Annexes

- Présentation des intervenants

- Audition par la délégation aux droits des femmes de Françoise Thébaud, professeure émérite d'histoire contemporaine (5 avril 2018)

- Présentation des dessins d'enfants issus des collections du musée de Montmartre réalisés pendant la guerre par des écoliers du XVIII e arrondissement de Paris - Reproductions des dessins projetés pendant le colloque

- Commentaires des oeuvres des peintres Lucien Simon et Maurice Denis citées par Françoise Thébaud pendant la première séquence du colloque

- Liste des documents projetés pendant le colloque - Reproductions de certains documents

- Annie de Pène, une journaliste au coeur de la Grande Guerre : un ouvrage de Dominique Bréchemier, professeure de lettres, docteure en littérature

- La résistance féminine dans le Nord de la France pendant la Grande Guerre, une expérience singulière : le réseau de Louise de Bettignies et de Marie-Léonie Vanhoutte, par Isabelle Vahé, docteure en histoire

PRÉSENTATION DES INTERVENANTS
AUDITION PAR LA DÉLÉGATION AUX DROITS DES FEMMES
DE FRANÇOISE THÉBAUD, HISTORIENNE,
PROFESSEURE ÉMÉRITE À L'UNIVERSITÉ D'AVIGNON

(5 avril 2018)

Présidence d'Annick Billon, présidente

Annick Billon, présidente . - Madame la professeure, mes chers collègues, nous entendons ce matin Françoise Thébaud, historienne, spécialiste de l'histoire des femmes, dans le cadre de la préparation de notre colloque du 18 octobre prochain, consacré aux femmes au temps de la guerre de 14.

Les femmes au temps de la guerre de 14 : tel est précisément le titre de l'un de vos ouvrages, absolument incontournable, et qui se trouve dans toutes les bibliographies sur la Première Guerre 147 ( * ) .

Inutile de vous préciser que votre livre guide la préparation de notre colloque. Je vous remercie infiniment, au nom de tous mes collègues de la délégation, d'avoir bien voulu vous associer à cet événement, qui s'inscrit dans la contribution du Sénat à la commémoration du centenaire.

Nous attachons beaucoup d'importance à ce colloque : quand nous avons délibéré sur notre programme de travail, à la rentrée de 2017, le thème des femmes en 1914-1918 a été adopté à l'unanimité.

Et je le comprends, car personne n'est indifférent à ce sujet :

- il parle évidemment à celles et ceux qui y retrouvent la trace d'histoires familiales ;

- mais il parle aussi quand on s'interroge tout simplement sur l'évolution de l'émancipation des femmes, tant ce qu'elles ont vécu à cette époque fait écho, à bien des égard, à des thématiques encore très actuelles, comme le travail ou la participation à la vie politique.

C'est du reste un peu le pari de notre colloque : montrer qu'à travers chaque thématique abordée s'agissant des femmes en 1914-1918, on retrouve un sujet de nos travaux récents : les agricultrices, l'égalité professionnelle, les femmes militaires, les viols de guerre...

Nous nous réjouissons donc que vous nous aidiez ce matin à « planter le décor ».

Je précise, à l'attention de mes collègues, qu'en accord avec vous, cette intervention sera centrée non pas sur les Françaises pendant la Grande Guerre, qui est le thème du colloque, mais sur les Européennes en guerre, l'objectif étant par votre exposé de nous donner l'information la plus large possible dans la perspective de la préparation de notre colloque.

Je vous donne sans plus tarder la parole, et nous vous écoutons avec un très grand intérêt.

Françoise Thébaud, historienne, professeure émérite à l'université d'Avignon . - La guerre de 1914-1918 fut vite appelée par les contemporains « Grande Guerre », tant elle présentait des aspects inédits : guerre longue, meurtrière, industrielle et déjà, par certains aspects guerre totale, elle mobilisa physiquement et culturellement l'arrière comme l'avant, les civils comme les soldats, les femmes comme les hommes.

La Grande Guerre en effet n'est pas qu'une affaire d'hommes. Avant de vous le montrer à travers l'étude de quatre thèmes (mobilisations, épreuves, engagements, effets de la guerre sur les trajectoires individuelles et la place des femmes dans les sociétés), je ferai en introduction des remarques préliminaires et d'historiographie.

Trois remarques préliminaires dans un premier temps :

- l'usage d'un power point permet de mieux comprendre ce que voyaient les contemporains. Il est très important de se plonger dans la culture visuelle du temps de la guerre, où les femmes et le féminin sont très présents dans la propagande des États et dans les produits culturels comme les cartes postales, une industrie alors à son apogée. Vous voyez là par exemple l'image d'un Poilu - il a encore son képi rouge, nous sommes au début de la guerre, les soldats français ne sont pas encore équipés de casques - avec une légende humoristique : « Quel est le comble pour un Poilu ? Embrasser sa femme sur le front ! » ;

- mes recherches ont porté sur la France, mais j'ai lu mes collègues qui ont travaillé sur d'autres pays d'Europe occidentale ; je vous propose ainsi une conférence d'histoire comparée. L'histoire des femmes d'Europe orientale sera peu abordée, faute de connaissances de ma part. Même chose pour l'histoire des femmes des colonies, sur lesquelles des recherches sont encore à faire ;

- comme le montrent ces deux photographies (une ouvrière au visage fatigué, une dame d'oeuvre en chapeau - à l'époque le chapeau marque l'appartenance sociale, l'expression « femmes en cheveux » désigne celles qui sortent sans chapeau), les femmes ne constituent pas un groupe homogène. Parler de « la » femme est erroné.

Laurence Rossignol . - On l'entend pourtant tous les 8 mars !

Françoise Thébaud . - En effet, mais il arrive que les journalistes recourent à des termes inappropriés. Les expériences qu'ont les femmes de la guerre sont différentes, en fonction de leur appartenance sociale, de leur âge, de leur lieu de résidence et de leur nationalité.

Comment a-t-on écrit l'histoire de la Grande Guerre ? Un peu d'historiographie permet de situer mon propos dans l'évolution des questionnements historiens sur la guerre :

- des décennies durant, seuls intéressent les aspects militaires et diplomatiques du conflit, notamment les causes de la guerre. Le regard se concentre alors sur les hommes, et plus encore sur les élites masculines qui décident.

- À partir des années 1970 se développent à la fois une histoire sociale des sociétés en guerre (quotidien, économie, vie politique, conflits sociaux) et une histoire des femmes : le premier objectif de ces historiens, qui sont surtout des historiennes, est d'observer l'événement au féminin et d'appréhender l'expérience des femmes : que signifie la guerre pour les femmes ?

- Puis s'affirme, dès la fin des années 1980, une histoire culturelle de la Grande Guerre, autour de l'Historial de Péronne et d'historiens comme Audoin-Rouzeau. Cette approche est attentive à toutes les formes de violence et de souffrance, ainsi qu'à la culture des sociétés en guerre. S'affirme parallèlement aussi une histoire du genre, qui complexifie l'approche d'histoire des femmes. D'une part, elle observe concomitamment les femmes et les hommes, analysant leurs relations et leurs rôles sociaux respectifs ; d'autre part, elle est attentive aux imaginaires sociaux du masculin et du féminin et à leurs usages par la propagande et les politiques des États belligérants (pour les contemporains, qu'est-ce qui fait qu'un domaine est considéré comme masculin ou féminin ?) ; enfin, et c'est important, elle considère les hommes comme des individus sexués et la masculinité comme une construction culturelle et sociale, au même titre que la féminité. Cette carte postale française et cette affiche britannique sont très éclairantes : les sociétés en guerre appellent les hommes à se montrer forts, à protéger les vieillards, les femmes et les enfants, à défendre la terre et la nation. La carte postale française interpelle le combattant : « Français, qu'est-ce que tu défends ? », l'image en arrière-plan d'une France entourée de bleu-blanc-rouge montre le clocher d'un village, des personnages âgés, une femme et des enfants. Sur l'affiche anglaise, on voit le ministre de la guerre qui pointe du doigt les hommes pour les appeler à s'engager : on mobilise, là aussi, la virilité, mais dans un registre un peu différent.

Toutefois, la guerre met aussi les hommes et leur virilité à l'épreuve. Si les individus d'âge mur sont partis résignés en août 1914, les plus jeunes partaient à l'aventure pour une guerre courte et glorieuse. Ils ont découvert, comme certains l'ont écrit et avec des mots identiques de part et d'autre des lignes de front, « l'enfer sur terre »: la boue et le froid des tranchées, les assauts meurtriers, la peur, les blessures et la mort omniprésente. La Grande Guerre, avec ses armements nouveaux et ses modes de combat, met le corps des hommes à rude épreuve, en blesse et en mutile par millions. Voyez sur cette photographie britannique des soldats amputés des jambes. Pour le peintre Otto Dix, les personnages qui jouent aux cartes sur ce tableau illustrent la pire des mutilations : celle des « gueules cassées ». La guerre fait également vaciller des certitudes psychologiques et suscite, chez des hommes qui se découvrent faibles et apeurés, de véritables interrogations identitaires. Elle met à mal l'éducation traditionnelle à la virilité. Ainsi, le jeune Maurice Drans écrit à sa fiancée le 17 mai 1917 : « Ô ma Georgette, je devrais te parler d'amour, et je te parle de ça [un champ de cadavres] ! Ah ! Dans ces moments-là, titubant, ivre, abandonné, frissonnant, naufragé, je tends les bras vers toi, je t'implore, je te supplie. Je suis un homme pourtant, et des fois je grince des dents pour ne pas pleurer. » Les traumatismes de la guerre conduisent certains combattants à la folie. À l'époque, certains ont été considérés comme des simulateurs, mais on connaît mieux aujourd'hui ce phénomène, très réel.

- Deux remarques encore pour terminer cette introduction historiographique. Depuis une quinzaine d'années, les historiens, ébranlés par le retour de la guerre en Europe, avec le conflit en ex-Yougoslavie, ont accordé la priorité à trois thématiques nouvelles : les violences sexuées et sexuelles, l'intime en guerre et les modes de sortie de guerre. La guerre perdure bien au-delà de l'arrêt des combats ou de la signature des traités de paix : elle exige notamment, après les bouleversements des années de conflit, la reconstruction d'un ordre de genre. Autre caractéristique récente, apparue très nettement avec le centenaire, sont privilégiées deux échelles d'observation opposées, une histoire globale qui n'oublie aucun espace engagé dans le conflit et une histoire sensible à l'échelle des familles et des individus ordinaires, hommes et femmes : d'où le succès de la collecte d'archives de soi sur le portail Europeana 1914-1918, des deux grandes collectes en France (en 2013 et 2014), d'où aussi la publication de correspondances de guerre, parfois grâce aux petits-enfants qui découvrent ces archives familiales.

C'est avec l'apport de toutes ces approches que je peux présenter maintenant les quatre thèmes annoncés : mobilisations, épreuves, engagements, effets de la guerre sur les trajectoires individuelles et la place des femmes dans la société.

Premier thème : chronologie et formes de la mobilisation des femmes.

On lit parfois que la Première Guerre a « mis les femmes au travail » : c'est faux. Pour comprendre la mobilisation des femmes, il faut d'abord en préciser la chronologie. Août 1914 : des millions d'hommes - Français, Allemands, Austro-hongrois, Russes, Britanniques engagés 148 ( * ) - quittent leurs foyers en quelques jours et tous, comme leurs États-majors et leurs gouvernements, pensent que la guerre sera courte et qu'ils rentreront dans quelques semaines. On est partis aux moissons, on rentrera aux vendanges ! Puis comme le conflit dure, on se projette à Noël, puis à Pâques (le calendrier religieux est alors très présent). La plupart des entreprises dont le patron et le personnel masculin sont mobilisés ferment, ce qui entraîne une mise au chômage des femmes salariées (en France, la main-d'oeuvre féminine constitue alors plus d'un tiers de la population active). Pour les femmes des milieux populaires urbains, privées du salaire de leur mari - et du leur, si elles travaillaient avant 1914 - la guerre signifie d'abord une perte de revenus et des difficultés économiques. L'« allocation de femme de mobilisé pour les familles nécessiteuses » mise en place dès les premiers jours en France (il y eut l'équivalent dans les autres pays) représente 1,25 franc seulement pour une femme, plus cinquante centimes par enfant. Ce montant est trop modique pour compenser la perte du salaire du mari (un ouvrier gagne alors 4 francs, une ouvrière 2,50 francs). Pour manger à leur faim, certaines sont réduites à aller coudre ou tricoter dans des ouvroirs ouverts par des dames de charité. Je n'aurai pas le temps de détailler ensuite et je souligne d'emblée que la période de guerre a été un temps fort pour la philanthropie féminine, traditionnelle dans les milieux aisés ; on peut ainsi parler d'une véritable mobilisation sociale des femmes.

En ce qui concerne la mobilisation au travail, au début de la guerre, seules les paysannes (et aussi les commerçantes qui dans la plupart des cas ont continué à tenir leur magasin) sont appelées à remplacer immédiatement les hommes pour achever les moissons et préparer la terre pour les prochaines récoltes : vous connaissez l'appel de René Viviani, président du Conseil, aux femmes françaises, le 7 août 1914. On a besoin du travail des paysannes pour nourrir le pays et les troupes.

Les autres femmes sont invitées à attendre, tout au plus à servir dans des oeuvres de guerre ou comme infirmières, car la guerre se révèle vite meurtrière et les services de santé militaires insuffisants. Les hôpitaux militaires demandent vite de l'aide à des structures comme la Croix-Rouge. On appelle ces volontaires les « anges blancs » ; elles sont infirmières militaires salariées ou infirmières Croix-Rouge bénévoles. Cet engagement bénévole est d'ailleurs compatible avec les valeurs des milieux bourgeois et aristocratiques ; ainsi la jeune Louise Weiss prend le voile blanc quelques mois. L'infirmière est une figure consensuelle de la guerre, ce qui n'est pas le cas des ouvrières, comme on le verra tout à l'heure. Cette affiche britannique de la Croix-Rouge montre une pietà : une infirmière tient dans ses bras un homme blessé. La légende est explicite : « la plus grande mère du monde ». C'est un registre rassurant pour l'époque. Pourtant, comme le montrent les écrits que certaines infirmières ont laissés, l'expérience de la guerre a été pour elles la découverte de l'horreur des blessures, mais aussi la grande aventure de leur vie... Pensons à ces Canadiennes qui, pour venir sur le front, ont pris le bateau. On confie alors aux infirmières des responsabilités beaucoup plus importantes que ce à quoi les avait préparées leur formation. Découverte du sang, mais aussi du corps des hommes : pour ces jeunes filles, la guerre a été une initiation très rapide aux choses de la vie.

Dans un deuxième temps, lorsqu'il devient évident que la guerre sera longue, chaque pays comprend la nécessité de remettre en route l'économie afin de faire vivre la population, d'approvisionner les armées en nourriture et vêtements, et de produire de plus en plus d'armement dans des entreprises métallurgiques et chimiques reconverties à cet effet. Citroën naît en 1915. Des entreprises de mécanique se convertissent dans la fabrication de matériel de guerre.

Par ailleurs la guerre, dévoreuse de soldats, mobilise de plus en plus d'hommes qui quittent leur travail - au total, 8 millions en France, 13 en Allemagne, 5,7 au Royaume-Uni, 5,6 en Italie. Pour ces deux raisons, la mobilisation des femmes devient indispensable et bénéficie du zèle des affichistes : « d'elle, leurs vies dépendent » proclame un poster anglais de 1917 où, sur fond de canon et d'obus, une ouvrière en train d'enfiler un bonnet de travail est appelée à s'embaucher dans les arsenaux. Cette mobilisation est empirique en France où les besoins des employeurs rencontrent la nécessité de travailler des femmes. Elle est centralisée en Allemagne, négociée au Royaume-Uni avec les syndicats : ceux-ci veulent préserver les intérêts de leurs adhérents hommes et s'assurer du caractère temporaire de l'embauche. Le travail des femmes, dans cette logique, ne peut se faire au détriment des hommes, il doit être temporaire, et les contrats de travail le précisent clairement.

Venues de divers horizons, épouses au foyer, jeunes filles, anciennes travailleuses au chômage ou à la recherche d'un meilleur salaire, les femmes remplacent les hommes au travail partout où cela est possible, et ce phénomène s'accompagne d'un transfert de main-d'oeuvre de secteurs traditionnellement féminins vers d'autres plus attractifs. La guerre, il faut aussi le rappeler, inaugure une crise de la domesticité, tant la situation de cette catégorie est aliénante : gages très faibles, absence de liberté individuelle, pas de loisirs. L'usine semble préférable à beaucoup de bonnes. De plus en plus visibles dans l'espace public, photographiées et présentées dans les journaux, les femmes sont ainsi factrices, employées de banque et d'administration, serveuses de café, livreuses - par exemple de charbon - receveuses et conductrices de tramways, métiers auparavant masculins. Le secteur tertiaire se féminise avec la guerre : on trouve aux femmes beaucoup de qualités - elles sont à l'heure, polies, minutieuses... Cette féminisation se poursuit après la fin du conflit.

Les femmes sont aussi ouvrières, y compris dans les usines de guerre, dans les secteurs métallurgique et chimique. Ce sont là des secteurs qualifiés de « travail d'hommes », dont elles étaient quasi absentes avant 1914. Au plus fort de l'embauche, elles sont 400 000 en France (un quart de la main-d'oeuvre), près d'un million au Royaume-Uni. Employées aux travaux mécaniques en série - là où leurs rendements sont jugés les meilleurs -, mais aussi à des tâches de plus en plus diversifiées et qualifiées comme la soudure, elles sont particulièrement nombreuses à la fabrication des obus, d'où leur surnom de « munitionnettes ». La taylorisation est maximale chez Citroën où les obus sont produits à la chaîne. Sur cette photo d'un atelier, situé à Grenoble, on voit que les hommes sont les contremaîtres et les régleurs de machines. Il s'agissait d'un poste qualifié, indispensable au bon fonctionnement des ateliers : certains ouvriers qualifiés sont rappelés du front. Avec le temps, la liste des tâches confiées aux femmes dans les usines s'étend ; le travail des femmes complète celui des ouvriers rappelés du front et celui des ouvriers venus des colonies et de l'étranger.

Mieux payées que dans les métiers traditionnellement féminins, les ouvrières font face à de dures conditions de travail dans des pays où toute législation sociale a été suspendue : les journées ou nuits de travail de onze à douze heures (dix heures avant la guerre), l'absence de repos hebdomadaire, un travail intensif et dangereux. La dureté de ces conditions de travail est très réelle. Elle contraste avec des représentations lénifiantes et érotisées comme cette carte postale qui représente une jolie blonde en costume de travail à col blanc et à talons hauts, avec un obus entre ces mains.

Laure Darcos . - On voit qu'elle porte un pantalon : le vêtement féminin s'est adapté !

Françoise Thébaud . - En effet, mais comme le faisait observer la féministe française Marcelle Capy à l'issue d'un reportage dans une usine de guerre - elle me fait penser à Florence Aubenas, auteure du Quai de Ouistreham , une enquête sur la vie des femmes de ménage - « il faut avoir faim pour faire ce métier-là ». Certes, ces ouvrières sont mieux payées que dans l'habillement ou la couture - métiers de femmes - mais on leur fait payer les aménagements liés à la féminisation des ateliers ! Certes, elles peuvent s'acheter des oranges ou des bas de soie, qui sont à l'époque des biens difficilement accessibles à la plupart des gens, mais au prix de véritables dangers. Des témoignages de médecins de l'époque dénoncent les conditions de travail de ces ouvrières. Certaines subissent les conséquences de la manipulation de produits chimiques. D'autres meurent de maladie ou d'épuisement...

Dernier point avant de conclure sur la mobilisation : y eut-il pendant la Grande Guerre des femmes dans les armées ?

Les seules combattantes semblent être des Serbes et des Russes, notamment le bataillon féminin de la mort commandé par Maria Botchkareva (1889-1920), dont les Mémoires parus aux États-Unis en 1919 viennent d'être réédités en français. Après avoir quitté la Russie lors de la révolution d'octobre, elle a rejoint les forces contre-révolutionnaires et a été exécutée par les Bolchéviques.

Par ailleurs, parce que les sociétés occidentales de l'époque considèrent que ce n'est pas la place des femmes, seul le Royaume-Uni crée tardivement et avec réticence des corps auxiliaires féminins des armées, qui encadrent en 1918 40 000 femmes, dont 8 500 à l'étranger. Ces femmes, qui s'occupent des cuisines, de la mécanique et du transport logistique, sont très critiquées et suscitent plus encore que les ouvrières de guerre une peur de la masculinisation des femmes.

Ni l'Allemagne, ni la France ne créent de tels corps auxiliaires féminins. La France, où les années de guerre voient l'affirmation d'un pronatalisme appelé à durer de nombreuses décennies, préfère affirmer que le combat des femmes est l'enfantement. On peut même parler d'« impôt du sang », compte tenu des décès en couches. On le voit sur ces cartes postales, très populaires, qui montrent une femme enceinte casquée (« Allons, Mesdames, travaillez pour la France ! »). L'objectif est de mettre au monde de la « graine de Poilu », qui est représentée sur cette carte postale en train d'uriner dans le casque à pointe allemand, symbole de l'ennemi.

Combien de femmes ont été mobilisées au travail pendant la guerre ? Le bilan est contrasté selon les nations. En France où, avant 1914, les femmes constituent plus d'un tiers de la main-d'oeuvre, leur nombre augmente de 20 % dans le commerce et l'industrie. Au Royaume-Uni où les femmes, y compris des milieux populaires, arrêtaient de travailler après le mariage, leur nombre augmente de plus 50 %.

Pour l'Allemagne, il est difficile de donner un taux de croissance : il y a par exemple 30 000 ouvrières chez Krupp , la grande entreprise de canons, mais beaucoup de femmes ne répondent pas aux appels du gouvernement à venir travailler car leur énergie est occupée à trouver de la nourriture pour leur famille.

Cette remarque fait transition vers le deuxième thème : les épreuves de guerre, que je traiterai après une première séquence de questions/réponses, si vous le voulez bien.

Annick Billon, présidente. - Nous vous remercions pour cet exposé aussi riche que passionnant.

Pour ma part, je voudrais revenir sur les agricultrices, sur lesquelles a travaillé la délégation l'année dernière. La mobilisation précoce des femmes au niveau agricole dont vous parliez leur a-t-elle permis d'accéder aux responsabilités dans les exploitations, voire au foncier, par exemple en lien avec la disparition des hommes de la famille ?

Vous avez aussi évoqué le travail des femmes dans les usines pendant la guerre comme une nécessité, en soulignant que leurs conditions de travail étaient aussi dures que celles des hommes mais que leurs salaires n'étaient pas égaux. Les femmes ont-elles acquis après cette période des droits supplémentaires ? Qu'est-ce qui a bloqué l'acquisition du droit de vote des femmes en France, contrairement à ce qui s'est passé aux États-Unis, en Allemagne, au Royaume-Uni et au Canada ?

Marta de Cidrac . - Dans la continuité des questions de la présidente, j'aimerais que nous revenions sur la proportion de femmes qui travaillaient avant la guerre. Vous avez en effet évoqué une augmentation de 20 %, en France, de la part des femmes au travail dans la population active au cours de la guerre.

Françoise Laborde . - Ma question porte aussi sur le domaine du travail. J'ai été interpellée par le fait que les contrats de travail des Anglaises mentionnaient explicitement qu'elles devraient rendre leurs postes aux hommes après la guerre. Cela a-t-il été effectivement le cas, compte tenu du nombre de décès parmi les hommes au front ?

Ce que vous nous avez dit de la législation sociale de l'époque et des stéréotypes sur les femmes et les hommes nous rappelle que les inégalités entre les femmes et les hommes sont ancrées historiquement et ne datent pas d'aujourd'hui... On ne peut plus se faire d'illusions !

Françoise Thébaud . - En ce qui concerne la mobilisation des femmes, il est certain que, dans les exploitations agricoles, la division sexuée du travail telle qu'elle existait avant la guerre vole en éclat. En effet, les paysans sont parmi les plus mobilisés et ne sont jamais rappelés à l'arrière. Dans ce contexte, les femmes ont rapidement été contraintes d'effectuer des tâches jusque-là réservées aux hommes, alors qu'avant-guerre, elles étaient chargées de la basse-cour ou du jardin potager et participaient à certains grands travaux comme la moisson. Je pense au sulfatage de la vigne, à la conduite des charrues... Pour autant, les correspondances de l'époque montrent que si les femmes d'agriculteurs prennent de l'autonomie et assument des responsabilités nouvelles, leurs maris continuent à leur donner des conseils par courrier. Le paysan soldat reste donc le chef de la famille, tant qu'il est en vie : « tu feras ceci, tu feras cela », voire « tu achèteras tel morceau de terre ».

Certaines femmes deviendront des chefs d'exploitation à l'issue du conflit mondial, mais la Première Guerre mondiale a surtout eu pour conséquence d'accélérer l'exode rural des femmes, notamment de celles qui n'ont pas pu se marier ou qui sont devenues veuves ; elles partiront à la ville pour exercer des métiers ouvriers ou de services.

Le film Les gardiennes illustre assez bien le travail agricole des femmes pendant la guerre.

Anne-Marie Bertrand . - De fait, les femmes de paysans n'ont pas eu d'autre choix que de remplacer leur mari sur l'exploitation au moment de la mobilisation générale.

Françoise Thébaud . - Elles ne sont pas forcément seules, la génération plus âgée - le grand-père ou le père - peut aider, ainsi que les plus jeunes. Mais le paysan mobilisé reste malgré son absence très au fait de ce qui se passe sur son exploitation.

Pour répondre à Françoise Laborde, je préciserai que le Royaume-Uni a déploré 750 000 morts parmi ses soldats, pendant la Première Guerre mondiale, ce qui est beaucoup moins qu'en France ou en Allemagne, où le nombre de tués a atteint respectivement 1,4 million et 1,8 million.

Bien sûr, si l'idéal social fondé sur le retour de la femme au foyer demeure une aspiration forte à la fin de la guerre, dans les faits, il ne pourra pas se réaliser intégralement en France et en Allemagne, compte tenu du nombre de soldats morts à la guerre. Les femmes seront ainsi plus nombreuses à investir le travail salarié après la guerre, notamment dans le domaine tertiaire, en tant qu'employées de banque ou de la poste, par exemple, y compris dans ce qui était jusque-là considéré comme des métiers d'hommes. Ces métiers sont jugés convenables, en particulier pour les jeunes femmes de la bourgeoisie et de la petite bourgeoisie.

A la veille de la Première Guerre mondiale, la France comptait 40 millions d'hommes et de femmes, dont 20 à 21 millions d'actifs. Parmi eux, on dénombrait 14 millions d'hommes pour 7 millions de femmes au travail. Ces dernières représentaient ainsi 37 % de la population active. C'était le taux européen le plus élevé de femmes dans la population active. Par ailleurs, tous les hommes ne travaillaient pas pour autant.

Avant 1914, dans tous les pays et tous les milieux, y compris chez les syndicats, pas particulièrement progressistes sur le travail des femmes, on entend le discours traditionnel : la place de la femme, c'est son foyer. C'est la théorisation issue du XIX e siècle opposant la sphère privée du foyer, réservée aux femmes, à la sphère publique (travail et politique), réservée aux hommes. Les réalités démographiques et économiques des pays font que cet idéal n'est plus respecté. D'une part, les familles populaires ont bien souvent besoin d'un second salaire. D'autre part, la France d'avant-guerre est malthusienne - elle fait peu d'enfants - et donc importatrice de main-d'oeuvre étrangère (italienne ou belge), à la différence de l'Allemagne. De fait, les nécessités de la guerre font que les femmes vont devoir travailler. On observe donc un hiatus entre la culture ambiante de l'époque et la réalité.

S'agissant des questions sur l'émancipation et le droit de vote, je propose d'y répondre avec la quatrième partie de mon exposé.

J'en viens à mon deuxième thème : épreuves subies et mutations du quotidien.

Comme le montrent les conflits contemporains, la guerre est avant tout épreuves, pour les soldats comme pour les civils, pour les hommes comme pour les femmes, mais ces épreuves sont inégalement partagées. Je mentionnerai d'abord le premier génocide du XX e siècle, celui des Arméniens de l'Empire ottoman, pas encore reconnu comme tel par la Turquie actuelle : un à 1,5 million de victimes, hommes, femmes et enfants.

Les populations des territoires envahis en 1914 (je parle du front occidental), lors des avancées des armées, subissent destructions et exactions (maisons pillées et brûlées, exécutions sommaires, massacres, viols de femmes). Le dessin du magazine français L'illustration qui met en scène « les brutes de l'Est » fait de la propagande en amplifiant et concentrant la cruauté (il rassemble en une image unique toutes les formes d'exaction commises par l'ennemi), mais les enquêtes postérieures dans les ex-régions envahies ont montré que ces phénomènes ont bien existé. Ils jettent sur les routes de l'exode des populations apeurées (Belges et Français du nord de la France, majoritairement des femmes et des enfants comme vous le voyez sur la photographie) qui vont grossir le flot des réfugiés. On l'a oublié car l'exode de la Deuxième Guerre a recouvert le souvenir du premier. Rappelons-le, on pensait alors que les Allemands coupaient les mains des enfants : cette peur est très présente à l'époque.

Parmi les exactions commises par les Allemands en Belgique et dans le nord de la France, les viols de femmes, dont il est difficile de mesurer l'ampleur, ont suscité de nombreuses réactions et une interrogation sur « que faire de l'enfant du viol ? ». Ce dessin très suggestif d'Abel Faivre a connu une large diffusion : le casque à pointe, qui identifie l'Allemand criminel, posé sur la table face à la porte de la chambre à coucher, la petite fille qui pleure devant la porte, le tableau du maître de maison sur le mur. Tout cela se passe en quelque sorte sous les yeux du mari : c'est alors le crime des crimes.

Autres territoires où la population a beaucoup souffert : les zones occupées, qui concernent dix départements, et où résident majoritairement des femmes, des enfants et des vieillards (à l'Ouest, la Belgique et le nord-est de la France). L'occupation se traduit par le pillage des ressources, la terreur administrative (l'« heure allemande », déjà, est en vigueur) et des déportations de travail, y compris de femmes. La population a peur et faim : elle est aussi totalement coupée du reste du pays et les familles n'ont aucune nouvelle de leurs soldats. C'est pour ces combattants isolés que l'on invente les marraines de guerre.

Dans ces territoires occupés, des femmes organisent des réseaux d'évasion et des réseaux de renseignements qui sont démantelés à l'été 1915. Des formes de résistance existent donc alors, mais elles ont été occultées par la Deuxième Guerre.

Édith Cavell, infirmière britannique à la tête d'un hôpital à Bruxelles, membre d'un réseau d'évasion vers la Hollande, est exécutée le 12 octobre 1915. Cette exécution, érigée en symbole de la barbarie allemande, a suscité une grande émotion. Édith Cavell devient une figure internationale de la mobilisation antiallemande. Des représentations de la mort héroïque d'Édith Cavell s'adressent aux hommes des autres pays pour les inciter à s'engager.

Chef d'un réseau de renseignements - autre forme de résistance - la jeune Louise de Bettignies meurt de mauvais traitements dans une forteresse allemande en septembre 1918 ; sa famille fait peindre après sa mort le portrait que vous voyez à partir d'une photo d'avant 1914 et demande au peintre d'accrocher sur une robe blanche les décorations françaises et anglaises reçues à titre posthume par l'héroïne. Louise de Bettignies a eu des funérailles nationales, un monument à Lille lui est dédié. Récemment, ce monument a été restauré et une biographie lui a été consacrée.

Dans les zones à l'arrière des fronts, la guerre se fait moins directement sentir (on n'entend pas le canon, on ne voit pas les troupes ennemies) mais elle fait néanmoins souffrir. Les femmes souffrent d'abord de la séparation et de la solitude, rompue seulement par les quelques permissions qui permettent aux soldats de se reposer et aux familles de se retrouver. Ces permissions sont instituées à partir de juin 1915 à raison d'une semaine tous les quatre mois en principe.

Dans tous les pays bien alphabétisés d'Europe occidentale, la correspondance est quasi journalière et les deux scènes photographiées ici, fréquentes : la femme qui écrit des mots d'amour et des nouvelles de l'arrière, la femme qui lit la lettre, l'assurant, pour un temps du moins, que son mari ou son fils sont encore vivants. Jamais les Françaises et les Français n'ont autant écrit. Des millions de lettres sont échangées chaque jour. On voit les résultats de l'école de la III ème République. Les hommes écrivent des lettres, où ils donnent des conseils de gestion des biens et d'éducation des enfants, où ils expriment également leur amour et, avec les mots de l'époque, le désir sexuel. Leur lecture permet de se représenter le quotidien. Parfois, à la veille d'un combat dont ils pensent ne pas revenir, les hommes écrivent des lettres-testaments à leur femme, à leurs enfants (« prends soin de ta mère, ne m'oublie pas »).

L'épreuve la plus douloureuse est en effet le deuil sur lequel des femmes écrivains ont mis des mots, telle la Française Jane Catulle Mendes qui écrit après la mort de son jeune fils en 1917 : « Impuissance...Rien, rien, je ne peux rien... Il est mort [...]. La plus sublime des causes ne saurait me faire accepter que mon enfant n'existe plus. Personne n'aime la France plus que moi. Mais on n'aime rien au-dessus de l'enfant . » On sent là une tension entre l'amour maternel et le patriotisme.

Dès le début, la guerre tue à large échelle, mais les femmes européennes sont inégales devant la mort ou la disparition de leurs proches, selon les nations (par exemple, dans un petit pays comme la Serbie, un quart des hommes mobilisés meurent au combat ; ils sont 1,8 million en Allemagne, 1,3 million en France, 750 000 au Royaume-Uni et en Italie, 115 000 aux États-Unis), et selon les groupes sociaux : l'infanterie peuplée avant tout de paysans est l'arme la plus meurtrière. On le voit sur nos monuments aux morts, les paysans paient le plus lourd tribut à la guerre : dans certaines familles, tous les hommes ont été tués pendant le conflit. Un autre groupe a été décimé : la jeunesse des grandes écoles. Le monument aux morts de l'École normale supérieure de la rue d'Ulm montre que la moitié de chaque promotion meurt à la guerre.

Autre épreuve pour les femmes, le surmenage, qui touche particulièrement les mères de famille, ajoutant à de longues heures de travail le soin aux enfants. J'ai déjà évoqué celui des ouvrières de guerre dont certaines - des médecins en ont témoigné - sont mortes d'épuisement ou d'une tuberculose contractée à l'usine. Les paysannes doivent aussi fournir un effort parfois surhumain, remplaçant à la fois les hommes mobilisés et les bêtes réquisitionnées par les armées. Cette photographie française de 1917, qui représente trois femmes, dans un champ, attelées comme des bêtes de somme, est immédiatement utilisée par un affichiste canadien qui appelle la population à souscrire à un emprunt de guerre.

J'ai retrouvé récemment, dans les Archives de l'Isère, une lettre adressée par des femmes d'un petit village au préfet lui demandant de leur accorder l'aide de soldats : « épuisement et chagrin continuel », voilà comment elles évoquent leur situation.

Il faut enfin évoquer les pénuries et les restrictions qui touchent très fortement les femmes des Empires centraux soumis au blocus maritime. Réservé en priorité à l'armée, le ravitaillement manque pour les civils des villes qui font la queue pour peu de choses, comme l'écrit une Allemande de Hambourg en février 1917 : « Ici, il n'y a plus rien à brûler, ni à manger, que des choux-raves, plus de pommes de terre et même on commence à rationner les choux-raves. Qu'adviendra-t-il de tout cela ? Il faut que la guerre finisse bientôt . » Se développent alors une économie de subsistance faite de troc, de glanage et de vol et des émeutes de la faim qui affaiblissent l'autorité impériale. La surmortalité due à la malnutrition est évaluée pour l'Allemagne à 700 000, l'hiver 1916-1917 ayant été le plus difficile. En France et au Royaume-Uni par contre, le rationnement est tardif et limité et les femmes sont seulement invitées à économiser, à réserver vin et tabac aux soldats, et à rationaliser l'usage des ressources. On popularise alors des recettes qui permettent de réserver certaines denrées aux Poilus. On peut sourire du rationnement de 300 grammes de pain par jour décrété début 1918, et la jeune fille à la jupe tricolore et au bonnet phrygien peut sur cette image humoristique s'exclamer : « Qu'importe ! J'aurai la taille plus fine ... ». Une telle représentation aurait été inconcevable en Allemagne car on y souffre de la faim. En revanche, à l'arrière, on manque de combustible. À Paris, la police doit empêcher la population de prendre les pavés - ils sont alors en bois - pour se chauffer. On constate en France une sur-morbidité liée notamment au froid.

J'en ai terminé avec cette partie. Je me tiens à votre disposition pour un temps d'échange sur ce thème.

Laurence Cohen . - Merci pour votre exposé. Je voudrais insister sur le paradoxe qui a vu les femmes occuper une place très importante dans la société pendant la Première Guerre mondiale, gagner une certaine émancipation, mais sans pouvoir conquérir le droit de vote à l'issue du conflit, contrairement à leurs voisines européennes. Il faudra encore attendre longtemps ! On observe finalement que, malgré leur implication, l'autonomie qu'elles ont pu acquérir n'est pas consolidée après la guerre, loin s'en faut. Je voulais souligner cette contradiction.

Frédérique Puissat . - J'ai eu l'occasion de visiter de nombreux monuments aux morts dans mon département - l'Isère -, mais je n'y ai jamais vu inscrit le moindre nom de femmes. Existe-t-il, en France, des monuments aux morts rendant hommage au rôle des femmes pendant la Grande Guerre ?

Marc Laménie . - Merci pour votre travail de recherche et d'investigation qui nous éclaire beaucoup et nous permet de mesurer le rôle primordial qu'ont joué les femmes pendant la Grande Guerre. C'est pourtant un thème qui me semble trop peu abordé quand on évoque cet épisode de notre histoire, notamment au niveau local. Pour ma part, je suis élu des Ardennes.

La Mission du Centenaire sur la guerre de 1914-1918 porte des initiatives locales relayées par des associations patriotiques et de mémoire. Je ne suis pas certain que la place des femmes dans la guerre soit un thème fréquemment évoqué. Qu'en pensez-vous ?

Franck Menonville . - Je suis sénateur de la Meuse et je voudrais citer mon prédécesseur Rémi Herment, ancien sénateur centriste, qui a lancé il y a quelques années une souscription pour ériger à Verdun un monument en l'honneur des agricultrices, pour rendre hommage au lourd tribut qu'elles ont acquitté pendant la Grande Guerre, à travers leur soutien à la production agricole du pays.

Cette démarche répondait au manque de reconnaissance de la Nation envers l'engagement des femmes dans la Première Guerre mondiale. Puisque nous fêtons cette année le centenaire de la fin de la Grande Guerre, je vous invite à venir voir ce monument dans mon département.

Annick Billon, présidente . - Nous prenons bonne note de votre invitation, cher collègue.

Laurence Rossignol . - Merci pour votre exposé très riche qui témoigne du travail de toute une vie pour identifier le rôle et la place des femmes dans notre histoire.

On attribue souvent à Pétain l'institutionnalisation des bordels militaires de campagne (BMC), au front, pendant la guerre de 1914-1918, et j'aurais souhaité savoir si c'est bien lui qui est à l'origine de ces structures. Du reste, il semblerait que ces bordels n'étaient pas exempts d'une idéologie raciste, puisqu'il était interdit aux indigènes de recourir aux mêmes prostituées que les soldats Français.

En outre, je trouve que la figure de l'espionne Mata Hari est assez illustrative des stéréotypes de l'époque sur les femmes. On la décrit comme une « cocotte » manipulatrice et elle est restée dans les représentations collectives comme étant la duplicité faite femme.

Martine Filleul . - Merci beaucoup pour votre présentation, aussi riche qu'intéressante. Nous savons malheureusement que la Première Guerre mondiale fut une occasion ratée pour les Françaises d'obtenir le droit de vote. Pour autant, l'autonomie que les femmes ont pu gagner pendant cette guerre a-t-elle permis de structurer les mouvements féministes pour porter leurs revendications à l'issue de la guerre ?

Françoise Thébaud . - Je vous remercie pour vos questions qui témoignent de l'intérêt que vous portez à ce sujet. Si vous le voulez bien, je traiterai dans la dernière partie de mon propos l'émancipation et le féminisme.

S'il existe des représentations de femmes sous forme d'allégorie, telle la victoire, sur certains monuments aux morts - on trouve aussi des statues de femmes portant le soldat -, il n'y figure que des noms masculins, ceux des soldats tombés au combat. Les femmes ne sont pas considérées comme des soldats. En revanche, on peut trouver le nom d'infirmières mortes pendant la Première Guerre mondiale sur les monuments érigés dans certains hôpitaux, par exemple à Carpentras.

Il me semble que la Mission du Centenaire s'empare peu à peu de la question du rôle décisif des femmes dans la Première Guerre mondiale, alors qu'elle était peu mise en valeur au début du centenaire. Je la trouve aujourd'hui bien mieux prise en compte, notamment par des associations ou des médiathèques. La Mission du Centenaire m'avait d'ailleurs demandé une contribution écrite sur le sujet.

J'ai eu l'occasion de me rendre à Verdun il y a à peine quinze jours, dans le cadre d'une journée d'étude dédiée à Colette dans la guerre, et j'ai pu admirer le monument aux agricultrices que citait Monsieur Menonville, dont j'ai cherché la date (2016). J'ai cependant été un peu surprise par l'appellation de « femmes des territoires », qui renvoie à un vocabulaire contemporain. Il serait plus juste de parler des paysannes. Il n'en demeure pas moins que ce monument, financé notamment par des associations du Mérite agricole, est une excellente initiative. Peut-être y en aura-t-il d'autres. Je voudrais signaler également la récente mise en valeur du monument à Louise de Bettignies, à Lille.

S'agissant des bordels militaires de campagne, je ne suis pas certaine qu'ils aient été créés à l'initiative de Pétain, c'est un point que je vérifierai. Il me semble que c'est plus tardif. C'est l'historien Jean-Yves Le Naour, auteur de Misères et tourments de la chair - Les moeurs sexuelles des Français, 1914-1918 le grand spécialiste de ces questions.

En tout état de cause, la sexualité des hommes et des femmes pendant la guerre devient vite une préoccupation politique : comment éviter l'infidélité des femmes, qui pourrait affecter le moral des soldats ? On entend ainsi des discours patriotiques autour de la fidélité. C'est un point qui est évoqué dans Les Gardiennes , le roman d'Ernest Pérochon paru en 1924, récemment adapté au cinéma par Xavier Beauvois.

Ainsi, la question de la fidélité est très surveillée : les femmes infidèles sont mises au pilori, il y a des articles de journaux, des lettres de dénonciation dans les commissariats...

L'absence de permission - ou leur faible fréquence - a contribué à l'instauration des BMC. Là encore, on finira par instaurer cette sexualité contrôlée et tarifée, avec pour préoccupation le moral des soldats. Il existe beaucoup de sources sur la prostitution clandestine à Paris pendant la guerre. La France est alors un pays réglementariste, qui a peur des prostituées et qui veut les surveiller médicalement, par crainte des risques liés aux maladies vénériennes, qu'on ne sait pas soigner, en l'absence des antibiotiques. Par ailleurs, en cas de maladie, il faut soigner le soldat, avec des conséquences sur le nombre de combattants disponibles, et à terme, on craint que sa descendance ne soit affectée par les maladies vénériennes... Il faut se souvenir que ces maladies, de même que la tuberculose, étaient très redoutées jusqu'à la Seconde Guerre mondiale.

Votre remarque sur le racisme sous-jacent à l'instauration des bordels militaires de campagne est juste. N'oublions pas que l'anthropologie d'alors se réfère à une hiérarchie des races. On applique la même logique à la sexualité des soldats.

Laure Darcos . - A-t-on observé beaucoup de relations sexuelles entre les femmes de l'arrière et les soldats allemands pendant la Grande Guerre, comme ce fut le cas pendant la Seconde Guerre mondiale, avec pour conséquence la naissance d'enfants issus de l'ennemi ?

Françoise Thébaud . - Cette question est encore très peu étudiée à ce jour, et cela ne concernerait que les zones occupées. On sait néanmoins qu'il y a eu quelques femmes tondues dans les départements occupés à l'issue de la Première Guerre mondiale.

De façon plus générale, la problématique de la fidélité des femmes dans les zones occupées transparaît dans certains romans de guerre. Je pense au Feu de Barbusse. Il me semble qu'il y a des scènes où le soldat craint cette infidélité. En effet, les officiers allemands logeaient chez les familles...

J'en viens à mon troisième thème : engagements, entre patriotisme, pacifisme et contestations sociales.

Des femmes, les sociétés en guerre attendent des formes particulières de patriotisme et le disent en discours et en images. Les femmes doivent donner leurs fils à la patrie (sur cette carte postale allemande, on lit : « Patrie, tu demandes beaucoup »), insuffler du courage aux hommes et les encourager à partir au combat, notamment au Royaume-Uni où les soldats sont des engagés volontaires jusqu'en 1916 (sur le poster anglais, il est écrit : « Les femmes de Grande Bretagne disent : vas-y ! »).

Les femmes doivent aussi rester fidèles à leurs maris - les États tentent d'ailleurs de contrôler les sexualités - et donner leurs économies pour la guerre, en souscrivant aux emprunts nationaux : les deux affiches présentées sont de style différent, la française marquée, là-encore, de pronatalisme avec une représentation de mère allaitante en bas à droite et un commentaire explicite : « Pour la France qui combat, pour celle qui chaque jour grandit ».

Pour les femmes, le patriotisme au quotidien est de tenir, de faire son travail, de soulager les misères de la guerre. Certaines, critiquées par les plus lucides, font de mauvais vers patriotiques qui exaltent la souffrance ou, en France, traquent les germanismes de la langue, militant pour que le berger allemand (une race de chien) devienne russe, pour que l'eau de Cologne soit rebaptisée eau de Louvain (ville belge).

Le cas des féministes mérite d'amples explications. Chez tous les belligérants, elles sont particulièrement patriotes et actives, du moins dans leur très grande majorité. Avant 1914, existait en Europe et aux États-Unis un mouvement féministe organisé à l'échelle nationale et internationale. Le Conseil international des femmes , l' Alliance internationale pour le suffrage des femmes et l' Union française pour le suffrage des femmes font partie de ce mouvement associatif.

La principale revendication du mouvement féministe était alors le droit de vote pour les femmes, avec des figures célèbres comme la suffragette anglaise Emmeline Pankhurst. Un groupe des droits des femmes s'était ainsi constitué à la Chambre des députés. Avant la guerre, beaucoup avaient l'espoir de voter bientôt, aux élections municipales de 1916.

Dans les congrès internationaux, les militantes avaient proclamé leur attachement à la paix. Mais à la déclaration des guerres, les féministes européennes suspendent leurs revendications - « nous n'avons plus de droits, que des devoirs ». Elles suspendent également leur internationalisme d'avant-guerre. Comme l'écrit la Française Jane Misme : « Tant qu'il y aura la guerre, les femmes de l'ennemi seront aussi l'ennemi », sous-entendu : elles ne sont plus nos soeurs de combat. Partout, elles se veulent des « semeuses de courage » et la force morale de leur pays. Partout, habituées des correspondances internationales, elles jouent un rôle de « fourmi diplomatique », pour faire basculer les pays neutres dans le camp de leur pays. Les Françaises écrivent ainsi aux Américaines et aux Italiennes et essaient de les convaincre de militer pour que leur gouvernement s'engage. Elles veulent aussi éviter une paix prématurée qui serait à l'avantage de l'Allemagne. De fait, l'Italie s'engage en 1915 aux côtés de la France. L'action des femmes a peut-être joué un certain rôle.

Faut-il parler de reniement du féminisme ? L'exemple français apporte une réponse négative. D'une part, les féministes valorisent le rôle des femmes pendant la guerre, soulignant qu'elles font ainsi la preuve de leurs compétences et qu'elles méritent des droits : la couverture du magazine féministe La Vie féminine le dit clairement en comparant le travail de la petite modiste d'avant-guerre et celui de la forte ouvrière de guerre. D'autre part, elles défendent tout au long de la guerre les travailleuses les plus exploitées et demandent une amélioration de leurs conditions de travail. À cet égard, des cours de gymnastique sont mis en place chez Citroën, et la direction s'étonne que ces séances n'aient pas plus de succès. C'est qu'après une journée de travail, les ouvrières n'ont pas de temps pour le sport...

Enfin, les féministes reprennent leurs revendications, celle du suffrage notamment, à partir de 1917.

Laurence Rossignol . - Cette date signifie-t-elle qu'il y aurait un lien entre les mutineries et ce regain des revendications suffragistes ?

Françoise Thébaud . - L'idée est peut-être plutôt que la guerre ne peut durer éternellement, comme le suggère l'engagement en Europe des Américains. L'objectif est aussi, dès lors, de préparer l'après-guerre.

Patriotisme au féminin mais aussi pacifisme au féminin, issu de deux courants. En mars 1915 se réunit à Berne, sous l'égide de l'Allemande Clara Zetkin (1857-1933) que vous voyez sur la photo aux côtés de Rosa Luxembourg, une conférence internationale des femmes socialistes. Elle réunit des femmes socialistes de la minorité pacifiste et appelle à une paix immédiate, ce qui vaut à Clara Zetkin de passer une partie de la guerre en prison. Par ailleurs, à l'appel de féministes des États neutres se réunit à La Haye, en avril 1915, un Congrès international pour une paix future et permanente. Il rassemble plus de 900 femmes, dont certaines venues des pays en guerre appartenant aux minorités pacifistes hostiles aux Unions sacrées. Il se met d'accord, bien avant les quatorze points du Président Wilson, sur un programme d'arbitrage obligatoire et de respect de nationalités, mais demande aussi une éducation pacifiste des enfants et le droit de vote pour les femmes, car la guerre est vue par ces militantes comme une entreprise masculine. De ce congrès est issue la Ligue internationale des femmes pour la paix et la liberté qui existe toujours. Vous voyez ici l'affiche de son troisième congrès. L'idée est que, pour la paix, il faut donner le droit de vote aux femmes. On rejoint sur ce point une utopie suffragiste : si les femmes votent, il n'y aura plus de guerre.

Quelques mots, pour finir ce thème de l'engagement, à propos des contestations sociales. Toutes les sociétés en guerre, très surveillées par la police et les autorités militaires, manifestent au début une grande cohésion sociale et la grève y est impossible. Des femmes sont les premières à la rompre par des manifestations de ménagères protestant contre les pénuries (en Allemagne notamment), mais aussi par des grèves à motif salarial car l'inflation, phénomène nouveau, réduit le pouvoir d'achat. Le printemps et l'automne 1917 sont agités en France et en Allemagne, tandis que les protestations prennent un tour plus pacifiste en 1918. Des femmes sont arrêtées pour avoir participé à ces grèves.

Quatrième et dernier thème : les effets de la guerre sur les trajectoires individuelles et sur la place des femmes dans la société.

C'est une question difficile à traiter en peu de temps et beaucoup débattue entre historiens. La réponse ne peut qu'être nuancée. En France, au Royaume-Uni, en Allemagne notamment, on s'est demandé si la Grande Guerre avait émancipé les femmes. Deux arguments plaidaient en ce sens. D'une part, le phénomène des « garçonnes » des années vingt qui se coupent les cheveux et raccourcissent leurs jupes : cette mode capillaire et vestimentaire, qui libère les corps, touche toutes les classes sociales urbaines, pas seulement un petit milieu artiste ou homosexuel. L'allure est la même, sur ces photographies, pour l'actrice et la vendeuse. Quant à Susan Lenglen, même si elle est beaucoup plus habillée que les tenniswomen d'aujourd'hui, ce vêtement aurait été inconcevable avant la guerre.

D'autre part, l'obtention ici et là du droit de vote à l'issue du conflit : fin 1918 en Autriche, Allemagne, Hongrie, Royaume-Uni, en 1920 en Belgique et aux USA. Mais des femmes d'États non belligérants l'obtiennent également, contrairement aux Italiennes et aux Françaises. Sur cette carte de 1932, établie en France à des fins de plaidoyer suffragiste, les pays où les femmes ne votent pas sont coloriés en noir : malgré ce qu'espéraient les auteures, le parallèle entre la France et les Balkans perçus à l'époque comme arriérés, qui figurent également en noir sur ce schéma, ne fait aucun effet sur ceux qui, en France, bloquent l'accès des femmes à la citoyenneté.

Quant au cas britannique, il est intéressant : les femmes peuvent voter, certes, mais pas avant l'âge de trente ans. L'idée est de compenser le nombre de morts au combat et on fait attention à ne pas trop féminiser le corps électoral. Une nouvelle mobilisation des féministes est nécessaire pour que soit aligné en 1928 l'âge d'accès à la citoyenneté politique des hommes et des femmes.

En Belgique, les femmes obtiennent le droit de vote, mais seulement aux municipales. Aux législatives, seules peuvent voter les veuves de guerre : c'est le « suffrage des morts ». La voix du soldat s'exprime par le suffrage de sa veuve. L'écrivain Maurice Barrès l'avait d'ailleurs prôné pour la France.

Mais comme je l'ai déjà souligné, la guerre est avant tout épreuves, notamment dans les territoires envahis et occupés, où sont commises de nombreuses atrocités, dont certaines spécifiquement envers les femmes.

Pour les femmes des vastes arrières, l'émancipation doit aussi être largement nuancée :

- George Mosse a parlé à propos de l'Allemagne d'après-guerre, pays vaincu, de « brutalisation » de la société : ce phénomène est présent aussi dans les pays mécontents des traités de paix, comme l'Italie qui bascule dans le fascisme, et même en France. La guerre qui s'appuie sur la force reste dans les têtes et dans certaines pratiques politiques, atmosphère peu favorable à l'acquisition de droits par les femmes ;

- par ailleurs, toutes les sociétés, même celle des pays vainqueurs, sont marquées par le deuil et la dette des survivants envers ceux qui sont morts. Ils se couvrent de monuments aux morts et rappellent chaque année lors de cérémonies publiques le sacrifice des hommes ; là encore, l'atmosphère de deuil n'est pas favorable aux bouleversements des relations entre les hommes et les femmes. Quant aux centaines de milliers de veuves que compte chaque pays (il y en a 600 000 en France), représentées sur la gravure de l'artiste allemande Käthe Kollwitz (elle a un musée à Berlin), elles vont tenter de survivre et d'élever leurs enfants, parfois de se remarier - mais selon la loi française elles perdent alors leur pension de veuve ;

- regroupés dans des associations, les anciens combattants, étudiés par l'historien Antoine Prost, veulent exercer un magistère moral sur les civils et sur les femmes en particulier, qu'ils entendent retrouver à leur place traditionnelle. On peut parler d'aspiration collective à un retour à la normale comme le montre bien cette affiche d'emprunt pour la reconstruction (l'« emprunt pour la paix ») : hommes bâtisseurs, femmes mères et allaitantes ;

- le retour des soldats dans les familles ne se passe pas toujours bien. Traumatisés par la guerre, parfois mutilés ou gueules cassées, les hommes sont, pour certains, amers, coléreux, dépressifs ; ils rendent parfois la vie familiale difficile et malheureuse, comme l'ont écrit certaines femmes en répondant à des enquêtes de journaux féminins. Une Française âgée, que j'avais interrogée dans les années 1980, m'avait dit cette phrase terrible : « Je leur ai donné un mouton, ils m'ont rendu un lion, et ma vie conjugale a été un enfer ». Certaines femmes demandent qu'on prenne leurs enfants aux Orphelins d'Auteuil , car l'entente n'est pas bonne entre le père et ses enfants. Il y a souvent des drames familiaux ; s'ils ont longtemps été enfouis dans le silence des familles, ce thème commence à émerger.

Laurence Rossignol . - On peut dire, en quelque sorte, que le couple devient précaire avec la guerre.

Françoise Thébaud . - Oui, nous pourrions dire cela avec nos mots d'aujourd'hui.

Mais il faut de nouveau nuancer en sens inverse. La guerre a parfois renforcé et modernisé l'amour conjugal. Des femmes qui ont assumé des responsabilités et des tâches nouvelles ont découvert, comme elles l'ont écrit, leur « personnalité » et veulent désormais avoir droit au chapitre. Il y a eu des « renégociations de couple ». La mort massive des hommes a laissé vides des postes de travail et offert des opportunités professionnelles aux femmes, même si on les appelle à rentrer au foyer et, en France notamment, à faire des enfants. La guerre inaugure une féminisation du secteur tertiaire qui s'accentue tout au long du XX e siècle. Enfin, si la guerre a un caractère émancipateur pour les femmes, c'est surtout pour les jeunes filles des classes bourgeoises qui ont vécu plus libres, loin du contrôle paternel, se sont engagées comme infirmières ou ont commencé des études pour avoir un métier. Alors que le destin des jeunes bourgeoises avant 1914 était de devenir des maîtresses de maison, la guerre a infléchi leurs trajectoires individuelles. C'est vrai aussi des jeunes filles des années 1920, car les fortunes bourgeoises paraissent plus précaires après la guerre. Née en 1908, Simone de Beauvoir était encore enfant pendant les années de conflit mais son père, très traditionnel, a connu comme d'autres des revers de fortune : malgré ses convictions, il pousse ses deux filles à faire des études et à avoir un métier ; Simone de Beauvoir allait devenir la philosophe, l'écrivaine et la militante bien connue...

Vous le voyez, les effets de la guerre sont divers selon les femmes, comme l'ont été leurs expériences de guerre. Je vous remercie de votre attention.

Annick Billon, présidente . - Il nous reste à vous remercier encore pour votre présentation passionnante et exhaustive.

Vous l'avez dit, les hommes souhaitent un retour à la normale après la guerre, mais cela n'empêche pas des situations familiales compliquées et difficiles, les femmes ayant parfois du mal à l'accepter.

Ainsi, a-t-on observé davantage de séparations après la guerre ?

Que sont devenus les enfants issus des viols ou des relations extra-conjugales ?

Marie-Thérèse Bruguière . - Je vous remercie pour votre exposé qui fait écho aux difficultés vécues par ma propre famille. À l'époque, le père était parti au front et on lui avait caché la mort de deux de ses enfants, disparus dans un accident dramatique. Alors qu'ils jouaient dehors, ils avaient trouvé un obus qui leur a éclaté dans les mains. De fait, quand il est rentré de la guerre, ce père de famille n'a pas retrouvé ce qu'il avait laissé en partant, et cette perte, qu'on lui avait cachée, suscita des réactions terribles. Pour reprendre votre citation, il est lui aussi devenu un « lion ».

Annick Billon, présidente . - Merci pour ce témoignage personnel, chère collègue.

Je renouvelle mes remerciements à Françoise Thébaud. Cette matinée particulièrement riche augure très bien des débats que nous aurons au cours de notre colloque du 18 octobre. Je rappelle à mes collègues que le livre de Mme Thébaud, Les femmes dans la guerre de 14, constitue notre référence pour la préparation de cet événement.

Pourriez-vous nous donner quelques éléments sur le thème des enfants issus des viols et sur les divorces ?

Françoise Thébaud . - Effectivement, les divorces ont augmenté après la guerre, notamment en 1920-1921, souvent à l'initiative des hommes d'ailleurs, alors que c'était plutôt l'inverse avant. Les hommes sont souvent déboussolés par l'expérience de la guerre et par les changements qui se sont produits en leur absence dans leur foyer. Ils ne retrouvent pas la femme qu'ils ont quittée en 1914.

La question des enfants issus des viols concerne d'abord les territoires occupés et se pose au printemps 1915, quand sont nés les enfants issus des viols commis pendant l'invasion allemande à l'été 1914. Que faire de ces enfants ? Cette interrogation a suscité bien des débats chez les médecins, les curés et les féministes. Il n'y a pas de réponse homogène, mais on retrouve deux réponses extrêmes, qui peuvent transcender les clivages traditionnels. Pour certains, ce sont des « vipéreaux » qu'il faut éliminer, d'affreux petits Allemands en puissance. Pour d'autres, on pourra en faire de bons petits Français grâce à l'éducation. On en revient au débat de l'époque entre nature et culture, inné et acquis. Qu'est-ce qui est transmis ? Est-ce le sang allemand qui va couler dans leurs veines ou bien l'éducation qui en fera des personnes assimilables par la France ?

Ce sont des échanges souvent très violents. Les hommes politiques doivent pourtant statuer. Que fait finalement la France ? Elle adopte une position « moyenne ». À l'époque, l'avortement est un crime ; il ne sera correctionnalisé qu'en 1923, pour mieux le réprimer d'ailleurs. Certaines femmes qui ont tué leurs nouveau-nés sont acquittées, alors que l'infanticide est très poursuivi en temps normal. La presse patriotique présente ces femmes comme des héroïnes qui ont tué des Allemands ! On facilite l'abandon à l'Assistance publique si les femmes le souhaitent et l'accouchement sous X, anonyme, pour répondre à ces situations douloureuses.

On ne connaît ni le nombre de viols, ni le nombre de celles qui ont avorté, tué leurs bébés ou les ont abandonnés. Les historiens manquent de statistiques sur ce point, pour ce qui concerne la Première Guerre, mais il est certain qu'il y eut de nombreux drames. Pendant la Seconde Guerre mondiale, on évalue le nombre d'enfants issus de couples franco-allemands à 100 000, avec des vies d'enfants également difficiles dans les familles marquées par la mémoire des deux guerres.

Pourquoi les Françaises n'ont pas obtenu le droit de vote en 1919 ? Durant l'entre-deux-guerres, la Chambre des députés adoptera à cinq reprises un texte de loi en ce sens, mais pas le Sénat, qui bloque le vote des femmes. Il est intéressant à cet égard de se reporter aux débats parlementaires de l'époque.

Les partisans du droit de vote pour les femmes mettent en avant le rôle des femmes dans la guerre, l'égalité de tous les individus, les exemples des pays étrangers.

Les opposants invoquent pour leur part la « nature féminine » vouée à la maternité, et un éditorial de La Dépêche du midi , grand journal radical, écrit en 1927 que « le sexe du cerveau des femmes n'est pas fait pour l'arène politique ». C'est l'argument naturaliste sur les capacités intellectuelles et physiques des femmes, qui seraient inférieures à celles des hommes.

L'argument le plus fort au sein du Sénat émane du parti radical laïciste, qui met en garde contre le danger que représenterait le vote des femmes pour la République, au motif que les femmes seraient influencées par les curés.

Laurence Cohen . - Je rappelle toujours, lorsqu'on évoque la conquête du droit de vote par les Françaises, l'initiative du parti communiste, qui, pour forcer les choses, avait présenté des candidates aux élections municipales de 1925. Or elles ont été élues, alors qu'elles n'étaient pas éligibles. Leur élection fut invalidée par les préfets, sans que cela ne suscite aucune réaction. C'est dire les résistances qui imprégnaient alors la société ! Il faudra encore attendre vingt ans, et les mêmes arguments seront alors invoqués pour refuser le droit de vote aux femmes.

Annick Billon, présidente . - Notre audition s'achève. Je réitère tous mes remerciements à Françoise Thébaud pour sa disponibilité et la richesse de son exposé, dont nous avons beaucoup apprécié, également, les illustrations à travers des images de l'époque.

PRÉSENTATION DES DESSINS D'ENFANTS ISSUS DES COLLECTIONS
DU MUSÉE DE MONTMARTRE RÉALISÉS PENDANT LA GUERRE PAR DES ÉCOLIERS DU XVIIIE ARRONDISSEMENT DE PARIS - REPRODUCTIONS DES DESSINS PROJETÉS PENDANT LE COLLOQUE

La délégation aux droits des femmes a souhaité mettre en lumière, à l'occasion de ce colloque, les remarquables collections de dessins d'enfants de l'époque de la guerre constituées par la Société d'histoire et d'archéologie Le Vieux Montmartre et conservées par le musée de Montmartre 149 ( * ) .

Ce fonds unique résulte de l'initiative d'un instituteur, M. Hutpin, qui fut aussi secrétaire de cette société savante, et qui pendant la Première Guerre demanda aux élèves des écoles de la rue Lepic et de la rue Sainte-Isaure, dans le XVIII e arrondissement de Paris, d'illustrer par leurs dessins l'actualité de la guerre et leur quotidien de petits Parisiens.

Entre 1914 et 1918, plusieurs centaines de dessins furent ainsi produits par ces élèves - des garçons, âgés de 8 à 13 ans. Ces quelque 1 300 dessins, parfaitement conservés, nous livrent une inestimable chronique de la guerre vue par des enfants de ce quartier de Paris 150 ( * ) .

Tous les aspects de la guerre sont abordés par les jeunes dessinateurs : les difficultés du ravitaillement, le quotidien des combattants et de leurs familles, les permissions, la souffrance des populations vivant sous le joug de l'occupant...

Le travail des femmes est pour eux une source d'inspiration régulière et occupe une place importante dans ces collections. Les dessins esquissent l'émergence d'une société différente, où la « factrice » ( sic ) remplace le facteur mobilisé, où l'agriculture est devenue une affaire de femmes, de même que la fabrication des obus, et où apparaît un nouveau métier : celui de « coltineuse » (ou porte-faix).

Dans un autre registre, les dessinateurs représentent des héroïnes de la guerre - combattantes roumaines et russes, sans oublier l'Anglaise Édith Cavell 151 ( * ) .

La délégation aux droits des femmes du Sénat remercie l'association Le Vieux Montmartre de l'avoir autorisée à illustrer par ces dessins différentes séquences du colloque Les Femmes pendant la Grande Guerre . Ces projections ont été conçues comme le fil conducteur de cette journée .

Reproductions des dessins projetés pendant le colloque

La sélection reproduite ci-après rassemble les dessins projetés au cours du colloque, soit pour illustrer certaines séquences, soit au cours des pauses. Les légendes reprennent celles de jeunes artistes. Les dates sont indiquées lorsqu'elles figurent sur les dessins.

Les travaux des champs
« Autrefois » et « Aujourd'hui »
(10 décembre 1916)

« Un nouveau métier de femmes :
les coltineuses »
(15 juillet 1917)

« Les femmes se mettent à tout.
Femme devant la compagnie des omnibus rue Championnet conduisant
un camion d'obus »

« Les divers métiers de la femme
pendant la guerre »
(14 juillet 1917 )

« Femmes travaillant fortement à faire des obus pour nos soldats »
(16 décembre 1917)

« Les femmes des mobilisés quittent leur travail habituel pour fabriquer des obus
et des armes dans les usines »
(15 décembre 1917)

« Le cortège des grévistes dans les rues de Montmartre »
(27 mai 1917)

« Les employées de la Société Générale manifestant pour avoir l'indemnité
de cherté de vie »
(25 mai 1917)

« La grève des midinettes »
(14 mai 1917)

« Pour ceux qui ont souffert de la guerre l'ouverture de la boucherie populaire Eco
où les gens pauvres trouvent de la viande
à bon marché.
Ouverture le 3 octobre 1916.
Rue Ramey et rue F. Flocon »

« Gens faisant la queue pour avoir du charbon (rue Ramey) - chez Bernot »

« Rue Championnet. La crise du lait »
(3 décembre 1916)

« Le vaguemestre apporte les lettres de leurs femmes aux poilus du front » - « La femme d'un poilu travaille à sa place aux champs »
« La femme d'un second poilu travaille avec l'aiguille » - « Enfin une autre à l'atelier »
(11 juillet 1916)

« Factrice. Elle est la remplaçante
du facteur mobilisé »
« Au travail »
(19 juin 1917)

« Épouse écrivant à son mari »
Poilu recevant sa lettre tant attendue »
(28 mai 1917)

« Le colis des braves »

« Ma femme voudrait que je lui écrive
tous les jours, maintenant avec la nouvelle taxe 2 timbres tous les 5 jours cela sera
une excuse » (juillet 2017)

« À la gare de l'Est - Arrivée d'un permissionnaire »

« L'envahisseur persécute
les populations du Nord »
« Au camp de concentration»
(20 décembre 1916)

« Souvenir d'un petit réfugié.
Ce que j'ai vu à Feignies (Nord). Patrouille allemande dans les pays envahis »

« Une réfugiée raconte à une Parisienne les péripéties de son voyage
(dans un nuage, elle voit les atrocités que les Boches ont faites à Lille,
son pays natal) » - 1916

« 400 Rémois arrivent à Paris
le 9 avril 1917 »

« Réfugiés »

« La Roumanie reste fidèle aux Alliés
L'Armistice Russo-Allemand »

« Les femmes russes.
Nous aussi, nous défendrons notre pays »
(19 juillet 1917)

« Une infirmière »

« Miss Cavell faisant évader des soldats alliés »
(5 décembre 1915)

COMMENTAIRES DES oeUVRES DES PEINTRES LUCIEN SIMON ET MAURICE DENIS
CITÉES PAR FRANÇOISE THÉBAUD PENDANT LA PREMIÈRE SÉQUENCE DU COLLOQUE

(Escalier Est, deuxième étage du Palais du Luxembourg)

Le 28 février 1929 a lieu au Sénat la cérémonie d'inauguration de « travaux d'aménagement et d'embellissement du Palais du Luxembourg, notamment au second étage », qui ont permis d'installer « des salles modernes à l'usage des grandes commissions parlementaires » dans des locaux « où vécut Anatole France, bibliothécaire du Sénat » 152 ( * ) . Le palier du deuxième étage de l'escalier Est du Palais du Luxembourg, qui conduit à ces nouvelles salles, est décoré par le peintre Lucien Simon (1861-1945).

Les peintures de Lucien Simon, dédiées au retour à la paix , ont pour titre Pax in virtute tua (Que la paix soit dans tes murs) , Pacis alumna Ceres 153 ( * ) et Pax genitrix 154 ( * ) .

Lors de cette cérémonie, qui se déroule en présence de Gaston Doumergue, président de la République et ancien président du Sénat, le sénateur Joseph Monsservin (1864-1944), questeur 155 ( * ) , prononce un discours qui permet de mieux comprendre la signification de ces peintures pour les contemporains, à une époque qui valorise la maternité et la famille, après la période de la guerre pendant laquelle les femmes ont été conduites à exercer des fonctions jusqu'alors réservées aux hommes. Ce discours et l'organisation de la cérémonie donnèrent lieu à la publication d'un recueil illustré, conservé par la Bibliothèque du Sénat 156 ( * ) .

(c)Bibliothèque du Sénat.

Pax in virtute tua (Que la paix soit dans tes murs)

« Réunir sur une même toile les dernières convulsions de la guerre et la première heure de la paix était chose difficile. Lucien Simon a su donner à ce sujet, toute l'ampleur, toute la vigueur qu'il comporte.

« Dans un cortège de nuages livides, aux formes monstrueuses, Bellone 157 ( * ) s'enfonce dans le couchant sinistre. À travers le morne champ de bataille, les survivants se regroupent, les batteries se reforment et nos fantassins, derrière le chef qui remet l'épée libératrice au fourreau, abandonnent enfin la tranchée de mort.

« Qui ne mettrait un nom sur chacune de ces physionomies si expressives, un souvenir sur chacun de ces gestes si vrais ?

« Peu nombreux, hélas, ceux qui vont revoir leur clocher. Dans le fouillis des fils de fer, à côté des arbres squelettiques, on devine les croix de bois ; c'est à leurs morts maintenant qu'est confiée la garde de la Terre sacrée.

« Pax in virtute tua , avez-vous justement appelé cette fresque. C'est bien, en effet, à la vertu de tous ces héros qu'est due la libération.

« Virtus , au sens antique le plus large, c'est le courage, l'abnégation, la discipline et aussi l'organisation et la puissance des armes qui furent les facteurs de la Victoire.

« Au milieu des tempêtes qui submergent les humanités, les peuples prudents sur lesquels ont si souvent déferlé les vagues d'un déluge d'acier, doivent conserver leur arche tutélaire, pour que puisse s'y perpétuer, à l'abri du vautour, la colombe qui porte le rameau propice d'olivier éternellement pacificateur et fécond.

« L'art du peintre, il n'est pas seulement dans l'artifice des reliefs, ni dans la magie des couleurs, il est avant tout dans l'action même du sujet. Un tableau doit avoir une âme. Elle seule peut nous apporter ou l'émotion ou l'enthousiasme ou la lumière d'une leçon.

« Mais les clairons qui rythment la marche victorieuse ont déjà disparu sous les portiques. La guerre est bien morte. Gloire et repos au soldat, place au Semeur !... »

(c) Photographes du Sénat

Pacis alumna Ceres :

« Le Semeur... C'est l'Avril : le renouveau a posé sur les sombres aiguilles des genêts son premier essaim de papillons d'or ; au loin les bourgeons des fruitiers rougeoient entre deux bandes de tendre verdure ; tout renaît, et déjà la ferme démolie par les obus se relève sous la main des vaillants tâcherons villageois. À l'aise et heureux dans sa capote, vieille amie des jours mauvais, le soldat laboureur tient en mains la charrue. Avant d'entrouvrir la glèbe, il se retourne vers la femme et les gosses, et j'ai entendu ce qu'il leur disait à ceux-là qui ont le regard grave et doux de ceux qui ont beaucoup souffert, qui ont connu les tragiques séparations et qui se tiennent encore craintivement serrés, les uns contre les autres, comme sous l'emprise du cauchemar qu'ils viennent de vivre. Ne repartira-t-il pas, ce père vaillant et aimé ? Sème-t-il bien pour eux ? Et lui, répond à leur muette interrogation : ?N'ayez plus de peur, je suis là, et c'est pour vous que je travaille !?

« Mais déjà le petit aîné, emporté par son ardeur, s'efforce d'entraîner le cheval, qui raidit ses muscles pour que le soc fende le sillon. Vaillant petit, il a mis sur sa mignonne tête le casque paternel. Fierté sans doute, mais aussi geste, que dans le plus profond de son subconscient, lui a inspiré l'atavisme d'une race qui, tant de fois au cours des siècles, lutta pour sa terre et ses foyers. Au regard craintif de sa mère, il a répondu dans son coeur : ?Et s'ils reviennent, moi, je serai là !? ».

Pax genitrix

« Un ménage ouvrier...

« Encore une toile pleine de sincérité et riche en méditation. L'aube, dont le carmin prend à travers les fumées de la capitale une teinte violacée, vient de réveiller dans leur cage les tourterelles qui étirent leurs ailes. Et déjà, le compagnon est sur pied, sa boîte d'outils en bandoulière sur l'épaule. C'est l'heure où, dans les rues désertes, on n'entend pas le pas sonore des premières équipes. Il entrouvre la porte, mais avant de sortir, son regard va vers le berceau où dort, rose et moite, un bambin joufflu, puis s'arrête avec fierté sur le lit, où lasse et aimante, une jeune femme offre encore ses épaules au baiser de ses yeux.

« Et comme son frère et camarade laboureur, il pense : ?C'est pour le pain joyeux que je reprends l'outil ! Vous pouvez dormir sans peur, mes amours, la Bertha est muselée...? ».

Commentaires de l'oeuvre
de Maurice Denis 158 ( * ) ,
Pax - justitia

« Sur cet encadrement harmonieux, repose un ciel qui aurait pu avoir tout l'éclat et toute la pureté du triomphe, mais que volontairement l'artiste a voulu imprégner d'une lumière tamisée par les voiles de deuil qui flottaient sur la Victoire.

« Je vois bien le pavois de fête des Champs-Élysées, les étendards entourant la foule de leurs trois couleurs, les avions protecteurs et les canons captifs ; mais au-dessus de la Justice qui embrasse enfin la Paix revenue, il y a dans le ciel tout le poids des deuils et des sacrifices.

« C'est dans cette apothéose de souffrance et de gloire que les trois génies tutélaires du foyer : la mère, l'épouse, la fille, avec le geste douloureux des antiques Pietà, emportent dans leurs bras vers les couronnes éternelles le fils, l'époux, le père tombés pro aris et focis 159 ( * ) » .

(c)Sénat, G. Butet.

LISTE DES DOCUMENTS PROJETÉS PENDANT LE COLLOQUE - REPRODUCTIONS DE CERTAINS DOCUMENTS

V OUVERTURE DU COLLOQUE

- Dessin d'enfant 160 ( * ) issu des collections du musée de Montmartre 161 ( * ) daté du 10 décembre 1916 : Le travail dans les champs « Autrefois » (un homme) et « Aujourd'hui » (des femmes) 162 ( * ) .

- Deux photographies prises par Franck Menonville, sénateur de la Meuse (élu en 2017), membre de la délégation aux droits des femmes, du monument aux agricultrices érigé « en hommage aux femmes de France et d'Outre-mer qui, au cours des conflits 14-18 et 39-45, ont tenu un rôle essentiel pour le succès de la Nation », inauguré à Verdun le 19 juin 2016 dans le cadre du Centenaire de la bataille de la Marne 163 ( * ) .

V SÉQUENCE N° 1

- « Aux femmes françaises » : le Président du Conseil, René Viviani, appelle les « femmes françaises, jeunes enfants, filles et fils de la Patrie » à « [remplacer] sur le champ du travail ceux qui sont sur les champs de bataille » (Collections du musée de la Grande Guerre du Pays de Meaux 164 ( * ) ).

- « Un nouveau métier de femmes : les coltineuses » (15 juillet 1917) (dessin d'enfant ; musée de Montmartre).

- « Les femmes se mettent à tout. Femme devant la compagnie des omnibus rue Championnet conduisant un camion d'obus » (dessin d'enfant ; musée de Montmartre).

- « Femme manipulant un levier d'aiguillage » (photographie ; Ville de Toulouse, archives municipales) 165 ( * ) .

- « Les munitionnettes » (photographie ; collections du musée de la Grande Guerre du Pays de Meaux) 166 ( * ) .

- « Le cortège des grévistes passant dans les rues de Montmartre » (27 mai 1917) (dessin d'enfant ; musée de Montmartre).

- Deux reproductions d'oeuvres du peintre Lucien Simon (1861-1945) 167 ( * ) , dédiées au retour à la paix et qui décorent depuis 1929 l'escalier Est du Palais du Luxembourg 168 ( * ) .

- Affiche suffragiste française (1932) : « Les Françaises veulent et doivent voter » ; fonds de la Bibliothèque Marguerite Durand - Ville de Paris 169 ( * ) .

V PENDANT LA PAUSE DU MATIN

* Deux documents issus des collections du musée de la Grande Guerre du Pays de Meaux :

- « Will you help the women of France ? » ; affiche américaine représentant des femmes attelées à une charrue.

- Diplôme d'honneur décerné par le conseil général de l'Eure à une agricultrice qui, « en l'absence de son mari appelé sous les drapeaux a assumé courageusement la direction de la ferme, assuré l'exploitation de ses terres et contribué ainsi à la Défense de la Patrie ».

* Quinze dessins d'enfant issus des collections du musée de Montmartre :

- « Les divers métiers de la femme pendant la guerre » (14 juillet 1917).

- « Femmes travaillant fortement à faire des obus pour nos soldats » (16 décembre 1917).

- « Les femmes des mobilisés quittant leur travail habituel pour fabriquer des obus et des armes dans les usines » (15 décembre 1917).

- « Les employées de la Société Générale manifestant pour avoir l'indemnité de cherté de vie » (25 mai 1917).

- « La grève des midinettes » (14 mai 1917).

- « Pour ceux qui ont souffert de la guerre. L'ouverture de la boucherie populaire Eco où les gens pauvres trouvent de la viande à bon marché. Ouverture le 3 octobre 1916. Rue Ramey et rue F. Flocon ».

- « Gens faisant la queue pour avoir du charbon (rue Ramey chez Bernot) ».

- « Rue Championnet. La crise du lait » (3 décembre 1916).

- « Le colis des braves ».

- « Ma femme voudrait que je lui écrive tous les jours, maintenant avec la nouvelle taxe 2 timbres tous les 5 jours cela sera une excuse » (juillet 1917).

- « À la gare de l'Est - Arrivée d'un permissionnaire » (Un Poilu avec gourde et musette, accueilli par sa femme et ses enfants, dont un nourrisson porté par sa mère 170 ( * ) ).

- « Une réfugiée raconte à une Parisienne les péripéties de son voyage (dans un nuage, elle voit les atrocités que les Boches ont faites à Lille, son pays natal) » (1916) ; (un hôpital et une maison en flammes, un homme au poteau d'exécution, une patrouille allemande qui défile 171 ( * ) ).

- « 400 Rémois arrivent à Paris le 9 avril 1917 » (scène de retrouvailles dans une gare 172 ( * ) ).

- « L'armistice russo-allemand. La Roumanie reste fidèle à ses alliés » (19 décembre 1917) (au premier plan, une femme armée d'un fusil, avec une fillette portant un bébé à ses côtés ; au second plan, un combattant roumain ; à gauche du dessin, deux soldats, un Allemand et un Russe, se serrent la main 173 ( * ) ).

- « Réfugiés » (des civils sur une route chargés de sacs ou tirant une charrette à bras ; une femme portant un nourrisson 174 ( * ) ).

V SÉQUENCE N° 2

- Trois dessins d'enfant issus des collections du musée de Montmartre :

- « Épouse écrivant à son mari » (à gauche) ; « Poilu recevant sa lettre tant attendue » (à droite) (28 mai 1917).

- « Le vaguemestre apporte les lettres de leurs femmes aux poilus du front » ; à droite, dans des bulles, le dessinateur imagine le contenu des lettres : « La femme d'un poilu travaille à sa place aux champs » ; « La femme d'un second poilu travaille avec l'aiguille » ; « Enfin une autre à l'atelier » (11 juillet 1916).

- « Factrice. Elle est la remplaçante du facteur mobilisé » (à gauche) ; « Au travail » (à droite) ; (19 juin 1917).

- Deux documents issus des collections du musée de la Grande Guerre du Pays de Meaux 175 ( * ) :

- Affiche commandée au peintre STEINLEN pour exhorter le soldat à « garder toutes (ses) forces pour la patrie » et à « résister aux séductions de la rue où (le) guette la maladie aussi dangereuse que la guerre. Elle conduit ses victimes à la déchéance et à la mort sans utilité, sans honneur ... ».

- Tract des Ministères de l'Hygiène, de la Guerre et de la Marine appelant le « jeune soldat » à se méfier des maladies vénériennes et le mettant en garde contre les dangers du « cabaret » et des « prostituées ». Il recommande à celui qui serait déjà atteint de s'adresser « sans crainte de punition » au médecin du régiment.

V SÉQUENCE N° 3

- Divers documents photographiques issus des collections du musée Guerre et Paix en Ardennes (Ruines de Haybes ; Les ruines de la rue de la Marelle à Margny ; photographies d'Attigny et de Rethel ; Avis placardé sur chaque maison sur ordre de l'occupant, avec la liste des personnes y logeant ; « Personal-Ausweis » (carte d'identité) ; OEuvre du soldat ardennais - affiche pour une vente de charité le 11 mai 1916 ; Diverses photographies illustrant la vie quotidienne à Charleville, Portraits photographiques de Léontine Herbert et Léontine Le Leuch).

- Document relatif au travail forcé dans les territoires occupés. Affiche allemande datée du 20 juillet 1915, signée d'un officier et annonçant à la population de Vendelles, dans l'Aisne, les réquisitions des « ouvriers », des femmes et des « enfants de 15 ans » pour les travaux des champs, tous les jours, y compris le dimanche, « de quatre heures du matin à huit heures du soir », avec trois pauses (de trente minutes le matin et l'après-midi et d'une heure pour le déjeuner). Les sanctions prévues contre les « femmes fainéantes » sont « l'exil à Holnon pour travailler » et un emprisonnement de six mois « APRÈS la récolte » (collections du musée de la Grande Guerre du Pays de Meaux) 176 ( * ) .

- Deux dessins d'enfants issus des collections du musée de Montmartre :

- « L'envahisseur persécute les populations du Nord » (à gauche : un village en flammes ; un homme exécuté ; une femme fuit avec son enfant dans les bras) ; « Au camp de concentration » (à droite : des civils derrière des barbelés ; un militaire portant un casque à pointe menace un enfant 177 ( * ) ) (20 décembre 1916).

- « Souvenir d'un petit réfugié. Ce que j'ai vu à Feignies (Nord). Patrouille allemande dans les pays envahis ».

- Timbre en hommage à Louise de Bettignies, édité à l'occasion du centenaire de sa mort et reproduit avec l'autorisation de La Poste , de l'artiste et de la ville de Saint-Amand-les-Eaux, où est née Louise de Bettignies 178 ( * ) .

- Documents d'archives relatifs à Louise de Bettignies et à Léonie Vanhoutte (portrait, photographies, messages écrits en captivité).

- Photographie du monument en hommage à Louise de Bettignies à Lille 179 ( * ) .

- Divers documents issus des collections du musée de l'Ordre de la Libération (Loos-en-Gohelle avant et après la guerre ; Portrait d'Émilienne Moreau, « L'héroïne de Loos » ; Émilienne Moreau décorée de la Croix de guerre le 27 novembre 1915 ; Émilienne Moreau reçue à l'Élysée le 27 novembre 1915 ; Mes Mémoires , supplément au n° 107 du « Miroir », 13 décembre 1915 ; Planche d'images d'Épinal ; Émilienne Moreau à Londres en 1944).

V SÉQUENCE N° 4

- « Les femmes russes. Nous aussi, nous défendons notre pays ! » (19 juillet 1917) (dessin d'enfant ; musée de Montmartre).

- Trois portraits photographiques de Milunka Saviæ (collections du musée de la Grande Guerre du Pays de Meaux) 180 ( * ) .

- « Miss Cavell faisant évader des soldats alliés » (5 décembre 1915) (dessin d'enfant ; musée de Montmartre).

- Sans titre. Une infirmière soutient un soldat décoré, amputé d'une jambe 181 ( * ) (Dessin d'enfant ; Musée de Montmartre).

- OEuvre nationale du Bleuet de France - « Aidons ceux qui restent ».

REPRODUCTIONS D'UNE SÉLECTION DE DOCUMENTS ISSUS DES COLLECTIONS
DU MUSÉE DE LA GRANDE GUERRE DU PAYS DE MEAUX
PROJETÉS PENDANT LE COLLOQUE 182 ( * )

Documents projetés pendant la première séquence

Documents projetés pendant la deuxième séquence

Document projeté pendant la troisième séquence

Documents projetés pendant la quatrième séquence

Milunka Saviæ

REPRODUCTION D'UN DOCUMENT ISSU DES COLLECTIONS DES ARCHIVES
DE LA VILLE DE TOULOUSE PROJETÉ PENDANT LA PREMIÈRE SÉQUENCE

« Femme manipulant un levier d'aiguillage »

(c)Ville de Toulouse. Archives municipales, 16Fi22/98

ANNIE DE PÈNE, UNE JOURNALISTE AU CoeUR DE LA GRANDE GUERRE183 ( * ) :
un ouvrage de Dominique Bréchemier,
professeure de lettres, docteure en littérature184 ( * )

Lorsque le 22 juillet 1898 Annie de Pène reçoit 27 boulevard Pereire à Paris l'acte de son jugement de divorce, elle est, comme l'écrit la journaliste Séverine 185 ( * ) au moment de son décès, « le prototype de ces jeunesses, qui, mal mariées, arrivent de province avec un léger bagage et un petit manuscrit, une fille de Lélia » 186 ( * ) .

Née le deux mai 1871, Désirée Joséphine Poutrel est une enfant naturelle non reconnue jusqu'à son mariage en 1889, mère de deux enfants, qui feront leur chemin littéraire sous les pseudonymes de Germaine Beaumont et Pierre Varenne. En 1898, leur garde ne lui est pas confiée puisque le jugement de divorce mentionne « les torts exclusifs de l'épouse ».

Elle a choisi de quitter le domicile conjugal et sa ville de province, Rouen, pour Paris et déploie alors toute l'ingéniosité et le courage que ses amis Colette, Marguerite Durand, Séverine, Henri Barbusse, Henry et Robert de Jouvenel, Gustave Téry, entre autres, ont souvent célébrés, pour trouver sa place dans une société profondément inégalitaire où les femmes doivent être au foyer, élever leurs enfants et ne pas s'échapper, même si certaines travaillent déjà.

Entre 1903 et 1915, elle exerce diverses activités professionnelles et est successivement ou parallèlement libraire rue du Bac et Boulevard Saint-Germain à Paris, directrice de deux revues au ton très opposé, Le Lys puis L'OEuvre , romancière, nouvelliste, journaliste.

Alors que sa dernière oeuvre, Confidences de femmes, vient de connaître un franc succès en 1913, objet de plusieurs rééditions, elle infléchit la trajectoire de son écriture lors des années 1915-1918. C'est le temps de la maturité personnelle, le temps de la guerre, le temps du journal L'OEuvre qui devient quotidien, le temps des amitiés féminines fortes avec Colette et Marguerite Durand. C'est aussi le moment de sa mort, le 14 octobre 1918, à cause de l'épidémie de grippe espagnole.

Lors des années de guerre, Annie de Pène mène l'écriture de son dernier roman Soeur Véronique et une écriture de reportage sur le terrain, une écriture de témoignage sur la guerre qui ouvre sa carrière à d'autres formes et à d'autres engagements. En témoignent par exemple les lettres qu'elle échange avec Colette à cette période et qui rendent compte de leur amitié vivifiante 187 ( * ) .

Annie de Pène s'illustre d'abord par un ensemble de trois reportages, regroupés sous le titre Une Femme dans la tranchée , réunis dans une brochure éditée par L'OEuvre en 1915.

Dans « Vers la Reine », premier reportage, elle raconte comment elle a décidé d'aller rencontrer la Reine de Belgique pour lui offrir des fleurs le jour de sa fête. Ce texte de quinze pages précise les circonstances de son voyage, ses difficultés pour obtenir les autorisations de circuler. Elle est opiniâtre et ingénieuse. Elle franchit donc les obstacles administratifs, civils et militaires, les uns après les autres, et se retrouve sur la route de Dunkerque à Furnes dans une automobile. Aucune femme n'a le droit de pénétrer dans cette zone et sa présence suscite interrogations et méfiance. Elle décrit le bruit du canon et les tranchées dans lesquelles elle voit « presque de l'architecture ». Elle décrit les soldats :

« Le quai de la petite station est grouillant de soldats de retour du front. Leurs vêtements sont terreux ; leur barbe n'est pas faite d'hier, bien sûr, ni leurs cheveux frais coupés ; beaucoup semblent exténués ; les plus las s'accotent aux plus robustes... mais quelle fierté, quelle ardeur brillent dans leurs yeux à tous !

Il est certain que ces hommes pareillement habillés de boue, pareillement chaussés de lourds godillots racornis, pareillement avides du pauvre petit bol de café fumant que distribuent une brave femme du peuple et sa fillette, appartiennent à des classes différentes, mais on ne les distingue plus tant ils se ressemblent, fraternisant dans la même crasse glorieuse et communiant dans la même certitude de victoire » 188 ( * ) .

Elle brosse aussi le portrait d'un homme de nationalité belge qui marche sur cette route et ne peut la quitter car son fils, « son petit », est porté disparu. Au terme de son parcours, il y a une maison, toute simple, celle de la Reine ; mais elle est absente et Annie de Pène doit confier ses fleurs au majordome, étonné par la présence de cette femme de France. La carte de remerciement de la dame d'honneur de la reine clôt la brochure.

Le deuxième reportage a pour titre « La Tranchée ». Après la guerre perçue de l'extérieur sur une route exposée, ces onze pages montrent la guerre vue de l'intérieur des tranchées. L'enthousiasme du premier texte disparaît ; la consternation apparaît. On a raconté à Paris que les tranchées étaient aménagées, ornées de glaces, éclairées à l'électricité, pourvues d'appareils à douches... Annie de Pène voit des boyaux et des gouffres :

« En quittant tout à l'heure la tranchée vide dans laquelle j'osais à peine m'aventurer, moi aussi je croyais connaître une tranchée.

Pourtant dès le seuil de celle-ci, je comprends qu'à moins d'avoir vu de ses yeux le spectacle d'une tranchée vivante, si j'ose dire, eh bien non, on ne peut pas savoir ce que c'est...

Combien sont-ils d'hommes enfournés dans ce boyau, dans ce gouffre ? Deux cents ? Dix mille ? Je serais bien en peine de le dire. Il me semble que leurs ombres mouvantes se multiplient à l'infini 189 ( * ) ».

Il n'y a aucune hygiène, l'air est irrespirable. Depuis trois mois, certains hommes ne se sont pas lavés. La plupart sont blessés. L'entraide est de rigueur pour tous les actes de la vie quotidienne. Beaucoup de très jeunes soldats sont marqués à jamais. Annie de Pène rapporte leurs paroles, leurs écrits. Tous sont fiers et courageux. Aucun ne se révolte : « Il ne s'est rien passé. On s'est battu toute la journée » écrit l'un d'eux dans son carnet de bord. Lorsque les soldats savent qu'elle est de Paris et va y retourner, tous s'arrêtent pour écrire et lui confient leurs lettres.

Le journal Le Matin a repris une partie de ce reportage mais a pratiqué ou a dû pratiquer une forme de censure car la description des tranchées n'apparaît pas. Le ton de la journaliste est engagé, ferme, horrifié. C'est le même engagement que l'on retrouve lorsqu'elle participe avec Téry à la publication en feuilleton du Feu de Barbusse dans le journal l'OEuvre.

« Pervyse » est le troisième reportage réalisé dans une ville du front, auprès des grands blessés qui ne peuvent supporter un voyage en train. Annie de Pène y rencontre un tout jeune homme, un enfant encore, amputé du bras droit et du pied gauche. Il s'est conduit en héros et a contribué à faire prisonniers une centaine d'Allemands. Pervyse est le nom du village en ruines qu'il a traversé et dans lequel il a recueilli un petit chien abandonné à qui il a donné ce nom en souvenir du village détruit. Annie de Pène rapporte que, le lendemain matin, le petit soldat vient de lire le discours du ministre Jules Guesde qui veut « tendre aux Boches une main fraternelle ». Il s'étonne et cache son unique main en disant : « On voit bien qu'il lui en reste deux, à lui ! » 190 ( * ) .

Annie de Pène ne signe pas seulement des reportages sur le terrain. Elle observe les comportements de ceux qui l'entourent et les met en scène dans des chroniques souvent grinçantes publiées par L'OEuvre , des chroniques de la vie à l'arrière. La première chronique paraît dans le premier numéro daté du 10 septembre 1915, la dernière, le 7 août 1918. Pendant ces quatre années, 51 textes paraissent selon une fréquence irrégulière. C'est ainsi que neuf textes paraissent en 1915, quatorze en 1916 jusqu'au 3 octobre puis rien n'est publié jusqu'à la fin de l'année, vingt-quatre en 1917 et trois en 1918.

Les chroniques suivent un plan précis. Annie de Pène interroge les patrons et les employées. Les éléments spatio-temporels sont précisés, les ouvrières sont décrites, le travail est observé et chaque reportage se termine par une leçon d'une phrase ou deux, sorte de guide moral à l'usage des citoyens et citoyennes à l'arrière. Elle annonce à ses interlocutrices ce qu'est son travail de reporteresse : « vous pouvez parler sans crainte : je m'intéresse aux travailleuses, et surtout à celles qui, pendant la guerre, font les rudes métiers des hommes ».

La série « Ouvrages de Dames » 191 ( * ) ouvre l'ensemble des chroniques. C'est un ensemble remarquable qui joue sur la polysémie du titre. Annie de Pène utilise cette périphrase, en brouille le sens et finalement le change. Dans cette série se succèdent les obusières, les receveuses de tramway, les boulangères, les charbonnières... Elle brosse des portraits de femmes au travail dont elle souligne la grande détermination, la grande fatigue, l'incessant mouvement. La dernière chronique de cette série a pour titre « Elles » 192 ( * ) . « Elles » osent prendre le métro et porter des colis qu'habituellement d'autres se chargent de leur livrer. Leur audace les ébahit et elles se rassurent en estimant : « Enfin, heureusement que c'est la guerre ».

Dans l'ensemble intitulé « Femmes de Guerre » 193 ( * ) , Annie de Pène poursuit et affine l'analyse des comportements humains pendant la guerre. Elle met en évidence deux types d'attitudes révélatrices de mentalités très opposées et montre comment la guerre dévoile la profondeur ou la superficialité de chaque être humain. Par exemple, « La Dame qui veut fonder une oeuvre » 194 ( * ) , a soif de reconnaissance et s'ingénie à trouver une idée d'oeuvre caritative, aussi farfelue et inutile soit-elle. L'essentiel n'est pas l'altruisme mais la découverte de son patronyme dans le journal : « La guerre est capable de finir avant que j'aie eu le temps de mettre mon affaire sur pied » confie-t-elle à la journaliste.

« Modes de Guerre » 195 ( * ) est une série plus diversifiée dans laquelle des domaines variés apparaissent comme la mode ou les difficultés d'approvisionnement. Ainsi, grâce à « un tour aux halles », le lecteur reçoit une leçon d'achats et de cuisine où sont progressivement abolies les classes sociales. À travers les préoccupations matérielles et quotidiennes, nous sommes confrontés à la malignité des commerçants qui va souvent de pair avec la bêtise des clients. La pénurie et l'insécurité exacerbent les comportements et engendrent des réactions irresponsables et individualistes.

« Lettres de l'arrière » regroupe plusieurs chroniques non consécutives qui posent le problème du mariage, du couple, du statut de la femme et de l'homme, de l'évolution de la famille en temps de guerre.

« En pays neutre » est un ensemble assez étonnant. Cette série rassemble six textes. Lors d'un premier voyage en Suisse, Annie de Pène a observé ce qui se passe de l'autre côté de la frontière. Vrais et faux espions dans une salle de restaurant, réfugiées allemandes et autrichiennes dont les vêtements choquent, prisonniers français nouvellement arrivés en Suisse.

En revanche, avec « La Frontière n'est pas gardée » 196 ( * ) , elle sort du rôle qu'elle s'était jusque-là attribué. Elle aborde en effet un sujet ayant trait à la défense nationale en période de guerre. Au cours du mois d'août 1917, elle a séjourné en Savoie et en Suisse. Elle raconte comment une première fois elle a pu passer la frontière franco-suisse alors qu'elle avait oublié de présenter son passeport. Effarée par cet oubli et surtout par l'attitude du gendarme qui n'a pas cillé, elle rapporte ces faits à un ami, notable de la région. C'est ainsi qu'elle apprend que la frontière n'est pas surveillée et que les autorités françaises n'en ont pas conscience. Elle décide alors de renouveler l'expérience en présentant d'abord un sauf-conduit établi à un faux nom, celui d'une femme connue soupçonnée d'espionnage. Elle franchit la première ligne sans problème. Ensuite, après avoir griffonné sur une feuille de papier d'un cahier d'écolier une autorisation de déplacement, elle se présente à la seconde ligne. L'officier de service émet quand même une objection : il n'y a pas de cachet sur le papier. On lui demande aussi pourquoi elle se rend en Suisse. Mais elle passe...

L'article qu'elle décide de publier est censuré plusieurs jours consécutifs et il paraît finalement le dimanche 2 septembre 1917, à la Une, sur les trois premières colonnes. Il est suivi de ce commentaire en lettres italiques :

« Ce n'était pas seulement pour en vérifier l'exactitude que le ministre de la guerre avait cru devoir différer la publication de cet article. Après enquête, il a pris toutes les mesures nécessaires pour assurer une surveillance rigoureuse de la frontière franco-suisse. C'est dire qu'à l'heure présente il ne serait plus possible de renouveler l'expérience dont on vient de lire le récit. L'OEuvre ne peut que féliciter le ministre et se féliciter elle-même de cet heureux résultat . »

Mais la portée de l'article dépasse le résultat dont se félicite la direction du journal. Une violente campagne se déchaîne contre Annie de Pène dans la presse nationaliste. Une plainte est déposée contre elle pour « usage de faux passeport ». Le 25 janvier 1918, à la Une de L'OEuvre , la journaliste adresse une lettre ouverte au Procureur de la République sous le titre : « Comment une femme peut-elle se défendre contre la calomnie ? ». On comprend bien, qu'à travers elle, Gustave Téry est visé. Ses détracteurs prennent prétexte de l'article de sa compagne pour l'attaquer et mettre ainsi en cause non seulement son travail mais surtout sa personne dont l'intégrité morale est violemment mise à mal. La Libre Parole et L'Action Française sont les deux journaux qui s'acharnent. C'est évidemment le fait d'une minorité nationaliste et Annie de Pène est soutenue par ses ami-e-s et par ses confrères et consoeurs. Dans Les Hommes du Jour de juillet 1918, Georges Pioch consacre un long article à ces atteintes. Il rapporte des propos d'Anatole France dénonçant en d'autres temps « ces patriotes professionnels » qui sont « les pires ennemis de leur pays ». Son propos est véhément. Il en appelle à la réflexion, au-delà des faits, pour poser le problème principal que ces insultes ponctuelles ont révélé : une forme de dictature de la pensée à combattre absolument.

Journaliste pendant la Grande Guerre, Annie de Pène nous donne à lire des images novatrices des femmes.

Dans ses propres démarches, dans le choix de ses sujets, dans ses angles d'attaque, elle s'est affranchie de certaines interdictions, se déplace dans l'espace public, franchit des frontières géographiques et symboliques. Ses reportages et ses chroniques lui donnent une dimension professionnelle nouvelle. La fiction disparaît au profit d'un travail d'enquête sur le terrain. Elle pratique le journalisme d'immersion comme Séverine, Andrée Viollis, Colette. Même si elle affirme dans sa lettre ouverte au Procureur de la République : « Je n'entends rien à la politique, et ne m'en suis jamais occupée. Je ne suis qu'une femme de lettres qui vit modestement de son travail ; je n'ai publié que des romans et ne donne aux journaux que des contes ; [...] », on comprend pourtant que son engagement est réel, profond, humaniste et qu'elle fait bouger les lignes derrière lesquelles on cantonnait les femmes. Ses reportages et ses chroniques présentent la vie des femmes et des hommes dans une période de bouleversement profond des codes et des mentalités à cause de la guerre ainsi qu'une réflexion sous-jacente sur l'évolution de la société et de la place des femmes.

LA RÉSISTANCE FÉMININE DANS LE NORD DE LA FRANCE PENDANT LA GRANDE GUERRE, UNE EXPÉRIENCE SINGULIÈRE : LE RÉSEAU DE LOUISE DE BETTIGNIES ET DE MARIE-LÉONIE VANHOUTTE 197 ( * )

PAR ISABELLE VAHÉ, DOCTEURE EN HISTOIRE

La mémoire de Louise de Bettignies, agent de renseignement et résistante de la Grande Guerre, est honorée à travers un monument et une place à Lille ainsi que des rues dans d'autres villes de France. Cependant la mémoire collective a plutôt retenu l'image de Mata Hari. Pourquoi cet oubli pendant de nombreuses années ?

Pourtant, Louise de Bettignies a dirigé un réseau de renseignement pendant la Première Guerre mondiale. Elle a dépassé les normes de genre qui confinent les femmes dans des rôles établis.

Les communications sont coupées avec le reste du pays. Le couvre-feu est instauré et un contrôle strict des personnes appliqué. Les conditions de vie sont très difficiles, avec réquisitions et perquisitions. Les Allemands s'installent chez les habitants.

Les femmes ne sont pas épargnées par la réquisition et connaissent les mêmes étapes que les hommes : convocations individuelles transmises par la mairie pour un travail local ou éloigné. En avril 1916, 20 000 lilloises de tous âges sont envoyées à la campagne pour des travaux très durs.

Dans ce contexte, des actes isolés de résistance émergent. Des réseaux de résistance s'organisent. Celui de Louise de Bettignies, le réseau Ramble (errer en anglais) en est un exemple.

Née à Saint-Amand-les-Eaux (Nord), le 15 juillet 1880, dans un milieu aisé de faïenciers, elle étudie chez les Soeurs de la Sainte-Union des Sacrés-Coeurs, à Valenciennes. Elle poursuit ses études en Angleterre où elle apprend les langues, pratique des sports (le hockey, la bicyclette), symbole d'émancipation et d'autonomie à l'époque. Elle désirait être journaliste, elle sera préceptrice auprès de quelques grandes familles d'Europe entre 1906 et 1912 : les Visconti, les Schwarzenberg mais refuse de travailler chez l'archiduc héritier François-Ferdinand.

De retour en France au début de 1914, elle séjourne dans des couvents et elle fréquente les réseaux de la Ligue patriotique des Française 198 ( * ) .

Dès octobre 1914, Louise de Bettignies s'illustre lors du siège de Lille en distribuant, avec sa soeur Germaine de Bettignies, de la nourriture aux soldats français. En février 1915, Louise de Bettignies utilise les messages codés pour transmettre les lettres des familles de Lille à leurs proches. Puis elle retranscrit 300 lettres au jus de citron et les transmet en France libre via la Belgique et les Pays-Bas. Par ce geste, elle est remarquée par les services secrets britanniques.

Elle choisit alors le combat par le renseignement et y est formée en Angleterre par les services secrets anglais. Elle apprend les codes, l'encre sympathique, la façon de dresser un plan, le fait de désigner un point sur une carte, d'obtenir et de transmettre des informations, d'identifier, sur un simple détail, les unités militaires et leurs forces, le calibre des canons.

Le réseau Louise de Bettignies est composé d'observateurs qui repèrent les mouvements de troupes et de transports ennemis de fin février à septembre 1915 autour de Lille.

On connaît Louise de Bettignies, agent de renseignements pendant la Grande Guerre dans le Nord de la France, mais qui connaît Marie-Léonie Vanhoutte, son bras-droit ?

Marie-Léonie Vanhoutte est née à Roubaix le 13 janvier 1888 dans une maison de la rue de la Vigne. Au début de la Première Guerre Mondiale, elle est stagiaire à la Croix-Rouge à Roubaix 199 ( * ) . Elle habite au 3 boulevard de Metz. Dès les premiers jours, elle participe à la mise en place d'une ambulance 200 ( * ) , dirigée par Mme Vantrouyve, rue Pellart, à Roubaix et soigne les blessés français jusqu'en janvier 1915. À partir de janvier 1915, elle est confrontée à un dilemme : les blessés français et anglais sont remplacés par les blessés allemands. Sa hiérarchie lui demande de rester à son poste. Par patriotisme et nationalisme, elle refuse de soigner les soldats. Selon Antoine Redier dans La Guerre des Femmes 201 ( * ) , elle quitte son poste d'infirmière tout en conservant son brassard et sa carte.

Dans son témoignage, Marie-Léonie Vanhoutte insiste sur sa volonté de s'opposer à l'occupant. En janvier 1915, son frère lui apprend que des soldats anglais se cachent à Lille. Ils cherchent à gagner la Hollande puis l'Angleterre. Des jeunes gens de Roubaix souhaitent prendre le même chemin.

Elle entreprend un premier voyage à travers la Flandre, repérant les lieux de passage. Elle revient à Roubaix, emmène son frère et quatre soldats anglais en Hollande. Elle réitère l'opération plusieurs fois de suite, transportant du courrier. Elle repère aussi les « mouvements des troupes et l'emplacement des batteries » 202 ( * ) allemandes.

Elle cherche à savoir s'il existe des réseaux de résistance. Elle en parle à Mme Vanoutryve, qui est la soeur de Louise-Lucie Prouvost-Masurel. Louise de Bettignies et Léonie Vanhoutte se rencontrent pour la première fois dans le château des Prouvost-Masurel, riche famille d'industriels du textile, à Mouvaux au début de 1915 : « Je fus mise en relation avec Melle de Bettignies qui était justement revenue de France pour installer le service qui consistait en ceci : passages de trains, mouvements de troupes, emplacements de canons, dépôts de munitions, champs d'aviations, plans et photos des tranchées jusqu'aux lignes les plus rapprochées d'Armentières et l'arrière jusqu'en Belgique » 203 ( * ) .

Marie-Léonie Vanhoutte accepte de travailler avec Louise de Bettignies. Le patriotisme est le moteur de leur engagement. Ces femmes s'engagent parce qu'elles veulent agir, défendre leur patrie. Pour les femmes de la noblesse, c'est un prolongement des traditions familiales (pendant la période médiévale et moderne, certaines défendent leur fief alors que leur mari est absent). La guerre leur permet, toutes classes sociales confondues, de se réaliser autrement que dans le mariage et la maternité et d'accéder à une éventuelle reconnaissance sociale.

Le réseau est composé de la façon suivante : la région lilloise est découpée en secteurs surveillés par les membres du réseau : le commissaire de police de Tourcoing, Adolphe Lenfant, est en charge du secteur Roubaix-Tourcoing-Armentières, le couple de Geyter surveille la zone Courtrai-Audenarde-Tournai. A Haubourdin, Marie-Thérèse Lhermitte, habitant près de la voie de chemin de fer Lille-La Bassée, repère le passage des convois militaires qui vont vers l'Artois. Monsieur et Madame Prouvost-Masurel rédigent des rapports d'observation. L'abbé Jules Pinte, professeur à l'Institut technique de Roubaix, effectue les transmissions radio.

Louise de Bettignies utilise du papier japon sur lequel elle écrit en très petits caractères, à la loupe. Pour les informations les plus importantes, elle se sert de l'encre sympathique sur linge. Elle peut inscrire 3 000 mots sur un passeport, sur une pellicule transparente de la taille d'un verre de lunette. Par la suite, le verre de lunette est desserti, présenté à la chaleur d'une lampe à alcool et introduit dans une lanterne de projection.

Louise de Bettignies crée un système de localisation sur plan très efficace donnant les emplacements des batteries allemandes. L'armée allemande reconnaît que leurs canons ne tenaient pas une semaine face aux tirs anglais.

Louise de Bettignies et Marie-Léonie Vanhoutte, son adjointe, se voient deux fois par semaine et terminent la préparation des plis chez Monsieur et Madame de Geyter, qui accueillent chez eux un centre de renseignements dans leur maison de Mouscron où se trouve un labo de chimie industrielle

Louise de Bettignies se rend en Angleterre une à deux fois par mois. Deux fois par semaine, elle envoie des messages à José Courboin à Flessingue (Belgique) et à Monsieur Beemans (Pays-Bas) qui transmettent les infos au Major Cameron.

Les lettres sont cachées dans des vêtements, des talons de chaussure, le creux d'un bouton, une grosse épingle, des clés, des manches de parapluie, des poignées de sac à main.

Pour les transports, elle est aidée par Victor Viane, Alphonse Verstapen, Georges Deraes ou Georges Desaever.

Marie-Léonie Vanhoutte décrit son action : « mon rôle dans le service devait consister à faire les voyages et porter le courrier ainsi qu'à recopier sur papier japon les renseignements » 204 ( * ) .

Elle effectue ces missions d'avril à septembre 1915. Elle transporte des messages plusieurs fois par mois. Au début, elle se rend à Gand où ses contacts lui donnent les informations mais aussi les consignes. Elle va deux fois par semaine en Belgique. À partir de mai 1915, la route de Mouscron à Gand n'est plus sûre. Louise de Bettignies et Marie-Léonie Vanhoutte cherchent un nouveau chemin par Bruxelles-Anvers. Marie-Léonie Vanhoutte transite par Bruxelles où elle remet des documents à Victor Viaene, passeur de Mouscron, qui franchit la frontière hollandaise. En 1920, Marie-Léonie Vanhoutte raconte : « Un autre courrier, des plus méritants au dire de plusieurs personnes, Victor Viane, portait aussi les plis soit à Gand, soit à Anvers ou Bersée. À Anvers ou Bersée, un courrier de Courbouin 205 ( * ) , Niflis Joseph (peut-être d'autres aussi) recevait les plis en rendez-vous et les portait à Alphonse Verstappen, courrier - passeur de frontière [habitant Beerse près d'Anvers] 206 ( * ) qui s'occupait aussi de passage d'hommes et de correspondance clandestine, comme nombre de fraudeurs de la région » 207 ( * ) .

Louise de Bettignies et Marie-Léonie Vanhoutte, au risque de leur vie, assurent la majorité des transferts. Des canons allemands sont ainsi détruits. Louise de Bettignies informe les Anglais de l'imminence de l'attaque d'un souterrain par l'ennemi à Armentières. Elle aurait donné la date, l'heure et le lieu du passage du train du Kaiser aux Anglais pour qu'ils le bombardent. Elle transmet aussi des données au commandement français.

Au cours de l'été 1915, la pression allemande se resserre sur le réseau Ramble . Dès juin 1915, son supérieur hiérarchique, le major Kirke, dans ses carnets de guerre, s'inquiète pour la sécurité de Louise de Bettignies 208 ( * ) .

Selon le témoignage de Marie-Léonie Vanhoutte dans le rapport Tandel : « Un premier incident se produit le 8 septembre 1915 : Mme De Geyter qui à quelques occasions avait porté le courrier à Bruxelles, se voyant sur le point d'être fouillée à Tournai, en revenant, y abandonna un manteau renfermant des “ papiers compromettants” » 209 ( * ) .

Le 15 septembre, Marie-Léonie Vanhoutte est arrêtée une première fois à Froyennes, près de Tournai. Elle est relâchée. Le 24 septembre 1915, elle tombe dans un guet-apens à Bruxelles et est arrêtée.

Le 27 septembre, dans son journal de guerre, le major Kirk évoque l'arrestation de membres du réseau Bettignies. Il s'alarme : « Si quelque chose lui [Louise de Bettignies] arrivait, ce ne serait rien moins qu'une catastrophe » 210 ( * ) .

Le 20 octobre 1915, Louise de Bettignies est interpellée à Froyennes. Elle rejoint la même prison que Marie-Léonie Vanhoutte : « L'enquête ne fut pas aisée à la police allemande. Louise de Bettignies se défendait pied à pied, avec une rare énergie, n'avouant rien qu'à la dernière extrémité. Ils avaient rapproché son cas de celui de Marie-Léonie Vanhoutte mais ne paraissent pas avoir obtenu beaucoup d'éclaircissements des deux inculpées » 211 ( * ) .

Louise de Bettignies est alors mise en relation avec un « mouton », une femme qui est chargée par les Allemands de gagner sa confiance et de la faire parler. Elle l'informe de la présence de Marie-Léonie Vanhoutte dans la prison, lui propose de lui faire passer une lettre. Le lien entre les deux femmes est établi par les Allemands qui, par ailleurs, menacent d'arrêter les parents de Marie-Léonie Vanhoutte si elle n'avoue pas.

Le 16 mars 1916, Louise de Bettignies et Marie-Léonie Vanhoutte sont jugées par le Conseil de Guerre. Elles reprochent aux juges et aux policiers d'avoir extorqué, par ruse, leurs aveux. Louise de Bettignies « se défend courageusement en remerciant ses juges de lui permettre de mourir pour sa patrie ». Louise de Bettignies et Marie-Léonie Vanhoutte sont condamnées à mort pour « trahison commise pendant l'état de guerre en pratiquant l'espionnage ». Le 23 mars 1916, Louise de Bettignies est graciée par une intervention de l'Espagne et sa peine est commuée en réclusion à perpétuité. Marie-Léonie Vanhoutte est condamnée à quinze ans de travaux forcés. Elles sont internées à la prison de Siegburg en Allemagne.

À la suite du procès, les deux dirigeantes du réseau Ramble sont transférées à la prison de Siegburg, près de Bonn, où sont emprisonnées d'autres résistantes : la princesse de Croÿ, condamnée à dix ans de travaux forcés pour avoir caché des soldats anglais dans son château, Marguerite Nollet, coupable d'avoir collaboré à Roubaix avec l'abbé Pinte et le couple Willot pour rédiger le journal clandestin L'Oiseau de France , Louise Thuliez.

Les conditions de détention sont terribles. Comme le fait observer Françoise Thébaud 212 ( * ) : « 300 détenues, “l'enfer”». Le froid, la faim : 175 grammes de pain par jour, un peu d'ersatz de café, deux soupes de plus en plus claires ». En 1933, Marie de Croÿ, dans ses Mémoires , se rappelle : « Tu es maintenant prisonnière. Les barreaux de ta fenêtre, le verrou de ta porte, la couleur de tes vêtements, tout cela te dit que tu es prisonnière et que tu as perdu la liberté » 213 ( * ) .

Les Françaises détenues à Siegburg le sont pour deux raisons (réseau de renseignements, hébergement et cache de soldats alliés). Elles développent un esprit de solidarité (partage de colis) et de résistance (célébration des fêtes nationales). Marie de Croÿ se tient au courant de l'évolution du conflit en codant sa correspondance familiale. Quant à Louise Thuliez, elle essaie de faire des messages codés en écrivant au jus d'oignon. Marie-Léonie Vanhoutte tente d'empêcher la progression du typhus.

En 1916, le directeur exige des prisonnières qu'elles travaillent et fabriquent des munitions. Marie-Léonie Vanhoutte participe à un mouvement de révolte initié par Louise de Bettignies qui incite ses codétenues à ne pas fabriquer d'obus, ne voulant rien « faire contre [son] pays, [son] honneur et [sa] conscience » 214 ( * ) . Par réprimande, Louise de Bettignies est envoyée au cachot. Elle y contracte vraisemblablement une pneumonie.

Elle refuse également de chanter en allemand. L'objectif du directeur est de la faire mourir de froid. Elle raconte ses conditions de détention dans un fragment de lettre écrit sur un papier à chocolat qu'elle transmet à la princesse de Croÿ : « Je suis aux arrêts pour avoir empêché les prisonnières de faire leur travail (...). Je n'ai pu prendre de linge mais mon missel et l' Imitation de Jésus-Christ . On m'a enlevé tous les avantages aux prisonniers politiques étrangers (...), je ne pourrai recevoir de journaux ni converser avec personne... » 215 ( * ) .

Marie-Léonie Vanhoutte, en tant qu'infirmière, est affectée au lazaret de la prison. Elle y soigne les victimes du typhus qu'elle contracte à son tour. Le 8 novembre 1918, pendant la révolution spartakiste 216 ( * ) , la prison de Siegburg est libérée par des soldats révolutionnaires allemands 217 ( * ) .

Mal soignée d'une pleurésie tuberculeuse, Louise de Bettignies meurt le 27 septembre 1918 à l'hôpital de Cologne.

Louise de Bettignies reçoit la Légion d'honneur, la Croix de Guerre avec Palme, le British Empire Office . Un hommage allemand reconnaît qu'elle valait « un corps d'armée ». Le 20 avril 1916, le général Joffre lui décerne une citation à l'ordre de l'Armée : « Mademoiselle Louise de Bettignies s'est volontairement dévouée pendant plusieurs mois, animée uniquement par le sentiment patriotique le plus élevé, pour rendre à son pays un service des plus importants pour la défense nationale. A affronté, avec un courage inflexible, toutes les difficultés périlleuses de sa tâche patriotique. A surmonté pendant longtemps ces difficultés, grâce à ses capacités et à son dévouement, risquant sa vie en plusieurs occasions, assumant les plus graves responsabilités, déployant en un mot un héroïsme qui a été rarement surpassé ».

En 1920, dans une France exsangue et endeuillée, c'est le sacrifice patriotique de Louise de Bettignies qui est valorisé lors des cérémonies funéraires de Lille et de Saint-Amand. Son appartenance à un réseau de renseignements militaires est presque occultée.

Marie-Léonie Vanhoutte, très affaiblie par le typhus, regagne Roubaix le 24 décembre 1918 218 ( * ) . Elle devient alors employée dans une grande papeterie de cette ville. De nombreuses distinctions lui sont décernées.

Le 24 août 1919, elle est décorée de la Croix de Guerre : « A fait preuve de courage et de patriotisme dans l'accomplissement de missions périlleuses et en facilitant le passage en Hollande de jeunes gens désireux de s'enrôler dans l'armée française. Arrêtée pour ces faits, condamnée par les Allemands à quinze ans de travaux forcés, a subi plus de trois années d'une rigoureuse détention » 219 ( * ) .

Le 31 octobre 1919, elle reçoit un diplôme au titre de ses « services dévoués pendant la guerre 1914-1918 » par le Comité de la Croix-Rouge de Roubaix 220 ( * ) .

Les autorités britanniques et belges reconnaissent son action.
Le 9 novembre 1918, un courrier de Winston Churchill, alors secrétaire d'État à la Guerre, lui témoigne au nom du roi d'Angleterre de la plus haute appréciation des services rendus 221 ( * ) . Le 13 juillet 1919, la Belgique lui attribue la Médaille Civique de 2 ème classe 14-18 222 ( * ) . Elle reçoit aussi en 1922 la Médaille de guerre et la citation à l'ordre du jour des armées (OJA), la médaille de membre de l'Empire Britannique.

Le 22 février 1927, Marie-Léonie Vanhoutte est faite chevalier de la Légion d'honneur. À la fin de novembre 1927, elle est invitée à Londres par les autorités britanniques. Selon le Grand Écho du Nord du 9 novembre 1927, « Nos alliés ont voulu recevoir dans leur capitale celle qui contribua à faire évader tant et tant de leurs soldats immobilisés en pays occupé après les combats du début de la guerre, en même temps qu'elle fournissait à leurs états-majors les plus précieux renseignements sur les mouvements des troupes allemandes (...). En compagnie d'un industriel roubaisien d'origine anglaise, M Richarson, nommé dernièrement chevalier de la Légion d'honneur, et le capitaine anglais Tourney, attaché à l'ambassade britannique à Paris, Melle Vanhoutte sera reçue par Lord Derby, ministre de la Guerre, entouré des notabilités du Parlement. Elle sera ensuite présentée au roi George V ».

Marie-Léonie Vanhoutte assiste à l'ensemble des hommages rendus à Louise de Bettignies dans les années vingt. Cependant elle est très discrète et, par humilité, ne prend pas la parole lors des manifestations officielles.

La Grande Guerre est la première guerre totale de l'Histoire exigeant une mobilisation croissante de tous les individus.

Selon Françoise Thébaud, « Elle broie les hommes et affecte la vie des femmes dans leur diversité nationale et sociale. Elle bouleverse aussi les rapports entre les sexes, sans toutefois émanciper les femmes. Les femmes ont toujours travaillé, mais la guerre les rend plus visibles, notamment à des fonctions nouvelles ». Dans tous les domaines, elles remplacent les hommes partis au front. Elles investissent ainsi des bastions masculins et font preuve de leurs capacités, tout en gagnant leur indépendance.

Au début des années vingt, Marie-Léonie Vanhoutte rencontre Antoine Redier, directeur de La Revue Française , revue catholique et conservatrice, aidée financièrement par le patronat du Nord. Le journaliste, qui désire publier un récit de la vie de Louise de Bettignies, deviendra l'époux de Marie-Léonie Vanhoutte. En 1924, la publication du livre d'Antoine Redier, La guerre des femmes , marque un tournant. Dans ce livre apparaît une Louise combattante, animée par son patriotisme et sa foi en Dieu, à l'égal d'une Jeanne d'Arc moderne. À cette époque, très peu de publications montrent des parcours de femmes, qui comme Louise de Bettignies et Marie-Léonie Vanhoutte, sont des « actrices de l'histoire » qui « ont mené un combat direct contre l'adversaire » 223 ( * ) .

Le 11 novembre 1926, la Ligue Patriotique des Françaises fait poser sur la maison natale de Louise de Bettignies, à Saint-Amand, une plaque commémorative, la présentant comme la Jeanne d'Arc du Nord, selon l'expression de Monseigneur Charost. Une cérémonie est organisée en présence de la famille de Bettignies, d'Antoine Redier, de Marie-Léonie Vanhoutte, de Louise Thuliez, de la municipalité, des anciens combattants, de la Ligue Patriotique des Françaises. Ses titres sont cités ainsi qu'un extrait de la citation du maréchal Joffre : « Elle a déployé un héroïsme qui a été rarement surpassé ».

À cette époque, la préparation des femmes au suffrage devient alors une activité importante de la Ligue qui organise des conférences de préparation civique, publie des brochures et incite les femmes à adopter, dans un premier temps, le suffrage familial, puis individuel dans un second temps. De la dame patronnesse aristocrate du début du siècle à la travailleuse sociale qualifiée d'origine plus modeste de l'entre-deux-guerres s'est amorcé un processus de politisation féminine et de professionnalisation.

Le 7 novembre 1926, les « Prisonniers politiques de 1914-1918 » de Tournai organisent une cérémonie à Froyennes, en présence de la famille de Bettignies, des élus de Tournai et de Froyennes, des anciens combattants belges et français, du Consul de France, de l'ambassadeur britannique, des Dames Françaises. Une plaque est inaugurée sur le mur du café du Canon d'Or : « Ici, le 15 octobre 1915, fut arrêtée Louise de Bettignies, héroïne française, de descendance Tournaisienne, morte en prison pour sa patrie, après trois ans de tortures. Qu'elle nous inspire une haute vie ! ».

Le 13 novembre 1927, le monument de Lille en hommage à Louise de Bettignies est inauguré. Un comité dirigé par la Générale Weygand, sous la présidence d'honneur de la Maréchale Foch, a fait édifier le monument. Il est réalisé par l'artiste Maxime Real del Sarte. Louise de Bettignies est représentée en Jeanne d'Arc, la tête auréolée de lauriers, tournée vers le ciel, adossée à une stèle surmontée d'une Croix de Guerre, tandis qu'un soldat lui baise la main, en signe de reconnaissance envers celle qui vient de briser ses chaînes et qui anime un réseau de renseignements. Les bas-reliefs représentent la mort d'Édith Cavell et l'exode des soldats français. Lors de l'inauguration le 13 novembre 1927, en présence des maréchaux Foch et Weygand, Louis Marin, ministre des pensions déclare « Les femmes françaises qui savent mourir pour la patrie sont dignes de prendre part à un gouvernement » 224 ( * ) .

Puis des films et pièces de théâtre célèbrent une Louise de Bettignies « actrice de l'histoire ». En 1937 sort le film Soeurs d'armes , de Léon Poirier, inspiré du livre La Guerre des femmes . Le Tout-Paris assiste à l'avant-première à l'Opéra, en présence de Marie-Léonie Vanhoutte et des deux comédiennes Jeanne Sully, (Louise de Bettignies) et Josette Day, la future Belle de La Belle et la Bête (Marie-Léonie Vanhoutte). Marie-Léonie Vanhoutte est présente sur le tournage et peut apporter son témoignage aux actrices 225 ( * ) .

C'est l'époque de la montée des fascismes en Europe et, dans l'éventualité d'une guerre, la France a besoin de tous ses enfants, hommes et femmes, pour se défendre. La mémoire des femmes qui ont agi dans les réseaux de renseignements pendant la Grande Guerre est valorisée dans les années trente. Le film Soeurs d'Armes constitue le point d'orgue de cette campagne.

Pendant la Deuxième Guerre mondiale, Louise de Bettignies sert de modèle à plusieurs résistantes : Jeanne Bohec et Marie Jo Chombart de Lauwe. Jeanne Bohec est l'une des premières volontaires à former le Corps des Françaises Libres à Londres à la fin de l'année 1940. Elle est parachutée en France en février 1944 pour former les maquis au sabotage. Spécialiste en explosifs, elle participe aussi à la destruction de voies ferrées en soutien au débarquement allié puis à l'insurrection de l'été 1944, aux côtés des partisans et des parachutistes SAS dans le Finistère et dans le Morbihan. Jeune fille, elle s'identifiait à Louise de Bettignies.

Marie-Jo Chombart de Lauwe raconte dans ses Mémoires Résister toujours , parus chez Flammarion en 2015, que Louise de Bettignies était un modèle quand elle était adolescente. Elle a lu La Guerre des Femmes et a vu Soeurs d'armes au cinéma. Née en 1923, elle est agent de liaison dans le réseau Georges France 31, précurseur du mouvement de résistance Buckmaster. En tant qu'étudiante, Marie-José Chombart de Lauwe possède une carte d'identité qui lui permet de faire des déplacements au cours desquels elle livre d'importantes informations sur l'organisation des défenses côtières. En 1942, elle est déportée à Ravensbrück.

Le réseau de Louise de Bettignies est « le réseau classique de la Première Guerre mondiale : en pays occupé, l'espionnage se concentre sur l'observation ferroviaire. C'est vraiment l'objectif numéro un des services de renseignement alliés, ça permet de lire dans les pensées de l'ennemi 226 ( * ) », selon l'historien belge Emmanuel Debruyne. Ces réseaux de résistance, dont le nombre est estimé à 200, préfigurent ceux de la Deuxième Guerre mondiale (renseignements, exfiltration, presse clandestine : exemple de l'Oiseau de France).

Marie-Léonie Vanhoutte passe la fin de sa vie à Paris. Ses conditions de détention en Allemagne entre 1916 et 1918 portent atteinte à sa santé toute sa vie. En 1954, elle perd son époux, Antoine Redier. En 1955, elle est titulaire de la carte de déporté-résistant de la Première Guerre mondiale, établie par le ministère des Anciens combattants et victimes de guerre. Le 30 décembre 1965, elle est promue au grade d'Officier de la Légion d'honneur alors qu'elle est retirée dans une maison de repos de Boulogne-Billancourt, où elle meurt le 4 mai 1967. Elle repose dans l'ancien cimetière d'Hauteville-sur-Mer (Manche), dans le caveau de la famille Redier. Une place porte son nom dans ce village normand ainsi qu'une rue dans sa ville natale.

Après 1945, la figure de Louise de Bettignies disparaît pour longtemps, éclipsée par les préoccupations idéologiques de la Guerre Froide (1947-1989).

Depuis, son personnage emblématique est de retour, légitimé par le mouvement d'émancipation féminine des années soixante et soixante-dix et par le renouveau des études historiques sur la Grande Guerre ayant mis en valeur le rôle des femmes pendant les conflits mondiaux.

Dès lors, la modernité de Louise de Bettignies semble apparaître dans le destin d'une jeune femme élégante et cultivée qui s'affranchit par son action patriotique des pesanteurs d'un milieu bourgeois conservateur et clérical, d'une jeune femme courageuse au point de défier ses juges, bref, d'une femme fière et indépendante qui a su épouser les combats de son temps.

En 1994, la famille de Bettignies est présente pour assister à la remise de la Croix tombale qui signalait la sépulture de Louise de Bettignies, dans le cimetière de Cologne, à la Garde d'honneur de Notre-Dame-de-Lorette.

Depuis plusieurs années, la ville de Saint-Amand-les-Eaux s'est donné le projet de réhabiliter la maison natale de Louise de Bettignies.

Une programmation culturelle « hors les murs » existe depuis dix ans (exposition au musée de la Tour abbatiale, expositions dans d'autres lieux de la ville, conférences, spectacles au moment des Journées du Patrimoine et de la Journée Internationale des Droits des Femmes du 8 mars, pièce de monnaie à l'effigie de Louise de Bettignies, travail de mémoire avec des classes d'écoles primaires, collèges et lycées).

Le 27 septembre 2018 a été commémoré le centième anniversaire de la disparition de Louise de Bettignies.

Un timbre à l'effigie de Louise de Bettignies a été dévoilé à cette occasion en présence de la famille de Bettignies. La ville de Saint-Amand-les-Eaux et le Club philatélique amandinois avaient sensibilisé La Poste à l'importance de ce projet. Ce timbre, dont le dessin est dû à l'artiste Eloïse Oddos, représente le portrait de Louise de Bettignies, sa maison natale et la carte de ses trajectoires résistantes. Ce même jour, des cérémonies commémoratives ont eu lieu également à Lille, devant son monument, à Froyennes (où un totem a été inauguré) ainsi qu'à Saint-Amand.

Le projet de réhabilitation de la maison natale de Louise de Bettignies s'oriente actuellement vers un centre de ressources multimédia sur la Résistance et l'émancipation des femmes, mettant en valeur une muséographie audacieuse, numérique et évolutive.


* 147 Longue et meurtrière, la Grande Guerre n'est pas qu'une affaire d'hommes. Synthèse de nombreux travaux, la conférence présente d'abord la façon dont les historiennes et les historiens ont abordé la guerre et la question des femmes dans la guerre, de la recherche de l'expérience de ces dernières aux approches de genre. Sont ensuite exposés, avec une perspective comparatiste, quatre thèmes essentiels : la chronologie et les formes de la mobilisation ; les épreuves subies (solitude, deuil, pénuries, violences sexuelles) et les mutations de la vie quotidienne ; les engagements patriotiques et pacifistes dont ceux des féministes qui se pensent comme une élite féminine ; les effets de la guerre sur les trajectoires individuelles et les rapports de genre.

* 148 Dans l'empire britannique, il n'y a pas de conscription obligatoire avant janvier 1916.

* 149 Documents non libres de droits. La reproduction de ces dessins est interdite sans l'accord de la société « Le Vieux Montmartre ».

* 150 Voir l'ouvrage de l'historienne Manon Pignot, La guerre des crayons - Quand les petits Parisiens dessinaient la Grande Guerre, éd. Parigramme (préface de Stéphane Audoin-Rouzeau).

* 151 Infirmière, agent du Secret Intelligence Service britannique, Édith Cavell aida de très nombreux soldats alliés à passer de la Belgique occupée par les troupes allemandes aux Pays-Bas neutres. Elle fut exécutée par les Allemands le 12 octobre 1915.

* 152 Notice biographique de Joseph Monsservin (voir infra ), extraite du Dictionnaire des parlementaires français (1889-1940) de Jean Jolly.

* 153 Ovide, Les fastes (Pax cerenem nutrit, pacis alumna ceres).

* 154 La quatrième toile de Lucien Simon, intitulée Pax musarum nutrix , n'a pas été commentées lors du colloque.

* 155 Député de l'Aveyron de 1898 à 1912 puis sénateur du même département de 1912 à 1944 (après son père, Émile Monsservin, qui siégeait au Sénat depuis 1892). Joseph Monsservin exerça les fonctions de questeur du Sénat de 1927 à 1934.

* 156 Réception de M. Gaston Doumergue, président de la République française, au Palais du Luxembourg, 28 février 1929. Inauguration des peintures de MM. Lucien Simon et Maurice Denis.

* 157 Déesse romaine de la guerre (note du secrétariat de la délégation aux droits des femmes).

* 158 1870-1943. Peintre français, Maurice Denis fut l'un des initiateurs du mouvement nabi et son théoricien. Il fut par la suite, dans l'entre-deux-guerres, très sollicité pour le décor d'édifices civils (hall du lycée Claude Bernard, galerie latérale du Palais de Chaillot et coupole du Petit Palais à Paris ; Palais des Nations à Genève...) et religieux (cathédrale Saint Florentin à Quimper, église Saint Louis à Vincennes, église Saint Nicaise à Reims...). (Source : http://www.musee-orsay.fr/fr/evenements/expositions/archives/presentation-detaillee/browse/4/article/maurice-denis-6780.html )

* 159 Pour nos autels et nos foyers.

* 160 Voir supra les reproductions des dessins d'enfants projetés lors du colloque.

* 161 Coll. « Le Vieux Montmartre » - musée de Montmartre. La délégation aux droits des femmes du Sénat remercie la Société d'histoire et d'archéologie Le Vieux Montmartre d'avoir bien voulu autoriser la reproduction de ces dessins à l'occasion du colloque. Ces documents ne sont pas libres de droits ; leur reproduction est subordonnée à l'accord de la société Le Vieux Montmartre .

* 162 Entre guillemets et en italiques sont reproduits les titres figurant sur ces dessins, lorsqu'ils existent. La date est précisée si elle est mentionnée sur le dessin.

* 163 Voir les reproductions de ces photographies au début du présent recueil.

* 164 La délégation aux droits des femmes du Sénat remercie le musée de la Grande Guerre du Pays de Meaux d'avoir bien voulu autoriser la projection de ce document lors du colloque. Voir ci-après la reproduction de ce document.

* 165 Référence 16Fi22/98. La délégation aux droits des femmes du Sénat remercie les Archives de Toulouse d'avoir bien voulu autoriser la projection de ce document à l'occasion du colloque. Voir la reproduction de cette photographie dans le document annexé ci-après.

* 166 Voir ci-après la reproduction de ce document.

* 167 (c)Photographes du Sénat.

* 168 Voir supra l'annexe relative au commentaire de ces oeuvres lors de leur inauguration en 1929.

* 169 Coll. Bibliothèque Marguerite Durand - Ville de Paris. La délégation aux droits des femmes du Sénat remercie la Bibliothèque Marguerite Durand d'avoir bien voulu autoriser la projection de ce document lors du colloque.

* 170 Note du secrétariat de la délégation aux droits des femmes.

* 171 Note du secrétariat de la délégation aux droits des femmes.

* 172 Note du secrétariat de la délégation aux droits des femmes.

* 173 Note du secrétariat de la délégation aux droits des femmes.

* 174 Note du secrétariat de la délégation aux droits des femmes.

* 175 Voir ci-après les reproduction de ces deux documents.

* 176 Voir ci-après la reproduction de ce document.

* 177 Note du secrétariat de la délégation aux droits des femmes.

* 178 Timbre reproduit avec l'autorisation de La Poste , de l'artiste et de la ville de Saint-Amand-les-Eaux, ville d'origine de Louise de Bettignies (c)La Poste, 2018. Création Éloïse Oddos d'ap. photos (c)Fonds Mairie de Saint-Amand-les-Eaux.

* 179 Prise par Isabelle Vahé, auteure de l'intervention sur Louise de Bettignies.

* 180 Voir ci-après les reproductions de ces documents.

* 181 Note du secrétariat de la délégation aux droits des femmes.

* 182 Voir les légendes de ces documents dans la liste ci-avant.

* 183 Dominique Bréchemier, Annie de Pène, une journaliste au coeur de la Grande Guerre , L'Harmattan, 2018.

* 184 Synthèse rédigée par l'auteure.

* 185 Séverine, journaliste majeure de la seconde moitié du XIX e et du début du XX e siècle, pseudonyme de Caroline Rémy, 1855-1929.

* 186 Séverine, « Une rose s'effeuille », La Vérité, 19 octobre 1918.

* 187 Colette, Lettres à Annie de Pène et Germaine Beaumont , présentées et annotées par Francine Dugast, Flammarion, 1995.

* 188 Annie de Pène, une journaliste au coeur de la Grande Guerre , op. cit., page 34.

* 189 Ibid ., page 45.

* 190 Ibid ., page 53.

* 191 Ibid ., page 55.

* 192 Ibid ., page 82.

* 193 Ibid ., page 84.

* 194 Ibid ., page 90.

* 195 Ibid ., page 102.

* 196 Ibid ., page 160, à lire avec la chronique page 180.

* 197 Ce texte, transmis par l'auteure, constitue la version longue de la communication prononcée par I. Vahé le jour du colloque.

* 198 Mme Germaine Féron-Vrau, présidente de la Ligue Patriotique des Françaises du département du Nord, aurait aimé qu'elle fasse des conférences pour la Ligue qui cherche à mettre en place une action catholique rationalisée, méthodique et capable d'enrayer le socialisme. Bien que s'en défendant, en France, les femmes de la Ligue entrent dans l'arène politique, non pas pour voter directement mais pour prendre part à la division sexuelle du travail militant qu'elles justifient par les compétences supposées de leur sexe. À l'oeuvre en 1902, lors des élections municipales de 1904 et des législatives de 1906, elles diffusent les tracts de candidats catholiques, collent des affiches, gèrent les caisses électorales, mettent à jour les listes électorales dans les mairies et monnayent même leur « devoir conjugal » contre une promesse de vote pour le bon candidat. Leur activité se poursuit de façon plus discrète après 1906, date à laquelle le pape Pie X leur interdit toute action politique.

* 199 Archives Générales du Royaume de Belgique. Fonds Services Patriotiques, portefeuille 33 dossier 131. Lettre-témoignage de Marie-Léonie Vanhoutte à Melle Tandel, 25 mars 1920, pour le rapport de la Commission des Archives des services patriotiques établis en territoire occupé au front de l'Ouest.

* 200 Une ambulance a pendant la Grande Guerre plusieurs fonctions : ambulance automobile chirurgicale, poste de secours. Ici, il s'agit d'un poste de secours.

* 201 Antoine Redier, La Guerre des Femmes , Paris, éditions de la Vraie France 1924, p.25.

* 202 Antoine Redier, op.cit . , page 41.

* 203 Archives Générales du Royaume de Belgique. Fonds Services Patriotiques, portefeuille 33 dossier 131. Lettre-témoignage de Marie-Léonie Vanhoutte à Melle Tandel, 25 mars 1920, pour le rapport de la Commission des Archives des services patriotiques établis en territoire occupé au front de l'Ouest.

* 204 Ibid .

* 205 Monsieur Courboin, détective, transmettait à Louise de Bettignies les instructions du service de renseignement britannique.

* 206 Les éléments sous crochets sont de l'auteure.

* 207 Archives Générales du Royaume de Belgique. Fonds Services Patriotiques, portefeuille 33 dossier 131. Notes détaillées de Marie-Léonie Vanhoutte du 25 mars 1920 pour le rapport de la Commission des Archives des services patriotiques établis en territoire occupé au front de l'Ouest.

* 208 Imperial War Museum, General Sir Walter Kirke, London War Diaries . Cote : 82/28/1 & Con Shelf.

* 209 Archives Générales du Royaume de Belgique. Fonds Services Patriotiques, portefeuille 33 dossier 131. Notes détaillées de Marie-Léonie Vanhoutte du 25 mars 1920 pour le rapport de la Commission des Archives des services patriotiques établis en territoire occupé au front de l'Ouest.

* 210 Imperial War Museum, General Sir Walter Kirke, London War Diaries . Cote : 82/28/1 & Con Shelf.

* 211 Archives Générales du Royaume de Belgique. Fonds Services Patriotiques, portefeuille 33 dossier 131. Notes détaillées de Marie-Léonie Vanhoutte du 25 mars 1920 pour le rapport de la Commission des Archives des services patriotiques établis en territoire occupé au front de l'Ouest.

* 212 Françoise Thébaud, Les Femmes au temps de la guerre de 14 , Paris, Payot, collection Petite Bibliothèque Histoire, 2013, p.89.

* 213 Marie de Croÿ, Souvenirs de la princesse Marie de Croÿ, 1914-1918 , Paris, Plon, 1933, cité in Françoise Thébaud, Les Femmes au temps de la guerre de 14 , Paris, Payot, collection Petite Bibliothèque Histoire, 2013, p.90.

* 214 Archives famille de Bettignies. Citation de Louise de Bettignies in « Lille a refait l'Union Sacrée autour de son héroïne incomparable », La Croix du Nord , 6 mars 1920.

* 215 Fragment d'une lettre écrite par Louise de Bettignies à la princesse Marie de Croÿ dans la prison de Siegburg. Document certifié exact par Laure Tandel (réseau de la Dame blanche), 17 septembre 1921.

* 216 En septembre-octobre 1918, les ouvriers allemands provoquent des grèves et des émeutes contre la misère et la guerre. En novembre 1918, une insurrection ouvrière éclate. La république est proclamée.

* 217 Archives famille Redier, dossier de demande d'attribution du titre de déporté-résistant, ministère des Anciens combattants.

* 218 Archives famille Redier. Note du maire de Roubaix confirmant le retour de Marie-Léonie Vanhoutte le 24 décembre 1918. 14 décembre 1918.

* 219 Antoine Redier, op.cit ., p.172.

* 220 Archives famille Redier. Diplôme décerné pour ses « services dévoués pendant la guerre 1914-1918 » par le Comité de la Croix-Rouge de Roubaix.

* 221 Archives famille Redier. Lettre de Winston Churchill à Marie-Léonie Vanhoutte, 9 novembre 1918.

* 222 Archives famille Redier. Lettre du roi Albert I er de Belgique à Marie-Léonie Vanhoutte, 13 juillet 1919.

* 223 Luc Capdevila, François Rouquet, Fabrice Virgili, Danièle Voldman, Hommes et femmes dans la France en guerre , Payot, 2003, p. 73.

* 224 Archives famille de Bettignies, La Croix du Nord , 14 novembre 1927.

* 225 Archives famille Redier. Ciné France , 1937.

* 226 https://www.lepoint.fr/societe/il-y-a-100-ans-l-espionne-louise-de-bettignies-la-jeanne-d-arc-du-nord-perissait-en-allemagne-21-09-2018-2253123_23.php

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