l'intérieur.

* 28 Ce paramétrage étant effectué en présence des candidats ou de leurs délégués (voir supra pour plus de précisions).

* 29 Voir la seconde partie du rapport pour plus de précisions sur ce projet de réforme institutionnelle.

* 30 Circulaire NOR INTA0600028C du ministre de l'intérieur relative à la subvention pour l'achat des machines à voter.

* 31 Sous réserve que l'État agrée de nouveaux modèles de machines à voter (voir supra ).

* 32 La part de prise en charge par l'État est obtenue en divisant le montant de la subvention (hypothèses) par le coût d'acquisition d'une machine à voter (coût estimé à 5 500 euros).

* 33 Ce coût total est obtenu en multipliant le montant de la subvention (hypothèses) par le nombre total de machines à voter (1 421 machines actuellement).

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