B. QUELS SCÉNARIOS À L'HORIZON 2030-2035 POUR LES TERRITOIRES ?

1. Des scénarios qui s'inscrivent dans des tendances lourdes
a) La sortie des énergies fossiles pour toutes les mobilités

La mobilité des biens et des personnes entraîne une consommation énergétique importante globalement, mais très variable selon les modes de déplacement choisis. Les transports collectifs ont un avantage sur les transports individuels motorisés car ils consomment moins d'énergie par kilomètre-passager : de l'ordre de 3 fois moins pour le bus, de 10 fois moins pour le train, à condition que les taux de remplissage des modes collectifs ne soient pas trop faibles.

Dans le secteur du fret, l'objectif de réduction de la consommation énergétique n'est pas seulement motivé par des considérations environnementales mais aussi de coût : les transporteurs cherchent à optimiser les chargements, à voyager à plein à l'aller comme au retour, bref, à gérer au mieux la chaîne logistique.

Mais toutes les énergies de traction ne se valent pas du point de vue environnemental et les scénarios des nouvelles mobilités doivent prendre en compte, au-delà de l'objectif de sobriété énergétique, l'impératif de décarbonation des déplacements.

Cette décarbonation est souhaitable sur le plan environnemental : réduction des émissions de gaz à effets de serre, des polluants atmosphériques. Elle l'est aussi du point de vue économique, car une partie du déséquilibre de la balance commerciale résulte des besoins en énergie fossile : en 2017, les importations énergétiques de la France représentaient 56,8 milliards d'euros et le déficit de la balance énergétique s'établissait à 39 milliards d'euros 70 ( * ) , principalement à cause des importations de pétrole. Or, la part des transports dans la consommation finale de pétrole à usage énergétique est prépondérante, et s'élevait à 74 % en 2016 (dernier chiffre officiel disponible) 71 ( * ) .

Les nouvelles mobilités, quelles qu'elles soient, ne pourront se déployer qu'en sortant du modèle de propulsion au moyen d'énergies fossiles . C'est d'ailleurs ce qu'ont bien compris les start-up innovantes : Cityscoot propose des scooters électriques, Lime des trottinettes électriques, et les navettes autonomes Navya commercialisent un véhicule autonome (robot-taxi) électrique.

L'innovation peut difficilement être imaginée en ne respectant pas le pré-requis de mobilités décarbonnées. C'est d'ailleurs ce qu'exprimait le patron de PSA, Carlos Tavares, en septembre 2017 en marge du salon automobile de Francfort, estimant que, malgré une technologie maîtrisée, le diesel avait perdu la bataille politique, et annonçant que la gamme de PSA serait électrifiée à 50 % en 2020 et à 80 % en 2023, afin de ne pas perdre la bataille économique entre constructeurs.

Il semble donc bien qu'on ne puisse imaginer les futures mobilités sans respecter cet impératif de sortie des énergies fossiles.

b) Prendre en compte l'impératif de flexibilité

Une autre tendance lourde pour imaginer les scénarios des futures mobilités réside dans l'effritement du modèle pendulaire traditionnel incarné dans l'expression populaire « métro boulot dodo ». Les rythmes de vie sont de plus en plus individualisés, variables. Même si les pics ou pointes de trafic restent une réalité tangible sur les routes ou dans les transports collectifs, ils ne résument plus la problématique des mobilités. L'heure de pointe a d'ailleurs tendance à s'étendre. Les prévisions de trafic sont plus difficiles à élaborer, comme par exemple lors du chassé-croisé des vacances estivales sur les routes.

Les rythmes de travail connaissent une lente évolution, mais une variable majeure doit aussi être prise en compte : une part importante des personnes qui se déplacent ne le font pas dans le but de se rendre à leur travail : sur les 65 millions d'habitants que compte la France, la population active occupée atteint à peine les 30 millions de personnes. Les plus de 60 ans sont plus de 17 millions et sont aussi des citoyens mobiles.

La dernière étude Keoscopie de la société Keolis montre bien les limites d'un modèle de mobilité fondé sur les seuls actifs pendulaires : 2/3 des journées de travail commencent ou finissent hors des heures de pointe. Dans la métropole de Strasbourg, la moitié des déplacements des actifs ne concerne pas le travail.

La France est aussi une destination touristique et les mobilités liées au tourisme comptent de manière significative dans les flux de déplacement.

La réflexion sur les mobilités devra aussi prendre en compte cet éclatement des modèles de mobilité, qui complique il est vrai la conduite des politiques publiques de déplacement.

Mais vos rapporteurs soulignent qu'au-delà de leurs différences de profils, de préférences, et les particularités des individus mobiles, la qualité des systèmes de mobilité reposera principalement sur leur flexibilité, leur capacité à s'adapter à l'évolution des besoins.

c) Vers le dépassement de la logique d'organisation des mobilités par mode

Cette flexibilité conduit à un dépassement de la réflexion sur les mobilités sur une base essentiellement modale. Les politiques publiques sont structurées depuis des décennies autour du mode de transport avec une relative étanchéité entre le secteur ferroviaire et le secteur routier, ou encore entre les autorités chargées de l'organisation des transports urbains et celles chargées de l'aménagement des voiries.

Or, l'organisation en tuyaux d'orgue et le raisonnement purement modal ne sont plus opérationnels : les utilisateurs des transports collectifs peuvent aussi, sur une partie de leur trajet, être des automobilistes (par exemple jusqu'à un parking) ou des cyclistes, ils peuvent aussi choisir alternativement plusieurs modes (le vélo, la marche, la voiture) selon la météo, la saison, les types de déplacement envisagés. Ils peuvent aussi basculer très vite d'un mode à l'autre : du métro à la trottinette électrique par exemple.

Ces réalités imposent d'entrer pleinement dans une logique multimodale. Nos concitoyens ne comprendraient pas que les politiques publiques de mobilité ne soient pas centrées sur un objectif : leur permettre de se déplacer rapidement et à un coût raisonnable, sans prescrire un mode plus qu'un autre. Mieux informé, moins captif, le citoyen mobile est aussi plus exigeant : il veut disposer d'un large éventail de solutions, et décider lui-même quel est le domaine de pertinence de chaque mode.

La frontière entre les déplacements individuels et les déplacements collectifs s'estompe également avec l'irruption de la logique de covoiturage et la perspective de voitures autonomes partagées (robots-taxis collectifs). Les déplacements collectifs ne seront plus l'apanage des transports guidés comme le métro ou le tramways ou des transports collectifs sur route suivant des circuits déterminés à l'avance.

Le dépassement des raisonnements actuels sur l'organisation des mobilités est donc incontournable dans la construction des scénarios des mobilités de demain.

2. Prendre en compte le risque de relégation des territoires fragiles.
a) Le scénario des déséquilibres territoriaux

Imaginer la manière dont les mobilités se structureront en 2025-2030 n'est pas facile, tant les paramètres sont nombreux. Vos rapporteurs se sont particulièrement intéressés à la question des équilibres territoriaux et à la problématique de la mobilité des zones rurales et périurbaines, mais aussi dans et entre les petites villes.

Ces zones sont exclues ou mal desservies par les réseaux de transport collectif et donc plus dépendantes du véhicule individuel, d'autant que les déplacements, sans être forcément plus chronophages que ceux effectués par les urbains, s'effectuent sur des distances plus longues.

Leur densité ne permet pas à des start-up innovantes d'y déployer des services nouveaux, qui nécessitent une masse potentielle de clients.

Ces territoires vont subir de plein fouet l'impact de la disparition des moteurs thermiques : faute de solution alternative, c'est le renouvellement de l'ensemble de la flotte automobile qui devra y être envisagé pour 2040. Or, ces territoires sont aussi peu voire pas du tout dotés en bornes de recharge électrique et leur mise à niveau nécessitera des investissements importants dont les habitants n'ont pas forcément les moyens, du fait d'un faible potentiel de mutualisation des équipements.

Vos rapporteurs redoutent que l'offre de mobilité ne se développe pas voire recule dans ces territoires, entraînant relégation et enclavement. Ce scénario catastrophe pourrait advenir si les trois variables identifiées plus haut étaient mal orientées avec :

- Une dynamique territoriale qui ne se concentre que dans les métropoles hyper-connectées , concentrant les richesses et les services, connaissant une ségrégation sociale de fait produite par la poursuite de la hausse des prix du foncier. Dans ce scénario, les espaces périurbains et les espaces ruraux concentreraient les populations fragiles disposant de revenus insuffisants pour accéder aux nouvelles mobilités.

- Des nouvelles mobilités plus coûteuses qu'aujourd'hui, les promesses de la mutualisation et de l'optimisation de l'utilisation des équipements de transport n'étant pas tenues : les économies de carburant des véhicules électriques pourraient être absorbées par le surcoût des batteries et le maintien du modèle du véhicule individuel possédé par son conducteur empêcherait de répartir les coûts d'acquisition, ne réduiraient pas les flux de circulation automobile ni les problèmes de stationnement dans les zones denses.

- Un degré d'intervention réduit des collectivités publiques , qui, ne pouvant faire face à l'ensemble des besoins de financement tant en fonctionnement des dispositifs de transports urbains dont les périmètres n'ont cessé de s'étendre, qu'en investissement dans de nouvelles infrastructures, en seraient réduites à gérer les actuels systèmes de transport, en rognant là où c'est possible, c'est-à-dire prioritairement sur les bouts de ligne les moins rentables (peu de passagers transportés au kilomètre).

Dans ce scénario catastrophe, seules les zones urbaines denses bénéficieront d'une palette étendue de services de mobilité : modes de circulation douce, transports collectifs, mutualisation des véhicules individuels. Ils bénéficieront à plein des économies d'échelle des nouvelles mobilités.

Les salariés habitant dans les zones périurbaines continueraient à utiliser des transports collectifs de rabattement sur les lieux de travail, sans véritable amélioration par rapport à ce qui existe aujourd'hui. L'éloignement des coeurs de métropole restera dans ce scénario un facteur majeur de handicap territorial, accroissant les inégalités entre les métropoles et les espaces hors métropoles.

b) Le scénario idéal des mobilités pour tous

Le scénario inverse a tous les attributs d'un scénario idéal pour les territoires ruraux et périurbains, qui pourraient aussi être des territoires pionniers pour les nouvelles mobilités.

Ce scénario repose toutefois sur des hypothèses très optimistes :

- Un renouveau d'attractivité des zones peu denses , qui n'est toutefois pas une perspective fantaisiste : les aménités positives des espaces ruraux, des petits bourgs, en termes de cadre de vie et d'environnement, ainsi qu'en termes de coût du logement, donnent à ces territoires une certaine attractivité. Les travailleurs indépendants, certains salariés pratiquant le télétravail grâce à la couverture Internet qui progresse un peu partout, peuvent donc envisager de résider à distance des métropoles.

- L'existence de dispositifs de mobilités partagées peut aussi réduire le coût des déplacements et la dépendance au véhicule individuel. Des plateformes d'échange existent déjà et pourraient encore être développées. La mise en service de véhicules autonomes pourrait aussi constituer une alternative efficace aux transports collectifs peu attractifs du fait de faibles fréquences et coûteux du fait de taux de remplissages faibles. En s'affranchissant du coût du chauffeur, qui représente les deux tiers du coût d'exploitation d'un autobus, un robot-taxi partagé et autonome pourrait revenir moins cher que l'acquisition et l'entretien d'un véhicule individuel par chaque foyer. Un continuum des mobilités devrait aussi être établi avec les dispositifs existants dans les métropoles, de manière à ce que l'interconnexion des réseaux de mobilité entre territoires soit fluide, sans barrières.

- Enfin, le scénario optimiste repose sur le maintien d'un niveau élevé d'implication des collectivités publiques dans les politiques de mobilité. Il suppose notamment que celles-ci sauront imposer aux opérateurs de mutualiser les services entre zones denses et zones peu denses. Ce scénario suppose aussi que des investissements pourront être réalisés pour mettre toutes les routes en mesure d'accueillir des véhicules autonomes, par exemple en revoyant la signalisation. Il suppose enfin que des péréquations tarifaires pourront être garanties afin que les longs trajets ne fassent pas l'objet d'une excessive pénalisation financière.

Ce scénario des mobilités partout et pour tous dans 15 à 20 ans n'est clairement pas le scénario spontané et suppose du volontarisme politique, mais il ne paraît pas hors d'atteinte à vos rapporteurs, qui formulent ci-après une série de préconisations pour s'en rapprocher le plus possible.


* 70 Source : https://www.tresor.economie.gouv.fr/Articles/2018/02/08/commerce-exterieur-de-la-france-resultats-2017

* 71 Source : Bilan énergétique de la France : http://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/fileadmin/documents/Produits_editoriaux/Publications/Datalab/2018/datalab-30-bilan-energetique-france-2016-mars2018-e.pdf

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